Madame est aux eaux (Eugène LABICHE - VILMAR)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 30 juin 1858.

 

Personnages

 

DANDINET, médecin

DUCASTEL, ami et voisin de Dandinet

ROLAND, capitaine de dragons

BASTIEN, domestique de Dandinet

AMÉLIE, femme de Dandinet

AGATHE, femme de chambre

HÉLÈNE, fille de Dandinet

 

La scène se passe à Nancy, chez Dandinet.

 

Le théâtre représente un salon : une fenêtre à gauche, deuxième plan ; porte au fond, portes latérales.

 

 

Scène première

AGATHE, seule, puis DANDINET, et AMÉLIE

 

Au lever du rideau, Agathe est renversée dans un fauteuil, les jambes étendues sur une chaise. Trois bougies sont allumées devant elle.

AGATHE, bâillant.

Il paraît qu’on s’amuse au bal de M. le préfet de Nancy... on ne pense pas qu’il y a des femmes de chambre qui attendent...

Prenant un livre sur la table.

Tiens ! il a un drôle de titre le livre de Madame !

Lisant.

« Les sept Femmes de Henri VIII. » Henri VIII... sept femmes !... ça doit être un Turc !...

Se retournant.

Mon Dieu ! que ce fauteuil est mal rembourré !

Regardant la pendule.

Six heures et demie !... et M. le docteur Dandinet, le mari de Madame, qui devait partir par le premier train pour Lunéville... Il s’agit d’une consultation importante : un malade très riche, et qui se porte très bien...

DANDINET, dans la coulisse.

Non Madame !

AMÉLIE, en dehors.

Si Monsieur !

AGATHE.

Oh ! les voici !

Elle se lève vivement, remet le livre sur la table et range les coussins.[1]

DANDINET, entrant avec Amélie.

Et moi je vous répète, Madame, que c’est de la dernière inconvenance !

AGATHE, à part.

Oh ! les bougies !

Elle en souffle deux et disparaît un moment.

AMÉLIE.

Quelle scène ridicule !... Puis-je empêcher les gens de m’inviter à danser !

DANDINET.

On refuse, Madame ! surtout quand tous les officiers de dragons de la garnison semblent se donner rendez-vous sur votre carnet de bal !... Que diable ! votre carnet n’est pas un champ de manœuvres !...

AMÉLIE.

Vous êtes fou !...[2]

DANDINET.

Non, Madame ; car dès que nous paraissons au bal...

Air : Mazaniello.

Vraiment, et c’est ce que j’admire,

On les voit bientôt arriver,

À la file se faire inscrire

Pour vous faire polker, valser.

Or, ce carnet, où, pour vous plaire,

J’entasse dragon sur dragon,

Ressemble après le bal, ma chère,

Au contrôle d’un escadron !

Et j’étais obligé de les inscrire, moi, le mari !...

Montrant le carnet.

Tenez, voilà la feuille de service... Voulez-vous que nous fassions l’appel du régiment de dragons ?...

AMÉLIE.

Rien de plus simple ! je suis la sœur d’un capitaine de ce régiment, et...

DANDINET.

Mais je ne suis pas le beau-frère du régiment, moi !... Madame, vous êtes jolie... très jolie !... trop jolie, même !...

AMÉLIE.

Hein ?

DANDINET.

Mais, dorénavant, je vous prierai de vouloir bien ne l’être que pour moi seul.

AMÉLIE.

Que voulez-vous dire ?

DANDINET.

J’ai mon plan... et, au prochain bal, je sais bien ce que je ferai...

AMÉLIE.

Que ferez-vous ?

DANDINET.

Avant de partir, je vous inviterai pour toutes les contredanses... en bloc !

AMÉLIE.

Vous ?

DANDINET.

J’ai un peu oublié... mais je m’y remettrai !

AMÉLIE.

Allons donc ! à votre âge !

DANDINET.

Mon âge ! Ne dirait-on pas... parce que j’ai dix ans de plus que vous...

AMÉLIE.

Onze, mon ami...

DANDINET.

Onze, soit ! Mais qu’est-ce que c’est qu’onze ans de plus ou de moins... pour un homme !

AMÉLIE.

Mais, dame !... c’est onze ans !

DANDINET.

Il me semble que je ne vous ai jamais donné sujet de vous en apercevoir ?...

AMÉLIE.

Monsieur !...

DANDINET.

Mais vous préférez danser avec des épaulettes, ça flatte !

AMÉLIE.

Assez !

DANDINET.

Pourquoi ne dansez-vous jamais avec le notaire ?...

AMÉLIE.

Il est toujours malade !

DANDINET.

C’est mon client !

AMÉLIE.

C’est peut-être pour cela !

DANDINET.

Qu’est-ce que vous dites ?...

AMÉLIE.

Rien !... vous êtes d’une humeur !...

Très doucement.

Mon ami, vous n’avez donc pas soupe au bal ?...

DANDINET.

Eh bien ! non... je n’ai pas soupé.

AMÉLIE.

Ah !

DANDINET.

Impossible !... on a commencé par les dames... elles n’ont laissé que de la gelée !...

Regardant la pendule.

Bien ! sept heures !... j’ai déjà manqué le premier convoi, grâce à vos... dragonnades !...

AMÉLIE.

Encore !

DANDINET.

Toujours !... C’est vrai !... un client m’attend à Lunéville... il agonise peut-être !... Mais Madame valse, Madame polke !...

AMÉLIE.

Laissez donc !... il n’a rien, votre malade !...

DANDINET.

Chut !... on ne dit pas ça !... je compte le guérir !...

AMÉLIE.

Oh ! pardon !...[3]

DANDINET, à part.

Les femmes n’entendent rien à la médecine.

Haut.

Allons, adieu !... bonsoir !... je vais faire ma valise.

Appelant.

Ah ! Agathe !...

AGATHE, qui est rentrée.

Monsieur ?

DANDINET.

Ce jeune homme qui a mal aux yeux... ce clerc d’avoué... est-il venu hier soir ?...

AGATHE.

Oui, Monsieur ; vous veniez de sortir.

DANDINET.

Eh bien ! comment va-t-il ?... as-tu regardé son œil ?...

AGATHE, baissant les yeux.

Monsieur sait bien que je n’ai pas l’habitude de regarder dans l’œil des clercs d’avoué.

DANDINET.

Où serait le mal ?... Un œil malade, ce n’est pas un œil !... c’est de la pathologie !... 

À part.

Pimbêche, va !

AMÉLIE, qui a retiré son écharpe.

Adieu, mon ami.

DANDINET.

Adieu !

AMÉLIE.

Tu ne m’en veux plus ?

DANDINET.

Non !

AMÉLIE.

Et tu pars sans m’embrasser ?...

DANDINET.

Il faut que je fasse ma valise !

Il l’embrasse avec impatience.

AMÉLIE.

Boudeur !... Agathe, venez me déshabiller !

Amélie et Agathe entrent à gauche.

 

 

Scène II

 

DANDINET, seul, puis AMÉLIE

 

DANDINET, seul.

Eh bien, non !... je ne suis pas content de ma femme !...

Se fouillant.

Ai-je mon agenda ?... Amélie se dérange... c’est-à-dire... elle devient coquette... douze dragons !...

Se fouillant.

Et ma trousse ?... Car ils étaient douze... certainement je suis un brave homme de mari... mais il ne faudrait pas... ça ne m’irait pas du tout !

Une pierre, enveloppée dans un morceau de papier, entre par la fenêtre et tombe à côté de lui.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

Il ramasse le paquet et déploie le papier.

Un billet par la fenêtre !...

Lisant.

« Votre mari doit être parti... si vous êtes seule, jouez quelques notes de piano. » Un rendez-vous !... c’est un rendez-vous !... Ô Amélie !... On me croit parti, et ce piano sert de signal !... un cadeau que j’ai fait à ma femme la semaine dernière... si c’est pour cela !... mais nous allons voir !...

Il ouvre le piano.

Je ne sais pas jouer de ça, moi... ça ne fait rien !

Il frappe avec rage sur le piano l’air de Lampions.

AMÉLIE, paraissant à la porte de droite.[4]

Eh bien ! mon ami, que faites-vous donc ?...

DANDINET, interdit.

Moi ?... rien !... je... je fais ma valise...

AMÉLIE.

Avec accompagnement de piano ?...

DANDINET.

Oui... c’est-à-dire... 

À part.

Du bruit sous la fenêtre !...

Haut.

Rentrez !...

AMÉLIE.

Qu’avez-vous ?

DANDINET.

Rien !...

Avec colère.

Mais rentrez donc !...

AMÉLIE.

Ah ! mon Dieu !... c’est bien... ne vous fâchez pas, je rentre.

Elle disparaît.

 

 

Scène III

 

DANDINET, seul, puis AMÉLIE

 

DANDINET.

Bien certainement j’ai entendu remuer sous la fenêtre...

Il y court vivement.

Une échelle !... quelqu’un monte... vite... une arme !... Ah !...

Il court prendre un sabre dans la chambre à droite sans disparaître.

Mon sabre de garde national !...

Le tirant du fourreau avec beaucoup d’efforts.

Il est un peu rouillé !

S’approchant de la fenêtre.

Il fait noir comme dans un four !... le voici !...

Plongeant son sabre en dehors de la fenêtre.

Tiens, misérable !

On entend un cri.

Sapristi ! je suis entré dans quelque chose !... Aurais-je tué un homme ?... C’est singulier... au sabre... ça me fait de l’effet !...

Il retire son sabre avec émotion ; la pointe est piquée dans un chapeau de dragon.

Son chapeau !... un chapeau de dragon !!!... je m’en doutais !...

Courant à la porte d’Amélie et criant à tue-tête.

Madame !... Madame !... Madame !...

AMÉLIE, arrivant effrayée.

Qu’y a-t-il ? grand Dieu !...[5]

DANDINET, lui présentant le chapeau au bout du sabre.

Connaissez-vous ceci ? Répondez ! répondez !

AMÉLIE, sans comprendre et simplement.

C’est un chapeau de dragon !...

DANDINET, à part.

Elle l’avoue !... Après cela, elle aurait de la peine à le nier !...

AMÉLIE.

Eh bien ! que voulez-vous faire de ça ?

DANDINET.

Comment ! 

À part.

Ma parole, les femmes ont un sang-froid...

Haut, tragiquement.

Madame, je sais tout ! tout !! tout !!!

AMÉLIE.

Quoi ?...

DANDINET.

J’ai donné le signal... sur le piano... l’infâme piano !... et il est venu... avec son échelle.

AMÉLIE.

Qui ça ?...

DANDINET.

Est-ce que je le sais ?... je n’ai sabré que son chapeau !... mais j’espère que vous allez me dire son nom... et, au besoin, je l’exige !...[6]

AMÉLIE.

Quel nom ?... car je ne vous comprends pas.

DANDINET, exaspéré.

Ah ! c’est trop fort !...

Criant.

Le nom du dragon !

AMÉLIE.

Hein !...

DANDINET.

Celui des douze !... à qui vous avez donné rendez-vous !...

AMÉLIE, avec force.

Assez, Monsieur, vous m’insultez !...

DANDINET.

Ah ! c’est joli !... Eh bien ! et moi, qu’est-ce que je dirai ?

AMÉLIE.

Depuis longtemps, votre jalousie amène des scènes dont je rougis pour vous, et je vous déclare que je n’en supporterai pas de nouvelles !...

DANDINET.

Des reproches ! des menaces ! à moi ! ventrebleu !

Il se coiffe avec colère du chapeau de dragon et le rejette vivement.

Veux-tu me laisser, toi !...

AMÉLIE.

Je suis lasse, à la fin, d’être le jouet de vos soupçons et de vos caprices ![7]

DANDINET.

C’est ça ! l’indignation ! les grands mots ! je connais ça, c’est la ressource des femmes coupables !

AMÉLIE.

Pas un mot de plus, Monsieur !... Vous me forceriez à quitter cette maison, où je ne suis pas respectée !...

DANDINET.

Ah ! c’est comme ça !... au lieu de vous justifier... de supplier, vous parlez de quitter cette maison... Au fait, c’est un moyen !... Eh bien, soit ! Madame... séparons-nous !...

AMÉLIE.

Comment ?...

DANDINET.

L’idée vient de vous !... D’ailleurs après ce qui s’est passé, la vie deviendrait un enfer, une torture, un bagne !

AMÉLIE, indignée.

Ah !...

DANDINET.

Je ne vous retiens plus... Adieu, Madame !...

AMÉLIE.

C’est vous qui le voulez ?...

DANDINET.

Oui !... Je vous ferai une pension... petite... comme c’est l’usage.

AMÉLIE.

Oh ! assez !...

Très émue.

Je me retire, Monsieur... je vais chez ma mère...

DANDINET.

Vous faites bien... c’est une honnête femme celle-là !...

AMÉLIE.

Oh !... Adieu, Monsieur... pour toujours !...

Elle remonte.[8]

DANDINET, la rappelant.

Amélie !...

AMÉLIE.

Pour toujours !

DANDINET.

Soit !...

Ensemble.

Air : Allons, plus de querelles (Final de Paris qui dort).

DANDINET.

Ma fureur en décide !

Ces nœuds, jadis si doux,

Ils sont rompus, perfide !

Malheur ! honte sur vous !           

AMÉLIE.

Sa folie en décide,

Plus de bonheur pour nous !

Ils sont rompus, perfide !

Ces nœuds jadis si doux !

Elle sort vivement.

 

 

Scène IV

 

DANDINET, seul, puis BASTIEN

 

DANDINET.

Lâche ! j’ai cru que j’allais la rappeler !... Allons !... c’est fini !... je n’ai plus de femme ! Je suis veuf !... veuf ! moi !... Après ça j’aurais tort de me plaindre : c’est un état charmant... très indépendant... on est libre... Je tiendrai ma maison... j’écrirai la dépense... j’irai à la cave... tous les lundis !... ce sera très amusant ! Les femmes se figurent qu’on ne peut pas se passer d’elles !... Qu’est-ce qu’une femme après tout ?... Un objet d’habitude plutôt que de réelle utilité !... c’est comme le tabac !... je ne fumerai plus... voilà tout !

Trouvant le chapeau à terre et le ramassant.

Ah ! te voilà, toi !... pas de nom... pas d’indices...

Faisant mine de le rejeter.

Misérable !

Se ravisant.

Non, je le garde !... comme une preuve... comme un témoin... et si jamais je viens à faiblir...

Le mettant dans son secrétaire.

il sera là pour me donner du cœur, de la colère, de la rage !

Regardant la pendule.

Allons, bon !... huit heures !... et ma consultation ?... Je n’irai pas !... une cure magnifique !... un malade qui n’a rien... je l’aurais sauvé !... Mais j’ai besoin de me distraire, de m’étourdir !... Si je déjeunais... 

Il sonne.

Je vais pouvoir me commander à déjeuner !... manger ce que je voudrai !...

Le jour se fait.

BASTIEN, entrant très gourmé.[9]

Monsieur a sonné ?...

DANDINET.

Oui, je veux déjeuner... un bon déjeuner !...

BASTIEN.

Déjeuner ! après ce qui vient de se passer !... oh ! fi ! Monsieur !... fi !...

DANDINET, étonné.

Hein !... quoi ?...

BASTIEN.

Monsieur, je vous prie de me faire mon compte !...

DANDINET.

Comment ! tu me quittes ?...

BASTIEN.

Carrément... Monsieur !

DANDINET.

Pourquoi ça ?...

BASTIEN.

Je suis un honnête garçon moi, Monsieur... je vais me marier !...

DANDINET.

Eh bien ?...

BASTIEN.

Et vous comprenez qu’à Nancy, un jeune homme qui veut se marier, ne peut pas rester chez un maître...

Avec mépris.

qui vit séparé de sa femme !...

DANDINET.

Comment tu sais !... Mais de quoi te mêles-tu ?...

BASTIEN.

J’ai des mœurs, Monsieur, et je vous prie de me faire mon compte...

DANDINET.

Ah ! c’est comme ça !...

BASTIEN.

Carrément !

DANDINET.

Oui ?... eh bien ! tu resteras, je te garde !...

BASTIEN.

Mais, Monsieur...

DANDINET.

Tu me dois huit jours... tu les feras ! je le veux !... je m’entête !...

BASTIEN.

Je les ferai... Monsieur a la loi pour lui !... mais je les ferai avec indignation et mauvaise humeur !...

DANDINET.

C’est ce que nous verrons !

BASTIEN.

Et je vous dirai toujours : Fi, Monsieur, fi !

DANDINET.

Ça m’est égal !... Qu’est-ce qu’il y a pour déjeuner ?...

BASTIEN.

Bifteck aux pommes... fi ! fi !...

DANDINET.

Après ?

BASTIEN.

Homard sauce mayonnaise... fi ! fi !...

DANDINET.

Ah ! mais tu m’ennuies !...

BASTIEN.

Alors, jetez-moi à la porte.

DANDINET.

Non !

BASTIEN.

Alors, fi ! fi ! fi !

Il sort.

 

 

Scène V

 

DANDINET, puis AGATHE

 

DANDINET, seul.

Fi ! fi ! Est-ce qu’il va me faire ses huit jours sur cet air-là ?... Ça sera gai !...

AGATHE, entrant par le fond et d’un air doucereux.[10]

Monsieur m’a fait demander ?...

DANDINET.

Moi ?... pas du tout !...

AGATHE.

Monsieur n’a besoin de rien ?...

DANDINET.

De rien, merci !...

AGATHE.

C’est que...

DANDINET, impatienté.

Quoi ?... que voulez-vous...

AGATHE.

On m’a dit que Monsieur n’était plus avec Madame...

DANDINET.

Eh bien, après ?... qu’est-ce que ça vous fait ?... vous venez sans doute aussi me demander votre compte ?...

AGATHE.

Mais, Monsieur ?...

DANDINET.

Je le refuse ! je vous garde huit jours ! Je garde tout le monde huit jours !...

AGATHE, vivement.

Mais je ne veux pas m’en aller... au contraire !...

DANDINET.

Hein ?...

AGATHE, baissant les yeux.

Je suis trop attachée à Monsieur... Monsieur a toujours été si bon pour moi !...

DANDINET.

À la bonne heure !... c’est bien... c’est très bien !...

AGATHE.

Ce n’est pas une raison si Madame a des torts.

DANDINET.

De quoi vous mêlez-vous ?... Madame n’a pas de torts !... C’est un ange... que j’ai envoyée aux eaux... pour sa santé !... je vous défends d’en parler !... et si on vous demande où elle est, vous répondrez : Madame est aux eaux... Telle est ma volonté !

AGATHE.

Monsieur peut être tranquille... je ferai tout ce qui dépendra de moi pour mériter la confiance de Monsieur.

DANDINET.

Oui... je sais que vous êtes une bonne fille... un peu pimbêche...

AGATHE, vivement.

Moi ?... mais pas du tout !...

DANDINET.

Si, le moindre mot vous effarouche...

AGATHE.

Oh ! Monsieur peut parler...

Baissant les yeux.

J’entends très bien la plaisanterie...

DANDINET.

En l’absence de Madame, je compte sur vous pour tenir mon ménage... défendre mes intérêts...

AGATHE.

Oh ! Monsieur !... comme les miens !... et pour ce qui est de l’économie...

Elle court souffler la bougie avec affectation.

DANDINET.

Quoi donc ?...

AGATHE.

La bougie est augmentée !

DANDINET, à part.

Décidément, j’aurai là une bonne fille !...

AGATHE.

Ah ! votre habit...[11]

DANDINET.

Eh bien ?...

AGATHE.

Il est tout blanc... Monsieur a dû se frotter contre du blanc !...

Prenant une brosse sur la table.

Si Monsieur voulait permettre ?...

DANDINET.

Avec plaisir...

Agathe le brosse, Dandinet, à part, s’attendrissant.

Quand Amélie m’aimait, elle a été jusque-là !... elle m’a brossé !... et j’étais sensible à cette preuve d’affection...

Changeant d’idée et avec un geste de colère.

La perfide !...

Il heurte le bras d’Agathe.

AGATHE.

Ah ! vous m’avez fait mal !...

DANDINET.

Oh ! pauvre fille !... où ça ?...

AGATHE, relevant un peu sa manche.

Là... au bras !... mais ce n’est rien !

Avec sentiment.

J’en supporterais bien d’autres pour Monsieur !...

DANDINET, à part.

Elle a du dévouement !...

AGATHE.

Et puis, Monsieur est si habile qu’on se réjouirait presque d’être malade, pour se faire guérir par lui...

DANDINET, à part.

Et beaucoup de jugement !

Haut.

Va voir si cet animal de Bastien s’occupe de mon déjeuner ?

AGATHE.

Tout de suite... Je vous servirai moi-même... Monsieur prendra-t-il du café ?...

DANDINET, irrésolu.

Dame !... ma femme me le défendait...

AGATHE.

Bah ! faut se donner du bon temps ! Je vous apporterai aussi cette bouteille de vieux cognac...

DANDINET.

Non !... le cognac m’étourdit !...

AGATHE, de la porte.

Bah ! il faut se donner du bon temps !

Chantant, en sortant.

Allons plus de tristesse... aux jeux...

Elle disparaît.

 

 

Scène VI

 

DANDINET, puis HÉLÈNE, puis DUCASTEL

 

DANDINET.

Ma parole ! je ne la reconnais plus !... je la croyais bégueule !... Au fait, elle a raison... il faut se donner du bon temps.

Chantant.

Allons plus de tristesse ! aux jeux...

Et puisque ma femme... est partie, je veux me distraire, voir du monde... Je suis très considéré à Nancy... j’ai là des invitations pour toute la semaine et... 

Il s’assied à gauche.

HÉLÈNE, entre par le fond. Elle porte un carton et des livres.

Ah ! c’est moi ; bonjour, mon petit père !...

Elle court l’embrasser et s’assied sur ses genoux.[12]

DANDINET.

Ma fille !... 

À part.

Je l’avais oubliée !...

HÉLÈNE.

Oh ! que tu es donc gentil de m’avoir retirée de pension !... Madame vient de me ramener.

DANDINET, à part.

Pauvre enfant ! qu’est-ce que je vais en faire ?...

HÉLÈNE.

Certainement, je n’ai pas à me plaindre de la pension... Madame était très bonne pour moi !... Mais porter toujours des robes sans volants, ça, c’est terrible !... et vous avez compris, toi et maman...

Se levant et regardant autour d’elle.

Mais où est-elle donc, maman ?... 

DANDINET, se levant vivement.[13]

Elle va venir !... 

À part.

Qu’est-ce que je vais donc faire ?

HÉLÈNE.

Quel bonheur ! je vais rester près d’elle... près de toi, toujours... je terminerai ici mon éducation... maman me fera réciter mes leçons !...

DANDINET.

Oui, oui, sans doute.

HÉLÈNE, apercevant le piano.

Tiens !... un piano neuf !... je vais l’essayer !...

DANDINET, l’arrêtant.

Non, non... pas celui-là !...

HÉLÈNE.

Pourquoi ?

DANDINET.

Il est faux... je t’en achèterai un autre !...

HÉLÈNE, l’observant.

Que se passe-t-il donc ?... on dirait que tu as du chagrin ?... et maman qui n’est pas là !...

DANDINET.

Ta mère !

L’embrassant avec émotion.

pauvre petite !...

HÉLÈNE, tout à coup.

Ah ! mon Dieu !... elle est malade ?...

DANDINET.

Non ! non !...

HÉLÈNE.

Ah ! tu m’as fait une peur !... cette pauvre mère qui nous aime tant... toi surtout !

DANDINET.

Moi !...

HÉLÈNE.

Tu le sais bien... que de fois elle m’a dit : Hélène, aime bien ton père, à cause de lui d’abord ; et puis à cause de moi, car il me rend bien heureuse !...

DANDINET, avec attendrissement.

Elle te disait cela !... 

À part, avec colère.

Oui... autrefois... avant l’invasion des dragons !... Oh ! les dragons !...

Il s’arrête tout à coup en voyant entrer Ducastel, qui met son second gant blanc.

Tiens ! c’est le voisin !

DUCASTEL, très emphatique.[14]

Docteur, permettez-moi de vous offrir mes cordiales salutations !... 

À Hélène.

Mademoiselle, je vous prie d’agréer mes respectueux hommages !...

DANDINET, à part.

Voilà l’homme qui salue le mieux de Nancy... Hein ! comme c’est fait !

DUCASTEL, revenant à Dandinet.

Elle est charmante !... mon neveu vient d’arriver, et nos projets de mariage vont prendre quelque consistance... si toutefois vous nous permettez d’aspirer à l’honneur...

Il s’incline.

DANDINET, arrêtant son salut.

Oui, oui !... ce n’est pas la peine !...

DUCASTEL.

Mais je ne vois pas la charmante madame Dandinet...

DANDINET, à part.

Bien ! lui aussi !... Ils vont tous me demander madame Dandinet !...

DUCASTEL.

Je viens la chercher !

DANDINET.

Ma femme !... pour quoi faire ?...

DUCASTEL.

Vous aviez donc oublié notre concert au profit des pauvres ?

HÉLÈNE.

Un concert !

DUCASTEL.

Tout Nancy y sera. 

À Hélène.

Madame votre mère a promis de quêter...

DANDINET, à part.

Ça tombe bien !...

DUCASTEL.

Et, comme j’ai obtenu l’honneur d’être son chevalier...

DANDINET.

Elle va venir... elle va venir... 

À part.

Devant ma fille, je ne peux pas...

DUCASTEL.

Nous sommes convenus hier que je la prendrais à midi.

Tirant sa montre.

Mais il est trente-cinq.

DANDINET.

Vous avancez.

DUCASTEL.

Pardon... je me règle sur l’hôtel de ville... je crains que madame Dandinet ne s’impatiente.

DANDINET.

Oh ! ne craignez pas ça... Vous savez... les dames...

DUCASTEL, saluant Hélène.

Sont les chefs-d’œuvre de la nature !

DANDINET.

Oui...

À part, le regardant saluer.

Hein ! Comme c’est fait !...

DUCASTEL, à Dandinet.

Veuillez avoir l’obligeance de la prévenir que je suis à ses ordres.

DANDINET, à part.

Que lui dire ?

Haut.

Elle est à sa toilette.

HÉLÈNE.

Je vais la chercher !

Fausse sortie.

DANDINET, l’arrêtant.

Non ! pas toi ![15]

HÉLÈNE.

Pour voir sa robe.

DANDINET.

Moi j’y vais... j’y vais... 

À part, sans bouger.[16]

Il faudra pourtant bien qu’on finisse par le savoir !...

HÉLÈNE, à son père.

Eh bien ! que fais-tu là ?... Dépêche-toi donc !...

DANDINET.

Tout de suite ! tout de suite !

À part, se dirigeant vers la chambre de gauche.

En voilà une situation !

Ouvrant la porte et parlant à la cantonade.

Es-tu prête, ma bonne amie ?... es-tu prête ?...

Il disparaît.

 

 

Scène VII

 

HÉLÈNE, DUCASTEL[17]

 

DUCASTEL, à part.

Si je profitais du tête-à-tête pour interroger son jeune cœur à l’égard de mon neveu ?...

HÉLÈNE, à part.

Papa a un air singulier !...

DUCASTEL, il tousse.

Hum !...

Saluant.

Mademoiselle...

HÉLÈNE, saluant.

Monsieur...

DUCASTEL.

Permettez-moi de vous renouveler l’assurance de mes hommages les plus respectueux.

HÉLÈNE, à part.

Il salue comme notre maître de danse...

DUCASTEL.

Heureux, Mademoiselle, les parents qui ont une fille telle que vous !...

HÉLÈNE.

Oh ! Monsieur !...

DUCASTEL.

Je le répète : telle que vous !... dont l’esprit, les grâces, les vertus assureront, tôt ou tard, le bonheur... d’un mari.

HÉLÈNE, vivement.

Un mari !... 

À part.

Ah ! mon Dieu, et maman qui n’est pas là !...

Haut.

Monsieur, je ne sais ce que vous voulez dire... d’ailleurs, je suis encore bien jeune... je vais avoir quinze ans...

DUCASTEL.

Sans doute !... aussi n’est-ce pas tout de suite...

HÉLÈNE, désappointée.

Ah !... ça sera long ?...

DUCASTEL.

Un an... deux ans... il faut le temps de se connaître... de s’apprécier...

HÉLÈNE, étourdiment.

D’acheter la corbeille...

À part.

Je voudrais bien savoir qui ?...

DUCASTEL.

Et si par hasard votre cœur n’avait pas encore parlé ?...

HÉLÈNE.

Plaît-il ?...

DUCASTEL.

Je répète : Et si par hasard monsieur votre cœur n’avait pas encore parlé...

Hélène baisse les yeux.

Hein !...

HÉLÈNE, embarrassée.

Je ne sais pas ce que vous me demandez...

DUCASTEL, à part.

Touchante ingénuité !...

Haut.

Alors, Mademoiselle, madame Ducastel et moi nous aurions l’honneur de vous offrir un prétendu...

HÉLÈNE, à part.

Il va me dire qui.

DUCASTEL.

Un jeune homme qui a déjà eu l’honneur de vous être présenté...

HÉLÈNE.

Ah !...

DUCASTEL.

M. Édouard, mon neveu.

HÉLÈNE.

M. Édouard... qui était ici aux vacances ?

DUCASTEL.

Position superbe !... septième d’agent de change... toujours en voiture !... Du reste il sera tantôt au concert... et si vous voulez me permettre...

 

 

Scène VIII

 

HÉLÈNE, DUCASTEL, DANDINET, puis BASTIEN

 

DANDINET, sortant de la gauche et parlant à la cantonade.

Dépêche-toi, ma bonne amie, dépêche-toi !... 

À part.

Je voulais inventer une histoire... je n’ai rien trouvé.

HÉLÈNE.

Eh bien ? et maman ?...[18]

DANDINET.

Elle va venir, elle va venir ; mais, je vous en prie, mon cher monsieur Ducastel, ne l’attendez pas.

DUCASTEL.

Par exemple !... ma charmante quêteuse !...

S’asseyant.

Je passerai plutôt la journée ici !

DANDINET, à part.

Bien ! il s’assoit !!... ça va être amusant !...

BASTIEN, entrant.[19]

Monsieur !

DANDINET.

Quoi ?...

BASTIEN.

Ce sont des lettres !...

Bas.

Fi ! fi !...

DANDINET.

Des invitations sans doute... donne !...

Lisant.

« Madame Dennebon prévient M. le docteur Dandinet qu’elle ne recevra pas lundi !... »

DUCASTEL, étonné.

Tiens !...

HÉLÈNE.

Ah ! quel dommage !... on danse chez elle jusqu’à cinq heures du matin !...

DANDINET.

Oh ! console-toi !... Tu ne manqueras pas de soirées... J’en ai pour toute la semaine.

Ouvrant une seconde lettre.

« Madame Perrin ne recevra pas jeudi... »

DUCASTEL, étonné.

Tiens !...

DANDINET, ouvrant plusieurs lettres.

Ah ! je comprends !...

DUCASTEL.

Dans tous les cas, madame Ducastel m’a chargé de vous rappeler que nous recevions samedi prochain et les samedis suivants...

DANDINET.

Merci ! vous êtes bien bon !...

DUCASTEL.

J’espère que Mademoiselle nous honorera de sa présence ?...

HÉLÈNE.

Oh ! avec grand plaisir !

DUCASTEL.

C’est si commode... l’étage au-dessus... quinze marches à monter et vous y êtes !...

Jetant les yeux sur la pendule.

Ah ! mon Dieu, une heure ! croyez-vous que madame Dandinet ?...

DANDINET.

Elle est avec sa couturière... et vous comprenez... après, ce sera le tour du coiffeur !... il est très lambin le coiffeur !

DUCASTEL.

Diable ! diable !...

DANDINET, à part.

On dirait qu’il en a assez.

Lui offrant une chaise.

Asseyez-vous donc !...[20]

DUCASTEL.

C’est que... ma femme désirait arriver de bonne heure pour avoir des places sur le devant...

DANDINET.

Elle a bien raison... sans cela on ne voit rien !

DUCASTEL.

Si vous le permettiez... j’irais d’abord la conduire et je reviendrais...

DANDINET.

Comment donc !

DUCASTEL.

Je suis ici dans dix minutes !

Saluant Hélène.

Mademoiselle, je vous renouvelle l’assurance de mes nommages les plus respectueux !

DANDINET, à part.

Hein !... comme c’est fait !...

DUCASTEL, sortant.

Dans dix minutes !

Il disparaît.

DANDINET.

Enfin ! il est parti !...[21]

HÉLÈNE.

Vite ! allons voir maman !

DANDINET.

Oui... tout de suite. 

À part.

Comment diable lui arranger ça ?...

Haut.

C’est que... ta mère... j’ai oublié de te dire... elle n’est pas à Nancy.

HÉLÈNE.

Comment ! elle n’est pas ici ?

DANDINET.

Non !

HÉLÈNE.

Et où est-elle ?

DANDINET.

Elle est... elle est aux eaux !

HÉLÈNE.

En hiver !

DANDINET.

Précisément ! elle est aux eaux chaudes !

HÉLÈNE.

Malade sans doute ! vite, partons !

DANDINET, barbotant.

Non !... Elle est aux eaux... mais elle se porte très bien !... c’est même à cause de cela... car généralement quand on va aux eaux...

HÉLÈNE, pleurant.

Ah ! tu me caches la vérité !... je veux voir maman !... je veux embrasser maman !...

DANDINET, à part.

Ah ! voilà ce que je craignais !

La consolant.

Voyons, ne pleure pas... elle reviendra... plus tard ! D’ailleurs, je suis là, moi, ton père, pour te câliner, pour te dorloter !...

HÉLÈNE, pleurant.

Ce n’est pas la même chose que maman !

DANDINET.

Je t’aimerai pour deux... j’aurai soin de toi !... je te ferai répéter tes leçons...

Il s’assied. Hélène se place sur ses genoux.[22]

Voyons, qu’est-ce que tu apprends en ce moment ?

HÉLÈNE, pleurant.

J’apprends l’histoire de Russie... Catherine II...

DANDINET.

Catherine II... Potemkin !... c’est un grand règne !...

HÉLÈNE.

Papa ! qu’est-ce que c’est qu’un favori ?

DANDINET, très embarrassé.

Hein !... mais dame... un favori... c’est... c’est...

Montrant les siens.

voilà... j’en ai deux !...

HÉLÈNE.

Mais non !... puisqu’ils commandent les armées !...

DANDINET.

Ah ! oui...

Barbotant.

Ma fille... un favori... est un être... un mortel... car nous sommes presque tous mortels !... qui par ses talents... ses vertus...

S’oubliant.

Tu demanderas à ta maman.

Se reprenant vivement.

Non ! non !

À part.

Mon Dieu que c’est difficile d’élever les demoiselles !

HÉLÈNE.

Tu ne veux pas me le dire ! Ah ! si maman était là !...

DANDINET.

Oui, mais elle n’y est pas !... et pour te consoler, je vais te mener au concert... tu vas l’habiller... te faire bien belle !...

HÉLÈNE, naturellement.

M’habiller !... est-ce que je peux m’habiller sans maman ?

DANDINET.

Parfaitement !... tu es grande maintenant... et puis, il y a Agathe... la femme de chambre... C’est une fille pleine de goût et de bon conseil...

La conduisant à droite.

Va !... tu trouveras dans ta chambre une jolie robe avec des volants !... trois volants !

HÉLÈNE, entrant en pleurant.

Ah ! ça m’est bien égal maintenant !... Je veux voir maman !

DANDINET.

Trois volants !

HÉLÈNE.

Je veux voir maman !

DANDINET.

Trois volants !

HÉLÈNE.

Je veux voir maman !

Elle entre.

 

 

Scène IX

 

DANDINET, puis BASTIEN, puis AGATHE, puis ROLAND

 

DANDINET, seul.

Pauvre enfant !... mais à qui la faute ?

Avec rage.

Oh ! les dragons !

BASTIEN, apportant une table servie.

Voilà le déjeuner de Monsieur !

DANDINET.

C’est bien... 

À part.

Je n’ai plus faim !

BASTIEN, avec mépris.

Plus une bouteille de cognac !... Quand la femme s’en va, le cognac arrive ! fi ! fi ! fi !...

DANDINET, le menaçant.

Tais-toi ! tu m’agaces !...

BASTIEN, stoïquement.

Oh ! allez !... quand un homme lève la main sur sa femme !...

DANDINET.

Ce n’est pas vrai ! qui a dit ça ?...

BASTIEN.

Des personnes honorables, Monsieur... car Nancy chuchote !... y chuchote Nancy !...

DANDINET.

Laisse-moi tranquille !... ne me fais pas mettre en colère !...

BASTIEN.

Alors, jetez-moi à la porte.

DANDINET.

Non !...

BASTIEN.

Alors, il chuchote !...

AGATHE, entrant avec une cafetière d’argent qu’elle pose sur un réchaud à esprit de vin.

Peut-on faire chauffer le café de Monsieur ?...[23]

DANDINET.

Oui... faites.

BASTIEN, scandalisé.

Oh ! du café dans la semaine !...

DANDINET.

Veux-tu t’en aller !

BASTIEN, fièrement.

Je sors, Monsieur... mais, je sors indigné !

En sortant.

Frapper une femme et boire du café dans la semaine ! fi ! fi ! fi !...

DANDINET, à part.

Si ça continue... il ne fera pas ses huit jours... je l’exterminerai avant !...

BASTIEN, rouvrant la porte.

Fi !...

AGATHE.

Quand Monsieur voudra déjeuner ?[24]

DANDINET.

Tu es une bonne fille, toi, tu me plais !...

AGATHE, minaudant.

Oh ! Monsieur dit cela ?...

DANDINET, à part.

Qu’est-ce qu’elle a ?...

AGATHE.

Il y a une chose que je voudrais bien demander à Monsieur... mais je n’ose pas !...

DANDINET.

Quoi ?

AGATHE.

C’est... si ça ne contrariait pas Monsieur que je sorte en chapeau ?...

DANDINET.

Moi ! qu’est-ce que ça me fait ?...

Regardant la table servie.

Tiens ! tu as mis deux couverts.

AGATHE, un peu embarrassée.

Moi !... c’est-à-dire... j’ai pensé que Monsieur n’aimait pas à manger seul...

DANDINET.

Au fait et ma fille !...

Haut.

C’est une bonne idée... tu as bien fait !

Se dirigeant vers la droite.

Je vais la prévenir.

Haut.

Allons ! à table ! à table !...

AGATHE, s’asseyant à la table sans être vue de Dandinet.

Monsieur est bien bon !...

ROLAND, entrant par le fond.

Le docteur Dandinet !

Apercevant Agathe assise.

Ah ! bah !...

AGATHE, se levant vivement.[25]

Oh !

DANDINET.

Le capitaine Roland ! le frère de ma femme !...

ROLAND.

Je vous dérange ?...

DANDINET.

Vous voyez... nous allions déjeuner.

ROLAND, bas à Agathe.

Déjà, gaillarde !

AGATHE.

Monsieur !...

ROLAND, bas.

Je ne t’en veux pas à toi. Tu fais tes petites affaires.

AGATHE.

Je ne comprends pas.

ROLAND, haut.

Laisse-nous. Nous avons à causer.

AGATHE, emportant la cafetière.

Je vais tenir chaud le café de Monsieur !

ROLAND.

Va tenir chaud le café de Monsieur ! va !

Agathe sort par le fond.

 

 

Scène X

 

DANDINET, ROLAND[26]

 

DANDINET, à part.

Il va me demander une explication de dragon. Soit !...

ROLAND.

Mon compliment !... elle est gentille !...

DANDINET, étonné.

Qui ça ?

ROLAND.

Mais ça ne me regarde pas... c’est votre affaire... je suis venu pour autre chose...

Il allume un cigare.

DANDINET.

Eh bien ! que faites-vous donc ?...

ROLAND.

Oh ! chez un garçon c’est reçu... Maintenant, causons !...

Il se couche sur le canapé.

Mon cher beau-frère, vous plairait-il de me dire pourquoi vous avez quitté votre femme ?

DANDINET, à part.

Nous y voilà !

ROLAND.

Vous avez sans doute des motifs.

DANDINET.

Oh ! oui.

ROLAND.

Graves ?

DANDINET.

Oh ! oui !

ROLAND.

Voyons, parlez.

DANDINET, s’asseyant.

C’est atroce ! c’est indigne ! figurez-vous que ce matin en rentrant du bal...j’allais partir pour Lunéville, et tout à coup... tout à coup...

S’arrêtant et se levant. À part.

Non !... je ne peux pas aller lui conter ça... moi, le mari !...

ROLAND.

Et tout à coup ?

DANDINET.

Ma femme est rentrée dans sa chambre... je me suis mis au piano... et voilà !... Voilà l’exacte vérité... Vous savez tout.

ROLAND.

Et c’est pour cela que vous vous séparez.

DANDINET.

Oui.

ROLAND.

Voyons, Dandinet, il y a autre chose.

DANDINET.

Parbleu !

ROLAND.

Quoi ?

DANDINET.

Rien !... il y a que nous ne nous plaisons plus... je l’ennuie... elle m’ennuie... nous nous ennuyons !...

ROLAND, se levant.

Je comprends... alors c’est un caprice !... nous sommes las de la vie de ménage et nous voulons batifoler avec les chambrières ?...

DANDINET.

Moi ?... qu’est-ce qu’il dit ?... qu’est-ce que vous dites ?... 

Ducastel paraît au fond.

ROLAND, bas.

Silence ! du monde ! nous continuerons tout à l’heure !...

 

 

Scène XI

DANDINET, ROLAND, DUCASTEL[27]

 

DANDINET.

Le voisin !... et elle n’est pas encore prête... elle s’habille !...

DUCASTEL.

Je sais tout, Monsieur... et j’ai l’honneur de vous prévenir que madame Ducastel ne recevra pas samedi prochain... ni les samedis suivants.

DANDINET.

Ah ! lui aussi !...

Haut.

C’est très bien, Monsieur.

DUCASTEL.

J’éprouve le besoin d’ajouter, que ma femme et moi nous regrettons de ne pouvoir donner suite à des projets d’union...

DANDINET.

Comment !... ma fille !...

DUCASTEL.

Les Ducastel sont à cheval sur les principes, Monsieur... Je suis votre très humble et très obéissant serviteur...

Il salue et sort.

 

 

Scène XII

 

DANDINET, ROLAND, puis AGATHE

 

DANDINET, à part.

Eh ! qu’il aille au diable ! lui et toute la ville de Nancy avec !...

ROLAND, qui s’est tenu à l’écart et se rapprochant de Dandinet.[28]

Nous disions donc que c’était un caprice ?...

DANDINET.

Quoi ?...

ROLAND.

Je l’ai vue... elle n’est pas mal... de grands yeux... de belles dents !...

DANDINET.

Quelles dents ?...

ROLAND.

Et s’il ne s’agissait pas d’Amélie, je trouverais ça drôle... je vous prierais même d’ajouter un troisième couvert...

DANDINET.

Quoi... quoi ???

ROLAND, sérieusement.

Mais la famille impose des devoirs... Voulez-vous, oui ou non reprendre votre femme ?...

DANDINET.

Par exemple ! qu’on ne m’en parle jamais !...

ROLAND.

Très bien ! mais vous comprenez que la position que vous faites à ma sœur est intolérable... car enfin voilà une femme qui n’est ni fille, ni veuve, ni mariée... c’est très fâcheux !...

DANDINET.

Que voulez-vous que j’y fasse ?...

ROLAND.

Je ne sais comment vous dire... Il m’est venu une idée ce matin, en passant l’inspection... c’est très délicat !

DANDINET.

Parlez !...

ROLAND.

Eh bien, j’ai quelqu’un en vue pour elle !

DANDINET.

Hein ! il veut marier ma femme !... ça lui est venu en passant l’inspection !...

ROLAND.

Un charmant garçon... Officier de dragons !

DANDINET, à part.

Celui au chapeau ?...

Haut.

Je m’y oppose... la loi le défend... tant que je vivrai.

ROLAND.

Précisément... tant que vous vivrez !... donc vous êtes de trop... vous nous gênez !...

DANDINET.

Comment, je vous gêne ?...

ROLAND.

Voyons... du calme... je ne me fâche pas, moi... je viens vous proposer amicalement...

DANDINET.

Quoi ?...

ROLAND.

Quoi ?... dame...

DANDINET.

Un duel !

ROLAND.

Ça m’est pénible... vu que j’ai considérablement d’affection pour vous... c’est vrai... comme beau-frère... vous m’alliez !

DANDINET.

Il me crispe, avec son flegme !...

ROLAND.

Mais la famille impose des devoirs... et d’ailleurs, comme capitaine des dragons...

DANDINET, s’exaspérant.

Oh ! les dragons !... Vous croyez que j’ai peur des dragons, vous ?...

ROLAND.

Calmez-vous !...

DANDINET.

Tenez ! je voudrais les tenir tous là, vos dragons !... et v’lan  et v’lan !...[29]

ROLAND.

Du calme ! du calme !...

DANDINET, criant.

Laissez-moi donc !... Vous ne voyez donc pas que si je me calme je ne me battrai pas !

Sabrant.

Et v’lan ! et v’lan ! je ne veux pas me calmer !...[30]

ROLAND.

Comme vous voudrez !... Quelle arme choisissez-vous ?

DANDINET.

Le sabre !

ROLAND.

Ah ! prenez garde ! ça me connaît !

DANDINET.

Moi aussi !... je l’ai encore tiré ce matin. 

À part.

J’ai tué un chapeau !

ROLAND.

Votre heure ?

DANDINET.

Tout de suite ! ne nous laissons pas refroidir !

ROLAND.

Le lieu ?

DANDINET.

Dans le jardin !... mais, pour Dieu ! dépêchons-nous... marchons ! marchons !...

AGATHE, paraissant avec une tasse de café.[31]

Et le café de Monsieur ?

DANDINET.

Je n’ai pas soif !

Regardant Roland d’un air déterminé.

Je le prendrai après.

Il sort.

ROLAND.

Et moi avant.

Il prend la tasse sur le plateau et l’avale.

AGATHE, voulant l’empêcher de boire.

Mais, Monsieur... Monsieur...

ROLAND, remettant la tasse et lui prenant le menton.

Toi, je ne t’en veux pas, tu fais tes petites affaires !

 

 

Scène XIII

 

AGATHE, puis HÉLÈNE

 

AGATHE, seule.

Qu’il est mal élevé !... c’est dommage ! il est bel homme !...

HÉLÈNE, entrant habillée.[32]

Me voici prête, papa... Eh bien ! où est-il donc ?

AGATHE.

Il va revenir... il n’a pas pris son café.

HÉLÈNE.

Ah ! c’est toi, Agathe... comment me trouves-tu ?

AGATHE, examinant la toilette d’Hélène.

Pas mal... pas mal... seulement ça manque un peu de froufrou !

HÉLÈNE, étonnée.

Frou-frou !

AGATHE.

Votre chapeau est joli... mais il est nu... À la place de Mademoiselle, j’y mettrais une plume... un oiseau de paradis... Madame en a un très beau...

HÉLÈNE.

Dans son armoire à glace !

Hésitant.

Mais peut-être que maman...

AGATHE, avec sentiment.

Si j’étais mère, je donnerais volontiers toutes mes plumes pour embellir ma fille !

HÉLÈNE.

Cette bonne Agathe !

AGATHE.

Quant à votre robe...

HÉLÈNE.

Elle est trop longue ?

AGATHE.

Non... elle ne bouffe pas assez... Aujourd’hui on veut que ça bouffe !

Elle fait bouffer la robe d’Hélène.[33]

HÉLÈNE.

Je vais avoir l’air d’une grosse maman.

AGATHE.

C’est la mode... on s’augmente !... Si j’étais Mademoiselle, je remplacerais cette écharpe blanche par une grenat...

HÉLÈNE.

Sur du blanc ?

AGATHE.

Le grenat sur le blanc étonne l’œil... l’œil des messieurs veut être étonné !

HÉLÈNE.

Oh ! qu’ils sont drôles !

AGATHE.

Mademoiselle verra le petit chapeau que je me suis commandé !

HÉLÈNE.

Tu vas porter chapeau !... de quelle couleur est-il ?

AGATHE.

Coquelicot !... avec une garniture de fruits... on m’avait proposé du raisin... j’ai demandé des prunes !

HÉLÈNE, étonnée.

Des prunes ? pourquoi pas des melons ? 

À part.

C’est singulier... Si papa ne m’avait pas dit qu’elle est pleine de goût...

Haut.

C’est que, vois-tu, aujourd’hui, ma toilette a de l’importance... à ce concert...

Timidement.

je dois rencontrer...

AGATHE.

Qui ça ?

HÉLÈNE.

Figure-toi que M. Ducastel a un neveu...

AGATHE.

Je devine... C’est un amoureux !

HÉLÈNE, effrayée.

Ah ! mon Dieu ! comme tu me dis cela !

AGATHE.

Dame !

HÉLÈNE.

Entre nous... je crois qu’on veut me le faire épouser.

AGATHE.

C’est étonnant !... Monsieur ne m’en a pas parlé !

HÉLÈNE.

Et bien sûr ce jeune homme va me regarder... m’adresser la  parole... et comme maman n’est pas là, j’ai peur d’être gauche, maladroite...

AGATHE.

Il n’y a rien de plus simple... d’abord, quand il entrera dans votre loge, vous aurez l’air de ne pas le voir.

HÉLÈNE.

Ah !... pourquoi ça ?

AGATHE.

Pour qu’il vous regarde davantage... ensuite vous baisserez les yeux... en rougissant.

HÉLÈNE.

En rougissant ?... Mais, Agathe... peut-on rougir à volonté ?

AGATHE.

Certainement !... en retenant sa respiration... il n’y a rien de plus facile !... Après, votre futur s’approchera de vous.

HÉLÈNE, effrayée.

Ah ! mon Dieu !

AGATHE.

Et s’il est aimable... vous pourrez, pour le récompenser, laisser tomber votre éventail...

HÉLÈNE, étonnée.

Pour le récompenser ?

AGATHE.

Sans doute... il le ramassera, sa main touchera légèrement la vôtre.

HÉLÈNE, vivement.

Mais je ne veux pas !... je ne veux pas !

AGATHE.

Et cinq minutes après le jeune homme sera fasciné !

HÉLÈNE.

Vraiment ? Tu crois ?

AGATHE, s’oubliant.

Je l’ai essaye vingt fois...

Se reprenant.

Je l’ai remarqué vingt fois !... surtout si vous voulez modifier votre toilette.

HÉLÈNE.

J’en ai bien envie... papa n’est pas rentré... j’ai le temps...

AGATHE, d’un ton maternel.

Allez, ma chère enfant, allez !

HÉLÈNE, à part, froissée.

Sa chère enfant !

Haut, impérativement.

Mademoiselle Agathe !

AGATHE.

Quoi ?

HÉLÈNE.

Tenez-vous dans l’antichambre... si j’ai besoin de vous, je sonnerai.

Elle rentre.

 

 

Scène XIV

 

AGATHE, DANDINET, ROLAND

 

AGATHE, stupéfaite.

L’antichambre ! je sonnerai ! je crois qu’elle m’a manqué !...

Dandinet et Roland entrent par le fond.[34]

DANDINET, tenant son doigt en l’air.

Ah ! vous êtes joliment maladroit !

ROLAND.

Ce n’est rien... une égratignure !...

Appelant.

Agathe ?

AGATHE.

Ciel !... Monsieur est blessé !... ah !...

Elle tombe évanouie sur un fauteuil.

DANDINET.

Allons, bon !... voilà qu’elle se trouve mal !... pauvre fille ! quel attachement !... vite des sels ! du vinaigre !... Ah ! dans ma chambre !...

Il entre vivement à gauche.

 

 

Scène XV

 

AGATHE, ROLAND

 

Roland prend une chaise et s’assoit près du fauteuil sur lequel Agathe est évanouie.[35]

ROLAND, à Agathe.

Dis donc... tu le joues très bien, ce rôle-là ?...

AGATHE, se réveillant brusquement.

Laissez-moi... je ne vous parle pas ![36]

ROLAND.

Il paraît que ça va mieux... si jamais tu perds ta place, je te prends à mon service...

AGATHE, se levant, avec indignation.

Un dragon !...

ROLAND.

Je te ferai manger à la table des officiers...

Cherchant à l’embrasser.

Voyons, faisons la paix !

AGATHE, sortant indignée.

Ne me touchez pas, militaire !

 

 

Scène XVI

 

ROLAND, DANDINET

 

DANDINET, accourant vivement un flacon à la main.

Voici !... Eh bien ! où est-elle donc ?[37]

ROLAND.

Guérie... radicalement !... mais vous, mon cher ?

DANDINET.

Ça va mieux...

Secouant son doigt.

encore un peu engourdi.

ROLAND.

Excusez-moi... c’est votre faute, aussi ; au moment où je me fends... vous reculez...

DANDINET.

Je vous trouve superbe !... mais si je n’avais pas reculé, vous me fendiez la tête !... je reculerais encore !

ROLAND.

Heureusement que c’est à la main gauche... nous pouvons recommencer.

DANDINET.

Encore !

ROLAND.

Oh ! pas tout de suite... remettez-vous... prenez un quart d’heure.

DANDINET.

Un quart d’heure !...

ROLAND.

Vous comprenez que notre but n’est pas rempli...

DANDINET.

Notre but !... il est charmant !... notre but !... je refuse...

ROLAND.

Vous ne le pouvez pas !

DANDINET.

Parfaitement !

ROLAND.

Mais non !

DANDINET.

Mais si !

ROLAND, criant.

Mais ma sœur n’est pas veuve, sacrebleu !

DANDINET, criant.

Eh bien ! mais elle s’en passera, sacrebleu !

ROLAND.

Voyons... du calme !... vous êtes trop juste pour ne pas reconnaître...

DANDINET.

Monsieur, j’ai été brave, ce matin... je n’ai pas envie de l’être toute la journée... ce n’est pas mon état ! je suis médecin !

ROLAND.

Très joli !... Allons, c’est convenu... je reviens dans un quart d’heure... au revoir !

DANDINET.

Mais non !

ROLAND, de la porte.

Au revoir !

Il sort.

 

 

Scène XVII

 

DANDINET, puis BASTIEN

 

DANDINET.

Ah çà ! mais il est enragé !... je vais écrire à son colonel de le mettre aux arrêts !... parce qu’on est dragon... on n’a pas le droit de hacher les médecins par petits morceaux !

BASTIEN, vivement.[38]

Monsieur ! Monsieur !

DANDINET.

Quoi ?... je n’y suis pas, je suis sorti.

BASTIEN.

C’est Madame !

DANDINET.

Hein ? ma femme !

BASTIEN.

Elle est là !...

DANDINET.

Là ?... que me veut-elle ?... C’est singulier... ca me fait un effet !...

BASTIEN.

Faut-y qu’elle soit bonne !... une femme que vous forciez à manger du pain rassis !

DANDINET, avec colère.

Moi ?... c’est faux !... qui a dit ça ?

BASTIEN.

C’est le pharmacien... tout se sait à Nancy... tout se sait !...

Amélie paraît au fond.[39]

DANDINET.

Elle ! 

À Bastien.

Va-t’en !

BASTIEN, sortant.[40]

Pauvre femme ! pauvre femme ! fi ! fi ! fi !

Il sort.

 

 

Scène XVIII

 

DANDINET, AMÉLIE[41]

 

DANDINET, ému.

Nous voilà seuls, Madame... À qui dois-je l’honneur de votre visite ?... Parlez.

AMÉLIE.

Rassurez-vous, Monsieur... je ne viens pas réclamer une place... que vos violences et vos jalousies m’ont forcée de quitter.

DANDINET, à part.

Quelle voix !

AMÉLIE, avec fermeté.

Je sais que ma fille est arrivée et je viens la chercher.

DANDINET.

Vous ?... vous donner ma fille !... ne l’espérez pas, Madame !

AMÉLIE.

Je suis sa mère, Monsieur... et j’ai des droits sacrés !

DANDINET.

Vous les avez perdus... le jour où un chapeau de dragon...

AMÉLIE.

Assez ! J’avais pensé que toute une existence de régularité et d’honneur suffirait pour me mettre à l’abri de vos soupçons... je me suis trompée... je vous plains et je vous pardonne !...

DANDINET, à part.

Elle me pardonne ! Ma parole, si le chapeau n’était pas là... je goberais tout ça !...

Haut.

Vous parlez fort bien, Madame... mais j’ai ma fille et je la garde.

AMÉLIE.

Ce n’est pas sérieux... vous n’avez pas la prétention de faire l’éducation de cette enfant...

DANDINET.

Mais pourquoi donc pas ?... j’ai déjà commencé... nous en sommes à l’histoire de Russie... et ça marche très bien... sauf une explication sur...

AMÉLIE.

Trêve de plaisanterie, Monsieur !...

DANDINET.

Mais je ne plaisante pas, Madame. D’ailleurs j’ai placé près de ma fille une femme... pleine de réserve... de modestie... de délicatesse... mademoiselle Agathe...

AMÉLIE, indignée.

Ma femme de chambre !

DANDINET.

Et votre fille sera parfaitement élevée... Au reste, vous pourrez vous en assurer... je vous permettrai de venir la voir une fois par semaine...

AMÉLIE.

Oh !

DANDINET.

Le dimanche... quand je serai là.

AMÉLIE.

Prenez garde, Monsieur... ne me poussez pas à bout ! car, s’il le faut... je ferai valoir mes droits !

DANDINET.

Et moi, je défendrai les miens !

AMÉLIE.

Eh bien ! nous verrons !...

DANDINET.

Silence !... la voici.

 

 

Scène XIX

 

AMÉLIE, DANDINET, HÉLÈNE, avec une écharpe grenat et des plumes à son chapeau[42]

 

HÉLÈNE.

Me voici prête.

Apercevant sa mère et courant se jeter dans ses bras.

Maman !... maman !... ah !...[43]

AMÉLIE, l’embrassant avec amour.

Chère petite !... chère enfant !... tu m’aimes toujours, toi !

DANDINET, s’essuyant les yeux. À part.

Allons ! bien ! voilà que je pleure !

HÉLÈNE.

Si je t’aime ! peux-tu le demander ? Quand papa m’a dit que tu voyageais... j’ai pleuré !... et puis je m’ennuyais... je ne savais plus que faire...

DANDINET.

Oh ! cependant... ce n’est pas tout à fait exact... ce matin nous avons travaillé... Potemkin... Catherine...

HÉLÈNE.

Ah ! oui !... à propos, maman, qu’est-ce que c’est qu’un favori ?

DANDINET, à part.

Aïe !... elle y tient !

AMÉLIE.

Un favori, mon enfant... c’est un homme qui a la faveur de son maître...

DANDINET.

Voilà !... 

À part.

Je n’aurais jamais trouvé ça, moi !

AMÉLIE.

Chère enfant !... que je t’embrasse encore !...

Elle la contemple avec tendresse, puis tout à coup son visage exprime une surprise désagréable.

Ah ! mon Dieu ! quelle toilette !

DANDINET, offusqué.

Comment ! quelle toilette !

Regardant Hélène.

Ah ! bon Dieu ! qu’est-ce qui t’a harnachée comme ça ?

HÉLÈNE.

C’est Agathe !...

AMÉLIE, lui étant son chapeau.

Des plumes ! à une jeune fille !...

DANDINET.

C’est bon pour escorter le bœuf gras !

AMÉLIE.

Une fleur dans les cheveux... c’est tout ce qu’il faut...

DANDINET.

Certainement... j’allais le dire ! 

À part.

Qu’elle est bête cette Agathe !

AMÉLIE.

Et cette écharpe grenat... où as-tu été chercher ça ?

DANDINET.

C’est atroce !

HÉLÈNE.

Je vais vous dire... le grenat sur le blanc étonne l’œil... et l’œil des messieurs veut être étonné.

AMÉLIE, révoltée.

Oh ! Monsieur !

DANDINET.

Mais ce n’est pas moi ! qu’est-ce qui t’a dit ça ? Qu’est-ce qui t’a dit ça ?

HÉLÈNE.

C’est Agathe...

DANDINET, furieux.

Ah !

HÉLÈNE.

Et comme il s’agissait d’une entrevue avec mon amoureux.

AMÉLIE et DANDINET.

Son amoureux !

DANDINET, exaspéré.

Qui t’a appris ce mot-là ?

HÉLÈNE.

C’est Agathe !

AMÉLIE, à Dandinet.

Vous entendez ?

DANDINET, remontant avec colère.

Ah ! c’est trop fort !

AMÉLIE.

Que cherchez-vous donc ?

DANDINET, éclatant.

Je cherche ma canne !!! pour Agathe ![44]

À Hélène.

Ma fille, rentrer... allez ôter ce chiffon rouge qui m’arrache les yeux.

HÉLÈNE.

Mais, papa !...

DANDINET.

Rentrez !... et faites votre paquet... vous ne resterez pas plus longtemps ici !...

AMÉLIE et HÉLÈNE.

Comment !...

DANDINET.

Allez !

Hélène sort.

 

 

Scène XX

 

DANDINET, AMÉLIE, puis ROLAND[45]

 

AMÉLIE.

Eh bien, Monsieur ?

DANDINET.

Eh bien, Madame, vous avez raison !...

AMÉLIE.

Je pense que vous n’hésiterez pas à me rendre ma fille ?

DANDINET.

Elle ! je vais la mettre dans un cloître !...

AMÉLIE.

Ah ! mon Dieu !...

DANDINET.

Dans un couvent... une pension... je ne sais pas... mais quant à mademoiselle Agathe...

ROLAND, entrant, à Dandinet.[46]

Eh bien, sommes-nous prêts ?... les témoins sont en bas.

AMÉLIE.

Les témoins... un duel !...

ROLAND.

Ma sœur !...

Bas à Dandinet.

Oh ! pardon !...

DANDINET.

Monsieur, vous pouvez parler tout haut... je ne crains rien... j’ai de l’énergie !... je ne me battrai pas !...

ROLAND.

Comment !...

DANDINET, s’entêtant.

Non ! non ! non !... je n’ai pas envie de me faire couper deux fois la gorge... parce que ma femme...

ROLAND.

Parce que quoi ?...

DANDINET.

Parce que... rien !...

AMÉLIE.

Parlez, Monsieur !...[47] devant mon frère, que j’accepte pour juge... vous le devez... je le veux !...

DANDINET.

Ah ! c’est comme cela ! vous le voulez ?... vous me provoquez ?... eh bien, soit !... 

À Roland.

Allez-vous-en !...[48]

ROLAND.

Monsieur...

DANDINET.

Non ! restez !... au diable le ridicule.

Il court au secrétaire et en tire le chapeau qu’il apporte sévèrement à Amélie.

Courbez la tête...[49] Femme coupable !...

ROLAND, prenant le chapeau.

Mais je le reconnais... c’est mon chapeau !...

DANDINET et AMÉLIE.

Ah !...

DANDINET.

Hein ! Comment !... c’est donc vous qui ce matin... l’échelle... le piano...

ROLAND, bas.

Chut !... j’allais au-dessus...

DANDINET.

Comment !... chez...

 

 

Scène XXI

 

AMÉLIE, DANDINET, ROLAND, DUCASTEL, puis HÉLÈNE, BASTIEN, et AGATHE[50]

 

BASTIEN, annonçant.

Monsieur Ducastel.

ROLAND, bas.

Silence !... le mari !...

Il remonte au piano.

DANDINET, à part.

Ah ! la bonne figure !...

S’arrêtant court.

Eh bien, voilà que je ris de ça à présent !...

DUCASTEL, très empesé.

Monsieur, j’ai l’honneur de vous rapporter la clef de communication qui sépare nos deux héritages... Madame Ducastel a pensé qu’il était plus convenable de rester chacun dans nos limites.

DANDINET.

Mais tout est arrangé !... ma femme est revenue des eaux.[51]

DUCASTEL.

Comment !... que dites-vous ?...

Saluant.

Ah ! Madame !...

DANDINET.

Amélie !... me pardonneras-tu jamais ?

Amélie lui tend la main après un moment. Il l’embrasse avec effusion.

HÉLÈNE, qui est entrée suivie d’Agathe.

Papa qui embrasse maman !... ah ! que c’est gentil ![52]

DUCASTEL.

Ah ! mais c’est bien différent !...[53]

BASTIEN, à Dandinet.[54]

Monsieur, puisque c’est comme ça, je consens à rester... je ne vous dirai plus jamais : fi ! fi !

Hélène et Amélie s’asseyent à gauche.

AGATHE.

Quant à moi...

DANDINET.

Agathe !...

Avec une rage contenue.

Ah ! je suis bien aise de te voir !...

AGATHE, sèchement.

Je vous demande mon compte !...

DANDINET.

Oui !... nous réglerons tout à l’heure... je n’ai pas ce qu’il faut sous la main...

DUCASTEL, à Dandinet.

Eh bien ! mon cher, tout ceci nous prouve...

DANDINET.

Que pour envoyer sa femme aux eaux, il faut qu’un mari soit diablement malade !... et croyez-moi, si jamais vous découvrez la chose...

DUCASTEL.

Quoi ?... qu’est-ce que vous voulez que je découvre ?... 

Les dames se lèvent, Roland se rapproche d’elles.

ROLAND, vivement.

Rien !... rien !...[55]

DUCASTEL, apercevant Roland.

À qui ai-je l’honneur ?...

DANDINET.

Le capitaine Roland... mon beau frère... que je vous présente...

DUCASTEL.

Capitaine... madame Ducastel et moi nous recevons samedi prochain... et les samedis suivants...

ROLAND.

Comment donc ! avec plaisir !

Saluant.

Monsieur...

DUCASTEL, saluant.

Capitaine... 

DANDINET, à part, les regardant se saluer.

Hein ! comme c’est fait !... maintenant au lieu de prendre l’échelle, il pourra prendre l’escalier !

ENSEMBLE.

Air : Parmi ces guerriers (Mousquetaires de la Reine).

Oui, fermons les yeux,

C’est pour être heureux

Dans le mariage.

Un système sage :

Qui veut trop savoir,

Et qui veut trop voir,

Bientôt, sans espoir,

Verra tout en noir.

 


[1] Dandinet, Amélie, Agathe.

[2] Amélie, Dandinet.

[3] Agathe, Dandinet, Amélie.

[4] Dandinet, Amélie.

[5] Amélie, Dandinet.

[6] Dandinet, Amélie.

[7] Amélie, Dandinet.

[8] Dandinet, Amélie.

[9] Bastien. Dandinet.

[10] Dandinet, Agathe.

[11] Agathe, Dandinet.

[12] Hélène, Dandinet.

[13] Dandinet, Hélène.

[14] Dandinet, Ducastel, Hélène.

[15] Ducastel, Dandinet, Hélène.

[16] Ducastel, Hélène, Dandinet.

[17] Hélène, Ducastel.

[18] Hélène, Dandinet, Ducastel.

[19] Hélène, Dandinet, Bastien, Ducastel.

[20] Hélène, Ducastel, Dandinet.

[21] Dandinet, Hélène.

[22] Hélène, Dandinet.

[23] Dandinet, Bastien, Agathe.

[24] Agathe, Dandinet.

[25] Agathe, Roland, Dandinet.

[26] Roland, Dandinet.

[27] Dandinet, Ducastel, Roland.

[28] Roland, Dandinet.

[29] Dandinet, Roland.

[30] Roland, Dandinet.

[31] Roland, Agathe, Dandinet.

[32] Hélène, Agathe.

[33] Agathe, Hélène.

[34] Roland, Dandinet, Agathe.

[35] Roland, Agathe.

[36] Agathe, Roland.

[37] Dandinet, Roland.

[38] Bastien, Dandinet.

[39] Amélie, Bastien, Dandinet.

[40] Amélie, Dandinet, Bastien.

[41] Amélie, Dandinet.

[42] Amélie, Dandinet, Hélène.

[43] Amélie, Hélène, Dandinet.

[44] Amélie, Dandinet, Hélène.

[45] Dandinet, Amélie.

[46] Dandinet, Roland, Agathe.

[47] Dandinet, Amélie, Roland.

[48] Amélie, Dandinet, Roland.

[49] Amélie, Roland, Dandinet.

[50] Amélie, Roland, Ducastel, Dandinet, Bastien, troisième plan.

[51] Roland, Amélie, Dandinet, Ducastel.

[52] Roland, Hélène, Amélie, Dandinet, Ducastel.

[53] Hélène, Amélie, Ducastel, Dandinet, Roland, Bastien, troisième plan.

[54] Hélène, Amélie, Ducastel, Dandinet, Agathe, Roland, Bastien, troisième plan.

[55] Hélène, Amélie, Roland, Ducastel, Dandinet, Agathe, Bastien, deuxième plan.

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