Les Deux fautes (Georges de PORTO-RICHE)
Comédie en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Odéon, le 18 décembre 1876.
Personnages
ANDRÉ
PAUL
JULIETTE
MADAME DUFRESNY
BLANCHE
De nos jours, à la campagne, près de Paris.
Un salon. Porte an fond, donnant sur un jardin. Portes latérales. Un premier plan, à droite, une table-bureau ; une fenêtre ; à gauche ; un canapé ; un milieu, une autre table. Au deuxième plan, à gauche, un secrétaire.
Scène première
PAUL, puis ANDRÉ
PAUL, gesticulant, une main sur le dos d’une chaise, avec emphase, seul, au milieu.
Oui, messieurs les jurés ! oui ! vous aurez pitié de cette infortunée ! Elle a tué son enfant ! C’est un crime ! Personne ici ne le conteste, pas même moi ! Mais la honte, le désespoir et l’ignorance, hélas ! avait affolé la pauvre créature ! Et d’ailleurs, l’infâme, j’en appelle aux instincts de votre cœur, aux lumières de votre esprit, l’infâme, est-ce cette malheureuse que sa condition sociale, la pauvreté, prédestinait à toutes les misères d’une chute imméritée ? Non ! Messieurs, non ! L’infâme, vous l’avez déjà nommé avec cette prescience de la vérité qui fait du jury une institution si redoutable, l’infâme, c’est celui que vous ne pouvez atteindre, le passant railleur qui, avec insouciance, a flétri et brisé un cœur jeune et sans tache, et qui peut-être à cette heure, homme heureux, homme honoré, est paisiblement assis au foyer conjugal, au lien d’être à cette place, au banc d’ignominie !
ANDRÉ, qui est entré depuis quelques instants.
Bravo ! mon ami ! Bravo !
PAUL, confus.
Pardonnez-moi, cher monsieur. Dans quelques heures, j’ai à défendre une malheureuse, et, en attendant ma fiancée, je répétais.
ANDRÉ.
Si j’ai bien entendu, il s’agit d’un infanticide.
PAUL.
Justement. Pour la première fois que je plaide, c’est de la chance, n’est-ce pas ?
ANDRÉ.
Oui, c’est un début heureux. Mes compliments. Vous parlez bien.
PAUL.
Oh ! la thèse est rebattue ! Je débitais les clichés d’usage.
ANDRÉ, tristement.
Clichés sans doute, mais vérités, hélas !
PAUL.
C’est si connu.
ANDRÉ.
Vous vous exprimiez avec une telle chaleur, que j’en suis encore ému.
PAUL.
Pas possible ?
ANDRÉ.
Ce que c’est qu’un bon rôle.
PAUL.
Mais alors, j’aurai un succès.
ANDRÉ.
Certain ! Et la malheureuse cinq ans de travaux forcés.
PAUL.
Pour le moins !... Entre nous, elle ne les aura pas volés.
ANDRÉ, désigna à Blanche qui paraît.
Votre fiancée, mon ami.
Scène II
PAUL, ANDRÉ, BLANCHE
BLANCHE, après un signe d’amitié à Paul, tendant son front à André.
Bonjour, petit-frère !
ANDRÉ, l’embrassant.
Bonjour, grande sœur !
BLANCHE.
Où est Juliette ?
ANDRÉ.
Ma femme ? C’est...
PAUL.
Madame Jordaine est au fond du jardin.
ANDRÉ.
Encore ?
PAUL.
Un instant, je viens de l’y apercevoir.
ANDRÉ.
Dans la rosée, depuis une heure !
PAUL.
Les fleurs ne veulent pas la laisser partir.
ANDRÉ.
Un madrigal !
Il remonte un peu à droite.
BLANCHE, à Paul.
Vous êtes venu avant votre départ, c’est gentil.
PAUL.
C’est tout simple, puisque je vous aime... Je passe la journée à Paris, avez-vous quelque commission à me donner ?
BLANCHE.
Non... Si ! Rapportez-moi des caramels, mais de chez Marquis !
ANDRÉ, à Blanche.
Gourmande !
À part.
Mon cher Paul, ce matin, avez-vous une lettre de votre mère ?
PAUL.
Non, cher monsieur.
ANDRÉ.
Mais madame Dufresny n’ignore pas que nous signons le contrat cette semaine ?
PAUL.
Ma mère est prévenue. Je l’attends d’une heure à l’autre.
BLANCHE.
Quel bonheur ! Enfin ! Nous allons donc la voir !
ANDRÉ.
C’est notre plus cher désir, mon ami. Ma femme, Blanche et moi, nous l’aimons tous, avant même de la connaître.
PAUL.
Merci. Depuis la mort de mon père, depuis six ans, elle a quitté Paris pour s’ensevelir en province, à Nancy. Je sais pourtant qu’autrefois, elle aimait le monde. Ma chère Blanche, c’est vous maintenant qu’elle aimera, et j’espère que vous la retiendrez auprès de nous.
BLANCHE.
Comme je l’embrasserai ! Elle doit être si bonne ! Elle a si vite dit : Oui !... Que savait-elle de moi ? Elle avait vu mon portrait, lu vos lettres ; elle m’a prise sur échantillon.
PAUL.
Chère Blanche !
BLANCHE.
Je lui dirai : ma mère, n’est-ce pas ? Hélas je moi, je n’ai pas eu la joie de connaître la mienne. J’ai grandi tout en noir, et sans mon frère chéri, sans sa Juliette adorée qui ont pris soin de l’orpheline, votre Blanche ne serait pas là !... Il faudra bien les aimer, mon ami ; je leur doit tout.
ANDRÉ.
Sois heureuse, mignonne, et nous serons quittes.
PAUL.
Alors...
BLANCHE, à André.
Si Paul écrivait quelques lignes à sa mère, pour hâter son arrivée ?
ANDRÉ, à droite.
C’est une idée.
À Paul.
Écrivez.
PAUL, allant à la table.
Mais cette lettre va se croiser avec elle ?
BLANCHE.
Qu’importe !
Elle lui tend la plume.
PAUL, assis.
Que de paperasses ! On se moque des avocats, mais les ingénieurs...
BLANCHE, penchée sur lui.
Écrivez.
UN DOMESTIQUE, entrant du fond, et présentant un paquet à André.
Pour monsieur.
ANDRÉ, lisant.
Monsieur André Jordaine... Ah ! je sais !
Au domestique.
Bien !
Le domestique sort.
BLANCHE, à André.
Un cadeau ?
ANDRÉ.
Pas pour toi ? Pour Juliette.
BLANCHE.
Tant mieux ! Montre !
Elle va à lui.
ANDRÉ, ouvrant un écrin.
Vois, curieuse !
Il le lui donne.
BLANCHE.
Ah ! c’est magnifique !... Voyez donc, Paul.
Elle montre l’écrin à Paul.
ANDRÉ, à Paul.
C’est la fête de ma femme.
PAUL.
Je savais...
BLANCHE.
Chère Juliette ! je suis contente !
PAUL, admirant l’écrin.
Superbe !
BLANCHE, à Paul.
Mais j’y songe, mon bouquet n’est pas fait. J’oublie tout, maintenant...Venez, Paul, venez, avant le déjeuner nous avons le temps de le cueillir !
PAUL.
Oui, oui !
ANDRÉ.
Moi, je vais poser cet écrin sur la cheminée de Juliette. En rentrant, elle sera surprise.
Il sort par la droite.
Scène III
BLANCHE, PAUL
PAUL, se levant de la table-bureau.
Que je prends ma lettre !...
BLANCHE.
Et cette fameuse plaidoirie ?
PAUL.
Elle est prête.
BLANCHE.
De quoi parle-t-elle ?
PAUL.
Cela ne regarde pas les petites filles.
BLANCHE.
Vous avez un client ?
PAUL.
Oui.
BLANCHE.
Pauvre homme !
PAUL.
Eh bien ?...
BLANCHE.
C’est un grand criminel ?
PAUL.
On est toujours criminel plus ou moins.
BLANCHE.
Est-ce que vous êtes convaincu qu’il est coupable ?
PAUL.
Je n’ai jamais de conviction, mademoiselle, ça influence !
BLANCHE.
Paul, vous ne parlez pas en avocat sérieux.
PAUL.
Au contraire ! Très sérieux !
BLANCHE.
Contez-moi tout ; je voudrais savoir...
PAUL.
Je ne puis...
BLANCHE.
Pourquoi ?
PAUL.
Le secret professionnel !
BLANCHE.
On n’a pas de secret pour sa femme !
PAUL.
Mademoiselle, vous n’êtes pas ma femme.
BLANCHE, émue.
Ah le méchant ! ne dites pas de ces choses-là ! cela porte malheur !
PAUL.
Mais je ris, ma chère Blanche ; je ris !
BLANCHE, tombant assise sur le canapé.
Rions de tout, mais pas de notre bonheur ! Ça, c’est sérieux je ne sais pas pourquoi ; mais ces paroles... J’ai du chagrin !
Ses yeux s’emplissent de larmes.
PAUL, derrière le canapé.
Pardonnez-moi, Blanche ; je suis un fou, un grand sot. Je vous aime ! vous êtes ma femme, et la preuve ! Tiens !...
Il l’embrasse.
BLANCHE, riant, et se levant vivement.
Halte -là, monsieur, je ne suis pas votre femme... tant que ça !
Paraît André, à droite.
Scène IV
BLANCHE, PAUL, ANDRÉ, puis JULIETTE du fond
ANDRÉ, riant.
C’est bien ! Cueillez votre bouquet !
BLANCHE, confuse.
Mon frère !
PAUL, entraînant Blanche.
Fuyons !...
ANDRÉ, à Paul et à Blanche.
Juliette ! Silence !...
JULIETTE, entrant du fond, des fleurs à la main en toilette du matin, à elle-même.
Oh ! j’ai les pieds trempés !
ANDRÉ.
Imprudente !
JULIETTE, souriante.
Vous sortez ? Où couriez-vous ?
BLANCHE.
Au jardin.
PAUL.
À la grille, jeter cette lettre à la boîte.
JULIETTE.
Vous n’avez pas reçu de nouvelles de Nancy ?
PAUL.
Non, chère madame.
Montrant sa lettre.
J’écris qu’on se hâte.
JULIETTE.
Le beau temps ! Mignonne, tu sais la pelouse qui est près de l’étang, eh bien ! elle est toute blanche ce matin ! Un immense parterre de marguerites ! Tu vas voir, on dirait de la neige oubliée.
PAUL.
Des fenêtres de mon pavillon, je vous regarde contempler les mille petites fleurs.
JULIETTE.
Oui, j’étais sous le charme.
PAUL.
Et moi aussi.
JULIETTE, descendant à droite.
Indiscret !... André, quand ils seront mariés, si nous leur donnons le chalet, nous ferons élever là-bas une haute muraille !
PAUL, descendant un peu à gauche.
La muraille de la Chine !
ANDRÉ.
En porcelaine !
JULIETTE.
Vous déjeunez avec nous ?
PAUL.
Impossible ! Il faut que je sois à Paris à une heure !
JULIETTE.
Moi aussi.
ANDRÉ.
Toi ?
JULIETTE.
Nous vous gardons
PAUL.
Soit ! nous ferons route ensemble !
JULIETTE.
Je vais au Louvre.
ANDRÉ, raillant.
Encore ! Quelle rage de peinture !
BLANCHE.
Mais non... au magasin !
JULIETTE.
Il le sait bien !... Méchant !
BLANCHE, entraînant Paul.
À tout à l’heure.
Elle sort avec Paul, par le fond.
JULIETTE.
À tout à l’heure.
Scène V
JULIETTE, ANDRÉ, puis UN DOMESTIQUE
Juliette va s’asseoir à la table au milieu, côté gauche.
ANDRÉ, venant au-dessus de la table.
Tu sais, je ne suis pas content.
JULIETTE.
Pourquoi ?
ANDRÉ.
Parce qu’on a ses pieds mouillés.
JULIETTE.
On ne le fera plus, monsieur.
ANDRÉ.
Vous aimez votre mari, ce matin ?
JULIETTE, à ses fleurs.
Est-ce que je l’aime ?
Prenant une marguerite.
Attends !
L’effeuillant.
Pas du tout ! Parbleu ! je t’adore !
Elle l’embrasse.
ANDRÉ.
Cher amour, bientôt cinq ans de mariage !
JULIETTE.
Cinq jours !
ANDRÉ.
Ah ! tu es bien l’être le plus charmant qui soit au monde !
JULIETTE.
Mais je le sais bien. Ne cherche pas, vois-tu ; c’est inutile. Tu ne trouverais pas.
ANDRÉ.
Tu es heureuse, n’est-ce pas ?
JULIETTE.
Follement heureusement ! Tout à l’heure j’envoyais des baisers au soleil ! J’adore la vie ! Et c’est toi, c’est mon bien-aimé qui m’a donné toute cette joie. Que Dieu permette à ta Blanche un bonheur égal au mien, je ne forme pas d’autres vœux pour elle.
ANDRÉ, lui touchant l’oreille.
Oh ! les jolies petites oreilles !
JULIETTE.
Pourquoi me dis-tu cela ?
ANDRÉ.
Pour rien.
Regardant sa montre.
Si tu as l’intention de partir avec Paul, va achever ta toilette, il est dix heures.
JULIETTE, éloignée de la scène.
Tu me châsses ? c’est bien ! Adieu !
UN DOMESTIQUE, présentant une carte à André, il vit du fond.
Monsieur, on attend.
JULIETTE, au fond, à André qui n’a pas encore pris la carte.
Une visite, je me sauve.
Elle disparaît par la droite.
ANDRÉ, au domestique.
Faites entrer.
Le domestique sorte. Seul, lisant la carte. Avec joie.
Madame Dufresny ! La mère de Paul ! Décidément, c’est jour de fête.
Scène VI
ANDRÉ, MADAME DUFRESNY
ANDRÉ, à madame Dufresny qu’introduit un domestique, saluant.
Madame !
Au domestique.
Priez M. Paul Dufresny de venir...
MADAME DUFRESNY.
Non !... Avant de voir mon fils, je désire vous parler, monsieur ; à vous seul.
ANDRÉ.
De grand cœur !
Au domestique.
Allez !
Le domestique sort par le fond.
MADAME DUFRESNY, contrainte.
Croyez, monsieur, que pour vous demander cet entretien, il me faut un motif impérieux...
Elle s’assied au milieu, chaise à droite.
ANDRÉ.
Madame...
MADAME DUFRESNY.
Je suis une inconnue...
ANDRÉ.
Inconnue ! Vous êtes la mère de Paul.
MADAME DUFRESNY.
Monsieur...
ANDRÉ.
D’ailleurs, je devine ce que nous avons à nous dire.
MADAME DUFRESNY.
Pourtant...
ANDRÉ.
J’aime cet usage qui laisse les fiancés en dehors de certaines questions...
MADAME DUFRESNY.
Mais...
ANDRÉ.
Et il est bon, n’est-ce pas ? qu’elles soient résolues, au plus tôt.
MADAME DUFRESNY.
Hélas ! monsieur, vous faites fausse route !
ANDRÉ.
Mais...
MADAME DUFRESNY.
Ce n’est pas la joie que j’apporte ici...
ANDRÉ.
Expliquez-vous, madame.
MADAME DUFRESNY.
Pardonnez-moi le mal que je vais vous faire...
ANDRÉ.
Vous m’effrayez...
MADAME DUFRESNY.
Le mariage de votre sœur et de mon fils n’est plus possible.
ANDRÉ, debout.
Pourquoi ?
MADAME DUFRESNY, debout.
Je sais que mon fils épousait la sœur d’un honnête homme ; je sais qu’il aime, qu’il est aimé, qu’il devait être heureux. J’avais donné mon consentement avec joie, mais un fait grave, qui vient de m’être révélé, me force à le reprendre.
ANDRÉ.
Quel fait ?
MADAME DUFRESNY.
Il m’est cruel de vous le rappeler.
ANDRÉ.
Je le connais donc ?
MADAME DUFRESNY.
Oui, monsieur.
ANDRÉ.
Mais... je ne vois pas... madame...
MADAME DUFRESNY.
Cherchez... tout près de vous.
ANDRÉ, avec douleur.
Ah ! Je comprends !
À madame Dufresny.
Alors, l’obstacle, c’est... c’est... ma f...
MADAME DUFRESNY, à part.
Oui.
Un silence.
ANDRÉ, avec fierté.
Savez-vous bien, madame, que j’ai épousé ure honnête femme ?
MADAME DUFRESNY.
Oui ! mais... votre...
ANDRÉ.
Ma maîtresse !
MADAME DUFRESNY.
Oui.
ANDRÉ, indigné.
Un cœur pur, dont je suis le premier, l’unique amour ; une jeune fille qui s’était donnée à moi naïvement, à moi pauvre comme elle, que je peux mettre hardiment à côté de ma jeune sœur, digne de porter mon nom, le nom de ma mère, et qu’en homme d’honneur j’ai épousée, le jour où, seul au monde, je n’ai plus eu à combattre les préjugés des miens ; un être complet, une noble enfant que j’ai préservée d’une chute certaine, à qui j’ai offert avec ivresse, avec orgueil, ce que la société doit à toute âme droite et laborieuse, le bonheur ; une de ces belles et chastes créatures que, le plus souvent, on épouse avant de les aimer, quand elles sont la fille du riche, qu’on aime avant de les épouser, quand elles sont la fille du pauvre.
Un silence.
MADAME DUFRESNY.
Je n’attaque pas une honnête femme, monsieur ; je remplis mon devoir de mère. Si je ne brisais pas ce mariage, le monde auquel j’appartiens m’accuserait d’imprévoyance et n’accueillerait pas dignement la femme de mon fils, ce que je ne veux, ni pour elle, ni pour lui.
ANDRÉ.
Ah ! je le reconnais bien là, ce monde hypocrite, implacable à ces fautes que conseille la misère, aux fautes irresponsables, et qui accepte, qui couvre l’inconduite de ces honnêtes femmes, à qui l’éducation, la famille, la fortune, le bonheur imposait la vertu, et qui souvent ont l’impudeur de parler en son nom !...
MADAME DUFRESNY, à part, avec terreur.
Dieu !
ANDRÉ, avec joie.
Vous êtes émue, madame ; ma cause est gagnée !...
MADAME DUFRESNY.
Non, non...
ANDRÉ.
Vous, si droite, si pure, vous aurez de l’indulgence...
MADAME DUFRESNY.
Monsieur...
ANDRÉ.
Vous aurez du courage...
MADAME DUFRESNY.
Mais...
ANDRÉ.
Vous braverez d’iniques préjugés !
MADAME DUFRESNY, avec effort.
Non... Comme vous, je le maudis, ce monde hypocrite... Qui donc n’a pas souffert de ses difformités ! En bonne morale, vous avez raison, monsieur, cent fois raisons ; mais ceux que je représente devant vous, ma famille, mes amis, ceux qui suivront mon fils dans la vie, ne sont pas des réformateurs, mais des bourgeois ; des esprits quelquefois plus soucieux de la réputation que de l’honneur, j’en conviens, mais enfin de véritables honnêtes gens, qui ne pardonneraient pas à mon fils un mariage, romanesque à leurs yeux, qui lui percevraient des luttes mesquines, humiliantes, dont il triompherait peut-être avec le temps, mais dont j’ai le devoir de le préserver. Ce courage que vous me demandez, pour moi, je l’aurais sans doute ; pour mon fils, je n’ai pas le droit de l’avoir. Je défends son bonheur : ailleurs je serais philosophe, ici je ne suis que bonne mère.
ANDRÉ.
Mais nous sommes à la veille d’un contrat, madame, vous oubliez. La maison est en fête, ma sœur est folle de joie. Prenez garde I tout à l’heure, en apprenant la vérité à cet enfant je peux la tuer !
MADAME DUFRESNY.
Moi, je la cacherai à mon fils le plus longtemps possible, imitez-moi.
ANDRÉ.
Il faudra bien qu’elle la connaisse un jour, et ce sera le désespoir de sa vie.
MADAME DUFRESNY.
Et mon fils ? Croyez-vous que je ne vais pas le désespérer ? – Je serais bien coupable aujourd’hui, si je ne savait pas qu’à son âge on se console encore et que plus tard il me remerciera de ses larmes.
ANDRÉ.
Pauvre Blanche !
Un silence.
MADAME DUFRESNY.
Voulez-vous me faire accompagner auprès de mon fils, monsieur ? Je pars...
ANDRÉ.
Avec lui !
Madame Dufresny baisse la tête.
Encore une fois, madame, ayez pitié de cet enfant ! Je vous en supplier...
MADAME DUFRESNY.
Je vous le répète, monsieur, je ne puis consentir à un mariage que la raison condamne, et que, de son vivant, d’ailleurs, mon mari n’eût jamais permis.
ANDRÉ.
Il suffit, madame.
Il sonne. À un domestique qui paraît.
Conduisez madame chez M. Paul Dufresny.
MADAME DUFRESNY.
Pardonnez-moi, monsieur.
Elle sort par le fond.
ANDRÉ, seul, tombant assis à la table au milieu.
Pauvre petite sœur ! ton bonheur est brisé ! Et c’est moi...
Scène VII
ANDRÉ, JULIETTE
JULIETTE, en toilette de ville, gaiement, embrassant André avec effusion.
Merci, mon André. Les diamants superbes ! que je sois heureusement !
ANDRÉ.
Heureuse !
JULIETTE.
Mais regarde-moi donc !
ANDRÉ.
Oui... tu es belle.
JULIETTE.
C’est bien. Jamais tu n’oublies ta Juliette. Mais tu me gâtes ! l’année dernière, mille francs pour mes pauvres, cette année, des boucles d’oreilles magnifiques : c’est trop.
ANDRÉ.
Non !...
JULIETTE, allant au secrétaire qu’elle ouvre, serrant un écrin dans un tiroir.
Mes autres, je les enterre ici ! Oh ! que de choses là ! souvenirs et chiffons ! Ce meuble est un vrai reliquaire ; Que d’épaves, que de miettes de ma vie ! Et quel désordre ! on dirait ma tête !
Prenant un miroir sur le secrétaire et se regardant.
Les belles dormeuses ! Je ne les quitte plus. Décidément j’aime le luxe, c’est la beauté du bonheur.
ANDRÉ, à part.
Qu’elle est charmante !
JULIETTE, assise sur le canapé près d’André.
Comme le temps bouleverse toutes choses ! Te rappelle-tu ma fête autrefois ? Te rappelles-tu le bouquet de violettes que l’élève de Polytechnique apportait à sa petite maîtresse ? Je t’aime bien, va. Je n’étais pas encore madame André Jordaine, ni toi un ingénieur célèbre, mais déjà nous savions être heureux.
ANDRÉ.
Oui.
JULIETTE, jasant.
Nous étions fous comme des écoliers... Mais à pareil jour, point de diamants pour faire la coquette, pointe d’or pour donner aux pauvres !... Si, pourtant ! une fois ! par miracle ! Je me souviens... Je travaillais dans ma chambre, bien haut, bien haut, près des oiseaux. J’étais seule ; j’achevais une robe d’enfant, un amour de petite robe ; je la vois encore : un tablier princesse avec des entre-deux de Valenciennes... Une layette pour une jeune mariée.
Se levant.
Tout à coup un pas rapide retenu dans l’escalier, on frappe violemment à ma porte, j’ouvre : une femme affolée entre, se précipite, me demande asile, me supplie de la sauver. Elle était toute pâle, elle pleurait... Une malheureuse qui, en venant à un rendez-vous dans la maison où habitait celui qu’elle aimait, s’était aperçue en montant que son mari la suivait. Elle avait gravi jusqu’aux mansardes : sans doute pour visiter ses pauvres !... On ne livre personne, n’est-ce pas ? Je cachai la coupable ; l’orage s’apaisa, et bientôt, sans crainte, l’inconnue put descendre et partir... À peine avait-elle disparu que sur ma table je trouvai une bourse... Elle m’avait payée ! Deux cents franc ! en or ! une fortune ! que je donne à une voisine, une pauvre veuve, qui en avait encore plus besoin que moi. Ma journée compta deux bonnes actions, mais c’était le jour de ma fête.
À André qui, pendant ce récit, est resté absorbé. Mutine.
Je ne vous intéresse pas, monsieur ?
ANDRÉ.
Si... tu m’avais déjà raconté...
JULIETTE.
Ah bien ! Alors je radote.
ANDRÉ.
Non...
JULIETTE.
Tu n’es pas content, je vois. Pardonne-moi !
ANDRÉ.
Quoi donc ?
JULIETTE.
Tu n’aimes pas que j’évoque ce passé... Il est si loin pourtant !...
ANDRÉ.
Si loin ; qui sait ?
JULIETTE.
Que veux-tu dire ? Ce ton amer, cette tristesse sur ton front... André !...
ANDRÉ.
Ne me questionne pas.
JULIETTE.
Tu me caches quelque chose.
ANDRÉ.
Non...
JULIETTE.
André !...
ANDRÉ.
Je t’en prie.
JULIETTE.
Tout à l’heure, là, je t’ai laissé souriant, je t’ai laissé heureux. Que s’est-il passé ? Réponds !
ANDRÉ.
Rien...
JULIETTE.
Un moment où je suis sortie on t’a remis une carte. Quelqu’un est venu. Qui ?...
ANDRÉ.
Une dame.
JULIETTE.
Une dame ?
Cherchant.
La mère de Paul, peut-être ?
ANDRÉ, vivement.
Non ! non ! Mais une personne qui le connaît beaucoup.
JULIETTE.
Eh bien ?
ANDRÉ.
Puisque tu veux tout savoir, voici la vérité : le mariage de Blanche est sur le point d’être rompu.
JULIETTE.
Comment ?
ANDRÉ.
J’ai une raison sérieuse pour ne plus le vouloir.
JULIETTE.
Laquelle ?
ANDRÉ.
M. Paul Dufresny est sans fortune, je viens de l’apprendre à l’instant ; à la veille d’un contrat !...
JULIETTE.
Plaie d’argent n’est pas mortelle !... Qu’importe !
ANDRÉ.
Je n’entends pas que ma sœur soit victime...
JULIETTE.
Il est trop tard, André. Si M. Paul Dufresny est sans fortune, nous doublerons la dot de Blanche, voilà tout ! Nous serons moins riches, mais ta sœur nous devra son bonheur... Si c’est là ta raison sérieuse...
ANDRÉ.
Eh bien ! non ! je t’ai menti. C’est une raison plus grave, une raison morale que tu ne peux connaître, qu’il ne m’est pas permis de te révéler.
JULIETTE.
Pourquoi ? Ne suis-je pas ta femme ?
ANDRÉ.
Je t’en supplie !...
JULIETTE.
Pourtant...
ANDRÉ.
Tais-toi. Je ne dois pas te dire... Je ne suis pas libre. Mais tu ne vois donc pas que tu me déchires le cœur ?
JULIETTE.
Non ! je ne te questionne plus, mon André, je ne te demande plus rien. Je sais que tu m’aimes, je sais que tu es un homme d’honneur. Oui, ton secret serait le mien depuis longtemps, si la délicatesse ne te commandait de le garder.
ANDRÉ.
Oui, ma Juliette, oui !
JULIETTE.
Permets-moi d’ajouter un seul mot : Blanche aime profondément son fiancé. C’est son premier amour, et son dernier ; ta sœur est une enfant bien frêle : si ce mariage est brisé, elle peut en mourir.
ANDRÉ, s’éloignant.
C’est vrai ! Eh bien ! il ne sera pas dit...
JULIETTE.
Où vas-tu ?
ANDRÉ.
Je vais parler à M. Paul Dufresny.
Il sort.
JULIETTE, avec angoisse, seule.
Mais cette raison, si c’était !... Pourvu que ce ne soit pas moi !
Scène VIII
JULIETTE, BLANCHE
BLANCHE, entre du fond, donnant un bouquet à Juliette.
Tiens ! ma chérie, je les ai cueillies pour toi.
L’embrassant.
Sois toujours, toujours heureuse !
JULIETTE, prenant le bouquet.
Les jolies fleurettes, merci. Les beaux diamants ! comme ils brillent ! Mais qu’as-tu donc ? tu es pensive ? C’est la joie, dis ?
BLANCHE.
Je suis plus forte, moi. Ainsi, touche mon cœur. Comme il bat violemment ! Je viens d’apprendre une bonne, une grande nouvelle, et cependant, tu vois, je ris.
JULIETTE.
Quelle nouvelle ?
BLANCHE.
Tu ne devines pas ?
JULIETTE.
Non.
BLANCHE.
Madame Dufresny...
JULIETTE.
Est arrivée !
BLANCHE.
Tout à l’heure.
JULIETTE, à part.
André m’a menti.
BLANCHE.
Elle est chez Paul.
JULIETTE.
Chez Paul.
BLANCHE.
J’ai hâte de l’embrasser.
JULIETTE.
Tu ne l’as donc pas vu ?
BLANCHE.
Moi, non, mais André !
JULIETTE.
André !
À part.
Je comprends tout ; l’obstacle, c’est moi ; Il s’est tu par pitié !... C’est moi !...
BLANCHE.
Mais tu ne sais donc rien, toi ?
JULIETTE.
Je m’habillais.
À part.
Ce n’est pas André qui refuse, c’est madame Dufresny. C’est une rupture...
À Blanche.
Mais qui t’a dit ?
BLANCHE.
Le jardinier. Paul m’a envoyé. Un ambassadeur ! On m’attend à la maison du garde. M. Dufresny a sans doute quelque chose d’importante communication à me faire.
JULIETTE, à part.
Il veut lui dire adieu.
BLANCHE.
Pourquoi ce mystère ?
JULIETTE.
Quelque surprise.
Allant et venant. À part.
Je vais me jeter aux pieds de cette femme, la supplier...
BLANCHE.
Mais tu ne m’écoutes que d’une oreille, et encore ! Tu vas, tu viens...Est-ce que par hasard mon bonheur gênerait le vôtre, madame ? Vous craignez la concurrence !
JULIETTE.
Le mariage est choisi grave, et tu es si jeune.
BLANCHE.
Quoi ! j’ai dix-huit ans !
JULIETTE.
Sans doute, mais je suis peureuse.
BLANCHE.
Sois tranquille, mon mari m’aime follement.
JULIETTE.
Ton mari...
BLANCHE.
Oui, je dis mon mari : il est condamné !
JULIETTE.
Et toi, tu l’aimes ?
BLANCHE.
Écoute !
Tout bas à l’oreille de Juliette.
Je l’adore !
JULIETTE, à part.
Pauvre enfant !
À Blanche.
Et si quelque chose de méchant fée surgissait tout à coup et te disait : « Blanche, tu as trop vite espéré : Ton mariage est rompu... »
BLANCHE.
Tais-toi !
JULIETTE.
« ...Tu n’épouseras pas celui que tu aimes !... »
BLANCHE, chancelant.
Ah !...
JULIETTE, la soutenant.
Blanche ! Blanche ! pardonne-moi ! ce n’était qu’une épreuve.
BLANCHE.
Tu as eu tort. Oh ! comme tu m’as dit ça ! Un malheur pareil, ce serait donc possible ?
JULIETTE.
Non, non. Ce n’est pas possible !
BLANCHE.
J’en mourrais, d’abord ; je le sais.
JULIETTE.
Non, calme-toi ; tu épouseras celui que tu aimes.
BLANCHE.
Oui, n’est-ce pas ?
JULIETTE.
Je te le jure.
BLANCHE.
Mais rien ne menace mon bonheur ?...
JULIETTE.
Rien. Allons ! sèche tes yeux, enfant. – Vous oubliez que votre mari vous attends, madame.
BLANCHE.
Oui, tu as raison, je vais retrouver Paul, je veux le revoir.
JULIETTE.
C’est cela, va.
BLANCHE.
Je reviens avec lui. À tout à l’heure.
Elle sort par la gauche.
Scène IX
JULIETTE, puis MADAME DUFRESNY
JULIETTE, seule.
Non, tu ne mourras pas. Je verrai cette femme, je la fléchirai. Je ne suis pas coupable... ce serait injuste !... Dieu m’inspirera.
MADAME DUFRESNY, entrant du fond.
Pardonnez-moi, madame...
JULIETTE.
Madame Dufresny ?...
MADAME DUFRESNY.
Je venais dire adieu à M. Jordaine...
JULIETTE.
Entrez, madame, entrez.
À part, tandis que madame Dufresny descend à gauche la regardant.
Tiens ! c’est étrange.
MADAME DUFRESNY.
Je tenais à lui serrer la main.
JULIETTE.
Asseyez-vous, madame ; mon mari va être prévenu.
À part.
Ce visage, je le connais.
MADAME DUFRESNY.
Je sens que je ne puis être qu’importune...
JULIETTE.
Au contraire.
À part.
Dieu !... si c’était !...
MADAME DUFRESNY.
Je me retire.
JULIETTE.
Je vous en prie, madame, restez.
À part.
Non, je me trompe, c’est impossible !
À madame Dufresny.
Ah ! je bénis le hasard qui nous met en présence ! Justement, j’allais me rendre auprès de vous, je ne pouvais pas vous croire inflexible, je voulais vous fournisseur de ne pas briser le bonheur de Blanche.
À part.
Oui ! c’est elle ! c’est elle ! je la reconnais.
MADAME DUFRESNY.
Ma résolution est prise. Je suis bien cruelle, je le sais, mais mon devoir de mère m’interdit toute pitié.
JULIETTE.
Je vous en conjure, au nom de la joie, de l’innocence de cet enfant, montrez-vous généreuse...
MADAME DUFRESNY.
Impossible.
JULIETTE.
Interrogez votre cœur, votre conscience, n’entendez-vous pas en vous une voix qui vous conseille d’être moins sévère, plus clémente ?
MADAME DUFRESNY.
Je vous l’ai dit, ma résolution est prise : rien ne peut l’ébranler !
JULIETTE.
Rien. Vous-croyez ?
MADAME DUFRESNY.
Ne me retenez pas, madame. Comprenez ce que ma situation a de délicat...
JULIETTE.
En face de la maîtresse d’André Jordaine...
MADAME DUFRESNY.
Adieu madame...
JULIETTE.
Non ! vous m’écouterez.
MADAME DUFRESNY.
Je pars avec mon fils.
JULIETTE, avec ironie.
Non, madame, vous ne parlez pas avec votre fils.
MADAME DUFRESNY.
Pourtant...
JULIETTE.
Il reste.
MADAME DUFRESNY.
Détrompez-vous.
JULIETTE.
Son mariage n’est pas rompu...
MADAME DUFRESNY.
Enfin...
JULIETTE.
Il épousera Blanche...
MADAME DUFRESNY.
Non, madame.
JULIETTE.
Je le veux.
MADAME DUFRESNY.
Et moi, je ne le veux pas.
JULIETTE.
Dans un instant, vous le voudrez.
MADAME DUFRESNY.
Vraiment ?
JULIETTE.
Mon mari n’a pas pu vous attendre, moi, je serai plus heureuse.
MADAME DUFRESNY.
J’en doute.
JULIETTE.
Vous êtes sans pitié ! Êtes-vous donc sans mémoire ? Ah ! c’est le passé qui se dresse entre nous ! Eh bien ! je vais vous en dire une page !
Elle va vers le secrétaire, on entre au fond.
Grand Dieu !
S’arrêtant interdit.
Grand Dieu !...
Scène X
JULIETTE, MADAME DUFRESNY, BLANCHE, PAUL, ANDRÉ
Blanche et Paul ensemble, André. ils entrent du fond.
PAUL, à Blanche, désignant madame Dufresny.
Ma mère !
MADAME DUFRESNY, hardiment à Juliette.
Continuez, madame.
Un silence. Paul et Blanche au fond, à droite, André inquiet est au fond à gauche.
JULIETTE, à part.
Devant son fils, jamais !
MADAME DUFRESNY, avec dédain, à Juliette.
Vous disiez ?...
JULIETTE.
Mais...
ANDRÉ, s’avançant.
Puis-je savoir...
JULIETTE, saisie d’une inspiration, à part.
Quelle idée !
Un long silence. Tout le monde regarde Juliette qui va lentement au secrétaire, elle l’ouvre, en retire une bourse et la pose sur la table du milieu. À madame Dufresny simplement lui désignant la bourse.
Regardez, madame.
MADAME DUFRESNY, avec effroi, entrevoyant la vérité.
Cette bourse ?...
JULIETTE, à madame Dufresny, significativement, les yeux dans les yeux.
Souvenez-vous ! il ya sept ans !...
MADAME DUFRESNY.
Dieu !...
À part.
Je suis perdu !
À Juliette.
Arrêtez !...
JULIETTE, s’animant.
Je dirai tout... Si le bonheur a changé mon visage, mon cœur est resté le même ! Et vous allez en juger !...
MADAME DUFRESNY, à Juliette.
Arrêtez !... mon fils...
JULIETTE, à madame Dufresny.
J’irai jusqu’au bout !
ANDRÉ, à Juliette, vivement.
Que vas-tu faire ?
JULIETTE, à voix basse, à André.
Sauver Blanche.
Avec émotion, à tous.
J’étais jeune fille, j’étais pauvre, je travaillais. Un hiver, l’ouvrage manquait, le pain manquait. C’était l’heure du désespoir et j’allais mourir. Tout à coup ma porte s’ouvre : une femme, un ange de vertu, entra dans ma mansarde, et sans me parler, sans presque me regarder, comme une coupable, mit une bourse sur ma table et disparut. J’étais sauvée !
Désignant tour à tour la bourse et madame Dufresny.
Cette bourse, la voix ; ma Providence, la voilà.
MADAME DUFRESNY, balbutiante.
Moi, moi !...
JULIETTE, à madame Dufresny.
Et après sept ans, vous ne voulez pas que je la reconnaisse et... que je la remercie !...
Elle tombe aux pieds de madame Dufresny et lui embrasse les mains.
MADAME DUFRESNY, confuse, relevant Juliette.
Relevez-vous, madame...
PAUL, regardant madame Dufresny.
Chère mère !
BLANCHE, regardant Juliette.
Pauvre Juliette !...
MADAME DUFRESNY, tendant la main à Juliette.
Vous êtes un noble cœur.
JULIETTE, prenant la bourse, à Paul.
Paul, rendez ceci à votre mère...
Se ravisant.
Non, pas vous ! Blanche, plutôt.
Elle donne la bourse à Blanche.
BLANCHE, à madame Dufresny la remettant la bourse.
Voilà, madame.
MADAME DUFRESNY, embrassant Blanche.
Merci, mon enfant, ma fille !
BLANCHE, à madame Dufresny.
Quand nous serons mariés, vous viendrez habiter Paris, madame ?
MADAME DUFRESNY, à Blanche.
Habiter Paris ? Non.
À part.
Moins que jamais !
ANDRÉ, à madame Dufresny.
Vous consentez-vous ? Merci !
Désignant Juliette.
Il faudrait avoir péché, n’est-ce pas ? pour lui jeter la pierre !