Le Passé (Georges de PORTO-RICHE)
Comédie en cinq actes.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre national de l’Odéon, le 30 décembre 1897.
Personnages
FRANÇOIS PRIEUR
MAURICE ARNAULT
BRACONY
MARIOTTE
BÉHOPÉ
DOMINIQUE BRIENNE
ANTOINETTE BELLANGÉ
ODILE
De nos jours. Le premier et le deuxième actes à Paris ; les autres à la campagne.
ACTE I
Intérieur d’artiste. Meubles anciens, bibelots, livres etc. À gauche, au fond, par une large baie, on aperçoit un atelier de sculpteur, sur le devant de la scène, à droite, un buste inachevé ; à gauche, un piano ouvert.
Scène première
MARIOTTE, BRACONY, BÉHOPÉ
Le premier est au piano, le second dessine, le troisième feuillette des livres.
BÉHOPÉ.
Cœur d’actrice, Michel Teissier, Le Désastre. – Elle reçoit tout ce qui paraît.
MARIOTTE.
La gloire !
BRACONY.
Et la plupart sont déjà coupés, mon petit.
MARIOTTE.
Le jour elle travaille, et le soir elle se couche avec un livre.
BRACONY.
Elle peut en changer toutes les nuits, ce n’est pas compromettant.
BÉHOPÉ.
En attendant, je ne vois pas mes épreuves.
BRACONY.
Comment ! tu vas encore nous donner quelque chose ?
BÉHOPÉ.
Un roman dialogué.
BRACONY.
Toute une bibliothèque, alors ?
MARIOTTE.
Qui imites-tu, cette fois-ci ?
BÉHOPÉ.
Le confrère qui a le plus de succès, probablement.
BRACONY.
Ah ! voilà une musique bien amoureuse.
MARIOTTE, cessant de jouer.
Je suis fatigué.
BRACONY.
C’est de toi ce que tu joues là ?
MARIOTTE.
Non.
BRACONY.
J’en étais sûr.
BÉHOPÉ.
Ça ressemble à du Fauré.
BRACONY, à Mariotte.
Je n’aurais pas crié bravo, que tu continuais.
MARIOTTE.
Avec ça que tu aimes la peinture des camarades !
BRACONY.
Mon Dieu... celle qui ne se vend pas.
MARIOTTE.
Forain manqué, va !
BÉHOPÉ.
Anarchiste et bourgeois.
MARIOTTE.
Rosse et chevalier de la Légion d’honneur.
BRACONY.
Officier, s’il te plaît.
BÉHOPÉ.
Pas encore. Attendons les journaux.
BRACONY.
C’est promis.
BÉHOPÉ.
Mais ce n’est pas fait.
BRACONY.
Tais-toi donc, tu vas me porter malheur.
Il donne un coup de poing sur la selle où est posé le buste commencé.
MARIOTTE.
Doucement, un peu plus tu brisais la tête de Maurice.
BÉHOPÉ.
Un si joli morceau et un si brave homme ! Ce serait dommage.
MARIOTTE, effleurant le buste, sans le vouloir.
Salissant, le brave homme.
BÉHOPÉ.
Il gêne la circulation.
Il dérange la selle.
BRACONY.
Gare à vous, quand Dominique rentrera ! Elle n’aime pas qu’on mette de l’ordre dans son atelier.
MARIOTTE, regardant sa montre.
Cinq heures. Et elle n’est pas encore là ?
BÉHOPÉ, désignant le buste.
Elle devait déjeuner avec lui à Saint-Cloud.
Scène II
MARIOTTE, BRACONY, BÉHOPÉ, MAURICE
MARIOTTE.
Ah ! voilà Maurice.
MAURICE.
Madame Brienne n’est pas rentrée ?
BÉHOPÉ.
Non.
BRACONY.
Pourquoi ne dites-vous pas Dominique comme nous ?
MARIOTTE.
Parce qu’il l’aime, parbleu.
BRACONY.
Si j’avais su, je ne l’aurais pas introduit dans la maison.
BÉHOPÉ.
Pauvre Dominique, te rappelles-tu comme elle était malade le soir où nous sommes allés le chercher ?
MAURICE.
Hein ? Ce jour-là, j’ai eu raison d’être médecin.
BRACONY.
Huit ans déjà !
BÉHOPÉ.
Elle avait le délire. Je croyais qu’elle allait devenir folle.
MARIOTTE.
Quel désespoir !
BRACONY.
Qu’avez-vous fait d’elle depuis le déjeuner ?
MAURICE.
Je l’ai laissée boulevard de Clichy, vers deux heures.
MARIOTTE.
À la porte d’un marchand de curiosités ?
MAURICE.
Bien entendu.
MARIOTTE, prêt à sortir.
Alors, elle n’est pas près de rentrer...
BÉHOPÉ.
Tu as un rendez-vous ?
MARIOTTE.
À l’étage au-dessous, chez Becker.
BÉHOPÉ.
Encore !
MAURICE.
Avec madame Cordier ?
MARIOTTE.
Elle pose pour lui.
BRACONY.
Pas de talent, Becker, mais toujours des commandes...
MAURICE.
Un gentil animal, madame Cordier.
BRACONY.
On me l’a montrée une fois à l’Opéra. Je lui ferais bien une politesse.
MARIOTTE.
Et même deux.
BRACONY.
Ça, c’est plus difficile.
MARIOTTE.
Veux-tu que je te présente ?
BRACONY.
Quand j’aurai la rosette.
MARIOTTE.
Et toi, Béhopé ?
BÉHOPÉ.
Tout de suite.
MARIOTTE, s’examinant.
Ai-je encore de la terre ?
BÉHOPÉ.
Non.
Avec admiration.
Qui t’a fait cette redingote ?
MARIOTTE.
Verhage.
BÉHOPÉ.
Tu permets que je me commande la pareille ?
MARIOTTE.
Volontiers.
BRACONY.
Voyons, Béhopé, ce vêtement ne peut pas t’aller. Mariotte a Pair d’une grande Anglaise et toi, tu es écrasé comme une brioche : tu imites sans discernement, l’Instar ; méfie-toi.
BÉHOPÉ.
Ne m’appelle pas l’Instar, ça m’ennuie.
BRACONY.
Je t’appelle l’Instar parce que tu singes toujours quelqu’un.
MAURICE.
C’est vous qui lui avez donné ce nom-là ?
BRACONY.
C’est un ancien camarade à nous, un monsieur qui ne vous est pas très sympathique, je crois.
MARIOTTE.
Qui ça ?
BRACONY.
Un homme pour lequel tu professes une respectueuse admiration.
MARIOTTE.
Artiste ?
BRACONY.
En amour.
MARIOTTE.
François ?
MAURICE.
M. Prieur ?
BRACONY.
Vous y êtes.
MARIOTTE.
Tiens, justement je l’ai rencontré ce matin devant la Madeleine.
BÉHOPÉ.
Et moi hier, devant la gare Saint-Lazare.
MAURICE.
Retour de Londres ?
BRACONY.
Toujours beau ?
BÉHOPÉ.
Un peu déplumé.
MAURICE, à Béhopé qui est chauve.
Lui aussi.
MARIOTTE.
Tenez-vous sur vos gardes, mon petit docteur : M. Prieur commence à se dégoûter de l’Angleterre.
BRACONY.
Comme il s’était dégoûté du Tonkin et du métier militaire.
MAURICE.
Ce n’est pas moi qui l’ai nommé secrétaire d’ambassade.
BÉHOPÉ.
Voilà près de six ans qu’il est là-bas.
MARIOTTE.
Fichtre !
BRACONY.
Si on me condamnait à vivre six ans au bord de la Tamise, je me jetterais dans la Seine.
MARIOTTE.
Qu’est-ce qu’il t’a dit de neuf devant la gare Saint-Lazare ?
BÉHOPÉ.
Qu’il allait à Chaville...
BRACONY.
Chez sa mère.
MARIOTTE.
Il passe tous ses congés chez elle, à la campagne.
BRACONY.
Depuis qu’il est panne, il n’a même plus de pied-à-terre à Paris.
MARIOTTE.
Tu te trompes.
MAURICE.
Ah !
MARIOTTE, mystérieux.
Et je lui connais certaine petite maison, dans un coin...
BÉHOPÉ, désignant Dominique.
Chut !
Scène III
BRACONY, MAURICE, BÉHOPÉ, MARIOTTE, DOMINIQUE, ODILE
DOMINIQUE, les mains chargées de bibelots, entrant brusquement, suivie d’Odile.
Plus tard, je n’ai pas le temps.
ODILE.
Voyons, Dominique, elle se morfond depuis une heure.
DOMINIQUE.
Dis que j’ai modèle. D’abord, c’est la vérité.
MAURICE.
Et si ce n’était pas la vérité ?
DOMINIQUE.
Eh bien, j’aurais un petit mensonge sur la conscience.
MAURICE.
Oh ! sa conscience.
DOMINIQUE.
Je tiens beaucoup à son approbation.
ODILE.
Si tu la recevais, Dominique. C’est une malheureuse.
DOMINIQUE.
Elle m’ennuie. Je lui ai déjà donné dix fois.
ODILE.
Bon, bon, je vais la renvoyer.
DOMINIQUE.
Quelle raseuse, cette Odile ! Tiens, voilà vingt francs pour elle. Mais qu’elle ne s’avise pas de revenir, je la fais arrêter. Ouf ! je n’en peux plus.
Elle tombe assise.
MAURICE.
Encore des bibelots !
BÉHOPÉ.
Qu’est-ce que vous rapportez là ?
DOMINIQUE.
Quelques médailles du quinzième.
BRACONY.
Combien avez-vous payé ça ?
DOMINIQUE.
Trois cents francs.
BRACONY.
Quel vol !
DOMINIQUE.
Rapiat.
MAURICE.
Et ceci, qu’est-ce que c’est ?
MARIOTTE.
Un ivoire.
DOMINIQUE.
Une tablette à écrire. On mettait de la cire là-dessous et on notait ses impressions avec un style.
BRACONY.
Une vieille clé.
DOMINIQUE.
Une clé François Ier, mon petit. Elle vient de la cathédrale de Bourges.
BÉHOPÉ.
On vous l’a dit.
DOMINIQUE.
Odile, pose tout ça sur la table et déchausse-moi vite.
ODILE.
Ton manteau est déchiré, tu sais.
DOMINIQUE.
Bah !
BRACONY.
Comme elle est fagotée !
DOMINIQUE.
Voilà qui m’est égal. Qui voulez-vous qui fasse attention à moi, mes enfants ? je ne compte plus, j’ai trente-huit ans.
BRACONY.
Trente-huit ans, l’âge de l’amour à Paris.
BÉHOPÉ.
Depuis la Révolution.
DOMINIQUE.
Sous l’ancien régime, une femme était finie à vingt-cinq.
MARIOTTE.
Mais sous la République, elle bat son plein à quarante.
DOMINIQUE.
Alors, vive la République !
BÉHOPÉ.
Rassurez-vous, le jour où vous voudrez faire une bêtise, vous ne resterez pas longtemps dans l’embarras.
DOMINIQUE.
Oh ! évidemment je ne serais pas en peine de rencontrer un petit monsieur pressé d’entrer à l’Institut...
MAURICE.
Vous vous calomniez.
DOMINIQUE.
Quelque bel artiste qui me tromperait avec enthousiasme, et me reprocherait mon âge sur l’oreiller. Merci.
MARIOTTE.
Et moi ?
BÉHOPÉ.
Et nous ?
BRACONY, désignant Maurice.
Et lui ?
DOMINIQUE, à Odile qui lui apporte des souliers.
Quoi ? Tout à l’heure.
Aux autres.
Hélas ! la jeunesse de mon cœur jure avec la gravité de ma personne. Mais regardez-moi donc, j’ai l’air d’une vieille tragédienne.
BRACONY.
As-tu fini, Rachel !
DOMINIQUE.
Bah ! qu’est-ce que ça fiche de vieillir quand on a un bon cerveau ?
BÉHOPÉ.
Du talent.
MAURICE.
Et des amis fidèles.
DOMINIQUE.
Après tout, ce n’est pas si vilain que ça d’avoir des cheveux blancs. D’abord, il n’y en a plus.
MAURICE.
C’est vrai, tout de même : ce qu’on appelait autrefois une vieille femme a disparu de la circulation.
DOMINIQUE.
Regardez dans une salle de théâtre, vous ne trouverez que des cheveux jaunes.
BRACONY.
Et de grosses poitrines.
DOMINIQUE.
Maintenant, passons à un autre exercice. Hop ! grimpez là-dessus, docteur, et tâchez d’être sage.
MAURICE.
Vous allez déjà travailler ?
DOMINIQUE, debout, près du buste commencé.
Où est mon ébauchoir ?
MAURICE, assis.
Le voici.
DOMINIQUE.
Quelqu’un a déplacé ma selle...
BRACONY.
C’est Béhopé.
DOMINIQUE.
Ne recommencez pas, sinon...
BÉHOPÉ.
Sinon ?
DOMINIQUE.
Je vous décoiffe.
BÉHOPÉ.
Essayez.
DOMINIQUE, à Mariotte.
Qu’est-ce que vous chuchotiez dans ce coin quand je suis entrée ?
MARIOTTE.
Je ne me souviens plus.
DOMINIQUE, aux autres.
Il était en train de vous détailler une de ses dernières coquineries, probablement ?
MARIOTTE.
Pas du tout.
DOMINIQUE.
Quoi, alors ?
BRACONY.
Il nous a recommandé le silence.
DOMINIQUE.
C’est inouï. Les gens indiscrets sont toujours ceux qui réclament le plus de mystère.
MARIOTTE.
Moi, indiscret ?
DOMINIQUE.
Oui, vous, Mariotte.
MARIOTTE.
À souper, peut-être.
BRACONY.
Quand tu t’attendris.
BÉHOPÉ.
Au premier verre de Champagne, il raconte sa vie.
DOMINIQUE.
Au second, celle des autres.
MARIOTTE.
Je proteste.
DOMINIQUE.
Allons donc ! tout le monde sait vos bonnes fortunes.
MARIOTTE.
Ce n’est pas moi qui les divulgue.
MAURICE.
Ce sont vos maîtresses.
MARIOTTE.
Eh ! mon Dieu, les hommes seraient plus entreprenants si les femmes étaient moins bavardes.
DOMINIQUE.
Ah ! je n’ai pas d’amant, je n’en veux pas... Si cependant un pareil malheur devait m’arriver, Dieu me préserve d’un homme à femmes ! quelle espèce abominable ! Je vous aime bien, mon cher Mariotte, j’adore votre musique, mais vous me dégoûtez. Pouah !
MARIOTTE.
Que voulez-vous ? tout le monde n’a pas la belle nature de Maurice.
MAURICE.
Pour ce que ça me rapporte !...
DOMINIQUE, à Maurice.
Et vous, qu’avez-vous fait depuis deux heures ?
MAURICE.
Mon métier de médecin. Loin de vous, je ne pense qu’à remplir des devoirs ; il ne me viendrait pas à l’idée de prendre un plaisir.
Mariotte se rassied au piano.
ODILE, entrant.
Voici tes lettres.
DOMINIQUE.
Il n’est venu personne pendant que j’étais sortie ?
ODILE.
M. Bellangé.
BRACONY, bas, à Odile.
Raymond ?
ODILE.
Oui, Raymond.
BRACONY, intrigué.
Tiens, tiens...
MAURICE, à Dominique.
Eh bien, je vous attends.
DOMINIQUE, lisant.
Laissez-moi jeter un coup d’œil là-dessus.
MAURICE, à Odile.
Et votre pauvresse ? Est-elle partie contente ?
ODILE.
Elle est en train de manger à la cuisine. Docteur, si je vous demandais quelque chose pour elle ?
MAURICE.
Tenez.
Merci. Et vous, monsieur Bracony ?
BRACONY.
Je n’aime pas distribuer mon argent aux pauvres ; je sais si bien qu’ils ne deviendront jamais riches... et puis, ce n’est pas l’usage de donner ce que l’on a.
DOMINIQUE, lisant.
Des prospectus... toujours des demandes d’argent... Tiens, un mot de Forster, avec une loge pour les Folies-Bergère. Si nous y allions ?
BRACONY.
J’en suis.
BÉHOPÉ.
Pour ce soir ?
DOMINIQUE.
Il viendra nous rejoindre dans la soirée.
MARIOTTE.
Hum !
BRACONY.
Je n’en suis plus. Forster est une canaille, je ne tiens pas à me rencontrer avec lui.
MAURICE.
Quelle pruderie !
DOMINIQUE.
Si je lui renvoyais sa loge ?
MAURICE.
Gardez-la donc. La réputation des gens n’a pas tant d’importance que ça.
MARIOTTE.
Ne nous montrons pas trop difficiles par le temps qui court.
DOMINIQUE.
L’honneur a baissé...
MAURICE
Comme la taille.
BÉHOPÉ.
Après tout, Forster est un homme d’affaires pareil à beaucoup d’autres. On n’a jamais rien articulé de positif contre lui.
MARIOTTE.
Je le trouve d’une correction parfaite, moi.
MAURICE.
Soyons exigeants pour nous-mêmes et pour ceux que nous aimons, c’est suffisant.
DOMINIQUE.
Triste ! Autrefois, on réclamait d’un homme plus que de l’honneur, on lui demandait de la délicatesse. Puis le jour est venu où il a fallu se contenter de l’honneur seulement ; de l’honneur on est tombé à la probité, et maintenant nous en sommes à la correction : la correction, voilà la caractéristique de notre époque. Quelle dégringolade !
BRACONY.
Amen.
DOMINIQUE.
Vous partez, Mariotte ?
MARIOTTE.
Je descends chez Becker et je remonte tout de suite.
DOMINIQUE.
Est-ce bien pour lui que vous descendez ?
MARIOTTE, se regardant à une glace.
C’est pour vous que je remonterai.
DOMINIQUE, à Maurice.
Qu’est-ce qu’il y a donc chez Becker ?
MAURICE.
Un petit garden-party.
BRACONY.
Au troisième étage ?
DOMINIQUE, à Mariotte.
Ne vous regardez pas tant. Vous êtes beau, allez.
MARIOTTE.
Dire qu’on ne trouve que ce petit bout de glace dans toute la maison ! On ne se croirait jamais chez une femme.
DOMINIQUE, à Mariotte.
Mais ce miroir n’est placé là qu’à votre intention.
BÉHOPÉ.
Pour ta moustache.
MARIOTTE, à Béhopé.
Et pour tes cheveux.
MAURICE, à Dominique.
L’absence de glace ne vous empêche pas d’être jolie.
DOMINIQUE.
Jolie en dedans, tout au plus.
BÉHOPÉ, découvrant ses épreuves.
Tiens, mes épreuves ! Vous les avez regardées ?
DOMINIQUE.
J’ai commencé.
BÉHOPÉ, prêt à sortir.
Êtes-vous contente ?
DOMINIQUE.
Couci, couça.
BRACONY.
Plutôt couci.
DOMINIQUE.
Il exagère. La petite chanson intercalée dans le texte est charmante
BRACONY.
Où as-tu chipé ça ?
MARIOTTE, à Béhopé.
Si tu es gentil, je te ferai de la musique dessus.
BRACONY.
Pas d’amis inutiles, ce Béhopé.
MARIOTTE, à Béhopé, puis à Bracony.
Ne l’écoute pas. Tu descends avec nous, Bracony ?
BRACONY, hésitant.
Mon Dieu...
MARIOTTE.
Je te promets une de ces boulottes comme tu les aimes.
BRACONY.
Une autre fois.
MARIOTTE, à Maurice.
Je ne vous débauche pas, docteur, je sais que vous n’avez pas de goût pour les boulottes.
DOMINIQUE.
Pourtant on est bien plus fidèle à une boulotte qu’à une autre.
BRACONY.
Une femme mince est regardée cinq minutes par tous les hommes, mais une femme potelée est regardée longtemps par le même.
DOMINIQUE.
L’une est pour la rue, l’autre pour le lit.
BRACONY.
L’avenir est aux grosses femmes, vous verrez.
BÉHOPÉ, à Bracony.
Toi, tu penses à Mélanie.
BRACONY, gravement.
Dis donc, madame Bracony, je le prie.
BÉHOPÉ.
Madame Bracony.
BRACONY.
Ne blague pas. C’était une créature fraîche et bien établie quand je l’ai épousée...
MARIOTTE
Réparée.
BRACONY, à Béhopé.
Tu n’en as jamais possédé de pareilles, tu sais.
DOMINIQUE.
Ils se sont adorés.
BÉHOPÉ.
Tu lui as fait quitter l’Odéon, méchant.
BRACONY.
Aujourd’hui, c’est fini, nous sommes de vieux amis, nous vivons comme frère et sœur.
DOMINIQUE.
Et même comme deux frères.
BRACONY.
Mais nous avons encore de bons moments... Elle fait la cuisine dans la perfection, ne pense qu’à moi, et sait tout le répertoire par cœur. Et quand nous sortons ensemble, si je rencontre un camarade qui ne la connaît pas, je puis dire : « Je vous présente madame Bracony, qui a été jeune et jolie. »
MAURICE, à Béhopé.
Vous n’avez pas de ces souvenirs-là, vous !
BÉHOPÉ.
Oh ! moi, je n’ai jamais eu d’aventures. Je m’en flatte. Je ne sais pas ce que c’est qu’une impression forte.
DOMINIQUE.
Il n’a pas même un chagrin dans sa vie.
BÉHOPÉ.
On me raconte, ça me suffi.
BRACONY.
Alors, jamais ?
BÉHOPÉ.
Rarement.
MARIOTTE.
Tous les ans ?
BRACONY.
À la Saint-Sylvestre ?
BÉHOPÉ, le raillant.
Et seulement dans les années bissextiles !
MARIOTTE, à Béhopé.
Descendons.
MAURICE.
L’amitié !
Mariotte et Béhopé sortent.
Scène IV
DOMINIQUE, MAURICE, BRACONY, ODILE
ODILE, à Dominique.
Tiens, bois, c’est très frais.
DOMINIQUE, qui s’est remise au travail.
Qu’est-ce que tu m’apportes encore ?
ODILE.
Du lait glacé.
DOMINIQUE.
Ce que tu m’ennuies avec tes soins !
MAURICE.
Et voilà plus de trente ans que ça dure.
DOMINIQUE.
Pour elle, je ne serai jamais sevrée... Je préfère de l’eau.
Elle se verse à boire.
MAURICE.
Et les microbes ?
DOMINIQUE, buvant.
Tant pis pour eux.
ODILE.
Tu n’es pas raisonnable.
DOMINIQUE, à Odile.
Puisque tu es là, cherche-moi mon compas de réduction.
ODILE.
Tiens.
DOMINIQUE, à Maurice.
Un peu plus de trois quarts, l’œil par ici, mon petit Maurice. Là... assez. Donne-moi mon fil à plomb, Odile. Est-ce que Bellangé ne t’a rien dit pour moi ?
ODILE.
Il doit repasser avant le dîner.
DOMINIQUE.
Fais attention quand il reviendra, j’attends sa femme. Si elle est là, ne le laisse pas entrer.
BRACONY.
Plaisante à regarder, madame Bellangé.
MAURICE.
Pas boulotte, celle-là... d’une maigreur !
BRACONY.
On ne sait jamais de quel côté elle a la poitrine.
MAURICE.
En revanche, elle a les mains de Ritter lorsqu’elle est au piano.
DOMINIQUE.
J’ai à causer avec elle... Odile, arrange-toi pour avoir des gâteaux, car la petite Hélène viendra sans doute rejoindre sa mère.
BRACONY, à Dominique.
Vous avez l’air de comploter quelque chose, vous.
MAURICE.
Une bonne action, probablement.
DOMINIQUE.
Bonne, je n’en suis pas très sûre.
BRACONY.
Est-ce que par hasard vous songeriez à réconcilier Bellangé et sa femme ?
DOMINIQUE.
L’idée n’est pas de moi.
BRACONY.
De qui, alors ?
MAURICE.
De M. Bellangé ?
DOMINIQUE.
Lui-même.
BRACONY.
Vous l’avez revu, ce sculpteur de quatrième ordre ?
DOMINIQUE.
Soyez respectueux pour mon maître.
BRACONY.
Il vous a donné d’excellents conseils, j’en conviens.
DOMINIQUE, à Maurice.
C’était avec lui que j’étais hier matin, quand je n’ai pas pu vous recevoir. Comme il a vieilli, le pauvre garçon ! Tout de même, il y avait près de cinq ans que nous n’avions causé ensemble.
BRACONY.
Depuis son histoire ?
DOMINIQUE.
Depuis, nous étions restés étrangers l’un à l’autre, lui par gêne et moi par froideur.
BRACONY.
Il vous a fait le récit de ses bêtises ?
DOMINIQUE.
En pleurant.
MAURICE.
L’heure du repentir a sonne.
BRACONY.
Maintenant que sa maîtresse l’a plaqué, il a du remords d’avoir lâché sa femme.
DOMINIQUE.
Il ne peut pas coucher tout seul.
MAURICE.
À cinquante-deux ans ?
BRACONY.
Bigre !
DOMINIQUE.
J’ai écrit à Toinette et je l’attends.
MAURICE.
Il aura de la chance, si elle consent à le reprendre.
BRACONY.
À sa place !...
DOMINIQUE.
Pauvre Raymond !
BRACONY.
Un monsieur qui vous plante là, vous et votre enfant, pour filer avec un modèle !
MAURICE.
Après deux ans de ménage !
BRACONY.
Pas même.
DOMINIQUE.
Et qui vous oublie l’un et l’autre pendant cinq ans.
BRACONY.
C’est un homme d’habitudes.
DOMINIQUE.
Je la connais, cette Marion qui les a séparés. Elle a assez traîné dans les ateliers de Montmartre !... Vous vous l’êtes tous payée.
MAURICE.
Comptant.
BRACONY.
Gratis.
DOMINIQUE.
Comment peut-on rester si longtemps avec de pareilles filles ?
BRACONY.
Le plaisir est le secret de la fidélité.
DOMINIQUE.
Hélas !
BRACONY.
J’ai vu commencer ça sous mes yeux.
DOMINIQUE.
Il n’a pas été difficile à prendre, ce bon Raymond.
BRACONY.
Ah ! le jobard !
DOMINIQUE.
Il a du talent, mais entre nous, il est un peu bête.
BRACONY.
Très bête. Les gens du monde eux-mêmes s’en aperçoivent.
MAURICE.
Mon Dieu, l’aventure de M. Bellangé ressemble à celle de beaucoup d’hommes dont la jeunesse a été sévère. Il a travaillé d’abord, il s’est amusé ensuite.
DOMINIQUE.
Très dangereux.
MAURICE.
Il faut toujours un temps pour le libertinage.
BRACONY.
Heureusement.
DOMINIQUE.
Sans doute, mais que diable quand on a un enfant et une femme, on réfléchit cinq minutes.
MAURICE.
Il n’a pas réfléchi davantage.
DOMINIQUE.
Si j’avais été là au moment de son équipée, je vous garantis que les choses se seraient passées autrement.
BRACONY.
Vous l’auriez empêché de...
DOMINIQUE.
Peut-être... Je l’aurais secoué d’une telle façon !
BRACONY.
Quelle occasion vous avez manquée ! Vous qui aimez tant chapitrer vos amis.
DOMINIQUE.
Il faut bien, quand on les aime.
BRACONY.
Vous, vous avez un tempérament de belle-mère !
DOMINIQUE.
Pardon, de brave homme.
MAURICE, à Bracony, désignant Dominique.
Sa droiture exagérée est quelquefois gênante, je le reconnais ; cependant, tout compte fait, on est bien heureux de la trouver aux heures de trouble et d’incertitude. Elle indique le bon chemin.
DOMINIQUE.
Continuez, je bois du lait.
BRACONY.
Quand on ne sait pas si une chose est bien ou mal, on n’a qu’à le demander à Dominique. On est sûr qu’elle ne se trompera pas. C’est la pierre de touche de toutes nos actions et de tous nos sentiments.
MAURICE.
Vous êtes notre conscience.
DOMINIQUE.
Puisque vous êtes si gentil, reposez-vous une seconde.
MAURICE.
Merci.
DOMINIQUE.
Donnez-moi une cigarette, Bracony.
Désignant le buste.
Je crois que ce sera bien, n’est-ce pas ?
BRACONY.
Je vous dirai ça quand ce sera fini.
MAURICE.
Ce qui m’étonne le plus là-dedans, c’est que madame Bellangé n’ait pas divorcé.
DOMINIQUE.
Elle a refusé, la bécasse.
BRACONY,
Lui ne demandait pas mieux.
DOMINIQUE.
Elle n’a pas voulu à cause de la petite. Elle n’a même pas voulu d’une séparation légale. Antoinette est très bourgeoise.
MAURICE.
Quoique artiste ?
DOMINIQUE.
Parce que.
BRACONY.
Il n’y a que les ratés qui soient bohèmes. Les gens de talent sont presque toujours des réguliers. Le public se trompe en croyant le contraire.
DOMINIQUE.
Puis Antoinette est un peu vaniteuse. Bellangé est connu, et malgré tout elle ne tient pas à renoncer au nom de son mari.
BRACONY.
Elle aimerait mieux le déshonorer.
DOMINIQUE.
Ce que c’est que l’habitude de bêcher ! Jamais on n’a dit le moindre mot sur elle.
MAURICE.
La musique et l’amour de sa fille accaparent toute sa sensibilité.
BRACONY.
L’amour de sa fille surtout. J’ai déjeuné une fois ici entre elles deux : quelle mère assommante !
DOMINIQUE.
Le père aussi aime son enfant.
MAURICE.
Il n’en parle jamais sans émotion.
BRACONY.
Mariotte, qui le voit de temps en temps, m’a raconté qu’il avait eu beaucoup de chagrin cet hiver, quand Toinon avait emmené la petite à Londres.
DOMINIQUE.
Je crois bien ! Elle nous en a privés pendant trois mois.
MAURICE.
Comment va-t-elle, votre filleule ?
DOMINIQUE.
Je l’ai rencontrée tout à l’heure près de la Trinité. Je ne lui ai pas trouvé la mine bien brillante.
MAURICE.
Toujours tendre avec vous ?
DOMINIQUE.
Quand elle met ses bras autour de mon cou en disant : « marraine !... », mon cœur se dilate... Ah ! je méritais bien d’avoir un enfant.
BRACONY.
Et même plusieurs.
DOMINIQUE.
J’en aurais voulu une mince et fragile comme elle.
MAURICE.
Elle a l’air d’un bibelot.
DOMINIQUE.
Elle ressemble au Saint-Jean de Donatello. Il faudra que je fasse quelque chose avec elle. Je demanderai à sa mère de me la prêter deux ou trois jours.
MAURICE.
À quelle heure attendez-vous madame Bellangé ?
DOMINIQUE.
D’un instant à l’autre... Sacré mâtin !... mon armature a plié, tout va dégringoler... Au fond, je me serais bien passée de cette corvée-là. Je pressens toutes sortes de complications et d’histoires. Sans cette petite, à laquelle je m’intéresse, j’aurais prié Raymond de s’adresser ailleurs... Ne bougez donc pas, Maurice. Et pourtant, non, Bellangé, c’est quelque chose d’autrefois.
BRACONY.
Comme talent.
DOMINIQUE.
Ne riez pas. Je me trouve des devoirs envers lui. Quand j’ai perdu mon mari, il m’a aidée moralement et matériellement.
BRACONY.
Tout le monde fait ça.
DOMINIQUE,
Et puis, lorsqu’un homme vient pleurer chez vous, comment lui refuser ce qu’il demande ?
MAURICE.
Alors, si je pleurais ?
DOMINIQUE.
Vous me mettriez dans un grand embarras.
MAURICE.
Méfiez-vous.
Odile entre avec un plateau.
BRACONY.
Ah ! voilà de la nourriture.
DOMINIQUE.
Tu m’apporteras de la terre.
BRACONY.
Est-ce qu’Antoinette se doute de ce qui lui pend à l’oreille ?
DOMINIQUE.
Pas le moins du monde. J’ai préféré lui dire la chose en face.
BRACONY.
Vous allez sortir les grandes phrases, hein ?
DOMINIQUE.
Celles que je pense et celles que je ne pense pas.
MAURICE.
Vous intimidez beaucoup madame Bellangé, j’ai remarqué.
DOMINIQUE.
Je l’ai connue si petite.
BRACONY.
N’empêche que cette année elle vous lâche joliment ; on ne l’a pas vue chez vous une seule fois.
DOMINIQUE.
Puisqu’elle était à Londres.
MAURICE.
Elle a eu beaucoup de succès là-bas, m’a dit lord Ellis.
BRACONY.
Elle a fait de l’argent avec ses concerts.
DOMINIQUE.
C’est égal, elle aurait bien pu me donner signe de vie, depuis un mois qu’elle est de retour... Elle remplace ses visites par de petits mots bien tournés, mais ce n’est pas tout à fait la même chose.
BRACONY.
Elle a peut-être une raison pour ne pas venir.
DOMINIQUE.
Quelle raison ? Quand on n’éprouve plus le besoin de voir aussi souvent ses amis, c’est qu’on les aime moins.
BRACONY.
L’ingrate ! Elle devrait pourtant se souvenir que vous l’avez mariée.
DOMINIQUE.
Ne me donnez pas de remords. En effet, c’est à la maison que Bellangé l’a rencontrée pour la première fois. Il est devenu amoureux tout de suite.
MAURICE.
C’est sa manière.
DOMINIQUE.
Il était si riche, si emballé, elle si seule et si pauvre !... J’ai pensé que l’équilibre s’établirait entre les dix-huit ans de l’une et les quarante-cinq ans de l’autre.
BRACONY.
Et vous avez si bien réussi que vous voulez les marier une seconde fois.
DOMINIQUE.
Qui sait ? Je vais peut-être réparer le mal que j’ai commis... Mes cheveux ne m’obéissent plus.
Elle laisse tomber ses cheveux.
Ça fait du bien.
À Maurice.
Ramassez-moi mon peigne.
BRACONY, se rapprochant de la table sur laquelle est déposé le plateau.
Ce vin est peut-être bon.
MAURICE, à Dominique, tendrement.
J’aime vos cheveux.
DOMINIQUE.
Tenez, regardez cette petite mèche blanche.
MAURICE.
Si vous aviez un peu d’amitié pour moi, vous me la cacheriez au lieu de me la montrer.
DOMINIQUE.
Ça viendra peut-être.
MAURICE.
Pour un autre.
DOMINIQUE.
Ce serait injuste.
MAURICE.
Je crois que nous serions très heureux ensemble.
DOMINIQUE.
Je le crois aussi.
MAURICE.
Eh bien, alors ?
DOMINIQUE.
Allons, ne devenez pas ennuyeux.
MAURICE.
Trop sincère, n’est-ce pas ?
DOMINIQUE.
Vous, je finirai par vous épouser, pour que vous me laissiez tranquille.
BRACONY.
Au moins, quand il aura la clé, il ne sonnera plus vingt fois par jour.
Scène V
DOMINIQUE, MAURICE, BRACONY, BÉHOPÉ, MARIOTTE
Mariotte tient un journal à la main.
BRACONY
Vous revoilà ?
BÉHOPÉ.
Madame Cordier n’était pas chez Becker.
MARIOTTE.
Elle sera là dans un instant. Je m’étais trompé d’heure. Comme Becker avait des gens ennuyeux chez lui, je suis remonté fumer une cigarette avec vous et je redescends.
DOMINIQUE.
Bon... Levez un peu le menton, mon petit Maurice.
MARIOTTE.
Ça marche ?
DOMINIQUE.
Peuh !... Alors en ce moment elle s’appelle madame Cordier ?
MARIOTTE.
Juliette, quand la porte est fermée...
DOMINIQUE.
Et où l’avez-vous rencontrée, mauvais sujet ?
MARIOTTE.
Chez madame Hédouin.
DOMINIQUE.
Madame Hédouin ! il est toujours lié avec des gens qu’il ne connaît pas, celui-là.
BRACONY.
Qu’est-ce que c’est que ça, madame Hédouin ?
MARIOTTE.
Un vieux dromadaire aux yeux pâles, qu’on rencontre à l’Académie et chez les poètes.
BRACONY.
Elle raccroche sur le Parnasse.
DOMINIQUE.
Les dieux, ça ne fatigue pas.
BÉHOPÉ.
Je vois cela d’ici : un salon où on protège les gens arrivés.
DOMINIQUE.
Est-ce que cette madame Hédouin n’a pas une propriété à Chaville ?
MARIOTTE.
Oui, tout près de la vôtre.
DOMINIQUE.
J’y suis... Et votre petite amie, dont vous ne me parlez pas ?
MARIOTTE.
Miette ?
DOMINIQUE.
Oui, Miette. Qu’est-ce qu’elle devient au milieu de toutes vos malpropretés ?
MARIOTTE.
Je l’aurai semée dans quinze jours.
MAURICE.
Quand vous aurez réussi ?
MARIOTTE.
Dame, je ne veux pas me trouver entre...
BRACONY.
Entre deux croupes.
DOMINIQUE.
Pourquoi ne la gardez-vous pas tout de même ? Jusqu’ici, elle ne vous a pas beaucoup gêné.
MARIOTTE.
Trop coûteuse, Miette. Et puis... et puis... je suis trop souvent obligé de la tromper.
MAURICE.
Obligé ?
MARIOTTE.
Elle est si délicate !
BÉHOPÉ.
Pauvre petite Miette !
MARIOTTE.
Ah ! c’est bien la maîtresse qu’il t’aurait fallu. Une femme qui vous dit toujours non dans toutes les circonstances, à toutes les heures.
BRACONY.
Elle dit peut-être oui à un autre ?
MARIOTTE.
À Rousselot, n’est-ce pas ? Son nom te brûle les lèvres. Je suis tranquille, mon cher. Miette ne me trompe pas, ne m’a jamais trompé. Et si la fantaisie lui en prenait, ce n’est pas par ce monsieur-là qu’elle commencerait.
BRACONY.
Voilà ce que tu ne sais pas.
MARIOTTE.
Elle choisirait mieux que cette espèce d’hercule qui traîne dans les salles d’armes.
BÉHOPÉ.
Permets. Il préside des jurys d’honneur.
MARIOTTE.
Mais on ne se bat pas avec lui.
MAURICE.
Oh ! oh ! quand on est bien jaloux.
MARIOTTE.
Jaloux ? Je voudrais bien, malheureusement pour moi, je n’ai jamais été jaloux de personne. La jalousie est une maladie que je ne connais pas.
DOMINIQUE.
Madame Cordier se chargera peut-être de vous l’apprendre.
MARIOTTE.
Dieu vous entende !
DOMINIQUE.
Seriez-vous pris sérieusement ?
MARIOTTE.
Je l’espère.
DOMINIQUE.
Brune ou blonde, celle-là ?
MARIOTTE.
Ni l’un ni l’autre.
MAURICE.
Et, bien entendu, robuste ?
MARIOTTE.
Ah ! mes enfants ! quelle femme !
BÉHOPÉ.
À ce point-là ?
BRACONY.
Toi, tu es pour la grâce, pas vrai ? Ça te fiche le trac, les grandes gaillardes.
MARIOTTE.
Entre nous, je ne serai pas fâché d’avoir enfin une maîtresse bien portante.
DOMINIQUE.
Vos affaires sont donc bien avancées ?
MARIOTTE.
Je dîne demain avec elle.
BÉHOPÉ.
Pauvre petite Miette !
BRACONY, à Béhopé.
Encore !
MARIOTTE.
Je lui dirai que je dîne chez ma mère.
BRACONY.
Comme d’habitude.
DOMINIQUE.
Mentir, toujours mentir... Quand donc vivrez-vous d’une vie qui n’aura pas besoin de mensonges ?
MAURICE.
Difficile pour un joli garçon.
DOMINIQUE.
Puisque vous avez résolu de la quitter, pourquoi ne le faites-vous pas loyalement, franchement ?
BRACONY.
Vous lui en demandez trop.
MARIOTTE, impatienté, tendant son journal à Bracony.
Tiens, lis donc le Temps. Il y a dedans quelque chose qui t’intéresse.
BRACONY.
Je ne suis pas nommé ?
DOMINIQUE, à Mariotte.
Quelle soif de complications vous avez ! Ce serait si commode et si gentil de vous conduire en honnête homme, au lieu de vous diminuer par de petites infamies !
MARIOTTE.
Elles sont si charitables !
DOMINIQUE.
Oh ! je connais la théorie. Vos mauvaises actions épargnent des larmes à votre maîtresse, n’est-ce pas ? Mais, mon cher, un jour ou l’autre, elle les apprendra, et elle vous en voudra à mort de votre pitié indélicate.
MARIOTTE.
Mon Dieu, ce n’est pas un bien grand crime de mentir à...
DOMINIQUE.
À une femme ?
MARIOTTE.
Pour une femme.
DOMINIQUE.
Mais c’est indigne, tout simplement.
MAURICE.
Voilà le feu aux poudres.
MARIOTTE.
Ne vous emballez pas, voyons.
BÉHOPÉ.
Laisse-la donc, la violence est son état normal.
MAURICE.
Les tempêtes la reposent.
BRACONY, lisant.
« Giraud, Keller... » Je ne vois pas mon nom.
DOMINIQUE, à Mariotte.
Moquez-vous de moi tant que vous voudrez. Dites que je suis démodée, c’est possible ; mais vos habitudes de fausseté me révoltent.
BRACONY.
Dominique, j’ai à vous parler.
DOMINIQUE.
Tout à l’heure.
BRACONY.
Mais...
DOMINIQUE.
Zut !... Et dire que tous les hommes, c’est la même chose. Tous s’arrogent le droit de mentir aux femmes.
MAURICE.
Pardon.
DOMINIQUE.
Les mensonges qu’on nous fait n’ont pas d’importance. On peut en commettre à la douzaine, impunément. On n’est pas méprisé pour si peu.
BÉHOPÉ
Au contraire.
DOMINIQUE.
On ment à sa maîtresse comme autrefois on volait au jeu. C’est admis. Et tous, naïfs ou corrompus, tous, je le répète, vous êtes d’accord sur ce point.
MAURICE.
Je réclame.
DOMINIQUE.
La conscience d’un brave homme n’est pas plus troublée que celle d’un coquin, dès qu’il s’agit de rouler une femme ; et tel, qui se croirait déshonoré de mentir à un monsieur quelconque, mentira sans le moindre scrupule à sa meilleure amie.
MARIOTTE.
Lovelace se vantait de n’avoir jamais dit la vérité à une femme et de n’avoir jamais menti à un homme.
DOMINIQUE.
Eh bien ! vous êtes comme lui. Il avait deux délicatesses : l’une pour les mâles et l’autre pour les femelles.
MAURICE.
Vous vous emportez tellement que je n’ose plus placer un mot. Mais entre nous, je partage votre avis sur la véracité des hommes.
MARIOTTE.
Avec ça que les femmes se gênent pour nous mentir !
DOMINIQUE.
Le mensonge, chez elles, n’est pas, comme chez vous, à l’état de principe.
BÉHOPÉ.
Vous avez des illusions sur votre sexe.
BRACONY.
Si vous croyez que les autres femmes vous ressemblent, vous vous trompez ; vous êtes une exception.
MARIOTTE.
Dominique, c’est une fille de Corneille.
MAURICE.
De Racine, plutôt.
BÉHOPÉ.
Mais la plupart de vos pareilles sont des filles de Meilhac et Halévy.
MARIOTTE.
Oh ! les gentilles petites femmes !... hypocrites, sensuelles, vénales : je les adore. Mais, ma pauvre Dominique, tout le monde est de mauvaise foi en amour.
DOMINIQUE
Parlez pour vous.
BRACONY.
Amants ou maîtresses, on peut tous nous fourrer dans le même sac.
MARIOTTE.
Il faut bien mentir, puisqu’on trahit.
BÉHOPÉ.
On ment par pitié.
BRACONY.
Par colère.
MAURICE.
Par fatuité.
MARIOTTE.
On ment pour obtenir, pour garder, pour quitter.
DOMINIQUE.
Et puis on ment pour mentir.
BRACONY.
Par habitude.
MARIOTTE.
Par veulerie.
MAURICE.
Par bassesse naturelle. L’histoire de l’amour est celle de la duplicité.
DOMINIQUE.
Inventez toutes les excuses qu’il vous plaira. Pour mon compte, je trouve le mensonge aussi méprisable dans les questions de cœur, que dans les autres circonstances de la vie.
MAURICE.
Et moi, je trouve qu’il l’est davantage. Oui, le mensonge à une femme qui vous aime et qui croit en vous, me semble infiniment plus grave que le mensonge à. un étranger ou à un camarade. Selon moi, il y a autant de différence entre ces deux actes qu’entre le vol et l’abus de confiance.
DOMINIQUE.
À la bonne heure. Voilà un peu d’air pur.
Désignant Mariotte.
Ce champion de l’indélicatesse finirait par corrompre l’atmosphère.
MARIOTTE, s’inclinant.
Très flatté.
DOMINIQUE.
Et on appelle ça un homme !
MAURICE.
Ce n’est pas l’avis des philosophes. Le menteur, disait le bon vieux Kant, est moins un homme véritable que l’apparence d’un homme.
DOMINIQUE.
Il avait raison. L’homme qui nous ment n’est pas l’homme que nous croyons avoir devant les yeux. C’est un autre être. Il a la figure, les gestes, les regards de celui que nous connaissons, et cependant ce n’est pas lui.
BÉHOPÉ.
En attendant, si on ne mentait pas, l’existence ne serait pas possible.
MARIOTTE.
Laissons de côté les incorrections sentimentales, puisque ce chapitre a le don de vous exaspérer, mais au moins, convenez-en, le mensonge est indispensable à la société.
DOMINIQUE.
On irait loin avec ces raisonnements-là.
MAURICE.
Comme vous grimpez vite à l’arbre !
BRACONY.
Le mensonge adoucit les mœurs.
MARIOTTE.
Tous, nous lui devons des moments agréables.
DOMINIQUE.
Je n’en doute pas.
BÉHOPÉ.
Sans lui nous serions la proie des raseurs et des méchants.
MARIOTTE.
Moi, je trouve qu’on ne ment jamais assez.
DOMINIQUE.
Vous allez me faire l’apologie du mensonge, à présent.
BRACONY.
Votre intransigeance est un luxe que tout le monde ne peut pas se payer.
DOMINIQUE.
Vous surtout.
MAURICE.
Quels gosses !
BÉHOPÉ.
La franchise est un revolver qu’on n’a pas le droit de décharger sur les passants.
BRACONY.
Le port en est prohibé.
MARIOTTE.
Vive le mensonge ! C’est la plus belle invention des hommes.
BÉHOPÉ.
Vive le mensonge !
DOMINIQUE.
Voulez-vous bien vous taire, tas de vieux gamins ! Le mensonge est criminel, le mensonge est laid.
MARIOTTE.
Pas si laid que ça, car il cache plus de vilaines choses qu’il n’en montre.
BRACONY.
C’est la vérité qui est laide.
BÉHOPÉ.
La meilleure preuve, c’est que, pour accabler quelqu’un, on n’a qu’à lui jeter la vérité au visage.
DOMINIQUE.
Mais défendez-moi donc, Maurice, vous avez l’air de me lâcher.
MAURICE.
Mon Dieu, oui, je vous lâche un peu.
MARIOTTE.
Bravo, docteur.
DOMINIQUE.
Vous êtes de leur avis ?
MAURICE.
En matière de cœur, je n’admets aucune fausseté, je vous ai fait ma profession de foi. Sur les autres terrains, dame, je serai moins absolu. Je condamne le mensonge lorsqu’il nuit à autrui ou qu’il profite à celui qui le commet. En revanche, quand il n’est ni préjudiciable, ni intéressé, et surtout qu’il est imposé par les circonstances, je l’excuse, et même quelquefois je le pratique.
DOMINIQUE.
Vous savez mentir, vous ?
MAURICE.
Hélas ! oui, comme tout le monde.
DOMINIQUE.
Comme moi ?
MAURICE.
Mais oui. Hier, pendant que nous étions chez vous, Odile a annoncé Forster, et vous avez fait dire que vous étiez sortie.
DOMINIQUE.
Si vous appelez ça des mensonges !
MARIOTTE.
Qu’est-ce que c’est, alors ?
BÉHOPÉ.
Soyez franche. Est-ce qu’à chaque instant vous n’échangez pas avec des indifférents ou des sauteurs des paroles de sympathie et d’estime dont vous ne pensez pas un mot ?
DOMINIQUE.
Ce sont de simples phrases de politesse.
BÉHOPÉ.
De petites inexactitudes.
BRACONY.
De la fausse monnaie.
MARIOTTE
Tous les honnêtes gens en font usage.
MAURICE.
Et je ne vous parle pas des mensonges que la délicatesse ou la pitié ont dû certainement vous suggérer.
DOMINIQUE.
Peut-être.
MAURICE.
Car la conscience elle-même nous dicte certains mensonges, des mensonges sacrés. On doit toujours dire la vérité. La morale l’ordonne, c’est entendu. Pourtant, une âme noble peut se trouver aux prises avec un devoir plus impérieux que la vérité.
BÉHOPÉ.
L’amant d’une femme mariée est bien obligé de mentir quand on l’interroge sur sa maîtresse.
MAURICE.
Lorsqu’un malade, un malade qui est condamné, me demande s’il est perdu, est-ce que les trois quarts du temps je n’ai pas le devoir de lui cacher la vérité ?
DOMINIQUE.
Je crois bien !
BRACONY.
Supposez qu’un homme se réfugie chez vous et qu’on vous somme de le livrer, vous commencerez par dire qu’il n’est pas là, serait-il un misérable.
DOMINIQUE.
C’est vrai.
MAURICE.
Nous n’en finirions pas si nous voulions rechercher tous les cas complexes, mal définis, dont la vie est semée.
MARIOTTE.
Mais il y a des mensonges sublimes, ma chère Dominique.
DOMINIQUE.
Ils ont du génie pour défendre le mensonge.
BRACONY.
Personne ne pense à blâmer Desdémone quand, pour sauver Othello, elle déclare en mourant qu’elle s’est tuée elle-même.
MARIOTTE.
Et l’Antony du père Dumas : « Elle me résistait, je l’ai assassinée. » En voilà un mensonge admirable !
DOMINIQUE.
Vous n’en commettrez jamais de pareils, je suis tranquille.
MARIOTTE.
On ne sait pas ce qui peut arriver.
DOMINIQUE.
Oh ! je suis bien sûre que les héros du mensonge étaient des gens qui n’avaient pas l’habitude de mentir. Comme ils vous auraient méprisés, mes bons amis !
MAURICE.
Moi aussi ?
DOMINIQUE.
Vous m’avez fait un peu de peine, docteur.
MAURICE.
Nous ne sommes pas si loin l’un de l’autre que vous supposez.
DOMINIQUE.
Malgré tous les mensonges célèbres ou nécessaires, croyez-moi, une fausse déclaration, volontairement faite, sera toujours un acte ignoble et dégradant.
MAURICE.
Sans doute.
DOMINIQUE.
Alors ?
MAURICE.
Au fond, bien au fond, c’est vous qui avez raison.
Un silence.
BÉHOPÉ, à Mariotte.
Tu as l’air triste tout d’un coup. À quoi songes-tu ?
MARIOTTE.
Je songe à me réhabiliter aux yeux de Dominique.
DOMINIQUE.
De quelle façon ?
MARIOTTE.
Ce soir à neuf heures, je verrai Miette et je lui annoncerai que je la quitte.
DOMINIQUE.
Comme ça ?
MARIOTTE.
Et j’ajouterai que ce n’est pas avec ma mère que je dîne demain, mais avec une femme que j’aime.
DOMINIQUE.
Je vais être cause d’un chagrin.
MARIOTTE.
La vérité avant tout.
Scène VI
DOMINIQUE, MAURICE, BRACONY, BÉHOPÉ, MARIOTTE, ANTOINETTE
DOMINIQUE, à Antoinette.
Alors, il faut avoir quelque chose à te dire pour te voir ?
ANTOINETTE.
Gronde-moi, je n’ai aucune excuse à te donner.
DOMINIQUE, l’embrassant.
Petite ingrate !
MARIOTTE.
Vous avez encore maigri.
ANTOINETTE.
Quel bonheur !
MARIOTTE.
Vous ne me demandez pas des nouvelles de votre mari ?
ANTOINETTE.
Je devrais ?
BÉHOPÉ.
Il paraît que vous avez eu beaucoup de succès à Londres.
ANTOINETTE.
Les Anglais sont très bien pour moi.
À Dominique.
Tu sais, lu es aussi connue en Angleterre qu’en France. Là-bas, tout le monde m’a parlé de ta Sapho. J’étais fière de te connaître.
DOMINIQUE, à Maurice qui s’écarte.
C’est cela, laissez-nous, nous avons à causer.
MAURICE.
Je dîne avec vous ?
DOMINIQUE.
Entendu.
ANTOINETTE, à Maurice.
Je ne vous la garderai pas longtemps, soyez tranquille. J’ai rendez-vous vers six heures au thé de la rue Cambon.
MARIOTTE.
Un rendez-vous. Ah !
ANTOINETTE.
Avec quelqu’un de plus fidèle que vous.
BRACONY, à Dominique.
Moi aussi, je voudrais bien causer avec vous. Il m’arrive un gros ennui, et...
DOMINIQUE.
Votre nom n’est pas dans les journaux, je devine... Je vous promets de faire le nécessaire, mon petit.
BRACONY.
Si vous m’accordiez cinq minutes...
DOMINIQUE.
Revenez tout à l’heure, et ne prenez pas cet air désespéré.
BÉHOPÉ.
Descends avec nous chez Becker, tu prendras un verre de Champagne.
MARIOTTE.
Et moi deux.
MAURICE, à Mariotte.
Gare alors !
MARIOTTE, à Bracony.
Viens donc, tu verras madame Cordier.
BRACONY.
J’aimerais mieux voir Roujon.
Scène VII
DOMINIQUE, ANTOINETTE
DOMINIQUE.
Mets-toi là, mon chéri, et causons.
ANTOINETTE.
Tu es bien sérieuse. De quoi s’agit-il ?
DOMINIQUE.
De ton mari.
ANTOINETTE.
De mon mari ? Quelle drôle d’idée !
DOMINIQUE.
Il est venu me voir hier.
ANTOINETTE.
Ah !
DOMINIQUE.
Et il doit revenir tout à l’heure.
ANTOINETTE.
Je ne tiens pas à me rencontrer avec lui.
DOMINIQUE.
Ne crains rien, j’ai donné des ordres.
ANTOINETTE.
Explique-toi, j’écoute.
DOMINIQUE.
Tu vas être bien étonnée.
ANTOINETTE.
Dis toujours.
DOMINIQUE.
Tu ne devines pas ?
ANTOINETTE, comprenant.
Non ? Ce n’est pas possible ?
DOMINIQUE.
Si.
ANTOINETTE.
Il veut se réconcilier avec moi ?
DOMINIQUE.
Je suis chargée de te redemander ta main.
ANTOINETTE,
Il est fou.
DOMINIQUE.
Pour que j’aie consenti à plaider sa cause, il faut qu’il m’ait paru sincère, tu comprends.
ANTOINETTE.
Il a de l’aplomb... Au fait, je ne suis pas si étonnée que ça, puisque sa maîtresse l’a remercié.
DOMINIQUE.
Raymond n’a jamais cessé de t’aimer.
ANTOINETTE.
Je connais le refrain.
DOMINIQUE.
Je te jure que je le pense.
ANTOINETTE.
Quand on aime une femme, on ne vit pas pendant cinq ans avec une autre.
Un silence.
DOMINIQUE.
Tu as un enfant.
ANTOINETTE.
Hélène n’a que six ans. Son avenir est encore loin.
DOMINIQUE.
Tu as cependant refusé de divorcer à cause d’elle...
ANTOINETTE.
J’ai été stupide. Ces choses-là n’ont pas d’importance aujourd’hui.
DOMINIQUE.
Un peu, tout de même.
ANTOINETTE.
Est-ce que tu crois que les folies de son père ne lui feront pas autant de tort qu’un divorce ?
DOMINIQUE.
En commettant ces folies, Raymond n’en a pas pesé les conséquences, car il adore cette petite, tu ne peux le nier.
ANTOINETTE.
N’empêche qu’il est resté deux ans sans s’inquiéter d’elle.
DOMINIQUE.
Mais depuis trois ans, il ne perd aucune occasion de la voir.
ANTOINETTE.
Ne parlons plus de ça, veux tu ?
DOMINIQUE.
Alors sérieusement, il ne faut pas que je continue ?...
ANTOINETTE, gravement.
Quand Raymond est parti, j’ai eu des jours très durs. À présent, je sais vivre seule. Je n’ai pas envie de renoncer à ma liberté.
DOMINIQUE.
Quel amour de l’indépendance ! Je ne te reconnais pas.
ANTOINETTE.
Je serai donc toujours une petite fille pour toi ?
DOMINIQUE.
Il me semble pourtant que tu as grandi tout à coup.
ANTOINETTE.
Tu trouves ?
DOMINIQUE.
Il y a quelque chose de nouveau dans ta vie, n’est-ce pas ?
ANTOINETTE.
Rien, je t’assure.
DOMINIQUE.
Jadis, tu ne mentais pas avec moi.
ANTOINETTE.
On change quelquefois plus en trois mois qu’en plusieurs années.
DOMINIQUE.
Si je ne te tenais pas pour la plus raisonnable des femmes, je jurerais que tu aimes quelqu’un.
ANTOINETTE.
Tiens, je ne parviendrais pas à te le cacher ; autant te l’avouer tout de suite.
DOMINIQUE, vivement.
Toi aussi ? Ah ! ma pauvre petite, je te plains. Tu ne sais pas ce qui t’attend.
ANTOINETTE.
Je n’ai pas peur.
DOMINIQUE.
Tu peux te préparer à souffrir, et cette fois, d’une souffrance que tu ne soupçonnes pas.
ANTOINETTE.
Il y a des amours heureuses.
DOMINIQUE.
Je ne connais pas celui que tu aimes. C’est probablement ce qu’on appelle un galant homme. Mais, si loyal, si délicat qu’il puisse être, il doit ressembler aux autres. Le plus chevaleresque est encore une canaille.
ANTOINETTE.
Voilà des paroles bien solennelles.
DOMINIQUE.
Tu as raison, ma sor.tie est ridicule. Je dis des choses amères et banales, comme les vieilles gens qui ont de l’expérience. Entre nous, j’ai vu pas mal de désastres autour de moi.
ANTOINETTE.
Les chagrins des autres ne donnent pas toujours autant d’amertume.
DOMINIQUE, brusquement.
Eh ! mon Dieu, j’ai peut-être eu un amant autrefois, et j’ai peut-être été trompée.
ANTOINETTE.
Toi ?
DOMINIQUE.
Oui, moi. Il y a longtemps ; sache-le, si cela peut te servir.
ANTOINETTE.
Ma chère Dominique !...
DOMINIQUE.
Il était né infidèle et je fus tout de suite malheureuse. Ça n’a pas été long.
ANTOINETTE.
Tu étais si belle, pourtant !
DOMINIQUE.
La première fois, je me suis révoltée, j’ai crié, et j’ai pardonné. Puis, ce fut une autre trahison, puis une autre, et puis toujours. Notre vie devint un duel furieux et quotidien, où je déshonorai ce qui me restait de fier, et lui ce qui lui restait de bon.
ANTOINETTE.
Ma pauvre amie.
DOMINIQUE.
J’ai connu par cet homme que j’adorais toutes les humiliations, toutes les angoisses, toutes les tortures, les plus atroces et les plus variées. Jamais amant n’a déployé pareille ingéniosité pour martyriser sa maîtresse. Et je m’étonne vraiment de la somme de souffrances qu’une créature humaine peut supporter. Je m’étonne d’être vivante et de ne pas être une brute.
ANTOINETTE.
Tu m’épouvantes.
DOMINIQUE.
Je voulais le garder à tout prix, mais mes capitulations ne servirent à rien. J’ai eu beau faire, j’ai été lâchée, lâchée brutalement. Un jour, il n’est pas revenu.
ANTOINETTE.
Le misérable !
DOMINIQUE.
Comment et pourquoi s’est accomplie cette rupture, je me le demande encore. Il est parti sans une explication, sans même prononcer les paroles de haine qui permettent de répondre et d’espérer. Quand la porte se referma sur lui, je croyais qu’il allait remonter une heure après. Et, pendant des semaines, des mois, des années, je l’ai attendu, comme on attend ces marins disparus depuis longtemps, et dont la mort est incertaine.
ANTOINETTE.
C’est effroyable.
DOMINIQUE, allumant une cigarette.
Voilà pourquoi j’ai de l’amertume et même un peu de rancœur.
ANTOINETTE.
Mais comment se fait-il que je n’aie jamais su un mot de cette histoire ?
DOMINIQUE.
Tu n’étais qu’une gamine alors. Tout cela s’est passé avant ton mariage.
ANTOINETTE.
Raymond aurait pu m’en parler.
DOMINIQUE.
Il a ignoré ces événements.
ANTOINETTE.
Raymond ?
DOMINIQUE.
Il avait été si lié avec mon mari que je n’ai pas osé le mettre au courant. J’avais beau être veuve et libre, ça m’a gênée.
ANTOINETTE.
Comme tu as dû souffrir quand tu as compris la vérité !
DOMINIQUE.
J’ai été aussi près de la folie qu’on peut l’être. Soit dit en passant, je crois qu’il m’est resté un grain de cette secousse-là.
ANTOINETTE
Tu es bête.
DOMINIQNE, gaiement.
Mon Dieu, Maurice Arnault le prétend quelquefois.
ANTOINETTE.
Il t’aime bien, celui-là.
DOMINIQUE.
Cher Maurice ! je l’ai trouvé à ce moment difficile... Il faut être juste, d’ailleurs. Tout le monde a été bon pour moi : Mariotte, Bracony... Aucune des consolations ordinaires ne m’a manqué.
ANTOINETTE.
J’aurais voulu être là.
DOMINIQUE.
Et puis je me suis mise à travailler, à travailler sérieusement, comme un homme, à travailler sans cesse. Le travail empêche de penser... il n’y a pas que le bonheur d’agréable.
Elle essuie une larme.
ANTOINETTE.
Tu pleures ?
DOMINIQUE, gaiement.
Rassure-toi. Ce n’est pas le chagrin, c’est ma cigarette, tout simplement... Un peu de cendre...
ANTOINETTE.
Du passé.
DOMINIQUE.
Non, non, Dieu merci, mon cœur est tranquille. Les mauvais jours sont loin. Mon ancien amant pourrait ouvrir cette porte, je ne changerais pas de visage.
ANTOINETTE.
Es-tu bien sûre ?
DOMINIQUE.
La meilleure preuve de ma sincérité, c’est que... nous venons de parler de Maurice Arnault, n’est-ce pas ? Eh bien, il voudrait m’épouser et je ne réponds pas que...
ANTOINETTE.
En effet, on m’a rapporté...
DOMINIQUE.
Oh ! rien n’est décidé encore... et puis, c’est si grave de se mettre dans le lit d’un monsieur quand on en a perdu l’habitude.
ANTOINETTE.
Ta drôlerie l’emporte sur ta tristesse.
DOMINIQUE.
Pour en revenir à toi, mon mignon, maintenant que ma confession est finie, tache d’en profiter. Pardonne-moi si j’ai été longue. Je ne voulais te dire que deux mots, mais quand on touche à ces questions-là...
ANTOINETTE.
Je t’aime davantage à présent.
Elle l’embrasse.
DOMINIQUE.
Alors, puisque tu m’aimes davantage, il faut m’écouter et te réconcilier bien vite avec ton mari.
ANTOINETTE.
Je ne m’en sens pas le courage.
DOMINIQUE.
Dépêche-toi, car mon histoire d’hier est ton histoire de demain.
ANTOINETTE.
Qui sait ? J’aurai peut-être plus de chance que toi.
DOMINIQUE.
Ils sont tous les mêmes.
ANTOINETTE.
Tais-toi, je suis trop heureuse. Je ne veux pas chercher ce que l’avenir me réserve.
DOMINIQUE.
Tous les mêmes, entends-tu ?
ANTOINETTE.
Eh bien, tant pis ! Advienne que pourra. Après tout, je ne rêve pas de bonheur éternel. Je suis moins ambitieuse que toi, moi, moins romanesque. Le présent me suffît.
DOMINIQUE.
Tu es bien philosophe.
ANTOINETTE.
Et puis, tu arrives trop tard... je suis...
DOMINIQUE.
Tu es ?
ANTOINETTE
Je suis sa maîtresse.
DOMINIQUE
Dans ce cas, je n’ai plus rien à dire. Pourquoi n’as-tu pas commencé par là ? je t’aurais épargné tous ces discours.
ANTOINETTE.
Tu m’en veux ? Pardon.
DOMINIQUE.
Prends garde, cependant, veille bien sur ton bonheur. Car les dispositions pacifiques de ton mari peuvent se changer en haine.
ANTOINETTE.
Qu’ai-je à craindre ?
DOMINIQUE.
Ton refus peut l’irriter.
ANTOINETTE.
Eh bien ?
DOMINIQUE.
Eh bien ! il peut te prendre ta fille.
ANTOINETTE.
Hélène ?
DOMINIQUE.
La loi sera pour lui, s’il est prouvé que tu as un amant.
ANTOINETTE.
Et ses torts ?
DOMINIQUE.
Et les tiens ?
ANTOINETTE.
Allons donc ! Raymond est incapable d’une pareille infamie, je le connais. D’abord s’il avait dû la commettre, il l’aurait déjà commise.
DOMINIQUE.
Parce que ?
ANTOINETTE.
Parce qu’il sait plus de choses que tu ne crois.
DOMINIQUE.
Sois claire.
ANTOINETTE.
Il sait tout, et s’il ne t’en a pas soufflé mot, c’est uniquement par amour-propre, pour avoir le droit de se réconcilier, sans rien perdre de sa dignité.
DOMINIQUE.
Et tu doutes de ses sentiments.
ANTOINETTE.
Si tu veux que je te le dise, il m’a suivie plusieurs fois depuis mon retour. L’autre soir encore, vers minuit, il était posté en face de chez moi quand nous sommes rentrés.
DOMINIQUE.
Tu reçois ton amant chez toi ?
ANTOINETTE.
Mon Dieu, je ne m’imagine pas dans un appartement choisi tout exprès pour le rencontrer. Ma foi, non.
DOMINIQUE.
La prudence est quelquefois un devoir.
ANTOINETTE.
Il m’a offert de le voir ailleurs, mais j’ai refusé.
DOMINIQUE.
Il n’a pas insisté ?
ANTOINETTE.
Non.
DOMINIQUE.
Et la réputation ?
ANTOINETTE.
Je n’y songe guère en ce moment.
DOMINIQUE.
Mais lui ?
ANTOINETTE.
Un peu plus, pas beaucoup.
DOMINIQUE
Vous êtes donc fous ?
ANTOINETTE.
Presque. Je ne fais que des choses déraisonnables depuis quelque temps. C’est ma façon d’aimer. Si tu savais... Mais je préfère me sauver.
DOMINIQUE, la retenant.
Tu as peur que je ne te désapprouve ?
ANTOINETTE.
Il faut que je sois rue Cambon à six heures.
DOMINIQUE.
Rassieds-toi deux minutes. D’abord, Hélène doit venir.
ANTOINETTE.
Je ne crois pas.
DOMINIQUE.
Je l’ai rencontrée tantôt et j’ai recommandé à sa gouvernante de l’amener.
ANTOINETTE.
C’est que...
DOMINIQUE, en souriant.
Voyons, il peut bien t’attendre un peu.
ANTOINETTE, gaiement.
Ma foi, il mériterait joliment que je le fasse poser.
DOMINIQUE
Il est inexact ?
ANTOINETTE.
D’une inexactitude révoltante, cynique. Ce qui ne l’empêche pas de regarder sa montre toutes les cinq minutes.
DOMINIQUE.
J’ai connu quelqu’un qui avait cette manie.
ANTOINETTE.
Mais quelle femme refuserait de pardonner lorsque...
Un silence.
DOMINIQUE.
Tu peux bien me parler de toi, je ne suis plus malheureuse.
ANTOINETTE.
Je voulais simplement dire qu’il trouve toujours le moyen de me désarmer. Un jour, c’est une parole tendre ; un autre jour, une galanterie...
DOMINIQUE.
Exemple ?
ANTOINETTE.
Hier, nous avons dîné ensemble. Il est arrivé en retard, selon son habitude, mais il m’apportait deux volumes du XVIIIe siècle.
DOMINIQUE.
Les Liaisons dangereuses, je parie.
ANTOINETTE.
Non, les Confessions de Jean-Jacques.
DOMINIQUE, frappée.
Ah !
ANTOINETTE.
Un de ses livres préférés.
DOMINIQUE, curieuse.
Assieds-toi donc.
ANTOINETTE.
Puisque tu l’exiges.
DOMINIQUE.
Et probablement, vous en avez lu quelques pages dans la soirée ?
ANTOINETTE.
Après avoir fait jouer la petite.
DOMINIQUE.
Ta fille raime ?
ANTOINETTE.
C’en est honteux.
DOMINIQUE.
Il l’enjôle comme sa mère.
ANTOINETTE.
Comme il t’enjôlerait.
DOMINIQUE.
Alors il est charmant.
ANTOINETTE.
Un peu nerveux, mais il communique sa vie à tout ce qui l’entoure. Quand il n’est pas là, l’appartement semble vide. Les êtres et les choses ont l’air mort. Il emporte avec lui la lumière et la chaleur.
DOMINIQUE.
Heureusement qu’il revient !
ANTOINETTE.
Son coup de sonnette un peu sec
Mouvement de Dominique.
fait sauter de joie la maison entière, moi, Hélène, le petit chien et jusqu’à la bonne allemande. Si je te disais que ses créanciers l’adorent !...
DOMINIQUE.
Il a des créanciers ?
ANTOINETTE.
Il est joueur.
Mouvement de Dominique.
DOMINIQUE.
Comment ! Tu aimes un monsieur qui a ce vice-là ?
ANTOINETTE.
Et bien d’autres.
DOMINIQUE.
Toi si sage, si régulière ?
ANTOINETTE.
Crois-tu que je traverse une crise, hein ? Grand Dieu ! S’il y a un homme dont je n’aurais jamais dû m’éprendre, c’est bien celui-là. Figure-toi... Non, une autre fois...
DOMINIQUE, la faisant rasseoir.
Il attendra.
ANTOINETTE.
Figure-toi le contraire du bon sens, un être exaspérant. Il suffît qu’une chose soit insensée pour qu’elle lui plaise, et il suffît qu’elle lui plaise pour que je la fasse.
DOMINIQUE.
Tu protestes en dedans.
ANTOINETTE.
Je passe mon temps à le blâmer et à me soumettre. C’est à Londres que je l’ai rencontré...
Mouvement de Dominique.
mais c’est un Français.
DOMINIQUE.
Tu n’as pas besoin de le dire.
ANTOINETTE.
N’est-ce pas ?
DOMINIQUE.
Est-ce qu’il est jeune ?
ANTOINETTE.
Ni jeune, ni beau, mais partout où il se trouve, on ne peut regarder que lui.
DOMINIQUE.
Si ton malheur était plus grand que je ne pensais ?
ANTOINETTE.
Que vas-tu m’apprendre ?
DOMINIQUE.
Il n’y a qu’un homme qui ressemble à celui-là, je n’en connais qu’un seul... Mais non... Ce n’est pas possible... tu ne l’as jamais vu... C’est un autre que tu aimes, ce n’est pas lui...
ANTOINETTE.
C’est...
DOMINIQUE.
Faut-il que le même nom soit aussi sur tes lèvres ?
ANTOINETTE.
C’est lui qui t’a fait souffrir ?
DOMINIQUE.
Oui.
ANTOINETTE.
François Prieur ?
DOMINIQUE.
Il ne te l’a donc pas raconté ?...
ANTOINETTE.
Non, je te le jure.
DOMINIQUE.
Comment ! il ne s’en est pas vanté ?
ANTOINETTE.
T’aurais-je parlé de lui, si j’avais su ?
DOMINIQUE.
Je comprends pourquoi tu étais si rare depuis quelque temps. Parbleu ! il t’empêchait de venir.
ANTOINETTE.
Tu te trompes.
DOMINIQUE.
Il ne t’a jamais prononcé mon nom ?
ANTOINETTE.
Je lui ai seulement entendu dire une fois que vous vous étiez perdus de vue depuis longtemps.
DOMINIQUE.
Voilà tout ?
Un silence.
ANTOINETTE, curieuse à son tour.
Vous êtes voisins à Chaville, n’est-ce pas ?
DOMINIQUE.
Oui.
ANTOINETTE.
Alors ?...
DOMINIQUE, contrainte.
Je m’y étais installée avec Odile au moment de mon deuil. Je vivais là, depuis deux ans, très obscure et très seule, lorsqu’un jour...
ANTOINETTE.
Lorsqu’un jour ?
DOMINIQUE.
Bracony m’apporta un volume sur le Tonkin, où il était question de mon mari et de sa mort si triste à la tête de ses hommes.
ANTOINETTE
Le livre de François ?
DOMINIQUE.
Naturellement, j’ai désiré le remercier, et c’est de cette façon que nous nous sommes connus.
ANTOINETTE.
Je comprends.
DOMINIQUE.
Il revenait de là-bas avec une blessure. Il boitait encore un peu, je me rappelle.
ANTOINETTE.
Mais pourquoi ne vous êtes-vous pas mariés ?
DOMINIQUE.
Que veux-tu ? Les choses sont arrivées avant les raisonnements. Nous n’y avons jamais songé ni l’un ni l’autre.
Antoinette se lève brusquement.
Tu t’en vas ?
ANTOINETTE.
Il est six heures passées.
DOMINIQUE.
Tu n’attends pas Hélène ?
ANTOINETTE.
Je suis trop en retard.
DOMINIQUE.
Toi, tu es jalouse.
ANTOINETTE.
Oh ! Dominique, peux-tu dire un mot pareil ?
DOMINIQUE.
Sois franche.
ANTOINETTE, baissant la tête.
Ça m’a fait quelque chose, tout de même.
DOMINIQUE.
Puisque c’est le passé, voyons.
ANTOINETTE, l’embrassant.
Je t’adore.
Elle sort.
DOMINIQUE, seule, avec accablement.
Elle va le retrouver.
ACTE II
Même décor.
Scène première
DOMINIQUE, BRACONY
Dominique debout, près du buste inachevé ; elle semble absorbée, lorsque Bracony ouvre joyeusement la porte.
BRACONY.
Vous savez, je ne suis plus triste.
DOMINIQUE.
Ah !
BRACONY.
Je ne suis plus triste.
DOMINIQUE.
Mettez-vous là et racontez.
BRACONY.
À quoi bon vous ennuyer de mes affaires ?
DOMINIQUE.
Quand elles sont arrangées ?
BRACONY.
Vous tenez donc beaucoup à vous occuper de moi ?
DOMINIQUE.
Je vous ai un peu maltraité tout à l’heure, vous m’en voulez ?
BRACONY.
Dieu m’en garde !
DOMINIQUE.
Alors, soyez moins mystérieux.
BRACONY.
Eh bien, je crois que demain...
DOMINIQUE.
La bonne nouvelle !
BRACONY.
Je viens de rencontrer un député qui sortait des Beaux-Arts, et...
DOMINIQUE.
Et ?
BRACONY.
Je ne puis vous en dire davantage. La moindre indiscrétion, vous comprenez...
DOMINIQUE.
Merci.
BRACONY.
Je vous ai blessée ?
DOMINIQUE, haussant les épaules.
Voyons.
BRACONY.
Tant mieux.
Fredonnant.
« Les donneurs de sérénades
Et les belles écouteuses. »
DOMINIQUE.
Ah ! ne chantez pas, je vous en prie.
BRACONY.
Vous n’aimez plus le divin Fauré ?
DOMINIQUE.
Pas en ce moment.
BRACONY, avec humeur.
Vous allez être mélancolique.
DOMINIQUE.
Je suis très ennuyée.
BRACONY.
La visite d’Antoinette ?
DOMINIQUE.
Je n’ai pas pu obtenir d’elle ce que je désirais.
BRACONY, prêt à sortir.
Bah !
Scène II
DOMINIQUE, BRACONY, MARIOTTE, BÉHOPÉ
MARIOTTE, étourdiment.
Qu’est-ce que vous lui vouliez donc, à madame Bellangé ?
DOMINIQUE.
La réconcilier avec son mari.
BÉHOPÉ.
Rien que ça ?
DOMINIQUE.
C’est Raymond lui-même qui m’avait chargée de la voir.
MARIOTTE.
Vous ne m’étonnez pas. Il parlait beaucoup d’elle depuis quelque temps.
BRACONY.
Elle ne veut pas se raccommoder.
MARIOTTE.
Dame, à sa place, ce remariage ne me tenterait guère. Bellangé n’est pas jeune.
BÉHOPÉ.
Avec sa barbe blanche à la Meissonier, il a l’air d’un fleuve.
BRACONY.
Dont le lit vous glacerait.
MARIOTTE.
Brrr...
BÉHOPÉ.
Et puis, elle a peut-être un roman dans sa vie, cette petite femme, quelque histoire en train.
DOMINIQUE.
Toinon ? Vous plaisantez.
MARIOTTE, vivement.
Béhopé a raison. Elle a une histoire en train. Et même, avec un monsieur que vous connaissez.
DOMINIQUE.
Qui ça ?
MARIOTTE.
Un diplomate.
BRACONY, à part.
Diable !
DOMINIQUE.
Vraiment ?
MARIOTTE
Qu’on voit plus souvent à Paris...
Il s’arrête.
DOMINIQUE, achevant.
Qu’à Londres.
MARIOTTE.
Vous y êtes.
BRACONY, à Mariotte.
Gaffeur !
BÉHOPÉ.
Le champagne !
DOMINIQUE, à Bracony.
Laissez-le donc parler. Voyons. Ça ne peut plus m’émouvoir aujourd’hui.
MARIOTTE.
Ce serait malheureux.
DOMINIQUE.
Je comprends tout ce que la délicatesse vous empêche de me révéler, mon cher Mariotte. Seulement, vous faites fausse route, je vous en avertis.
MARIOTTE.
Alors, je voudrais bien savoir quel plaisir ils peuvent trouver à se promener toujours ensemble. Le mois dernier, je les ai rencontrés deux fois dans le parc de Saint-Cloud et l’autre jour, Miette s’est cognée contre eux à la porte Jaune.
BRACONY.
Le champagne opère.
MARIOTTE.
Et quand celui-là se promène trois fois avec une femme, ce n’est pas pour des prunes.
BÉHOPÉ.
C’est pour des pommes.
DOMINIQUE.
Quelle bêtise ! Si j’étais la maîtresse de tous les hommes avec qui on me rencontre, j’aurais une triste réputation, et je serais rudement fatiguée.
MARIOTTE.
J’ignore s’ils étaient fatigués. Toujours est-il qu’ils avaient un air chose.
BÉHOPÉ.
Anacréon prétend qu’il y a un je ne sais quoi, un petit signe auquel on reconnaît les amoureux.
DOMINIQUE.
Vous avez lu Anacréon, vous ?
BÉHOPÉ.
J’ai trouvé ça dans Sainte-Beuve.
DOMINIQUE, à Mariotte.
Vous avez vu le petit signe ?
MARIOTTE.
Non. Mais j’ai vu le je ne sais quoi.
DOMINIQUE.
Vous aviez la berlue, mon cher. Ensuite l’homme dont vous parlez passe pour être depuis longtemps l’amant de madame...
MARIOTTE.
Une Américaine ?
DOMINIQUE.
Très connue.
MARIOTTE.
Vous retardez, ma chère Dominique. Il y a beau jour que cette aventure est finie.
DOMINIQUE.
Vous vous trompez.
MARIOTTE.
Voilà au moins deux ans.
DOMINIQUE.
Elle dure encore.
MARIOTTE.
Saperlotte, j’ai de bonnes raisons pour savoir le contraire, puisque...
DOMINIQUE.
Puisque ?...
BRACONY.
Accouche.
MARIOTTE.
Mais...
BÉHOPÉ.
Faut-il les fers ?
MARIOTTE.
Elle va encore me traiter d’indiscret.
DOMINIQUE.
Vous lui avez succédé ?
MARIOTTE.
Eh bien ! oui, là.
BRACONY.
Entre Miette et madame Cordier ?
MARIOTTE.
Avant.
DOMINIQUE.
Miette, madame Cordier, l’Américaine, quelle salade !
BÉHOPÉ.
Poivrée.
MARIOTTE.
Pas tant que ça, mes amis. Ce qu’on est volé !...
DOMINIQUE.
Est-ce que par hasard votre Américaine était aussi fragile que Miette ?
MARIOTTE.
Elle n’avait pas ce défaut.
DOMINIQUE.
Elle en avait un autre ?
MARIOTTE.
Elle manquait de tact.
DOMINIQUE.
Ah bah !
MARIOTTE.
Elle me parlait tout le temps de mon prédécesseur ; et cela en termes désobligeants pour mon amour-propre.
DOMINIQUE.
Je réclame des détails.
MARIOTTE.
Ce n’est pas ce que vous croyez.
BÉHOPÉ.
Précise.
MARIOTTE.
Vous ne me gronderez pas après
BRACONY.
Marche donc, puisque tu as commencé.
MARIOTTE.
Eh bien ! quand ils étaient ensemble, comme cette femme est mariée et qu’on ne peut pas l’aimer à domicile, il avait arrangé pour elle une petite maison à Saint-James, à la porte du Bois.
DOMINIQUE.
La nature attendrit.
MARIOTTE.
Quelque chose de rare et de stimulant, paraît-il, une extravagance de libertin, faite pour donner du vice à la plus innocente.
BRACONY.
Il n’est donc pas ruiné ?
MARIOTTE.
Lorsqu’arriva mon tour, mêmes difficultés, mêmes précautions. Seulement cette fois, ce ne fut qu’un modeste rez-de-chaussée, rue Lincoln.
BRACONY.
Près de la place des États-Unis.
DOMINIQUE.
Afin qu’elle ne fût pas trop dépaysée.
MARIOTTE.
Un rez-de-chaussée agréable pourtant. J’avais rassemblé là tout ce que l’amour et l’expérience peuvent conseiller ; mais malgré mon génie, ce n’était pas ça.
DOMINIQUE.
Elle regrettait l’ancien cadre.
MARIOTTE.
Et à chaque rendez-vous, elle me servait la petite maison de Saint-James : « Ah ! là-bas, on était plus confortable. En voilà un qui comprend les femmes ! J’aime bien mieux le Louis XV que le Louis XVI... »
BRACONY.
Et cætera, et cætera.
DOMINIQUE.
Elle croyait qu’avec tous les Français, ce serait pareil.
MARIOTTE.
C’était toujours la même chanson.
DOMINIQUE.
À n’importe quel moment.
BRACONY.
Jusque sur l’oreiller !
MARIOTTE.
N’est-ce pas ? il y a des minutes où on préférerait ne pas causer du mobilier.
DOMINIQUE.
Vous avez du tact à revendre, mon cher, et vous auriez pu donner des leçons à votre ancienne amie, mais jusqu’ici votre histoire ne prouve pas qu’Antoinette Bellangé soit la maîtresse de François Prieur. Pourquoi ne pas dire son nom tout haut ?
MARIOTTE.
Je garde mon opinion.
BRACONY.
Eh bien ! si tu dis vrai, elle sera vite lâchée, celle-là.
DOMINIQUE.
Son affaire est claire.
BÉHOPÉ, renchérissant.
Ce ne sont pas les scrupules qui arrêteront François, je vous le garantis.
DOMINIQUE, avec amertume.
Alors il continue son éternel rôle d’amant. Il n’a pas encore fini, à quarante ans !
BÉHOPÉ.
Sonnés.
DOMINIQUE.
Toujours le même ! Il ne perd aucune occasion d’être ému, et il ne parvient jamais à l’être complètement Quel cœur infatigable !
BRACONY.
Puisqu’il habite Londres, pourquoi fait-il l’amour à Paris ?
MARIOTTE.
Et on appelle ça un diplomate !
BÉHOPÉ.
Diplomate aujourd’hui, comme il était homme de lettres autrefois.
BRACONY.
Pas sérieux.
BÉHOPÉ.
Amateur en tout.
DOMINIQUE.
Très habile pourtant dès qu’il s’agit de commettre une vilaine action.
MARIOTTE.
Parions qu’il a conservé la maison de Saint-James.
DOMINIQUE.
Elle sert sans doute à ses différents bonheurs, quand il est ici.
BÉHOPÉ.
Le même lit pour toutes !
DOMINIQUE.
Ça, c’est l’indélicatesse classique.
BRACONY.
Il faudra demander à Toinon si elle la connaît.
BÉHOPÉ.
J’en doute. Il doit l’aimer dans un autre quartier.
DOMINIQUE.
Pourquoi donc ?
BÉHOPÉ.
Par prudence. Raymond ne demeure pas loin du Bois.
DOMINIQUE.
Vous verrez qu’un jour, il se fera casser la tête par un mari.
BRACONY.
Espérons-le.
DOMINIQUE.
Et c’est à ces hommes de joie qu’on se donne ; c’est pour ceux-là qu’on pleure. Ce sont les seuls qui nous plaisent. Quelle humiliation !
MARIOTTE.
Dites donc, en voilà un à qui le mensonge ne fait pas peur, hein ?
BÉHOPÉ.
Il ment comme il respire.
BRACONY.
Et on ne peut pas rester cinq minutes sans respirer, c’est établi.
MARIOTTE.
Un vrai mufle, quoi !
DOMINIQUE, à Mariotte, avec colère.
Tout mufle qu’il est, il a encore une supériorité sur vous, mon cher ami.
MARIOTTE.
Laquelle, je vous prie ?
DOMINIQUE.
C’est de ne pas s’occuper-de sa figure. S’il était là, il ne rôderait pas autour de cette glace, comme vous le faites depuis un quart d’heure.
MARIOTTE.
Il est sûr de lui, probablement.
DOMINIQUE.
Dans tous les cas, il n’a jamais semblé s’apercevoir qu’il était mieux que les autres hommes.
MARIOTTE.
Vous croyez ?
DOMINIQUE.
Calculée ou non, cette insouciance de sa personne l’a préservé de votre élégance lamentable, car, permettez-moi de vous le dire, vous pratiquez le dandysme jusqu’au ridicule et par dessus le marché, en matière de femmes, vous n’êtes pas plus délicat que lui.
MARIOTTE.
En attendant, je n’ai pas fait verser autant de larmes.
DOMINIQUE.
Parce qu’on ne vous aimait pas, parbleu !
BRACONY.
Tu es collé.
DOMINIQUE.
On ne cause la mort de personne quand on ressemble à Louis-Philippe comme vous, ou qu’on a une tête de créancier comme Bracony.
MARIOTTE.
Attrape.
BRACONY.
Vous vous retournez contre nous à présent ?
BÉHOPÉ.
Pourquoi cette volte-face ?
MARIOTTE.
François ressuscite.
DOMINIQUE.
Laissons les morts tranquilles, s’il vous plaît. Vous tapez trop sur lui, voilà tout.
BRACONY.
C’est vous qui avez commence.
DOMINIQUE.
Il ne fallait pas continuer,
BÉHOPÉ.
Elle est raide celle-là.
DOMINIQUE, s’exaltant peu à peu.
En vérité, vous êtes plus royalistes que le roi. Je me demande un peu ce qu’il vous a fait, M. Prieur. Qu’avez-vous à lui reprocher ?
BRACONY.
La question n’est pas là.
DOMINIQUE.
D’ailleurs, quels que soient ses torts, il n’y a que moi dans cette maison, il n’y a que moi seule ici qui aie le droit d’en dire du mal.
BÉHOPÉ.
Admettons.
DOMINIQUE.
Et puis, et puis, tout ce que vous recherchez, tout ce que vous inventez ne l’atteint pas.
MARIOTTE.
Quelle puissance d’oubli !
DOMINIQUE.
Ses méfaits ne sont que des fautes d’amour, et l’honneur d’un homme n’a jamais été entamé, que je sache, pour des maîtresses quittées ou trahies.
BRACONY.
La logique des femmes.
DOMINIQUE.
Je vous étonne, mais est-il moins généreux, moins intelligent, parce que j’ai été sa victime ? Pourquoi ne lui appliquez-vous pas les théories que vous prôniez tantôt, vous tous qui avez éprouvé son amitié, qui avez utilisé sa nature désintéressée et fière ?
BRACONY.
Il a des vertus, maintenant.
DOMINIQUE, à Bracony.
Il vaut encore plus par les platitudes qu’il n’a pas commises que par les qualités qu’il a. Ce n’est pas lui qui traînerait dans les ministères pour faire acheter ses croûtes ou obtenir un bout de ruban.
BRACONY.
Il aime mieux traîner dans les cercles.
DOMINIQUE.
Il joue, il perd et il emprunte, n’est-ce pas ?
BRACONY.
Quelquefois.
DOMINIQUE.
Le grand crime !
BRACONY.
Mon Dieu...
DOMINIQUE.
Il y a toujours au fond de leurs sévérités quelque chose qui venge leurs imperfections. Vous tombez sur les gaspilleurs, parce que vous êtes avare, et ce pantin-là tombe sur les débauchés parce qu’il manque de tempérament.
BÉHOPÉ.
Vous allez m’entreprendre aussi ?
DOMINIQUE, à Béhopé.
L’amour, voilà ce qui ne vous tourmente guère, hein ? L’idée d’une nuit de plaisir vous donne le frisson. Découcher ! rien que ce mot-là vous enrhume.
BÉHOPÉ.
Chacun son goût.
DOMINIQUE.
Vous vous contentez d’être l’ami de celui qui a une histoire. On vous raconte. Ça vous suffit, comme vous dites.
BRACONY.
À ton tour d’écoper.
DOMINIQUE.
Oh ! vous n’avez pas causé de déceptions aux femmes ; vous, c’est certain. En revanche, vous ne leur avez pas procuré là moindre joie et vous disparaîtrez de la vie, pareil à un figurant, sans avoir ressenti ni fait ressentir une émotion quelconque. Pauvre homme !
MARIOTTE.
Prenez garde, vous dépassez la mesure.
BÉHOPÉ.
Elle est encore plus humiliante pour moi que pour vous.
DOMINIQUE.
Parce que vous avez été plus lié que les autres avec Prieur, et que pendant des années vous avez été son clair de lune.
BRACONY, à Mariotte.
Le fait est...
DOMINIQUE.
Que diable, lorsqu’on trouve quelqu’un de si bon à imiter, on est mal venu à le juger de si haut.
BÉHOPÉ.
Toujours le même reproche.
DOMINIQUE.
Car si, par sécheresse, vous n’avez pas singé ses habitudes amoureuses, vous avez du moins pillé soigneusement ses manières, ses gestes, sa façon de parler, la plupart de ses goûts, et jusqu’à ses travers.
MARIOTTE.
Pauvre Instar !
DOMINIQUE.
Il faut croire que certains de ses défauts sont aussi précieux que des qualités, puisque aujourd’hui encore, vous vous les appropriez dès que vous cherchez à plaire.
BRACONY.
Pas bête.
DOMINIQUE.
Que de fois vous l’avez doublé, bon Dieu ! Là, vrai, l’Instar, vous n’avez pas volé votre nom. François Prieur a été inspiré du ciel le jour où il vous a baptisé.
BÉHOPÉ.
Méchante.
DOMINIQUE.
Du reste, il n’est pas le seul qui ait eu l’honneur d’être plagié par vous. Vous carottez tout le monde.
BÉHOPÉ.
Continuez, si vous voulez, je ne vous écoute plus.
DOMINIQUE.
Vous avez la maladie de l’imitation comme quelques-uns ont celle de l’originalité. Malheureusement pour vous, l’imitation ne donne pas la jouissance des choses, et encore moins le talent.
BÉHOPÉ.
Merci.
DOMINIQUE.
Vous avez beau revêtir l’âme ou le costume de chacun, vous ne vous amusez pas davantage. Vous crevez d’ennui dans la peau des autres, et quant à vos livres, n’en parlons pas !...
BÉHOPÉ.
Ça n’a pas de rapport.
DOMINIQUE.
On les coupe quelquefois, mais on ne les lit jamais.
BÉHOPÉ.
Décidément, vous allez trop loin. Je vous défends de continuer.
DOMINIQUE.
Si vous n’êtes pas content, la porte est ouverte.
MARIOTTE.
Épargnez-le, voyons.
BRACONY.
Elle a perdu la tête.
DOMINIQUE.
Et ça traite les camarades d’amateurs !... Amateur, ce joli mot dont on a fait une injure. Mais, nom d’un chien, mon petit, il y a parfois des amateurs qui sont de vrais artistes, et je connais beaucoup de gens de métier qui ne le seront jamais. C’est trop fort !
Désignant les épreuves.
la seule page un peu amusante de son bouquin a été cueillie dans le volume de François.
BÉHOPÉ.
Je vous demande pardon...
DOMINIQUE.
J’ai bonne mémoire.
BRACONY.
Je me disais aussi !...
DOMINIQUE.
D’abord, tous, vous le détestez depuis longtemps. Oui, tous. Cette haine commune est votre trait d’union. Vous l’avez toujours exécré à cause de sa chance auprès des femmes.
BRACONY.
Je m’en fiche un peu de ses bonnes fortunes.
DOMINIQUE.
Avec ça !... Ce sont des choses que les hommes ne se pardonnent pas entre eux. Vous avez l’air de vous indigner au nom de la délicatesse, mais, au fond, vous contentez votre jalousie.
MARIOTTE.
Tenez, vous ne savez plus ce que vous dites.
DOMINIQUE.
Oui, toutes les remarques envieuses, vous les avez faites sur son compte ; vous les avez enregistrées, épinglées avec joie. Vous êtes jaloux de lui, jaloux dans les entrailles.
BÉHOPÉ.
Insultez-nous. Ça n’a pas d’importance.
DOMINIQUE.
Quelle aubaine pour vous que sa conduite envers moi ! Ah ! je peux le dire, notre rupture a été une réjouissance publique. M’avez-vous assez monté la tête ! l’avez-vous assez chargé, le malheureux ! Et quand je pense que je ne vous ai pas imposé silence, et que j’ai même été votre complice !
BRACONY, éclatant.
Vous êtes trop ingrate, à la fin ! Il faut que vous soyez folle pour nous maltraiter de cette façon.
BÉHOPÉ.
C’est la première fois que vous êtes injuste avec nous.
MARIOTTE.
Vous devez méditer quelque sottise.
DOMINIQUE.
Ça me regarde.
BRACONY.
Et nous aussi.
MARIOTTE.
Ma parole d’honneur, depuis cinq minutes, il semble que François Prieur soit redevenu le maître de cette maison.
DOMINIQUE.
Imbécile !
BÉHOPÉ.
Comment osez-vous nous comparer à un pareil homme ?
BRACONY.
Admettons que je sois intéressé. Eh bien, après ? Qu’est-ce qu’il y a d’extraordinaire là dedans ? Est-ce une raison pour être si méprisable ?
MARIOTTE.
On peut aimer les grosses femmes et être un honnête homme.
DOMINIQUE.
Vous ne comprenez rien.
BÉHOPÉ.
Je ne suis pas coureur, soit. Néanmoins, cela ne veut pas dire que j’aie tous les vices.
MARIOTTE.
Et moi, j’ai beau l’être, je ne les ai pas tous non plus. J’ai commis un certain nombre de rosseries, je le confesse ; les occasions m’ont peut-être manqué pour en commettre davantage, j’en conviens ; mais, sapristi, il me reste encore un atome de délicatesse
DOMINIQUE.
Surtout quand vous contez vos escapades.
MARIOTTE.
D’anciennes escapades.
DOMINIQUE.
Un secret n’a qu’un temps, n’est-ce pas ?
MARIOTTE.
Je connais des secrets vieux de dix ans, et je les ai gardés.
DOMINIQUE.
Sauteur !
MARIOTTE.
Ce sont des histoires plus piquantes que les miennes, et vous mériteriez bien que je vous les disse.
DOMINIQUE, frémissante.
De quelles histoires s’agit-il encore ? Parlez.
BRACONY.
Mariotte !
MARIOTTE.
Non, je suis moins méchant que vous, et pourtant notre devoir serait peut-être de vous éclairer.
DOMINIQUE.
Assez de réticences, je vous somme de vous expliquer.
BRACONY.
Mais il ne sait rien du tout, ma chère amie.
BÉHOPÉ.
Il est à moitié gris.
BRACONY.
Il ne pourrait qu’inventer.
MARIOTTE.
Puisqu’il en est ainsi !...
BRACONY.
Tais-toi donc, animal, tu as assez bavardé.
MARIOTTE.
Soit.
DOMINIQUE.
Vous avez raison. Il ne pourrait qu’inventer. S’il savait quelque chose, ce n’est pas la charité qui lui fermerait la bouche. Quand le vin lui a délié la langue, il dirait du mal de sa mère, plutôt que de ne pas parler.
MARIOTTE.
Ne me défiez pas, je vous le conseille.
DOMINIQUE.
Comment pourriez-vous garder le secret des autres, vous qui criez sur les toits le nom de vos maîtresses ? Ah ! je plains la pauvre femme qui vous demanderait un peu de mystère. Dieu fasse qu’on ne vous rencontre pas ensemble, vous lui arracheriez sa voilette du visage afin qu’on la reconnût !
MARIOTTE, à bout.
Pourtant si on venait chez moi, on ne trouverait pas ses lettres d’amour égalées sur ma table, toutes grandes ouvertes.
BÉHOPÉ.
Et tu ne les donnerais pas lire à tes amis ?
MARIOTTE.
Ou à mon domestique.
DOMINIQUE.
Comme Prieur ? C’est à lui que vous pensez.
MARIOTTE, à Bracony.
Hein ? tu te souviens, le jour où nous étions ensemble dans son cabinet de toilette ?
BRACONY.
Je n’étais pas là. Tu te trompes.
MARIOTTE, à Béhopé.
Allons donc ! Il prenait son bain, et on lui taisait les ongles, quand on lui apporta une lettre. Tranquillement, il donna l’ordre à son valet de chambre de l’ouvrir, et celui-ci la lut à haute voix, en domestique dressé à ces choses-là.
DOMINIQUE.
Vous mentez.
MARIOTTE.
J’étais présent.
DOMINIQUE.
Et c’était une lettre de femme ?
MARIOTTE.
Sur l’honneur.
À Béhopé.
Une bien plus forte encore, et du même genre.
BRACONY.
Te tairas-tu ?
DOMINIQUE.
Je veux qu’il parle.
MARIOTTE, à Béhopé et à Bracony.
Un soir chez Durand, nous étions en train de souper avec des camarades.
DOMINIQUE.
Et des filles.
MARIOTTE.
Au moment du café, le chasseur entra et lui remit un billet écrit au crayon. Une femme l’attendait en bas, dans un fiacre. Comme la lettre du cabinet de toilette, le pauvre chiffon de papier fut lu devant tout le monde, mais cette fois par lui-même, avec force commentaires. Il en fabriqua un petit bateau qu’il donna à sa voisine, et fit dire qu’il n’y avait pas de réponse.
DOMINIQUE.
Quelle infamie !
BRACONY.
Et quand par hasard il répondait, ce n’était pas plus chic. Quand j’étais avec lui en Hollande, il ne sortait pas de ses lettres sentimentales.
DOMINIQUE.
C’est-à-dire ?
BRACONY.
Il était à court de clichés, et à chaque instant, il me mendiait des épithètes amoureuses.
MARIOTTE.
Quelque chose de soigné.
DOMINIQUE.
Le sacrilège !
BÉHOPÉ.
Et maintenant, si vous désirez savoir.
DOMINIQUE, révoltée.
Assez, taisez-vous, je ne veux pas en savoir davantage. De quel droit me dites-vous cela ? C’est indigne !
Elle éclate en sanglots.
BÉHOPÉ, honteux.
Ces potins ne vous concernent pas.
DOMINIQUE.
Allons donc !
MARIOTTE.
Il s’agit d’une autre femme.
DOMINIQUE.
Vous mentez.
BRACONY.
Il ne vous connaissait pas encore.
DOMINIQUE.
Peu importe ! Je suis la dernière à qui vous deviez apprendre ces choses. Voilà une cruauté que lui n’aurait pas commise. Une cruauté inutile.
MARIOTTE.
C’est votre faute aussi, il ne fallait pas nous provoquer.
DOMINIQUE, avec désespoir.
Ah ! il lisait mes lettres devant vous. Ah ! il me tournait en ridicule. Eh bien ! il a bien fait, si je l’embêtais.
BÉHOPÉ.
Calmez-vous, Dominique.
DOMINIQUE.
Et puis, quand il aurait été lâche et perfide avec moi, rien ne prouve qu’il l’eût été avec d’autres. D’autres ont pu réussir là où j’ai échoué. Tant pis pour moi. Si j’avais eu plus d’adresse ou de charme, ce ne serait pas arrivé.
Elle pleure.
BRACONY, à Béhopé et à Mariotte.
Elle l’adore.
Scène III
DOMINIQUE, BRACONY, MARIOTTE, BÉHOPÉ, ODILE
ODILE, joyeusement.
Regarde, regarde, Dominique.
Elle lui remet une carte de visite.
DOMINIQUE, aux autres.
Tenez, voici sa carte. Il est là. Vous allez pouvoir lui dire votre façon de penser.
BRACONY.
Lui, chez vous ?
BÉHOPÉ.
Prieur ?
DOMINIQUE
Que vient-il faire dans ma vie, celui-là ?
BRACONY, affectueusement.
Prenez garde, Dominique.
MARIOTTE.
Réfléchissez.
DOMINIQUE.
Je n’ai pas peur.
ODILE.
Qu’est-ce qu’il faut que je lui dise ?
Un silence.
BÉHOPÉ.
Dominique, je vous en conjure...
MARIOTTE.
Au nom de votre repos, ne le recevez pas.
DOMINIQUE, à Odile.
Fais-le entrer.
BRACONY.
Ah ! c’est dommage.
DOMINIQUE, prenant une glace.
Cachons-les, ces cheveux blancs, puisqu’ils indiquent si mal la température du cœur.
Scène IV
DOMINIQUE, BRACONY, MARIOTTE, BÉHOPÉ, FRANÇOIS
FRANÇOIS.
Madame...
À Mariotte.
Tiens, Mariotte.
À Bracony.
Tu vas bien, Bracony ?
BRACONY.
Comme un vieux parasite.
BÉHOPÉ.
Bonjour, François.
FRANÇOIS, du bout des lèvres.
Bonjour.
BÉHOPÉ, dévisageant François.
Eh ! eh !
FRANÇOIS.
Tu me trouves fané, hein ?
BÉHOPÉ.
Tu as laissé tomber quelques cheveux par terre.
FRANÇOIS.
Tu ne les as pas ramassés.
DOMINIQUE.
Vous avez quelque chose à me dire ?
FRANÇOIS.
Si vous y consentez.
MARIOTTE, à Dominique.
Nous vous laissons.
BÉHOPÉ, prêt à sortir.
Alors aux Folies-Bergère, à dix heures.
BRACONY, à Mariotte.
Nous allons tous être fichus à la porte.
Ils sortent.
Scène V
FRANÇOIS, DOMINIQUE
FRANÇOIS.
Mon Dieu, madame, j’aurais peut-être dû vous envoyer un ami à ma place, ou vous écrire ce que je voulais vous demander.
DOMINIQUE.
Le crime n’est pas grand.
FRANÇOIS.
Pardonnez-moi cette incorrection, mais je me trouvais à deux pas de chez vous et j’étais tellement ému des choses qu’on venait de me rapporter que, ma foi, je suis monté avant de réfléchir.
DOMINIQUE.
Nous allons voir si vous avez eu raison. Le premier mouvement est quelquefois le meilleur.
FRANÇOIS.
Merci.
DOMINIQUE.
Asseyez-vous, je vous écoute.
FRANÇOIS.
Voilà... c’est que... au moment de commencer, j’hésite. À présent que je suis en face de vous, je sens tout ce que ma démarche a d’insolite et de choquant.
DOMINIQUE.
Le plus difficile est fait, pourtant.
FRANÇOIS.
Au surplus, puisqu’on parle de votre mariage, je pense que cette démarche vous semblera moins déplacée qu’à toute autre époque.
DOMINIQUE.
Dites toujours.
FRANÇOIS.
Je réclame votre indulgence... C’est de madame Bellangé qu’il s’agit.
DOMINIQUE.
Nous voilà très à l’aise. Expliquez-vous.
FRANÇOIS.
Je viens de la rencontrer. Elle sortait d’ici et elle m’a répété votre conversation.
DOMINIQUE.
Ah !
FRANÇOIS.
La confidence que vous lui avez faite, les conseils que vous lui avez donnés, et particulièrement votre opinion sur mon compte l’ont beaucoup troublée. Elle aurait avec vous un nouvel entretien de ce genre qu’elle serait femme à prendre une détermination dont je... qui... Bref, je viens vous demander de ne pas la réconcilier avec son mari.
DOMINIQUE, froissée.
Vous m’avez donc bien oubliée depuis huit ans, pour me croire capable d’une action mesquine.
FRANÇOIS.
Vous vous méprenez...
DOMINIQUE.
Vraiment, si j’étais moins modeste, je pourrais me figurer que c’est la curiosité, et non l’inquiétude, qui vous a fait sonner chez moi.
FRANÇOIS.
Je ne mets pas votre délicatesse en doute...
DOMINIQUE.
Moi, je trouve que vous l’y mettez, et je désire préciser les faits. Quand j’ai donné à madame Bellangé des conseils que n’importe quelle femme lui aurait donnés à ma place ; quand pour la préserver de mécomptes possibles, je lui ai raconté certaines déceptions de ma vie, j’ignorais que je plaidais contre vous, je ne savais même pas que vous la connaissiez...
FRANÇOIS.
Je vous crois...
DOMINIQUE.
Dès l’instant où votre nom a été prononcé, je me suis abstenue de parler de réconciliation.
FRANÇOIS.
Vous n’avez pas besoin de vous défendre...
DOMINIQUE.
Ce détail a son importance, vous en conviendrez, et madame Bellangé, qui vous a rapporté tant de choses, aurait bien dû vous rapporter de quelle façon je les avais dites...
FRANÇOIS.
Nous étions troublés tous les deux. Elle se sera mal expliquée, ou je l’aurai mal comprise.
DOMINIQUE, vivement.
C’est fâcheux. Mais vous pouvez vous rassurer l’un et l’autre, je n’ai pas l’intention de vous séparer...
FRANÇOIS, prêt à sortir.
Je vous demande pardon.
DOMINIQUE, avec émotion.
Si je revois madame Bellangé, quelle que soit l’inquiétude de ma conscience, je vous promets de réparer le tort que je vous ai causé involontairement...
FRANÇOIS.
J’en suis bien sûr...
DOMINIQUE
J’espère que vous ne me ferez pas trop mentir et que je n’aurai pas contribué au malheur d’une amie.
FRANÇOIS, avec gêne.
Vous êtes la seule à laquelle je ne peux pas expliquer mes sentiments pour une autre ; cependant vous devez bien le deviner, s’il ne s’agissait que d’une simple fantaisie, je n’aurais jamais eu l’audace de monter chez vous, après tant d’années d’ingratitude.
DOMINIQUE.
Dans ce cas...
FRANÇOIS, avec tristesse, s’animant peu à peu.
Mon Dieu, je ne veux pas dire que les choses dureront toujours. Personne n’est sûr de soi. Quel est l’homme qui ne change pas ?
DOMINIQUE.
Vous, du moins.
FRANÇOIS.
La nature humaine est si faible, si médiocre...
DOMINIQUE.
C’est le mot...
FRANÇOIS.
Chaque heure nouvelle est pleine d’embûches et de surprises... On adore une maîtresse, de bonne foi on lui donne sa vie et on lui demande la sienne en échange... et puis, il ne faut qu’un hasard, une émotion inattendue, une démarche quelconque ; et la femme choisie entre toutes devient subitement un embarras pour le cœur et la conscience...
DOMINIQUE.
Taisez-vous.
FRANÇOIS.
On s’aperçoit avec épouvante qu’elle n’est déjà plus qu’une étrangère importune, et même on se découvre une incroyable dureté, en songeant à son prochain désespoir.
DOMINIQUE.
Elle aussi !
FRANÇOIS.
Je dépasse ma pensée. Tenez, renvoyez-moi, madame, car je me sens troublé par toutes sortes de regrets, et malgré moi j’oublie en vous voyant pour qui je suis venu...
DOMINIQUE.
Vous êtes fou.
FRANÇOIS.
Je ne devrais pas le dire, mais je suis très ému, plus ému que je n’aurais supposé. Depuis que je suis là je vous regarde avec tristesse, avec étonnement, je vous regarde comme un beau livre que j’aurais lu trop jeune pour en comprendre la valeur.
DOMINIQUE.
La vie !...
Un silence.
FRANÇOIS.
Ah ! Dominique ! comment ai-je pu vous méconnaître, vous ?
DOMINIQUE.
Je n’ai pas eu de chance.
FRANÇOIS.
Quelle injustice !
DOMINIQUE.
Vous trouvez ?
FRANÇOIS.
Vous m’en avez beaucoup voulu, n’est-ce pas ?
DOMINIQUE.
J’ai beaucoup souffert.
FRANÇOIS.
Ah !
DOMINIQUE.
Faisons une croix là-dessus et n’en parlons plus.
FRANÇOIS.
Si.
DOMINIQUE.
Je préfère.
Un silence.
FRANÇOIS, tourmentant une chaise, demandant la permission de se rasseoir.
Je peux ?
DOMINIQUE, consentant.
Mais, moi aussi, je suis contente de vous voir.
FRANÇOIS.
Vraiment ?
DOMINIQUE.
Revenons à madame Bellangé.
FRANÇOIS.
Eh bien ! en y réfléchissant, il me semble...
Se levant.
C’est ici que vous vivez tous les jours ?
Feuilletant des livres.
Sully Prudhomme, Fromentin, Michelet, des âmes pures...
DOMINIQUE.
Je n’ai pas changé.
FRANÇOIS, désignant le buste de Maurice.
C’est lui ?
DOMINIQUE.
Allons, ne commencez pas à manquer de tact.
FRANÇOIS.
Pardon, je suis comme un enfant qui ne se rend pas compte de son émotion, et qui rit lorsqu’il devrait pleurer...
DOMINIQUE.
Soyez léger, j’aime encore mieux ça.
FRANÇOIS.
Aucun objet, pas un souvenir de moi dans cette chambre.
DOMINIQUE.
En cherchant bien.
FRANÇOIS.
Vous aviez de vieilles épées dans le temps.
DOMINIQUE.
Elles sont restées à Chaville.
FRANÇOIS.
Vous y êtes retournée quelquefois ?
DOMINIQUE.
Rarement.
FRANÇOIS.
Vous avez beau faire, votre maison est toujours voisine de la mienne.
DOMINIQUE.
Comment la vôtre n’a-t-elle pas changé de place ? Je me le demande.
FRANÇOIS.
Les choses sont moins capricieuses que nous... Je la regardais ce matin.
DOMINIQUE.
Vous êtes donc là-bas en ce moment ?
FRANÇOIS.
Depuis quelques jours... La haie est plus haute entre nos deux jardins... C’est sérieux, votre mariage ?
DOMINIQUE.
Presque.
FRANÇOIS, considérant une ébauche.
Bien trouvé, ce mouvement. Vous êtes une véritable artiste, on a raison de le dire.
DOMINIQUE.
Si je n’avais pas eu de chagrins, je n’aurais probablement pas travaillé
FRANÇOIS.
Au fond de tout talent de femme, il y a un bonheur manqué.
DOMINIQUE.
Je le crois.
FRANÇOIS.
Ça vous amuse beaucoup d’être connue ?
DOMINIQUE.
Il faut bien se contenter de ce qu’on a.
FRANÇOIS.
Alors, ce n’est pas la gloire que vous auriez choisie ?
DOMINIQUE.
Vous êtes bête.
FRANÇOIS.
Vous rappelez-vous quand je vous ai menée chez Frémiet ?
DOMINIQUE.
Lui ai-je déplu, hein ?
FRANÇOIS.
Il a refusé de vous donner des conseils.
DOMINIQUE.
J’avais pourtant une fameuse envie d’être son élève.
FRANÇOIS.
Et quelle pluie en sortant de son atelier ! Il tonnait. Nous ne pouvions pas trouver de voiture, et vous aviez une peur des éclairs...
DOMINIQUE.
Je suis toujours aussi lâche.
FRANÇOIS.
Et une fois dans ce fiacre, vous vous abritiez dans mes br...
DOMINIQUE, gaiement.
Hé, là-bas ! vous oubliez Toinette.
FRANÇOIS.
Il y a huit ou neuf ans de cela ! comme le temps file !...
DOMINIQUE.
J’ai caché mes cheveux blancs quand vous êtes entré.
FRANÇOIS.
Eh bien ! vous ne me croirez pas, vous étiez moins jolie autrefois.
DOMINIQUE.
Vous êtes bon.
FRANÇOIS.
Parole. Vous venez d’enlaidir subitement toutes les femmes que je connais.
Un silence.
DOMINIQUE.
Voyons, maintenant que tout cela est fini, dites-moi un peu, pourquoi avez-vous disparu de cette façon ?
FRANÇOIS.
Ne m’interrogez pas.
DOMINIQUE.
Je voudrais savoir.
FRANÇOIS.
Vous allez me détester si je parle.
DOMINIQUE.
C’est donc bien laid ?
FRANÇOIS.
Ne gâtons pas cette minute.
DOMINIQUE.
Vous étiez sorti avec un de vos amis, et nous devions dîner ensemble le soir même... et pas une lettre, pas la moindre explication, aucun signe de vie ! Pourquoi ?
FRANÇOIS
Pour rien.
DOMINIQUE.
Personne ne vous avait défendu de m’écrire ?
FRANÇOIS.
Personne.
DOMINIQUE.
Allons donc !
FRANÇOIS.
Ne cherchez pas de femme dans ma vilaine action, il n’y en a pas.
DOMINIQUE.
Vous en aviez assez, tout bonnement... et vous vous êtes échappé ?...
FRANÇOIS.
Si je vous avais dit adieu, je ne serais pas parti.
DOMINIQUE.
C’est encore plus triste que je ne pensais.
FRANÇOIS.
Tenez, je suis resté cinq minutes de trop.
Un silence.
DOMINIQUE, lui tendant son chapeau.
Voici votre chapeau.
FRANÇOIS.
Au revoir.
DOMINIQUE.
Adieu.
FRANÇOIS, revenant sur ses pas.
Au fait, j’y songe, et madame Bellangé ? Qu’est-ce que nous en faisons ?
DOMINIQUE.
Gardez-la.
FRANÇOIS.
Vous croyez que c’est mieux ?
DOMINIQUE.
Elle est adorable.
FRANÇOIS.
Si vous la raccommodiez avec son mari ?
DOMINIQUE.
Vous voulez encore que je me fâche.
FRANÇOIS.
Oh ! non... Mon Dieu, puisque vous l’exigez, gardons-la. Après tout la sagesse est de ce côté, et puis...
DOMINIQUE.
Vous y tenez peut-être beaucoup sans vous en douter.
FRANÇOIS.
Ah ! on ne devrait jamais monter quatre étages pour annoncer à quelqu’un qu’on est amoureux. Déjà, sur le palier du deuxième, j’éprouvais une vague sensation d’indifférence.
DOMINIQUE.
Presque de soulagement.
FRANÇOIS.
Comme chez le dentiste, quand on sonne.
DOMINIQUE.
Prenez garde, vous pourriez bien la raimer en descendant l’escalier.
FRANÇOIS.
Vous me faites peur. Bah ! je ne risque rien. Et cependant je ne regrette pas d’avoir... Elle est charmante en effet...
Il tourmente sa montre.
DOMINIQUE.
Laissez donc votre montre tranquille.
FRANÇOIS.
C’est en lui entendant prononcer votre nom que j’ai désiré la connaître, sans quoi !...
DOMINIQUE.
Ne soyez pas indélicat par galanterie.
FRANÇOIS, déposant son chapeau.
Demandez-lui si je mens.
DOMINIQUE.
Reprenez votre chapeau.
FRANÇOIS.
Ma foi, vous faites bien de me mettre à la porte, j’ai toutes sortes de bêtises sur les lèvres.
DOMINIQUE.
Déjà.
FRANÇOIS.
Je me sauve. D’abord, si je ne m’en allais pas brusquement, je ne m’en irais pas.
DOMINIQUE.
Comme autrefois...
FRANÇOIS.
Et je serais encore là demain matin...
Avec amour.
Je voudrais bien.
DOMINIQUE.
Dépêchez-vous donc.
Il veut lui baiser la main. Elle refuse.
FRANÇOIS.
On ne peut pas vous baiser la main ?
DOMINIQUE.
Mais non.
FRANÇOIS.
Tant pis... J’aurais été content de... un petit peu...
DOMINIQUE, lui tendant la main.
Soit, gamin malfaisant !
FRANÇOIS, lui baisant la main.
À la bonne heure. Et merci pour votre indulgence. Dire que j’en aurai toujours besoin !...
DOMINIQUE.
S’il n’y avait pas toujours quelque chose à vous pardonner, vous ne seriez pas vous.
FRANÇOIS.
Vous me permettez de revenir ?
DOMINIQUE.
Vaut mieux pas.
FRANÇOIS.
Alors on ne deviendra jamais de vieux amis ?
DOMINIQUE.
Impossible, vous le savez bien.
FRANÇOIS.
Essayons.
DOMINIQUE.
À quoi bon ? Je vais me marier.
FRANÇOIS.
Quelle blague !... Voulez-vous de moi après-demain à trois heures ?
DOMINIQUE.
Après-demain ? Vous êtes fou.
FRANÇOIS.
Je repars lundi pour Londres.
DOMINIQUE.
À votre retour.
FRANÇOIS.
À mon retour ? Mais je n’aurai pas de congé avant un mois.
DOMINIQUE.
Vous vous passerez de permission, voilà tout.
FRANÇOIS.
Et mon chef !
DOMINIQUE.
Combien de fois par semaine traversez-vous la Manche ? Ne mentez pas.
FRANÇOIS.
Ça dépend.
DOMINIQUE.
De la femme en train ?
Gravement.
Entre nous, avouez que j’ai de la chance d’être guérie, complètement guérie.
FRANÇOIS.
Mon Dieu...
DOMINIQUE.
Répondez honnêtement.
FRANÇOIS, avec amitié.
Eh bien ! oui, peut-être, car au fond, je n’ai pas changé, quoi que j’en dise. C’est à croire que ma destinée est de mentir et de tromper. Si vous aviez la folie de m’aimer encore, sans le vouloir, je vous ferais encore du mal, et cette fois ce serait criminel. Je préfère en décevoir une autre que vous. Adieu, Dominique.
DOMINIQUE.
Adieu.
FRANÇOIS.
Je vais tâcher de ne pas revenir.
Il sort.
Scène VI
DOMINIQUE, MAURICE, puis ODILE
Un long silence.
DOMINIQUE, charmée.
C’est lui qui est mieux qu’autrefois.
Apercevant Maurice.
Ah !
MAURICE, avec embarras.
Je devrais être là depuis longtemps, mais j’ai été obligé de passer chez votre amie, madame Bellangé.
DOMINIQUE.
Qu’est-ce qu’il y a donc ?
MAURICE.
Hélène est un peu malade.
DOMINIQUE.
Hélène ?
MAURICE.
Elle a été prise d’un accès de fièvre en rentrant et, comme sa mère était sortie, l’Allemande a eu peur et m’a envoyé chercher. Rien de sérieux.
DOMINIQUE.
Vous êtes sûr ?...
ODILE.
Le dîner est prêt... Quand tu voudras.
DOMINIQUE.
Allons...
MAURICE, un peu ému.
Ce monsieur que j’ai croisé sur le palier, c’est M. Prieur, n’est-ce pas ?
DOMINIQUE.
Oui.
Elle tombe assise et fond en larmes.
ACTE III
Un salon à la campagne. Porte vitrée. Jardin au fond. Sur une table, un groupe de marbre mutilé.
Scène première
DOMINIQUE, MAURICE, BRACONY
Ils sont assis autour d’une table et jouent au loto.
DOMINIQUE, tirant un à un les numéros d’un sac.
25.
MAURICE.
Je l’ai.
BRACONY.
Je ne l’ai pas.
DOMINIQUE.
52.
MAURICE.
Quine.
BRACONY.
Oh ! que j’ai mal à la tête !
DOMINIQUE.
Quand je pense que je joue au loto !
BRACONY.
Nous sommes idiots.
MAURICE.
Louis XVI y jouait tout le temps.
BRACONY.
Ça ne m’étonne pas de sa part.
DOMINIQUE.
15. Ne bâillez pas, c’est contagieux.
MAURICE.
Loto, lotus, sommeil, oubli.
DOMINIQUE.
Oubli... pas toujours. 39.
MAURICE.
Quelle heure avez-vous ?
BRACONY-
Cinq heures.
MAURICE.
Madame Bellangé ne se presse pas de rentrer.
BRACONY.
Elle doit être au Bon-Marché.
DOMINIQUE.
Antoinette ?
BRACONY.
Elle a une tête à exposition de gants, votre amie.
DOMINIQUE.
Ne la calomniez pas, elle est chez son avoué.
MAURICE.
Un avoué, voilà qui sent la poudre.
DOMINIQUE.
46.
BRACONY.
Elle a fait une jolie gaffe, celle-là, le jour où elle a refusé de se réconcilier avec son mari.
MAURICE.
Si maintenant, elle se ravisait, elle ne trouverait plus le même homme devant elle.
BRACONY.
Pourvu que Raymond ne lui ôte pas sa fille !
DOMINIQUE.
Je l’en défie bien. 56, 41.
MAURICE.
Je connais madame Bellangé : elle ne se laissera jamais prendre son enfant.
BRACONY.
Drôle de femme ! quoi qu’elle fasse, il faut toujours que la petite soit dans la chambre à côté.
MAURICE.
Continuons.
DOMINIQUE.
17, 26.
BRACONY.
Veine !
DOMINIQUE, à Bracony.
11. Tricheur !... Voyez, il marque des numéros qui ne sont pas encore sortis.
BRACONY.
Appelez-moi Rousselot, pendant que vous y êtes.
MAURICE.
Faut-il que Mariotte soit naïf pour s’être battu avec ce gaillard-là !
BRACONY.
Que voulez-vous ? Quand on reçoit un soufflet...
DOMINIQUE.
Mais ce n’est pas Mariotte qui a reçu un soufflet, c’est l’autre.
BRACONY.
Vous êtes sûre ?
MAURICE.
Absolument.
BRACONY.
Je regrette. Mariotte est si content de son visage que je n’aurais pas été fâché...
DOMINIQUE.
On vous a mal renseigné.
Elle se lève pour prendre une cigarette.
BRACONY.
Possible. Je me suis justement mis au lit avec la goutte, le soir de cette affaire, et je n’en ai jamais su le fin mot.
DOMINIQUE.
Je vais vous dire ce qui s’est passé.
BRACONY.
J’aime encore mieux le loto.
DOMINIQUE.
Je vais vous le dire tout de même. Vous vous rappelez la scène que je lui avais faite, ce fameux jour...
BRACONY.
Le jour de votre grande colère.
DOMINIQUE.
Eh ! bien, après avoir été tancé par moi, il grimpa chez Miette et avec toutes sortes de ménagements, il lui annonça qu’il la quittait. Mais le plus surpris des deux ne fut pas celui qu’on pense.
BRACONY.
Oh ! les femmes !
DOMINIQUE.
Elle le laissa aller jusqu’au bout, et quand il eut fini, elle lui déclara paisiblement qu’elle l’avait toujours trompé, et que sa mauvaise santé n’était qu’une comédie pour se soustraire à ses épanchements.
BRACONY.
Ce qu’il a dû être vexé !
DOMINIQUE.
Et elle ajouta que s’il conservait le moindre doute à cet égard, il n’avait qu’à se renseigner auprès de M. Rousselot, son ami de cœur...
BRACONY.
Nommé Goulatromba.
MAURICE.
Vous devinez la suite.
DOMINIQUE
Deux heures plus tard, Mariotte giflait Rousselot au café de Paris, et le lendemain, ils se battaient ici à Chaville, dans le parc de madame Hédouin.
BRACONY.
Vous n’avez produit aucun effet, vous voyez.
DOMINIQUE.
Mais vous êtes renseigné, et d’une façon authentique.
BRACONY.
Vous avez la manie de l’exactitude.
MAURICE.
Pauvre Mariotte, la franchise ne lui a pas porté bonheur.
DOMINIQUE.
Il faut savoir s’en servir, et, quand on n’en a pas l’habitude...
MAURICE.
Il n’a reçu qu’une piqûre à la main ; mais un peu plus !
BRACONY, se piquant à une gerbe de roses posée sur la table.
Bon, voilà que je me pique aussi.
Il jette les roses sur un fauteuil.
DOMINIQUE.
Ne maltraitez pas mes roses, je vous prie.
BRACONY.
Je n’aime pas les fleurs. Si jamais je possède une maison de campagne, mon jardin ne contiendra que des légumes et des fruits.
DOMINIQUE.
Tiens, le temps se couvre ; nous allons avoir de la pluie.
BRACONY.
Tant mieux, on ne sortira pas.
DOMINIQUE.
Mais nous dînons tous chez madame Hédouin ?
MAURICE.
Après le dîner, musique de Mariotte.
DOMINIQUE.
Chantée par madame Cordier.
BRACONY.
Paroles de l’Instar.
DOMINIQUE.
Tous les bonheurs.
BRACONY.
Je connais un monsieur qui n’ira pas.
DOMINIQUE.
Pas de plaisanterie. Vous êtes promis à madame Hédouin.
BRACONY.
Par qui ?
DOMINIQUE.
Par moi.
BRACONY.
Charmant.
MAURICE.
Comme elle doit être contente qu’un homme célèbre se soit battu dans sa propriété !
DOMINIQUE.
Quelle réclame !
MAURICE.
Plus d’une femme doit l’envier.
BRACONY.
On trouve des maisons pour mourir, maintenant.
DOMINIQUE, allant et venant.
Bonne madame Hédouin !
MAURICE.
Grâce à ce duel, tout Paris est dans son salon.
DOMINIQUE.
Ce n’est pas une femme, ça : c’est un endroit.
BRACONY.
Pour quelle heure la voiture ?
DOMINIQUE.
La voiture ? Mais nous sommes à cinq minutes de chez elle.
BRACONY.
Il va falloir marcher ?
DOMINIQUE.
Voilà trois jours qu’il est à la campagne, et il n’a pas encore mis le pied dehors.
MAURICE.
Et on appelle ça un paysagiste !
DOMINIQUE.
Un peintre de plein air.
BRACONY.
Toutes les promenades de l’Instar n’ont pas fait de lui un artiste.
MAURICE.
Il vous en abat des kilomètres, ce pauvre Instar.
BRACONY.
Ce n’est pas l’amour de la nature qui le conduit, allez. Il marche pour pâlir, tout simplement.
MAURICE.
Au moins, pendant qu’il trotte, il n’écrit pas.
BRACONY.
S’il était arrivé, il marcherait moins.
DOMINIQUE.
Oh ! cette bande d’hirondelles sur la maison d’à-côté !
MAURICE.
Signe d’orage.
DOMINIQUE.
Comme elles sont serrées, les unes contre les autres !
BRACONY.
Signe d’union.
MAURICE.
Pourquoi diable, regardez-vous toujours par là ?
BRACONY.
Vous avez l’air de guetter quelqu’un.
DOMINIQUE.
Je croyais voir entrer le père Bouquet dans mon atelier.
MAURICE.
Le père Bouquet ?
BRACONY.
Son praticien.
DOMINIQUE.
Je lui ai écrit de venir prendre le buste de la petite Hélène.
BRACONY.
La maquette est donc finie ?
DOMINIQUE.
Oui, et je l’attends.
BRACONY.
Blagueuse ! l’atelier est à droite, et vous regardiez à gauche.
MAURICE.
Du côté de M. Prieur.
DOMINIQUE.
Naturellement.
MAURICE.
Ah ! je comprends... ses volets viennent de s’ouvrir...
DOMINIQUE.
Docteur !
BRACONY.
Enfin, nous allons revoir ce cher François.
DOMINIQUE.
Laissez-moi tranquille avec M. Prieur, il est à Londres.
BRACONY.
Vous seriez moins nerveuse, s’il était loin.
DOMINIQUE.
Je suis très calme.
MAURICE.
Dominique, vous commettez un petit mensonge.
DOMINIQUE.
Vous n’êtes pas chargé de ma conscience. Rassurez-vous, d’ailleurs, qu’il soit ici ou à Londres, vous n’aurez pas l’ennui de le rencontrer chez moi.
MAURICE.
Il ne viendra pas voir madame Bellangé ?
DOMINIQUE.
Madame Bellangé... Vous connaissez toujours le secret des gens, vous !
BRACONY.
Surtout celui de Polichinelle.
DOMINIQUE.
Eh bien ! Qu’il vienne la voir, si c’est son bon plaisir... Je ne peux pas l’en empêcher.
BRACONY.
Avouez-le. Vous n’avez offert l’hospitalité à madame Bellangé que pour vous rapprocher de lui.
DOMINIQUE.
D’abord, je n’ai pas offert l’hospitalité à Toinon, vous le savez bien ; c’est elle qui me l’a demandée.
BRACONY.
Ça !...
DOMINIQUE.
Oui, c’est elle... Il y a quinze jours, au moment de la convalescence de sa fille... Les médecins avaient ordonné la campagne pour Hélène... rappelez-vous.
MAURICE.
Je ne nie pas.
DOMINIQUE.
M. Prieur était alors à Londres retenu par les affaires de son ambassade... Antoinette chercha une maison du côté de Versailles. Elle n’en trouva pas dans les conditions voulues et me pria de lui prêter la mienne. Rien de plus simple.
MAURICE.
En effet.
DOMINIQUE.
Vous n’allez pas me soutenir que Pair de Versailles est mauvais pour les enfants ?
MAURICE.
Non, mais il est quelquefois nuisible aux grandes personnes.
BRACONY.
Et tout ceci n’explique pas pourquoi vous, qui n’êtes ni la mère, ni l’enfant, vous êtes venue vous installer ici.
DOMINIQUE.
Je m’y suis installée parce que ça m’a plu.
BRACONY.
Je ne voulais pas vous faire dire autre chose.
DOMINIQUE.
Vous m’ennuyez à la fin ! Que diable, si j’avais eu les intentions que vous me prêtez, je ne vous aurais pas attirés chez moi.
BRACONY.
Pardon, c’est nous qui vous avons suivie.
DOMINIQUE.
Par amitié ?
BRACONY.
Par habitude.
MAURICE.
Par jalousie.
Scène II
DOMINIQUE, MAURICE, BRACONY, ODILE
ODILE, entrant avec un plateau.
Voilà pour tes hommes.
DOMINIQUE.
Tenez, buvez, mangez, et taisez-vous.
MAURICE.
Je vous désapprouve, mais je vous aime tout de même.
BRACONY.
On consomme toujours dans cette boîte.
ODILE.
Dominique, est-ce que l’Allemande peut emmener la petite jusqu’à l’entrée du bois ?
DOMINIQUE.
Il est bien tard. Et puis, Toinette dîne avec nous chez madame Hédouin. Si, en revenant de Paris, elle ne la trouve pas à la maison, elle sera inquiète.
BRACONY.
Et elle nous rasera.
DOMINIQUE.
Elle est devenue insupportable depuis la scarlatine de sa fille.
MAURICE.
Hein ? Son exaltation n’était pas si maternelle, il y a un mois.
DOMINIQUE.
Les semaines se suivent et ne se ressemblent pas.
BRACONY.
Qui sait ? François Prieur est peut-être disponible.
ODILE, à Dominique.
Qu’est-ce que tu décides pour Hélène ?
DOMINIQUE.
Dis-leur de m’attendre, j’y vais tout de suite.
Béhopé entre par le fond. Odile sort par une porte latérale.
Scène III
DOMINIQUE, MAURICE, BRACONY, BÉHOPÉ
BRACONY.
Ah ! voilà Béhopé.
BÉHOPÉ.
J’ai marché deux heures.
BRACONY.
Ça t’a fait monter le sang à la tête.
BÉHOPÉ.
Vrai ?
DOMINIQUE.
D’où venez-vous donc ?
BÉHOPÉ.
De Versailles.
DOMINIQUE.
Mettez-vous dans ce bon fauteuil, je vais vous soigner.
BRACONY.
Comme vous le dorlotez !
DOMINIQUE.
Je l’ai si maltraité, l’autre jour !
BRACONY.
C’est du remords, tu entends, ce n’est pas de l’amitié.
DOMINIQUE.
Voici de la bière et des tartines.
BÉHOPÉ.
Vous êtes gentille, merci. Mais, je me réserve pour le dîner de madame Hédouin.
MAURICE.
Cinq heures et demie, il serait peut-être temps de partir.
DOMINIQUE.
Déjà ?
MAURICE.
C’est que Mariotte veut faire de la musique avant le dîner.
BRACONY.
Avant, après, toujours.
DOMINIQUE, désignant Béhopé.
Laissons-le souffler un peu.
BÉHOPÉ.
Je ne tiens pas à me reposer, moi. Partons tout de suite, si vous le désirez.
DOMINIQUE-
Soit, je vais m’habiller.
MAURICE, à Dominique.
Vous ne gardez pas cette blouse ?
DOMINIQUE.
Elle vous plaît ?
MAURICE.
Je vous aime beaucoup dedans.
BÉHOPÉ.
Je ne sais pas de quoi ça dépend, mais vous êtes plus jolie à la campagne qu’à Paris.
DOMINIQUE.
Je suis moins laide ici parce que nous sommes entre nous. Le monde ne me va pas, à moi.
BRACONY.
Elle est charmante en liberté.
BÉHOPÉ.
Elle a vingt ans.
MAURICE.
Depuis un mois.
DOMINIQUE.
Vingt ans ! quelle chance !
MAURICE.
C’est égal, je préférais la Dominique de Paris, celle qui ne mettait pas de henné dans ses cheveux.
DOMINIQUE.
Vous n’êtes jamais content, vous.
MAURICE.
Ce n’est pas de ma faute.
DOMINIQUE, se regardant dans une glace.
Voyons cette jolie femme. Hum ! pas brillante...
Avec mélancolie.
Et dire que l’année prochaine, je regretterai ce visage-là !
Scène IV
DOMINIQUE, MAURICE, BRACONY, BÉHOPÉ, ODILE
ODILE.
Tu as oublié la petite.
DOMINIQUE.
Au fait, je n’y pensais plus. Je reviens.
MAURICE.
Dépêchez-vous.
DOMINIQUE, à Maurice.
Le temps de mettre un chapeau.
À Bracony et à Béhopé.
Rangez le loto dans cette boîte, en attendant.
BRACONY.
Il faut faire le ménage, à présent ?
Elle sort.
Scène V
BRACONY, MAURICE, BÉHOPÉ, ODILE
BÉHOPÉ, à Maurice.
Docteur, vous avez vu Mariotte aujourd’hui ? Comment va sa main ?
BRACONY.
Elle est guérie.
MAURICE.
On pourrait la lui demander.
BRACONY, à Béhopé.
Au lieu de t’informer de sa santé, tu ferais bien mieux de l’inquiéter de la mienne. J’avais assez mal à la tête, quand tu es parti ce matin.
BÉHOPÉ.
Je n’en savais rien.
BRACONY.
C’est ce que je te reproche.
BÉHOPÉ.
Pardonne-moi, mon bon égoïste.
BRACONY.
J’appelle égoïste celui qui ne s’occupe pas de moi.
MAURICE, à Odile.
Est-ce que M. Prieur est à Chaville ?
ODILE.
Je ne l’ai pas vu, monsieur.
Maurice prend un journal sur la table et va s’asseoir à l’écart. Odile sort en emportant le plateau.
Scène VI
BRACONY, BÉHOPÉ, MAURICE
BÉHOPÉ, bas, à Bracony, en rangeant le loto.
Tu sais, il est ici.
BRACONY.
Ah !
BÉHOPÉ.
Je l’ai aperçu de loin, en sortant.
BRACONY.
François ?
BÉHOPÉ.
Qu’est-ce que tu dis de ça ?
BRACONY.
Je ne dis pas le contraire.
BÉHOPÉ.
Toujours chic... Il avait un chapeau d’une forme !...
MAURICE, lisant.
« Le Tzar débarquera à Cherbourg mercredi. »
BRACONY.
Encore !
BÉHOPÉ, à Maurice.
Mais, mon cher docteur, c’est un vieux journal que vous tenez là.
MAURICE.
Les choses anciennes sont quelquefois aussi intéressantes que les nouvelles.
BÉHOPÉ, bas, à Bracony.
Pauvre garçon, son mariage est dans l’eau.
BRACONY.
Pauvre Dominique, surtout.
BÉHOPÉ.
Avant huit jours, François Prieur passera par dessus la haie qui sépare les deux jardins.
BRACONY.
Et, comme je l’ai prédit, nous serons tous congédiés...
BÉHOPÉ.
Maurice sera expédié le premier.
BRACONY.
Toi, tu t’en iras à Paris à pied, ça te fera du bien...
BÉHOPÉ.
N’anticipons pas. D’abord la réconciliation ne se fera pas ici. Nous les gênerions.
BRACONY.
Mon Dieu, si Chaville est incommode, il reste toujours Saint-James.
BÉHOPÉ.
Saint-James ?
BRACONY.
La petite maison !
BÉHOPÉ.
Près du Bois ?
Scène VII
BRACONY, BÉHOPÉ, MAURICE, DOMINIQUE
DOMINIQUE.
Partez devant, mes amis : je viens de me déchirer à la grille, et il faut que je change de robe.
MAURICE, se levant.
Vous l’avez fait exprès.
BRACONY.
C’était sûr.
DOMINIQUE.
Je vous jure que non.
MAURICE.
Nous allons vous attendre.
DOMINIQUE.
J’ai peur d’être trop longue, allez-vous en.
BÉHOPÉ, à Bracony.
En route, voici ton chapeau.
DOMINIQUE.
Je vous rejoins avec Toinon.
BRACONY, hésitant.
Oh ! les environs de Paris, l’hygiène... j’ai un mal de tête !
BÉHOPÉ.
Du courage, voyons, pense un peu à Mariotte.
DOMINIQUE, à Bracony.
Un si bon camarade.
BRACONY.
Dire que j’avais la chance de n’avoir pas de famille, et que j’ai été assez bête pour me faire des amis !
DOMINIQUE, à Maurice.
Vous aussi, filez.
MAURICE.
Une minute.
BRACONY, du fond, à Béhopé.
Un peu plus tôt, un peu plus tard, il faudra bien qu’il décampe aussi.
Scène VIII
DOMINIQUE, MAURICE
DOMINIQUE.
C’est la jalousie qui vous retient ?
MAURICE.
Oui.
DOMINIQUE.
Si vous restez là pour me tourmenter, vous feriez bien mieux de les suivre. Voilà une heure que vous êtes tous après moi. J’en ai assez. Laissez-moi tranquille.
MAURICE.
Mais je ne vous dis rien.
DOMINIQUE.
Vous ne me dites rien, mais je sens déjà l’interrogation de toute votre personne.
MAURICE.
Hélas !
DOMINIQUE.
Vous n’avez pas besoin de me faire de la morale, allez. Je ne vous écouterai pas plus que je n’écoute ma conscience. Et puis, que signifient les conseils en pareil cas ? Je vous le demande un peu ! L’expérience n’a jamais démontré qu’une chose, c’est que les mêmes bêtises sont toujours recommencées par les mêmes individus...
MAURICE.
La théorie est commode.
DOMINIQUE.
Il arrivera ce qui doit arriver, tant pis. Ce n’est ni vous ni moi qui pourrons l’empêcher.
MAURICE.
Je vous aurais crue moins lâche.
DOMINIQUE.
Moi aussi.
MAURICE.
À quoi tiennent les événements ! Vous ne l’auriez pas rencontré, il y a trois semaines, à la porte d’un théâtre, que vous ne penseriez peut-être plus à lui en ce moment.
DOMINIQUE.
Quelle illusion !
MAURICE.
En supposant que vous pensiez à lui, vous n’admettriez certainement pas ce que vous admettez à l’heure qu’il est.
DOMINIQUE.
Le mal est fait depuis longtemps.
MAURICE.
N’exagérez pas. Puisqu’il avait eu l’esprit de disparaître après son étrange visite, vous n’auriez pas été le chercher, j’en suis bien sûr. Si vous ne l’aviez pas revu, peu à peu, votre fierté aidant, vous l’auriez oublié.
DOMINIQUE.
Vous ne connaissez guère le cœur humain
MAURICE.
Dans tous les cas, j’ai eu une fameuse inspiration le jour où je vous ai conduite au Tannhäuser.
DOMINIQUE.
Nous nous sommes croisés à la sortie. Il ne m’a même pas regardée. Mais rien qu’en l’apercevant, j’ai regretté de ne pas être sa maîtresse.
MAURICE.
Dominique...
DOMINIQUE.
Il m’aurait dit de le suivre que j’aurais obéi. Tenez, Maurice, allez-vous en, car je ne pourrais que vous parler de lui, et je vous ferais de la peine.
MAURICE.
Ma peine est un détail.
DOMINIQUE.
Dois-je souffrir, hein ? mon pauvre ami, pour m’entretenir de ça avec vous !
MAURICE.
Regardez mes cheveux gris, et plaignez-vous, plaignez-vous sans honte.
DOMINIQUE.
Je ne pense qu’à lui depuis ce soir-là. J’y pense tout le temps. Je ne peux pas penser à autre chose. À quoi me servirait de lutter contre moi-même ? Ma volonté est abolie, je ne suis plus libre.
MAURICE.
Comme dans la tragédie antique ! La fatalité mène l’action.
DOMINIQUE.
Oui, n’est-ce pas ? C’est à croire qu’une puissance invisible a décidé que j’appartiendrais à cet homme, que je commettrais des bassesses pour y parvenir, et qu’ensuite je serais punie de mon bonheur injuste.
MAURICE.
Lui dans votre existence, encore une lois ?
DOMINIQUE.
Pourquoi pas ?
MAURICE.
Allons donc, vous êtes folle ! Ce malheur ne s’accomplira pas.
DOMINIQUE.
Ce malheur, je le souhaite.
MAURICE.
Ne prononcez pas de mots pareils.
DOMINIQUE.
Je l’aime, je l’aime... je n’ai jamais cessé de l’aimer. Je lui pardonne tout le mal qu’il m’a fait, et tout celui qu’il va me faire encore.
MAURICE.
Vous en êtes là !
DOMINIQUE.
C’est pour lui, c’est pour le voir, c’est pour entendre parler de lui que je suis revenue dans cette maison. La chose n’était pas bien difficile à démêler, parbleu !
MAURICE.
Calmez-vous.
DOMINIQUE.
Dieu sait pourtant si ces murs ont été témoins de scènes atroces !... Je peux dire que j’ai promené ma désolation dans chacune de ces pièces. J’ai pleuré dans cette chambre, j’ai pleuré dans celle-ci, j’ai pleuré partout... Tenez, là où vous êtes, près de cette table, une soirée entière, j’ai été insultée par lui... J’entends encore sa voix méchante. Et chaque meuble pourrait raconter une histoire semblable... De chaque objet se lève un souvenir humiliant... Mais tout ici, tout, jusqu’à ce groupe à moitié brisé, atteste ses emportements...
MAURICE.
Ma pauvre amie !
DOMINIQUE.
Faut-il que je l’aime encore, pour me complaire à l’évocation de tant de souffrances !
MAURICE.
Oui.
DOMINIQUE.
Voilà, voilà ce que j’ai été si pressée de retrouver. Non, je n’ai pas offert cette maison néfaste à mon amie ; madame Bellangé m’a demandé d’y venir, la chose est exacte ; mais bien certainement, sans m’en rendre compte, j’ai dû lui en suggérer l’idée par toutes sortes d’habiletés jésuitiques.
MAURICE.
Ça vous ressemble peu.
DOMINIQUE.
Ne croyez pas que le hasard a seul dirigé les événements. Non, non, c’est parce que je l’ai voulu, qu’Antoinette est ici, que nous y sommes tous, et qu’un autre y sera bientôt.
MAURICE.
Il ne faut pas qu’il y revienne, il ne le faut pas.
DOMINIQUE.
Je me moque bien de la santé de la petite. Pauvre enfant !... Ce qui se passe dans le cœur de la mère me soucie davantage. Ah ! mon ami, qu’est-ce que votre jalousie à côté de la mienne ? Si vous saviez !... Je rôde autour de son amour avec indélicatesse... Je ne peux pas vous répéter les questions que je lui pose, et encore bien moins celles que je n’ose pas articuler. La moindre lettre que lui apporte le facteur me bouleverse. J’attends une ombre sur son visage, et je suis toute prête à profiter de son chagrin.
MAURICE.
C’est vous qui parlez ?
DOMINIQUE.
Oui, c’est moi, Dominique, moi, votre force morale à tous.
MAURICE.
Vous, si droite, si vaillante !
DOMINIQUE.
Je n’aimais pas quand j’avais tant de qualités. Résignez-vous, mon cher, je suis différente... Après tout je peux bien avoir une autre âme, puisque je me suis fabriqué une autre apparence... Est-ce que ces cheveux ne mentent pas ? Pourquoi ne mentirais-je pas aussi ?... Mais regardez-moi. N’ai-je pas changé de toutes les façons !...
MAURICE.
Hélas !
DOMINIQUE.
Est-ce que je m’arrangeais comme ça ?... Il y a un mois, mon petit Maurice, vous vous rappelez, n’est-ce pas ? Vous me prêchiez la coquetterie, vous blâmiez mon indifférence en matière de robes ! Eh bien, maintenant, je m’habille, je vais chez Doucet, je mets du henné, je m’occupe de moi, je travaille à me rajeunir... Ce que je n’ai pas fait pour vous qui m’aimez, je l’ai fait toute seule pour un autre qui ne songe même pas à moi.
MAURICE.
L’histoire habituelle.
DOMINIQUE.
J’ai trente-huit ans, et à la pensée de sa venue, je suis plus agitée qu’une jeune fille. Vous l’avez remarqué tout à l’heure, quand j’inventais mille prétextes pour ne pas sortir. Je ne vis plus depuis que ces volets sont ouverts. Je vais et viens sans cesse de la maison à la grille... J’ai l’air d’attendre un fiancé... Qu’il vienne, qu’il se hâte, puisqu’il doit venir !... Je ne pourrais pas le voir sans l’adorer... Il fera de moi ce qu’il voudra... Je lui appartiens, je suis perdue.
MAURICE.
Eh bien, je ne vous laisserai pas vous perdre, moi. Je vous défendrai, si vous ne vous défendez pas.
DOMINIQUE.
Je suis perdue.
MAURICE.
Vous manquez de courage et de volonté, voilà tout. Que diable, puisque vous avez tant de remords, pourquoi cette complaisance envers vous-même ? Comment ! ce monsieur est l’amant de votre amie, il ne vous aime pas...
DOMINIQUE.
Vous n’en savez rien, d’abord.
MAURICE.
Vous venez de le dire... Et malgré cela vous vous jetez à sa tête, vous vous offrez, sans seulement vous inquiéter si l’on voudra de vous !
DOMINIQUE.
Vous avez cent fois raison, mais je l’aime.
MAURICE.
Et votre dignité, votre orgueil ? D’ailleurs, j’ai tort de douter de vous. Vous n’êtes pas si faible que vous le prétendez. Vous parlez de la sorte parce qu’il n’est pas là, mais, en face de lui, la rancœur des choses passées se réveillerait, et probablement vous le mettriez à la porte.
DOMINIQUE.
Ou je lui donnerais toute ma vie.
MAURICE, avec chagrin.
Mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce que je pourrais bien dire, pour vous persuader ? Je le vois, mes paroles ne comptent pas. Rien ne vous émeut... vous êtes décidée à vous perdre... Ah ! si seulement je ne vous aimais pas... je trouverais les mots qu’il faut... vous me croiriez davantage... et je vous forcerais à garder le respect de vous-même.
DOMINIQUE, attendrie.
Mon cher Maurice !
Un silence.
MAURICE, doucement.
Reprenez-vous, voyons, Dominique, écoutez-moi...
DOMINIQUE, ébranlée.
Eh bien, parlez, j’essaierai.
MAURICE.
Merci.
DOMINIQUE.
Que dois-je faire ? Dites-moi.
MAURICE.
Pour commencer, vous allez me quitter cette maison.
DOMINIQUE.
Je la quitterai demain.
MAURICE.
Ce soir même.
DOMINIQUE.
Soit.
MAURICE.
Et si M. Prieur se présente d’ici là, vous ne le recevrez pas.
DOMINIQUE.
Il insistera.
MAURICE.
On dira que vous êtes sortie.
DOMINIQUE.
Si je le rencontre ?
MAURICE.
On ne rencontre pas les gens qu’on ne veut pas rencontrer.
DOMINIQUE.
Mais je peux le trouver sur mon chemin.
MAURICE.
Mettons vite votre chapeau, et allons dîner avec Mariotte.
DOMINIQUE, prête à sortir.
Il faut que je change de robe.
MAURICE.
Je vous attends.
Un silence.
DOMINIQUE, attendrie.
Ah ! pourquoi ai-je le cœur si plein d’un autre ?
MAURICE, avec amour.
Votre pitié et votre droiture m’auraient suffi, à moi.
On entend une grille se refermer.
DOMINIQUE, revenant sur ses pas.
On a refermé la grille.
MAURICE.
C’est lui.
DOMINIQUE.
Vous croyez ?
MAURICE.
La joie est dans vos yeux, et tout votre air me congédie.
ODILE, entrant.
M. Prieur est là.
DOMINIQUE.
Ah !
ODILE.
Il attend.
DOMINIQUE, hésitante.
Qu’il...
MAURICE.
Qu’il entre.
DOMINIQUE.
Mais...
MAURICE.
Autant que je le dise moi-même...
DOMINIQUE.
Ne partez pas tristement.
MAURICE, prêt à sortir.
On vous renvoie toujours avec ces mots-là.
Odile sort.
DOMINIQUE.
Voyons, pas d’amertume.
MAURICE.
Vous voulez que je sois un Oreste gai ? C’est difficile.
Scène IX
DOMINIQUE, MAURICE, FRANÇOIS
FRANÇOIS, saluant.
Madame.
DOMINIQUE, présentant.
Le docteur Arnault, mon ami, M. Prieur.
MAURICE, à Dominique.
À tout à l’heure.
DOMINIQUE.
C’est cela.
MAURICE, à part, sortant.
Voilà tout ce que j’ai obtenu.
Scène X
DOMINIQUE, FRANÇOIS
DOMINIQUE.
Madame Bellangé est à Paris, monsieur.
FRANÇOIS.
Je le sais.
DOMINIQUE.
Alors ?
FRANÇOIS.
Ce n’est pas elle que je veux voir, c’est vous.
DOMINIQUE.
Moi ?
FRANÇOIS.
Oui.
DOMINIQUE.
Qu’est-ce que vous réclamez ?
FRANÇOIS.
Je viens vous dire que je vous aime.
DOMINIQUE.
Voilà une nouvelle que vous auriez bien dû garder pour vous.
FRANÇOIS.
Je n’ai pas pu.
DOMINIQUE.
Est-ce que vous avez perdu la raison ?
FRANÇOIS.
J’en ai peur.
DOMINIQUE.
Ce serait la première fois.
FRANÇOIS.
Je n’ai pas fait exprès, je vous assure.
DOMINIQUE.
Si vous parlez sérieusement, je vous conseille de vous en aller, et sans perdre une minute.
FRANÇOIS.
Je n’ai jamais été aussi sérieux, et je vous supplie de m’écouter.
DOMINIQUE.
Votre place n’est pas ici.
FRANÇOIS.
Vous m’aviez permis de revenir.
DOMINIQUE.
Pas pour ça.
FRANÇOIS.
Je ne peux pas me passer de vous.
DOMINIQUE.
Il est un peu tard.
FRANÇOIS.
Je n’ai pas choisi l’heure.
DOMINIQUE.
Quand il m’était permis de vous aimer, vous ne vouliez pas de mon amour. Maintenant que l’amitié me l’interdit, vous venez me le demander... C’est bien de vous, cela.
FRANÇOIS.
Il y a huit ans, je ne vous adorais pas comme aujourd’hui.
DOMINIQUE, à part, avec joie.
Il m’aime !
À lui.
Aujourd’hui, je ne vous aime plus, moi, et je suis l’amie de votre maîtresse.
FRANÇOIS.
Cette maîtresse m’est indifférente.
DOMINIQUE.
Ma conduite ne dépend pas de vos sentiments.
FRANÇOIS.
Elle dépend peut-être de ceux de votre amie ?
DOMINIQUE.
Pas davantage. D’ailleurs, je vous en avertis, madame Bellangé ne pense qu’à vous, et elle est loin de soupçonner votre détachement.
FRANÇOIS.
Elle n’a pas tant d’illusions que ça.
DOMINIQUE.
Je le souhaiterais pour elle.
FRANÇOIS.
Elle sera bientôt fixée sur l’état de mon cœur.
DOMINIQUE.
Je vous défends de la torturer à cause de moi.
FRANÇOIS.
Rassurez-vous, elle n’a pas votre faculté de souffrir, et puis toutes les ruptures ne sont pas forcément douloureuses.
DOMINIQUE.
Vous aurez plus de chance, cette fois-ci.
FRANÇOIS, avec ironie.
Ah ! vous pouvez la réconcilier avec son mari. Le moment serait bien choisi et, sans doute, vous feriez plaisir à tout le monde.
DOMINIQUE.
À vous surtout.
FRANÇOIS.
Quel dommage, pourtant, que vous n’ayez pas eu cette bonne idée il y a un mois, au lendemain de notre conversation !
DOMINIQUE.
Vous allez continuer longtemps.
FRANÇOIS, avec amour.
Le jour où je suis venu chez vous, ce jour inoubliable où nous nous sommes tendu la main, vous n’avez donc pas senti que je m’éprenais de vous en vous disant que j’en aimais une autre ?
DOMINIQUE.
Non.
FRANÇOIS.
Vous n’avez donc pas senti qu’en réalité, je souhaitais une rupture avec cette femme, dont je vous demandais de ne pas me séparer ?
DOMINIQUE.
Je n’ai compris que ce que vous m’expliquiez.
FRANÇOIS.
Mais ensuite, mes explications terminées, vous n’avez donc pas vu que je causais volontairement de choses inutiles, de peur de vous parler d’amour ? Et que malgré cela, je vous adressais toutes sortes de pensées folles, sous l’insignifiance des mots ?
DOMINIQUE.
Je ne me souviens pas.
FRANÇOIS.
Dominique, pourquoi mentir quand la vérité me serait si douce ?
DOMINIQUE.
Eh bien, oui, là, j’ai vu, j’ai compris... Après ?... où voulez-vous en venir ?... Il n’y a rien à faire, mon cher ami.
FRANÇOIS.
Mais je ne pense pas à la réussite, je n’ai pas de but, je vous aime.
DOMINIQUE.
À force de le crier, vous finirez bien par le croire.
FRANÇOIS.
Vous suspectez toujours ma bonne foi.
DOMINIQUE.
Comment ferais-je autrement ?
FRANÇOIS.
J’ai changé.
DOMINIQUE.
On ne change pas.
FRANÇOIS.
Je vous jure que je suis sincère.
DOMINIQUE.
Alors, vous vous mentez à vous-même.
FRANÇOIS.
Je conçois votre incrédulité. Moi aussi, j’ai longtemps douté de mes sentiments, et bien souvent je me suis interrogé, ausculté comme un médecin pour savoir si vraiment je vous aimais... Eh bien !...
DOMINIQUE.
Auscultez-vous encore.
FRANÇOIS.
Puisque je vous dis que je vous aime !
DOMINIQUE, à part, avec joie.
Il m’aime !
À lui.
Laissez-moi donc tranquille. Vous me trouvez différente après huit ans de séparation, voilà tout. Je ne suis qu’une aventure de plus, une toquade.
FRANÇOIS.
Vous n’avez guère de perspicacité.
DOMINIQUE.
Ne vous emballez pas. Ce n*est pas de l’amour que vous éprouvez.
FRANÇOIS.
Si, c’est de l’amour. Ah ! je m’en rends compte aujourd’hui : jusqu’à présent, je n’avais jamais aimé personne, pas plus vous que les autres. Mais cette fois, je suis pris, j’en suis bien sûr, je suis amoureux pour de bon, ça y est. Enfin, je la tiens, cette émotion que j’ai cherchée toute ma vie. Je la reconnais, c’est celle que je vous ai vu éprouver, c’est la souffrance pour laquelle j’ai vu pleurer tant d’hommes et tant de femmes, et dont j’étais si jaloux.
DOMINIQUE.
Je vous plains, alors.
FRANÇOIS.
Ne me plaignez pas, car je me sens rame renouvelée, et il me semble que je n’ai commis aucune faute : « Je n’ai rien fait, rien dit, rien vu, je recommence. » Voyez si je vous aime, je parle comme Hernani, et je suis encore plus fou que lui.
DOMINIQUE.
1830, vous ! quelle ironie !
FRANÇOIS.
Ce n’est pas un sentiment moderne que j’ai pour vous, je le sais, ça m’est égal. Êtes-vous convaincue maintenant ?
DOMINIQUE.
Je songe à la joie que j’aurais éprouvée, il y a huit ans, en vous entendant parler de la sorte.
FRANÇOIS.
Tout peut se réparer.
DOMINIQUE.
Comme j’avais raison tout à l’heure en vous conseillant de vous en aller ! Disparaissez et oubliez-moi.
FRANÇOIS, s’exaltant.
J’ai déjà essayé, je vous le jure, j’ai essayé loyalement. De peur de vous faire souffrir, je suis reparti aussitôt après vous avoir revue. Mais là-bas, c’était trop loin, j’avais beau lire et relire vos anciennes lettres, il a fallu que je revienne. Je suis reparti une seconde fois, et aujourd’hui l’amour me ramène encore. Je ne peux pas respirer un autre air que le vôtre, je ne peux pas.
DOMINIQUE, à part, avec joie.
Comme il m’aime !
FRANÇOIS.
Que pense-t-elle ? Que fait-elle ? Où est-elle ? Voilà l’obsession de ma vie. Je suis devenu l’espion de votre existence, un pauvre être malade d’inquiétude et de curiosité.
DOMINIQUE.
Chacun son tour.
FRANÇOIS.
Depuis vingt-quatre heures, je rôde autour de cette maison sans oser y entrer. Hier, en voyant vos fenêtres éclairées, j’ai failli traverser le jardin comme autrefois. Je trouvais injuste, monstrueux de n’avoir pas le droit de le faire.
DOMINIQUE.
Décidément, vous êtes fou.
FRANÇOIS.
Oui, j’avais envie de pénétrer ici, de mettre tout le monde à la porte et de vous posséder là, dans cette chambre où je vous ai déjà possédée.
DOMINIQUE, violemment.
Taisez-vous, François, ce temps-là est fini, vous ne m’aurez jamais.
FRANÇOIS.
Qu’en savez-vous ?
DOMINIQUE.
Orgueilleux !
FRANÇOIS, avec respect, avec folie.
Et quel bonheur de penser que c’est toi que j’aime, toi et pas une autre !...
DOMINIQUE.
François !
FRANÇOIS.
Oui, c’est cette image-là, c’est cette apparence qui trouble ma raison. Quelle chance ! Car enfin le cœur ne choisit pas, et j’aurais pu tout aussi bien m’éprendre d’une forme différente.
DOMINIQUE.
Je suis perdue.
FRANÇOIS.
Oh ! que je suis content et fier de t’adorer ! Je suis trop heureux, il n’y a pas de justice ; non, je ne méritais pas cette double joie d’aimer, et d’aimer une créature parfaite entre toutes, une âme exceptionnelle.
DOMINIQUE.
Une âme mal heureuse !... Ah ! j’eusse préféré en avoir une autre, La mienne n’a jamais servi qu’à me faire souffrir.
FRANÇOIS.
Tu lui dois bien des tristesses, j’en conviens, et tu lui en devras peut-être encore beaucoup ; et pourtant si tu n’avais pas cette âme-là, tu serais moins délicieuse...
DOMINIQUE.
Partez, je vous en supplie.
FRANÇOIS.
C’est ton âme qui parfume et ennoblit tes paroles...
DOMINIQUE.
Je vous défends de continuer.
FRANÇOIS.
Je n’en connais pas d’aussi noble, d’aussi visible... mais, dans la moindre chose sortie de tes mains, on voit qu’elle a passé !...
Il touche le groupe de marbre mutilé.
DOMINIQUE, avec ironie, se reprenant.
Prenez garde à ce groupe, vous allez le renverser. Ne l’achevez pas...
FRANÇOIS.
Dieu !...
DOMINIQUE.
Rappelez-vous ! Un soir, à cette même place, vous l’avez à moitié brisé dans une de vos colères.
FRANÇOIS.
Ah ! n’ayez pas de mémoire !
DOMINIQUE.
Rappelez-vous ! Vous espériez m’arracher des mains une lettre que j’avais eu la folie d’ouvrir... Vous m’avez presque broyé les poignets. Vous m’avez jeté à la face toutes les injures qu’on peut jeter à une femme, et vous êtes parti me tromper.
FRANÇOIS.
C’est le passé.
DOMINIQUE.
Si vous avez oublié, je me souviens, moi. Comment voulez-vous que de pareilles choses s’effacent de mon cerveau ? Comment voulez-vous que je redevienne votre maîtresse ?
FRANÇOIS.
Par pitié, ne te souviens pas.
DOMINIQUE.
Alors, vous vous imaginez qu’il suffît de venir me raconter : « Je ne vous aimais pas dans le temps. Je vous ai méconnue, trahie et martyrisée, mais aujourd’hui je vous adore et je vous serai fidèle... » Vous vous imaginez que cela suffit pour que je vous croie, pour que le passé soit aboli et que je me donne à vous ? Vous vous moquez de moi, mon cher.
FRANÇOIS.
Dominique...
DOMINIQUE, prête à sortir.
Allez relire mes vieilles lettres. Elles tiennent un langage plus tendre. Comme il faut que vous soyez indélicat, indélicat dans les moelles, pour avoir osé les garder !
FRANÇOIS.
Vous les aurez dans une heure.
DOMINIQUE.
Je dîne en ville. Permettez-moi de vous quitter.
FRANÇOIS.
Adieu, Dominique. Je vous aime, je vous aime éperdument, et tout votre mépris ne pourra pas détruire cette joie. Ce bonheur-là ne dépend pas de vous.
DOMINIQUE.
Bonsoir.
FRANÇOIS.
Ah ! puisse mon amour durer longtemps, durer toujours. Je ne veux être heureux ou malheureux que par vous, par vous seule, et jusqu’à ma dernière heure... Puisque c’est la douleur que vous m’imposez, je me soumets.
DOMINIQUE.
J’ai souffert aussi, tout passe.
Dominique sort éperdue ; François tombe assis et pleure.
ACTE IV
Même décor.
Scène première
FRANÇOIS, ANTOINETTE
François, assis à la même place que tout à l’heure, la tête entre ses mains, absorbée Antoinette paraît au fond.
ANTOINETTE, à part, avec regret.
François !... c’est dommage...
L’embrassant.
Bah ! le dernier.
FRANÇOIS, surpris.
Vous ?
ANTOINETTE.
Quel baiser attendiez-vous donc ?
FRANÇOIS, se levant.
Aucun.
ANTOINETTE.
Vous êtes là depuis longtemps ?
FRANÇOIS, avec embarras, prêt à sortir.
Depuis un quart d’heure, et je me disposais à vous écrire, car il faut que je m’en aille.
ANTOINETTE.
Si vite ?
FRANÇOIS, pressé.
Je repars ce soir.
ANTOINETTE.
Pour de bon ?
FRANÇOIS.
Sérieusement. Je ne fais que passer. C’est pour, une affaire importante que je suis venu, et c’est pour la même affaire que je m’en retourne.
ANTOINETTE.
Affaire de cœur ?
FRANÇOIS.
Affaire de service.
ANTOINETTE.
Quand revenez-vous ?
FRANÇOIS.
Dans cinq ou six jours.
ANTOINETTE.
Dans cinq ou six jours, je ne serai peut-être plus ici.
FRANÇOIS, indifférent.
Ici ou ailleurs, je saurai toujours vous rencontrer.
ANTOINETTE.
Alors, adieu.
FRANÇOIS.
Je suis très triste de vous quitter.
ANTOINETTE.
Vous dites cela en regardant votre montre.
FRANÇOIS.
Ne m’en veuillez pas, je prends le train dans quelques minutes.
ANTOINETTE.
Et moi, dans la soirée. Mais rassurez-vous, je ne vais pas jusqu’à Londres, je m’arrête à Paris.
FRANÇOIS.
Faut-il que je sois jaloux ?
ANTOINETTE.
Pourquoi pas ? j’ai rendez-vous à neuf heures.
FRANÇOIS.
Diable.
ANTOINETTE.
Avec une amie.
FRANÇOIS.
Vous avez juste le temps de dîner...
ANTOINETTE.
Je viens demander un service à Dominique.
FRANÇOIS.
Vous allez la trouver chez elle.
ANTOINETTE.
Vous ne l’avez pas vue ?
FRANÇOIS.
Une seconde à peine. Elle était sur le point de s’habiller, et elle m’a abandonné tout de suite. Je me sauve.
ANTOINETTE.
Vous ne m’embrassez pas ?
FRANÇOIS, avec embarras.
Volontiers.
S’arrêtant.
Vous avez des larmes dans les yeux. Qu’est-ce qu’il y a ?
ANTOINETTE.
Plus tard, je vous expliquerai. Aujourd’hui nous sommes trop pressés l’un et l’autre.
FRANÇOIS.
Vous pouvez toujours me dire avec qui vous avez un rendez-vous.
ANTOINETTE.
Avec Marie Ferrand.
FRANÇOIS, étonné.
La femme de l’avocat ?
ANTOINETTE.
C’est surtout lui que j’ai besoin de voir.
FRANÇOIS.
Vous m’intriguez. Voyons, ma chère Antoinette, soyez plus confiante. Qu’est-ce qui se passe ?
ANTOINETTE.
Eh bien ! il se passe que mon mari veut me prendre ma fille.
Elle fond en larmes.
FRANÇOIS.
Hélène ?
ANTOINETTE.
Et cette mauvaise action sera peut-être commise demain.
FRANÇOIS.
Vous n’exagérez pas ?
ANTOINETTE.
Hélas !
FRANÇOIS.
Qui vous a dit cela ?
ANTOINETTE.
Son avoué.
FRANÇOIS.
Quand ?
ANTOINETTE.
Tout à l’heure.
FRANÇOIS.
Comme ça ?
ANTOINETTE.
Il m’avait priée de passer chez lui.
FRANÇOIS.
Eh bien ?
ANTOINETTE.
J’en sors. Raymond demande le divorce contre moi, et il exige que sa fille soit remise entre ses mains jusqu’à l’issue du procès.
FRANÇOIS, avec humeur.
Quelle singulière idée a votre mari de vous tourmenter !
ANTOINETTE.
J’ai refusé de me réconcilier avec lui et il se venge. Et puis son amour paternel s’est exaspéré pendant la maladie d’Hélène.
FRANÇOIS.
Intelligent, son amour paternel !...
ANTOINETTE.
Voilà le résultat de nos imprudences. Ah ! si j’avais su qu’un jour je prendrais un amant, je n’aurais jamais quitté mon mari.
FRANÇOIS.
Mon amie, vous oubliez que c’est lui qui vous a abandonnée.
ANTOINETTE.
Écoutez, le moment est mal choisi pour plaisanter.
FRANÇOIS.
Sans doute. Mais on ne vous a pas encore ôté votre fille. D’abord M. Bellangé n’a pas le droit de vous l’ôter avant que le divorce soit prononcé.
ANTOINETTE.
Il en a le droit.
FRANÇOIS.
Cela me paraît inadmissible
ANTOINETTE.
Parce que vous ignorez la loi. S’il est avéré que j’ai un amant, le tribunal peut rendre demain une ordonnance et m’enlever Hélène dans les vingt-quatre heures.
FRANÇOIS.
Une enfant de six ans ?
ANTOINETTE.
Il y a des précédents, et, dans le cas où je perdrais mon procès, ma fille ne me serait pas restituée.
FRANÇOIS.
Refusez de divorcer.
ANTOINETTE.
Alors, il demanderait une séparation légale, et divorce ou séparation, on ne me la laisserait pas davantage.
FRANÇOIS.
Vous êtes ferrée sur le Code.
Un silence.
ANTOINETTE.
Je n’ai qu’un moyen de conserver Hélène.
FRANÇOIS.
Dites.
ANTOINETTE.
Me réconcilier avec mon mari.
FRANÇOIS.
En faisant intervenir madame Brienne ?
ANTOINETTE.
Dominique seule a de l’influence sur lui.
FRANÇOIS.
Elle seule ?
ANTOINETTE.
Uniquement.
FRANÇOIS.
Et votre parti est pris ?
ANTOINETTE.
À peu près.
FRANÇOIS.
Ah !
ANTOINETTE.
La décision brutale de M. Bellangé ne me permet guère de délibérer.
FRANÇOIS.
Soit. Mais moi, qu’est-ce que je deviens dans cette combinaison ?
ANTOINETTE.
Ah ! je voudrais bien le savoir. Tout à l’heure en wagon, j’étais pleine de sagesse. Je me répétais : « Il ne m’aime plus, je l’aime moins. Il vaut mieux que je le quitte. » Mais voilà que je vous rencontre et mes bonnes résolutions commencent à s’évanouir. Votre mauvaise influence opère déjà.
FRANÇOIS.
Dois-je passer dans la chambre à côté pour que vous vous décidiez librement ?
ANTOINETTE.
Trop tard.
FRANÇOIS.
Vous ne supposez pourtant pas que je vais rester votre amant, si vous avez résolu de revivre avec M. Bellangé.
ANTOINETTE.
On peut avoir un mari et un amant, c’est très bien porté.
FRANÇOIS.
Il faut être trois pour cela.
ANTOINETTE, tendrement.
Pourquoi ne pas finir par où tant de gens commencent ? Après tout, ces accommodements-là sont plus rationnels à la fin d’une liaison qu’à son début. Ce serait une si bonne façon de concilier votre indifférence et ma tendresse.
FRANÇOIS.
Comment pouvez-vous tenir à un ami aussi imparfait ?
ANTOINETTE.
Si imparfait que vous soyez, je ne me sens pas le courage de vous quitter.
FRANÇOIS.
Puisque votre fille vous restera !.
ANTOINETTE.
J’ai besoin de vous deux pour être heureuse.
FRANÇOIS.
Plus M. Bellangé.
ANTOINETTE.
Ça, c’est une méchanceté, ce n’est pas un argument.
FRANÇOIS.
Mais en admettant que je fasse bon marché de ce monsieur, la raison n’en commande pas moins de nous séparer.
ANTOINETTE.
La raison !... Quel drôle de mot sur vos lèvres !...
FRANÇOIS, gravement.
D’ailleurs, votre projet est irréalisable, ma pauvre enfant. Ce n’est même pas la peine d’y songer. Jamais une femme du caractère de madame Brienne ne se prêterait à une réconciliation, si je n’étais pas supprimé de votre existence.
ANTOINETTE.
Je lui dirai que j’ai rompu avec vous.
FRANÇOIS, vivement.
Lui mentir, à elle ?
ANTOINETTE.
Je n’ai pas le choix.
FRANÇOIS.
Quand on demande à quelqu’un son appui, on lui doit au moins la vérité.
ANTOINETTE.
Je mets peut-être l’amour au-dessus de la délicatesse.
FRANÇOIS.
Et vous vous imaginez qu’elle croirait à notre rupture ?
ANTOINETTE.
Elle sait que je suis une mère très tendre, et que vous êtes un homme très léger.
FRANÇOIS.
Mais il suffirait d’un hasard pour qu’elle découvrît toute cette comédie, et elle me mépriserait encore plus que vous.
ANTOINETTE.
Soyez tranquille, je nierais votre complicité.
FRANÇOIS.
Je la connaîtrais, moi.
Un silence.
ANTOINETTE.
Mazette ! que de scrupules à l’endroit de madame Brienne !... Dites donc, vous n’y regardiez pas de si près autrefois, quand il s’agissait de la tromper.
FRANÇOIS.
Vous n’en savez rien, d’abord.
ANTOINETTE.
Je croyais que les mensonges ne vous faisaient pas peur jadis... à l’époque où elle était jalouse, jalouse à bon escient, de mademoiselle Doyon.
FRANÇOIS.
Je ne comprends pas.
ANTOINETTE
Une petite actrice qui perchait par ici. Et pourtant Dominique n’était votre amie que depuis quelques jours.
FRANÇOIS.
Taisez-vous.
ANTOINETTE.
Je vous donne le trac, hein ?
FRANÇOIS.
Vous êtes joliment renseignée.
ANTOINETTE.
Ce n’est pas de ma faute. Souvenez-vous. Un soir, à Londres, dans ma chambre, cinq minutes après ?...
FRANÇOIS.
Ah ! c’est bien le moment de toutes les lâchetés.
ANTOINETTE.
Vous ne m’avez pas prononcé le nom de Dominique, je le reconnais, mais depuis, quand nous avons parlé de vous ensemble, j’ai deviné.
FRANÇOIS.
Espérons que je n’ai pas été plus expansif.
ANTOINETTE.
Oh ! je pourrais encore vous citer d’autres méfaits... Thérèse Hermann.
FRANÇOIS.
Chut !
ANTOINETTE
Lady Clifton.
FRANÇOIS.
Taisez-vous donc, sapristi ! Quelle mémoire vous avez !
ANTOINETTE.
Et je passe sous silence votre vilain départ de cette maison.
FRANÇOIS.
Ma chère enfant, vous vous rappelez là des choses qu’il est d’usage d’oublier.
ANTOINETTE.
Mettons.
FRANÇOIS.
Mais je ne vous en veux pas, au contraire. En réveillant mes remords, vous m’avez fortifié dans ma résistance. Bonsoir.
ANTOINETTE, affolée.
Un instant. Ne me punissez pas si vite de ma maladresse.
FRANÇOIS, durement.
Puisque je ne saurais rester votre amant sans entrer dans le mensonge que vous seriez obligée de faire à madame Brienne, j’aime mieux renoncer à vous.
ANTOINETTE.
Quand j’ai tant de chagrin ? Ce n’est pas sérieux. Vous n’êtes donc plus du tout mon ami ?
FRANÇOIS.
Plus assez pour devenir votre complice, ni pour subir les inconvénients d’une maîtresse... mitoyenne.
ANTOINETTE, câline.
Voyons, François, ne soyez pas méchant. Qu’est-ce que ça peut vous faire, mon mari, Dominique et la morale ?
FRANÇOIS.
Réconciliez-vous, et oubliez-moi.
ANTOINETTE.
Je me réconcilie, je mens et je vous garde.
FRANÇOIS, résolu.
Non.
ANTOINETTE, l’entourant de ses bras.
Essayons. Vous ne verrez pas mon mari, vous ne saurez pas qu’il existe. Tout le désagrément sera pour moi. Et si ça ne marche pas, eh bien ! mon Dieu, vous me quitterez, mais doucement, sans secousse, en bon camarade. Je vous demande seulement de ne pas le faire aujourd’hui... Vous me prenez à condition, voilà tout.
FRANÇOIS.
N’insistez pas.
ANTOINETTE.
En somme, ce que je vous propose n’a rien d’ effrayant. Ce n’est pas votre liberté ce soir, mais c’est peut-être votre liberté demain, votre liberté...
FRANÇOIS, rêveur, lui tournant le dos.
Ma liberté...
ANTOINETTE.
Très vite, quand il vous plaira.
FRANÇOIS.
Très vite...
ANTOINETTE.
Sans compter les bonheurs casuels, que vous rapportera notre rupture apparente, presque publique. Car, si nous restons secrètement attachés par un lien fragile, aux yeux des autres femmes, vous serez délié, bon à prendre. Convenez-en, je ne suis pas bien exigeante.
FRANÇOIS, à lui-même.
Pauvre petite !
ANTOINETTE, s’animant.
D’abord, vous n’avez pas le droit de me lâcher aussi cavalièrement. Quelle que soit votre indifférence, vous avez en ce moment plus de devoirs envers moi, qu’envers vous-même ou n’importe qui.
FRANÇOIS, froidement.
Eh bien !... j’ai réfléchi, je consens.
ANTOINETTE.
Vrai ?
FRANÇOIS.
Nous continuons.
ANTOINETTE.
À trois ?
FRANÇOIS.
À trois, à quatre, à cinq.
ANTOINETTE, gaiement.
Mais je n’aurais jamais assez de santé !
FRANÇOIS.
Bah !
ANTOINETTE.
Et c’est convenu, je laisse croire à madame Brienne que nous sommes faciles ?
FRANÇOIS, prenant son chapeau.
C’est convenu.
ANTOINETTE.
Chic. Dans quelques minutes, Dominique m’aura promis son intervention, et dans une demi-heure, j’aurai repris la route de Paris, le cœur plus léger qu’en arrivant.
FRANÇOIS.
Vous allez chez votre avocat ?
ANTOINETTE.
Je vais lui annoncer que cette semaine je signe un bail de bonne existence avec mon mari, ma fille, et un homme que j’aime... ça, ce n’est pas la peine d’en parler.
FRANÇOIS, prêt à sortir.
Maintenant que nous sommes d’accord, ne me retenez pas davantage, car mon ministre m’attend.
ANTOINETTE.
Je vous revois dans cinq ou six jours, ne l’oubliez pas.
FRANÇOIS.
Comptez sur moi.
ANTOINETTE.
Parole ?
FRANÇOIS.
D’amour.
ANTOINETTE.
Alors, allez. D’ailleurs, Dominique n’aurait qu’à entrer, et pour beaucoup de raisons, je ne tiens pas à ce qu’elle vous retrouve ici.
FRANÇOIS.
Moi non plus.
ANTOINETTE, lui tendant sa canne.
En voilà une qui sera contente, quand je lui dirai que nous avons rompu !
FRANÇOIS.
Vous croyez ?
ANTOINETTE.
Je ne comprends pas pourquoi vous vouliez la priver de cette joie.
FRANÇOIS, revenant sur ses pas.
Vous n’êtes pas jalouse d’elle, je suppose ?
ANTOINETTE.
Un peu.
FRANÇOIS.
Si ce n’est qu’un peu !...
ANTOINETTE.
Dame ! j’ai vingt-cinq ans, elle en a quarante.
FRANÇOIS.
Trente-huit.
ANTOINETTE.
Pourquoi la rajeunissez-vous ?
FRANÇOIS.
Trente-huit, quarante, c’est la même chose.
ANTOINETTE.
Pardon ! quarante, c’est de l’autre côté. Vous voyez bien que j’ai raison d’être jalouse.
FRANÇOIS.
Rappelez-vous une seconde fois le mal que je lui ai fait, cela calmera vos soupçons.
ANTOINETTE.
J’en ai besoin, car votre chevalerie à son égard est sujette à caution. Lorsqu’un gredin comme vous est si délicat avec une femme, il y a des chances pour que cette femme lui plaise.
FRANÇOIS.
Je ne l’aurais pas aimée autrefois et j’en serais amoureux aujourd’hui. Quelle plaisanterie !
Il éclate de rire.
ANTOINETTE, avec inquiétude.
Vous n’êtes pas amoureux d’une autre, au moins ?
FRANÇOIS.
Qu’est-ce qui vous préoccupe encore ?
ANTOINETTE.
C’est absurde, mais je me sens envahie, malgré moi, par une peur affreuse.
FRANÇOIS.
J’ai pourtant cédé sur toute la ligne.
ANTOINETTE.
Ah ! j’ai fait une gaffe en vous démontrant avec quelle facilité vous pourriez me trahir ou me quitter.
FRANÇOIS.
Voyons, ma petite Toinon, pas d’enfantillages. Je vais rater mon train.
ANTOINETTE.
Et moi, ma vie... Si, sans le vouloir, je vous avais suggéré l’idée de me jouer un mauvais tour ?... J’ai envie d’envoyer tout promener et de ne pas me réconcilier avec mon mari.
FRANÇOIS, effrayé.
Allons, allons, ne vous montez pas la tête... Je vous défends de douter de moi, surtout quand j’ai tant de plaisir à vous serrer dans mes bras.
ANTOINETTE.
Taisez-vous, vous avez une voix qui ment.
FRANÇOIS.
Vous ne vous y connaissez plus.
ANTOINETTE.
D’abord, vous ne me serrez pas.
FRANÇOIS.
Vous êtes difficile !
ANTOINETTE.
Malin... Vous voulez m’enjôler de peur que je ne change d’avis.
FRANÇOIS.
Faut-il retarder mon voyage d’un jour pour vous prouver ma sincérité ?
ANTOINETTE.
Vous feriez cela ?
FRANÇOIS.
Et toute sorte de choses pour endormir vos inquiétudes.
ANTOINETTE.
Mais votre ministre ?
FRANÇOIS.
C’est un charmant garçon. Je n’aurai qu’à lui dire la vérité.
ANTOINETTE.
Et il vous accordera une permission ?
FRANÇOIS.
Il sait bien qu’un diplomate qui s’amuse est moins dangereux qu’un diplomate qui travaille.
ANTOINETTE.
Ça dépend.
FRANÇOIS, l’air sincère.
Comment vous rencontrer ? Ah ! si je n’étais pas pris ce soir... Tenez, trouvez-vous demain à cinq heures, derrière Saint-Augustin... je monterai dans votre voiture et de là nous irons...
ANTOINETTE.
En plein jour ? Vous êtes fou. Mon mari doit me faire surveiller.
FRANÇOIS.
Moquez-vous donc de sa jalousie !
ANTOINETTE.
En attendant si... J’ai peur... C’est drôle, quelle rage ont tous ces maris de ne pas vouloir être trompés !... Ma foi, tant pis, je me risque.
FRANÇOIS.
Vous en serez récompensée.
ANTOINETTE.
Tu viendras ?... Ce ne sera pas comme la dernière fois ?
FRANÇOIS.
Décidément, vous êtes trop défiante.
ANTOINETTE.
Je suis très jolie en ce moment, tu verras.
FRANÇOIS, apercevant Maurice.
Pas si haut.
ANTOINETTE.
Dis-moi quelque chose détendre avant de me quitter, quelque chose que tu ne penses pas.
FRANÇOIS.
Je t’aime.
ANTOINETTE.
Ce n’est peut-être pas un mensonge.
Maurice paraît au fond.
FRANÇOIS.
Je vous fais mes adieux définitifs, car je pars ce soir et je ne reviendrai qu’à Pâques.
À part.
Ou à la Trinité.
ANTOINETTE.
Bon voyage.
FRANÇOIS, à part.
Ouf !... liquidée... ça n’a pas été facile.
Il sort.
Scène II
ANTOINETTE, MAURICE, puis DOMINIQUE
MAURICE.
Ah ! je suis bien aise de vous trouver. Je sors de chez madame Hédouin. J’y ai vu votre mari.
ANTOINETTE, vivement.
Mon mari ?
MAURICE.
Et je viens vous en avertir pour que vous ne vous exposiez pas à le rencontrer.
ANTOINETTE.
Est-ce qu’il y dîne ?
MAURICE.
C’est peu probable, puisque vous êtes invitée.
ANTOINETTE.
Vous êtes toujours un bon ami. Mais vous avez pris une peine inutile, car je ne vais pas ce soir chez madame Hédouin.
MAURICE.
Cependant, elle compte sur vous.
ANTOINETTE.
Je suis forcée de retourner à Paris.
DOMINIQUE, entrant.
Et pourquoi donc ?
ANTOINETTE, à Dominique.
Un ennui sérieux.
DOMINIQUE.
Ton mari ?
ANTOINETTE.
Oui, et je vais avoir besoin que tu le voies.
DOMINIQUE.
Quand tu voudras.
ANTOINETTE.
Il est en ce moment chez madame Hédouin.
MAURICE.
Je viens de l’y rencontrer.
DOMINIQUE, fébrile, à Antoinette.
Alors, explique-moi vite.
ANTOINETTE.
C’est que...
MAURICE.
Je vous gêne ?
ANTOINETTE.
Un peu.
DOMINIQUE, à Maurice.
Puisqu’il faut que je parle ce soir à son mari, courez chez madame Hédouin et retenez-le jusqu’à mon arrivée.
MAURICE.
Je vais le faire inviter à dîner, tout bonnement.
ANTOINETTE.
Je n’y vois pas d’inconvénient.
DOMINIQUE.
Au contraire.
MAURICE, à Dominique.
Dois-je revenir vous chercher ?
DOMINIQUE.
Ne vous dérangez donc pas.
MAURICE.
J’en ai pour cinq minutes.
DOMINIQUE, à Maurice.
Soit.
À Antoinette, à part.
Oh ! ces gens qui ont toujours le temps !...
MAURICE, à part.
Je serai éternellement celui qu’on renvoie.
Scène III
DOMINIQUE, ANTOINETTE
DOMINIQUE.
Je devine à peu près, mais raconte.
ANTOINETTE.
Eh bien, Raymond demande le divorce et il veut me prendre ma fille.
DOMINIQUE.
Déjà !
ANTOINETTE.
L’assignation est lancée.
DOMINIQUE.
Je l’avais prédit, que son indulgence ne durerait pas.
ANTOINETTE.
Dans quelques jours, demain s’il l’exige, Hélène peut être entre les mains de son père.
DOMINIQUE.
La loi le permet, je suis sûre.
ANTOINETTE.
Parbleu ! Ce sont des maris trompés qui l’ont faite... Mais comme je ne conçois pas l’existence sans ma fille, je vais mettre mes répugnances de côté, et – ne jette pas les hauts cris, – je vais tenter une réconciliation avec M. Bellangé.
DOMINIQUE.
Tu me surprends un peu, je l’avoue.
ANTOINETTE.
Je vais proposer à mon mari ce qu’il m’a offert le mois dernier et que j’ai refusé si légèrement. Puisqu’il est le plus fort, je me résigne.
DOMINIQUE.
Je n’en reviens pas.
ANTOINETTE.
Tu me désapprouves ?
DOMINIQUE, vivement.
Pourquoi agir si vite ? On essaye de se défendre, au moins !
ANTOINETTE.
À quoi bon, quand la partie est perdue d’avance ?
DOMINIQUE.
N’empêche qu’un acte pareil mérite réflexion.
ANTOINETTE.
Je préfère m’enchaîner par une décision rapide. Quand ce sera fait, ce sera fait, tant pis.
Un silence.
DOMINIQUE.
Et c’est sur moi que tu comptes pour amener un rapprochement entre Raymond et toi ?
ANTOINETTE.
Naturellement, quoiqu’il m’en coûte un peu de te mêler à ces choses.
DOMINIQUE.
Tu m’embarrasses beaucoup.
ANTOINETTE.
Je le pensais bien.
DOMINIQUE.
Je trouve difficile de proposer à un vieil ami de se réconcilier avec sa femme, lorsqu’on sait que cette femme n’est pas libre...
ANTOINETTE.
Quant à ça...
DOMINIQUE.
Et d’autre part, pour rien au monde, je ne voudrais contribuer à un changement dans ta vie intime.
ANTOINETTE.
C’est fait.
DOMINIQUE.
Depuis quand ?
ANTOINETTE.
Depuis cinq minutes.
DOMINIQUE.
Quelle précipitation !
ANTOINETTE.
Il était ]à lorsque je suis rentrée. J’ai profité du courage que j’avais et je l’ai persuadé.
DOMINIQUE.
En si peu de temps ?
ANTOINETTE.
Nous en avions assez l’un et l’autre. Tu as pu t’en apercevoir, d’ailleurs.
DOMINIQUE.
C’est bien la vérité que tu me dis ?
ANTOINETTE.
Pourquoi te mentirais-je ?
DOMINIQUE.
Et tu n’as pas une larme dans les yeux en m’apprenant cela !
ANTOINETTE.
Je t’en prie, ne me blâme pas de lui préférer ma fille. Ce ne serait pas le moment. Après tout, M. Prieur n’a été qu’un accident dans ma vie. Je ne suis pas née pour les émotions irrégulières, moi, tu le sais bien. Mon marine m’aurait pas abandonnée que probablement je n’aurais jamais aimé personne, et, surtout un homme aussi décevant.
DOMINIQUE, avec embarras.
Un homme comme les autres. Va, soyons indulgentes.
ANTOINETTE.
Tu oublies tout ce que tu m’as raconté.
DOMINIQUE.
J’évoquais des choses si lointaines !
ANTOINETTE.
Prends garde, tu vas me faire son éloge.
DOMINIQUE.
Je regrette le mal que je t’en ai dit.
ANTOINETTE, avec jalousie.
Tu es trop délicate.
DOMINIQUE.
Pourquoi « trop » ?
Un silence.
ANTOINETTE.
Ne parlons plus de M. Prieur.
DOMINIQUE.
Réfléchis. Je n’ai pas encore vu ton mari.
ANTOINETTE.
Ma détermination est très sérieuse.
DOMINIQUE.
Irrévocable ?
ANTOINETTE.
On est déjà parti pour l’Angleterre.
DOMINIQUE.
Sa mère demeure à côté. Je parie qu’il est chez elle.
ANTOINETTE.
J’en doute, il prenait le train en me quittant.
DOMINIQUE, avec chagrin.
Ah !
ANTOINETTE.
Nous ne le reverrons pas.
DOMINIQUE.
Alors, je vais m’exécuter, je vais parler à ton mari.
ANTOINETTE.
Merci.
DOMINIQUE.
Mais quand j’aurai réussi, tu ne me le reprocheras pas ?
ANTOINETTE.
Tu es folle.
DOMINIQUE.
D’ailleurs, rien ne prouve que les choses iront toutes seules.
ANTOINETTE.
Je suis tranquille là-dessus. Raymond m’aime toujours.
DOMINIQUE.
En attendant, il m’a l’air assez monté contre toi.
ANTOINETTE
Tu plaideras si bien ma cause !
DOMINIQUE.
Je suis quelquefois très gauche, je t’en avertis.
ANTOINETTE, s’animant.
Mais je n’admets pas que tu échoues il faut employer tous les moyens pour le convaincre...
DOMINIQUE.
J’essaierai.
ANTOINETTE, s’animant de plus en plus.
Il faut lui persuader que le bonheur de sa fille dépend de cette réconciliation... Il faut... au besoin emmène Hélène avec toi, puisque la vue de cette petite l’émeut toujours. Voilà un moyen noble.
DOMINIQUE.
Je ne demande pas mieux.
ANTOINETTE.
Elle n’est pas encore rentrée, je crois.
DOMINIQUE.
Elle joue à l’entrée du parc. C’est mon chemin, je la prendrai en passant.
ANTOINETTE.
Je t’accompagne jusque-là. Nous causerons encore. Et puis j’ai une dépêche à envoyer.
DOMINIQUE.
À qui ?
ANTOINETTE.
À Ferrand.
DOMINIQUE.
Tu étais déjà munie d’un avocat ?
ANTOINETTE.
Au premier moment, j’ai été affolée. Je vais lui télégraphier de ne pas m’attendre ce soir, comme c’était convenu. Ce n’est plus la peine.
DOMINIQUE.
Eh bien ! levons la séance.
ANTOINETTE.
Voilà justement Odile avec ton manteau.
DOMINIQUE, prête à sortir.
Où donc ai-je posé mes gants ?
Scène IV
DOMINIQUE, ANTOINETTE, ODILE
ANTOINETTE.
La petite n’est pas rentrée ?
ODILE.
Pas encore.
DOMINIQUE, à Odile qui lui apporte son manteau.
Donne.
ODILE, aidant Dominique.
Le père Bouquet est dans ton atelier.
DOMINIQUE.
Il tombe bien !
À Antoinette.
C’est mon praticien qui vient chercher le buste de ta fille.
ODILE.
Tu n’as pas besoin de le voir ?
DOMINIQUE, tentée.
Si... mais je suis trop pressée.
ANTOINETTE.
Ne te gêne pas à cause de moi.
DOMINIQUE.
Tu permets que je lui dise un mot ?
ANTOINETTE.
Va donc. Même, si tu veux, pendant ce temps-là je peux expédier Hélène à son père directement. L’Allemande l’accompagnera, voilà tout.
DOMINIQUE, prête à sortir.
Mon Dieu... il ne serait peut-être pas mauvais qu’elle me précédât de quelques minutes...
Se décidant.
Réflexion faite, expédie-la, je la suis. Jai peur que ce vieil homme ne commette une maladresse.
ANTOINETTE, prête à sortir.
Convenu. Quand tu arriveras, M. Bellangé sera déjà attendri. Je passe au télégraphe, j’envoie la petite à son père et je reviens ici.
DOMINIQUE.
Dans tous les cas, ma petite Toinon, si je ne te revois pas avant mon entretien avec ton mari, ne sois pas inquiète. Aussitôt après le dîner, je cours t’en apporter le résultat.
ANTOINETTE.
À la grâce de Dieu, et bonne chance !
Antoinette sort.
DOMINIQUE, prête à sortir de son côté.
Ma destinée s’accomplit.
Scène V
DOMINIQUE, ODILE
ODILE.
Tu es toute pâle ?
DOMINIQUE.
Ne t’occupe pas de moi.
ODILE.
Qu’est-ce qu’il y a encore ?
DOMINIQUE.
Tu mettras le couvert d’Antoinette ; elle dînera à la maison avec la petite.
ODILE.
Elle ne va pas chez madame Hédouin ?
DOMINIQUE.
Non. Le père Bouquet n’a rien déplacé, n’est-ce pas ?
ODILE.
Il t’attend pour commencer.
DOMINIQUE.
J’y vais.
ODILE.
Garde ton manteau.
DOMINIQUE.
Ce n’est pas la peine.
ODILE.
Décidément, tu n’as pas ton air habituel.
DOMINIQUE.
Odile, est-ce que tu crois que je peux plaire encore ?
ODILE.
Tu es jolie comme dans le temps.
DOMINIQUE
Tu sais, il m’a dit qu’il m’aimait.
ODILE.
Lui ?...
DOMINIQUE.
Sans doute.
ODILE, apercevant François.
Le voilà.
DOMINIQUE.
Va-t’en vite.
ODILE.
Et ton praticien ?
DOMINIQUE.
Qu’il se débrouille.
Scène VI
FRANÇOIS, DOMINIQUE
FRANÇOIS.
Je vous croyais sortie et j’en profitais pour rapporter ces lettres que je ne devais pas conserver.
DOMINIQUE, tremblante.
Oh ! je ne les réclamais pas si vite.
FRANÇOIS.
Les voici.
DOMINIQUE.
Plus tard. Je préfère que vous les gardiez encore.
FRANÇOIS.
Comment ?...
DOMINIQUE.
Alors, vous repartez ?
FRANÇOIS.
Tout de suite.
DOMINIQUE.
Pour longtemps ?
FRANÇOIS.
Ça vaut mieux.
DOMINIQUE.
Mais je ne l’exige pas.
FRANÇOIS.
Vous ne me chassez plus ?
DOMINIQUE.
Je vous ai parlé durement tout à l’heure. Il faut me pardonner. Je ne pensais pas ce que je disais.
FRANÇOIS.
Je ne saurais pas vous en vouloir.
DOMINIQUE.
Et puis, j’étais si émue en vous écoutant, si bouleversée !... Du reste, vous l’avez remarqué vous-même ; un peu plus, je tombais là, sans connaissance.
FRANÇOIS, avec un cri de joie.
Dominique !...
DOMINIQUE.
Mon Dieu !
FRANÇOIS.
Dominique... serait-il possible ?
DOMINIQUE.
François !
FRANÇOIS.
Tu m’aimes, tu m’aimes !
DOMINIQUE, avec épouvante, s’arrachant de ses bras.
Oui... oui... mais tu ne vas pas me faire souffrir.
FRANÇOIS.
Je ne suis plus le même, je te le jure.
DOMINIQUE.
Et tu l’as quittée, c’est vrai ?
FRANÇOIS.
Je ne la reverrai pas.
DOMINIQUE.
Vous avez bien rompu ?
FRANÇOIS.
Je t’aime.
DOMINIQUE.
C’est bien entendu entre vous ?
FRANÇOIS.
Je t’aime.
DOMINIQUE.
Tu ne mens pas ?
FRANÇOIS.
Je suis libre et je t’aime.
DOMINIQUE.
Prends garde, sois très loyal, réfléchis, car c’est ton cœur tout entier que je réclame. Si tu ne m’adores pas, si je ne suis qu’une fantaisie que tu veux te passer, épargne-moi, va-t’en.
FRANÇOIS.
Je suis sûr de moi.
DOMINIQUE.
Tu ne sais pas comme j’ai pleuré.
FRANÇOIS.
Dis-moi que tu me pardonnes.
DOMINIQUE.
Que t’importe, puisque je t’aime, puisque je n’ai pas cessé un seul jour de te chérir.
FRANÇOIS.
Pauvre amour.
DOMINIQUE.
C’est pour te voir que je suis revenue dans cette maison.
FRANÇOIS.
Je m’en doutais.
DOMINIQUE, pleurant.
Hélas ! voilà huit ans que je t’attendais.
FRANÇOIS.
Nous serons heureux, cette fois, tu verras.
DOMINIQUE.
Dieu t’entende ! Et maintenant sauve-toi, car il faut que je sorte.
FRANÇOIS.
Veux-tu de moi ce soir ?
DOMINIQUE.
Viens demain.
FRANÇOIS.
Ce soir, je t’en supplie.
DOMINIQUE.
Ne me demande rien, je ne pourrais rien te refuser.
FRANÇOIS, désignant le jardin.
Si je traversais ?
DOMINIQUE.
Tu es fou.
FRANÇOIS.
Je suis jaloux.
DOMINIQUE.
Jaloux ? Mais si tu as eu d’autres maîtresses, moi, je n’ai pas eu d’autre amant, et tu me retrouves telle que tu m’as laissée.
FRANÇOIS.
Eh bien, à demain !
DOMINIQUE.
Je t’appartiens corps et âme.
ACTE V
Un petit cabinet de travail au rez-de-chaussée. À droite, une baie par laquelle on entrevoit la chambre à coucher de Dominique. À gauche, au fond, une porte vitrée sur le jardin. Table à écrire, piano, livres, tableaux, armes etc. Une lampe allumée sur la cheminée, un peignoir préparé sur une chaise longue.
Scène première
ANTOINETTE, ODILE
Quand le rideau se lève, Antoinette est assise au piano. Odile va et vient dans la chambre, mettant de l’ordre, disposant des fleurs.
ODILE.
Faut-il remonter le chapeau de madame dans son appartement ?
ANTOINETTE, cessant de jouer.
Ce n’est pas la peine, je vais peut-être ressortir.
ODILE.
J’ai interrompu madame ?
ANTOINETTE, nerveuse.
Non, j’ai peur de réveiller la petite.
ODILE.
Il n’y a pas de danger. Je viens d’entrer dans sa chambre ; elle dort à poings fermés.
ANTOINETTE.
Cette visite là-bas l’a un peu fatiguée.
ODILE.
C’est égal, madame a eu une bonne idée de l’envoyer à son père.
ANTOINETTE, avec regret.
Ah ! ma pauvre Odile !... on fait quelquefois de fameuses sottises à cause des enfants.
ODILE.
On n’a pas toujours le choix.
ANTOINETTE, s’asseyant.
Comme Dominique est longue !... Pourtant madame Hédouin demeure à deux pas... Elle va peut-être échouer...
ODILE.
Je vais ôter le peignoir, si madame veut s’étendre.
ANTOINETTE, examinant le peignoir.
Sais-tu que ta maîtresse devient très coquette ?
ODILE.
Elle peut bien faire comme les autres, elle est encore assez jeune pour ça.
ANTOINETTE, à part, avec jalousie.
Il y a six mois, elle était encore plus jeune, et elle n’y pensait guère.
ODILE, à part.
Qu’est-ce qu’elle murmure, celle-là ?
Un silence. Antoinette ouvre un livre et essaie de lire.
ANTOINETTE.
Rousseau, les Confessions... parbleu !
Elle jette le livre sur la table
ODILE.
Prenez garde à ce petit livre, madame y tient beaucoup.
ANTOINETTE, se levant.
Un souvenir, sans doute.
À part.
C’est drôle, les choses ont aujourd’hui un air de fête. On dirait que la chambre attend quelqu’un.
Odile sort.
Scène II
ANTOINETTE, DOMINIQUE
ANTOINETTE.
Ah ! te voilà. Eh bien ?
DOMINIQUE, agitée, contente.
On ne te prendra pas ta fille.
ANTOINETTE.
Il consent ?
DOMINIQUE.
Il est prêt à causer avec toi où et quand tu voudras. Ce soir, si ça le
plaît.
Elle l’embrasse.
ANTOINETTE, avec embarras.
Tu as été très habile, je te félicite.
DOMINIQUE.
Il y a eu du tirage pour commencer. Sans la visite d’Hélène qui l’avait beaucoup ému, je ne sais pas trop comment les choses auraient tourné.
ANTOINETTE.
Bah ! tu en serais venue à bout tout de même.
DOMINIQUE.
J’ai la voiture de Forster à la porte. Si tu veux, mets ton chapeau et je t’emmène.
ANTOINETTE.
Chez madame Hédouin ? Tu n’y penses pas.
DOMINIQUE.
Vous serez censés vous rencontrer par hasard et vous réglerez ensemble votre prochaine entrevue.
ANTOINETTE.
C’est facile à dire.
DOMINIQUE.
Vous causerez amicalement, comme causent aujourd’hui les gens divorcés. On le remarquera ou on ne le remarquera pas, ça n’a aucune importance.
ANTOINETTE.
Tu as raison.
DOMINIQUE.
Mais tu n’as pas l’air content ?
ANTOINETTE, haineuse.
Comme tu as réussi vite !...
DOMINIQUE.
Est-ce un regret ou un reproche ?
ANTOINETTE.
Un regret seulement.
DOMINIQUE.
Quand je te le disais, que tu me reprocherais cette démarche !
ANTOINETTE.
Où vois-tu que je te reproche quelque chose ?
DOMINIQUE.
Alors, pourquoi cette attitude étrange ? À quoi penses-tu ? Que signifie ce regard hostile que tu jettes sur moi et autour de toi ?... Parle, explique-toi.
ANTOINETTE.
Je regarde ton visage heureux et rajeuni, cette robe qui te fait plus jolie que d’habitude, cette chambre toute pleine de souvenirs. Je pense à ta présence inattendue dans cette maison, à certaines paroles bizarres que tu m’as dites, et je me demande si en travaillant pour moi, tu n’as pas en même temps travaillé pour ton propre compte.
DOMINIQUE, éclatant.
C’est une infamie que tu articules là. Je te défends de suspecter ma loyauté. Et d’abord, de quel droit oses-tu fouiller dans mon cœur ? Admettons que les bonnes dispositions de ton mari soient faites pour me réjouir. Eh bien, après ?
ANTOINETTE.
Après ?
DOMINIQUE.
Où serait le mal ? Qu’est-ce que je te prends ? Que t’importent mes sentiments, ou ceux d’un homme qui ne t’appartient plus ?
ANTOINETTE, violemment.
Et s’il m’appartenait encore, cet homme, si je t’avais menti ?
DOMINIQUE, stupéfaite.
Vous n’avez pas rompu ?
ANTOINETTE.
Il est toujours mon amant, et la meilleure preuve, c’est que je dois le voir demain.
DOMINIQUE.
Je ne te crois pas.
ANTOINETTE.
Demain à cinq heures, comme il me l’a demandé.
DOMINIQUE.
Je ne te crois pas. Tu te vantes.
ANTOINETTE.
Notre rupture n’est qu’une invention, un expédient proposé par moi, accepté par lui, pour te permettre de me réconcilier sans hésitation.
DOMINIQUE.
Quelle fourberie !
ANTOINETTE.
Voilà la vérité vraie.
DOMINIQUE.
Ah ! le misérable !
Un silence.
ANTOINETTE, avec jalousie.
Pourquoi misérable ? Tu peux me condamner, moi, je le mérite ; mais lui n’est pas bien coupable envers toi.
DOMINIQUE.
Ça me regarde.
ANTOINETTE.
À moins que depuis tantôt il ne se soit passé entre vous quelque chose que je ne sais pas.
DOMINIQUE.
Suppose ce que tu voudras. Tes mensonges m’ont rendu ma liberté, ma liberté tout entière, et je ne te dois compte de rien.
ANTOINETTE.
Tu l’as revu, n’est-ce pas ? Il t’a dit qu’il t’aimait ?
DOMINIQUE.
Ne me questionne pas davantage. Tant pis pour toi.
ANTOINETTE, affolée.
Soit ! Que m’importent tes secrets, d’ailleurs ? Je suis tranquille : si tu es encore assez crédule pour l’écouter, il ne te gardera pas longtemps.
DOMINIQUE.
Malheureuse !
ANTOINETTE.
Va, c’est toujours le même homme qui t’a martyrisée et trompée tant de fois, et qui se glorifie d’avoir commencé ses trahisons huit jours après qu’il était ton amant.
DOMINIQUE.
Tu inventes.
ANTOINETTE.
Avec une femme de théâtre que tu connais.
DOMINIQUE.
Mademoiselle Doyon ?
ANTOINETTE.
Mais, tout à l’heure encore, dans un moment très tendre, il désavouait son affection pour toi.
DOMINIQUE.
Tais-toi et sors d’ici, petite ingrate, tu m’as assez torturée !
Elle tombe assise et fond en larmes.
ANTOINETTE.
Tu pleures !
DOMINIQUE.
Ne m’approche pas.
ANTOINETTE.
Pardonne-moi, Dominique, la jalousie m’a exaspérée. J’étais folle. Hélas ! si je n’avais pas au fond du cœur le sentiment que François t’aime, je n’aurais pas prononcé ces paroles atroces.
DOMINIQUE.
On réfléchit.
ANTOINETTE.
Car, en somme, il n’est resté mon amant que par faiblesse.
DOMINIQUE.
Je n’écoute pas ce que tu dis. Laisse-moi, comédienne.
ANTOINETTE.
Je suis sincère, je te le jure.
DOMINIQUE.
Va-t’en. Tu m’as fait mentir à ton mari, manquer à l’amitié, manquer à moi-même. Je ne veux plus te voir.
ANTOINETTE.
J’ai commis une action indigne en te trompant, mais pas un seul instant je n’ai supposé que tu en pâtirais.
DOMINIQUE.
Tu connaissais M. Prieur, pourtant.
ANTOINETTE.
J’avais beau me défier de lui, je ne pouvais pas prévoir qu’il allait jouer si vite avec le cœur d’une femme comme toi. Et je ne parle pas du mien, qui a moins d’importance.
DOMINIQUE.
Tu es trop modeste.
ANTOINETTE, avec indignation, prête à sortir.
Dans tous les cas, je ne serai pas davantage la complice ou la dupe de tant de trahisons. Je sais ce qu’il me reste à faire. Dieu merci, ma jalousie n’était qu’une crise.
DOMINIQUE, lui désignant son manteau.
Ta pèlerine est là.
ANTOINETTE, mettant son chapeau et son manteau.
Je vais disparaître de ta maison et de ta vie, puisque mon châtiment est de te perdre. Mais avant de partir, je tiens à te déclarer que je ne le reverrai jamais.
DOMINIQUE.
Revois-le ou ne le revois pas, peu m’importe ! Je ne vous connais plus, ni l’un ni l’autre.
ANTOINETTE.
Oh ! ce n’est pas un sacrifice que je te fais. Ma nature s’accommode mal de toutes ces complications. J’aime encore mieux une vie paisible entre ma fille et mon mari.
DOMINIQUE.
Voici ta voilette.
ANTOINETTE.
Comme grâce à toi cette existence est possible, je vais la recommencer.
DOMINIQUE.
À ton aise.
ANTOINETTE.
Puisque Raymond est chez madame Bédouin, j’y vais.
DOMINIQUE.
Soit.
ANTOINETTE, sur le seuil.
Mais Hélène dort là-haut : il faudra bien que je rentre ce soir chez toi, à cause d’elle.
DOMINIQUE.
Naturellement.
ANTOINETTE.
Ne t’inquiète pas. Demain, je serai partie.
DOMINIQUE.
Fais ce que tu voudras. Moi, je sera peut-être partie dans une heure. J’ai hâte de sortir de cette boue
Antoinette sort. Dominique sonne.
Scène III
DOMINIQUE, ODILE
DOMINIQUE.
Qu’on renvoie la voiture, si madame Bellangé ne l’a pas prise.
ODILE.
Tu ne retournes pas là-bas ?
DOMINIQUE.
Non... À quelle heure, le dernier train ?
ODILE.
Onze heures.
DOMINIQUE.
Bien. Laisse-moi.
ODILE.
Tu veux aller à Paris ce soir ?
DOMINIQUE.
Je ne sais pas.
ODILE, sortant.
Encore des chagrins !...
DOMINIQUE, la rappelant.
Dès que Maurice rentrera, qu’il vienne... j’ai à lui parler.
Ouvrant la porte vitrée.
J’étouffe...
S’asseyant pour écrire
À l’autre, maintenant.
Un silence. François paraît au fond.
Scène IV
FRANÇOIS, DOMINIQUE
FRANÇOIS, doucement, s’approchant d’elle tandis qu’elle écrit.
Dominique...
DOMINIQUE.
Comment ! c’est vous ?
FRANÇOIS.
J’ai senti que vous étiez seule.
DOMINIQUE, avec indignation.
Allez-vous en.
FRANÇOIS.
Dominique !...
DOMINIQUE.
Vraiment, vous avez de l’aplomb... Si vous croyez que je suis une passade que l’on peut s’offrir entre deux rendez-vous avec sa maîtresse, vous vous trompez.
FRANÇOIS.
Qu’est-ce que vous dites ?... Ah ! je comprends... la jalousie de madame Bellangé a fait son œuvre.
DOMINIQUE.
Le chagrin de deux femmes a dérangé vos combinaisons, tout simplement.
FRANÇOIS.
On m’a calomnié auprès de vous ; toutes les apparences sont contre moi, mais je saurai me disculper.
DOMINIQUE.
Je n’écouterai pas vos mensonges.
FRANÇOIS.
Vous m’écouterez.
DOMINIQUE.
Non.
FRANÇOIS.
De gré ou de force.
DOMINIQUE.
Vous ne me toucherez pas.
FRANÇOIS.
On ne condamne pas un homme sans l’entendre, si coupable qu’il soit.
DOMINIQUE.
Je vous ordonne de sortir.
FRANÇOIS.
Je vous obéirai quand vous m’aurez expliqué pourquoi vous me traitez ainsi.
DOMINIQUE.
Je vous chasse parce que vous m’avez menti en m’affirmant que vous étiez libre ; parce que vous vous êtes associé à une vilaine action, dans le dessein de conserver votre maîtresse et de m’avoir par dessus le marché.
FRANÇOIS.
Mais je ne suis plus l’amant de madame Bellangé. Si elle le croit encore, elle se leurre. Je ne me suis résigné à devenir son complice que pour reprendre ma liberté.
DOMINIQUE.
Vous mentez !
FRANÇOIS.
Pour me débarrasser d’elle, uniquement.
DOMINIQUE.
Vous mentez... vous mentez toujours.
FRANÇOIS.
Quand je vous ai rencontrée tout à l’heure, au moment de partir, je venais de lui dire un adieu que je considérais, moi, comme définitif. Et, méprisez-moi davantage, si vous voulez, j’étais déterminé à ne plus la revoir, malgré toutes les promesses qu’elle m’avait arrachées.
DOMINIQUE.
Ça vous ressemble tellement que je devrais vous croire, mais vous ne me donnerez pas le change.
Une pause.
FRANÇOIS.
Pourtant, rappelez-vous, avant de causer avec elle, je vous avais avertie de mes projets de rupture.
DOMINIQUE.
Vous m’avez demandé aussi de la réconcilier.
FRANÇOIS.
Pour la quitter.
DOMINIQUE.
Pour me duper.
FRANÇOIS.
Je n’ai trompé qu’elle.
DOMINIQUE.
Vous avez trompé tout le monde.
FRANÇOIS.
Ah ! comme le passé se retourne contre moi ! Vous croiriez un autre homme, et vous ne me croyez pas quand je vous dis la vérité.
DOMINIQUE.
Non, je ne vous crois pas, je ne peux pas vous croire. Il ne fallait pas tant me faire souffrir autrefois, je serais plus crédule aujourd’hui. Tant pis pour vous, vous êtes un homme brûlé.
FRANÇOIS.
Misérable que je suis, j’ai perdu votre amour !
Il s’assied et pleure. Une pause.
DOMINIQUE.
Puisque vous étiez si décidé à rompre, pourquoi ne l’avez-vous pas fait loyalement ?
FRANÇOIS.
Parce que juste au moment où j’allais le faire, je me suis trouvé en face d’une femme malheureuse et désespérée.
DOMINIQUE.
Et ça ne vous a pas coûté de tremper dans une intrigue dont je devais être la récompense !
FRANÇOIS.
Je n’y suis entré qu’avec répugnance, contraint et forcé.
DOMINIQUE.
Contraint et forcé, vous ?
FRANÇOIS.
Oui, circonvenu par elle.
DOMINIQUE.
On ne tripote pas dans de pareilles fourberies.
FRANÇOIS.
J’ai eu tort, je le reconnais et je m’en repens. Maïs je ne songeais qu’à me délier, qu’à m’échapper, et j’ai pris la seule porte ouverte devant moi.
DOMINIQUE.
Vous oubliez celle par où passent les honnêtes gens.
FRANÇOIS.
J’ai été faible, voilà mon plus grand crime.
DOMINIQUE.
Il fallait avoir la cruauté que votre amour pour moi commandait.
FRANÇOIS.
Il ne fallait pas me cacher votre tendresse un quart d’heure auparavant, et je l’aurais eue, cette cruauté.
DOMINIQUE.
Allons donc, vous auriez été veule tout de même.
FRANÇOIS.
Mais, sapristi, vous avez été la première à me conseiller la pitié !
DOMINIQUE, avec ironie.
Alors, c’est pour me complaire que vous avez permis à cette femme de me charger d’une mission odieuse et ridicule ?
FRANÇOIS.
Je l’avais suppliée de ne pas s’adresser à vous.
DOMINIQUE.
C’est pour me complaire que vous l’avez consolée avec des promesses et des baisers ?
FRANÇOIS.
Promesses et baisers menteurs.
DOMINIQUE.
Déférence pour moi, n’est-ce pas ? le rendez-vous que vous lui avez donné, le désaveu de notre amour passé et tout l’étalage de vos trahisons.
FRANÇOIS.
Quelle infamie de vous avoir répété ces choses !
DOMINIQUE.
Non, là, vraiment, mon cher, vous êtes trop indulgent à vous-même, en qualifiant de faiblesses toutes ces apostasies.
FRANÇOIS.
Je ne suis pas l’être indigne que vous prétendez, malgré mes apparences de duplicité. Chacune de vos accusations contient une part de vérité et une part de calomnie. Mais le réel et le faux y sont si adroitement enchevêtrés, qu’il me serait difficile de débrouiller en cinq minutes un pareil écheveau. Je préfère y renoncer.
DOMINIQUE.
Vous avez raison de vous taire, vous vous couperiez dans vos mensonges. D’ailleurs, votre culpabilité est suffisamment démontrée.
FRANÇOIS.
Je vous l’ai dit et je vous le répète, quelle que soit la gravité de mes fautes, je ne les ai commises que parce que je voulais rompre. Jamais je n’ai eu l’idée de rester l’amant de madame Bellangé, et encore moins celle de vous obtenir, grâce à une rupture simulée.
Il pleure. Une pause.
DOMINIQUE.
Avec ça qu’un homme congédié, comme vous l’aviez été, aurait reparu ici, s’il n’avait pas caressé quelque arrière-pensée ! Pourquoi êtes-vous revenu tout à l’heure ?
FRANÇOIS.
Tout à l’heure ?
DOMINIQUE.
Oui. Après vos épanchements avec votre amie. Pourquoi ?
FRANÇOIS.
J’allais partir ; et, avant, je vous rapportais les lettres que vous m’aviez réclamées.
DOMINIQUE.
Des lettres réclamées en l’air.
FRANÇOIS.
Vous m’avez reproché de ne pas vous les avoir rendues.
DOMINIQUE.
Vous les aviez gardées huit ans, vous pouviez bien les garder une heure de plus. D’abord, vous n’aviez qu’à les envoyer par quelqu’un.
FRANÇOIS.
J’ai cru qu’il était plus délicat de les rapporter moi-même.
DOMINIQUE.
Vous n’auriez pas eu cette délicatesse-là, sans la certitude de me rencontrer.
FRANÇOIS.
Comment pouvais-je supposer que vous étiez chez vous ? Vous étiez prête à sortir quand nous nous sommes séparés.
DOMINIQUE.
Vous saviez bien que je ne sortirais pas si vite. Vous aviez deviné mon amour, à travers mon indignation ; et vous avez calcule qu’à la suite de ma conversation avec Antoinette, je vous attendrais comme une débutante.
FRANÇOIS.
Je ne prévoyais pas tant de joie. Vos paroles de tendresse ont été pour moi une surprise, un éblouissement.
DOMINIQUE.
J’aurais mieux fait de les étouffer, ces paroles, puisque vous n’aviez pas rompu formellement avec votre maîtresse. Ce qu’une femme dit quand elle croit un homme libre, elle ne le dit pas quand il est enchaîné ; car, malgré tous vos sophismes, il ne suffit pas de se considérer comme délié pour l’être. Ce serait trop commode.
FRANÇOIS.
Autant de gens, autant de cas.
DOMINIQUE.
Un pacte conclu entre deux personnes ne peut être annulé que du consentement de ces deux personnes.
FRANÇOIS.
Eh ! mon Dieu ! les conventions du cœur ne sont pas régies par les mêmes lois que les autres.
DOMINIQUE.
La morale des hommes ! Dans tous les cas, la droiture la plus élémentaire vous enjoignait de me raconter les choses. Il fallait m’interrompre, me crier la vérité, dût cette vérité vous coûter votre bonheur ou celui de madame Bellangé.
FRANÇOIS.
Ce ne sont pas mes devoirs envers elle qui m’ont retenu, je vous prie de le croire.
DOMINIQUE.
Qu’importe ! vous n’aviez pas le droit de profiter d’un mensonge dont j’étais dupe, et vous, complice. Vous n’aviez pas le droit de capter mon affection.
FRANÇOIS.
C’est vrai, c’est vrai ; mais, en vous écoutant, j’ai perdu la tête.
DOMINIQUE.
Pourquoi m’avez-vous trompée quand je vous ai demandé si vous étiez libre ? Pourquoi m’avez-vous menti ?
FRANÇOIS.
Parce que je vous adorais. Le bonheur d’être aimé m’a rendu fou. Quel homme à ma place n’aurait pas agi de même ?
DOMINIQUE.
Vous étiez tenu à plus de délicatesse qu’un autre, après tout le mal que vous m’aviez fait. Il ne devait y avoir entre nous aucun malentendu, aucune équivoque. Le plus léger mensonge vous était défendu.
FRANÇOIS.
J’en conviens, j’en conviens.
DOMINIQUE, s’exaltant.
Mais, pour agir aussi loyalement, vous aviez trop peur de me perdre, vous étiez trop pressé. Une heure plus tard, je pouvais apprendre la vérité, et je vous échappais.
FRANÇOIS.
Je n’ai pas tant raisonné, je vous jure.
DOMINIQUE.
Vous aviez envie de moi, n’est-ce pas ? Il était nécessaire de m’arracher un rendez-vous tout de suite, coûte que coûte. Vous n’attendez pas, vous ! Et la même impatience qui vous a poussé à mentir tantôt, vous ramène ce soir dans cette maison, où on ne vous réclamait que demain.
FRANÇOIS.
Tout devient un crime à vos yeux.
DOMINIQUE.
Il est vrai que, demain, vous aviez un autre rendez-vous avec madame Bellangé. Et, deux femmes sur les bras le même jour, ça vous aurait fait un après-midi un peu compliqué. J’en suis fâchée pour vous, mon cher, mais votre désir ne me suffit pas. Allez repêcher votre maîtresse et fichez-moi la paix !
Un silence.
FRANÇOIS.
Jamais je ne reverrai cette femme ; je la déteste, je la maudis.
DOMINIQUE.
Il y a quelques minutes, elle disait de même en parlant de vous. Heureusement, vous êtes faits pour vous entendre, et elle est prête à tous les pardons.
FRANÇOIS.
Ce n’est pas son pardon que je veux, c’est le vôtre.
DOMINIQUE, s’exaltant encore.
Reprenez-la, et qu’elle vous connaisse davantage. Qu’elle pâtisse à son tour. Qu’à son tour, elle soit insultée et trahie. Qu’elle subisse les attentes dans les fiacres, les humiliations publiques et cachées, tous les outrages. Qu’elle soit piétinée, avilie. Qu’elle soit battue à son tour.
FRANÇOIS.
Grâce, grâce, Dominique !
DOMINIQUE.
Reprenez-la, vous dis-je, et mettez la terre entière dans la confidence de ses désespoirs. Faites lire ses lettres suppliantes par des catins ou des domestiques. Et demandez à vos camarades de vous suggérer des phrases amoureuses, si vous êtes à court d’éloquence pour lui répondre.
FRANÇOIS.
Ah ! les amis ! les amis !
DOMINIQUE.
Comme ils avaient raison, les amis !
FRANÇOIS.
Hélas ! vous auriez appris ces bassesses à l’heure où je les ai commises, qu’elles seraient peut-être oubliées aujourd’hui, et que nous pourrions être heureux !
DOMINIQUE, éclatant en sanglots.
Il fallait respecter mes chagrins, sacrilège que tu es, et tu n’aurais pas eu besoin de discrétion... Quand je pense que tu as profané ma tendresse, que tu as livré à des filles tous les secrets de mon âme et de mon corps ! Quand je pense que tu ne m’as pas été fidèle huit jours, non, pas huit jours, à moi qui n’ai pas regardé un homme depuis que je te connais !... Il était écrit que tu commettrais tous les crimes du cœur.
Elle tombe assise et pleure.
FRANÇOIS.
Eh bien, oui ! je les ai tous commis, je suis le plus lâche des amants, le dernier des hommes. Mais cela n’empêche pas que je t’aime, que je t’aime à la folie, et que je ne puis me résoudre à te perdre.
Une pause.
DOMINIQUE, debout, avec force.
Je ne veux pas de toi.
FRANÇOIS.
Tu m’appartiens de droit, nous sommes marqués l’un pour l’autre.
DOMINIQUE.
Je ne veux pas d’un menteur.
FRANÇOIS.
Tu seras généreuse.
DOMINIQUE.
Car menteur avec moi ou menteur avec cette femme, il est certain que tu es un menteur, et la prudence me commande de m’écarter de toi.
FRANÇOIS.
Tu aurais cent fois raison que je ne t’écouterais pas.
DOMINIQUE.
Va-t’en !...
FRANÇOIS.
Il est trop tard. Il y a une heure, il ne fallait pas me dire que tu m’aimais : je reste.
DOMINIQUE.
Il y a une heure, c’était un autre homme qui était devant mes yeux. Maintenant tu as repris ton vrai visage. Je te retrouve.
FRANÇOIS.
Tu m’aimes, je le sais, je ne partirai pas.
DOMINIQUE.
Que je t’aime ou non, je suis à un moment de ma vie où la confiance et la sécurité me sont nécessaires. Tu m’apportes l’incertitude et le danger. Va-t’en !
FRANÇOIS.
Dis ce que tu voudras, je ne peux pas renoncer à toi, c’est impossible.
DOMINIQUE.
Va-t’en !
FRANÇOIS.
Puisque j’ai ton amour, j’aurai bien ton pardon.
DOMINIQUE.
Mon amour ne dépend pas de moi et, Dieu merci, mon pardon dépend de ma volonté.
FRANÇOIS.
Tu m’as pardonné des actions plus graves.
DOMINIQUE.
Autrefois j’étais ta maîtresse, à présent je suis libre.
FRANÇOIS, cherchant à s’emparer d’elle.
Pas pour longtemps.
DOMINIQUE.
Je n’ai plus peur de toi.
FRANÇOIS.
J’aurai raison de ta colère.
DOMINIQUE.
Je ne faiblirai pas.
FRANÇOIS.
Écoute-moi, Dominique, par pitié !...
DOMINIQUE.
Tu vas mentir encore...
FRANÇOIS.
Qu’importe que je sois un menteur si tu m’aimes et si je t’aime ? Serais-tu la première et la dernière à te laisser adorer par un misérable ? Est-ce qu’on juge, est-ce qu’on condamne, est-ce qu’on chasse un être qu’on chérit ? Est-ce que notre histoire n’est pas celle de tous les amants ? Presque tous se sont méconnus et déchirés, et presque tous se sont pardonné tant que leur passion était vivante. Tu serais la plus vile des créatures que moi je te pardonnerais.
DOMINIQUE.
Parce que tu t’imagines que l’amour est au-dessus de tout.
FRANÇOIS.
Oui, je le place au-dessus de tout.
DOMINIQUE.
Moi, j’ai besoin d’estimer ce que j’aime.
FRANÇOIS.
Alors tu n’aimes pas assez.
DOMINIQUE.
Quand je me suis donnée, jadis, je croyais que cela durerait. Aujourd’hui je sais que cela finira.
FRANÇOIS.
Insensée, qui demandes un bonheur éternel, à qui le présent ne suffit pas !
DOMINIQUE.
Je ne veux plus souffrir.
FRANÇOIS.
Je t’ai fait tout le mal que je pouvais te faire.
DOMINIQUE.
Rappelle-toi tes paroles de l’autre jour, quand tu es revenu chez moi. « Si vous aviez la folie de m’aimer encore, m’as-tu dit, je vous ferais encore du mal. C’est ma destinée de mentir et de tromper. »
FRANÇOIS.
J’étais fou lorsque j’ai parlé de la sorte.
DOMINIQUE.
Non, tu n’étais pas fou. Tu avais le pressentiment de ma tendresse prochaine. C’est le seul mouvement généreux que je t’ai jamais vu.
FRANÇOIS.
Ah ! je n’ai pas encore été aussi cruel que tu l’es en ce moment.
Un silence.
DOMINIQUE, sans violence, avec amertume.
Et puis à quoi bon recommencer ? Que de misères si.je te cède ! Que d’infamies nouvelles !...
FRANÇOIS.
Je réponds de ton bonheur...
DOMINIQUE.
Demain tu pleureras ta liberté et avant huit jours, tu riras encore de moi dans le lit d’une autre femme...
FRANÇOIS.
Ce temps-là est fini...
DOMINIQUE.
Oh ! tu n’auras peut-être pas le courage de rompre tout de suite après tant de supplications. Mais tu maudiras tes serments...
FRANÇOIS.
Je les bénirai...
DOMINIQUE.
Plus tu te seras engagé, plus tu m’exécreras...
FRANÇOIS.
Tu blasphèmes...
DOMINIQUE.
Tu m’en voudras de mon silence et de mes paroles, de mon orgueil et de ma soumission...
FRANÇOIS.
Tes prédictions sont folles...
DOMINIQUE.
Encore une fois, j’entendrai toutes les phrases qui précèdent et qui suivent les infidélités. De nouveau, j’entendrai tous les mensonges, jusqu’au jour où tu ne prendras même plus la peine de mentir.
FRANÇOIS.
Tu ne te souviens que des heures mauvaises...
DOMINIQUE.
Oui, le jour viendra où tu me féliciteras de ma clairvoyance, si j’ai l’air de m ‘apercevoir de tes trahisons, et où tu railleras ma crédulité, si je feins de les ignorer...
FRANÇOIS.
Je ne serai pas ce bourreau...
DOMINIQUE.
Tu te lasseras avant moi de l’hypocrisie. Tu m’instruiras toi-même de mon malheur. Malgré moi, de force, tu m’ouvriras les yeux...
FRANÇOIS.
Comme tu me juges !...
DOMINIQUE.
Et quand tu seras bien fatigué de ma résignation, tu provoqueras ma révolte afin d’avoir l’occasion de t’en aller, en me laissant quelques torts, en emportant quelques griefs, car tu seras assez lâche pour vouloir avoir raison.
Elle pleure.
FRANÇOIS.
Tais-toi, tu m’insultes, tu me calomnies. On n’a pas ce machiavélisme, quand on adore sa maîtresse.
Un silence.
DOMINIQUE, avec douleur.
Encore si la droiture et le dévouement d’une femme comptaient pour quelque chose à tes yeux, je t’écouterais peut-être, j’essaierais...
FRANÇOIS.
Tu résistes à ton cœur !...
DOMINIQUE.
Mais tout ce que j’ai de noble et de bon dans l’âme et qui attacherait le plus indifférent est inutile avec toi. Tu ris des qualités des autres...
FRANÇOIS.
Je ne réclame que ton amour...
DOMINIQUE.
Le plaisir est ton seul lien. Ta vie n’est qu’une succession de moments. Tu suis ton instinct avec égoïsme. Tu n’as besoin de personne, toi...
FRANÇOIS.
Je ne veux plus vivre sans ma Dominique...
DOMINIQUE.
Tu es un être sur lequel on n’a aucune prise, un être changeant, un cœur facile et passager. On tient un ambitieux, on tient un fat, on tient même un coquin, on ne tient pas un homme léger.
Elle pleure.
FRANÇOIS.
Eh bien, fais de moi un autre homme, alors, conseille-moi, transforme-moi ; puisque mon amour ne te suffit pas, donne-moi ton cœur et ta conscience.
DOMINIQUE, avec regret, avec désespoir.
Pourquoi me vouloir ? Qu’ai-je à t’offrir de si tentant ? Mais tu ne me vois donc pas ? Tu ne m’entends donc pas ?... Mon corps est usé par le chagrin, et mon âme est à jamais incrédule.
FRANÇOIS.
Je t’aime telle que tu es.
DOMINIQUE.
J’avais dix ans de moins quand je l’ai rencontré. Comment veux-tu que je sois la plus forte aujourd’hui, quand je ne l’ai pas été autrefois ? Comment veux-tu que j’aie plus de chance à présent ?
FRANÇOIS.
Tu n’as plus besoin de chance, ni d’habileté, maintenant.
DOMINIQUE.
Des phrases ! Va, je ne sais pas ce qui peut me faire aimer, mais je sais bien ce qui peut me faire détester. Je te connais. Tu n’es pas homme à te passer de beauté. Il n’y a que ce que je vaux comme femme qui ait de l’importance avec un débauché. Et qu’est-ce que je vaux maintenant ?
FRANÇOIS.
Ton visage fidèle est plus beau que tous les autres.
DOMINIQUE.
Tu me trouves belle, parce que tu ne m’as pas encore. Quand tu m’auras reprise, tu raisonneras autrement.
FRANÇOIS.
Je dirai la même chose ; cette fois, ce n’est pas une inconnue que je désire...
DOMINIQUE.
Il ne me reste que mon cœur, en fait de séductions, mon pauvre cœur maladroit, mon cœur plein de révolte et d^imprudence. Je peux souffrir plus qu’une autre, voilà mon unique supériorité, mon dernier prestige.
FRANÇOIS.
Tu oublies toujours mon adoration.
DOMINIQUE.
Malheureuse que je suis ! je t’aime et je ne suis plus jeune.
FRANÇOIS.
Tu m’aimes ! Je ne retiens que ce mot divin.
DOMINIQUE.
Ah ! quelle douleur atroce de penser que j’ai eu vingt ans, que j’ai été belle, et que c’est fini, fini pour jamais !
FRANÇOIS.
Non, non...
DOMINIQUE.
Dire que tous les jours qui viendront vont diminuer mon pouvoir, que chaque jour va me déformer davantage ! Demain, quoi que je fasse, je serai plus vieille qu’aujourd’hui, moins désirable. Demain j’aurai quarante ans.
FRANÇOIS.
Demain, tu seras une femme heureuse.
DOMINIQUE.
Et je ne peux rien contre ma ruine ! Et si je redeviens la maîtresse de cet homme, j’aurai toujours fixé sur moi, heure par heure, son regard implacable, témoin de ma destruction !
FRANÇOIS.
Tu ne songes qu’aux choses douloureuses.
DOMINIQUE.
Si seulement tu ne m’avais pas connue autrefois, si j’étais nouvelle pour toi ! Mais tous les baisers, je te les ai donnés, toutes les paroles d’amour, je te les ai dites.
FRANÇOIS.
Toutes les paroles d’amour, tu ne les as pas entendues ; tous les baisers, tu ne les as pas reçus.
DOMINIQUE.
Ah ! ma jeunesse, ma jeunesse ! l’avoir perdue pendant que tu n’étais pas là ! Ne plus la tenir à l’heure où enfin tu m’aimes, à l’heure où j’ai tant besoin d’elle ! Hélas ! hélas ! je voudrais te donner toute ma vie, et je suis à peine assez belle pour un caprice. Pourquoi reviens-tu si tard, ou pourquoi es-tu parti ?
FRANÇOIS, la serrant dans ses bras.
Je te défends de regarder en arrière. Il n’y a ni vieillesse, ni jeunesse, ici, il y a deux êtres qui s’adorent, voilà tout. Et puis, laissons-la venir, ta vieillesse. Je l’attends avec sérénité. Que tu sois jeune ou vieille, j’aurai toujours, pour enchanter ma vie, ton cœur de femme et ton cerveau d’artiste.
DOMINIQUE.
Ce n’est pas la jeunesse.
FRANÇOIS.
Oh ! ne crains pas d’avoir des cheveux blancs, ma bien-aimée. Je ne les verrai pas, ou je les chérirai, car ce que je préfère en toi ne peut pas vieillir, ne vieillira jamais. Ton âme est à l’abri du temps.
DOMINIQUE.
Mon cher amant...
FRANÇOIS.
Ma Dominique...
DOMINIQUE, s’échappant de ses bras.
Non, non, je ne veux pas. Oh ! pendant qu’il en est temps encore, sois bon, épargne-moi.
FRANÇOIS.
Toutes tes supplications sont des baisers perdus.
DOMINIQUE.
Va-t’en, si tu es mon ami, je m’adresse à ta pitié. Je ne te fais plus aucun reproche. Épargne-moi.
FRANÇOIS.
Je veux les joies que tu m’as données.
DOMINIQUE.
Mais tu sais bien que je suis perdue si tu me prends, et qu’après je ne pourrai plus vivre sans toi.
FRANÇOIS.
Si tu te refuses, c’est que tu ne m’aimes pas.
DOMINIQUE.
Je t’aime, je t’adore, mais j’ai peur, j’ai peur d’être malheureuse.
FRANÇOIS.
Tu ne souffriras plus.
DOMINIQUE.
Ne fais pas de moi la maîtresse, je t’en supplie à genoux. Tu ne seras pas généreux demain, sois-le ce soir.
FRANÇOIS.
Il faut que tu m’appartiennes.
DOMINIQUE.
Ton baiser me rend folle.
FRANÇOIS.
Quelle est la femme amoureuse que la peur de la souffrance empêche de céder ? Il y a quelque chose de plus cruel que la jalousie et la trahison, c’est le départ de l’être aimé.
DOMINIQUE.
C’est vrai.
FRANÇOIS.
Alors ne te refuse pas davantage.
DOMINIQUE.
Eh bien, demain, pas ce soir.
FRANÇOIS.
Tout de suite.
DOMINIQUE.
Demain, comme il était convenu. Donne-moi cette preuve d’amour.
FRANÇOIS.
Et si tu ne voulais plus ?
DOMINIQUE.
Je t’appartiendrai, je te le jure.
FRANÇOIS.
Tu me le jures ?
DOMINIQUE.
Mais pas ici, ailleurs.
FRANÇOIS.
Pourquoi ?
DOMINIQUE.
À cause d’eux, je préfère.
FRANÇOIS.
Alors, à Paris, demain ?
DOMINIQUE.
C’est cela.
FRANÇOIS.
Mais tu ne vas pas te dérober ?
DOMINIQUE.
Le temps de me reprendre un peu...
FRANÇOIS.
Ah ! tu veux m’échapper encore.
DOMINIQUE.
Tu es fou, je t’adore. Cherche un coin quelconque et quand tu auras trouvé...
FRANÇOIS.
J’ai trouvé.
DOMINIQUE.
Où ? Comment ?
FRANÇOIS.
Pardonne-moi, ma chérie. Mais depuis un mois, je n’ai pas cessé de penser à cette heure. Et pour toi, pour toi seule, il existe une petite maison près du Bois.
DOMINIQUE.
Près du Bois ?
FRANÇOIS.
À Saint-James...
DOMINIQUE.
À Saint-James!
Avec horreur, avec indignation.
Tu mens !...
FRANÇOIS.
Dominique...
DOMINIQUE.
Tu mens !... Ce n’est pas pour moi seule qu’existe cette maison. C’est pour une autre que tu l’as choisie.
FRANÇOIS.
Mon Dieu...
DOMINIQUE.
La maîtresse que tu y cachais a été aussi la maitresse de Mariotte et elle lui a tout raconté. Et c’est dans le lit de cette femme que tu voulais m’avoir ! Voilà ton amour. Va-t’en, cœur public !
FRANÇOIS.
Dominique, pardonne-moi ! Pour un instant de folie, ne brise pas notre vie à tous les deux.
DOMINIQUE.
Va-t’en. Le bonheur est impossible avec toi. Puisque tu mens à cette minute sacrée, tu dois mentir depuis une heure, tu mentiras éternellement.
FRANÇOIS.
Faut-il que tu aies souffert pour être aussi implacable !
DOMINIQUE, désignant la panoplie.
Si tu fais un pas, je me tue.
FRANÇOIS, prêt à sortir.
C’est moi qui me tuerai
Scène V
FRANÇOIS, DOMINIQUE, MAURICE, puis ODILE, puis BRACONY, MARIOTTE, BÉHOPÉ
MAURICE.
Vous m’avez fait demander ?
DOMINIQUE.
Ah ! c’est vous, Maurice, c’est vous.
Un silence.
ODILE, entrant.
Bracony et les autres sont là, est-ce que ?...
DOMINIQUE, sans penser.
Si tu veux.
Odile va ouvrir la porte vitrée.
BRACONY.
Je vous ramène Mariotte.
MARIOTTE.
Nous avons laissé madame Bellangé dans les bras de son mari.
BRACONY.
Et il se pourrait qu’elle ne rentrât pas.
BÉHOPÉ, à François.
Toi ?
DOMINIQUE.
Il retourne en Angleterre, et il était venu me dire adieu.
FRANÇOIS, prêt à sortir, à Dominique.
Je n’aurai pas été longtemps votre voisin.
BÉHOPÉ, à François qui se trompe.
Pardon, c’est mon chapeau.
BRACONY, bas, à Maurice, désignant Béhopé.
Il était allé à Versailles pour s’en acheter un pareil.
MARIOTTE, à François.
Comme tu es pâle ! Qu’est-ce que tu as ?
FRANÇOIS, à Mariotte.
Au revoir.
BÉHOPÉ, à Bracony, désignant François.
Il a de la chance, celui-là : toutes les émotions lui vont bien.
BRACONY, à Béhopé.
Allons, les gens heureux ne sont pas les seuls qu’on jalouse.
FRANÇOIS, sortant.
Adieu, Dominique.
DOMINIQUE.
Adieu, François.
Bas à Maurice.
Pourvu qu’il ne se tue pas !
MAURICE.
Rassurez-vous : avant vingt-quatre heures, il rencontrera une jolie femme quelconque et il poursuivra sa carrière d’amant.
François sort.
Scène VI
DOMINIQUE, MAURICE, ODILE, BRACONY, MARIOTTE, BÉHOPÉ
BÉHOPÉ.
Congédié !
MARIOTTE.
Maintenant, nous allons faire une petite soirée, comme d’habitude.
BRACONY.
Ma migraine est passée. Soyons gais. Je veux être gai, moi.
BÉHOPÉ, à Mariotte.
Un peu de musique, veux-tu ?
MARIOTTE, se mettant au piano.
Quoi, mes enfants ?
BÉHOPÉ, à Mariotte.
Quelque chose de triste.
Mariotte joue le Clair de Lune de Gabriel Fauré ; Béhopé et Bracony se groupent autour de lui.
MAURICE, à Dominique.
Puis-je savoir ce que vous aviez à me dire ?
DOMINIQUE.
À vous dire ?...
MAURICE.
Rien ?...
DOMINIQUE.
D’être là.
MAURICE.
Hélas ! vous l’aimerez toujours.
DOMINIQUE.
Si je l’aimais autant que vous croyez, je ne l’aurais pas laissé partir. J’aurais eu plus de courage.