En pension chez son groom (Eugène LABICHE - MARC-MICHEL)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 2 février 1856.

 

Personnages

 

COCONIER

CHAVAROT

JEAN LARFAILLOU

RAGUFINE, bonne

CÉCILE, fille de Coconier

 

La scène est à Paris, chez Chavarot.

 

Un salon élégamment meublé ; une cheminée à droite, près de laquelle est un coffre à bois. Un divan à gauche sur le devant. Porte principale au fond ; deux portes de chaque côté. Guéridon avec ce qu’il faut pour écrire, à gauche du divan.

 

 

Scène première

 

CHAVAROT, puis JEAN

 

Au lever du rideau, la scène est vide. On entend sonner avec impatience à gauche.

CHAVAROT, sort de la chambre du premier plan de gauche avec une sonnette qu’il agite violemment et appelant.

Jean !... Jean !!... Jean !!!...

JEAN, sortant tranquillement de la deuxième porte de droite, et tenant un bol de soupe qu’il mange.

Monsieur a cloché ?

CHAVAROT.

Cloché ?... sonné !... depuis une heure, imbécile !

JEAN.

J’étais en train de manger ma soupe... et comme elle est trop chaude... je soufflais dessus !

CHAVAROT, l’imitant.

Je soufflais dessus !...

JEAN.

Les imbéciles ça ne souffle pas et ça se brûle... moi, je souffle !

Il souffle et mange.

CHAVAROT.

Eh bien !... il se remet à manger !... et l’appartement n’est pas fait !... la poussière est sur les meubles !... voyez ce divan !...

JEAN.

Oh ! Monsieur... la poussière faut pas la déranger... Si je l’ôte du divan, elle ira sur les fauteuils... alors je l’ôterai des fauteuils... elle retournera sur le divan... ainsi, autant la laisser tranquille.

Il souffle sa soupe et la mange.

CHAVAROT.

Voilà un raisonnement ! moi, je veux qu’on batte mes meubles, entends-tu... j’attends du monde... Allons, laisse là ta soupe !...

JEAN.

Je veux bien... mais vous allez voir !

Il pose sa soupe, prend une badine et frappe sur le divan ; il en sort une poussière affreuse.

Là... qu’est-ce que je disais !... tout sur les fauteuils !...

Frappant les fauteuils.

Et allez donc !... et allez donc !... tout sur le divan !...

CHAVAROT, toussant.

Hum ! hum !... finis donc, animal !... c’est dehors qu’on fait cela !

JEAN.

Et ça fait tousser !... c’est malin, la poussière !...

Il reprend son bol de soupe.

CHAVAROT, regardant la cheminée.

Comment ! le feu n’est pas encore allumé ?... à dix heures !... Il a repris sa soupe !... Ah ! çà, combien en manges-tu par jour ?...

JEAN.

Cinq petites, Monsieur... on dit que ça fait grandir !

CHAVAROT.

Allons ! va me chercher des copeaux...

Jean repose sa soupe. Chavarot ouvre le coffre à bois et en tire un lapin vivant par les oreilles.

CHAVAROT.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

JEAN, tranquillement.

Ça, Monsieur ?... c’est le mâle...

CHAVAROT.

Comment ! tu élèves des lapins dans mon coffre à bois !...

Il lui donne le lapin.

JEAN.

Monsieur... les lapins, ça aime le bois !

Il se tord de rire.

CHAVAROT.

Hein ?...

JEAN.

C’est un jeu de mots !

CHAVAROT.

Attends ! si je trouve ma cravache !...

JEAN.

Ne vous fâchez pas !... Moi, Monsieur, j’aime les bêtes !

À part.

Ousque je vais le mettre, à présent !...

CHAVAROT.

Allons ! débarrasse-moi de cette ordure-là ! c’est une infection !

JEAN.

Une infection !...

Flairant son lapin.

Ça sent l’anis !... Il n’aime pas les bêtes !...

Il sort à droite, deuxième plan, emportant son lapin

 

 

Scène II

 

CHAVAROT, seul

 

Quelle buse !... ce n’est pas un valet de chambre... c’est une fille de basse-cour !...

Regardant autour de lui.

Ah ! voilà un appartement rangé !...

Il met en place quelques meubles.

Et M. Coconier, mon futur beau-père, qui arrive aujourd’hui de Romorantin, avec sa fille. Tiens !... il me donnera peut-être des nouvelles de mon procès contre Lavardin, qui a dû se plaider à Romorantin il y a trois jours... Bon petit procès ! voilà huit ans qu’il dure !... mais je ne céderai pas !... c’est étonnant que mon avoué n’ait pas écrit depuis trois jours !

 

 

Scène III

 

CHAVAROT, JEAN

 

JEAN, entrant à part avec satisfaction, et reprenant son bol de soupe.

Je l’ai mis dans le bonnet à poil de Monsieur... il ne sert plus !... ainsi...

CHAVAROT.

Il n’est pas venu de lettre ?...

JEAN,

Non, Monsieur.

CHAVAROT,

C’est bien extraordinaire !

JEAN.

Ah ! si !... avant-hier, une méchante petite de quatre sous !

CHAVAROT.

Où est-elle ?

JEAN.

Comment ! Monsieur ne l’a pas trouvée ?

CHAVAROT.

Non.

JEAN.

Bien vrai ?...

CHAVAROT.

Ah ! mais, tu m’agaces ! parle donc !

JEAN, à part.

Petit étourdi !

Haut.

Je l’ai pourtant mise il y a deux jours dans la poche de votre habit... en le brossant...

Il désigne avec sa cuiller l’habit que porte Chavarot.

CHAVAROT, fouillant à sa poche.

Et tu ne m’en dis rien !... Oh ! triple brute !...

JEAN, à part.

Il est mal monté ce matin... il aura marché sur du persil !... persil... souci !...

CHAVAROT, ouvrant sa lettre.

Juste ! de mon avoué !...

JEAN, mangeant sa soupe.

Elle est trop froide, maintenant...

Il s’assied sur le fauteuil, devant la cheminée.

CHAVAROT, lisant pour lui seul.

« Monsieur, j’ai le regret de vous annoncer que vous avez perdu votre procès. »

Parlé.

Perdu !

Lisant.

« Vous avez été condamné à 1 500 francs de dommages-intérêts et aux dépens... »

Parlé.

C’est une injustice ! je ne paierai pas !...

Lisant.

« Votre adversaire a obtenu un jugement de saisie... et je vous préviens qu’il se rend à Paris dans l’intention de le faire exécuter. »

Exaspéré.

Sapristi ! un jugement de saisie, à un homme comme moi !... c’est ce que nous verrons !...

Il se promène avec agitation.

JEAN, à part, le regardant marcher.

C’est son persil qui l’asticote !... v’là une mauvaise herbe !

CHAVAROT, à lui-même.

Ce n’est pas pour les 1 500 francs... je m’en moque ! j’ai vingt mille livres de rentes !

Air : Qu’il est doux d’épouser celle.

Mais céder à mon adversaire !
Voir triompher ce Lavardin ;
Le voir rire de ma colère
Et me narguer d’un air malin !
C’est de lui que je veux qu’on rie !
Et, je le jure, il n’aura rien,
Quand, pour éviter la saisie,
Je devrais donner tout mon bien !

Jetant les yeux sur Jean qui mange sa soupe.

Oh ! quelle idée !... Toute ma fortune est en rentes au porteur... je m’ai que ce mobilier au soleil... parbleu ! cet imbécile va me servir !...

Haut à Jean.

Ah ! çà ! tu mangeras donc ta soupe toute la journée ?

JEAN.

C’est ma première, Monsieur... ma deuxième est sur le feu... elle mitonne...

CHAVAROT, à part.

Dans cinq minutes, je serai insaisissable !

Haut à Jean.

Mon chapeau !

JEAN, se lève vivement, met son bol dans les mains de son maître et court chercher le chapeau sur un fauteuil au fond, le lui donne et reprend son bol.

Voilà, Monsieur !

CHAVAROT.

Attends-moi !... j’ai à te parler...

Le regardant en riant.

Dieu ! que tu as l’air bête !...

Il sort par le fond.

 

 

Scène IV

 

JEAN, seul

 

Riant.

Ah ! ah !... il est gai cet homme !... Moi d’abord, j’aurais pas voulu d’un bourgeois triste... il me faut un bourgeois qui m’égaie !

Il pose sa soupe et dit d’un air sombre.

Quand on a des crimes et des meurtres sur la conscience !... Oh ! oui, que j’en ai ! Il y a six mois, j’étais cheux nous... au pays !... employé chez un tuilier... il me faisait rouler de la brique dans des charrettes... c’est pas un état à devenir maréchal de France... Mais c’est considéré !... Pour lors, ce jour-là, je monte dans ma voiture et je paffe de l’œil !... En approchant du moulin... je me sens cahoté... mais cahoté !... Pas possible ! que je me dis, on a abîmé la route... c’est les ingénieurs !... J’ouvre un quinquet... et qu’est-ce que je vois ?... vingt-trois moutons écrasés... dont deux noirs !... Depuis un quart d’heure j’étais en train de rebondir sur un troupeau ! moi, qui aime les bêtes !... Tout à coup, j’entends une voix qui sort des nuages et qui me crie : « Ah ! gredin !... je te connais... tu mangeras de la prison !... » C’était le berger, qui était dans un fossé !... Alors je perds la tête, je lâche tout et je me sauve à Paris pour enfouir mon crime !... Mais, la nuit, je vois errer autour de ma couche, vingt-trois fantômes de moutons pâles... dont deux noirs... qui viennent me faire : Bêêê !... Bêêê !!!...

Frissonnant.

Brrr !... Aussi, je couve un projet... j’ai envie de prendre une dame de compagnie... en légitime !... Au moindre mouton... je la réveillerai et je lui dirai : « Cause-moi ! » J’ai pensé à la cuisinière d’au-dessus... mamzelle Ragufine... En voilà une qui entend la soupe !... mais je n’ose pas lui parler... elle est si imposante !... c’est une demoiselle de Versailles !!!

 

 

Scène V

 

JEAN, RAGUFINE

 

RAGUFINE, entrant par le fond avec un panier à son bras.

Ah ! je vous trouve !... c’est pas malheureux !

JEAN, sursautant.

Crédié ! c’est elle !...

Haut.

Que vous êtes bonne de venir...

RAGUFINE.

Je viens de la boucherie !

JEAN, à part.

Est-elle imposante avec son panier !

RAGUFINE.

Vous êtes encore un joli moineau, vous !

JEAN.

Ah ! Mamzelle... que ne suis-je moigneau !...

RAGUFINE.

À cause ?

JEAN.

Parce que je vous dirais : mamzelle Ragufine... construisons un nid...

RAGUFINE.

Je ne suis pas en train de rire !... je suis venue pour vous prier de finir vos bêtises !...

JEAN.

Mes bêtises ?

RAGUFINE.

Oui... qu’est-ce qui vient soir et matin dans mon corridor pousser des soupirs... à faire croire que c’est le vent ?...

JEAN.

Les grands soupirs, Mamzelle, c’est les courants d’air des grandes passions !

RAGUFINE.

C’est possible ! mais comme je n’aime pas les courants d’air... je ferai poser du bourrelet !...

JEAN, à part.

Ô Dieu ! serait-ce une cuisinière de marbre !

RAGUFINE.

Et puis, quelle rage avez-vous de venir dessiner sur ma porte des chapeaux de gendarme ?... avec leurs plumets !

JEAN.

Comment ! des chapeaux de gendarme !... mais c’est des cœurs enflammés, Mamzelle ! avec leurs flèches !...

RAGUFINE.

Ah ! bah ! j’ai pris ça pour des tricornes !... c’est égal, c’est malpropre et ça me compromet... Madame m’a dit que si elle en trouvait encore, elle me chasserait...

JEAN, à part.

Sapristi !... j’en ai encore plaqué un ce matin !... je l’effacerai !

RAGUFINE.

Et comme je n’ai pas envie de me trouver sur le pavé...

JEAN.

Vous, sur le pavé !... quand je possède une alcôve !

RAGUFINE, choquée.

Hein ?...

JEAN.

Je vous l’offre !... en légitime !... en légitime !...

RAGUFINE.

Ah !...

JEAN.

Soyez tranquille... je n’oublierai jamais que je parle à une demoiselle de Versailles !...

RAGUFINE.

Nous marier !... mais vous êtes fou !... vous n’avez rien !

JEAN.

Peut-être !... peut-être !...

RAGUFINE, radoucie.

Ah !... vous avez quelque chose ?...

JEAN.

Vingt-trois moutons à la caisse d’épargne !...

RAGUFINE.

Vingt-trois moutons ?

JEAN, se reprenant.

Francs !... Vingt-trois francs !...

À part, d’une voix sombre.

Ô l’homme qu’a un crime !!!...

RAGUFINE.

Moi, d’abord, si je me marie, je veux un homme avec un mobélier...

JEAN.

Qu’entendez-vous par un mobélier ?...

RAGUFINE.

Dame ! six fauteuils, une commode, un secrétaire...

JEAN.

Comme au château de Versailles ! Eh ! bien, ne dites rien... je pourrai peut-être vous en offrir un avant peu...

RAGUFINE.

Vous ?

JEAN.

Oui... mon maître me chérit... je l’ai tant soigné dans sa dernière maladie... quand son cheval l’a flanqué par terre... Chaque fois que je cassais une tasse ou une assiette, il me disait : Toi, quand je serai guéri, je te donnerai quelque chose...

RAGUFINE, riant.

Et vous comptez là-dessus ?...

JEAN.

Un honnête homme n’a que sa parole... je lui demanderai de l’acajou !...

Air du Voyage de haut en bas.

Alors comm’ deux colombes,
Nous nous épouserons,
Et jusqu’à nos deux tombes,
Nous nous adorerons.
À vous mes feux discrets,
Mais
Vous m’donnerez à moi...

RAGUFINE.

Quoi ?

JEAN.

Votre cœur en retour
Pour
Un si parfait amour !

Voix de CHAVAROT, en dehors.

C’est bien ! c’est bien ! c’est convenu !

JEAN.

La voix de Monsieur !...

RAGUFINE.

S’il me trouve ici...

JEAN,

Oh ! jamais !... là !... par l’escalier de la cuisine !

À lui-même, en la faisant passer.

Sauvons sa renommée !... elle est de Versailles.

Elle sort à droite, deuxième plan.

 

 

Scène VI

 

JEAN, CHAVAROT

 

CHAVAROT, entrant joyeux, un papier à la main, à part.

Je viens de voir mon propriétaire... c’est arrangé !...

JEAN, à part.

Il a l’air de bonne humeur... si je lui demandais mes six fauteuils !...

CHAVAROT, l’apercevant.

Ah ! te voilà !... avance ici !

Jean s’approche de lui.

Mon Dieu ! que tu as l’air bête !...

Il rit.

JEAN, à part.

Il rit !... il a marché sur du céleri !... Céleri... on rit !

CHAVAROT.

Jean, écoute-moi... je t’ai toujours considéré comme un honnête garçon... pas fort... mais honnête !...

JEAN.

Monsieur, pour ce qui est de l’honnêteté... je ne prendrais pas une puce à mon plus cruel ennemi !

CHAVAROT.

Je vais te donner une preuve de ma confiance... prends ce papier et garde-le soigneusement...

JEAN, prenant le papier.

Quoi que c’est ?...

CHAVAROT.

Le bail de cet appartement, que j’ai fait mettre en ton nom... ainsi que tous les meubles...

JEAN, pétrifié de joie.

Hein ? les meubles ? les meubles ?...

CHAVAROT.

S’il vient des huissiers, comme je le suppose... tu diras que tout est à toi, les fauteuils, le divan...

JEAN, transporté.

Tout ! quoi ? tout !

CHAVAROT.

Il n’y a plus une épingle à moi dans la maison...

JEAN, avec effusion, et cherchant une épingle sur sa manche.

Oh ! je vous en prêterai !

CHAVAROT.

Et si l’on te demande où je demeure... tu répondras que je suis... aux Antilles !

JEAN.

Voui ! bon maître !

À part.

C’est la récompense de mes soins pendant sa maladie de cheval !

CHAVAROT.

Tu as bien compris mes instructions ?

JEAN.

En plein ! l’appartement... les meubles... tout à moi.

Avec inquiétude.

Mais...

CHAVAROT.

Mais quoi ?...

JEAN.

Et le loyer !... qui est-ce qui le paiera ?...

CHAVAROT.

Parbleu ! c’est moi... comme autrefois !

JEAN, à part, transporté.

Oh ! voilà un homme !... voilà un homme !

CHAVAROT.

Seulement, tu me feras une contre-lettre pour régulariser notre position...

JEAN.

Une contre-lettre ? je ferai tout ce que vous voudrez !

À part.

Qu’est-ce que ça peut être ?...

CHAVAROT, à lui-même.

Midi ! je suis en retard !... Coconier et sa fille vont arriver, il faut que je sois au débarcadère pour les recevoir !...

Prêt à sortir.

Mon parapluie ?...

JEAN, le lui donnant.

Le mien !... c’est le mien, maintenant !... je vous le prête.

CHAVAROT, riant.

Parfait... tu es dans ton rôle !...

Ensemble.

Air : Ce projet. (Diamants.)

CHAVAROT, à part.

La plaisante aventure !
Ah ! l’on voulait me saisir !
Mais je suis en mesure,
Et l’on peut venir.

JEAN, à part.

Quelle heureuse aventure !
J’ crains d’étouffer de plaisir !
J’suis meublé ! ma future
Maint’nant peut venir !

Chavarot sort par le fond.

 

 

Scène VII

 

JEAN, puis COCONIER et CÉCILE

 

JEAN, seul, admirant les meubles.

Tout ça est à moi !... à moi !!!...

Il essuie vivement les meubles avec son tablier.

Diable de poussière !... faut jamais la laisser dormir !... du moment que c’est à moi !... tout !!!... C’est Ragufine qui va être étonnée !... elle m’épousera du coup !... Sapristi ! je pense que j’ai quelqu’un dans le divan !

Il ouvre vivement le divan et en tire un lapin vivant.

C’est la femelle !... Ces animaux-là, quand on ne les sépare pas... ça fourmille !... Cheux nous, il y en a un qui en a fait quatre-vingt-deux... mais c’était à monsieur le maire !

COCONIER, paraissant au fond.

Oui, ma fille... ce doit être ici.

JEAN.

Du monde !

Il laisse retomber le lapin dans le divan et le referme. Coconier et Cécile entrent. Ils sont en costume de voyage et portent quelques paquets. Coconier est vêtu d’un paletot en caoutchouc qui ruisselle, et Cécile tient un parapluie tout mouillé.

CÉCILE.

Ah ! mon Dieu ! papa, quelle averse !

COCONIER.

Et pas l’ombre d’un fiacre au chemin de fer !...

JEAN, qui a pris un torchon et les suit à la piste en épongeant le parquet.

Ils ruissellent !... ils vont tout m’abîmer !...

COCONIER.

Enfin, nous voici à l’abri !

Il s’assied sur le divan.

JEAN, secouant le divan pour le faire lever.

Prenez donc garde !...

COCONIER, se levant.

Ah !... bonjour mon garçon !...

À sa fille.

C’est le domestique de Chavarot.

À part.

J’aurais préféré une servante... parce que une servante !... je suis veuf, moi !...

Coconier et sa fille se promènent en se secouant.

JEAN, à part.

Ah çà ! est-ce qu’ils vont se promener longtemps comme ça ?...

Haut.

Quoi que vous demandez à la fin ?...

COCONIER.

Mais, mon ami, nous demandons ton maître... M. Chavarot ?...

JEAN, à part.

Il a une figure d’huissier cet inondé-là !

Haut.

M. Chavarot ?...

CÉCILE.

Sans doute...

JEAN.

Il n’est plus ici.

COCONIER et CÉCILE.

Hein ?...

JEAN.

Il est aux Nantilles !

COCONIER.

Aux Haricots, tu veux dire...

À sa fille.

Il aura manqué sa garde !

JEAN.

Non ! aux Nantilles, qu’on vous dit !...

CÉCILE.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

COCON1ER.

Les Nantilles ?... c’est un petit village aux environs de Nanterre, sans doute.

CÉCILE.

C’est égal, ne pas se trouver là pour nous recevoir... quand nous venons de faire soixante lieues...

COCONIER, s’asseyant à droite sur un fauteuil.

Oui, c’est bien extraordinaire !... Mon garçon, vous lui direz...

JEAN, secouant le fauteuil pour le faire lever.

Dites donc ! vous ruisselez sur mon fauteuil !... Ah ben !

COCONIER, se levant.

Ah ! pardon...

À sa fille.

Il est soigneux !

À Jean.

Vous lui direz...

JEAN, essuyant le fauteuil.

L’eau sur la poussière... ça fait de la boue...

COCONIER.

Oui !... vous lui direz... que Coconier est sa fille...

JEAN.

Votre fille ?... elle me fait des rigoles avec son parapluie !

COCONIER, à sa fille.

Tu lui fais des rigoles...

CÉCILE.

Ce n’est pas ma faute !...

JEAN, lui retournant son parapluie le manche en bas.

Tenez-le à l’envers... comme ça !... l’eau redescend... et quand elle va pour tomber... crac ! on le retourne ! et toujours la même chose !... c’est très commode !...

Il le lui remet dans la main, le manche en bas.

COCONIER.

Il est très propre !...

À Jean.

À quelle heure doit-il rentrer ?

JEAN.

Qui ça ?...

COCONIER.

Chavarot !

JEAN.

Oh ! très tard !

À Cécile lui retournant son parapluie.

Tournez ! tournez !

CÉCILE.

Papa, allons-nous-en !

COCONIER, avec humeur.

Il le faut bien, puisque Chavarot...

À Jean.

Mon ami, y a-t-il un hôtel près d’ici ?...

JEAN.

Oui... l’hôtel de Nantes, là !... en face...

COCONIER, très contrarié.

Allons ! viens ma fille.

JEAN, voyant qu’ils se dirigent vers la porte du fond.

Pas par là... c’est essuyé !

COCONIER.

Hein ?...

JEAN, lui montrant la cuisine.

Par ici... l’escalier du porteur d’eau... ça ne craint pas !

COCONIER.

Comment, l’escalier du porteur d’eau !

Ensemble.

Air.

COCONIER et CÉCILE.

Puisqu’il le faut, allons-nous-en ;
Mais c’est pourtant
Bien déplaisant !
Ah ! je comptais, en arrivant,
Sur un accueil tout différent.

JEAN.

Allons ! bien vite, allez-vous-en !
Vous mouillez tout, c’est déplaisant.
Comment veut-on que maintenant
Mon mobilier soit reluisant.

Coconier sort avec sa fille.

JEAN, les faisant passer.

Là... tout droit... la petite porte...

Criant à la cantonade.

Tournez ! tournez !...

Revenant en scène.

C’est une petite sans soin !

 

 

Scène VIII

 

JEAN, CHAVAROT

 

CHAVAROT, entrant mouillé, par le fond.

Quel temps !... je suis trempé !...

JEAN, à part.

Allons, bien ! à l’autre maintenant !

À son maître.

Ne bougez pas !

Il va prendre une serviette.

CHAVAROT, à lui-même, se promenant.

Personne au chemin de fer ! le train était arrivé depuis dix minutes... je n’ai pas vu mon beau-père... nous nous serons croisés !

JEAN.

Ne bougez donc pas !...

Il l’éponge avec sa serviette.

CHAVAROT, se laissant faire.

Diable ! voilà une attention !...

JEAN.

Monsieur... c’est pour les meubles !

CHAVAROT.

Dis-moi : est-il venu quelqu’un ?...

JEAN.

Oui, Monsieur... un homme mouillé... avec une mauvaise figure... il reluquait les fauteuils...

CHAVAROT.

L’huissier, sans doute ?

JEAN.

Je le croirais... vu son humidité.

CHAVAROT.

Eh bien ?... qu’as-tu fait ?...

JEAN.

Je lui ai dit que vous ne demeuriez plus ici.

CHAVAROT.

Bravo !

Lui donnant son parapluie mouillé.

JEAN.

Et il s’est en allé... avec sa fille...

CHAVAROT.

Sa fille ?...

JEAN.

Une petite éponge à qui j’ai donné une leçon de parapluie...

Il retourne le parapluie qu’il tient.

CHAVAROT, inquiet, vivement.

Ah ! mon Dieu !... leurs noms ?...

JEAN.

Quelque chose comme Cochonnier...

CHAVAROT.

Coconier ???...

JEAN.

Juste !

CHAVAROT.

C’est lui !!!

JEAN.

L’huissier ?...

CHAVAROT.

Animal ! butor ! crétin !...

JEAN, à part.

Qu’est-ce qu’il a ?... il a remarché sur du persil !...

CHAVAROT.

Où sont-ils à présent ?...

JEAN.

À l’hôtel de Nantes... où ils sèchent !

CHAVAROT.

J’y cours...

À part.

Mon beau-père... ma future... mis à la porte !

Haut.

Brute, va !

JEAN, à part.

V’là une mauvaise herbe !

CHAVAROT, prêt à sortir.

Ah ! et ma contre-lettre... l’as-tu faite ?...

JEAN.

Qué contre-lettre ?...

CHAVAROT.

Eh ! parbleu !... une reconnaissance... pour le mobilier !

Sortant.

Animal !...

 

 

Scène IX

 

JEAN, puis RAGUFINE

 

JEAN.

Une reconnaissance... je comprends ce qu’il veut... mais...

RAGUFINE, entrant par la cuisine avec ses paquets.

Eh bien ! vous avez fait un joli coup !

JEAN, joyeux.

Ragufine !

RAGUFINE.

Madame a encore trouvé un de vos cœurs sur ma porte... et elle m’y a mis !...

JEAN.

Oh ! tant mieux !

RAGUFINE.

Comment !

JEAN.

J’ai une place à vous offrir... celle de mon épouse...

RAGUFINE, avec humeur.

Laissez donc tranquille !

JEAN.

Ne soyez plus imposante... Comment que vous trouvez cet appartement ?...

RAGUFINE.

Superbe !...

JEAN.

Pas vrai ?... Eh bien, il est à moi !...

RAGUFINE.

Hein ?...

JEAN.

Comment que vous trouvez ce mobilier ?...

RAGUFINE.

En arcajou !...

JEAN.

Eh bien ! il est à moi !

RAGUFINE.

À vous !

Elle pose ses paquets par terre.

JEAN.

Air des Zouaves.

Tout est à moi ! (bis.)
Mamzelle ça vous étonn’ peut-être !
Parol’ d’honneur ! oui, sur ma foi,
De tout ici je suis le maître !
Mais que j’ devienne votre tendre époux,
Et j’vous dirai d’une voix câline :
Tout est à vous (bis.)
Ô bell’ Ra... ra... bell’ Ragufine...

ENSEMBLE.

Tout est à vous ! (bis.) etc.

RAGUFINE.

Tout est à vous (bis.)
C’ qu’est à Jean est à Ragufine !

RAGUFINE, émerveillée.

C’est-y possible.

JEAN.

Un cadeau de Monsieur... j’ai le papier !

RAGUFINE.

Eh bien ! et lui ?...

JEAN.

Il s’en va loger en garni... à l’hôtel de Nantes... nous serons chez nous.

RAGUFINE.

C’est trop grand...

JEAN.

Nous prendrons des pensionnaires... des vieux, des laids !...

RAGUFINE.

Pourquoi ça ?...

JEAN, avec passion.

Par jalousie d’amour ! car je vous aime, ô Ragufine !... j’ose vous le dire à présent que j’ai des fauteuils !... Vous pouvez vous y asseoir... pour aujourd’hui... toute la journée !... Demain nous reprendrons les chaises de paille... faut du soin !

RAGUFINE, tendrement.

Eh bien ! vrai, monsieur Jean !... ce n’est pas parce que vous avez des meubles... mais je vous trouve... bel homme !

JEAN.

Et vous ne me le disiez pas !

RAGUFINE.

Par timidité... une demoiselle de Versailles !

JEAN.

C’est juste !... ô Ragufine ! quand pourrai-je dire en vous pressant dessus mon cœur...

Air des Zouaves.

Tout est à moi ! (bis.)
Sa taille élastique de princesse,
Son port de rein’, son pied de roi,
Son œil en amand’ de duchesse !
Puisque j’vas t’être vot’ tendre époux,
Ah ! dites-moi d’ votre voix câline :
Tout est à vous !

RAGUFINE, baissant les yeux.

Tout est à vous !
Tout’ vot’ Ra... ra... votr’ Ragufine !

ENSEMBLE.

Tout est à vous ! etc.

JEAN.

Tout est à moi ! etc.

JEAN, avec feu.

Oh ! unissons-nous tout de suite !... Nous irons aujourd’hui même à la mairie pour nous faire publier... faut des témoins...

RAGUFINE.

Je m’en charge !...

JEAN.

Prenez-en des grands... ça porte bonheur !... Chez nous, il y a Bichoreau qui en a pris des petits... sa vache est morte ! – Mais c’est pas tout ça !... j’ai à écrire...

Il se met à la table, arrange son papier et prend la plume.

RAGUFINE.

À qui ?... à une femme ?

JEAN.

À mon maître... Il m’a demandé une lettre de reconnaissance... faut pas être ingrat !

Il mord sa plume et médite un instant.

Cristi !

RAGUFINE.

Eh bien ! allez donc !...

JEAN.

C’est que... il y a une chose qui me gêne...

RAGUFINE.

Quoi ?...

JEAN.

Faut vous dire que le maître d’école de mon pays... on l’a enterré le jour de ma naissance !...

RAGUFINE.

Je comprends...

JEAN, se levant.

Tenez-moi un peu la plume...

Ragufine la prend.

Gardez-la... Quand on me tient la plume, j’écris très bien !... ça va tout seul...

RAGUFINE.

Farceur !...

Elle s’assied pour écrire.

JEAN, à part.

Elle est instruite, cette femme-la !

Haut.

Y êtes-vous ?...

RAGUFINE.

Marchez !...

JEAN, dictant.

« Ô mon bon maître !

RAGUFINE, écrivant.

M-è-t-r-e... Mètre !

JEAN.

Est-elle instruite !

Dictant.

« Ô mon bon bienfaicteur...

RAGUFINE, écrivant.

« ...infecteur. »

JEAN.

« Vos meubles resteront toujours gravés dedans mon cœur ! merci ! merci !! merci !!!

RAGUFINE.

Trois fois ?

JEAN.

Tiens ! pour tant de fauteuils que ça, c’est pas trop !... y êtes vous ?...

RAGUFINE.

Marchez !

JEAN, dictant.

« Ô mon bon maître !... surtout n’oubliez pas de payer les termes et l’éclairage...

RAGUFINE.

Ah ! oui !... et les impositions !...

JEAN, dictant.

« Et les impositions ! » – Y êtes-vous ?...

RAGUFINE.

Marchez !...

JEAN, dictant.

« Ô mon bon maître !... il y a une roulette cassée à la table à manger...vous seriez bien gentil d’en faire poser une neuve... s’il vous plaît ?...

RAGUFINE.

Après ?...

JEAN, dictant en s’attendrissant.

« Je termine... ma plume m’échappe...

Pleurant.

mes yeux s’oscurcissent...

RAGUFINE.

« S’oscurcissent. » Comment que j’vas écrire ça, moi...

JEAN, pleurant.

Comme saucisse.

RAGUFINE.

C’est juste ! c, o, so. – c, u, su...

Pleurant.

s’oscurcissent.

JEAN.

« De sanglots !... à la vie à la mort ! »

RAGUFINE, se levant.

Ça y est.

JEAN, prenant la plume.

Prêtez, que je fasse ma croix...

Faisant sa croix.

Cric !... crac !...

Pliant le papier.

J’espère qu’en voilà de la reconnaissance !

RAGUFINE.

Et pour la mairie faut que je m’habille... où çà ?...

JEAN.

Partout, puisque nous sommes chez nous.

Montrant les portes.

Voulez-vous celle-ci ? voulez-vous celle-là ? ou bien cette autre... c’est la chambre de Monsieur... je te l’offre !...

RAGUFINE.

Je te l’offre ?...

JEAN, à part.

Je l’ai tutéyée !... comme l’homme est-t-hardi quand il est dans ses meubles !...

Ensemble.

Air : d’Oursika je raffole. (Espagnolas.)

JEAN.

Passez : voici la porte
De votre appartement,
Et souffrez que j’y porte
Vos effets galamment,
Et puis à la mairie
Nous irons tous les deux
Pour que l’on nous marie
Au gré de nos cœurs amoureux.

RAGUFINE.

Puisque voici la porte
De mon appartement,
Allons ! que l’on y porte
Mes effets galamment !
Et puis à la mairie
Nous irons tous les deux,
Pour que l’on nous marie
Au gré de nos cœurs amoureux.

Il entre avec elle dans la chambre de gauche, premier plan, pour l’aider à porter ses paquets.

 

 

Scène X

 

CHAVAROT, COCONIER, CÉCILE

 

CHAVAROT, introduisant Coconier et Cécile avec leurs paquets.

Entrez donc, beau-père... c’est un malentendu de mon imbécile de domestique !

CÉCILE.

Qui n’est même pas très poli !

COCONIER.

Je disais aussi, c’est bien extraordinaire... choisir juste le jour de notre arrivée pour aller à sa villa des Nantilles !...

CHAVAROT, étonné.

Quoi ?...

CÉCILE.

Et papa voulait prendre l’omnibus pour aller vous-y chercher...

CHAVAROT.

Où ça ?

CÉCILE.

Aux Nantilles !

CHAVAROT, à part.

Qu’est-ce qu’ils ont donc avec leurs Nantilles ?

COCONIER.

Mon gendre, j’ai remarqué qu’un domestique mâle est toujours moins intelligent qu’une servante.

CHAVAROT.

Le mien surtout... qui est d’une bêtise !...

COCONIER, à part.

Je ne suis pas fâché de lui dire ça, en passant... je suis veuf, moi !

Haut.

– Ah çà ! vous nous logez ?

CHAVAROT.

Mais, sans doute. – Voici votre chambre qui vous attend.

COCONIER.

Je vous demanderai la permission d’aller passer une cravate blanche... pour me rendre chez votre huissier.

CHAVAROT.

Mon huissier ?

COCONIER.

Oui, j’ai un jugement à faire exécuter contre un drôle... Nous aurons ensuite à causer du contrat.

CHAVAROT.

Oh ! quand à cela, cher beau-père... puisque mademoiselle Cécile est fille unique...

COCON1ER.

Oui, unique ! unique !

Bas.

Peut-être !...

CHAVAROT.

Comment ?

COCONIER, donnant sa valise à Cécile.

Ma fille... va me préparer ma cravate blanche.

CÉCILE, prenant les paquets.

Tout de suite, papa...

Elle sort à droite, premier plan.

COCONIER.

Mon gendre, j’ai un aveu gaillard, mais pénible à vous faire.

CHAVAROT.

Parlez...

COCONIER.

J’étais jeune... on faisait les seigles... Charlotte glanait...

CHAVAROT.

Charlotte ?...

COCONIER.

Une fille de ferme... rose et blonde... Je lui offris des boucles d’oreilles... elle les accepta. Le lendemain, elle nous quitta pour aller faire de l’agriculture dans un autre canton... et, neuf mois après, j’appris qu’elle était nourrice à Orléans.

CHAVAROT.

Bigre !... et le nourrisson ?

COCONIER.

Je ne le cherche pas !... mais si jamais je le trouve, sa part est faite, ça me coûtera dix mille francs.

CHAVAROT,

Ah ! mon gaillard !... c’est comme cela que vous faisiez les seigles !

CÉCILE, rentrant.

Papa !...

COCONIER, à Chavarot.

Chut ! ma fille !...

CÉCILE.

Voici Votre cravate.

COCONIER.

Merci... cause avec ton futur, il a des choses très aimables à te dire.

ENSEMBLE.

Air De la Perle de la Canebière.

J’entre donc
Sans façon,
J’agis en beau-père.
À merveille, il sait faire
Les honneurs de sa maison.

CHAVAROT.

Entrez donc
Sans façon,
Entrez cher beau-père,
Trop heureux de vous faire
Les honneurs de ma maison.

CÉCILE.

Voilà donc
Sa maison
Plus hospitalière !
Son laquais va, j’espère,
Profiter de la leçon !

Coconier entre dans la chambre de droite, premier plan.

 

 

Scène XI

 

CHAVAROT, CÉCILE

 

CHAVAROT, prenant la main de Cécile et la conduisant au divan.

Ma chère Cécile, nous sommes seuls un instant... permettez-moi de m’excuser de la manière un peu brusque dont notre mariage s’est arrangé...

Il la fait asseoir et s’appuie sur le bras du divan.

J’ai à peine eu le temps de vous exprimer mes sentiments...

On entend piaffer le lapin dans le divan.

CÉCILE, sursautant, à part.

Ah ! mon Dieu... ça remue là-dessous !

CHAVAROT.

Qu’avez-vous ?... auriez-vous peur de moi ?...

CÉCILE, troublée.

Mais non, Monsieur... ce n’est pas cela !...

CHAVAROT.

Je comprends votre embarras... votre timidité... mais au moment de nous unir... j’ai besoin de savoir...

On entend piaffer le lapin.

CÉCILE, à part.

Ciel ! encore !...

Elle se lève effrayée.

CHAVAROT, à part.

Elle me fuit !...

Il la fait asseoir et s’assied à côté d’elle.

Expliquez-vous, Mademoiselle, je vous en conjure... je suis trop galant homme pour faire violence à votre cœur...

Il veut lui prendre la main... nouveaux piaffements du lapin.

CÉCILE, se levant avec terreur.

Ah !... il y a un voleur là-dessous !...

CHAVAROT.

Un voleur !

Il ouvre vivement le divan et en tire le lapin par les oreilles.

Encore un !

CÉCILE, éclatant de rire.

Un lapin !

 

 

Scène XII

 

CHAVAROT, CÉCILE, COCONIER, puis JEAN

 

Coconier entre et tient une poule.

CHAVAROT et CÉCILE.

Une poule !...

COCONIER.

Ah ! c’est bien drôle !... J’ouvre la table de nuit... pour y mettre mes pantoufles !... et cette couveuse me saute aux jambes avec seize petits poulets.

JEAN, qui est entré et a entendu.

Ô bonheur !... ils sont éclos !... Monsieur, v’là vot’ lettre de reconnaissance...

Il la lui donne.

CHAVAROT.

Ah ! c’est toi ! animal !... Tu as donc juré de faire de mon appartement une ménagerie !...

JEAN.

Une ménagerie !... c’est quand il y a des lions !...

CHAVAROT, lui donnant le lapin.

Allons ! emporte ça !...

COCONIER, lui remettant la poule.

Et ceci !...

JEAN, les emportant à la cuisine, et à part.

Pourquoi qu’il m’a ramené tous ces gens-là ?... ah ! mais, faudra que nous en causions !

Il sort à droite, deuxième plan.

CHAVAROT, toujours en colère.

Ce soir... je vous promets de lui frotter les oreilles !

COCONIER.

Vous n’auriez pas une autre chambre à me donner ?...

CHAVAROT.

Prenez la mienne...

Montrant la porte de gauche, premier plan.

Moi, je cours prier mon notaire de préparer le contrat.

ENSEMBLE.

Air : Semez dans votre causerie.

Vit-on jamais un domestique
Plus singulier que ce garçon !
Il prend, c’est une chose unique,
Pour basse-cour cette maison !

Cécile entre dans la chambre de gauche, deuxième plan ; Chavarot sort par le fond.

 

 

Scène XIII

 

COCONIER, puis JEAN, puis RAGUFINE

 

COCONIER, se dirigeant vers la chambre à gauche, premier plan.

Il m’a dit dans sa chambre...

Il cherche à ouvrir la porte qui résiste.

Eh bien ?...

Voix de RAGUFINE, alarmée.

On n’entre pas !...

COCONIER.

Une femme !... dans la chambre de mon gendre !...

Se calmant.

Après ça, c’est peut-être sa blanchisseuse !... Voyons donc ! voyons donc ! je suis veuf, moi !...

Il regarde par le trou de la serrure.

JEAN, sortant de la cuisine avec un bol à la main.

V’là ma deuxième soupe !

Apercevant la posture de Coconier.

Hein !

Il pose son bol et prend vivement Coconier par le bras.

Dites donc, vous !... Ragufine s’habille !... c’est indécent !...

COCONIER, ahuri.

Quoi ?... Ragufine ?...

JEAN, avec un profond mépris.

Que c’en est même... répugnant !... à des âges comme vous !

COCONIER.

Qu’est-ce qu’il a ?...

RAGUFINE, sortant de la chambre, en grande toilette.

Me voilà prête !...

COCONIER, à part.

Tiens ! c’est la femme de chambre !

JEAN.

Oh ! quelle est belle !

Avec enthousiasme.

Mais voyez donc comme elle est belle !... on dirait une prairie émaillée de roses...

COCONIER, gaillardement.

Mais, oui !... on dirait une prairie émaillée de roses !...

À Ragufine, lui pinçant le menton.

Ma belle enfant...

RAGUFINE, le rejetant à gauche.

Hein ! touchez pas à ça, vous !

COCONIER, bousculé.

Ah çà ! mais !...

Sévèrement, à Ragufine.

Mademoiselle ! allez aider ma fille à s’habiller.

RAGUFINE, le prenant de très haut.

Hein ?... pour qui me prenez-vous, bonhomme !

COCONIER.

Mais il me semble...

JEAN.

Apprenez que Mademoiselle n’habillera plus personne... que moi !... bonhomme !...

COCONIER.

Qu’est-ce que c’est que ces deux pécores !

RAGUFINE.

Pécores !

JEAN.

Ah ! mais !!!

COCONIER.

Je vais vous faire flanquer à la porte !...

JEAN et RAGUFINE, riant aux éclats.

À la porte ! Ah ! ah ! ah !

JEAN.

À la porte de chez nous... car nous sommes chez nous ici !... dans nos meubles !

Ragufine s’assied à droite sur le fauteuil et Jean sur le divan ; tous deux balancent leurs jambes par-dessus les bras de ces deux meubles.

COCONIER.

Chez vous ?

RAGUFINE.

En plein !!!

JEAN, montrant le papier que lui a donné son maître.

À preuve que j’ai le bail, le papier pour faire voir aux huissiers !...

COCONIER.

Les huissiers !

Il prend le bail et le regarde, à part.

Que vois-je ?... il a mis l’appartement sous le nom de son domestique pour éviter les huissiers !

JEAN, à Ragufine.

Il va nous demander pardon !

COCONIER.

Ah ! j’en apprends de belles !

Il froisse le bail et le jette à terre.

JEAN, le ramassant.

Ne chiffonnez pas...

COCONIER, à part.

Des dettes !... des saisies !... mais je ne resterai pas une minute de plus ici... vite mes paquets... et j’emmène Cécile...

Haut, en sortant.

Et moi qui allais marier ma fille à ce Chavarot !

Il entre vivement dans la chambre de sa fille, deuxième plan à gauche ; Jean et Ragufine se lèvent vivement.

 

 

Scène XIV

 

JEAN, RAGUFINE, puis CHAVAROT

 

JEAN.

Qu’est-ce qu’il dit ?... Monsieur va se marier !

RAGUFINE.

Ici ?... dans vos meubles ?...

JEAN.

Je trouve ça un peu sans façons, par exemple !

RAGUFINE.

Deux ménages !

JEAN.

Ça va bien nous gêner...

RAGUFINE.

Et puis les enfants... ça crie...

JEAN.

Et ça mouille !... allons ! allons !... il faut que je parle à Monsieur !

CHAVAROT, entrant par le fond, sans voir Jean ni Ragufine.

Le notaire sera ici à deux heures...

RAGUFINE, bas.

C’est lui... du courage !...

JEAN.

Soyez tranquille !

RAGUFINE.

Moi, je vais prévenir nos témoins.

Elle sort par le fond sans avoir été vue de Chavarot.

 

 

Scène XV

 

JEAN, CHAVAROT

 

JEAN, à part.

Je vas lui dire ça tout doucement...

Haut.

Monsieur...

CHAVAROT.

Ah ! c’est toi !...

JEAN.

J’oserai vous demander...

Chavarot, en posant son chapeau sur la cheminée, fait tomber un vase qui se casse. Jean s’interrompant.

Ah ! sapristi !

CHAVAROT.

Quoi donc ?...

JEAN, très contrarié et grondant son maître.

Vous poussez votre chapeau... vous ne faites attention à rien !

À part.

Fichu maladroit !

Ramassant les morceaux.

Pourvu que ça se recolle !...

CHAVAROT.

Diable ! tu deviens soigneux !... Ma future n’est pas encore prête ?...

Il s’assied sur le divan.

JEAN, avec intention.

Nous allons y venir à votre future... Monsieur, j’oserai vous demander un entretien...

CHAVAROT.

Toi !... parle !...

Il prend un journal et le parcourt des yeux.

JEAN.

Voui êtes mon bienfaiteur... je ne l’oublierai jamais...

Il s’assied sur le divan, à côté de son maître.

Jamais ! jamais ! jamais !

Il tape légèrement sur le genou de Chavarot.

CHAVAROT, le faisant lever.

Eh bien ! a-t-on jamais vu une telle familiarité... Veux-tu te lever, animal !

Il met son chapeau sur le divan, à côté de lui.

JEAN, à part, avec humeur.

Puisque c’est à moi !... à quoi que ça me sert, si je ne peux pas m’asseoir dessus !

CHAVAROT.

Voyons ?... que veux-tu ?... tu me tiens là depuis une heure...

JEAN, prenant un fauteuil et s’approchant peu à peu.

Monsieur... c’est-y vrai que vous allez vous marier ?...

CHAVAROT.

Oui..., après ?

JEAN, avec humeur.

Ah ! j’en demande pardon à Monsieur, mais... est-ce que vous comptez... rester ici ?...

CHAVAROT.

Sans doute... avec ma femme... et mes enfants, s’il plaît à Dieu !

JEAN.

Ah ! voilà ! voilà !... vous... passe encore... mais... je vas vous dire... je me marie aussi, moi !...

Il s’assied à côté du divan.

CHAVAROT.

Eh bien ! qu’est-ce que ça me fait ?...

JEAN.

Vous êtes bien bon... mais ça va nous faire bien des enfants... c’est petit ici, pour tout ce monde...

CHAVAROT, riant.

Il faut peut-être que je m’en aille pour faire place à ta famille !

JEAN, avec humeur.

Mais dame !... quand on donne... on donne ! ce qui est donné est donné !

CHAVAROT.

Qu’est-ce qu’il me chante ?

JEAN.

Air : Et j’adore toutes les belles.

Supposons qu’un soir de c’t automne,
Vous me dit’s : « Jean, v’là mon chapeau
« Il est à toi, je te le donne,
« Accepte-le, j’t’en fais cadeau ! »
Bon ! j’crois posséder le chapeau !

Chavarot lui reprend son chapeau et le remet sur sa tête.

Mais v’là qu’vous continuez ensuite
À vous coiffer de c’ mêm’ chapeau !...
Alors, autant m’dir’ tout de suite :
« Jean, j’n’te donn’ pas mon chapeau ! »
Alors, dites-moi tout de suite :
« Jean, tu n’auras pas mon chapeau ! »

Il remet le fauteuil à sa place.

CHAVAROT, se levant.

Ah ! çà ! quel diable de ragot me fais-tu là ?... qu’est-ce que je t’ai donné ?...

JEAN.

Mais l’appartement... les meubles et tout !...

CHAVAROT, éclatant de rire.

Ah ! ah ! ah !... Il a cru que c’était pour lui que... triple buse !...

Il s’étend et met ses jambes sur le bras du divan en riant aux éclats.

JEAN, les lui remettant à terre.

Mais ôtez donc vos jambes !...

CHAVAROT, se levant vivement.

Ah ! bête et insolent !... c’est trop !... va faire ton paquet... je te chasse !

JEAN.

Me chasser !... mais vous ne pouvez pas... j’ai le bail !...

CHAVAROT, avec colère.

Va-t’en !!!

JEAN, résolument.

Non !!!

CHAVAROT, lui lançant un coup de pied.

Tiens !

JEAN, mettant la main sur son cœur.

Oh !... dans le cœur !!!

Avec dignité.

Monsieur... vous venez de couper le fil de ma reconnaissance !...

CHAVAROT.

Veux-tu t’en aller !...

JEAN.

Oui... je sors !... mais c’est pour consulter un homme de loi !...

Haut.

Le fil est coupé, Monsieur !

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

CHAVAROT, seul

 

Va consulter !... Heureusement que j’ai sa contre-lettre ?...

La tirant de sa poche.

Comme on a raison de prendre ses précautions !

Il la parcourt des yeux.

Hein ?... une lettre de remerciements !... et pas autre chose !... Ah ! le gredin !... je suis joué !...

 

 

Scène XVII

 

CHAVAROT, COCONIER

 

COCONIER, sortant de la chambre de sa fille et tenant sa valise, à la cantonade.

Oui, ma fille !... je vais chercher un fiacre... et dans deux minutes...

CHAVAROT.

Mon beau-père !... où allez-vous donc ?...

COCONIER, avec dignité.

À Romorantin, Monsieur !

CHAVAROT.

Comment ! vous partez !

COCONIER.

Pour toujours !

CHAVAROT.

Qu’est-ce que cela signifie ?... une rupture !... Mais qu’ai-je fait ?...

COCONIER.

Je ne veux pas que ma fille loge en garni chez votre jockey !...

CHAVAROT, riant.

Comment ! vous savez ?...

COCONIER.

Un homme qui a des dettes... qui craint les huissiers... ne sera jamais mon gendre !

CHAVAROT.

Mais c’est faux ! je n’ai pas de dettes !

COCONIER.

Alors, pourquoi ce bail ?...

CHAVAROT.

J’ai perdu mon procès... c’est pour jouer un tour à Lavardin !...

COCONIER.

Mais vous l’avez gagné, votre procès !...

CHAVAROT.

Mais non...

COCONIER.

Mais si !

CHAVAROT, lui présentant la lettre de l’avoué.

Lisez plutôt !

COCONIER, prenant la lettre.

« Quinze cents francs de dommages-intérêts. » Je suis pourtant bien sûr !...

Lisant l’adresse.

« Monsieur Chavarot... pour remettre à monsieur Jean Larfaillou. »

CHAVAROT.

Hein ?... mon domestique !... un procès !...

COCONIER.

Larfaillou !... attendez donc !... j’en cherche un !... qui m’a écrasé vingt-trois moutons !... si c’était le mien ! j’ai un moyen de le reconnaître !...

 

 

Scène XVIII

 

COCONIER, CHAVAROT, JEAN

 

JEAN, entrant par le fond.

Monsieur, j’ai consulté le portier... qui, pendant cinq ans, a scié du bois pour un avocat... Je suis dans mon droit... les meubles sont à moi.

COCONIER, qui s’est glissé derrière le divan, imitant sans être vu le bêlement du mouton.

Bêêêê !

JEAN, frappé de terreur et tombant à genoux.

Hein !!!

COCONIER, de même.

Bêêêê !

JEAN.

Oh ! mes fantômes !

COCONIER, se montrant.

C’est lui ! – Ah ! gredin ! c’est toi qui écrases mes moutons ! je te tiens !

JEAN, terrifié.

Le propriétaire de mes victimes !

COCONIER.

Ah ! les meubles sont à toi ! – Eh bien ! je vais les faire saisir... j’ai un jugement !

CHAVAROT.

Bravo !

JEAN.

Ruiné !

COCONIER.

Rends ce papier à ton maître !

JEAN.

Jamais !... Ragufine m’épouse pour mon arcajou !

COCONIER, avec menace, le saisissant par l’oreille.

Veux-tu le rendre... ou je te fais manger de la prison !

Une boucle d’oreille de Jean lui reste dans la main.

JEAN, jetant un cri.

Aïe !!! ma pendeloque !

COCONIER, regardant la boucle.

Que vois-je !!!

Il va prendre Jean par la main, l’attire à gauche et lui dit avec la plus vive émotion.

De qui tiens-tu ce bijou ?

JEAN.

De maman... qui le tenait de...

COCONIER, vivement, lui mettant la main sur la bouche.

Tais-toi !

À part.

Le fils de Charlotte ! le nourrisson !!!

CHAVAROT.

Qu’avez-vous ?

COCONIER.

Rien !

À part, regardant Jean.

Qu’il est beau ! qu’il est grand ! Il est plus grand que moi !

 

 

Scène XIX

 

COCONIER, CHAVAROT, JEAN, RAGUFINE

 

RAGUFINE, entrant par le fond.

Nos témoins sont là.

CHAVAROT, à Jean, qui veut remonter.

Un instant ! rends-tu le mobilier ?

RAGUFINE.

Comment ! il n’était pas à vous !

JEAN, avec force.

Si !!!

À Chavarot.

N’approchez pas... ou je me neye !

COCONIER, alarmé.

Il se neye !

À Chavarot.

N’approchez pas !

CHAVAROT, à lui-même.

Qu’est-ce qu’il a ?

COCONIER, très doucement à Jean.

Rends-le, Jean... mon bon petit Jean... je t’en achèterai un autre... en noyer.

RAGUFINE.

Par exemple !

JEAN.

Non !... elle ne m’aimerait plus que pour du noyer !

CHAVAROT.

Très bien !... je vais chercher la garde !

COCONIER.

Arrêtez !

À part.

Quelle inspiration ! Cette somme que je lui réservais !...

Haut.

Mon gendre, vous aurez vos meubles... je m’en charge !

Il traîne un fauteuil au milieu de la scène.

CHAVAROT, à part.

Que va-t-il faire ?

COCONIER, à Jean.

Combien ce fauteuil ?

JEAN.

Plaît-il ?

COCONIER.

Je te l’achète !

JEAN, regardant Ragufine.

Tiens !

RAGUFINE.

Dame !... si Monsieur en offre un bon prix !

COCONIER, tirant son portefeuille.

Voyons ! parle !...

Bas à Jean.

Écorche-moi ! va ! va ! écorche-moi !

JEAN, retournant le fauteuil.

Un fauteuil comme ça... au juste... au juste...

RAGUFINE, lui soufflant bas.

Cent francs !

JEAN, bas.

Il ne voudra pas.

Haut.

C’est tout crin... pour vous, ça vaut...

COCONIER.

Mille francs ! les voilà !

Il les lui donne.

JEAN et RAGUFINE, étonnés.

Ah bah !

CHAVAROT.

Mais, beau-père...

COCONIER.

Laissez donc !... j’arrange l’affaire.

Jean et Ragufine courent vivement aux trois autres fauteuils et les traînent au milieu de la scène.

JEAN, à Coconier.

Dites donc ! il y en a encore trois autres... avec beaucoup plus de crin !

COCONIER.

Je les prends !

Il le paie.

JEAN.

Ça fait quatre mille francs !

CHAVAROT.

Mais, sapristi ! beau-père...

COCONIER, riant.

Laissez donc !... les fauteuils sont augmentés !

CHAVAROT, à part.

Il achète mon mobilier !

COCONIER, à part, mettant la main sur son cœur.

Ah ! ça fait du bien !

CHAVAROT, à part.

Il est fou !

JEAN, à Coconier.

Dites donc !... et le reste ?... le reste ?... si vous êtes raisonnable, on pourra s’arranger.

COCONIER, à part.

Est-il commerçant, ce gamin-là !...

Haut.

J’en donne six mille francs !

Il paie.

JEAN, CHAVAROT et RAGUFINE.

Six mille francs !...

RAGUFINE.

Ça fait dix mille ! Ce brave Jean !... qué superbe homme !

COCONIER, avec orgueil.

Oh ! oui !... il est beau ! il est grand !... Il est plus grand que moi !

JEAN, lui remettant le bail.

V’là le papier !

COCONIER, le remettant à Chavarot.

Voilà votre bail !

JEAN, à Coconier.

Avec cet argent-là, j’en achèterai d’autres... pour vous les revendre.

COCONIER.

Non, merci... tu as ton compte.

Lui prenant la main avec sensibilité.

Seulement, quand tu écriras à celle de qui tu tiens ce bijou...

Il lui rend la boucle d’oreille.

JEAN.

Ma pendeloque...

COCONIER.

Tu lui diras que Jules... Jules Coconier...

JEAN.

À maman Catherine ?...

COCONIER.

Comment ! Catherine ?... Charlotte !!!

JEAN.

Charlotte... c’est ma tante, qui en avait fait cadeau à maman !

COCONIER, bondissant.

Sa tante !... ah ! scélérat !... rends-moi mes dix mille francs !

JEAN.

Jamais ! sapristi !... au voleur !...

Il les donne à Ragufine, qui les serre dans son fichu.

RAGUFINE.

Venez les prendre !

JEAN.

Dans ma caisse ! dans mon coffre-fort !!!

COCONIER.

Je suis volé !

 

 

Scène XX

 

COCONIER, CHAVAROT, JEAN, RAGUFINE, CÉCILE, QUATRE TÉMOINS dont DEUX NÈGRES

 

CÉCILE, entrant et introduisant deux messieurs.

Papa, voici nos témoins.

COCONIER et CHAVAROT, les saluant.

Ah ! Messieurs...

RAGUFINE, introduisant deux nègres en livrée.

Et voilà les nôtres !

JEAN, épaté et contrarié.

Ah ! sapristi !

TOUS.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

JEAN.

Elle a pris des Américains !...

À Ragufine.

Je ne veux pas qu’ils te touchent... ils te noirciraient !

COCONIER.

Allons !... à la mairie !

CHŒUR FINAL.

Air de Mangeant. Allons à table. Canebière.

Ces témoins sombres,
Par leur couleur,
Jettent des ombres
Sur { mon
       { son bonheur.

JEAN, au public.

Air des Zouaves.

Les auvergnats n’ont que cinq sous,
Cinq sous pour monter leur ménage.
J’ai dix mill’ francs et j’ veux pour vous
Me meubler avec avantage.
Dans mes fauteuils vous pourrez tous
Vous asseoir, et loin qu’ça m’ chagrine,
C’est l’ vœu l’ plus doux (bis.)
D’ Jean et d’ Ra... ra... d’ sa Ragufine.

Reprise ENSEMBLE.

C’est l’ vœu l’ plus doux, etc.

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