Arminius (Jean-Galbert de CAMPISTRON)
Tragédie en cinq actes et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Guénégaud, le 19 février 1684.
Personnages
VARUS, gouverneur de la Germanie, pour Auguste
SÉGESTE, Prince des Cattes
ARMINIUS, Prince des Cherusques, accordé à Isménie
SIGISMOND, fils de Ségeste, accordé à Polixène
ISMÉNIE, fille de Ségeste
POLIXÈNE, sœur d’Arminius
BARSINE, confidente d’Isménie
TULLUS, confident de Varus
SUNNON, capitaine des gardes de Ségeste
SINORIX, capitaine des gardes de Ségeste
SUITE
La Scène est dans le camp de Varus, après les forêts de Teutberg, dans les tentes de Ségeste.
À SON ALTESSE MADAME LA DUCHESSE DE BOUILLON
C’est à vous que j’écris, à vous que je m’adresse,
Et j’attends de vous, généreuse Princesse :
Accordez moi votre faveur,
Pour faire avec succès paraître sur la Scène ,
Arminius, jadis, heureux libérateur
Des Germais qu’opprimait la puissance Romaine.
De ce brave Guerrier, dont les nobles Exploits
Auront dans l’Univers un souvenir durable
Sortirent ces Princes Gaulois,
Source de ce Sang adorable
D’où sont descendus tous nos Rois.
Ce seul intérêt vous engage
À ne pas condamner l’Ouvrage,
Qui de ce Conquérant porte le Nom fameux
Vous qu’un choix glorieux et juste
Élevé dans un rang auguste
Chez le plus grand de ses Neveux.
Mais je me flatte encor que de votre suffrage
Vous honorerez mes Écrits,
Puisqu’en votre Maison j’ai pris
L’exemple des vertus dont j’ai tracé l’image.
Lorsque dans les Vers que j’ai faits,
J’ai voulu des Romains peindre la Politique.
Toujours ferme en leurs intérêts,
Accommodant et la Guerre et la Paix
Aux besoins de leur République.
J’envisageais ce sage Cardinal ;
Ce Jule, dont le zèle et la rare prudence
Ont dans le temps le plus fatal
Assuré le repos et l’honneur de la France.
Quand j’ai peint un Héros adore des Soldats,
Intrépide dans les combats,
Toujours vainqueur, ou méritant de l’être.
Élevé dès l’enfance au milieu des hasards,
Et, qui dans le métier de Mars,
À tous les Potentats eût pu servir de Maître,
Pour traiter dignement cet illustre sujet,
Je me proposais pour objet
Turenne, dont le bras a sauvé cet Empire,
Qui vit son Roi cent fois à ses leçons soumis,
Marcher sur ses pas, et l’instruire
À surmonter ses Ennemis.
Enfin, quand j’ai voulu dépeindre une Princesse,
Dont le courage encor surpassa la Noblesse,
Qui vit de ses attraits tout son sexe jaloux
Pouvais-je alors penser qu’à vous.
ACTE I
Scène première
SÉGESTE, SUNNON
SÉGESTE.
Oui, Sunnon, je le veux, je l’attends de ton zèle :
Parle, trace à mes yeux la peinture fidèle ;
Des sentiments divers du Peuple et des Soldats.
SUNNON.
Seigneur...
SÉGESTE.
Parle, te dis-je, et ne me flatte pas.
Je sais que le traité que je viens de conclure
De la plupart des miens excite le murmure ;
Que ne pénétrant point dans mes justes desseins,
On me voit à regret dans le Camp des Romains.
Je le sais, dis le reste, il ne me faut rien taire.
SUNNON.
Puisque vous m’ordonnez, Seigneur, d’être sincère,
Je ne vous cèle point que de ce changement,
Les peuples étonnés cherchent le fondement.
Quoi ! Ségeste, dit-on, par qui la Germanie,
Jusqu’ici des Romains brava la tyrannie ;
Qui de flots de leur sang couvrit nos champs vingt fois ;
Qui fit trembler le Tibre au bruit de ses exploits.
Ce Ségeste aujourd’hui peut étouffer la haine,
Et mêler ses drapeaux avec l’Aigle Romaine.
SÉGESTE.
Je fais plus. Du Sénat je brigue la faveur ;
Son estime est pour moi le comble du bonheur ;
Et c’est avec plaisir que j’entends qu’il me nomme.
Allié de l’Empire, et Citoyen de Rome :
Je regarde ces noms comme un illustre prix.
Toi-même à ce discours tu me parais surpris !
Mais apprends les raisons de ce qu’on m’a vu faire,
Et ne condamne plus une paix nécessaire.
Les Dieux sont témoins que dans mes desseins,
Me proposant pour but le salut des Germains ;
Sans regarder jamais ma grandeur ni ma gloire,
J’ai combattu pour eux et cherché la victoire.
Pendant plus de vingt ans par un heureux effort,
Entre l’Empire et moi j’ai suspendu le sort :
Mais dans ce même temps Rome était occupée
À la perte d’Antoine et du jeune Pompée ;
Et les Chefs divisés par leurs propres fureurs,
Nous laissaient aisément reculer nos malheurs :
Maintenant partout règne une paix profonde,
Qu’Auguste sous ses lois fait trembler tout le monde.
Devais-je attendre ici qu’il rassemblât sur nous
Tout l’effort, tous les traits de son vaste courroux ?
J’ai cru devoir céder, puisqu’un léger hommage
M’assurait le repos et détournait l’orage :
Ce n’est pas que souvent un reste de fierté
Ne m’ait presque contraint de rompre le traité :
Mais de mille Héros la perte encore éclate ;
Et qu’ont fait contre Rome, Annibal, Mithridate.
Nicomède, Pyrrhus, tant d’autres Rois fameux.
Étais-je plus puissants ? Étais-je plus heureux ?
J’ai sauvé mes États en finissant la guerre ;
Et quand je me soumets avec toute la terre,
J’obéis aux décrets des Dieux et du Destin,
Qui veulent que tout cède à l’Empire Romain.
SUNNON.
Je crois de cette Paix les causes légitimes ;
Des Princes vos voisins vous suivez les maximes.
Cependant, si je puis en vous obéissant,
Vous opposer, Seigneur, un intérêt puissant.
J’oserai dire encore qu’une immortelle gloire
Aurait à l’avenir transmis votre mémoire ;
Si, voyant l’Univers par les Romains dompté,
Vous seul aviez joui de votre liberté.
Pour abattre l’orgueil et le pouvoir de Rome,
Peut-être ne faut-il que le bras d’un seul homme ?
Vous l’avez dit cent fois. Eh ! qui pouvait, Seigneur ?
Prétendre mieux que vous à ce suprême honneur,
Rome s’assure en vain sur la foi des Oracles,
Les Mortels quelquefois y mettent des obstacles :
Ils relèvent un Trône, un État abattu,
Et font changer les Dieux à force de vertu.
Mais sans développer un si profond mystère,
Arminius croit-il ce traité salutaire ?
Votre amitié confond vos droits avec les siens ;
Vous l’allez confirmer par de plus fort liens.
Bientôt en épousant la Princesse Isménie,
Il verra sa Famille avec la vôtre unie.
On dit que cet Hymen si longtemps différé,
À son retour ici doit être célébré.
Déjà tous nos Soldats en préparent la fête.
Déjà chacun attend...
SÉGESTE.
C’est en vain qu’on l’apprête.
Cependant garde-toi de parler désormais
D’un Hymen que les Dieux ont rompu pour jamais.
Ciel ! qu’entends-je, Seigneur ? Qui peut être la cause ?
SÉGESTE.
Un obstacle invincible à cet hymen s’oppose :
Je le romps à regret. Je plain Arminius :
Mais enfin, j’ai promis Isménie à Varus.
Le rang de Gouverneur de ces vastes Provinces,
Élève ce Romain au-dessus de nos Princes.
Il adore ma fille, et son cœur amoureux,
Me presse chaque jour de les unir tous deux ;
Je m’y suis engagé, ma parole est donnée.
SUNNON.
À ce discours, mon âme interdite étonnée,
De soupçons différents se laissant agiter,
Ne sait auquel, Seigneur, elle doit s’arrêter.
Hé quoi ! par quel choix, de sa tendre jeunesse
Arminius reçut la foi de la Princesse ?
Il lui donna la sienne, et jusques à ce jour
Vous-même avez pris soin de nourrir leur amour ?
De ce grand changement, que faut-il que je pense ?
Croirai-je qu’oubliant une longue alliance,
Pas des conseils flatteurs réglant tous vos desseins,
Vous sacrifiez tout au pouvoir des Romains ?
Pardonnez-moi, Seigneur. Mais, Dieux, que puis-je croire ?
Quel sujet ?...
SÉGESTE.
Ne crois rien de funeste à ma gloire,
Si j’étouffe ce feu que j’avais allumé,
Le seul Arminius en doit être blâmé.
Juges-en. Au moment que l’on m’eut fait entendre
Qu’aux faveurs de César j’avais droit de prétendre,
Sans vouloir séparer nos communs intérêts,
J’exigeai que ce Prince entrât dans cette paix.
Je dépêchai vers lui. Je crus qu’en diligence
Il viendrait confirmer cette auguste alliance.
Il différa pourtant. Je pressai : mais en vain.
J’ignore s’il revient ; s’il s’arrête en chemin.
Mais pendant quatre mois sans daigner me répondre ;
Par ses retardements je me suis vu confondre.
Les Romains me pressaient, et j’étais menacé
De voir rompre sans fruit le traité commencé.
Je l’ai conclu tout seul ; et ma fille est le gage,
Qui de cette union doit rassurer l’ouvrage.
Le Prince m’a quitté ; j’ai fait ma paix sans lui :
Je ne m’en repends pas. On m’apprend aujourd’hui,
Que de tous nos États à ma honte il publie
Que je trahis mon sang, mes amis, ma patrie.
Que mandant la paix les armes à la main,
Je vends la Germanie à l’Empire Romain ;
Et je deviens suspect par ce lâche artifice,
Aux peuples que mes soins sauvent du précipice.
Je suis même averti qu’il conspire en secret,
S’il arrive en ce Camp il se perd, c’en est fait :
S’il trame les projets que l’on m’a fait entendre,
De le faire punir, je ne puis me défendre.
Je trouverai bien plus. Je crois que sans douleur,
Je livrerai ce Prince à son dernier malheur.
Sa fortune, son nom, la gloire de sa vie,
Ont versé dans mon cœur une secrète envie,
Qui me force à rougir de voir entre ses mains
Le pouvoir que j’avais jadis sur les Germains.
Cependant quelque soit l’intérêt qui me presse ;
Sa franchise, son rang, sa vertu, sa jeunesse ;
Le soin de son honneur, un reste de pitié :
Enfin, le souvenir d’une longue amitié
Me porterait peut-être à prendre la défense :
Mais je crains des Romains la haine et sa vengeance.
Je voudrais que ce Prince inspiré par les Dieux,
Bien loin de s’approcher s’éloignant de ces lieux :
Il n’a plus de ma part que des vœux à prétendre.
SUNNON.
Ah ! Seigneur, sur ses jours voudrait-on entreprendre ?
Il se confie à vous, vous l’appelez. Eh quoi ?
Vous verrait-on pour lui violer votre foi ?
Laisseriez-vous ?...
SÉGESTE.
Varus dans ce Camp est le maître.
Arminius se perd, s’il ose ici paraître,
À moins que des Romains désarmant le courroux ;
Ce Prince ambitieux ne tombe à leurs genoux.
Mais le soin de son sort me cause peu de peine.
Ma fille seule, hélas ! m’inquiète et me gêne.
Je viens de la mander, je l’attends en ces lieux.
Elle vient : laissez-nous. Que lui dirai-je ? ô Dieux !
Scène II
SÉGESTE, ISMÉNIE, BARSINE
ISMÉNIE.
De votre art, Seigneur, on est venu me dire
Que vous aviez ici quelque ordre à me prescrire.
J’ai d’abord vers ces lieux précipité mes pas.
Que voulez-vous, Seigneur ?
Ce que je veux ? hélas !
Que ne puis-je à jamais ma fille vous le taire.
ISMÉNIE.
Vous soupirez Seigneur ! Ciel ! quel est ce mystère ?
SÉGESTE.
Dans de profonds chagrins vous me voyez plongé,
Et ce n’est que pour vous que je suis affligé.
ISMÉNIE.
Pour moi, grands Dieux ! Serais-je assez infortunée
Pour troubler le bonheur de votre destinée ?
Qu’ai-je pu faire ? hélas ! Quel crime ai-je commis ?
SÉGESTE.
Je ne vous blâme point. Les Destins ennemis
Vous demandent ma fille un cruel sacrifice,
Et de votre douleur me rendent complice ;
Ils contraignent ma main de vous porter les coups.
ISMÉNIE.
Comment ?
SÉGESTE.
Vous l’entendrez ; surtout consultez-vous.
D’un effort vertueux vous croyez-vous capable ?
Sentez-vous cotre cœur constant, inébranlable ?
Répondez-moi ?
ISMÉNIE.
Seigneur, s’il ne faut que mourir ;
Sans faiblesse au trépas vous me verrez m’offrir.
Votre fille en mourant aura soin de sa gloire,
Et ne laissera point une indigne mémoire.
Expliquez-vous ? le Ciel a-t-il juré ma mort ?
SÉGESTE.
Non, vos jours ne sont point poursuivis pas le sort.
Mais quand ses dures lois vous auraient condamnée,
Croyez-vous que mon cœur vous eût abandonnée ?
ISMÉNIE.
Quel est donc cet effort ?
SÉGESTE.
Souvenez-vous au moins
Quels ont été pour vous mon amour et mes soins.
Songez que de vos maux j’ai frémi par avance,
Et que vous me devez entière obéissance ;
Je crois par ce discours vous devoir préparer
Au secret que je vais enfin vous déclarer.
Dès vos plus jeunes ans vous espérez ma fille,
De voir Arminius entrer dans ma Famille :
Cependant à ce Prince il ne faut plus penser.
ISMÉNIE.
Ah ! quel projet, Seigneur, venez-vous m’annoncer ?
Dans quel temps ?...
SÉGESTE.
Je vous plains, comme vous je soupire.
Mais Rome le défend, et je ne puis l’en dédire :
D’autres raisons encore s’opposent à vos vœux,
Et me forcent de rompre un hymen malheureux.
ISMÉNIE.
De ce coup imprévu justement confondue.
Dieux ! quel horreur je sens dans mon âme éperdue !
Ah ! Seigneur, pardonnez dans cette extrémité
Si j’ose m’exprimer avec sincérité.
Votre bonté pour moi bannissant la contrainte,
M’a permis de tous temps de vous parler sans crainte.
Vous disiez que le sort n’attaquait point mes jours ?
Eh ! cet Arrêt funeste en termine le cours.
SÉGESTE.
Qu’entends-je ! Vous cédez à l’ardeur qui vous presse.
Ma fille s’abandonne à toute sa faiblesse.
Quoi ! loin de m’obéir votre devoir trahi...
ISMÉNIE.
Eh ! mon malheur ne vient que d’avoir obéi.
Arminius courant de victoire en victoire :
En vain pour s’enflammer faisait parler sa gloire.
Ses soins pour moi, ses feux, et ses heureux combats,
Lui gagnaient mon estime, et ne m’engageaient pas.
Souvenez-vous, Seigneur, que vous vîntes vous-même
Joindre à ses vœux ardents votre pouvoir suprême ;
Et par les justes droits que vous avez sur moi,
À ce jeune héros vous promîtes ma foi.
J’obéis sans effort. Cet ordre légitime
Fit alors succéder la tendresse à l’estime.
Mais pourrai-je étouffer, Seigneur, sans désespoir,
Des feux qu’ont allumé l’estime et le devoir ?
SÉGESTE.
Recevez mieux des lois prescrites par un Père ;
Et bien loin de frémir d’un effort nécessaire,
Montrez...
ISMÉNIE.
C’en est donc fait. Et vous ne pensez plus
À vos engagements avec Arminius.
Vous avez oublié qu’avec mon hyménée,
À mon frère, sa sœur fut aussi destinée.
Des yeux de Polixène il a senti les coups :
Elle vient en ces lieux le prendre pour époux.
Verra-t-elle ?...
SÉGESTE.
Je sais que Sigismond l’adore :
Mais il faut qu’il immole un feu que Rome abhorre.
Et mon fils par César fait chevalier Romain,
Ne peut sans son aveu disposer de sa main.
Mais ne pensons qu’à vous. Ce que je viens de dire
N’est pas la seule loi que je vous dois prescrire,
Et vous devez encore...
ISMÉNIE.
Hé ! que dois-je, Seigneur ?
Quoi ! ne suffit-il pas de bannir de mon cœur ?...
SÉGESTE.
Non, il ne suffit pas, et vous l’allez apprendre ;
C’est peu pour vous de rompre une union si tendre :
Il faut encore sentir en faveur de Varus,
Tout ce que votre cœur sent pour Arminius.
Ce Romain désormais ne songe qu’à vous plaire.
Voilà l’époux enfin que vous destine un père.
Fuyez, Arminius, et pour mieux m’obéir,
Portez-vous, s’il le faut, jusques à le haïr.
ISMÉNIE.
Je ne puis étouffer le trop juste murmure
Qui s’élève en mon cœur contre une loi si dure.
Quoi donc ? Vous prétendez forcer des sentiments
Qu’ont assure vos soins, l’habitude et le temps ?
Dès que j’ouvris les yeux, vos discours, votre zèle
M’inspirèrent pour Rome une haine immortelle ;
Et moi pour satisfaire à vos premiers desseins,
Aimant Arminius, j’ai haï les Romains.
Seigneur, c’est bien assez de contraindre mon âme,
De s’attacher sans cesse à combattre sa flamme,
De perdre pour jamais un légitime espoir,
Que j’avais trop conçu sur la foi du devoir.
Daignez vous contenter de cette obéissance,
Ne forcez point mon cœur à plus de violence ;
Et croyez que c’est trop de vouloir en un jour
Changer l’amour en haine, et la haine en amour.
SÉGESTE.
Pour vous faire obéir à cette loi si dure,
D’un effort généreux votre vertu m’assure.
Varus vient. Vous savez quel est votre devoir ;
Préparez-vous, ma fille, à le bien recevoir.
ISMÉNIE.
Quelle gêne ?
Scène III
VARUS, SÉGESTE, ISMÉNIE
SÉGESTE.
Je viens d’annoncer à ma fille
L’honneur dont votre amour veut combler ma Famille.
Seigneur, elle est toujours prête à subir mes lois.
Ses plus tendres désirs se règlent par mon choix.
Vous pouvez sans contrainte expliquer votre flamme.
Je vous laisse, Seigneur.
Scène IV
VARUS, ISMÉNIE, BARSINE
VARUS.
Vous vous troublez, Madame.
Je connais les raisons. On veut vous arracher
Un Amant dès l’enfance à vos désirs si cher.
Un Amant si longtemps avoué par un père ;
Jeune, charmant ; enfin, digne de vous plaire.
Mais c’est peu : l’on vous ôte encore un autre Époux,
Qu’un long âge a rendu moins aimable pour vous.
Je serai le premier à me rendre justice ;
Mes soupirs sont pour vous un triste sacrifice.
Un Amant tel que moi ne doit point se flatter ;
D’autres s’attacheraient à vous représenter.
Traçant de leurs travaux une brillante histoire,
Qu’un front ne vieillit point environné de gloire,
Qu’on long amas d’honneur, des exploits éclatants,
Réparent quelquefois les injures des ans.
Que c’est même à vos yeux un plus grand avantage,
De charger de vos fers un captif de mon âge,
Et d’embraser un cœur, que les ans, la raison,
Semblaient devoir sauver de ce fatal poison :
Cependant aujourd’hui, je ne veux point, Madame,
Prêter auprès de vous ces secours à ma flamme.
Je sais que dans ce cœur plein de sa passion,
De semblables discours font peu d’impression.
Mais je crois qu’à mes vœux votre âme inaccessible,
Au bonheur des Germains se montrera sensible.
Que le juste désir d’assurer pour jamais
À votre père, aux siens, l’abondance et la paix ;
À l’offre de ma main vous rendra moins contraire :
C’est par là seulement que je prétends vous plaire
Faites pour la Patrie en donnant votre foi,
Ce que je n’ose encore vous demander pour moi.
Hélas ! puis-je, Seigneur ?
VARUS.
Non, arrêtez, Madame ;
Et suspendez encore le destin de ma flamme,
Avant que me l’apprendre, attendez pour le moins,
Que mes profonds respects, que le temps, que mes soins ;
Que mes sincères vœux, mes ardents sacrifices
Puissent de mon rival balancer les services :
Surtout ne craignez point que j’aille contre vous
Solliciter un Père, allumer son courroux.
Je ne veux employer sa puissance absolue
Qu’à me faire accorder l’honneur de votre vue ;
Et je vais désormais borner tous mes plaisirs
À prévenir vos vœux et vos moindres désirs.
Des grâces de César j’ai comblé votre père,
Et des bienfaits nouveaux vont chercher votre frère ;
Tout vous retracera mon amour, mes transports ;
Vous pourrez sur mon sort vous expliquer alors.
Adieu Madame.
Scène V
ISMÉNIE, BARSINE
ISMÉNIE.
Ô coup ! ô disgrâce imprévue !
Malheureuse !
BARSINE.
Quoi donc ?
ISMÉNIE.
Ma mort est résolue.
Mon père me condamne, il m’ôte Arminius :
Barsine, c’est vouloir que je ne vive plus.
Père injuste ! Pourquoi tyranniser ma vie ?
Puis-je aimer, ou haïr au gré de votre envie ?
Ne concevez-vous point en m’imposant ces lois,
Qu’un cœur comme le mien ne se rend qu’une fois ?
Déplorables effets de l’amitié Romaine !
Périsse Rome, objet trop digne de ma haine.
Toi, cher Arminius, qu’on arrache à ma foi,
Tu sais que je ne vis qu’autant que je te voi.
Reçois de mon amour mes jours que je t’immole :
Mais, fuis loin de ces lieux, écarte toi, cours, vole :
Si toujours à te voir j’ai borné mes souhaits ;
Maintenant je les borne à ne te voir jamais.
Viendrais-tu dans ce camp pour servir de victime
Au Rival odieux dont le pouvoir m’opprime ?
C’est le dernier malheur que j’ai à redouter.
Courons, hasardons tout, afin de l’éviter.
Faisons partir vers lui quelque ami plein de zèle.
Viens Barsine...
Scène VI
ISMÉNIE, BARSINE, SINORIX
SINORIX.
Apprenez une heureuse nouvelle,
Madame, Arminius va paraître à vos yeux :
Il vient en ce moment d’arriver en ces lieux.
Sigismond s’avançant dans la forêt prochaine,
Est allé hors du camp recevoir Polixène ;
Que le Prince son frère a voulu devancer :
J’ai cru que je devais venir vous l’annoncer,
Pour être le premier à vous marquer mon zèle.
Madame, en d’autres lieux le devoir me rappelle.
J’y cours.
Scène VII
ISMÉNIE, BARSINE
ISMÉNIE.
Qu’ai-je entendu ? Dans quels temps, justes Dieux,
Allez vous présenter mon Amant à mes yeux ?
Quels malheurs ! quels combats ! quel spectacle barbare,
Ce funeste retour aujourd’hui me prépare !
De quel œil se verront mon Père et mon Amant.
Ah ! pouvais-je prévoir cet affreux changement ?
Jusqu’ici les Destins propices et fidèles,
Marquaient tous mes moments par des faveurs nouvelles :
Mais dans un seul instant leurs tyranniques lois
Ont fait tomber sur moi tous les maux à la fois.
Je ressens en un jour plus d’ennuis, plus d’alarmes,
Qu’en dix ans de bonheur je n’ai trouvé de charmes.
C’en est trop, justes Dieux ! Et si votre vigueur
Condamnait les transports d’une innocente ardeur.
Si vous vouliez punir mon âme trop charmée
Des sensibles douceurs d’aimer et d’être aimée.
Hélas ! pour me punir, n’était-ce point assez
D’égaler mes douleurs à mes plaisirs passés ?
BARSINE.
Ah ! Madame espérez...
Que veux-tu que j’espère ?
Tu le vois mieux que moi, tout me devient contraire :
Mais c’est trop m’attendrir, mes soupirs et mes pleurs
M’arrêtent en ces lieux sans parer mes malheurs.
Courons donc à mon Frère, apprendre ma disgrâce.
Il m’aime, un sort pareil aujourd’hui le menace.
Cherchons-le, puissions-nous accorder en ce jour
Les devoirs opposés du sang et de l’amour.
ACTE II
Scène première
ISMÉNIE, BARSINE
ISMÉNIE.
Que fait Arminius : dis, l’as-tu vu, Barsine ?
Attendra-t-il ici le sort qu’on lui destine ?
De ces lieux ennemis ne veut-il point sortir ?
À s’éloigner, Madame, il ne peut consentir.
En vain de votre part à vos ordres fidèle,
J’ai peint votre douleur, votre crainte mortelle :
En vain à ce Héros j’ai prédit, j’ai tracé
Les périls, les malheurs dont il est menacé.
Constant dans ses projets, et toujours intrépide,
Il s’abandonne entier à l’amour qui le guide ;
Et croit que de Ségeste ayant reçu la foi :
Il peut paraître ici sans danger, sans effroi.
Qu’on respecte toujours même pendant la guerre,
Ce fameux droit des gens saint par toute la terre :
Mais à l’heureux César, dût-il être immolé,
Il ne veut point partir sans vous avoir parlé.
ISMÉNIE.
Hélas ! à quels tourments sa fermeté m’expose ?
Il périra, Barsine ; et j’en serai la cause.
Va, retourne vers lui, qu’il parte en ce moment,
Je le veux, je l’ordonne, et s’il m’aime ardemment :
De son amour pour moi la marque la plus chère,
C’est de fuir les Romains, et Varus, et mon Père,
Qu’il ne s’obstine pas à demeurer ici.
BARSINE.
Madame, le voici.
Scène II
ARMINIUS, ISMÉNIE, BARSINE
ARMINIUS.
Madame, malgré vous, malgré votre défense,
J’ose jusqu’en ces lieux chercher votre présence ;
Quand Ségeste s’obstine à me manquer de foi ;
Je viens voir si sa fille est plus juste pour moi.
Enfin, pour disposer de ma funeste vie,
Je viens lire mon sort dans les yeux d’Isménie ;
S’ils peuvent sans regret consentir à me voir,
Je n’abandonne point un légitime espoir,
S’ils daignent me montrer leur tendresse ordinaire ;
En vain à mon amour tout le reste est contraire :
Mais si d’intelligence avec mes ennemis,
Ils détruisent l’espoir qu’ils m’ont toujours permis.
Sans laisser aux Romains le soin de me poursuivre ;
Madame, avec plaisir je vais cesser de vivre.
Dans un temps moins cruel, vous le savez, Seigneur,
J’aurais à vous revoir borné tout mon bonheur ;
Mais hélas ! la douceur d’une si chère vue,
Par une juste crainte est ici suspendue.
Je vous vois à regret dans ce Camp malheureux,
Où vous n’avez pour vous que mes timides vœux,
Ou de votre Rival la puissance m’alarme,
Ou pour vous perdre, enfin, tout conspire, tout s’arme ;
Fallait-il dans ces lieux venir porter vos pas.
Que venez-vous chercher ?
Ne le savez-vous pas ?
Absent depuis six mois de tout ce que j’adore,
Je ne pouvais sans vous vivre un moment encore ;
J’ai volé vers ce camp, plein d’amour et d’espoir.
Hé ! qui ? jamais, Madame, aurait osé prévoir
Le funeste dessein qu’a formé votre Père :
Je savais qu’engagé dans un parti contraire ;
Ce Prince s’était joint avec mes ennemis :
Mais devais-je penser qu’indignement fournis,
Il n’eut point conservé des droits sur une Armée,
À vaincre les Romains longtemps accoutumée ;
Qu’il reconnut ici Varus pour Souverain,
Et voulut vous forcer de lui donner sa main ?
Pouvais-je soupçonner ?...
ISMÉNIE.
Oui vous deviez tout croire,
Des fureurs des Romains jaloux de votre gloire ;
Et ne deviez-vous pas surtout vous défier
D’un Prince qui de Rome a voulu s’appuyer ?
Fallait-il s’exposer à la poursuite injuste ?...
ARMINIUS.
Eh Madame l’amour raisonne-t-il si juste ?
J’espérais, et j’espère encore en ce moment
De ramener Ségeste à son premier serment.
Vous le voyez ; ce Prince évite mes approches,
Il ne soutiendra point ma vue, et mes reproches.
Rassurons-nous. Bientôt par un effort heureux.
ISMÉNIE.
Hélas ! Seigneur, cessons de nous tromper tous deux :
En vain vous vous flattez de regagnez mon Père :
Mais quand il changerait ; que prétendez-vous faire ?
Seul contre les Romains armés contre vos jours ;
Sans forces, sans soldats...
ARMINIUS.
Nous aurons du secours.
Oui, Madame, apprenez que toute mon armée
Dans les bois de Teutberg par mon ordre enfermée ;
Prête à tout entreprendre en ce même moment,
N’attends que ma présence, et mon commandement ;
En divers petits corps ces troupes divisées,
Ont fait dans nos États cent marches opposés,
Et passant par des lieux inconnus des Romains,
Dans les eaux, dans les bois, se traçât des chemins,
Après trois mois de soins, de périls et de peines,
Se sont jointes enfin dans les forêts prochaines.
Madame, tout est prêt à marcher sous ma loi,
Votre frère conspire et s’unit avec moi.
Je viens de lui parler : il ne voit qu’avec peine
Ségeste adorateur de la grandeur Romaine ;
Et ne peut endurer qu’un ordre rigoureux,
Refuse Polixène à son cœur amoureux ;
Un intérêt commun dans mes desseins l’engage.
ISMÉNIE.
Ah ! quittez ce langage :
Un seul mot peut vous perdre, et ces funestes lieux,
Pour observer vos pas ont peut-être des yeux.
Ne vous assurez point sur votre rang suprême,
Ségeste prévenu, Seigneur, n’est plus le même :
Il ne connaît que Rome, et les droits les plus saints,
Contre elle dans son cœur n’ont que des titres vains.
Cher Prince, épargnez-moi les tourments que j’endure :
Fuyez ce camp fatal ; l’amour vous y conjure ;
Le plaisir que je sens tandis que je vous voi,
Cède à votre péril qui me glace d’effroi.
Partez : je vous l’ordonne, et ne puis m’en défendre ;
Les larmes que m’arrache un intérêt si tendre.
Prince, tant de soupirs ne vous font que trop voir
Que votre cœur faisait ma joie et mon espoir :
Et je vous perds. Aussi dans ma douleur profonde,
Je ne compte pour rien tout le reste du monde.
Tout est perdu pour moi. Si pourtant désormais
Je puis jusqu’à la mort former quelque souhait.
Je demande à l’Amour qu’il conserve en votre âme
L’éternel souvenir du feu qui vous enflamme :
Que tandis que je vais vous tout sacrifier,
Il vous empêche au moins, Prince, de m’oublier.
Non, jusqu’à vous causer un supplice trop rude,
C’est assez qu’il vous donne un peu d’inquiétude.
Hélas ! ce n’est pas trop, allez, quittez ces lieux ;
Dans ce dernier soupir, recevez mes adieux.
ARMINIUS.
Non, je ne reçois point un adieu si funeste.
S’il faut vous perdre, hélas ! que m’importe du reste ?
Madame, quelque sort qui me soit préparé
Je dois l’attendre ici d’un visage assuré.
Voulez-vous qu’en montrant une indigne faiblesse,
J’aille loin de vos yeux expirer de tristesse ?
Vous livrer à Varus. Ah ! s’il me faut mourir,
Que ce soit pour la gloire et pour vous conquérir.
Quel ordre ! quel départ ! Dieux ! Quand je l’envisage,
Je frémis, et je sens chanceler mon courage.
Quoi ! j’irais pour sauver de misérables jours,
Dont ma douleur bientôt aurait tranché le cours.
Errer désespéré de contrée en contrée,
Et portant dans mon cœur votre image adorée.
Sans cesse dévoré d’inutiles souhaits,
Vous chercher en tous lieux, et ne vous voir jamais.
Quoi ! j’irais loin de vous languir sans espérance ;
Sans trouver un moment d’intervalle à l’absence ?
Tandis que mon Rival, content, favorisé,
Jouirait du bonheur qu’on m’aurait refusé.
M’en préserve le Ciel ; qu’ici plutôt je meure :
Vivre dans ces horreurs, c’est mourir à toute heure.
Vous le connaissez trop, reprenez donc vos pleurs.
Épargnons-nous tous deux d’inutiles douleurs.
Laissez-moi voir Ségeste, il doit ici se rendre :
Je vais frapper son cœur par l’endroit le plus tendre ;
Je vais l’encourager, rappeler à ses yeux
Sa parole, son sang, ses exploits glorieux ;
Il se rendra peut-être, et me fera justice :
Mais dut-il de mon sang hâter le sacrifice.
Fidèle à mon amour, fidèle à mon pays,
L’un et l’autre par moi ne seront pas trahis.
Que Ségeste en fureur s’arme contre ma vie ;
Je n’aime fortement que vous, et ma Patrie.
J’en atteste les Dieux : le coup me sera doux
Qui me fera périr et pour elle et pour vous.
ISMÉNIE.
Hélas ! ah quels malheurs... mais j’aperçois mon Père.
Ah ! Prince, gardez-vous d’allumer sa colère !
Surtout souvenez-vous durant votre entretien,
Qu’aujourd’hui votre sort décidera du mien.
Adieu.
ARMINIUS, apercevant Ségeste.
Fais-moi fléchir ce courage barbare.
Ô Ciel !
Scène III
SÉGESTE, ARMINIUS, SUNNON, SINORIX
SÉGESTE, à Sunnon et à Sinorix.
À m’obéir, Gardes qu’on se prépare.
Exécuter mon ordre, et ne balancez pas.
Cependant laissez-moi, ne suivez point mes pas.
Scène IV
SÉGESTE, ARMINIUS assis
ARMINIUS.
Enfin, je vous rejoins après six mois d’absence :
Seigneur, le sort répond à mon impatience ;
Je n’avais pas pensé que jusques à ce jour
Il dût auprès de vous reculer mon retour :
Mais depuis ces forêts où l’Elbe prend sa source,
Tant d’obstacles divers ont retardé ma course :
Que malgré mes efforts et mon empressement,
Je n’ai pu l’avancer, Seigneur, d’un seul moment.
SÉGESTE.
Seigneur, de vos desseins vous seul êtes le maître,
Et pour vos intérêts vous avez cru peut-être
Qu’il fallait négliger mes utiles avis :
Mais tout autre que vous les aurait mieux suivis.
Je n’examine point quelle raison puissante
Vous a fait refuser une paix importante.
Cependant, je l’avoue, après vos longs refus,
Ségeste dans ce camp ne vous attendais plus.
ARMINIUS.
Vous ne m’attendiez plus. Ô ciel ! pouviez-vous croire
Qu’un serment solennel sortit de ma mémoire ?
Que je puisse le rompre et vous manquer de foi :
Mais vous justifiez l’état où je vous voi
Quel vous laissai-je ? hélas ! quel aujourd’hui vous êtes ?
Ma raison se confond à voir ce que vous faites.
Ségeste, ce Héros que nous admirons tous,
Dont la valeur, le nom, faisait tant de jaloux,
Vient de ternir l’éclat de ces lauriers illustres
Qu’il avait moissonnés pendant plus de six lustres.
Vit-on jamais, grand Dieux, un semblable retour ?
Et nos neveux, Seigneur, le croiront-ils un jour.
SÉGESTE.
De tout ce que j’ai fait, j’ai pesé l’importance,
Seigneur, et j’ai suivi les lois de la prudence ;
Ce sont des changements où les Princes, les Rois
Se portent par raison plutôt que par leur choix.
Ils considèrent peu quel serment les engage :
Ils consultent leur foi moins que leur avantage,
Et réglant leur parole aux caprices du sort,
Fléchissent sous les lois qu’impose le plus fort.
Ces maximes d’État n’ont rien qui déshonore,
Et si vous l’ignorez, vous êtes jeune encore.
Vous l’apprendrez, Seigneur, et peut-être qu’un jour
Vous vous en servirez vous-même à votre tout.
ARMINIUS.
Ah ! pour me détourner de ce funeste exemple,
Il suffit qu’aujourd’hui, Seigneur, je vous contemple.
Où sont tous vos emplois, votre Cour, vos grandeurs ?
On vous commande ici, vous commandez ailleurs.
Vous faisiez le destin de toutes nos Provinces :
Vous serviez de modèle à nos chefs à nos Princes ;
Vous étiez aimé, craint, renommé, Souverain,
Vous n’êtes aujourd’hui qu’un citoyen Romain,
Et vous sacrifiez à ce titre sans gloire
Ces noms toujours suivis d’une longue mémoire.
SÉGESTE.
Et cet abaissement doit me combler d’honneur ;
Tous ces noms éclatants ne flattent point mon cœur.
Ma puissance me gêne, et cesse de me plaire,
Lorsque de mes sujets elle fait la misère,
Et pour leur assurer un sort, des jours heureux,
J’embrasse leur destin, et suis sujet comme eux.
Voilà ce qu’on appelle amour de la Patrie,
Et non de vos pareils d’indiscrète furie ;
Vous sacrifiez tout au soin de votre rang ;
Des peuples malheureux vous prodiguez le sang ;
Et votre ambition d’une faux zèle animée,
Achète de leur vie un peu de renommée.
Quel bonheur dans la guerre ont trouvé nos États ?
De quoi leur ont servi nos sièges, nos combats ?
Ah ! j’ai donné cent fois des larmes à nos pertes.
Les Temples ruinés, les provinces désertes ;
Les Princes moissonnés à la fleur de leurs ans ;
Les massacres cruels des Femmes, des Enfants ;
Les campagnes partout languissantes, stériles,
La faim, les fers, la mort, le pillage des Villes :
Ce sont là les effets par la guerre produits,
Et de votre fierté les déplorables fruits.
Les peuples cependant ne respirent qu’à peine,
Et votre amour pour eux est semblable à la haine.
Pour moi je ne veux plus de victoire à ce prix,
Je préfère la paix à ces tristes débris.
La paix rend un État florissant, riche, illustre :
La victoire avec foi ne porte qu’un faux lustre.
Malgré l’éclat trompeur qui flatte les Guerriers,
Elle les fait gémir sous leurs propres lauriers.
Ici le frère en pleurs redemande son frère :
Là le Père son fils, ici le fils son Père ;
Et dans le camp vainqueur, il est souvent douteux
Lequel des deux partis est le plus malheureux.
Oui, Seigneur, j’avouerai que souvent la victoire
Nous vend cher ses faveurs, empoisonne sa gloire.
Que la Paix a des biens plus solides, plus doux,
Je l’aurais recherchée, enfin autant que vous,
Avec un ennemi moins fier et moins terrible.
Mais la paix avec Rome est un joug infaillible ;
Et sous les noms flatteurs d’amis, ou d’alliés,
Elle asservit les Rois, et les foule à ses pieds.
Du moment qu’avec elle un traité nous engage,
Nos enfants dans ses murs envoyés en otage ;
Et dès leurs jeunes ans arrachés de vos bras,
Contre tous ses soupçons ne la rassurent pas.
Sur le moindre projet de quelqu’autre alliance
Ne voit-on pas sur nous tomber sa défiance ?
Avant que rien résoudre il faut prévoir sa voix.
Et jusqu’à notre Hymen tout dépend de son choix.
Mais c’est peu. De nos jours arbitre souveraine,
Lorsqu’elle nous proscrit, notre perte est certaine.
Son barbare Sénat, sans foi, sans amitié,
Jamais pour nos pareils n’a montré de pitié.
Des Princes qu’elle craint la plus légère offense,
Attire sans retour les traits de sa vengeance ;
Et sa seule clémence en de grands attentats,
Fait gloire d’épargner ceux qu’elle ne craint pas.
Ah ! La Paix sous ses lois est un bonheur funeste,
Elle me fait horreur, le peuple la déteste.
Les Germains des trésors fuyant la vanité,
Sont trop riches, Seigneur, avec la liberté.
Pour se la conserver et tout sexe, et tout âge,
De tous temps parmi nous nous a prouvé son courage.
Les femmes dans les Camps auprès de leurs Époux
Méprisent les dangers, et s’exposent aux coups,
Sans faiblesse, sans art, sans parure éclatante,
Leur pompe est leur vertu, leur Palais une Tente,
Leurs fils dans le travail, dans la guerre formés
Dès le flanc de leur mère y sont accoutumés.
Ces Enfants nés guerriers au milieu des alarmes,
À peine ouvrent les yeux qu’ils demandent des armes ;
Ils en font tous leurs jeux. Ah ! pouvez-vous Seigneur,
Sous un joug odieux enchaîner leur valeur.
Hé ! qu’a-t-il d’odieux, ce joug où je l’enchaîne ?
Rome n’a plus pour nous de mépris ni de haine.
Elle nous traite en fils, et ne distingue plus
Nos peuples et les siens unis et confondus :
Elle règle nos mœurs, sa prudence en sépare
Ce qu’elles ont d’affreux, de rude et de barbare,
Elle enseigne à chérir, à respecter les lois,
À faire des vertus le véritable choix ;
Elle épanche pour nous ces trésors que la guerre
A portés dans son sein des deux bouts de la terre.
Ses bontés envers nous éclatent chaque jour,
Et nous n’en recevons que des marques d’amour.
ARMINIUS.
Hé quoi ! vous rendez-vous à ces fausses tendresses ?
Voyez, voyez les fers cachés sous ces caresses,
Pour imposer un joug au grand cœur des Germains,
Rome change à présent de route et de desseins.
Tandis qu’elle a voulu les vaincre par les armes,
De ses puissants efforts ils n’ont point pris d’alarmes ;
Elle a toujours trouvé quand on a combattu,
Valeur contre valeur, vertu contre vertu :
Elle veut aujourd’hui par un chemin contraire,
Achever ce qu’encor la force n’a pu faire,
Et cherche le secours de ces feintes douceurs,
Qui ne manquent jamais d’abuser les grands cœurs.
Mais, Seigneur, c’est assez conteste l’un et l’autre,
Vous blâmez mon parti, je condamne le vôtre.
Il est temps de finir ce fâcheux entretien,
Qui porterait trop loin votre esprit et le mien.
Permettez seulement qu’un heureux Hyménée
D’Isménie à mon front joigne sa destinée.
Vous me l’avez promise, et de nos jeunes ans,
Nous sommes engagés par de communs serments.
SÉGESTE.
Ma fille ! quoi, Seigneur ? y pensez-vous encore ?
Se peut-il ?...
ARMINIUS.
Si j’y pense. Ah Seigneur, je l’adore !
Jamais de tant d’amour mon cœur ne fut épris.
SÉGESTE.
Elle n’est pas pour vous, Seigneur, d’assez haut prix.
Songez que cet Hymen blesserait votre gloire.
Vous épousez ma fille. Ah ! pourrait-on le croire ?
Voulez-vous jusques-là profaner votre main ?
Vous qui méprisez tant un Citoyen Romain.
Je le suis, et depuis je fais gloire de l’être.
Vous êtes Souverain ; je reconnais un Maître.
Seigneur, portez ailleurs, vos soupirs, et vos feux.
Cent Reines brigueront votre main, et vos vœux.
ARMINIUS.
Seigneur, n’insultez point au malheur qui m’accable ?
Ne désespérez point un Prince déplorable,
Qui peut vous obliger à me manquer de foi ?
SÉGESTE.
Je vous sers en effet, et fais ce que je dois.
Seigneur, à d’autres nœuds ma fille est destinée,
L’État où je me vois règle son Hyménée.
Enfin, pour son Époux j’ai fait choix d’un Romain ;
Et Varus dans ce Camp doit l’épouser demain.
ARMINIUS.
Avant que mon rival épouse ce que j’aime,
Ce Rival périra, fut-ce César lui-même.
SÉGESTE.
Nous n’appréhendons point vos funestes projets.
Que Varus pour le moins en craigne les effets.
Je ne vous dirai plus rien : adieu Seigneur, peut-être
Le temps et le succès vous le feront connaître.
Scène V
SÉGESTE, seul
Le succès ne sera que malheureux pour toi.
Tu ne porteras point tes fureurs loin de moi.
Scène VI
VARUS, SÉGESTE
VARUS.
Qu’avez-vous fait, Seigneur ? Et que doit-on attendre ?
Mais quoi ! Quel est ce bruit que je ne puis comprendre ?
Qui cause ce tumulte et ces cris confondus ?
SÉGESTE.
Ma Garde par mon ordre arrête Arminius.
À notre sûreté sa perte est nécessaire.
Hâtons-nous et craignons sa fureur téméraire.
Perdons sans balancer ce mortel ennemi.
On ne doit jamais nuire ou haïr à demi.
Seigneur, je suis instruit de toutes ses pensées,
Par des lettres des siens à lui-même adressées.
Sinorix a surpris celui qui les portait :
Elles sont en mes mains. Ce Prince se flattait
D’attaquer notre Camp, d’enlever Isménie.
Assurons la paix aux dépends de sa vie.
Scène VII
VARUS, SÉGESTE, ARMINIUS se défendant au milieu des Gardes, SUNNON, SINORIX
ARMINIUS.
Ah ! traîtres, achevez, percez, percez mon sein.
Pourquoi m’arrachez-vous les Armes de la main ?
Et n’est-ce point assez que vous me preniez la vie,
Sans m’exposer encore à tant d’ignominie ?
Voyant Ségeste.
Te voilà. Tu n’as plus ni parole ni foi.
Ségeste, par ton ordre on attente sur moi.
Les droits les plus sacrés n’ont donc rien qui t’arrête ;
Et tu veux aux Romains faire un don de ma tête.
Digne emploi d’un Héros qui durant quarante ans,
A rempli l’univers de ses faits éclatants.
Mais toi qui viens jouir de toute ma disgrâce :
Toi, dont le front déjà du trépas me menace.
Magnanime, Varus, penses-tu m’étonner :
J’avais juré ta mort, tu peux me la donner :
J’entendrai sans frémir l’Arrêt le plus sévère ;
Je crains plus ta pitié que toute ta colère.
Non, non, je ne viens point jouir de ta douleur.
Je respecte ton rang, ton nom, et ton malheur.
Je fais plus, de tes jours arbitre volontaire.
Je veux que de ton sort le Sénat délibère.
Lui seul te jugera, cependant ne crois pas
Que la pitié me touche et retienne mon bras.
Ce que je fais pour toi, je le fais pour moi-même,
Isménie a ta foi, tu l’adores, je l’aime.
Comme Chef des Romains, je te dois condamner :
Mais comme ton Rival je te veux épargner,
Pour assurer ma gloire et confondre l’envie,
Qui pourrait m’accuser d’en vouloir à ta vie.
ARMINIUS.
Détrompes-toi, Varus, et sois moins généreux.
Précipite ma mort si tu veux être heureux.
D’un Rival tel que moi la vie est importune ;
Et l’on peut entre nous voir changer la fortune.
L’exemple en est commun : mais sois sûr qu’à mon tour,
Je balancerai moins à te priver du jour.
VARUS.
Si de mon sort jamais les Dieux te rendent maître ;
À tes yeux sans secours me forcent de paraître.
Tu pourras ou me perdre ou me sauver. Et moi
Sans prévoir l’avenir je fais ce que je dois.
SÉGESTE.
Je ne saurais souffrir, Seigneur, qu’il vous outrage.
Qu’on l’ôte.
ARMINIUS.
De Ségeste est-ce là le langage ?
Regarde en quels malheurs tu t’es précipité ?
Vois de nous deux, enfin qui doit être imité ?
Tu respectes Varus, tu le crains, je le brave,
Je ne parle qu’en Roi, tu parles en Esclave.
Et captif, désarmé je suis plus souverain,
Que tu ne l’as été les armes à la main.
Laissons un libre cours à sa douleur mortelle.
Seigneur, un soin pressant en d’autres lieux m’appellent.
Qu’on le garde.
SÉGESTE.
Sunnon, appliquez-y vos soins,
Qu’il ait à tous moments vos regards pour témoins ;
Surtout souvenez-vous qu’il y va de sa tête.
Où faut-il me conduire ? Allons, quoiqu’on m’apprête,
Je défie à la fois le sort et les Romains.
Justes Dieux ! vous savez les malheurs que je crains.
ACTE III
Scène première
POLIXÈNE, BARSINE
POLIXÈNE.
Apprends-moi donc, Barsine, où l’on garde mon frère ?
Que j’aille lui prouver une amitié sincère,
Et m’acquitter vers lui du plus juste devoir...
BARSINE.
Vous sera-t-il permis, Madame de le voir ?
Pour vous plaire, Sunnon, osera-t-il enfreindre
L’ordre exprès...
POLIXÈNE.
De ma part, Sunnon, n’a rien à craindre.
Étrangère en ce Camp, sans secours sans soldats :
Je ne puis que pleurer ; voilà mes attentats.
Loin de pouvoir défendre un Prince qu’on opprime ;
Je cours offrir à Rome une double victime :
Suivre le sort d’un frère, adoucir son ennui,
Le plaindre, le servir et mourir avec lui.
Ô ciel ! auriez-vous pris un dessein si funeste ?
POLIXÈNE.
En puis-je former d’autre ? Et quel espoir me reste ?
Du sein de nos États on m’amène en ces lieux,
Sous l’appas, sous la foi d’un hymen glorieux.
Je me flatte qu’ici dès longtemps attendue,
La joie en tous les cœurs doit régner à ma vue ;
Que j’y dois trouver même une pompeuse Cour.
Qu’ai-je trouvé ? Je vois que dès le premier jour
Ségeste me traitant en mortelle ennemie,
Par le dernier mépris me couvre d’infamie ;
Pour un trône promis me prépare des fers,
Et jouir de ma peine aux yeux de l’Univers.
Mais hélas ! Ce n’est point ce qui me désespère,
Je sens moins mes malheurs que les périls d’un frère :
Et de quel frère encore ? Pour louer les Exploits,
Le Renommée à peine a-t-elle assez de voix ?
Lui seul à des Germains fait revivre la gloire,
Et sous leurs étendards ramené la Victoire,
On le livre aux Romains, sans doute il va périr.
Dieux ! n’est-il pas de bras prompt à le secourir ?
Laisserez-vous tomber cette tête proscrite ?
Vous Soldats tant de fois triomphants à sa suite ?
Et vous Peuples du joug, sauvez par sa faveur,
Ne défendrez-vous point votre heureux défendeur ?
BARSINE.
Oui, Madame, espérez qu’un recours favorable...
Hé ! qui voudrait servir ce Prince déplorable ?
Qui voudrait des maux avoir quelque pitié ?
Quand ceux qui lui juraient une étroite amitié.
Quand ceux que l’amour même engage à sa défense,
Semblent passer pour lui jusqu’à l’indifférence.
Sigismond, Isménie, on oublie tous deux
Qu’ils aimaient autrefois ce Prince malheureux.
Leur voit-on rien tenter pour assurer la vie ?
Ah ! de leur souvenir je suis aussi bannie.
Prennent-ils quelque soin de flatter ma douleur ?
L’infortune du frère est commune à la sœur.
Hélas ! dans tous les cœurs quel changement je trouve !
Par quel destin fatal, Dieux ! faut-il qu’il éprouve
Que nos cruels malheurs glacent dans un seul jour
L’amitié plus forte, et le plus tendre amour ?
Cet injuste soupçon offense l’un et l’autre.
Madame, leur douleur est égale à la vôtre.
Les larmes d’Isménie en ce même moment
À son Père irrité parlent pour son Amant.
Sigismond a juré de sauver votre Frère...
Mais il vient, apprenez si son cœur est sincère.
Scène II
SIGISMOND, POLIXÈNE, BARSINE
SIGISMOND.
Quel est votre dessein ? Venez-vous dans ces lieux,
Madame, pour cacher vos plaintes à mes yeux ?
Je n’ose me flatter que ma seule présence
Puisse de vos ennuis calmer la violence :
Si pourtant votre amour était égal au mien.
POLIXÈNE.
Ah ! Seigneur, finissez cet étrange entretien.
Quel temps choisissez-vous ? La triste Polixène
N’a le cœur pénétré que de crainte et de haine ;
Ces divers mouvements l’agitent tour à tour :
Il n’est plus dans ce cœur de place pour l’amour.
SIGISMOND.
Que dites-vous ? ô Ciel !
POLIXÈNE.
Ce que je ne puis taire.
Je déteste Varus : je tremble pour mon frère.
Je vois l’un Souverain ; l’autre persécuté.
Jugez de ma douleur dans cette extrémité ?
Si je dois m’occuper d’une inutile flamme.
Mais quand l’amour encore règnerait dans mon âme,
De quoi me servirait ce vain amusement ?
Seigneur, doit-on aimer lors qu’on n’a plus d’Amant ?
SIGISMOND.
De ce fatal discours que faut-il que je pense ?
Me soupçonnez-vous... Mon esprit en balance,
Ne saurait...
POLIXÈNE.
Non, Seigneur, je ne vous connais plus.
Je n’ai jamais aimé l’Esclave de Varus.
SIGISMOND.
Juste Ciel ! votre cœur ne peut-il méconnaître ?
POLIXÈNE.
Vous m’y forcez, Seigneur, quand vous souffrez un Maître.
Oui, lorsque je vous vois, en vain je veux chercher
Ce Prince qui m’aimait et qui m’était si cher.
L’Amour m’assure en vain que vous êtes le même.
Ah ! j’en vois malgré lui la différence extrême.
Je trouve encore en vous cet air grand, glorieux ;
Cette grâce, ces traits charmèrent mes yeux :
Mais je n’y trouve plus cette ardeur héroïque,
Qui soutenait jadis la fierté Germanique,
Ce courage élevé, cette noble grandeur,
Et tant d’autres vertus qui charmèrent mon cœur.
Ah ! vous deviez me rendre un peu plus de justice,
Sans avoir attendu que je vous éclaircisse
De tout...
POLIXÈNE.
Hélas ! Seigneur, pendant ce vain discours,
De mon Frère peut-être on va trancher les jours :
Peut-être la fureur d’un Rival qui l’abhorre...
Calmez votre douleur, ne craignez rien encore ;
Madame, et permettez que je vous fasse voir
Si d’un fidèle Amant j’ai rempli le devoir :
Si je balance, enfin, entre vous et mon Père :
Mais j’en laisse le soin au Prince votre Frère.
Il parlera, Madame, et vous convaincra mieux.
Scène III
ARMINIUS, SIGISMOND, POLIXÈNE, SUNNON, BARSINE
POLIXÈNE.
Ciel ! que vois-je ? Est-ce vous ? En croirai-je mes yeux ?
Seigneur, et quel secours ? Quelle main pitoyable,
Finit en vous sauvant le tourment qui m’accable ?
À qui dois-je mon frère ? et qui me l’a rendu ?
Vous m’en voyez moi-même étonné, confondu.
Gardé près de ces lieux tout plein de mes disgrâces,
De mes fers ennemis rappelant les menaces ;
Préparé par avance aux cruautés du sort,
J’attendais à tout heure une sanglante mort.
Lorsque Sunnon entrant, j’ai lu sur son visage,
De quelque grand dessein l’infaillible présage,
Hâtons-nous, m’a-t-il dit, Seigneur, et suivez-moi :
Du salut de vos jours fiez-vous à ma foi.
Je le suis. Nous trouvons une route secrète,
Qui jusque dans ces lieux guide notre retraite.
De la nuit qui survient l’heureuse obscurité,
A si bien secondé notre témérité,
Que je vous vois enfin, le reste je l’ignore...
SIGISMOND.
J’ai tout osé pour vous ; Seigneur, je dois encore
Remettre entre vos mains l’instrument glorieux.
Il prend l’épée l’Arminius des mains de Sunnon, et la lui rend.
Des Exploits tant de fois achevés à nos yeux.
Ce n’est pas tout. Du Camp sortez en diligence :
Prenez-en lui, Seigneur, une entière assurance.
Il est instruit de l’ordre, et connu des Soldats.
Allez : ne craignez rien ; et bientôt sur ses pas,
Vous gagnerez les bois, et joindrez votre Armée.
ARMINIUS.
De quel zèle pour moi vôtre âme est enflammée ?
Puis-je jamais payez des soins si généreux ?
POLIXÈNE.
Le Ciel en ce moment a rempli tous mes vœux.
Prince, puisque c’est vous qui me rendez mon frère.
SIGISMOND.
Partez, Seigneur ; fuyez l’implacable colère
De Ségeste aveugle, des Romains furieux...
SUNNON.
Il n’est pas temps encore de sortir de ces lieux.
Les Soldats dans le Camp errants à l’aventure,
Rendent en cet instant votre fuite moins sûre.
Attendons, qu’oubliant leurs pénibles travaux,
Dans les bras du sommeil ils cherchent le repos.
Et que la nuit, Seigneur, un peu plus avancée...
SIGISMOND.
Oui, par votre conseil je change de pensée,
Et je vais avec soin observer le moment
Où vous pourrez, Seigneur, vous sauver sûrement.
Moi-même dans ces lieux je viendrai vous reprendre.
Vous, auprès de mon Père, il est temps de vous rendre,
Madame, par vos pleurs vous saurez l’abuser.
J’y cours : vous, pour leur fuite, allez tout disposer.
Adieu, Seigneur ; le Ciel secondant mon envie.
Puisse-t-il par nos soins assurer votre vie.
Scène IV
ARMINIUS, SUNNON
ARMINIUS.
Vous, qui, pour mon salut, travaillez avec eux ;
Qui plaignez le destin d’un Prince malheureux.
Ami, de qui le zèle à ma perte s’oppose ;
J’admire vos bontés, et j’en cherche la cause.
Quel charme à me servir vous a rendu si prompt ?
SUNNON.
Devais-je moins, Seigneur, au Prince Sigismond ?
C’est lui qui relevant ma naissance commune
Jusqu’au rang que je tiens a porté ma fortune,
Qui, pour vous assurer mes soins, et mon secours,
M’a juré que mon sort dépendait de vos jours.
Déjà mon cœur pour vous craignait un coup funeste ;
J’étais presque ébranlé ; le Prince a fait le reste.
Et quels que soient les noms qu’on me puisse imposer,
Vos vertus, vos exploits ne sauraient excuser.
Suivez, Seigneur, suivez l’ardeur qui vous anime,
Dans le sang des Romains courez laver mon crime.
Des Peuples asservis, courez briser les fers.
Vengez-les des mépris, des maux qu’ils ont soufferts.
Forcez tous les Germains, enfin, de reconnaître
Que si Sunnon pour vous devient perfide et traître ;
Sa trahison sauvant son pays abattu,
Mérite leur estime, et le nom de vertu.
Oui, laissez-moi le soin d’une juste vengeance.
SUNNON.
Mais, Seigneur, si le Ciel trahit notre espérance.
Que sert de vous flatter ? Je vois de toutes parts
Mille périls divers s’offrir à mes regards.
La fuite de ce Camp paraît si difficile...
N’importe ; je mourrai satisfait et tranquille ;
Si je puis expirer les armes à la main,
Et si mes derniers coups versent du sang Romain.
Scène V
ARMINIUS, ISMÉNIE, SUNNON
ISMÉNIE.
Vous êtes libre, enfin, Seigneur, et Polixène,
M’apprenant votre sort vient d’adoucir ma peine.
Dieux ! de quels traits mon cœur s’est-il senti percer ?
Non, nul autre que moi ne saurait le penser.
À peine je respire, abattue, interdite...
Mais grâce au Ciel je vois tout prêt pour votre fuite.
Vous vivrez... Mais hélas ! plus d’Hymen plus d’espoir ;
Pour jamais aujourd’hui je cesse de vous voir,
Et le sort à nos vœux devenu trop contraire...
ARMINIUS.
Non, non, je fléchirai le sort et votre Père,
Je vais, puisqu’il le faut, m’éloigner de vos yeux.
Mais bientôt en Vainqueur je reverrai ces lieux.
La justice, l’amour, mon cœur, tout m’en assure.
Le sang de mon rival lavera mon injure.
Varus et les Romains dans ce Camp égorgés,
Serviront de victime à mes feux outragés,
Mon bras...
Où vous emporte votre aveugle colère ?
Voulez-vous dans leur chute envelopper mon père ?
Quel est votre dessein ? Ah ! Ciel ! prétendez-vous
Dans un Camp qu’il défend, venir porter vos coups ?
Vous verrai-je au combat animés l’un et l’autre ?
Peut-être de sa main... peut-être de la vôtre...
Je frémis... C’est assez que nous l’osions trahir,
Voulez-vous me forcer encore à vous haïr ?
Épargnez-le, Seigneur, et respectez sa vie.
ARMINIUS.
Le soin de son salut fait ma plus chère envie.
Quels que soient les affronts qu’il m’a fait aujourd’hui,
S’il se trouve au combat je veillerai sur lui ;
Moins jaloux mille fois d’emporter la victoire ;
Que de sauver ses jours aux dépends de ma gloire.
ISMÉNIE.
Non, Seigneur, tous vos soins ne me rassurent pas.
Pourrez-vous retenir la fureur des soldats ?
ARMINIUS.
Révoquez une loi si barbare,
Ou redoutez les maux que Rome nous prépare.
Souffrez...
ISMÉNIE.
Non, c’en est fait, je n’y puis consentir.
N’en parlons plus.
ARMINIUS.
Et moi je ne veux plus partir,
Je rentre dans les fers de votre injuste Père.
J’abandonne ma tête à toute sa colère.
Ce Prince, les Romains altérés de mon sang,
De la dernière goutte épuiseront mon flanc.
Vous le savez ? Déjà ma perte est résolue,
Et du coup qui m’attend vous n’êtes point émue ?
Ingrate, vous craignez pour un Père inhumain,
D’un combat éloigné le péril incertain,
Et vous ne craignez point pour un Amant fidèle
Les horreurs d’une mort et prochaine et cruelle,
Triste effet de mes soins ! je suis prêt à périr,
Et vous me défendez de m’oser secourir.
Mais que dis-je ? Grand Dieux ! Quel espoir est le vôtre ?
Voulez-vous vous jeter entre les bras d’un autre ?
Vous donner à Varus ? Et que de son bonheur,
Pour vous plaire je sois tranquille spectateur ?
Non, non n’espérez pas que mon obéissance,
Jusques à cet effort porte ma complaisance.
Votre fausse pitié m’éloigne de ces lieux ;
Et moi je veux du moins ne mourir qu’à vos yeux.
J’y cours.
Quel fureur ! quelle affreuse menace !
Arrêtez... tout mon sang dans mes veines se glace.
Amitié, sang, amour, je cède à votre effort :
Vous déchirez mon cœur qui sera le plus fort.
Qui... Je sens que l’amour plus fort que la nature,
Du sang qui le combat surmonte le murmure.
Je me rends, et je laisse agir votre valeur ;
Entre mon Père et vous j’ai partagé mon cœur :
Mais un juste transport le fait pencher, l’entraîne
Du côté de celui dont la perte est prochaine.
Et quand je prends parti, Seigneur, entre vous deux,
C’est pour le plus à plaindre, et le plus malheureux.
Scène VI
ARMINIUS, SIGISMOND, ISMÉNIE, SUNNON
ARMINIUS.
Ah ! Madame...
SIGISMOND.
Seigneur, fuyez en diligence ;
La nuit dans tout le Camp fait régner le silence.
Allons : marchez, Sunnon, et de différons pas.
ARMINIUS.
Adieu, Madame.
Allez, Seigneur, hâtez vos pas.
Revenez, triomphez, mais sauvez-moi mon Père.
Scène VII
ISMÉNIE, seule
Il part, que fera-t-il ? Que faut-il que j’espère ?
Triomphant des Romains et d’un Rival vainqueur ;
Reviendra-t-il encore plus digne de mon cœur ?
Le verrai-je couvert d’une nouvelle gloire.
Brillant de cet éclat que donne la victoire.
Plein d’amour, à mes pieds venir prendre mes lois.
Mais si je l’avais vu pour la dernière fois.
Si du Ciel irrité la colère obstinée,
Par la fin de ses jours marquait cette journée.
Hélas ! s’il persistait en combattant pour moi ?
Que d’horreurs ! Tout ici redouble mon effroi.
Peut-être sa victoire également funeste,
En épargnant Varus fera tomber Ségeste.
Non, non, rassurons-nous. Mon Amant aujourd’hui
N’en veut qu’à son Rival, et ne cherche que lui.
Il en triomphera sans accabler mon Père.
Pardonne ce souhait à tes désirs contraire.
Ségeste, je t’honore, et les devoirs du sang,
Dans mon cœur agité tiennent le premier rang.
Mais je frémis des nœuds où ton choix me destine,
Et l’État menacé d’une entière ruine,
Fait révolter mon cœur contre un joug odieux.
Ségeste avec Varus, quelle union ? Grand Dieux !
Vous qui les unissez, et qui croyez ma peine,
Séparez ces objets et d’amour, et de haine ;
Que je puisse aimer l’un avec fidélité ;
Et voir immoler l’autre avec tranquillité.
Mais on vient. C’est Barsine. Hélas ! que me veut-elle ?
Scène VIII
ISMÉNIE, BARSINE
BARSINE.
Madame, c’en est fait, la fortune cruelle
Retient Arminius dans ce Camp odieux.
ISMÉNIE.
Ô Ciel ! qu’entends-je ?
BARSINE.
À peine il sortait de ces lieux,
Qu’il a trouvé d’abord pour obstacle à sa fuite,
Que Varus fait du Camp une exacte visite.
Il va de garde en garde ; il court de tous côtés :
Par son ordre en cent lieux des soldats sont postés ;
Qui, prêts à signaler leur zèle et leur courage,
Défendent de ce Camp le plus étroit passage.
Sigismond éperdu, Sunnon épouvanté,
Ne sachant que résoudre en cette extrémité,
Ont conduit votre Amant dans la tente prochaine.
Mais enfin, désormais leur entreprise est vaine ;
J’ai vu leur désespoir, ils ne se flattent plus
De pouvoir hors du Camp conduire Arminius.
La fuite cette nuit leur paraît impossible.
Ainsi, de ce Héros la perte est infaillible.
À peine un seul instant, un peu d’espoir me luit.
Que ma crainte redouble au moment qui le fuit.
Me faudra-t-il toujours trembler pour ce que j’aime ?
Grands Dieux ! Ah ! que plutôt je périsse moi-même.
Ne ménageons plus rien, l’amour au désespoir
Se fait de ses transports un souverain devoir.
Allons trouver ce Prince : allons dans mes alarmes ;
Dans les pleurs que je verse il trouvera des charmes ;
Et je sentirai moins mes mortelles douleurs
Si je puis partager son sort et ses malheurs.
ACTE IV
Scène première
VARUS, seul
Je ne sais que résoudre, et comment me conduire ;
Des ordres de César j’aurais voulu m’instruire.
Tullus que dès longtemps j’ai dépêché vers lui,
De Rome auprès de moi doit se rendre aujourd’hui.
Qu’un moment paraît long à mon impatience.
Mais on vient, et je crois. Oui, c’est lui qui s’avance.
Scène II
VARUS, TULLUS
VARUS.
Eh bien, Tullus ! Eh bien ? qu’est ce qu’on me prescrit ?
Qu’ai-je à faire ?
TULLUS, lui donnant une lettre.
Seigneur, l’Empereur vous écrit.
Des ordres de César instruisez-vous vous-même.
Lisez et connaissez sa volonté suprême.
VARUS lit.
Je suis content des soins que vous prenez
Pour ranger les Germains sous mon obéissance.
Continuez, Varus, et vous ressouvenez
Que ce qu’on fait pour moi n’est pas sans récompense.
Je n’ai qu’un ordre à vous donner ;
Qu’Arminius par vous soit poursuivi sans cesse :
Employez pour le perdre, et la force, et l’adresse,
Je vous défends de l’épargner.
Ô Ciel !
Qu’a donc pour vous cet ordre de funeste ?
Plaignez-vous l’ennemi que l’Empereur déteste ?
VARUS.
Je fonde sur sa mort le bonheur de mes jours,
Et je n’ose des siens faire trancher le cours.
Arminius est cher à l’objet que j’adore,
J’en suis haï, faut-il que je me charge encore
De l’invincible horreur que la mort d’un Amant
Lui donnerait pour moi jusqu’au dernier moment ?
De quel front oserai-je aborder Isménie,
Du sang d’Arminius ma main encore rougie ?
Teinte d’un sang chéri voudrait-elle épouser
Celui qu’innocent même elle ose refuser ?
Ah ! sans trahir Auguste, et la cause publique,
Accordons ma tendresse avec ma politique :
En assurant ici les lois de l’Empereur,
Assurons s’il se peut, le repos de mon cœur.
Que par la main d’un autre Arminius périsse.
Qu’Isménie en pleurant ce sanglant sacrifice,
Ne me reproche point la source se ses pleurs,
Et porte son courroux et sa vengeance ailleurs.
TULLUS.
Eh ! qui l’immolera si vous lui faites grâce ?
Qui punira, Seigneur, sa criminelle audace ?
VARUS.
Ségeste, avec plaisir prendra ce triste emploi.
Arminius lui fait plus d’ombrage qu’à moi,
Ce jeune chef partout suivi de la victoire,
Des exploits de Ségeste a surpassé la gloire.
Les peuples, les soldats charmés de sa valeur,
L’ont honoré du nom de leur Libérateur.
Tous courraient le chercher d’une ardeur empressée,
Et Ségeste déchu de sa grandeur passée,
S’est rangé parmi nous pour s’épargner l’ennui
De le voir plus illustre et plus aimé que lui,
Mais le voici.
Scène III
VARUS, SÉGESTE, TULLUS, SINORIX
SÉGESTE.
Seigneur, sur de justes alarmes
Tout le Camp se prépare et chacun prend les armes.
On vient de m’avertir que sur la fin du jour
Nos ennemis sortaient des forêts alentour,
Qu’ils avançaient vers nous : ils ont appris peut-être
Les extrêmes périls, la prison de leur maître :
Ils craignent en ces lieux de voir trancher ses jours,
Et pleins d’amour pour lui volent à son secours.
Je ne cèle point, Arminius me gêne.
VARUS, à Sinorix.
Allez, qu’on me l’amène,
Vous, Tullus, vers nos chefs précipitez vos pas.
Que chacun au combat dispose ses soldats,
Je vous suivrai de près. Si l’ennemi avance,
Vous reviendrez de tout m’instruire en diligence.
Scène IV
VARUS, SÉGESTE
SÉGESTE.
Qu’avez-vous résolu, Seigneur ? Vous flattez-vous
De vaincre Arminius, de l’attacher à nous ?
VARUS.
Je ne sais : mais je vais du moins lui faire entendre
Le destin qu’en ces lieux sa fierté doit attendre.
Je vais lui présenter les supplices tout prêts ;
Peut-être qu’à leur yeux paraissant de plus près.
Leur funeste appareil malgré toute sa haine
Donnera quelque crainte à son âme hautaine.
SÉGESTE.
Ah ! ne l’espérez pas, ce farouche ennemi,
À mépriser la mort, n’est que trop affermi.
Vous-même l’avez vu dans la guerre passée...
VARUS.
Seigneur, les temps divers font changer de pensée.
Le plus grand cœur s’effraie aux apprêts du trépas.
Tel l’a bravé cent fois au milieu des combats,
Et vu d’un front certain la mort presqu’infaillible,
Qui n’a jamais conçu tout ce qu’elle a d’horrible.
Un esprit enflammé d’une noble chaleur,
Poussé par la vengeance, ou flatté par l’honneur.
Occupé des moyens d’emporter la victoire,
Ne laisse alors les yeux ouverts que pour la gloire ;
Et fait que le guerrier jaloux de l’acquérir,
Vole après les dangers et s’expose à mourir.
Mais ce même guerrier dans un état tranquille,
Menacé d’une mort à sa gloire inutile :
D’une mort odieuse, et qu’il ne cherche pas,
N’est plus tel qu’il était au milieu des combats.
Il fait voir la faiblesse, il frémit, il murmure ;
L’esprit moins prévenu laisse agir la nature,
Et le trépas alors lui devient un objet
Plus redoutable encore qu’il ne l’est en effet.
Non, non, Arminius à tout ce qu’on prépare,
Opposera, Seigneur, sa constance barbare ;
Mais s’il ne se rend point, cessez de ménager
Un ennemi toujours prompt à vous outrager,
Et repoussant d’un coup tous ceux qu’il nous apprête.
À ses troupes, Seigneur, faites porter sa tête ;
Alors tout fléchira. Rien ne peut résister.
Qu’attendez-vous ? Faut-il encore consulter ?
VARUS.
Non, ne différons plus une vengeance juste.
Allons, exécutons les volontés d’Auguste.
Hâtons-nous d’immoler un Rival odieux ;
Et laissons l’avenir entre les mains des Dieux.
SÉGESTE.
Prononcez donc, Seigneur, l’arrêt de son supplice ;
De son sang à César offrez le sacrifice.
Commandez. Un seul mot. Mais sachons...
Scène V
VARUS, SÉGESTE, SINORIX
SINORIX.
Ah ! Seigneur.
SÉGESTE.
Hé bien ! Arminius ?
SINORIX.
Apprenez un malheur
Dont je frémis et qui va vous surprendre.
Sunnon vous a trahi.
SÉGESTE.
Dieux !
VARUS.
Que viens-je d’entendre ?
SINORIX.
On ne le trouve plus. Dans l’ombre de la nuit,
Avec Arminius, il s’est coulé sans bruit.
Tout ceux qu’il commandait interdits et timides,
Abusés par ses soins, ignorants...
SÉGESTE.
Les perfides !
Tous m’ont manqué de foi, je vais les punis tous.
À peine tout leur sang suffit à mon courroux.
Mille morts...
Scène VI
VARUS, SÉGESTE, SIGISMOND, SINORIX
SIGISMOND.
Non, Seigneur, connaissez le coupable.
Ne portez point ailleurs ce courroux redoutable ;
Dans le sang innocent ne trempez point vos mains.
Perdez-moi ; j’ai tout fait. J’ai trompé vos desseins.
J’ai fait partir Sunnon, je l’ai pressé...
SÉGESTE.
Toi traître !
Tu trahis les Romains et ton père et ton maître ?
Tu sers un ennemi par nos soins abattu ?
Qui te le fait servir contre nous...
SIGISMOND.
Sa vertu.
Sa valeur, ses exploits qu’en tous lieux on renomme ;
L’amour de ma Patrie, et ma haine de Rome.
Le soin de votre honneur, mon amitié pour lui,
Tout m’a sollicité de lui servir d’appui.
Hé quoi ! pouvais-je voir ce Prince magnanime.
Des Romains, de Varus, devenir la victime ?
Et vos mains se fouiller se son sang précieux,
Consacré par les lois, par son sang, par les Dieux.
Pouvais-je voir, Seigneur, la triste Germanie
Perdre son défenseur contre la tyrannie ;
Et Polixène en proie à ses vives douleurs
Me demander son frère, et m’accabler de pleurs.
J’ai rempli mon devoir, Seigneur, faites le vôtre.
Je sauve une victime, et vous en livre une autre :
Si par ce que j’ai fait vous êtes outragé ;
Il ne tient plus qu’à vous d’être bientôt vengé.
Versez, versez du sang : mais changez de victime.
Répandez tout le mien sans scrupule, et sans crime.
Si j’avais craint la peine, et l’horreur du trépas,
Du Prince Arminius j’aurais suivi les pas.
Mais je n’ai pas voulu que vos coups redoutables
Tombassent sur des cœurs qui ne sont point coupables.
Au gré de votre haine ordonnez de mon sort.
Je ne m’en plaindrai pas ; trop heureux si ma mort
D’un reproche honteux sauvant votre mémoire,
Aux dépends de ma vie assure votre gloire.
SÉGESTE.
Oui ! lâche tu mourras puisque tu me trahis.
VARUS.
Ingrat, quelle fureur agite vos esprits ?
Où puisez-vous l’excès de cette haine injuste ?
Vous, de tant de bienfaits honoré par Auguste ?
Comblé par le Sénat de grâces et d’honneur...
SIGISMOND.
Ne me reprochez point vos indignes faveurs ;
Lorsqu’à m’en accabler votre Sénat s’applique ;
Dans ses fausses bontés je vois la politique ;
Et ces fiers ennemis devenus complaisants,
Me font plus que leurs coups redouter leurs présents.
Hé ! qu’ai-je à faire ? ô Dieux ! de la grandeur Romaine !
Que me sert-elle ? Hélas ! si je perds Polixène !
Oui, César, si par toi je m’en voyais priver ;
Quand sa perte à ton rang me devrait élever,
Dans mon cœur indigné de cette récompense,
La haine tiendrait lieu de reconnaissance.
Hé quoi ! tous tes présents, ta libéralité
Me pourraient-ils jamais payer ma liberté ?
J’aurais des fers dorés : mais je serais esclave.
Je ne puis rien souffrir qui me gêne, ou me brave,
Et ne connais pour maître en terre, et dans les Cieux,
Que la vertu, l’honneur, la justice, et les Dieux.
Pourquoi veniez-vous donc âme ingrate et perfide,
Suivre depuis deux mois notre Aigle qui vous guide ?
Quel charme ! quel dessein vous conduit parmi nous !
SIGISMOND.
Le glorieux désir de m’instruire avec vous ;
D’apprendre de plus près ce grand art de la guerre,
Qui vous a fait dompter presque toute la terre ;
D’en joindre la pratique à ce que nous savons,
Et de vous vaincre un jour par vos propres leçons.
VARUS.
Juste Ciel ! puis-je encore retenir ma colère ?
Saurais-je assez punir ce discours téméraire ?
Rendez grâces au sang dont vous êtes sorti.
SÉGESTE.
Il n’est plus de mon sang s’il quitte mon parti.
Fait Citoyen Romain j’en ai pris les maximes.
Mon fils n’est plus mon fils, traître, couvert de crimes.
Brutus et Manlius m’ont tracé le chemin :
Je le suivrai, Seigneur, et de ma propre main,
Immolant sans pitié ce fils lâche et rebelle.
Je saurais me couvrir d’une gloire immortelle ;
Venger l’honneur de Rome à mes yeux profané,
Et mériter le nom que vous m’avez donné.
Quoi ! Seigneur...
SÉGESTE.
Punissons ma coupable Famille,
Dans ce fatal moment je hais jusqu’à ma fille ;
Sans doute elle est complice, et du moins de ses vœux,
Elle a favorisé son Amant malheureux.
Je veux que l’univers étonné du supplice...
Scène VII
VARUS, SÉGESTE, SIGISMOND, ISMÉNIE, POLIXÈNE, SINORIX, BARSINE
POLIXÈNE.
Arrête, Père aveugle, et vois ton injustice :
Épargne tes enfants, et que ton fier courroux
Sur Polixène seule épuise tous les coups.
L’amour dans Sigismond a vaincu la nature ;
Et si tu veux punir l’auteur de ton injure.
C’est moi ; vois dans mes yeux le souverain pouvoir,
Par qui ton fils forcé s’oppose à ton espoir.
Ne délibère plus, me voilà toute prête,
Je m’offre à ta fureur. Mais qu’est ce qui t’arrête ?
À me donner la mort, faut-il t’encourager ?
N’oses-tu te baigner dans un sang étranger ?
Toi, qui voulais verser celui de ta famille ?
Ou peut-être crains-tu de punir une fille ?
Mais cesse d’épargner la sœur d’Arminius.
Ségeste, souviens-t’en. Toi penses-y, Varus.
J’ai mêmes sentiments, même cœur que mon frère.
Je ferai contre vous plus qu’il n’a voulu faire.
Si je ne puis verser du sang dans les combats ;
Je puis pas mes discours animer les soldats ;
Et suivant le transport de l’ardeur qui m’entraîne,
Contre Rome en tous lieux faire éclater ma haine ;
L’inspirer à cent Rois abusés ou soumis,
Et vous faire partout de nouveaux ennemis.
SIGISMOND.
Hélas ! que faites-vous ? Et voulez-vous, Madame,
Ébranler mon courage, intimider mon âme ?
Je m’offrais à la mort sans trouble, sans douleur.
Ah ! venez-vous...
POLIXÈNE.
Je viens partager ton malheur,
Puisqu’un saint nœud n’a pu lier nos destinées ;
Que par la mort au moins elles soient enchaînées.
Que tu ne vives pas un instant après moi :
Que je ne pousse pas un soupir après toi.
VARUS.
Quel discours ! quel dessein ! enfin, que puis-je faire ?
Faut-il...
Scène VIII
VARUS, SÉGESTE, SIGISMOND, POLIXÈNE, SINORIX, TULLUS
TULLUS.
Votre présence au Camp est nécessaire.
On entend dans les airs mille cris confondus,
Qui poussent jusqu’ici le nom d’Arminius
Il vient fondre sur nous, et malgré la nuit sombre,
De ses Troupes, Seigneur, on découvre le nombre.
Nos Chefs et nos Soldats au combat préparés
N’attendent que l’emploi que vous leur donnerez.
Tous à l’envi...
Marchons, venez punir l’audace
De ce jeune orgueilleux qui court à sa disgrâce.
SÉGESTE.
Je vous fuis. Sinorix gardez ce criminel,
Ce rebelle chargé du courroux paternel.
Me punissent les Dieux que ma fureur atteste,
Si je l’épargne après sa trahison funeste.
ACTE V
Scène première
SIGISMOND, ISMÉNIE, POLIXÈNE, GARDES
SIGISMOND.
Ne saurons-nous jamais quel sera notre sort ?
Cet état incertain est pire que la mort.
Hélas ! chacun de nous tremblant pour ce qu’il aime ;
À peine en ce moment se souvient de lui-même ;
De ce fatal combat que je crains le succès :
J’y vois de toutes parts de sinistres effets,
Où mon Père expirant, ou mon ami sans vie,
Et peut-être sa mort de la vôtre suivie.
Quel supplice ? grands Dieux ! où me vois-je réduit ?
ISMÉNIE.
Ô courroux ! ô rigueur du Ciel qui nous poursuit.
Que de soupirs perdus ! que d’inutiles plaintes ?
Toujours des soins nouveaux, et de nouvelles craintes !
Est-ce là le bonheur que j’avais attendu ?
Mais Barsine revient.
Scène II
SIGISMOND, ISMÉNIE, POLIXÈNE, BARSINE, GARDES
ISMÉNIE.
Parle, n’as-tu rien vu ?
BARSINE.
Je ne puis vous apprendre,
Que ce qu’un bruit confus vient de me faire entendre.
J’étais près de ces lieux où j’ai de toutes parts,
Promené vainement mes curieux regards ;
Je n’ai pu rien connaître, et ma timide vue,
Dans mille objets affreux s’est d’abord confondue.
Les clameurs des soldats mourants, ou renversés,
Les cris des combattants, les plaintes des blessés,
Le carnage, le sang, l’horreur, le bruit des armes,
Ont étonné mon cœur, et fait coulé mes larmes.
Je n’ai pu soutenir ce spectacle sanglant :
J’ai frémi, j’ai couru vers ces lieux en tremblant.
Où des soldats Romains la joie et le langage,
M’ont appris que Varus avait tout l’avantage,
Et que l’injuste sort secondant ses desseins,
Se déclarait, Madame, en faveur des Romains.
Ne nous flattons donc plus, notre perte est certaine.
Votre Père et Varus vont assouvir leur haine.
SIGISMOND.
Hélas ! Madame.
POLIXÈNE.
Hé quoi ! Prince vous soupirez.
Juste Ciel ! est-ce ainsi que vous me rassurez ?
Pensez-vous que frappé du péril qui nous presse,
Mon cœur en ce moment soit exempt de faiblesse ?
Je la cache à vos yeux pour ne pas redoubler
Des tourments assez grands vont vous faire trembler.
Je vous cache la mienne : ah ! cachez-moi la vôtre !
Rassurons-nous plutôt, aidons-nous l’un et l’autre.
Je sens qu’il est cruel d’être privé du jour,
Lorsqu’on fait son bonheur d’un mutuel amour.
Toutefois dans la mort que le Ciel nous envoie,
Nos cœurs doivent trouver quelque sujet de joie.
Nous mourrons satisfaits, vous de moi, moi de vous ;
Nous n’avons ni soupçons, ni mouvements jaloux.
Cher Prince, notre sort est plus doux qu’il ne semble :
Nous mourrons l’un pour l’autre, et nous mourrons ensemble.
ISMÉNIE.
Oui, dans votre malheur vous êtes trop heureux.
Un semblable destin attire tous mes vœux.
Mais moi de mon Amant absente, séparée,
Des maux que vous souffrez comme vous déchirée.
Je ne saurais hélas ! pour flatter mon ennui,
Le voir, ni lui parler, ni mourir avec lui.
Hé quoi ! que chez les morts je m’apprête à le suivre.
J’aurai le déplaisir d’avoir pu lui survivre.
Ô Dieux ! en cet instant peut-être que Varus
Perce d’un trait fatal le cœur d’Arminius.
Peut-être de soldats une troupe barbare,
Foule sa tête auguste, ou du corps la sépare ;
Et portant sur un dard ce trésor précieux,
En fait à tout le Camp un trophée odieux.
Juste Ciel ! quel objet ? mais j’aperçois mon Père ;
Et je vois dans ses yeux éclater sa colère.
C’en est fait, n’attendons qu’un trépas rigoureux.
Scène III
SÉGESTE, SIGISMOND, ISMÉNIE, POLIXÈNE, BARSINE, SINORIX, GARDES
SÉGESTE.
Traîtres ! les Dieux cruels ont exaucé vos vœux.
Du sang de mes soldats, et des Troupes Romaines.
Le fier Arminius vient de couvrir vos plaines :
Mais de ce grand succès vous ne jouirez pas ;
Et loin que son triomphe ait pour lui des appas :
Lui-même il pleurera ; du moins j’ose le croire,
L’avantage fatal de sa triste victoire ;
Puisqu’il perd aujourd’hui pour nous avoir défaits,
Le plaisir et l’espoir de vous revoir jamais.
Varus encore suivi des restes de l’Armée,
Soutient d’Arminius la valeur enflammée.
Il l’arrête ; et je viens pour vous enlever tous,
Aux vœux d’un Ennemi qui ne cherche que vous.
Venez, venez à Rome, où Varus vous envoie.
Je vais vous y mener, et je sens quelque joie ;
À penser que le Chef de nos heureux Vainqueurs
Honorera bientôt ma fuite de ses pleurs.
Gardes qu’on les conduise. Allons, c’est trop attendre.
Marchons.
Scène IV
SÉGESTE, SIGISMOND, ISMÉNIE, POLIXÈNE, BARSINE, SINORIX, TULLUS, GARDES
TULLUS.
Il n’est plus temps, et songez à vous rendre.
Seigneur, tous mes Soldats sont dispersés ou morts.
Arminius me suit, tout cède à ses efforts,
Et Varus animé d’un généreux courage,
Vient de mêler son sang au reste du carnage.
SÉGESTE.
Il est mort !
TULLUS.
Oui, Seigneur, en Héros, en Romain,
En bravant l’injustice, et les coups du destin.
Après avoir trois fois par des faits incroyables,
Soutenu des Germains les assauts redoutables ;
De ruisseaux de leur sang inondé les sillons,
Et presque renversé leurs épais bataillons.
Il voit de toutes parts ses troupes fugitives,
Et ne peut rassembler les légions craintives
Alors demeuré seul, encore il se défend ;
Et fait sentir la crainte aux Vainqueurs qu’il attend.
Ils n’osent l’aborder, sa fierté les étonne.
Toutefois à grands flots leur troupe l’environne,
Et honteux de se voir par lui seul arrêtés,
Lui poussent à l’envi cent coups précipités.
Son sang coule aussitôt, il le voit, et rappelle,
De sa force épuisée une force nouvelle.
C’est assez, a-t-il dit : ah ! ne permettons pas
Que mes jours soient tranchés par d’indignes Soldats ;
Surtout, épargnons-nous la rage et l’infamie,
De devoir au Vainqueur le reste de ma vie.
Il se frappe à ces mots ; mortellement blessé,
Sur un monceau de corps il tombe renversé ;
Et ce coup à jamais consacrant sa mémoire,
Dans la défaite même il se couvre de gloire.
SÉGESTE.
Ah ! Varus, que je plains ! que j’admire ton sort !
Je brûle de te suivre, et d’imiter ta mort.
Je jure ainsi que toi de fuir l’ignominie,
De tenir du vainqueur une importune vie.
Mais avant qu’achever le dessein que je prends,
Faisons un sacrifice à tes mânes errants.
Que ces perfides cœurs que le destin me livre
Dans la nuit du tombeau soient forcés de te suivre.
Que sans égard enfin du sexe et du rang,
De tous trois à mes yeux on répande le sang ;
Que j’y mêle le mien, qu’Arminius ne trouve
Que les sanglants effets des fureurs que j’éprouve,
Qu’il ne rencontre ici pour fruit de ses Exploits,
Que son ami, sa sœur, sa maîtresse aux abois ;
Et pour venger les maux où son bonheur m’expose ;
Qu’il plaigne mon trépas par les horreurs qu’il cause.
Ah ! que mon bras du moins seconde ma fureur.
Que je meure !...
Ah ! Seigneur, quel dessein ? quelle envie ?
ISMÉNIE.
Arrêtez...
SÉGESTE.
Quoi cruels vous ménagez ma vie ?
Vous m’osez demander ; et vous voulez enfin,
Qu’Arminius soit seul maître de mon destin ?
Scène V
SÉGESTE, ARMINIUS, SIGISMOND, ISMÉNIE, POLIXÈNE, BARSINE, SINORIX, GARDES
SÉGESTE.
Hé bien, Arminius, par un revers funeste,
La fortune en tes mains met le sort de Ségeste.
Tu sais de quelle ardeur j’ai poursuivi tes jours.
Tu me vois maintenant sans espoir, sans secours.
Venge-toi sans scrupule, et prends une victime
Dont la perte est utile et la mort légitime.
Frappe, perce ce cœur qui n’attend que tes coups.
Cessez de m’animer, et d’aigrir mon courroux.
Vos derniers attentats, vos cruelles injures
Ont laissé dans mon cœur d’assez vives blessures,
Pour me porter sans peine à vous donner la mort,
Et je ne doute point, si la rigueur de sort
Vous eut par ma défaite abandonnée ma vie ;
Que déjà vos fureurs ne me l’eussent ravie.
Que n’avez-vous point fait aujourd’hui contre moi ?
Ce n’était pas assez de me manquer de foi.
Sans égard pour les droits que ma naissance donne,
Vous avez attenté jusque sur ma personne,
Et de vos fers honteux osant charger mes mains,
L’Univers étonné du bruit de mon offense,
Ne le sera pas moins d’apprendre ma vengeance.
D’un mot je ne puis vous perdre, et je suis offensé :
N’y pensons plus, Seigneur, oublions le passé :
C’est moi qui vous en prie. Enfin de ma victoire
Je ne veux d’autres prix, je ne veux d’autre gloire,
Que le charmant espoir d’être de vos amis,
Et le parfait bonheur de me voir votre fils.
Craignez moins de César la puissance funeste.
Combattons seulement, je vous réponds du reste.
En vain vous avez cru que fidèle aux Romains,
La Victoire partout seconde leurs desseins ;
Que contre leurs efforts rien ne nous peut défendre ;
Pour les vaincre il suffit de l’oser entreprendre.
Vous venez de les voir expirer sous mes coups,
Et ces Romains enfin, sont hommes comme nous.
Mais dussions-nous périr, Seigneur, pour la patrie.
Mourons libre du moins, s’il faut perdre la vie ;
Un malheur éclatant est toujours glorieux.
Soutenons notre gloire, et laissons faire aux Dieux.
SÉGESTE.
Vaincu, désespéré, que pourrais-je répondre ?
Prince, tous vos discours ne font que me confondre ;
Je ne m’attendais pas à ces soins généreux,
Et si vous vous vengiez je serais plus heureux.
Jouissez à loisir des fruits de la victoire :
Mais ne me forcez pas d’en voir toute la gloire.
Quand vous me découvrez vos nobles sentiments,
Ma honte et ma douleur croissent à tous moments.
Épargnez ma faiblesse, et loin de votre vue,
Laissez-moi dévorer le chagrin qui me tue.
ARMINIUS.
Suivre-le, Sinorix, et veillez sur ses jours.
Madame...
ISMÉNIE.
Non, Seigneur, je vole à son secours.
Permettez...
Scène VI
ARMINIUS, POLIXÈNE, ISMÉNIE, SIGISMOND, BARSINE
ARMINIUS.
Je vous suis, venez, allons Madame,
Remettre par nos soins le came dans son âme
Malgré son désespoir, malgré tout son courroux,
Le temps, et vos respects le fléchiront pour nous.
Je m’étais engagé de venger mon outrage,
De m’ouvrir jusqu’à vous un glorieux passage.
Varus est mort, enfin les Romains sont défaits.
Grâces aux Dieux, l’effet répond à mes souhaits.
De mes libérateurs reconnaissons le zèle,
Et consacrons à Rome une haine immortelle.