La Bergère de la rue Monthabor (Eugène LABICHE)
- ACTE I
- Scène première
- Scène II
- Scène III
- Scène IV
- Scène V
- Scène VI
- Scène VII
- Scène VIII
- Scène IX
- Scène X
- Scène XI
- Scène XII
- ACTE II
- Scène première
- Scène II
- Scène III
- Scène IV
- Scène V
- Scène VI
- Scène VII
- Scène VIII
- Scène IX
- Scène X
- Scène XI
- Scène XII
- Scène XIII
- Scène XIV
- Scène XV
- ACTE III
- Scène première
- Scène II
- Scène III
- Scène IV
- Scène V
- ACTE IV
- Scène première
- Scène II
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- Scène X
- Scène XI
- Scène XII
- Scène XIII
- Scène XIV
- Scène XV
- Scène XVI
Comédie-Vaudeville en quatre actes.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 1er décembre 1865.
Personnages
MOULINFROU
GODERLEAU
EUSÈBE GODERLEAU, son fils
HENRI, artiste peintre
TABARDON, notaire
POLYDORE, concierge
GASTON
ADÉLAÏDE MOULINFROU
AUGUSTINE, fille de Moulinfrou
LA BARONNE DE SENNELY
CONSTANCE, femme de chambre
UNE DAME DU BUFFET
UN GARÇON DE CAFÉ
UNE PIERRETTE
UNE MARQUISE
UN PÉLERIN
UN JOCKEY
MASQUES
INVITÉS
ACTE I
À Paris, rue Monthabor, chez Moulinfrou. Un salon... À gauche premier plan une cheminée. Un petit tabouret devant. Un canapé près de la cheminée. Une chaise derrière le canapé. Au fond à gauche un secrétaire. Porte au milieu. De chaque côté de la porte deux fauteuils. Un petit guéridon à droite au fond. Porte au deuxième plan à droite. Au premier plan une jardinière. Une chaise entre la porte et la jardinière. À droite premier plan une table avec tapis. Une chaise au-dessus de la table.
Scène première
MADAME MOULINFROU, CONSTANCE[1], puis MOULINFROU
Au lever du rideau, Constance est devant la cheminée et met des bougies dans les candélabres.
MADAME MOULINFROU, entrant du fond.
Ah ! vous avez ôté les housses... très bien !... Comment les bougies ne sont pas encore en place ?
CONSTANCE.
Je suis après, madame.
MADAME MOULINFROU.
On voit bien que vous avez reçu vos étrennes la semaine dernière ; vous vous ralentissez déjà.
CONSTANCE.
Mais madame, il faut le temps, moi, d’abord, quand on me bouscule, je ne fais plus rien.
MOULINFROU, passant sa tête par la porte de droite.
C’est moi ! peut-on entrer ?
MADAME MOULINFROU.
Non... tu vas nous gêner.
MOULINFROU, entrant.[2]
C’est pour voir le coup d’œil.
Regardant.
Oh ! c’est magnifique.
MADAME MOULINFROU.
N’est-ce pas ?
MOULINFROU.
Oui, quand on ôte les housses... çà donne tout de suite un air... tiens ! tu as laissé les bougies blanches !
MADAME MOULINFROU.
Sans doute.
MOULINFROU.
Il y a des maisons où l’on met des bougies roses, c’est plus élégant.
MADAME MOULINFROU.
Où as-tu vu çà ?...
MOULINFROU.
Je ne suis jamais allé à la cour, mais j’aime à croire qu’on ne s’éclaire pas avec des bougies blanches.
MADAME MOULINFROU.
Pourquoi ?
MOULINFROU.
Ce serait du joli ! nous serions la risée de l’Europe.
MADAME MOULINFROU.
Bah !... Comment trouves-tu ma jardinière ?...
MOULINFROU, regardant à droite.
Ah ! délicieuse !... Moi, d’abord, j’ai la passion des fleurs... je n’en achète jamais l’hiver, parce que c’est hors de prix ; mais j’encourage du regard cette gracieuse industrie... c’est la vérité, je m’arrête à la porte de tous les marchands de fleurs.
CONSTANCE, à part.
Çà leur fait une belle jambe !...
MOULINFROU.
Dis-donc, Adélaïde, je crains que notre soirée ne soit un peu froide.
MADAME MOULINFROU.
Comment ?
MOULINFROU.
Nous ne connaissons pas la famille Goderleau... et puis, une première entrevue... Je voudrais échauffer çà.
MADAME MOULINFROU.
On servira du punch chaud.
MOULINFROU.
Certainement, c’est une très bonne chose... mais j’avais une autre idée... c’est aujourd’hui le 6 Janvier, si nous tirions les Rois ?...
MADAME MOULINFROU.
Tiens... au fait...
MOULINFROU.
Çà anime tout de-suite une fête... au lieu de se regarder le blanc des yeux on se dit : Qu’est-ce qui sera le roi ? qui est-ce qui sera la reine ? il y a de l’animation... on se sent vivre, mais pour cela il faut une fève.
MADAME MOULINFROU, allant à Constance.
Et un gâteau, Constance...[3] Vous allez courir tout de suite chez le pâtissier et vous lui commanderez un gâteau des rois...
CONSTANCE.
Une galette.
MADAME MOULINFROU, aigrement.
Ce n’est pas la peine de me reprendre... Le 6 janvier une galette s’appelle un gâteau des rois.
CONSTANCE.
Mais madame !...
MOULINFROU.
Voyons... ne vous fâchez pas.
CONSTANCE.
Ce n’est pas moi, c’est madame... qui est grincheuse aujourd’hui.
MADAME MOULINFROU.
Grincheuse !... Insolente !...
MOULINFROU.[4]
N’allez-vous pas vous disputer un jour où nous avons du monde ?... Vous vous retrouverez demain.
CONSTANCE.
Dans quel prix madame veut-elle sa galette ?
MADAME MOULINFROU.
Mon gâteau des rois, entendez-vous, mon gâteau des rois.
MOULINFROU.
Encore !
MADAME MOULINFROU.
Dans les deux francs cinquante à deux francs soixante-quinze.
MOULINFROU.
Trois francs même ! Mais recommandez bien au pâtissier de mettre une fève, parce que lorsqu’il n’y a pas de fève, c’est triste... l’effet est raté.
MADAME MOULINFROU, appuyant.
Çà devient une galette et non un gâteau des rois.
CONSTANCE, en remontant.
Soyez tranquille, j’y veillerai.
MOULINFROU.
En descendant, priez M. Désarmure, le concierge de venir me parler.
CONSTANCE.
Bien, monsieur.
Elle sort par le fond.
Scène II
MONSIEUR et MADAME MOULINFROU[5]
MADAME MOULINFROU.
M. Désarmure !... Tu es trop cérémonieux avec ton concierge. Il s’appelle Baptiste, appelle-le Baptiste.
MOULINFROU.
Je n’ose pas. Il a l’air d’un monsieur avec sa robe de chambre et sa calotte de velours... plus belle que la mienne.
MADAME MOULINFROU.
Il n’en est pas moins ton concierge.
MOULINFROU.
C’est vrai... mais il a été autrefois maître d’hôtel chez un duc... il a de grandes manières.... Il a déjà vu deux fois l’Africaine.
MADAME MOULINFROU.
Deux fois tandis que nous...
MOULINFROU.
Il préfère les Huguenots... il prétend que c’est plus large... l’Africaine c’est long, mais les Huguenots c’est large.
MADAME MOULINFROU.
Ainsi voilà un portier qui a vu l’Africaine deux fois tandis que nous...
MOULINFROU.
Je t’ai dit que tu la verrais... tu la verras...
Changeant de ton.
Où est ta fille ?
MADAME MOULINFROU.
Augustine ? Elle achève de s’habiller.
MOULINFROU.
L’as-tu préparée à l’entrevue de ce soir ?
MADAME MOULINFROU.
Qu’est-ce que tu veux que je lui dise ? puisque nous ne connaissons ni le futur ni le beau père.
MOULINFROU.
J’ai reçu la photographie du père.
Il tire une photographie de sa poche.
C’est un bel homme.
MADAME MOULINFROU.
Oui, mais le fils.
MOULINFROU.
Regarde au bas. « Me voici, mon fils est tout mon portrait. »
MADAME MOULINFROU.
On n’a jamais vu un mariage pareil.
MOULINFROU.
Le papa Goderleau est un des plus riches marchands de vin de champagne d’Épernay, il a des millions... et des caves !... Il paraît qu’on se promène dedans en voiture... Comprends-tu ? des caves dans lesquelles on peut se promener en calèche !...
MADAME MOULINFROU.
J’avoue que c’est un beau parti !
MOULINFROU.
C’est Tabardon mon notaire qui me l’a trouvé... aussi j’ai mené l’affaire rondement ! Il y a un mois, échange des premières lettres.
MADAME MOULINFROU.
Ce soir la présentation.
MOULINFROU.
Demain, la signature du contrat.
MADAME MOULINFROU.
M. Goderleau et son fils Eusèbe arrivent d’Épernay par le train de sept heures.
MOULINFROU.
Ils seront ici à huit heures et nous tirerons les rois à neuf et... c’est égal, je regrette que tu n’aies pas mis des bougies roses.
Scène III
MONSIEUR et MADAME MOULINFROU, POLYDORE, puis AUGUSTINE[6]
POLYDORE, entrant du fond.
Monsieur m’a fait demander ?
MOULINFROU.
Moi ?
À sa femme.
Quel est cet homme ?
MADAME MOULINFROU.
Je ne le connais pas.
POLYDORE.
Je suis Polydore... c’est moi qui remplace votre concierge.
MOULINFROU.
Comment ? M. Désarmure n’es donc pas à sa loge ?
POLYDORE.
Non, monsieur, il est parti ce soir par le train de six heures.
MADAME MOULINFROU.
Parti !
MOULINFROU.
Pour où ?
POLYDORE.
Son médecin lui a conseillé d’aller passer l’hiver dans le midi.
MADAME MOULINFROU.
Un portier !
MOULINFROU.
Et sans nous prévenir encore !
POLYDORE.
Pardon voici une lettre.
Passant à droite.
MOULINFROU.
Une lettre ![7]
MADAME MOULINFROU.
Il ne peut donc pas se déranger ?
MOULINFROU, lisant.
« Monsieur a dû s’apercevoir que j’étais un peu souffrant bien qu’il ne m’ait jamais fait l’honneur de me demander de mes nouvelles... ce que monsieur le duc, mon ancien maître ne dédaignait pas de faire quelquefois, lui ! »
MADAME MOULINFROU.
Hein !
MOULINFROU, continuant.
« Mais ceci est une affaire d’éducation, je n’insisterai pas sur ce point... »
MADAME MOULINFROU.
Il ose nous donner des leçons !
MOULINFROU.
Le polisson !
Lisant.
« Je pars, je confie mes fonctions pendant mon absence à M. Polydore Chaillou... un homme dont le passé répond de l’avenir... Je pense que M. le propriétaire ne trouvera pas mauvais que j’aille respirer l’air pur du midi, celui de la rue Monthabor n’étant pas assez saturé de soleil... »
MADAME MOULINFROU.
Mais je m’en contente bien moi !
MOULINFROU.
Toi et bien d’autres, à commencer par le ministère des finances... Ah ! la rue Monthabor n’est pas assez saturée de soleil !
MADAME MOULINFROU.
À son retour, nous le prierons d’en chercher une autre.
MOULINFROU.
Sois tranquille, je le destitue.
À Polydore.
Allons, il faut bien que je vous prenne puisque je n’en ai pas d’autre.
POLYDORE.
Je ferai observer à monsieur que c’est une complaisance de mà part... je n’étais pas né pour tirer le cordon... j’ai fait la classe pendant six mois au collège Louis-le-Grand.
MOULINFROU.
Un professeur.
POLYDORE.
Et je tiens par dessus tout aux égards... et aux gages !
MOULINFROU.
Un savant !... Je le flanquerai à la porte !
AUGUSTINE, paraissant à la porte de gauche.
Maman, veux-tu venir m’agrafer ma robe ?
MADAME MOULINFROU.
J’y vais.
Fausse sortie. À son mari.
Dis donc, il me vient une idée... Puisque nous avons fait les frais d’une soirée, si tu montais chez notre locataire, la baronne de Sennely, tu l’inviterais...
MOULINFROU.
Tiens !
MADAME MOULINFROU.
Une baronne... ça ferait très bien pour les Goderleau...
MOULINFROU.
D’autant plus que nous lui devons un dîner... nous serons quittes... Où est mon habit ?
Il sonne.
AUGUSTINE, paraissant.
Viens donc maman.
MADAME MOULINFROU.
Voila !
CONSTANCE, entrant du fond.
Monsieur a sonné ?[8]
MOULINFROU.
Oui... Mon habit noir.
CONSTANCE, à Polydore.
Il est dans la manche de monsieur.
MOULINFROU.
J’attends quelques personnes ce soir, puis-je compter sur vous pour la soirée ?
POLYDORE.
Monsieur est bien bon, mais je ne vais pas dans le monde. Je suis en deuil.
MOULINFROU.
Non... vous ne comprenez pas... je ne vous invite pas comme invité... je vous invite à venir passer les rafraîchissements.
POLYDORE, passant à gauche.
Je le ferai pour vous obliger.[9]
MOULINFROU, à Constance.
Eh bien ! et le pâtissier ?
CONSTANCE.
Je lui ai bien recommandé la fève.
À part.
Je lui ai dit d’en mettre deux.
MOULINFROU.
À la bonne heure ! Je crois qu’on s’amusera !
Il sort par le côté à droite.
Scène IV
POLYDORE, CONSTANCE
CONSTANCE, examinant Polydore.
Attendez donc... Je vous reconnais vous... monsieur Polydore !...
POLYDORE.
Tiens ! mam’zelle Constance ! Vous êtes femme de chambre ici !
CONSTANCE.
Oui... mais vous ?
POLYDORE.
Concierge... par intérim...
CONSTANCE.
C’est drôle ! voilà la troisième fois que nous nous, rencontrons en place.
POLYDORE.
Ça prouve que nous ne moisissons pas chez nos bourgeois.
CONSTANCE.
Dites donc, c’est-y vrai que vous avez été clans l’instruction publique ?
POLYDORE.
J’ai fait la classe pendant six mois au collège Louis-le-Grand.
CONSTANCE.
Comme professeur ?...
POLYDORE.
Non... j’ai fait la classe... j’ai balayé la classe.
CONSTANCE.
Ah ! je comprends... vous êtes entré ici depuis ce matin ?
POLYDORE.
Oui, et je ne pense pas y rester longtemps.
CONSTANCE.
Pourquoi ?
POLYDORE.
La rue est triste... j’aime le mouvement...
CONSTANCE.
Vous auriez été bien dans mon ancienne maison, boulevard des Italiens.
POLYDORE.
C’est très chic, ça... pourquoi l’avez-vous quittée ?
CONSTANCE.
Les maîtres se couchaient trop tard.
POLYDORE.
Ça vous fatiguait de les attendre ?
CONSTANCE.
Non... mais je n’avais pas mes soirées... et j’y tenais... surtout en carnaval, à cause des bals de l’opéra.
POLYDORE.
Ah ! je comprends.
Il fait un geste de danse.
J’en pince aussi.
CONSTANCE.
Moi, je n’en manque pas une... j’ai un petit costume de sorcière...
POLYDORE.
Mazette !...
CONSTANCE.
Je l’ai acheté il y a trois jours à la femme de chambre de mademoiselle Amanda... une actrice des Variétés... qui avait besoin d’argent... et je compte l’étrenner cette nuit...
POLYDORE.
Cette nuit ? Et la soirée de monsieur Moulinfrou ?
CONSTANCE.
Histoire de manger une galette et de dénicher la fève... je les coucherai à dix heures... Venez donc au bal, vous m’offrirez votre bras.
POLYDORE.
On m’a promis de me prêter un costume, mais ce n’est pas sûr... S’il arrive, je vous accompagnerai.
CONSTANCE.
Oh ! ce serait gentil à vous !
POLYDORE.
Certainement... mais vous savez... moi je ne paie jamais rien aux femmes.
CONSTANCE.
Ah ! vous êtes connu ! mais je ne vous demande que votre bras pour entrer... et une fois là...
Ils dansent tous deux comiquement.
Scène V
POLYDORE, CONSTANCE, MADAME MOULINFROU habillée, AUGUSTINE habillée[10]
MADAME MOULINFROU, entrant de gauche et les regardant danser, avec étonnement.
Hein !
Ils s’arrêtent. À sa fille.
Prends garde de friper ta toilette.
AUGUSTINE.
Oui, maman.
MADAME MOULINFROU.
Ah ! monsieur Polydore, je suis bien aise de vous trouver... pendant la soirée, vous passerez les rafraîchissements...
POLYDORE.
Monsieur me l’a déjà dit, mais si on frappe à la porte pendant que je serai ici ?...
MADAME MOULINFROU.
Eh bien ! vous descendrez tirer le cordon et vous remonterez... ce n’est pas si haut, un entresol.
POLYDORE, à part.
Voilà un métier !
MADAME MOULINFROU.
Vous mettrez la livrée que mon mari a fait faire pour M. Désarmures.
POLYDORE.
Mais M. Désarmures a cinq pieds six pouces.
MADAME MOULINFROU.
Vous rentrerez le bas du pantalon et les manches.
POLYDORE.
Après ça en carnaval !...
MADAME MOULINFROU.
Vous dites ?
POLYDORE.
Rien, madame.
À part.
Je ne ferai pas de vielles dents ici.
Il sort par le fond.
MADAME MOULINFROU, à Constance.[11]
Eh bien, et vous ? Qu’est-ce que vous faites là ?
CONSTANCE.
Rien madame. Je voulais demander à madame si elle croit que sa soirée se prolongera...
MADAME MOULINFROU.
Mais probablement jusqu’à onze heures ou minuit... Pourquoi ?
CONSTANCE.
Pour rien, madame.
À part.
Voilà des bourgeois qui se dérangent... C’est bon pour une fois, mais il ne faut pas qu’ils s’y habituent.
Elle sort à droite.
Scène VI
MADAME MOULINFROU, AUGUSTINE, puis MOULINFROU
MOULINFROU, entrant par le fond avec un petit paquet sous le bras.
Voilà qui est fait. J’ai invité la baronne.
MADAME MOULINFROU.
Et elle a accepté ?
MOULINFROU.
Avec une grâce charmante. Elle m’a dit de ses petites lèvres roses : « Mon cher propriétaire, je n’ai rien à vous refuser. » Elle paie son terme le quinze à midi... c’est une femme de race.
MADAME MOULINFROU.
Qu’est-ce que tu tiens là sous ton bras ?
MOULINFROU.
Ma foi, je n’y tenais plus, j’ai acheté des bougies roses !...
MADAME MOULINFROU.
Oh ! quand tu as quelque chose dans la tête !...
MOULINFROU.
Nous allons les placer.[12]
À Augustine.
Aide-moi, fifille, fais comme moi, tu souffles, tu allumes... tu souffles, tu allumes...
MADAME MOULINFROU.
Dépêche-toi...
MOULINFROU.
Ordinairement, on place dans les bobèches de petits papiers frisés...
MADAME MOULINFROU.
Oui, pour mettre le feu...
MOULINFROU, examinant les candélabres.
Nous sommes assurés... Là ! ça a tout de suite un aspect...[13]
Quittant la cheminée.
AUGUSTINE.
Mais papa, pourquoi toutes ces cérémonies ?
MOULINFROU.
C’est juste ! Il faut la prévenir.
À sa femme.
Parle !
MADAME MOULINFROU.
Non toi !
MOULINFROU.
Tu crois que ça m’embarrasse, tu vas voir ! Ma fille, nous attendons ce soir un jeune homme, un prétendu...
AUGUSTINE.
Pour moi ?...
MOULINFROU.
Dam ! à moins que ce ne soit pour ta mère.
AUGUSTINE.
Est-il bien ?
MADAME MOULINFROU.
Ça nous ne le connaissons pas.
MOULINFROU.
Pardon ! voici sa photographie.
Il la montre.
AUGUSTINE.
Mais c’est un vieux !
MOULINFROU.
Attends donc ! c’est le père ça...
AUGUSTINE.
Et le fils ?...
MADAME MOULINFROU.
Nous ne l’avons pas.
MOULINFROU.
Nous l’avons.
À Augustine.
Regarde au-dessous ; cette petite écriture fine.
Lisant.
« Me voici, mon fils est tout mon portrait. »
AUGUSTINE.
Alors, il n’est pas beau.
MOULINFROU.
Il n’est pas mal pour un père... Le fils doit être plus jeune.
MADAME MOULINFROU.
Cette bêtise !
MOULINFROU.
Silence, madame Moulinfrou !... Je sais qu’au fond vous n’êtes pas favorable à ce mariage.
MADAME MOULINFROU.
Moi ?...
MOULINFROU.
Oui, vous jugez tout avec vos passions et la passion est mauvaise conseillère.
MADAME MOULINFROU.
Mais je t’assure...
MOULINFROU.
Assez !
À Augustine.
Je ne te parle pas mon enfant de la magnifique position que tu vas occuper dans le monde... tu seras la reine d’Épernay.
AUGUSTINE.
Mon futur habite Épernay ?
MOULINFROU.
Il ne l’habite pas... il l’emplit !
AUGUSTINE.
Il est préfet, peut-être.
MOULINFROU.
Mieux que cela... M. Goderleau père...
AUGUSTINE.
Ah ! le vilain nom !
MOULINFROU, avec colère à sa femme.
Madame Moulinfrou, n’influencez pas votre fille !...
MADAME MOULINFROU.
Moi, je ne dis rien !...
MOULINFROU.
C’est encore trop !
Reprenant.
M. Goderleau père est peut-être le plus illustre marchand de vin de champagne de toute l’Europe... Il possède les grands crûs, un château, des fermes, une forêt et des caves... Remarque bien ceci, ma fille. Des caves, dans lesquelles on peut se promener en voiture.
À sa femme.
Il est inutile de sourire, madame.
MADAME MOULINFROU.
Moi ? Je n’ai pas bougé !
MOULINFROU.
Tenez, passez par là.
Il la fait passer près de lui à droite, et Augustine à gauche.[14]
MADAME MOULINFROU, traversant.
Ah ! je veux bien.
MOULINFROU, à sa fille.
Voyons, où en étais-je ?
AUGUSTINE.
Dans les caves, papa.
MOULINFROU.
Nous y reviendrons... Je n’essaierai pas de faire miroiter à tes yeux les séductions d’une fortune inespérée... je sais que les biens de ce monde touchent peu le cœur des jeunes filles. D’ailleurs, je n’ai pas compté avec M. Goderleau père, mais on lui accorde généralement trois millions de fortune.
À sa femme.
Oui, madame... trois millions...
MADAME MOULINFROU.
Je ne dis pas le contraire.
MOULINFROU.
Pourquoi haussez-vous les épaules.
MADAME MOULINFROU.
Moi !...
MOULINFROU.
Oui, madame... Chaque fois que je prononce le nom de Moulinfrou, vous haussez las épaules... comme ça...
Il fait le geste.
MADAME MOULINFROU.
Par exemple.
MOULINFROU.
C’est insupportable...
À sa fille.
Revenons à M. Goderleau. Il a deux fils uniques... et donne à chacun 500 000 francs, ce qui, avec les 200 000 francs, que nous te compterons le jour du contrat, formera pour entrer en ménage un total de 35 000 livres de rente à cinq du cent.
À sa femme.
Je crois que c’est assez gentil.
AUGUSTINE.
Mais le jeune homme, papa.
MOULINFROU.
Il s’appelle Eusèbe... Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’à la mort du papa Goderleau qui est un peu replet, si j’en juge par sa photographie...
MADAME MOULINFROU, voulant l’arrêter.
Chut ! Moulinfrou.
MOULINFROU.
Quoi ?... Je peux bien causer de l’avenir de mon enfant !
Reprenant.
À la mort du papa Goderleau, c’est-à-dire le plus tard possible... tu te trouveras à la tête de 70 000 francs de rente.
MADAME MOULINFROU, avec émotion.
Et plus tard... après nous... quand la barque... inflexible...
MOULINFROU, vivement.
C’est bien ! Ne parlons pas de çà !
AUGUSTINE.
Papa, et le jeune homme ?
MOULINFROU.
Eh bien ! il s’appelle Eusèbe.
CONSTANCE, annonçant.
M. Goderleau père !
MOULINFROU.
Ce sont eux !
Il remonte.
MADAME MOULINFROU.
Redresse-toi et tire ton corsage.
Augustine exécute ce mouvement.
Scène VII
MADAME MOULINFROU, AUGUSTINE, MOULINFROU, GODERLEAU PÈRE[15]
MOULINFROU.
Cher M. Goderleau...
GODERLEAU.
Au point où nous en sommes permettez-moi de vous serrer la main.
MOULINFROU.
Comment donc ?...
Présentant.
Madame Moulinfrou, ma femme !
GODERLEAU, saluant.
Madame, je dépose...
MOULINFROU, présentant.
Augustine Moulinfrou, ma fille...
GODERLEAU, saluant.
Mademoiselle... je dépose...
Bas à Moulinfrou.
Elle est charmante !...
MADAME MOULINFROU, à part.
Où donc est le jeune homme ?
MOULINFROU.
Mais je ne vois pas...
GODERLEAU.
Quoi ?
MOULINFROU.
L’objet principal, M. Eusèbe.
GODERLEAU.
Il va venir. Il est entré chez le coiffeur pour se faire friser.
MOULINFROU.
Voyez-vous le mirliflor.
GODERLEAU.
Oh ! non. Eusèbe est très simple... s’il avait un défaut, serait plutôt trop simple, il a presque toujours vécu à la campagne.
MOULINFROU.
Il aime les champs comme Virgile.
GODERLEAU.
Quel Virgile ?
MOULINFROU.
L’auteur... l’ami d’Auguste.
GODERLEAU.
Quel Auguste ?
MOULINFROU.
L’empereur Romain.
GODERLEAU, étonné.
Ah !
MOULINFROU, à part.
Je ne le crois pas lettré.
GODERLEAU, à part.
Pourquoi me parle-t-il d’un empereur romain ?
Haut.
Il faut vous dire que dans son enfance Eusèbe était très délicat, il ne grossissait pas.
MADAME MOULINFROU.
J’ai été comme ça.
MOULINFROU.
Moi aussi.
GODERLEAU.
Alors, mon médecin me conseilla de le mettre à l’air, au soleil...
MOULINFROU.
Excellente chose !...
GODERLEAU.
Je l’envoyai dans une de mes fermes.
MOULINFROU.
Une de ses fermes ! Voyons franchement, combien en avez-vous ?
GODERLEAU.
J’en ai cinq.
MOULINFROU, à sa fille.
Tu entends, petite.
GODERLEAU.
Eusèbe y resta jusqu’à l’âge de vingt ans.
MADAME MOULINFROU.
Vingt ans !
GODERLEAU.
J’allais le voir souvent... mais un jour, je m’aperçus que mon fermier l’exploitait... Il le campait à la charrue et le faisait labourer.
MOULINFROU.
Ça lui économisait un charretier.
GODERLEAU.
Alors, je retirai Eusèbe, il avait grossi et maintenant il se porte à merveille.
MOULINFROU.
C’est le point capital.
GODERLEAU.
S’il avait un défaut, il aurait plutôt trop de santé... il est exubérant de santé... seulement il a conservé quelques habitudes campagnardes.
MOULINFROU.
Le gentilhomme campagnard. Je le vois d’ici !
GODERLEAU.
C’est l’enfant de la nature... et tout neuf...
Bas à Moulinfrou.
Une jeune fille.
MOULINFROU, fait passer sa fille à la cheminée, puis elle va à la jardinière. Bas à Goderleau en lui montrant sa fille.
Chut !
Haut.
Vraiment ? Çà en fera deux.
GODERLEAU.
Quant à son éducation... il est instruit... au fond, mais comme il est très modeste et très timide, çà ne se voit pas.
MOULINFROU.
La vraie science est celle qui ne se montre jamais !
MADAME MOULINFROU, à part.
Celle des ânes.
GODERLEAU, examinant l’appartement.
Mon compliment !... Vous êtes parfaitement logés... Tiens, des bougies roses !...
MOULINFROU.
Oui, nous n’en brûlons pas d’autres. C’est plus cher, mais c’est plus harmonieux.
MADAME MOULINFROU.
Vous avez un second fils, je crois ?
GODERLEAU.
Oui, mais celui-là, c’est tout le contraire de son frère... un coureur, un mangeur d’argent !
MOULINFROU.
Ah ! diable !
GODERLEAU.
La dernière fois que je l’ai vu, croiriez-vous qu’il portait des gants de peau de chien... des gants rouges... C’est ce que vous appelez à Paris un cocodès !
MADAME MOULINFROU.
Il habite Paris ?
GODERLEAU.
Depuis deux ans... Il m’a demandé à y venir pour représenter la maison et placer des vins de champagne... Le gredin ! vous ne savez pas comment il les plaçait ?...
MOULINFROU.
Non !
GODERLEAU.
Il les buvait à mesure que je les lui envoyais !
MOULINFROU.
Je trouve çà un peu... mousseux !...
GODERLEAU.
C’est contraire à toutes les habitudes commerciales aussi je lui ai retiré le dépôt de ma maison.
MOULINFROU.
Je comprends çà.
GODERLEAU.
Et depuis ce temps, j’ai cessé toutes mes relations avec lui.
MADAME MOULINFROU.
Comment ? vous l’avez abandonné ?
GODERLEAU.
Je n’étais pas fâché de lui faire manger un peu de vache enragée... Cependant, depuis quelques mois il se range... il est entré chez un avoué...
MOULINFROU.
À la bonne heure.
GODERLEAU.
Il s’y fait 300 francs par mois... 285 que je lui envoie et 15 que son patron lui donne...
MOULINFROU.
C’est très gentil !
GODERLEAU.
Aussi pour le récompenser, je lui ai permis de venir signer au contrat de son frère...
CONSTANCE, annonçant du fond.
Madame la baronne de Sennely.
Scène VIII
MADAME MOULINFROU, AUGUSTINE, MOULINFROU, GODERLEAU PÈRE, LA BARONNE[16]
GODERLEAU, à Moulinfrou.
Vous recevez des baronnes ?
MOULINFROU.
Mon Dieu, oui ! de temps à autre...
Remontant.
Arrivez donc chère baronne.
LA BARONNE, saluant madame Moulinfrou.
Madame...
Embrassant Augustine.
Bonjour chère enfant.
MOULINFROU, à la baronne.
Permettez-moi de vous présenter M. Goderleau père.
GODERLEAU, saluant.
Madame, je dépose...
MOULINFROU.
Le plus riche négociant d’Épernay... on se promène en voiture dans ses caves.
GODERLEAU, passant à la baronne.[17]
Notre maison est justement renommé pour la qualité supérieure de ses vins de champagne... première marque... et si madame la baronne voulait me permettre de lui donner un aperçu de nos prix...
MOULINFROU, à part.
Il fait l’article.[18]
En remontant à la cheminée il passe à droite et prend le n. 4.
MADAME MOULINFROU, à part.
Il ne perd pas de temps.
LA BARONNE, souriant.
Pardon, monsieur, mais la cave regarde mon mari, le colonel de Sennely.
GODERLEAU.
Alors, madame, j’aurai l’honneur de lui faire ma visite demain matin. Notre maison est placée dans des conditions exceptionnelles qui nous permettent de défier toutes les concurrences, toutes !...
LA BARONNE.
Je n’en doute pas... mais...
GODERLEAU.
C’est juste... demain je présenterai mes devoirs au colonel, avec quelques échantillons...
Saluant plusieurs fois.
Madame la baronne, je dépose...
MADAME MOULINFROU, à la baronne.
Que vous êtes aimable d’être venue à notre petite soirée.
LA BARONNE.
Je vous demanderai la permission de me retirer de bonne heure... mon mari revient ce soir... il sera fatigué... Cela tombe mal... je viens justement de recevoir une loge pour le bal de l’opéra, elle sera perdue...
MOULINFROU, redescendant près de sa femme.
Perdue... une loge !...
LA BARONNE.
À moins que vous ne vouliez me faire le plaisir de l’accepter...
AUGUSTINE, vivement.
Oh ! oui, papa !
MOULINFROU.
Impossible... et notre soirée...
GODERLEAU.
Ne vous gênez pas pour moi, je me couche à dix heures.
LA BARONNE.
Le bal ne commence pas avant minuit.
AUGUSTINE.
Il y a si longtemps que tu promets de nous y conduire.
MADAME MOULINFROU.
Ce sera comme pour l’Africaine.
MOULINFROU.
Je n’attendais qu’une occasion.
Prenant le coupon de loge des mains de la baronne.
la voici... Je ne résiste plus !
AUGUSTINE, sautant.
Ah ! quel bonheur !
MADAME MOULINFROU, sautant.
Ah ! Quel bonheur !
MOULINFROU, à sa femme.
Petite folle !
GODERLEAU.
Y aurait-il de l’indiscrétion à vous prier d’amener mon fils ?
MOULINFROU.
Mais pas du tout.
LA BARONNE.
La loge est de six places.
GODERLEAU.
Ça le dégourdira.
MADAME MOULINFROU, se levant.
Six places ! mais nous ne sommes que quatre.
MOULINFROU, se levant.
Si nous invitions Dupressoir et son fils Gaston... Nous leur devons un dîner.
MADAME MOULINFROU.
Nous serions quittes.
MOULINFROU.
Je lui écrirai un mot.
Allant à la table.
CONSTANCE, annonçant.
M. Eusèbe Goderleau.
Scène IX
MADAME MOULINFROU, AUGUSTINE, MOULINFROU, GODERLEAU PÈRE, LA BARONNE, EUSÈBE[19]
MOULINFROU.
Ah ! le voilà !...
EUSÈBE.
Salut, messieurs, mesdames et la compagnie.
AUGUSTINE, bas.
Maman, il est frisé comme un caniche.
MADAME MOULINFROU, bas.
C’est une attention !...
MOULINFROU.
Entrez donc, M. Eusèbe.
EUSÈBE.
Un instant ! je gage que c’est vous qui êtes le beau-père de la chose...
LA BARONNE, à part.
Un prétendu...
MOULINFROU.
Il l’a deviné.
MADAME MOULINFROU, bas.
Parbleu ! il n’y a que toi !
EUSÈBE.
Mon cher parent, voulez-vous me permettre ?
Il embrasse Moulinfrou.
Maintenant, à la mère de la chose.[20]
Il va à madame Moulinfrou.
MOULINFROU, à part.
Il est caressant !
EUSÈBE.
Maintenant, à la petite.
AUGUSTINE, se reculant.
Ah ! mon Dieu !
GODERLEAU, arrêtant Eusèbe.
Eusèbe ! le moment n’est pas venu !
EUSÈBE.
Çà sera pour une autre tournée.
À Augustine.
Je vous en redois un !
AUGUSTINE, bas.
Maman, il me fait peur !
MADAME MOULINFROU, bas.[21]
C’est toujours comme ça, la première fois... redresse-toi et tire ton corsage.
GODERLEAU, passant à Eusèbe.
Eusèbe ?
EUSÈBE.
Papa ?
GODERLEAU, le présentant.
Madame la baronne de Sennely...
Bas.
Dépose...
EUSÈBE, à part.
Une baronne...
Haut, avec embarras.[22]
Madame, je n’ai pas l’honneur de vous connaître... et vous vous êtes toujours bien porté...
LA BARONNE, souriant.
Je vous remercie, monsieur, et vous ?...
EUSÈBE.
Point de trop mal... sauf que j’ai une douleur dans le haut de la cuisse... dans l’anche...
GODERLEAU, bas.
Chut ! pas de détails anatomiques...
EUSÈBE.
Vu que l’autre jour, j’ai dégringolé du haut d’un péplier... c’est cassant comme tout le péplier.
MOULINFROU, cherchant.
P. plié ?... Qu’est-ce que... ah ! peuplier.
EUSÈBE.[23]
Chez nous, on dit péplier.
GODERLEAU.
Une locution du pays...
EUSÈBE.
Et même que c’était à l’intention de mam’zelle.
AUGUSTINE.
À mon intention ?...
EUSÈBE.
J’avais reluqué tout en haut un nid de linottes... Je me suis dit : ils n’ont pas de çà à Paris.
Poussant un cri.
Ah ! crédié !...
TOUS.
Quoi donc ?
EUSÈBE.
Je les ai laissés à l’hôtel... dans ma casquette, je vais les chercher.
Il remonte au fond.
TOUS, le retenant.
Non, non !...
GODERLEAU.
Demain... çà ne presse pas.[24]
EUSÈBE.
C’est à cause de ma casquette... ils vont y faire les quatre cents dix-neuf coups ces animaux... ils sont émus par la locomotif.
TOUS.
Locomotif !...
GODERLEAU, bas.
Motive... on dit motive...
EUSÈBE, de même.
Motive ? je veux bien, moi.
GODERLEAU, à Moulinfrou cherchant à excuser son fils.
C’est un mot de chemin de fer.
MOULINFROU.
Oui !
À part.
C’est égal, il n’est pas fort.
Haut à Eusèbe.
Ah ! çà, jeune homme, nous vous emmenons ce soir au bal de l’Opéra.
EUSÈBE.
Là ous qu’on gigote ?
MOULINFROU.
Précisément.
AUGUSTINE, à sa mère.
Il parle comme un paysan.
MADAME MOULINFROU, bas.
Il est troublé.
MOULINFROU.
Après le bal, nous irons souper à la Maison d’Or.
EUSÈBE.
Je n’ai aucun motive pour refuser.
TOUS.
Motive !
GODERLEAU, bas.
Motif ! on dit motif !...
EUSÈBE.
Motif ? alors c’est changé, je veux bien moi...
Ils remontent.
LE BARONNE, à part.
Où ont-ils été dénicher ce jeune premier ?
MOULINFROU.
Ah ! çà, il nous faut des costumes, je vais tout de suite écrire à M. Babin.
MADAME MOULINFROU.
Et à M. Dupressoir pour l’inviter...
MOULINFROU[25], allant à la table. Il sonne. À la baronne.
Vous permettez, madame ?...
LA BARONNE.
Comment donc ?
À part.
Quelle drôle de soirée !
Constance paraît.
MOULINFROU, à Constance.
Priez M. Polydore de monter.
MADAME MOULINFROU, bas à Constance.
Et servez-le gâteau.
CONSTANCE.
Oui, madame.
Elle sort.
MOULINFROU, mettant une adresse.
À monsieur Dupressoir... maintenant, à Babin.
LA BARONNE.
Deux dominos...
MADAME MOULINFROU.
Oh ! non... moi, je voudrais un costume de moissonneuse.
MOULINFROU.
Laissons faire le costumier.
Écrivant.
Deux jolis costumes de dames... et un costume sévère pour père de famille... dans Les prix doux. Voilà ! ah ! et M. Eusèbe... Quel costume voulez-vous ?
EUSÈBE.
Laissez faire... j’ai mon idée.
TOUS.
Qu’est-ce que c’est ?
EUSÈBE.
Je ne veux pas le dire.
MOULINFROU.
C’est une surprise.
POLYDORE, paraissant au fond.
Monsieur m’a fait demander ?[26]
MOULINFROU.
Faites porter ces deux lettres. Il y a une réponse pour la seconde... le commissionnaire rapportera un paquet.
MADAME MOULINFROU, bas.
Ensuite vous mettrez votre livrée et vous reviendrez servir.
POLYDORE.
Oui, madame.
À part.
Ils m’embêtent.
Il sort par le fond.
Scène X
MADAME MOULINFROU, AUGUSTINE, MOULINFROU, GODERLEAU PÈRE, LA BARONNE, EUSÈBE, CONSTANCE, puis POLYDORE[27]
MOULINFROU, bas à sa femme.
Notre soirée languit, demande le gâteau.
MADAME MOULINFROU, bas.
C’est fait !
Haut.
Êtes-vous musicien M. Eusèbe ?
EUSÈBE, descendant.
Madame, j’en ignore ; n’ayant jamais essayé.
MOULINFROU.
Vous avez sans doute un théâtre d’opéra à Épernay ?
EUSÈBE.
Ah ! oui !... j’ai vu trois fois la Voleuse d’enfant... Je ne m’en lasse point.
CONSTANCE, entrant.
Voici le gâteau.
Elle le pose sur le petit guéridon à droite au fond. Tout le monde se lève.
TOUS.
Ah !
MOULINFROU.
Ah ! nous allons nous amuser !
MADAME MOULINFROU.
Je vais le découper...
MOULINFROU.[28]
Non, pas toi, fifille... la main de l’innocence.
GODERLEAU, bas à Moulinfrou.
Dites-donc, mon fils pourrait concourir...
MOULINFROU.
C’est vrai... Ah ! ah ! voilà que nous allons nous amuser !...
EUSÈBE.
Comme ça, nous allons casser une croûte...
MOULINFROU.
Oui.
À sa fille.
Autant de parts que de personnes... combien sommes-nous.[29]
MADAME MOULINFROU, comptant.
Deux... quatre... Cinq...
Elle oublie de se compter.
GODERLEAU, comptant.
Deux... quatre... six...
MOULINFROU.
Ça fait onze.
MADAME MOULINFROU.
C’est vrai... j’ai oublié de me compter...
GODERLEAU, avec galanterie.
Et cependant, vous tenez de la place...
EUSÈBE.
Ah ! oui ! qu’elle en tient la maman !
Tout le monde rit.
MOULINFROU.
À la bonne heure ! nous nous amusons !...
À sa fille.
Fifille... prends garde à la fève...
EUSÈBE.
Ah ! il y a une fève ?...
MADAME MOULINFROU.
Naturellement... le 6 janvier...
MOULINFROU.
Ne regardons pas... tournons-nous... tournons-nous tous !
Tous tournant le dos.
LA BARONNE, ironiquement.
Mais, c’est une véritable débauche...
MOULINFROU, à sa femme.
Vois-tu, la baronne s’amuse ! j’en étais sûr !
AUGUSTINE qui a achevé de découper.
C’est fait !
TOUS.
On peut regarder ?
MOULINFROU.
Un instant ! on fait tourner le gâteau... comme ça... pour dépister... et on met une serviette dessus... Constance une serviette propre !
CONSTANCE, près de la table lui donnant une serviette.
Voilà, monsieur...
MOLINFROU, cachant le gâteau avec la serviette.
De cette manière-là, il n’y a pas de tricherie... C’est le destin qui prononce.
AUGUSTINE, offrant à la baronne.
Madame !...
LA BARONNE, tirant un morceau de galette.
Ah ! mon Dieu !... Quelle part !...
MOULINFROU.
Dam ! nous ne sommes que six... Faut tout manger...
Augustine offre à sa mère.
EUSÈBE, bas à Goderleau.
Papa ! il y a une fève... méfions-nous !...
GODERLEAU, bas.
Sois tranquille ! je ne suis pas bête !
AUGUSTINE, continuant à offrir.
Monsieur Goderleau... Monsieur Eusèbe...
GODERLEAU, passant à l’extrême gauche.
C’est de la maçonnerie.[30]
EUSÈBE, fourrant sa main sous la serviette.
Mademoiselle, certainement...
MOULINFROU, à Eusèbe.
On ne tâte pas !... Il est défendu de tâter...
EUSÈBE, tirant une énorme part.
J’ai confiance dans cette petite-là.
CONSTANCE, à part.
Bon ! il a pris une fève...
MOULINFROU.
Maintenant, mangeons çà, loyalement... ne trichons pas !...
Chacun mange.[31]
EUSÈBE.
Cré nom ! que j’ai soif !
MOULINFROU.
Attendez un moment... le domestique est en course... Il va revenir avec les rafraîchissements.
EUSÈBE, mangeant.
Crédié !
MOULINFROU.
Quoi donc ?
EUSÈBE.
Rien.
À part.
Je l’ai !... À Epernay, on l’avale... vu qu’autrement, il faut payer un gâteau et c’est de la dépense.., tant pis... j’avale !
GODERLEAU, poussant un cri.
Aïe !...
TOUS.
Quoi donc ?
GODERLEAU.
Rien.
À part.
Je l’ai !... j’avale !
CONSTANCE, à part.
C’est le papa qui a la seconde.
MOULINFROU.
Voyons, qui est-ce qui l’a ?...
LA BARONNE.
Ce n’est pas moi.
MADAME MOULINFROU.
Ni moi.
AUGUSTINE.
Ni moi.
EUSÈBE.
Je ne l’ai point vu.
GODERLEAU.
C’est inexplicable !
MOULINFROU.
Je parie que cet animal de pâtissier n’en a pas mis !... Voilà une soirée manquée... Je donnerais cinq francs...
CONSTANCE.
Bien sûr, monsieur, il y en avait... plutôt deux qu’une...
GODERLEAU, à part.
Çà ne passe pas.
EUSÈBE, à part.
C’est pas une fève...C’est un haricot... ça m’étouffe !...
MOULINFROU, à Eusèbe.
Hein ? vous l’avez...
EUSÈBE.
Non... c’est un reste de galette... j’ai soif...
GODERLEAU.
Moi aussi...
MOULINFROU.
Attendez un moment... Le domestique est en course...
POLYDORE, entrant au fond avec une livrée trop longue et un plateau de rafraîchissements.
Le commissionnaire est parti...
EUSÈBE et GODERLEAU.
Ah ! les rafraîchissements !...
MOULINFROU, à Polydore.
Passez aux dames.
POLYDORE, à part près du canapé.
Je marche sur mon pantalon, je vas me ficher par terre.
EUSÈBE, à part.
L’haricot s’est mis en travers... on dirait qu’il gonfle !...
GODERLEAU, à part.
Ça me gêne beaucoup.
MOULINFROU, à Polydore.
Offrez à ces messieurs.
Polydore allant à Eusèbe.
EUSÈBE et GODERLEAU.
Volontiers...
On frappe au dehors.
POLYDORE.
On frappe ! Il faut que j’aille tirer le cordon.
EUSÈBE.
Eh ! bien, il s’en sauve ! Garçon !
GODERLEAU, à part.
Saperlotte !
MOULINFROU.
On a frappé... Il va revenir... C’est très commode de demeurer à l’entresol...
LA BARONNE, à part.
Il serait plus simple de donner la soirée chez le concierge.
POLYDORE, rentrant avec son plateau et deux paquets.
C’est deux paquets que le commissionnaire vient d’apporter.
MADAME MOULINFROU et AUGUSTINE.
Nos costumes.
EUSÈBE, appelant Polydore.
Pst ! jeune homme !
MOULINFROU, à Polydore.
Offrez d’abord aux dames.
EUSÈBE, à part.
Mais elles en ont déjà eu les dames !
MOULINFROU, à Polydore.[32]
Passez à ces messieurs...
GODERLEAU, allant à Polydore.
Volontiers.
EUSÈBE.
C’est pas de refus.
Prenant un verre.
À la vôtre, papa.
GODERLEAU, de même.
À la tienne, mon garçon.
EUSÈBE, prenant un deuxième verre.
À la vôtre, papa.
GODERLEAU, de même.
À la tienne.
MOULINFROU, à part.
Ils aiment le sirop de groseille.
POLYDORE.
Ils ont donc mangé des éponges ?...
EUSÈBE, à part.
Chien d’haricot ! il ne veut pas descendre.
Prenant un troisième verre.
À la votre, papa.
GODERLEAU, de même.
À la tienne, mon garçon.
EUSÈBE, à part.
Cependant je crois qu’il dégringole.
MOULINFROU, à la baronne qui se lève et se dispose à partir.
Comment, baronne, vous partez déjà ?
LA BARONNE.
Il est dix heures et demie... Le temps de vous habiller....
GODERLEAU.
Je me retire aussi...
EUSÈBE, bas à son père.
C’est ça... allons boire de la bière...
GODERLEAU, saluant.
Mesdames... mademoiselle... je dépose...
EUSÈBE, saluant.
Et moi également...
MOULINFROU, à Eusèbe.
C’est convenu... nous nous retrouverons à l’Opéra...
CONSTANCE, à part.
Ils vont à l’Opéra...
MOULINFROU, à Eusèbe.
Logo 35.
EUSÈBE.
35.
Rencontrant le plateau et prenant un verre.
Bah ! faut pas en laisser !
Il boit.
MOULINFROU.
Ah ! sapristi ! j’ai oublié de donner le numéro de la loge à Dupressoir... Nous nous retrouverons au foyer.
CHŒUR.
L’opéra nous invite,
Le plaisir nous excite,
Partez donc au plus vite ;
Partons donc au plus vite ;
Au revoir
Jusqu’à ce soir.
Pendant le chœur Goderleau va à la baronne, lui prend la main et sort avec elle, ainsi que Eusèbe, par le fond.
Scène XI
LES MOULINFROU, CONSTANCE, POLYDORE
Madame Moulinfrou se précipite ainsi qu’Augustine sur le paquet de costumes.
MADAME MOULINFROU.
Ne perdons pas de temps... allons vite nous habiller.
MOULINFROU.
Où est mon costume ?
MADAME MOULINFROU.
Le voici !... Constance, restez-là, nous sonnerons quand nous aurons besoin de vous.
Elle entre à gauche avec Augustine.
MOULINFROU, à Polydore en ôtant son habit qu’il pose sur une chaise.
Attendez-moi, je vous appellerai tout à l’heure pour m’habiller.
Il entre à droite avec son paquet.
Scène XII
POLYDORE, CONSTANCE, puis MOLINFROU, puis MADAME MOULINFROU[33]
CONSTANCE.
Comment, ils vont au bal de l’Opéra, maintenant.
POLYDORE.
Vous voilà obligée de garder la maison...
CONSTANCE.
Ah ! ouiche ! j’ai rendez-vous avec un jockey anglais qui doit m’épouser... Elles s’habilleront bien sans moi... je file !
POLYDORE.
Du moment que c’est pour le bon motif vous pouvez filer...
CONSTANCE.
Venez-vous ?
POLYDORE.
Impossible !
CONSTANCE.
Ah ! oui... votre porte à garder...
POLYDORE.
Ah ! c’est pas çà... je la laisserais entr’ouverte... la nuit il n’y a pas de danger... mais je n’ai pas de costume.
CONSTANCE.
Eh ! bien, venez en habit noir... c’est très comme il faut.
POLYDORE.
Mais je n’ai pas d’habit noir.
CONSTANCE.
Êtes-vous bête ! en voilà un.
Elle indique celui laissé sur la chaise par Moulinfrou.
MADAME MOULINFROU, sonnant et appelant dans la coulisse de gauche.
Constance ! Constance !
CONSTANCE.
Sonne, va, je me sauve !
Elle se sauve par le fond.
POLYDORE.
Elle a raison... en voilà un habit noir.
Il ôte sa livrée et met l’habit.
un peu large, mais il me va.
Fouillant dans les poches et retirant un mouchoir.
Tiens, il est habité !
Il se mouche. Fouillant encore.
Qu’est-ce que c’est que çà ? des gants blancs, des lunettes d’or... par exemple je changerai de pantalon... avec celui-là je piquerais une tête... J’en ai un petit grisâtre...
MOULINFROU, sonnant et appelant à droite.
Polydore ! Polydore !
POLYDORE.
Sonne, va, je me sauve !
Il sort par le fond emportant la livrée... Moulinfrou paraît par la droite à moitié habillé, tenant à la main un costume comique, trop étroit.
MOULINFROU.
Polydore ! Qu’est-ce que M. Babin m’a envoyé là ?... Polydore !... Où est-il, cet animal-là ?
Il prend la sonnette qui est sur la table et l’agite violemment Madame Moulinfrou paraît par la gauche à demi habillée en costume de fantaisie.
MADAME MOULINFROU.
Impossible de m’agrafer... c’est trop étroit.
Appelant.
Constance !
MOULINFROU.
Polydore !
Appelant et sonnant avec rage.
Polydore ! Polydore !
MADAME MOULINFROU, de même au cordon qui est à la cheminée.
Constance ! Constance !
AUGUSTINE, paraissant à la porte de gauche.
Maman !...Maman !...
ACTE II
Le théâtre représente un couloir du théâtre de l’Opéra, sur lequel, au fond, s’ouvrent trois loges portant les n° 33, 34, 35 ; à gauche du premier plan, un buffet ; à droite, un guéridon et deux chaises ; près du guéridon, à droite, une petite banquette. À droite, deuxième plan, un escalier praticable, au fond, de chaque côté, sortie. Au lever du rideau des masques se promènent dans le couloir, d’autres sont au buffet ou attablés.
Scène première
MASQUES, POLYDORE, puis HENRI
ENSEMBLE.
Air : Du Marché des Innocents.
De l’Opéra, le bal
Est sans égal.
Accourez tous, amis du carnaval,
Tant qu’à Paris le plaisir régnera
À ce bal on viendra.
POLYDORE, entrant par la droite, il est en habit noir avec des gants blancs, des lunettes d’or et un faux nez qu’il ôte.[34]
Non ! Je ne viendrai plus au bal en habit noir... On s’embête là dedans, j’ai voulu danger... on m’a bousculé ; ils m’ont appelé l’homme des pompes funèbres.
Allant s’asseoir sur la petite banquette à droite.
HENRI, sortant de la loge 33 et regardant dans le couloir.
Minuit et demi ! Amanda ne vient pas ! Est-ce qu’elle me ferait poser ? Attendons encore !
Il rentre dans la loge.
Scène II
POLYDORE, CONSTANCE, puis HENRI[35]
CONSTANCE entrant à droite en costume de sorcière et tenant son masque de velours à la main.
Pas le moindre jockey !... Est-ce que Robinson se ficherait de moi ?...
Apercevant Polydore.
Tiens ! Vous voilà encore, l’homme des pompes funèbres.
POLYDORE.
Pour un sou, j’irais me coucher.
CONSTANCE.
Dieu ! qu’il fait chaud ! Je boirais bien.
POLYDORE.
Vous savez moi je ne paie jamais rien aux femmes.
CONSTANCE.
Qu’est-ce qui vous demande quelque chose ?
POLYDORE.
Cependant pour vous et à cause de mon costume de banquier je ferai une exception... mais je vous préviens que je n’ai que 27 sous.
S’approchant du buffet.
Garçon ![36] Deux choppes !
LE GARÇON.
Nous ne vendons pas de bière... Si monsieur veut deux glaces...
POLYDORE.
Combien ?
LE GARÇON.
Trois francs !
POLYDORE.
Attendez !
À Constance.
Voulez-vous mettre le surplus ?
CONSTANCE.
Moi, je ne paie jamais rien aux hommes.
POLYDORE.
Alors, brossons-nous le ventre.
Au garçon.
N’en faut pas !
HENRI, sortant da sa loge.
Minuit trois quart... Elle ne vient pas...
Apercevant Constance qui a remis son masque.
Un costume de sorcière ! C’est elle !
POLYDORE, à Constance.
Allons prendre l’air ! Je vous offre un mazagran.
CONSTANCE.
Non ! J’attends quelqu’un.
HENRI, à part au fond à droite.
Elle est avec un vieux monsieur, ne la compromettons pas.
POLYDORE.
Adieu ! Bonne chance ! Je vas chez le liquoriste de la rue Lepelletier.
Il sort par la gauche.
Scène III
CONSTANCE, HENRI, puis POLYDORE[37]
HENRI, au fond.
Il est parti !
À Constance.
C’est vous, Amanda... Voilà une heure que je vous attends !...
CONSTANCE, à part.
Tiens ! Un petit qui se trompe.
Haut.
J’ai été retardée par le coiffeur.
HENRI.
Asseyons-nous ! Peut-on vous offrir une glace ?
CONSTANCE.[38]
Volontiers.
À part.
C’est un jeune daim...
Elle va à la table.
HENRI.
Garçon ! Deux glaces !...
Ils se mettent à une table.
Vous ne voulez donc pas venir me voir, méchante, je ferais votre portrait.
CONSTANCE, à part.
Un peintre.
Haut.
Si vous me promettiez d’être bien sage !
HENRI.
Je vous le jure !
Il lui prend la main et l’embrasse.
POLYDORE, rentrant.[39]
Impossible de sortir ! Ils ne donnent pas de contre marques... Je crève de soif !...
Apercevant Constance et Henri.
Tiens ! On boit par là !
Il s’approche de la table.
CONSTANCE, retirant sa main.
Prenez garde !
HENRI, à part.
Oh ! le monsieur !...
CONSTANCE, présentant Polydore à Henri.
Mon oncle !
HENRI, à part.
Son oncle ! Connu !
Haut à Polydore.
Monsieur, je n’ai jamais eu l’honneur de vous être présenté... mais j’ai rencontré quelquefois dans le monde, mademoiselle votre nièce.
POLYDORE.
Est-ce que c’est bon, ce que vous mangez là ?
HENRI.
Ce sont des glaces... Voulez-vous me permettre de vous offrir...
POLYDORE.
Je ne sais si je dois...
HENRI, lui offrant une chaise.
Je vous en prie... Garçon ! Une glace !
Le garçon l’apporte.
POLYDORE, à part en passant.
C’est un bon enfant.[40]
Haut faisant l’important.
Il y a des nouvelles ce soir... de grandes nouvelles.
HENRI.
Ah !
POLYDORE.
Il paraît que la Colombie s’est soulevée.
HENRI, à part.
Ça ! je m’en fiche !
POLYDORE.
Chez Tortoni, la rente a baissé de vingt-cinq.
HENRI, à part.
C’est un banquier !
POLYDORE.
La liquidation sera raide.
HENRI, à part.
Ou un agent de change.
Haut.
Ah ! Vous croyez que la liquidation...
POLYDORE.
Les reports sont tendus... Je vous vends soixante mille...
HENRI.
Merci !... Je ne... Pas dans ce moment. Monsieur est dans la finance ?
POLYDORE.
Pas positivement !
CONSTANCE, riant aux éclats et ôtant son masque en se levant.
Ah ! ah ! ah ![41]
Se levant et passant à gauche.
HENRI.
Hein ?... Ce n’est pas Amanda !
CONSTANCE.
Mon petit, vous êtes refait.
POLYDORE.
Fumé !
Tous deux se sauvent ; des masques sont venus en scène, se promènent et s’arrêtent au buffet.
HENRI, allant au comptoir.
Je ne la trouve pas drôle ! J’y suis de trois glaces. C’est le costume qui m’a trompé.
Regardant sa montre.
Une heure ! Amanda ne vient pas. Je vais voir au foyer.
Il sort par la gauche. M. et madame Moulinfrou, Augustine entrent par la droite.
Scène IV
MASQUES, UN PÈLERIN, M. et MADAME MOULINFROU, AUGUSTINE.
Entrée de la famille Moulinfrou. Ce dernier est en Guillaume Tell et porte une arbalète. Madame Moulinfrou est en Belle-Hélène, et Augustine en bergère. Moulinfrou donne le bras à sa femme et à sa fille.[42]
MOULINFROU.
Venez par ici, mes enfants.
AUGUSTINE.
Ah ! que c’est beau ! Et quels drôles de costumes ! Maman ! vois donc ce pèlerin, comme il est beau !
MADAME MOULINFROU.
Il est superbe !
À son mari.
Mais tu me crèves les yeux avec ton arbalète... tu aurais dû la laisser au vestiaire.
MOULINFROU.
Impossible ! Il n’y a pas de Guillaume Tell sans arbalète... Consulte l’histoire. M. Babin, chez lequel nous avons dû retourner pour changer nos costumes, m’a dit : ne prenez pas l’arbalète si vous voulez, vous économiserez trois francs... mais vous ne ferez aucun effet. Allons ! mes enfants, ne nous quittons pas, nous pourrions nous perdre.
À sa femme.
Tu as le numéro du vestiaire ?
MADAME MOULINFROU.
Le voici !... Mets-le dans ta poche.
Elle le lui donne.
MOULINFROU.
N° 689. Augustine, retiens-le bien dans le cas où je le perdrais...
AUGUSTINE.
Oui, papa.
MOULINFROU.
Répète-le de temps en temps... pendant le bal... 689... 689...
MADAME MOULINFROU.
Ça sera gai !
MOULINFROU.
Maintenant, mes enfants, nous voici dans la fournaise ! Ne vous formalisez pas de certains mots, de certains gestes... Rappelez-vous que dans ce sanctuaire du plaisir, le déguisement autorise, même entre gens qui ne se connaissent pas une aimable familiarité. Venez.
MADAME MOULINFROU.
Entrons ! Tu as le coupon de la loge ?
Ils entrent dans la loge.
MOULINFROU.
Oui. Madame l’ouvreuse, veuillez nous ouvrir le n° 35 s’il vous plaît. Il viendra sans doute un jeune homme, je ne connais pas son costume, mais c’est mon gendre, vous le ferez entrer. Nous devons nous retrouver ici pour aller souper à la Maison-d’Or.
L’OUVREUSE.
Bien, monsieur !
MOULINFROU.
On dit que c’est cher, mais ça ne nous arrive pas si souvent.
L’OUVREUSE.
Si vous voulez entrer ?
MOULINFROU.
Ah !... il viendra peut-être aussi un autre jeune homme... il s’appelle Gaston... Gaston Dupressoir... vous le laisserez entrer avec son père.
L’OUVREUSE.
Bien, monsieur.
MOULINFROU, lui rendant les petits bancs que l’ouvreuse lui a donnés.
Nous n’avons pas besoin de petits bancs, merci !
Il entre loge 35.
Scène V
MASQUES, HENRI, puis POLYDORE, puis EUSÈBE
HENRI, entrant de gauche.
Je reviens du foyer... je suis encore tombé sur l’autre. Je l’ai prise pour Amanda... ça m’a coûté un sucre de pomme... c’est ce costume qui m’a trompé. Je lui ferai une marque...
Tirant sa montre.
Deux heures ! Amanda m’a pourtant bien donné rendez-vous ici, loge 34. Je vais encore l’attendre un moment.
Il rentre dans sa loge.
POLYDORE, entrant de gauche et traversant la scène avec une Pierrette au bras.[43]
Décide-toi, un bracelet... ou des boucles d’oreilles.
LA PIERRETTE, avec sentiment.
Oh ! les deux !
POLYDORE.
Ah ! tu l’as bien dit ! Tu auras les deux, parce que tu l’as bien dit !
Tirant un calepin.
Nous disons rue Navarin 31 bis. Tu les auras demain avant midi, je suis un homme sérieux, moi.
LA PIERRETTE.
Alors, paie-moi une glace.
POLYDORE.
Oh ! des diamants, tant qu’on veut !... mais des rafraîchissements jamais !
LA PIERRETTE, lui lâchant le bras.
Va donc ! vieux ladre !
POLYDORE.
Va te cacher, petite grenouille !
Il se perd dans la foule à droite.
HENRI, sortant de sa loge.[44]
Décidément Amanda me fait poser... si dans trois minutes elle n’est pas venue, je la lâche...
Tirant sa montre.
Il est deux heures trois... à deux heures six... je la balance... d’autant plus que je viens d’apercevoir dans la loge à côté une petite bergère qui m’agite étonnamment... elle est flanquée d’une grosse cuisinière qu’elle appelle sa mère... et d’un portier en Guillaume Tell qu’elle appelle son père... J’ai entendu la grosse qui disait à la petite j’ai soif ; la petite a répondu, moi aussi, et le Guillaume Tell a répondu ; vous êtes insupportables... ça m’agite...
Tirant sa montre.
Deux heures six.... Je cueille la petite... elle a soif ! Je vais la faire au sorbet.
Il s’approche du buffet et disparaît dans la foule.
EUSÈBE, entrant par la droite, il est en sauvage et porte une massue.[45]
Cristi ! ma massue me taquine. Je n’en voulais point, mais le marchand m’a dit que je la paierais tout de même... Alors du moment que je la paie... autant la prendre... seulement, c’est gênant.
UNE PIERRETTE, à Eusèbe.[46]
Tiens ! bonjour, sauvage ! Qué que tu paies ?
EUSÈBE.
Pardon, mademoiselle, mais je n’ai pas l’honneur de vous connaître.
LE PÈLERIN.
Que qu’ça fait ? Paie-z-y donc qué que chose à c’te enfant.
EUSÈBE, se retournant et saluant le pèlerin.
Monsieur, certainement, vous m’avez l’air d’un homme respectable... l’habit que vous portez... pour lors je cherche mon beau-père, j’ai oublié son numéro... Vous ne l’auriez point vu par hasard ? avec sa fille qui est ma fiancée... et sa femme qui est sa mère ?
Les masques l’entourent et rient.
UN MASQUE.
Il est superbe !
UN AUTRE MASQUE.
Très nature !
EUSÈBE.
Il s’appelle M Moulinfrou.
LA PIERRETTE.
Oh ! ce nom ? Moulinfrou.
Tous les masques appelant sur l’air des lampions et frappant du pied.
TOUS.
Mou-lin-frou ! Mou-lin-frou ! Mou-lin-frou !
Scène VI
MASQUES, EUSÈBE, MOULINFROU[47]
MOULINFROU, sortant la tête de sa loge.
C’est singulier ! On dirait qu’on prononce mon nom.
EUSÈBE, le reconnaissant.
C’est lui ! Une bonne farce !
Il lui donne un coup de massue, Moulinfrou se retourne et le couche en joue avec son arbalète.
MOULINFROU, le reconnaissant.
Tiens ! c’est vous !
EUSÈBE, riant aux éclats.
C’est moi !
LE PÈLERIN.
Reconnaissance !
LA PIERRETTE.
Tableau !
Le Pèlerin et la Pierrette étendent les mains au-dessus de leurs têtes comme pour les bénir, puis tout-à-coup se mettent à danser un cancan contenu que les autres imitent en chantant ; puis ils s’éloignent en criant.
Ohé ! Moulinfrou ! Ohé !...
MOULINFROU.[48]
C’est drôle, comme je suis connu... je ne peux pas faire un pas.
L’examinant.
Voilà donc votre surprise... un sauvage !...
EUSÈBE.
Je vas vous dire... C’était mon rêve de m’habiller comme ça... à Épernay, j’ai vu des messieurs qui escortaient le bœuf gras... et la femme du notaire disait : Charmant ! charmant !... seulement ma massue m’ennuie...
MOULINFROU.
Moi, c’est mon arbalète.
EUSÈBE.
Voulez-vous changer ?
MOULINFROU.
Je veux bien.
Ils font l’échange.
EUSÈBE.
À la bonne heure !... Il me semble que je porte une plume...
MOULINFROU.
Et moi une canne... Venez ! je vais vous présenter à ces dames... elles sont là, loge 35...
EUSÈBE.
C’est donc ça... Voilà une heure que je patauge dans le 55...
MOULINFROU, à l’ouvreuse.
Ouvrez, madame, monsieur est mon gendre.
EUSÈBE.
Madame, j’ai bien l’honneur de vous saluer.
L’ouvreuse offrant un petit banc.
MOULINFROU.
Non ! merci ! pas de petit banc.
Ils entrent dans la loge.
Scène VII
HENRI, puis EUSÈBE, LA DAME DU COMPTOIR, LE GARÇON
HENRI, entrant de gauche.[49]
Les sorbets sont commandés... Voyons si la petite bergère est toujours là...
Il regarde au carreau de la loge 35.
Tiens ! ils ont recruté un sauvage. Les dames demandent toujours à boire... Guillaume Tell répond : Il faut savoir commander à ses passions, et le sauvage n’offre rien... c’est une nichée d’Auvergnats...
Au garçon.
Servez loge 35... Je rentre dans la mienne pour voir l’effet.
Il entre dans la loge 34.
EUSÈBE, sortant de la loge 35 avec son arbalète.[50]
On étouffe dans votre boîte. Je reviendrai ! Crédié ! à la longue l’arbalète m’embête encore plus que la massue...
Il s’approche de la dame qui tient le buffet, pendant ce temps, le garçon porte les sorbets dans la loge 35. À la dame du buffet.
Madame je n’ai point l’honneur de vous connaître ; nonobstant, voudriez-vous me garder mon instrument ?
LA DAME.
Volontiers, monsieur. Voulez-vous vous rafraîchir ?
EUSÈBE.
Vous êtes bien honnête... Je boirai en rentrant chez moi
LA DAME, lui rendant son arbalète.
Dites donc alors... portez ça au bureau des cannes.
Scène VIII
MASQUES, EUSÈBE, CONSTANCE, entrant de gauche et reconnaissant Eusèbe[51]
CONSTANCE, à part.
Tiens ! le prétendu de mamzelle qui a l’air si bête.
Elle remet vivement son masque et lui prend le bras.
EUSÈBE, à Constance.
Madame, le bureau pour les arbalètes ?
CONSTANCE.
Bonjour, Eusèbe !
EUSÈBE.
Vous me connaissez, mademoiselle, je n’ai pas l’honneur de la réciproque.
CONSTANCE,
lui prenant la main et ayant l’air d’en étudier les lignes.
Tu es d’Épernay ?
EUSÈBE.
Né natif...
À part.
C’est une payse !
CONSTANCE.
Tu es arrivé ce soir par le train de 7 heures avec une nichée de linottes dans ta casquette...
EUSÈBE.
Même qu’elles y sont toujours... et ça m’inquiète...
CONSTANCE.
Tu viens à Paris pour te marier ?
EUSÈBE.
Oui !
CONSTANCE.
Tu as tiré les rois ce soir chez M. Moulinfrou rue Monthabor.
EUSÈBE, à part.
C’est une tireuse de cartes...
CONSTANCE.
Tu avais la fève.
EUSÈBE.
Ça non !
CONSTANCE.
Et tu l’as avalée.
EUSÈBE, vivement.
Crédié ! Taisez-vous ; M. Moulinfrou est là !
L’entraînant.
Mais comment savez-vous ?...
CONSTANCE, riant.
Je suis sorcière... et je sais bien d’autres choses encore...
EUSÈBE.
Oh ! mamzelle la sorcière...
Apercevant Moulinfrou.
Au nom de l’humanité !... Taisez-vous ! Taisez-vous !
Ils disparaissent à droite par l’escalier.
Scène IX
MOULINFROU, MADAME MOULINFROU, AUGUSTINE, puis MASQUES, LE PÈLERIN, puis POLYDORE, puis HENRI
MOULINFROU, sortant de sa loge.[52]
Garçon !... enlevez ça ! C’est très gentil à Eusèbe de nous avoir envoyé des glaces...
AUGUSTINE.
Oh ! papa... promenons-nous un peu...
MADAME MOULINFROU.
Allons au foyer.
MOULINFROU.
Soit !... C’est là que se nouent toutes les intrigues... Vous allez prendre mon bras... et vous aurez l’air de m’intriguer... vous me direz... je te connais ! Je vous répondrai : moi aussi : nous allons bien rire... surtout ne nous quittons pas !
Il leur donne le bras, tout en continuant à tenir sa massue.
Décidément, j’aimais mieux mon arbalète.
Ils sortent par la droite.
HENRI, sortant de sa loge.[53]
Ils ont dévoré leurs glaces... la petite soufflait dessus... ça m’agite étonnamment. Quant au père et à la mère, c’est du faux ! C’est loué pour la soirée... Je m’y connais... Décidément, j’ai envie d’emmener souper la petite.
Appelant.
Garçon !
LE GARÇON.
Monsieur ?
HENRI.
Deux bouquets... un beau... et un vilain...
LE GARÇON.
Bien, monsieur.
HENRI, déchirant une feuille de son calepin et écrivant.
« Lâchez vos aïeux... nous souperons à la Maison-d’Or. J’ai retenu le petit 9... » – C’est pas vrai, mais ça engage les femmes.
LE GARÇON, revenant avec les deux bouquets.
Voilà, monsieur !
HENRI.
Où est le beau ?
LE GARÇON, présentant un des bouquets.
C’est celui-là, monsieur !
HENRI, le prenant.
Enfin !
Il y glisse son billet et le rend au garçon.
Tu vas porter ces deux bouquets dans la loge 35... celui-ci, le moins laid... sur la chaise de la petite, et l’autre sur celle de la maman...
LE GARÇON.
Bien, monsieur !
HENRI, lui donnant de l’argent.
Tiens !
Le garçon entre dans la loge et en ressort aussitôt. À part.
Pourvu qu’elles reviennent... où diable sont-elles passées ?... Ah ! au foyer !
Il disparaît par la droite.
Scène X
MASQUES, EUSÈBE
EUSÈBE, entrant de gauche, très ému.
Crédié ! j’ai perdu mon arbalète... Ma foi tant pis !...
Poussant un énorme soupir.
Ouf ! cette sorcière avec des bas rouges, c’est une rude femme ! Elle m’a dit des choses... d’un bizarre... c’est un ange !...
Avec exaltation.
C’est un ange ! Nous sommes montés au paradis, elle m’a demandé si j’avais un cœur... je suis devenu tout rouge... je lui ai serré la main... elle a répondu à mon serrement, et puis elle m’a dit avec une voix... comme si qu’elle aurait eu des oiseaux qui gargouillaient dans son gosier... que j’étais un mauvais sujet... que je la tromperais... J’ai répondu pourquoi voulez-vous que je vous trompe ? Elle m’a dit : parce que. – J’ai dit : Oh que non ! Elle a dit : Oh ! que si. Et elle m’a accordé un baiser... du feu ! Ça m’a fait l’effet d’une gifle... J’ai fermé les yeux... et quand je les ai rouverts... envolée, disparue !... Faut que je la retrouve... et mon arbalète aussi !
Il sort par la droite.
Ah !
La famille Moulinfrou rentre par la gauche.
Scène XI
M. et MADAME MOULINFROU, AUGUSTINE[54]
MOULINFROU, à sa femme.
Que le diable t’emporte avec ton épingle ! Tu pousses des cris de paon !
MADAME MOULINFROU.
C’est un pèlerin qui m’a marché sur le pied.
AUGUSTINE.
Il a passé près de moi un grand monsieur, bien poli... il m’a offert une douzaine d’ostende.
MOULINFROU.
Ah ! J’ai vu Gaston... Je l’ai invité à souper avec nous, à la Maison-d’Or.
MADAME MOULINFROU.
Comment !
MOULINFROU.
Il paiera sa part, bien entendu ! Il m’a répondu qu’il était engagé, mais qu’il allait tâcher de se rendre libre ; je lui ai donné le numéro de la loge, s’il vient... vous ouvrirez...
AUGUSTINE.
Mais, papa, je ne le connais pas.
MOULINFROU.
Ta mère le connaît... d’ailleurs, il se nommera. Rentrez... moi je vais papillonner un peu.
AUGUSTINE, ouvrant la porte de la loge.
Tiens ! Des bouquets !...
MADAME MOULINFROU.
Encore une galanterie de M. Eusèbe.
Elle entre dans la loge avec sa fille.
Scène XII
MOULINFROU, puis CONSTANCE[55]
MOULINFROU.
C’est étonnant ! Je suis très connu... et personne ne m’intrigue, c’est sans doute parce que j’avais des dames au bras...
CONSTANCE, entrant de droite et à part.
Ah ! mon bourgeois !
Elle met son masque et prend le bras de Moulinfrou.
Bonsoir !
MOULINFROU, avec satisfaction.
Voilà que ça commence... Est-ce que tu me connais ?...
CONSTANCE.
Du haut en bas ! Tu portes des jarretières en flanelle rose...
MOULINFROU, étonné.
Tiens ! mais c’est que c’est vrai !
CONSTANCE.
C’est toi qui couches au fond de l’alcôve avec un bonnet de coton.
MOULINFROU, stupéfait.
Oh ! c’est prodigieux !... Après ça, je suis si connu...
CONSTANCE.
Tu prends tous les matins une grande tasse de bouillon, avec du vin dedans... c’est dégoûtant !
MOULINFROU.
Mais c’est que c’est vrai !
CONSTANCE.
Et tu as la manie de vernir toi-même tes souliers...
MOULINFROU, à part.
Les choses les plus intimes... c’est renversant !... Qui diable ?... Ah ! j’y suis ! C’est la baronne ! ma locataire... elle tient ces détails de ma femme.
Haut.
Moi aussi, je te connais.
CONSTANCE.
Oh ! je ne crois pas !
MOULINFROU.
Je ne me permettrai pas de te dire la couleur de tes jarretières... mais j’ai des raisons de croire que nous dormons sous le même toit.
CONSTANCE, faisant un mouvement.
Hein ?
MOULINFROU, à part.
J’ai deviné.
Haut.
Ton mari est colonel... ton chien est épagneul et ton perroquet chante Le Sapeur.
CONSTANCE.
En vérité...
MOULINFROU.
Quant à toi... tu es la plus charmante des femmes.
EUSÈBE, entrant de droite et apercevant Constance, à part.
C’est elle ! au bras de mon beau-père.
Il se tient à l’écart.
MOULINFROU.
Tu as fait cadeau de ta loge à quelqu’un qui t’aurait choisie pour reine... si le sort l’avait favorisé de la fève.
CONSTANCE, à part.
J’aperçois Robinson.
Haut.
Adieu !
MOULINFROU.
Tu me quittes déjà ?
CONSTANCE.
Oui... on m’attend !
MOULINFROU.
Adieu !
Baissant la voix.
Baronne !
CONSTANCE.
Chut !
Elle disparaît par la gauche.
EUSÈBE, se précipitant vers Moulinfrou.[56]
Au nom de l’humanité, le nom de cette femme ?
MOULINFROU, radieux.
Vous ne l’avez pas reconnue ?... Vous n’êtes pas fort... Vous avez tiré les rois ce soir avec elle... c’est la baronne !
EUSÈBE.
Une baronne ?
MOULINFROU.
Une femme ravissante !
EUSÈBE, avec exaltation.
Un ange ! c’est un ange !
MOULINFROU.
À propos ? nous avons à vous remercier de vos glaces et de vos bouquets.
EUSÈBE, à part.
Ah ! faut que je la retrouve.
MOULINFROU.
Décidément reprenez votre massue.
Il la lui donne.
et rendez-moi mon arbalète.
EUSÈBE, très exalté.
Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! faites que je la retrouve.
Il sort.
MOULINFROU.
Eh bien ! et mon arbalète ! il l’aura laissée dans la loge... c’est égal, si madame Moulinfrou n’était pas là, je crois que je me serais lancé avec la baronne... Je ne suis pas bien sûr de ne pas en rêver cette nuit.
Il entre dans la loge.
Scène XIII
MASQUES, HENRI, puis POLYDORE, puis CONSTANCE, UN JOCKEY, puis EUSÈBE, puis MOULINFROU[57]
HENRI, entrant de droite.
Où sont-elles passées ? Je viens de battre le foyer...
Regardant au carreau de la loge...
Ah ! elles sont rentrées... la petite a dû trouver mon billet... Elle va lâcher ses aïeux. Attendons !
Il se promène, et disparaît par la gauche.
POLYDORE, entrant de droite passant avec une marquise au bras.[58]
Oui, chère belle... une petite maison... avec une grille... et un jardin avenue Gabrielle...
LA MARQUISE.
Non !... Je me méfie...
POLYDORE.
Pourquoi ?
LA MARQUISE.
Tout à l’heure en parlant tu as commis deux cuirs.
POLYDORE.
Oh ! ce n’est pas étonnant... Banquier marocain...
LA MARQUISE.
Ôte ton gant... montre moi tes mains.
POLYDORE, ôte son gant.
Mes mains ?... pourquoi ?
LA MARQUISE, examinant sa main.
Ça... c’est une patte de domestique !
Elle le quitte et va se joindre aux Masques.
POLYDORE, vexé.
Hu ! donc ! chauve-souris...
Il la suit et se perd dans la foule.
CONSTANCE, au bras d’un jockey entrant de droite.[59]
Voilà trois heures que je te cherche.
LE JOCKEY.
J’étais avec des amis... nous parlions de gladiateur, en mangeant une prune à l’eau-de-vie.
EUSÈBE, la suivant, à part.
Je ne la quitte pas.
LE JOCKEY, se retournant, à Eusèbe.
Qu’est-ce qu’il a donc à nous suivre ce grand imbécile... passe ton chemin...
EUSÈBE.
Monsieur, je n’ai pas l’honneur de vous connaître...
LE JOCKEY.
Tu m’embêtes à la fin !
Il lui lance un coup de poing.
EUSÈBE.[60]
Crédié !
Il lui lance un coup de massue.
TOUS.
Ah !...
Rires, tumulte.
ENSEMBLE.
Air :
Arrêtons ce sauvage,
Autrement sa fureur
Va bientôt, je le gage
Amener un malheur !
UN INSPECTEUR, venant de droite, saisissant Eusèbe au collet.[61]
Au poste ! suivez-moi !
EUSÈBE.
Permettez ! je suis d’Épernay...
TOUS.
Au poste ! au poste !
MOULINFROU, sortant de sa loge.[62]
Quel est ce bruit ?... hein ?... Eusèbe.
À l’inspecteur.
Laissez-le ! Je réponds de lui ! c’est mon gendre !
L’INSPECTEUR, entraînant aussi Moulinfrou.
Vous vous expliquerez au poste... suivez-moi !
LES MASQUES, les suivant.
Bravo ! bravo !
HENRI.
Bon ! un aïeul de moins !...
Reprise du chœur. Ils sortent par la droite.
Scène XIV
HENRI, MADAME MOULINFROU[63]
MADAME MOULINFROU, sortant de sa loge avec son bouquet.
Augustine a trop chaud... elle veut partir...
Regardant autour d’elle.
Où donc est passé mon mari ?
HENRI, s’approchant.
Le portier ? non !... Guillaume Tell... Il vient de sortir par là...
Il désigne la gauche.
MADAME MOULINFROU.
Je vous remercie monsieur.
À part.
Je n’aperçois pas le pèlerin. Je me risque !
Elle sort.
Scène XV
HENRI, puis AUGUSTINE, puis MOULINFROU, puis MADAME MOULINFROU
HENRI.
Emballés les aïeux !
Il frappe à la porte de la loge. Augustine ouvre.
Venez vite ! c’est le moment !
AUGUSTINE.[64]
C’est vous qui êtes M. Gaston ?
HENRI.
Oui !
AUGUSTINE.
Nous allons souper à la Maison d’Or ?
HENRI.
C’est convenu ! j’ai le petit 9... Venez ! dépêchons-nous.
AUGUSTINE.
Mais papa et maman ?...
HENRI.
Ils nous attendent en bas, dans le fiacre.
À part.
Elle pose pour la famille.
Haut.
Venez ! venez !
Ils disparaissent par la gauche.
MOULINFROU, rentrant par la droite.
J’ai arrangé l’affaire de mon gendre. On l’a simplement flanqué à la porte. Je l’ai engagé à aller se coucher. L’animal a perdu mon arbalète, m’en voilà pour une somme. Ah ! j’ai faim ! Voyons, si ces dames veulent partir.
Ouvrant la loge vide.
Tiens ! personne ! où diable sont-elles ? je leur avais pourtant bien recommandé !...
MADAME MOULINFROU, entrant par la gauche.[65]
Ah ! je te cherche... partons !
MOULINFROU.
Eh bien ! et ta fille ?...
MADAME MOULINFROU.
Elle est dans la loge.
MOULINFROU.
Mais non... regarde !
MADAME MOULINFROU.
Ciel !
MOULINFROU.
Perdue !
TOUS DEUX, appelant.
Gustine ! Gustine !
Aux masques.
Vous n’avez pas vu ma fille ?... une bergère.
Criant à tue-tête.
Gustine ! Gustine !
TOUS.
Gustine !... Gustine !...
On danse en rond, autour de monsieur et madame Moulinfrou.
ACTE III
Chez Henri.
Un petit salon élégamment meublé. Table dressée avec deux couverts. À droite premier plan, un petit tabouret sous la table. Porte au premier plan à droite. Au fond une porte. À droite un pan coupé, un piano et son tabouret. Une chaise entre la porte et le piano. À gauche un pan coupé une cheminée riche avec pendule et deux lampes à demi allumées. Une armoire à gauche, premier plan. Une chaise entre la porte et la cheminée. Un guéridon au fond près du piano. Deux chaises au fond.
Scène première
HENRI, AUGUSTINE, entrent au fond[66]
Henri entre, un bougeoir allumé à la main, son paletot sur le bras. Il introduit Augustine.
HENRI.
Par ici... là !... nous voilà arrivés !...
Il va à la cheminée, lève la mèche des lampes.
AUGUSTINE.
Nous sommes à la Maison-d’Or.
HENRI.
Oui.
À part.
Dans le domicile à Bibi.
Achevant d’allumer.
Voilà qui est fait et personne ne viendra nous déranger...
Il se met à danser.
Tra deri dera la la !
AUGUSTINE, le regardant et riant.
Ah ! que vous êtes drôle ! Vous dansez comme à l’Opéra... encore M. Gaston.
HENRI, à part.
Je ne sais pas pourquoi elle s’obstine à m’appeler Gaston !
Haut.
Vous aimez ce petit pas là ?
AUGUSTINE.
Oui, ça m’amuse !
HENRI.
Il y en a qui lèvent les bras... les jambes... je n’aime pas ça... c’est mauvais ton... moi je me suis composé une petite danse modérée que j’appelle : le cancan des familles. Tenez !
Il danse.
Traderi dera la la... traderi...
AUGUSTINE.[67]
Mon Dieu ! que vous êtes laid comme ça !
HENRI, s’arrêtant.
Vous trouvez ?
À part.
Elle aime mieux la grande fantaisie.
AUGUSTINE, regardant autour d’elle.
C’est donc ça qu’on appelle un cabinet particulier.
HENRI.
Oui... le petit 9, c’est gentil, n’est-ce pas ?
À part.
Je la crois de la province.
AUGUSTINE.
Mais où sont donc papa et maman ?
HENRI, à part.
Encore ? Elle veut me faire poser.
Haut d’un air fin.
Ils sont restés au vestiaire, papa et maman.
AUGUSTINE.
Ah ! pour prendre nos manteaux... est-ce que c’est long ?
HENRI.
Dame ! Il y a des jours où ça dure la semaine.
AUGUSTINE, effrayée.
La semaine !... Je veux m’en aller.
Remontant.
HENRI.
Non... je dis cela pour rire... ça dépend du monde qui est avant eux.
La faisant descendre.
AUGUSTINE.
Papa a le numéro 689.
HENRI.
Alors, il y en a 688 avant lui... il sera ici dans une demi-heure... il m’a dit d’aller devant pour commander le souper.
AUGUSTINE, allant à la table.
Ah ! voyons la carte ![68]
HENRI.
Il n’y en a pas !... dans les cabinets particuliers, il n’y a jamais de carte.
AUGUSTINE.
Alors, sonnez le garçon !
HENRI.
Oui... c’est que...
AUGUSTINE.
Sonnez donc.
HENRI, allant sonner à la cheminée.
Certainement ![69]
Il sonne, à part.
Ça donne dans mon atelier...
Haut.
Avez-vous froid ?...
AUGUSTINE.
Un peu... au bout des pieds !
HENRI.
Approchez-vous de la cheminée ; je vais rallumer le feu !
Fouillant dans un coffre à bois, trouvant des journaux.
le Petit Journal ! le Grand Journal, le Soleil, l’Archi-Soleil, la Lune.
Il prend le soufflet et se met à genoux devant le feu.
Là !... ça prend... chauffez vos jolis petons, ma petite caille rose.
AUGUSTINE, naïvement, allant à la cheminée.
Tiens ! Est-ce qu’il y a des cailles roses, je voudrais bien en voir.
HENRI, à part.
Est-ce qu’elle serait bête ? Je ne crains pas les femmes bêtes... ça me monte.
Lui donnant un tabouret qu’il va chercher tous la table.
Tenez ! posez vos pieds là-dessus.
AUGUSTINE.
Merci, M. Gaston.
HENRI, à part.
Encore Gaston ! C’est un vœu !
AUGUSTINE, à part.
Il est très complaisant !
HENRI.
Vous n’avez donc pas peur de vous trouver toute seule ici avec moi ?
AUGUSTINE.
De quoi voulez-vous que j’aie peur, je n’ai pas d’argent.
HENRI.
Mais on n’emprunte pas que de l’argent aux demoiselles.
AUGUSTINE, naïvement.
Quoi donc ?
HENRI.
Vous le savez bien.
AUGUSTINE.
Non.
HENRI, à part.
Elle a vu jouer Les Vieux Garçons, elle me l’a fait à l’ingénue... nous allons rire.
Haut.
Je vais voir à nous faire servir... ne vous impatientez pas, mon petit chien bleu.
AUGUSTINE.
Vous avez un chien bleu ?
HENRI.
Oui.
À part.
Nous allons rire.
Il entre à droite, premier plan.
Scène II
AUGUSTINE, seule
Elle se lève et fait le tour de l’appartement.
C’est très gentil ici.
Voyant le placard à gauche.
Une porte !
Elle l’ouvre.
Non ! c’est une armoire... Tiens ! des toiles, des tableaux.
Elle la referme.
De vieilles enseignes, sans doute. Ah ! un piano !
Elle se met au piano et joue quelques mesures. On entend-bientôt frapper au-dessous.
VOIX, au-dessous.
Taisez-vous donc là haut !
AUGUSTINE, se levant effrayée.
Ah ! un monsieur qui se fâche !
Elle passe à gauche.
Scène III
AUGUSTINE, HENRI[70]
HENRI, rentrant et apportant plusieurs plats.
Voilà les comestibles...
AUGUSTINE.
On a frappé là-dessous.
HENRI, à part.
Bigre ! le propriétaire !
Haut.
C’est un monsieur qui soupe et qui n’aime pas la musique.
Montrant les plats qu’il a placés sur la table.
Voici ce que le garçon vient d’apporter.
À part.
Le souper préparé pour Amanda...
AUGUSTINE, vivement.
Ah ! des crevettes !
Elle en prend une et la mange.
HENRI, à part.
Ah ! comme c’est ça ! pour mesurer une femme, il suffit de lui présenter des crevettes.
Haut.
Et ce petit perdreau froid, il est donc bête... et cette petite salade ?... russe avec des truffes... elle est donc bête ?
AUGUSTINE.
Ah ! un ananas !
La prenant.
Je n’en ai jamais mangé... papa dit que ça coûte 20 francs.
HENRI, à part.
Elle est ennuyeuse avec son papa.
Haut.
Et du champagne ?
AUGUSTINE.
Je n’en ai bu qu’une fois !
HENRI, à part.
Connu !
Versant.
Eh bien ! ça fera deux.
Il lui verse du champagne dans son verre.
AUGUSTINE.
Volontiers ! J’ai soif !
Buvant.
C’est boni ça pique, mais c’est sucré.
HENRI, offrant.
Encore une crevette ?
AUGUSTINE.
Je veux bien... je les adore !
Elle mange.
Mais papa dit qu’elles ne sont jamais fraîches à Paris.
HENRI.
Oui... laissons-le au vestiaire, papa. Encore du champagne !
AUGUSTINE, tendant son verre.
Avec plaisir !
HENRI la regardant boire.
Elle va bien, la petite gaillarde !
AUGUSTINE, regardant la main d’Henri.
Oh ! que vous avez une jolie bague !
HENRI.
Vous trouvez ?
À part.
Elle veut me chiper ma bague... ma foi ! tant pis ! Elle est si gentille !
Haut, ôtant sa bague.
Tenez ! la voilà !
AUGUSTINE, la prenant.
C’est une émeraude !
HENRI, à part.
Elle s’y connaît !
AUGUSTINE.
Si j’en avais deux comme ça, j’en ferais des boucles d’oreilles.
HENRI, à part.
Oh ! non ! deux, elle va trop loin !
AUGUSTINE, lui tendant la bague.
Tenez !
HENRI, étonné.
Quoi ?
AUGUSTINE.
Reprenez votre bague.
HENRI.
Mais non... gardez-là... mon petit lapin vert.
AUGUSTINE.
Pourquoi voulez-vous que je la garde... puisqu’elle est à vous ?
HENRI, avec expansion.
Je vous la donne.
AUGUSTINE, la posant sur la table.
Mais je n’en veux pas, monsieur.
Elle se recule offensée.
HENRI, à part, très étonné.
Ah ! ça mais ! Qu’est-ce que j’ai ramené là. Elle refuse les bagues. Je suis volé !
AUGUSTINE.
Si j’en voulais, des bagues... maman m’en donnerait... et de plus belles !...
HENRI, intimidé.
Je vous demande pardon, mademoiselle, je ne croyais pas vous offenser.
AUGUSTINE.
Ah ! je ne vous en veux pas... mais sonnez pour que le garçon mette le couvert.
HENRI.
Oui... oui... il va venir.
AUGUSTINE.
Bah ! nous aurons plus tôt fait de le mettre nous-mêmes...
Allant chercher des assiettes à la table du fond, côté cour.
Venez m’aider... je vais placer les assiettes...
Les plaçant.
Une, deux, trois...
HENRI, l’interrompant.
Eh bien ! combien en mettez-vous ?
AUGUSTINE.
Cinq, papa, maman.
HENRI.
Ah ! ça, vous avez donc un papa... sérieux ?...
AUGUSTINE.
Oh ! il n’est pas sérieux du tout... il est très gai... vous le savez bien, puisque vous le connaissez...
HENRI.
Certainement.
À part.
Sapristi ! un papa ! un vrai ! je flaire une mauvaise affaire...
Haut.
Pardon ! est-il militaire, monsieur votre papa ?
AUGUSTINE.
Capitaine !
HENRI.
Mazette !
AUGUSTINE.
Dans la garde nationale.
HENRI, respirant.
Ah !
AUGUSTINE.
Il ne s’occupe que de cela et de sa maison.
HENRI.
Ah !... sa maison de commerce !...
AUGUSTINE.
Non ! il l’a cédée... de celle qu’il vient de faire bâtir.
HENRI, à part, en passant à gauche.[71]
Une petite propriétaire ! j’ai ramené une petite propriétaire ! Comment me tirer de là ?
AUGUSTINE, désignant les places.
Vous là, et mon futur à côté de vous.
HENRI, allant la chercher.
Comment, votre futur ! vous avez aussi un futur ?
AUGUSTINE.
Certainement.
HENRI, troublé.
Alors, vous allez vous marier.
AUGUSTINE.
Mais oui... dans quelques jours.
HENRI, à part.
Saprelotte ! ça se corse !
Haut.
Pardon ! est-il militaire, monsieur votre futur ?
AUGUSTINE.
Non... mais il est très riche... papa m’a dit qu’en nous mariant nous aurions 35 000 francs de rente.
HENRI.
Trente cinq mille francs !
AUGUSTINE.
Et qu’à la mort de mon beau-père, nous en aurions 70.
HENRI, à part effrayé.
Millionnaire !
AUGUSTINE.
Mais il se porte très bien, mon beau-père.
HENRI.
Tant pis ! tant pis !
Se reprenant.
C’est-à-dire ?...
AUGUSTINE.
Dieu ! que j’ai soif !
Elle se verse du champagne et boit.
HENRI, voulant l’arrêter.
Non ! assez ! assez !
AUGUSTINE, buvant.
Je ne peux pas me désaltérer... c’est la chaleur du bal...
HENRI, à part.
Elle va se grisotter... une fille de famille !
AUGUSTINE, s’animant.
Ah ! un jour ! au couvent... nous avons bien ri... il y a une de ces demoiselles qui a apporté une bouteille de champagne dans son manchon
Elle rit.
HENRI.
Vous avez été au couvent ?
AUGUSTINE.
J’en suis sortie il y a trois mois...
Riant.
Alors, la supérieure l’a prise... et pour la punir... on l’a condamnée à garder son bonnet de nuit pendant trois jours.
HENRI, à part.
On n’invente pas ça !
AUGUSTINE.
Moi... si on m’avait forcée à garder mon bonnet de nuit... je l’aurais déchiré... v’li ! v’lan !
HENRI.
Qui... mais la supérieure ?
AUGUSTINE, très animée.
Ah ! je m’en moque pas mal de la supérieure... quand elle tournait le dos, je lui tirais la langue... comme ça...
Elle tire la langue.
Dieu ! que j’ai soif !
Elle prend la bouteille de champagne.
HENRI, la lui retirant des mains.
Non ! non !
AUGUSTINE.
Pourquoi ?...
HENRI.
Il n’en resterait plus pour papa qui va venir.
AUGUSTINE.
On en demandera une autre.
HENRI.
Achevons plutôt de mettre le couvert.
À part.
Elle s’anime, la bergère... Si je pouvais la flanquer dans un fiacre !...
AUGUSTINE.
Bon ! Il n’y a pas de serviettes... sonnez !
HENRI, très troublé.
Là !... à côté... dans l’armoire à gauche.
AUGUSTINE, entrant à gauche.
Ah ! je m’en moque pas mal de la supérieure.
Elle sort.
Scène IV
HENRI, seul
Sacrebleu ! qu’est-ce que j’ai fait ? une demoiselle de famille... trente cinq mille livres de rentes... un papa, une maman et un futur !... tous ces gens-là vont me tomber sur le dos... c’est très grave... un détournement de mineure. Voyons donc ! voyons donc !
Il court à la cheminée et prend un livre.
Code pénal... Je vais trouver mon affaire !
Lisant.
« Article 354. Quiconque aura enlevé ou fait enlever des mineurs, ou les aura entraînés, détournés ou déplacés... » Évidemment je l’ai déplacée... « subira la peine de la réclusion. » – « Si la personne ainsi enlevée est une fille au dessous de seize ans accomplis, la peine sera celle des travaux forcés à temps... » Nom d’un petit bonhomme ! c’est pas drôle ! après ça, elle a peut-être plus de seize ans !
Avec doute.
Eh eh ! cependant !...
Scène V
HENRI, AUGUSTINE[72]
AUGUSTINE, rentrant très gaie.
Voilà les serviettes !
En développant une.
Elles sont toutes trouées...
HENRI, vivement.
Pardon !... quel âge avez-vous ?
AUGUSTINE.
Tiens ! vous êtes curieux ?
HENRI.
J’ai le plus grand intérêt à le savoir.
AUGUSTINE.
C’est possible ! mais maman m’a dit qu’une demoiselle ne devait jamais dire son âge.
HENRI.
Oh ! je le sais... Vous avez de vingt-huit à trente ans !
AUGUSTINE, vivement.
Mais non, monsieur... je suis née en quarante-sept.
HENRI, vivement.
Quarante sept !
Comptant sur ses doigts.
Cinquante-sept ça fait dix et huit ! ça fait dix-huit !
Vivement.
Dix-huit ans ! la réclusion.
Il saute de joie.
AUGUSTINE.
Quoi ?
HENRI.
Non... rien...
À part.
La réclusion ! quinze jours de prison qu’on fait dans une maison de santé... c’est pour rien...
Reprenant son code
Cherchons mon affaire ! voilà un bon livre !
AUGUSTINE, plaçant les serviettes.
Venez donc m’aider.
HENRI.
Voilà je suis à vous, je consulte la carte.
Lisant.
« Article 24. Réclusion. – La durée de cette peine sera de cinq années au moins et de dix au plus. »
Parlé.
Dix ans ! nom d’un petit bonhomme ! il faut que je la campe tout de suite dans un fiacre !
AUGUSTINE, portant la main à sa tête.
Je ne sais pas ce que j’ai, il me semble que la table danse.
HENRI, effrayé.
Hein ? le champagne ! je vais faire avancer un fiacre !
AUGUSTINE, fredonnant un air de quadrille.
Non, ça va mieux ! Ah ! que c’était joli ce bal de l’Opéra.
HENRI.
Oui... Où demeurez-vous ?
AUGUSTINE.[73]
Celle musique... et toutes ces dames qui dansaient d’une manière si drôle !... Dieu ! que c’était amusant, quand elles faisaient comme ça.
Elle se met à danser en les imitant gauchement.
HENRI, à part.
Ça y est !... elle a son petit plumet.
LA VOIX, en dessous.
Ah ! ça ! avez-vous bientôt fini là haut ?
HENRI, à part.
Elle va me faire flanquer congé.
Haut.
Tenez ! asseyez-vous, ou plutôt non... il faut partir... retourner chez papa et maman.
AUGUSTINE.
Puisqu’ils vont venir souper, je vais les attendre.
HENRI.
Sans cloute... mais...
AUGUSTINE.
S’ils ne me trouvaient pas ici, ils me croiraient perdue...
HENRI.
Mademoiselle ! je suis incapable de vous tromper... et je vous assure que le plus sage...
AUGUSTINE, nerveuse.[74]
Je veux rester !... laissez-moi tranquille... vous m’agacez.
Elle passe à droite.
HENRI, à part.
Oh ! Elle a le vin méchant !
AUGUSTINE.
Je ne sais pas ce que j’ai... la tête.
HENRI, timidement.
Peut-être que la promenade...
AUGUSTINE.
Je crois que j’ai faim... ma foi ! Tant pis ! mettons-nous à table... ça fera venir maman.
Elle va à la table.
HENRI.[75]
Je vous assure que le plus sage...
AUGUSTINE, se mettant à table.
Asseyez-vous là... ne tournez pas votre chapeau comme ça... ça m’étourdit.
HENRI.
Il est sur la chaise, mon chapeau.
Il s’assied sur le tabouret du piano.
AUGUSTINE.
Mais asseyez-vous donc là, près de moi.
HENRI, piteusement.
Merci ! Je souperai très bien ici.
AUGUSTINE, avec impatience.
Approchez-vous... ah ! vous êtes insupportable.
HENRI.
Calmez-vous ! calmez-vous !
Il se lève. À part.
Ah ! si l’on m’y reprend à ramener des demoiselles de famille...
AUGUSTINE.
Laissez votre chapeau.
HENRI.
Oui...
À part.
Maintenant quand je cueillerai une femme, je lui demanderai avant, si elle n’est pas honnête.
AUGUSTINE, tendant son verre.
J’ai soif... Donnez-moi du champagne.
HENRI, lui versant de l’eau avec la carafe.
En voilà du champagne.
AUGUSTINE.
C’est sucré.
HENRI.
Ça pique.
AUGUSTINE.
C’est sucré !
HENRI, à part.
Elle ferme les yeux ! Tiens ! Elle dort ! Qu’est-ce que je vais en faire ! Elle dort... non, et la famille... et la police... 10 ans de réclusion. Impossible de l’emballer dans un fiacre. Je ne sais seulement pas son adresse... elle est capable d’encombrer mon domicile jusqu’à demain matin. Oh ! je ne reste pas ici, moi ! Une idée !...
Il va au placard, en tire une toile à tableau et écrit dessus au fusin.
« Retournez chez papa et maman. »
Montrant l’inscription au public.
Je crois que ce ne sont pas là les conseils d’un séducteur... Je ne détourne pas, je retourne... Où mettre cela pour qu’elle le trouve en se réveillant... Ah ! là !...
Allant chercher une chaise qu’il place en face d’Augustine.
La toile sur cette chaise-là. Ah ! Une autre idée non moins lumineuse.
Il met deux lampes à terre de chaque coté de la chaise.
Et maintenant, je file...
Il prend son paletot et son chapeau.
Je ne rentre pas de huit jours...
Il remonte et descend.
C’est dommage, elle avait des dispositions...
Il s’approche d’Augustine.
Est-elle gentille !
Il l’embrasse plusieurs fois sur le front.
Au moins si je suis condamné, ce ne sera pas tout à fait pour des prunes.
Il sort avec les plus grandes précautions, pendant que la toile baisse.
ACTE IV
Un salon chez Moulinfrou. Porte au fond, à droite premier et deuxième plan portes ; au fond à gauche un chiffonnier, idem à droite un secrétaire, une table à droite deuxième plan, avec tapis et sonnette à gauche fenêtre. Un fauteuil à l’avant scène de gauche, une chaise près la porte de droite, à gauche, deux portes, une au premier plan, l’autre au troisième.
Scène première
CONSTANCE, puis MADAME MOULINFOU
CONSTANCE, entrant de droite.
Neuf heures ! et ils ne sont pas encore rentrés du bal de l’Opéra. Ah ! quand les bourgeois se mettent à faire la noce, ils la font bien !...
Souriant.
Malgré moi... Je pense à M. Eusèbe... le prétendu de mamzelle... quel volcan ! Eh bien ! Il me dirait quelque chose, ce garçon-là, d’abord, il n’est pas maniéré... et puis, comme il tape... voilà un homme !... J’ai cru qu’il allait assommer Robinson avec sa massue...
MADAME MOULINFROU, entrant par le fond, très agitée, toujours en Belle-Hélène, un parapluie à la main.[76]
Monsieur est-il rentré ?
CONSTANCE.
Non, madame, pas encore.
MADAME MOULINFROU, à elle même.
Ma fille ! J’en deviendrai folle !
CONSTANCE.
Eh bien ! et mademoiselle !
MADAME MOULINFROU.
Elle est avec son père... chez le costumier... elle va venir... laissez-moi !
CONSTANCE, à part.
Comme elle est faite !... Ils ont passé la nuit dans l’orgie !
Elle sort à droite premier plan.
Scène II
MADAME MOULINFROU, puis MOULINFROU
MADAME MOULINFROU, se laissant tomber sur une chaise à gauche.
Je tombe de fatigue... Je suis sortie la dernière de l’Opéra... J’ai fouillé toutes les loges... tous les couloirs... rien !... On m’a mise à la porte... alors j’ai rodé dans les rues... sur les boulevards... il pleuvait ; j’ai acheté un parapluie ; les gamins me suivaient en criant après moi... Je suis rentrée, espérant que Moulinfrou l’aurait ramenée... il parait qu’il cherche encore...
Se levant.
Je vais repartir !
Moulinfrou paraît au fond toujours en Guillaume Tell, madame Moulinfrou l’apercevant.[77]
Eh bien ! Augustine ?
MOULINFROU.
Tu ne l’as pas ?
MADAME MOULINFROU.
Non !
MOULINFROU.
Pas de nouvelles ! Il pleuvait, j’ai acheté un parapluie ; j’ai visité les cafés, les restaurants... J’ai été obligé de déjeuner... trois fois.
MADAME MOULINFROU.
Tu as eu le cœur de manger ?
MOULINFROU.
Pour faire causer les garçons... si on ne consomme pas, ils ne vous disent rien... J’ai questionné les sergents de ville... pas la moindre bergère !
MADAME MOULINFROU, sanglotant comiquement dans les bras de Moulinfrou.
Ah ! ma fille ! mon enfant !
MOULINFROU.
Voyons, Adélaïde !... Calme toi ! Elle ne peut pas être perdue... elle sait notre adresse... elle se retrouvera.
MADAME MOULINFROU.
Tu crois ?
MOULINFROU.
Seulement, il faut qu’elle se dépêche... On va venir pour signer le contrat... et si nous n’avons pas la mariée... ça va jeter un froid...
MADAME MOULINFROU.
Elle aura eu peur de se trouver seule, la nuit, en bergère.
MOULINFROU.
Voilà ! et elle aura eu l’imprudence de prendre une voiture... à l’heure... ça retarde... mais elle va rentrer pour déjeuner.
On entend sonner.
Tiens, on sonne, c’est elle.
MADAME MOULINFROU.
Ma fille !
Ils montent vivement et se trouvent en face de maître Tabardon.
Scène III
MADAME MOULINFROU, MOULINFROU, TABARDON[78]
MOULINFROU.
Tabardon !
MADAME MOULINFROU.
Le notaire !
TABARDON.
Monsieur... madame...
À part.
Quelle singulière tenue !
Haut.
Pardon... Je ne me trompe pas... c’est bien aujourd’hui le contrat ?
MOULINFROU.
Oui... nous vous attendons.
MADAME MOULINFROU.
Avec impatience...
TABARDON, à part.
C’est un costume grec... ou romain...
Haut.
La signature est pour onze heures.
MOULINFROU.
Il en est à peine dix.
TABARDON, à part.
L’autre est un breton... Qu’est-ce qu’ils peuvent faire de ça ?
Haut.
Je suis venu un peu en avance, parce que j’ai quelques renseignements à vous demander.
MADAME MOULINFROU.
Vous avez à causer avec mon mari... je vous laisse.
Elle sort par la gauche premier plan.
TABARDON.[79]
Madame !...
À part.
Après ça, c’est peut-être une robe de chambre... Je suis venu trop tôt.
MOULINFROU.
Dépêchons-nous... il faut que j’aille à la banque... chercher la dot...
TABARDON, à part.
Comme ça ?
Haut.
Vous ferez bien de mettre un paletot... le froid pince !
MOULINFROU.
Moi, je brûle, j’ai la tête en feu... Voyons ! de quoi s’agit-il ?
TABARDON.
Je voulais vous demander si madame Moulinfrou s’appelle Aménaïde ou Adélaïde ?
MOULINFROU.
Adélaïde... On a sonné !
TABARDON.
Non... je n’ai rien entendu...
MOULINFROU.
Perpétue-Félicité-Adélaïde.
TABARDON.
Mon clerc a mis Aménaïde... Je ferai un petit renvoi... ça m’ennuie, parce que je n’aime pas les ratures... j’ai la coquetterie de mes actes...
Regardant le costume.
C’est égal... c’est bien bizarre.
MOULINFROU.
Quoi ?
TABARDON.
Rien... Maintenant, qu’est-ce que vous avez décidé pour le douaire ?... j’ai laissé la clause en blanc.
MOULINFROU.
Rien encore... M. Goderleau va venir...
Tout-à-coup.
On a sonné !
TABARDON.
Je n’ai rien entendu !
MOULINFROU.
Ah ! j’ai des tintements... Tenez, entrez là, dans mon cabinet... faites le renvoi.
TABARDON.
C’est cela...
À part.
Est-ce qu’il va signer le contrat en costume breton ? Après ça, c’est peut-être une coutume nationale.
Il entre à droite, deuxième plan.
Scène IV
MOULINFROU, puis CONSTANCE
MOULINFROU.
Dix heures et demie... je repars !... Non... débarrassons-nous d’abord de ce costume qui m’empêche d’être pris au sérieux... Partout où je demande ma fille, on me rit au nez... et on m’appelle farceur !
Il sonne à la table.
CONSTANCE, paraissant du fond.[80]
Ah ! monsieur est rentré... et mademoiselle !
MOULINFROU.
Elle va venir... elle est chez la couturière...
À part.
Je ne peux pas me confier à ces gens.
CONSTANCE.
Et mademoiselle ne s’est pas trouvée trop fatiguée du bal ?
MOULINFROU.
Du tout... elle est fraîche comme une rose... Je vais m’habiller... donnez-moi mon habit noir... tout de suite...
Tout-à-coup.
Ah ! cette fois, on a sonné.
CONSTANCE.
Non, monsieur.
MOULINFROU, il entre à droite.
Mon habit... tout de suite...
Scène V
CONSTANCE, puis POLYDORE
CONSTANCE.
Son habit ! c’est Polydore qui l’a !... Je ne sais pas s’il est revenu !
Elle va à la fenêtre.
Justement, le voilà qui rentre !
Appelant.
Eh ! vous !... oui !...
Revenant en scène.
Eh bien ! il arrive à temps !
POLYDORE, entrant avec l’habit noir.[81]
C’est moi que vous appelez ?
CONSTANCE.
Oui, monsieur demande son habit. Vite !...
POLYDORE, l’ôtant.
Oh ! je n’y tiens pas ! Je n’ai pas fait mes frais avec...
Il a sous son habit un gilet de livrée à manches.
CONSTANCE.
Il est couvert de taches... qu’est-ce que vous avez donc répandu dessus ?
POLYDORE.
Il y a un peu de tout... de la bière, pas mal de prunes à l’eau-de-vie, et du punch dans le dos...
CONSTANCE.
Vite... une brosse ! de l’eau !
On entend sonner à gauche.
POLYDORE.
Ne le faites pas attendre, cet homme... on le nettoiera sur le moule.
On entend sonner de nouveau.
CONSTANCE.
Voilà, monsieur, voilà !
Elle entre à gauche avec l’habit.
Scène VI
POLYDORE, puis GODERLEAU et EUSÈBE, suivis de deux Commis, puis CONSTANCE[82]
POLYDORE.
Ah ! sapredié ! J’ai oublié ma pipe dans la poche de l’habit...
Il remonte au fond. Goderleau et Eusèbe, sont suivis d’un commis qui porte une corbeille de mariage qu’il dépose à gauche sur la table.
GODERLEAU, au Commis.
Placez ça là... doucement.
EUSÈBE, à part.
Elle respire à l’étage au-dessus.
GODERLEAU, au Commis.
Très bien !
Le Commis salue et sort par le fond.
EUSÈBE, à part, assis à droite.
J’ai passé la nuit à lui faire une pièce de vers... comme qui dirait des mots qui riment.
GODERLEAU, à Eusèbe.
Voyons, examine un peu ta corbeille... Es-tu content ? la trouves-tu belle ?
EUSÈBE.
Oh ! oui, belle ! belle comme Vénus !
GODERLEAU, à part.
Qu’est-ce qu’il a ?
Haut.
Eusèbe, je suis bien aise de me trouver seul un moment avec toi, avant la signature du contrat... Mon enfant, tu vas t’embarquer sur cette mer houleuse qu’on appelle le mariage... Tu ne sais pas ce que c’est qu’une femme.
EUSÈBE.
Oh ! que si !
GODERLEAU.
Non !
EUSÈBE.
Si !
GODERLEAU.
Eh bien ! qu’est-ce que c’est ?
EUSÈBE.
Une femme ! c’est une sorcière qui a des bas rouges, qui vous fait monter tout en haut de l’escalier.
GODERLEAU, à part.
Ce diable de bal lui a tourné la tête... il a besoin de dormir.
CONSTANCE, rentrant de gauche deuxième plan.[83]
Oh ! la corbeille ! voulez-vous me permettre de regarder...
Admirant.
Dieu ! les beaux cachemires !
GODERLEAU.
N’est-ce pas ?
CONSTANCE.
Des bracelets... des boucles d’oreilles... des dentelles !...
GODERLEAU, à part.
C’est mon notaire qui a tout choisi.
CONSTANCE.
C’est mamzelle qui va être heureuse !
GODERLEAU.
Allons-nous bientôt la voir ?
CONSTANCE.
Tout à l’heure, elle s’habille.
GODERLEAU.
Et Moulinfrou ?
CONSTANCE.
Tout à l’heure, il s’habille.
EUSÈBE.
Et la baronne ?
CONSTANCE, passant à Eusèbe.[84]
Quoi... la baronne ?
EUSÈBE.
Rien !
À part.
Ne la compromettons pas.
CONSTANCE, à part.
Il ne me reconnaît pas.
GODERLEAU.
Est-ce que maître Tabardon n’est pas encore arrivé ?
CONSTANCE.
Pardon... il est dans le cabinet de monsieur.
GODERLEAU.
J’y cours... nous avons à causer pour le douaire... Eusèbe, examine ta corbeille !
Il sort entre à droite deuxième plan.
Scène VII
EUSÈBE, CONSTANCE, puis GODERLEAU[85]
EUSÈBE.
Oui, je donnerais mon existence pour passer ma vie avec elle !...
CONSTANCE, à part.
Il faut pourtant qu’il me reconnaisse !
Haut.
Vous paraissez triste, M. Eusèbe...
EUSÈBE, à part.
La bonne ! Elle a un petit air chipie qui ne me revient pas...
Haut.
Oui... j’ai de l’amertume.
CONSTANCE.
À quoi pensez-vous là... tout seul ?
EUSÈBE.
Je pense à une sorcière qui a des bas rouges, et qui est un ange...
CONSTANCE.
Ah !... Et vous l’avez rencontrée au bal de l’Opéra ?
EUSÈBE.
Oui... tout en haut !
CONSTANCE.
Avouez que vous voudriez bien savoir qui...
EUSÈBE.
Non... je le sais...
CONSTANCE.
Comment !
EUSÈBE.
Elle est ici... dans cette maison... nous respirons sous le même toit.
CONSTANCE, à part.
Il m’a reconnue.
Haut.
Ah ! monsieur Eusèbe... quelle idée allez-vous avoir de cette femme ?
EUSÈBE.
Mon idée... c’est que c’est une belle femme !
CONSTANCE.
Ah ! taisez-vous !
EUSÈBE.
Cette nuit, je me suis réveillé... j’ai allumé ma chandelle... et je lui ai fricassé une pièce de vers... sur du papier rose.
CONSTANCE.
Des vers !
EUSÈBE, il tire un papier rose de sa poche.
Tiens, écoute ça...
Lisant.
« Ange du paradis, je t’aime énormément !
« Et je voudrais vivre dans ton appartement ! »
CONSTANCE.
Après ?
EUSÈBE.
C’est tout ? Je voulais en faire un troisième... mais je n’avais plus de chandelle... je m’ai recouché.
CONSTANCE.
Vivre dans ton appartement... vos propositions me paraissent un peu...
EUSÈBE.
Je le dis comme je le pense... Voyons, conseille-moi... toi qui as de l’instruction. Qu’est-ce que tu ferais à ma place ?
CONSTANCE.
Dame ! Je lui enverrais... un petit souvenir.
EUSÈBE.
Tu crois qu’elle aimerait ça ? Attends !
Il tire de sa poche deux demi-bouteilles de champagne.
CONSTANCE.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
EUSÈBE.
Des échantillons de champagne... à papa.
CONSTANCE.
On n’offre pas du champagne à une femme... entre ses repas.
EUSÈBE.
Qu’est-ce qu’on lui offre donc entre ses repas ?
CONSTANCE.
Je ne sais pas, moi... un bijou, des boucles d’oreilles...
EUSÈBE.
Tu crois qu’elle aimera ça ?
CONSTANCE.
Ah ! j’en réponds.
EUSÈBE, passant à gauche, va à la corbeille, il prend on écrin.[86]
Attends ! il y en a là des boucles d’oreilles.
CONSTANCE.
Comment ! dans votre corbeille.
EUSÈBE.
Papa en achètera d’autres... il a du quibus, papa ! Tiens ! remets-lui ça de ma part.
CONSTANCE.
Ah ! monsieur Eusèbe !
EUSÈBE.
Et dis-lui que si elle correspond à mon mouvement, qu’elle les mette pour le contrat.
CONSTANCE.
Elle les mettra... soyez tranquille.
À part.
Je savais bien que c’était un volcan... mais je ne savais pas qu’il lançait des diamants !
EUSÈBE.
Eh bien ! Es-tu contente ? ça va-t-y bien comme ça ?
CONSTANCE.
Oh ! vous êtes gentil ! Tenez, il faut que je vous embrasse !
EUSÈBE, froidement.
Comme tu voudras... ne me défrise pas.
CONSTANCE, l’embrassant.
Ah ! le coquet !
Goderleau paraît et voit Constance embrasser Eusèbe.
GODERLEAU, à la porte, deuxième plan.[87]
Ah ! Eh bien ! qu’est-ce que vous faites-là ?
CONSTANCE, passant à gauche, essuyant vivement une chaise avec son tablier.
Moi, monsieur, j’essuie la chaise.
GODERLEAU.
Eh bien ! et toi ?
EUSÈBE.
Moi, je la regarde essuyer la chaise !
CONSTANCE, à part.
Je crois que le papa nous a vus !
Elle sort par le fond.
Scène VIII
EUSÈBE, CONSTANCE, GODERLEAU, TABARDON, puis MADAME MOULINFROU, puis MOULINFROU, puis INVITÉS, GASTON
TABARDON, paraissant à la porte de droite, deuxième plan.[88]
Le contrat est prêt !
GODERLEAU.
Avez-vous fait le renvoi ?
TABARDON.
Non, je l’ai oublié.
EUSÈBE.
Je vais porter mes vers à la baronne.
Il sort par le fond.
GODERLEAU, le faisant asseoir à la table.
Mettez-le en marge.
TABARDON, à la table.[89]
Ça me contrarie, parce que j’ai la coquetterie de mes actes.
GODERLEAU.[90]
Eh bien ! vous serez contrarié.
MADAME MOULINFROU, entrant de gauche.
Je vais aller chez le directeur de l’Opéra... Il faut qu’il me rende mon enfant.
GODERLEAU.
Ah ! voilà la maman !
TABARDON.
Eh bien ! et mademoiselle Augustine ?
MADAME MOULINFROU.
Elle me suit... il n’y a plus qu’une épingle à mettre !
À part.
Ça ne peut pas durer comme ça !
MOULINFROU, entrant de gauche, deuxième plan.
Qu’est-ce qu’il y sur mon habit ? ça poisse...[91]
GODERLEAU, se levant.
Ah ! Moulinfrou !
TABARDON, à la table.
Le papa ! nous n’attendions plus que vous... et la mariée ?...
MOULINFROU.
Elle me suit... il n’y a plus qu’une épingle à mettre !
GODERLEAU, à part.
On lui pique donc toute la pelote !
MADAME MOULINFROU, à son mari.
Je ne peux pas tenir en place... occupe-les... Je vais continuer mes recherches.
MOULINFROU, bas.
Mais où veux-tu aller ? Tu ne sais pas où elle est... Je viens d’écrire à la préfecture de police en envoyant la photographie de l’enfant... elle ne peut pas se perdre ainsi... elle va arriver !
MADAME MOULINFROU.
Elle va arriver en bergère !
MOULINFROU.
Pourvu qu’elle arrive !... nous dirons que c’est une surprise.
TABARDON.
Nous sommes à vos ordres.
MOULINFROU.
Oui, tout de suite !
À part.
Il est tannant, le notaire !
POLYDORE, entrant du fond.
Monsieur, c’est M. Gaston Dupressoir avec un tas de gens qui viennent pour signer au contrat.
MOULINFROU, à part.
Allons, bon ! mes invités !... ça se complique !
MADAME MOULINFROU, bas.
Que leur dire ?
MOULINFROU, bas.
Je n’en sais rien !
À Polydore.
Fais entrer au salon et gorge-les de sirop de groseilles.
MADAME MOULINFROU, à son mari.
Antonin ! Je vais me trouver mal !
MOULINFROU, bas.
Qu’est-ce que tu veux ? il n’y a plus moyen de reculer... il faut prévenir le beau-père.
Scène IX
MOULINFROU, MADAME MOULINFROU, GODERLEAU, TABARDON, puis CONSTANCE[92]
GODERLEAU, allant à Moulinfrou.
Ah ! ça, il est donc arrivé un accident à la robe ?
MOULINFROU.
Mon Dieu ! ce n’est pas tant la robe... nous l’avons, la robe... mais c’est le reste.
GODERLEAU et TABARDON.
Quoi donc ?
MOULINFROU.
J’aime mieux vous le dire de suite... vous finiriez par vous en apercevoir...
GODERLEAU.
De quoi ?
MOULINFROU.
Il nous est arrivé un accident... pénible... et, désagréable...
GODERLEAU.
Ah ! mon Dieu ! vous m’effrayez !
TABARDON.
Parlez !
MOULINFROU.
Eh bien ! apprenez que...
À sa femme.
Dis-le, toi !
MADAME MOULINFROU.
Non... je ne pourrai jamais...
MOULINFROU.
Moi non plus !
GODERLEAU.
Cependant, si personne ne le dit...
MOULINFROU.
Eh bien ! nous avons égaré notre fille... voilà !
TABARDON.
Comment ! la mariée !
MOULINFROU.
Oui... cette nuit... au bal de l’Opéra !...
MADAME MOULINFROU, pleurant.
Et depuis... pas de nouvelles...
TABARDON.
C’est affreux ! moi aussi, j’ai une fille... et si pareille chose... ah !
Il chancelle et tombe dans les bras de Goderleau. On le fait asseoir sur une chaise.
GODERLEAU, passant à droite.[93]
Ah ! mon Dieu ! le notaire se trouve mal !
MOULINFROU.
Allons ! bien ! il ne manquait plus que ça !
MADAME MOULINFROU, allant au fond à gauche.
Des sels.
Appelant.
Constance ! Constance !
CONSTANCE, entrant de gauche, deuxième plan.
Madame...
MADAME MOULINFROU.
Monsieur le notaire se trouve mal, vite ! un flacon !
CONSTANCE, elle sort.
Tout de suite !
MOULINFROU.
Il faudrait l’étendre... Ah ! dans mon cabinet... j’ai un divan...
Goderleau et Moulinfrou soutiennent Tabardon qu’ils font entrer à droite, deuxième plan. À Goderleau.
C’est déplorable, un notaire aussi sensible que ça !
MADAME MOULINFROU, au moment d’entrer.
Constance, dépêchez-vous !
CONSTANCE, entrant avec un flacon.
Voilà, madame !
Elle entend un grand bruit au dehors et s’arrête.
Tiens ! on dirait que quelqu’un dégringole les escaliers... ça le regarde... voilà, madame !
Elle entre à droite, deuxième plan. Au même instant Eusèbe paraît au fond effaré.
Scène X
EUSÈBE, seul, entrant du fond
Voilà donc que je monte chez la baronne... Je remets mes vers à un grand domestique en culotte courte... il me dit : Y a-t-il une réponse ? Je lui dis : Il y’en a une. Asseyez-vous qu’y me dit... Je m’assois dans l’antichambre. Voilà donc qu’après il arrive un grand monsieur décoré... avec des moustaches... Je me lève... c’est vous, qu’y me dit qui attendez une réponse ? Oui, monsieur, que je fais. Tournez-vous qu’y dit. Je m’ai tourné... et voilà donc que je ne sais pas ce qu’il m’a allongé dans le gras du dos... mais que ça m’a cassé mes échantillons, et que je me suis senti du champagne qui dégoulinait tout le long des jambes, en boulant dans les escaliers.
Il se retourne et l’on voit l’empreinte d’un pied très bien marqué sur les basques de son habit.
Je présuppose que c’est le mari... mais je ne sais pas avec quoi il m’a heurté... il n’avait rien dans les mains !
Il s’assied à gauche.
Scène XI
EUSÈBE, CONSTANCE, puis GODERLEAU[94]
CONSTANCE, reparaissant du côté droit, deuxième plan.
Le notaire va mieux... on lui a ôté son gilet et sa cravate !
À Eusèbe.
Eh bien ! vous savez la grande nouvelle ?
EUSÈBE, assis.
Non.
CONSTANCE.
Mamzelle qui est perdue !
EUSÈBE.
Qui ça, mamzelle ?
CONSTANCE.
Eh bien ! votre fiancée...
EUSÈBE, très calme.
Tiens ! tiens ! voyez-vous ça !
CONSTANCE.
Depuis le bal de l’Opéra, on ne l’a plus revue !
EUSÈBE, très calme.
Ah !... elle aura été faire une course !
CONSTANCE.
Comment ! Ça ne vous fait rien ?
EUSÈBE.
Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ! Tu sais bien que j’idole ailleurs...
CONSTANCE, minaudant.
Vous me l’avez dit... mais les hommes sont si variables...
EUSÈBE.
Oh ! pas moi ! pas moi !
CONSTANCE, penchant sa tête.
Dites donc, je les ai mises...
EUSÈBE.
Quoi ?
CONSTANCE.
Mais elles sont cachées sous mon bonnet... car si votre papa les voyait...
EUSÈBE.
Quoi ?
CONSTANCE, soulevant un des rubans de son bonnet.
Tenez... regardez !
EUSÈBE, stupéfait.
Les boucles d’oreilles !... pourquoi que tu ne les as pas données ?
CONSTANCE.
À qui ?
EUSÈBE.
À la sorcière qu’a des bas rouges.
CONSTANCE.
Mais la sorcière qu’a des bas rouges... c’était moi.
EUSÈBE.
Toi ! Tout en haut !... allons donc !
CONSTANCE.
Mais je vous jure...
EUSÈBE.
C’est pas vrai !... une fille qu’essuie les meubles et qui balaye les chambres ! allons donc !
CONSTANCE, se fâchant.
Ah ! mais dites donc !
EUSÈBE.
Eh bien ! si c’est toi !... répète-moi ce que je t’ai dit à l’Opéra !
CONSTANCE.
Je ne m’en souviens plus.
EUSÈBE
Tu vois... rends les boucles d’oreilles... ou je vas chercher le commissaire de police !
CONSTANCE, vivement.
Vous m’avez dit que j’étais un ange.
EUSÈBE.
Ça ne prouve rien... Après ?
CONSTANCE.
Vous m’avez parlé de mon bras...
EUSÈBE.
Après ?
CONSTANCE, baissant les yeux.
Après... vous m’avez serré la main.
EUSÈBE.
Assez !... c’est toi ! une femme de chambre... et je croyais que c’était une baronne... Je te donnerai autre chose, mais rends-moi les boucles d’oreilles...
CONSTANCE, à part.
Les rendre ! ah ! non !
Pleurant.
Ah ! je vois bien que vous ne m’aimez pas !
Elle passe à gauche.[95]
EUSÈBE.
Si !... ne pleure pas... et rends-les !
CONSTANCE.
Vous m’avez trompée... une pauvre fille de la campagne.
EUSÈBE.
D’où que tu es ?
CONSTANCE.
De Vitry-le-Brûlé.
EUSÈBE, stupéfait.
Une champenoise !... C’est égal... rends-les !...
CONSTANCE, pleurant.
Moi qui vous aimais déjà !
EUSÈBE.
Vrai !... pour de vrai ?
CONSTANCE.
Je vous trouvais aimable !
EUSÈBE.
Ah !
CONSTANCE.
Gentil !
EUSÈBE.
Ah !
CONSTANCE.
Spirituel !
EUSÈBE.
Ah ! eh ! bien !... rends-en une seulement !
CONSTANCE, pleurant.
J’avais envie de vous demander de vos cheveux... et voilà que vous ne m’aimez plus !
EUSÈBE, lui prenant les mains en cherchant à la consoler.
Voyons, ne pleure pas, bécasse... bécasse !
Il l’embrasse, à part.
Elle sent le jasmin... et la ciboulette !
CONSTANCE.
Je vous défends de m’embrasser... laissez mes mains...
EUSÈBE.
Non... elles sont douces... douces comme une peau de chat. Tiens ! tu m’inspires ! t’es un ange, garde-les toutes deux.
Il l’embrasse.
GODERLEAU, paraît à la porte de droite, deuxième plan.
Oh !
CONSTANCE, à part.
Ah !
Elle passe à gauche.
Le papa... Pas de chance !
Elle se sauve dans la chambre à gauche.
Scène XII
GODERLEAU, EUSÈBE, puis M. et MADAME MOULINFROU, TABARDON, puis POLYDORE[96]
GODERLEAU.
Encore après cette fille !
EUSÈBE.
Je la mettais dans mes intérêts...
GODERLEAU, à part.
Je ne sais pas ce qu’il a, cet animal-là !
M. et madame Moulinfrou rentrent avec Tabardon du côté droit, deuxième plan.
TABARDON.[97]
Merci.... ça va tout à fait bien.... Mon avis est qu’il faut faire des affiches.
MADAME MOULINFROU.
Et promettre une forte récompense.
MOULINFROU.
Vingt mille francs... s’il ne lui est rien arrivé...
POLYDORE, au fond côté gauche, pan coupé.[98]
Monsieur...
MOULINFROU, passant à Polydore.
Qu’est-ce qu’il y a ?
POLYDORE, entrant de gauche, deuxième plan.
Mamzelle est rentrée.
MADAME MOULINFROU.
Ma fille !
MOULINFROU.
Retrouvée !
TOUS.
Retrouvée !
MADAME MOULINFROU.
Mais où est-elle ?
Polydore sort par la gauche.
MOULINFROU.
Vite... courons !
Ils remontent au fond.
Scène XIII
GODERLEAU, EUSÈBE, M. et MADAME MOULINFROU, TABARDON, AUGUSTINE, entrant du fond, en bergère
MADAME MOULINFROU, sautant au cou d’Augustine.[99]
Ma fille !
MOULINFROU, de même.
Mon enfant ! le fruit de mon cœur !
MADAME MOULINFROU.
Mais que t’est-il arrivé ?
MOULINFROU.
Parle... Pourquoi as-tu quitté la loge à l’Opéra ?
AUGUSTINE.
Parce qu’un jeune homme est venu me chercher de votre part...
GODERLEAU, à part.
Un jeune homme !
AUGUSTINE.
Il m’a dit que nous avions rendez-vous à la Maison-d’Or pour souper... nous avons pris un fiacre.
MOULINFROU, à part.
Un fiacre !
Haut.
Continue... ne nous cache rien.
AUGUSTINE.
Arrivés devant une grande maison avec une allée... nous sommes montés au cinquième dans un cabinet particulier.
GODERLEAU, à part.
Saprelotte !
AUGUSTINE.
Et en vous attendant... j’ai mangé des crevettes.
EUSÈBE.
Papa, elle a fait la noce.
GODERLEAU.
Tais-toi !
MOULINFROU.
Et après les crevettes ?
AUGUSTINE.
Comme j’avais très soif... j’ai bu du champagne...
MADAME MOULINFROU.
Du champagne !
AUGUSTINE.
Plusieurs fois... c’est très bon ! Ça m’a étourdie... je me suis endormie... et alors...
MOULINFROU.
Alors ?
AUGUSTINE.
Je me suis réveillée... plus personne !
EUSÈBE, riant.
Ah ! c’est une bonne farce !
GODERLEAU.
Tais-toi donc !
AUGUSTINE.
Alors, j’ai pris l’ananas... il était payé... et je suis revenue... en voiture.
GODERLEAU, à part.
Très grave ! très grave !
MADAME MOULINFROU.
Un rapt !
MOULINFROU.
Un détournement !
TABARDON.
Si pareille chose était arrivée à ma fille !... ah ! rien que d’y penser...
MOULINFROU, à part.
Il va recommencer !
Haut.
Ne pensez pas à ça !
EUSÈBE.
Dites donc, papa, elle est bien bonne, ma future qui a oublié de rentrer...
GODERLEAU, bas.
Tais-toi ! c’est inconvenant ! Respecte au moins la douleur d’une famille !
EUSÈBE, à part.
Je vais raconter ça à la petite aux bas rouges.
Il sort par le fond en comprimant un rire.
MOULINFROU.[100]
Et dire que je ne connaîtrai jamais ce misérable !
AUGUSTINE.
Mais, tu le connais c’est M. Gaston.
TOUS.
Gaston !
MOULINFROU.
Lui !
MADAME MOULINFROU.
Et il a osé se présenter ici... il est dans le salon...
MOULINFROU.
Oh ! il va se passer des choses sinistres...
Il sonne.
MADAME MOULINFROU.
J’ai soif de son sang !
AUGUSTINE.
Maman !
POLYDORE, entrant de gauche pan coupé.
Monsieur a sonné.
MOULINFROU.
M. Gaston est dans le salon... Priez-le de venir.
Polydore sort par la gauche, pan coupé.
GODERLEAU, passant à Moulinfrou.[101]
Éloignez l’enfant, M. Moulinfrou.
Augustine remonte près de Tabardon.
Après l’incident qui vient de se produire... une demoiselle qui passe la nuit chez un jeune homme, à manger des crevettes et boire du champagne...
MADAME MOULINFROU.
Ah ! la pauvre enfant ! elle n’est pas coupable !
GODERLEAU.
Sans doute... mais elle s’est endormie... ah ! si elle ne s’était pas endormie... enfin, je vous prie de ne pas donner suite à des projets...
MOULINFROU.
Nous vous comprenons... entre gens de cœur, un mot suffit.
GODERLEAU, lui prenant la main.
Ah ! M. Moulinfrou !
MOULINFROU.
Ce que je regrette par dessous tout, c’est votre magnifique position de fortune...
GODERLEAU.
Comment ?
MOULINFROU, il va sonner, à la table de droite.
Mais c’est à M. Gaston à réparer sa faute.
MADAME MOULINFROU.
Et il la réparera, ventrebleu !
TABARDON, à la table.
Ah ! je dois vous prévenir que M. Gaston se marie dans quinze jours avec une autre demoiselle.
MOULINFROU.
Oh ! je ne crois pas.
TABARDON, à la table.
Mais s’il refuse...
MOULINFROU.
S’il refuse... je saurai bien le décider.
Il va au secrétaire et en tire un pistolet.
GODERLEAU, à part.
Un pistolet !
MADAME MOULINFROU, qui a pris un marteau sur un meuble au fond, à gauche.[102]
Je t’ai compris !
GODERLEAU.
Un instrument contondant !
AUGUSTINE.
Que vont-ils faire ?
MOULINFROU.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
MADAME MOULINFROU.
Un marteau à casser le sucre.
POLYDORE, annonçant de gauche, deuxième plan.
M. Gaston !
TOUS.
C’est lui !
Scène XIV
GODERLEAU, M. et MADAME MOULINFROU, TABARDON, GASTON, AUGUSTINE[103]
GASTON, entrant d’un air souriant.
Vous désirez me parler ?
MOULINFROU, le menaçant de son pistolet.
Misérable !
MADAME MOULINFROU, le menaçant de son marteau.
Polisson !
AUGUSTINE.
Mais papa... ce n’est pas celui-là.
MOULINFROU.
Hein ?
MADAME MOULINFROU.
Comment ?
AUGUSTINE.
Je ne connais pas monsieur.
MOULINFROU.
Un autre Gaston !
À Gaston.
Alors c’est une erreur... Je ne vous retiens plus. Mes respects à monsieur votre père.
Gaston sort par la gauche.
Scène XV
GODERLEAU, M. et MADAME MOULINFROU, TABARDON, AUGUSTINE, HENRI[104]
MOULINFROU.
Deux Gaston ?... Où trouver l’autre ?
HENRI, entrant au fond.
Je suis un peu en retard. C’est à monsieur Moulinfrou que j’ai l’honneur de parler ?
AUGUSTINE, le reconnaissant.
Ah ! papa... le voilà !...
HENRI.
La bergère !
MADAME MOULINFROU.
Lui !
MOULINFROU.
Misérable !
MADAME MOULINFROU.
Polisson !
GASTON.
Au secours !
GODERLEAU.
Henri ! mon fils !
TOUS.
Son fils !
HENRI.
Mais oui, je viens pour signer le contrat de mon frère.
MADAME MOULINFROU, à Henri.
Qu’as-tu fait de l’honneur de mon enfant ?
GODERLEAU.
Comment ! C’est lui !... la fiancée de son frère !
MOULINFROU, à Henri.
Le contrat est prêt... et je vous intime l’ordre d’épouser ma fille, sans retard, ni réserves...
HENRI.
Mademoiselle ?... Mais je ne demande pas mieux.
AUGUSTINE, à part.
Il est plus gentil que l’autre.
GODERLEAU, passant à Moulinfrou.[105]
Monsieur Moulinfrou, j’ai l’honneur de vous demander la main de votre fille... pour l’infâme polisson que voici.
MOULINFROU.
Monsieur... J’apprécie l’honneur que vous me faites... quand à votre fils, je l’accepte avec répugnance et mépris.[106]
Faisant passer Augustine à Henri.
HENRI.
Ah ! monsieur, que de reconnaissance !
TABARDON, à part.
Allons ! Ça s’arrange !
GODERLEAU.
Il n’y a que les prénoms à changer.
MOULINFROU, à Tabardon.
Vous ferez un renvoi.
TABARDON.
Encore !...
Écrivant.
Que de ratures !... Mon Dieu ! que de ratures !
GODERLEAU, à Moulinfrou.
Ça me chagrine pour ce pauvre Eusèbe... ça va lui porter un coup... mais où diable est-il passé ?
MOULINFROU, sonnant.
Il vaut mieux le prévenir tout de suite. Je vais le faire demander.
Scène XVI
GODERLEAU, M. et MADAME MOULINFROU, TABARDON, AUGUSTINE, HENRI, CONSTANCE, EUSÈBE, puis POLYDORE[107]
Constance entre au coup de sonnette, elle tient le bout d’un écheveau de fil qu’elle roule en peloton.
CONSTANCE.
Voilà, madame.
Eusèbe la suit tenant l’écheveau dans ses doigts. Constance s’en aperçoit et brise le fil. À part.
Est-il bête !
Allant à l’extrême droite. Eusèbe reste isolé, tenant son écheveau dans ses doigts.
GODERLEAU, l’apercevant.
Eh bien ! qu’est-ce que tu fais-là ?
EUSÈBE.
Je me rends utile.
MOULINFROU, à part.
C’est une bonne nature.
HENRI.
Bonjour, Eusèbe.
EUSÈBE.
Mon frère !
GODERLEAU, le faisant passer à droite.[108]
Mais laisse donc cet écheveau... et écoute-moi... mon ami, je vais te porter un coup.
EUSÈBE.
Quoi que j’ai fait ?
GODERLEAU.
Des raisons de haute convenance... qu’il est inutile de t’expliquer, nous obligent à marier ton frère... à celle que ton cœur avait choisie.
EUSÈBE.
Ah ! bah !
CONSTANCE.
Tiens !
EUSÈBE.
Tais-toi.
Moulinfrou et Tabardon placent la table au milieu. Tout le monde à la table. Goderleau, Eusèbe, Constance à l’avant-scène de droite.
GODERLEAU.
Du courage, mon enfant... nous te trouverons une autre fiancée... plus belle... plus jeune... plus spirituelle.
MOULINFROU, descendant à Goderleau.
Qu’est-ce que vous dites donc ?
GODERLEAU, regardant son habit.
C’est pour le consoler. Mais qu’est-ce que tu as donc là ? un pied... tu t’es assis sur une botte...
EUSÈBE.
C’est une affaire de cœur avec un colonel.
TABARDON.
Au tour du marié.
HENRI, allant pour signer.
Voilà !
MONSIEUR et MADAME MOULINFROU, l’arrêtent et le font descendre à l’avant scène.
Un instant !
MOULINFROU.
Monsieur, je me défie de vos allures ; mais si vous ne rendez pas mon Augustine heureuse...
HENRI.
Oh ! je vous jure...
MOULINFROU.
Si je n’ai pas une petite fille l’année prochaine.
MADAME MOULINFROU.
Et moi un garçon...
HENRI.
Comment, les deux ?
MOULINFROU.
Je ne vous en dis pas davantage...
MADAME MOULINFROU.
Ni moi.
HENRI.
Enfin, je ferai de mon mieux.
Tous remontent et l’on voit Augustine signer au contrat.
CHŒUR.
Air : de la mariée.
Pour eux plus de nuage,
En ce beau jour, ils vont s’unir ;
Cet hymen leur présage
Et le bonheur et le plaisir.
[1] Constance, madame Moulinfrou.
[2] Madame Moulinfrou, M. Moulinfrou, Constance, au fond près la jardinière.
[3] M. Moulinfrou, madame Moulinfrou, Constance.
[4] Madame Moulinfrou, Constance.
[5] Madame Moulinfrou, M. Moulinfrou.
[6] Madame Moulinfrou, Polydore, M. Moulinfrou.
[7] Madame Moulinfrou, M. Moulinfrou, Polydore.
[8] M. Moulinfrou, Constance, au fond, Polydore.
[9] Polydore, Constance.
[10] Augustine, Madame Moulinfrou, Polydore, Constance, au fond, puis va à la jardinière.
[11] Augustine, madame Moulinfrou, Constance.
[12] Moulinfrou, Augustine, madame Moulinfrou.
[13] Madame Moulinfrou, M. Moulinfrou, Augustine.
[14] Augustine, Moulinfrou, madame Moulinfrou.
[15] Augustine. Moulinfrou, Goderleau, madame Moulinfrou.
[16] Goderleau, Moulinfrou, La Baronne, madame Moulinfrou, Augustine.
[17] Moulinfrou, Goderleau, La Baronne, madame Moulinfrou, Augustine.
[18] Goderleau. La Baronne, madame Moulinfrou, Moulinfrou, Augustine.
[19] La Baronne, Goderleau, Eusèbe, Moulinfrou, madame Moulinfrou, Augustine.
[20] La Baronne, Goderleau, Moulinfrou, Eusèbe, madame Moulinfrou, Augustine.
[21] La Baronne, Moulinfrou, Goderleau, Eusèbe, madame Moulinfrou, Augustine.
[22] La Baronne, Eusèbe, Goderleau Moulinfrou, madame Moulinfrou, Augustine.
[23] La Baronne, Moulinfrou, Goderleau, Eusèbe, madame Moulinfrou, Augustine.
[24] La Baronne, madame Moulinfrou, Augustine. Moulinfrou, Eusèbe, Goderleau.
[25] La Baronne, madame Moulinfrou, Augustine. (Goderleau et Eusèbe au fond à droite, Moulinfrou à la table.)
[26] La Baronne, madame Moulinfrou, Augustine. (Goderleau et Eusèbe au fond à droite, Polydore, Moulinfrou à la table.)
[27] La Baronne, madame Moulinfrou, Augustine, Moulinfrou, Goderleau, Eusèbe, assis sur le canapé.
[28] Augustine en fond et plaçant la petite table au milieu de la scène.
[29] La Baronne, madame Moulinfrou, Moulinfrou, (Augustine au fond.) Goderleau, Eusèbe.
[30] Goderleau, La Baronne, madame Moulinfrou, M. Moulinfrou, Constance au fond à droite, Augustine.
[31] Goderleau, La Baronne, (Augustine derrière le canapé.) madame Moulinfrou, M. Moulinfrou, Eusèbe.
[32] La Baronne, madame Moulinfrou, Augustine, Moulinfrou, Goderleau, Polydore, Eusèbe.
[33] Madame Moulinfrou, Polydore, Augustine, Moulinfrou, (Constance au fond.)
[34] Henri, Polydore.
[35] Constance, Polydore.
[36] Le Garçon, Polydore, Constance.
[37] Constance, Henri.
[38] Henri (à la table), Constance.
[39] Polydore, Henri, Constance.
[40] Henri, Polydore, Constance.
[41] Constance, Polydore, Henri.
[42] Madame Moulinfrou, Moulinfrou, Augustine.
[43] La Pierrette, Polydore.
[44] Henri.
[45] Eusèbe.
[46] Un Pèlerin, Eusèbe, une Pierrette, (Masques).
[47] Eusèbe, Moulinfrou, (Masques de chaque côté.)
[48] Moulinfrou, Eusèbe.
[49] Henri.
[50] La dame du buffet, Eusèbe.
[51] Constance, Eusèbe.
[52] Augustine, Moulinfrou, madame Moulinfrou.
[53] Le Garçon du comptoir, Henri.
[54] Madame Moulinfrou, M. Moulinfrou, Augustine.
[55] Moulinfrou, Constance.
[56] Moulinfrou, Eusèbe.
[57] Henri.
[58] La Marquise, Polydore.
[59] Constance, le Jockey.
[60] Constance, Eusèbe, le Jockey.
[61] Eusèbe, L’inspecteur, (Masques).
[62] Eusèbe, Moulinfrou, L’inspecteur.
[63] Henri, madame Moulinfrou.
[64] Henri, Augustine.
[65] Madame Moulinfrou, Moulinfrou.
[66] Henri, Augustine.
[67] Augustine, Henri.
[68] Henri, Augustine.
[69] Augustine, Henri.
[70] Augustine, Henri.
[71] Henri, Augustine.
[72] Henri, Augustine.
[73] Augustine, Henri.
[74] Henri, Augustine.
[75] Augustine, Henri.
[76] Madame Moulinfrou, Constance.
[77] Madame Moulinfrou, M. Moulinfrou.
[78] Madame Moulinfrou, Tabardon, Moulinfrou.
[79] Tabardon, Moulinfrou.
[80] Constance, Moulinfrou.
[81] Constance, Polydore.
[82] Goderleau, Polydore au fond, Eusèbe.
[83] Constance, Goderleau, Eusèbe.
[84] Goderleau, Constance, Eusèbe.
[85] Constance, Eusèbe.
[86] Eusèbe, Constance.
[87] Constance, Goderleau, Eusèbe.
[88] Eusèbe, Goderleau, Tabardon.
[89] Goderleau, Tabardon.
[90] Madame Moulinfrou, Goderleau, Tabardon.
[91] Madame Moulinfrou, Goderleau, Tabardon, (à la table.)
[92] Madame Moulinfrou, Moulinfrou, Goderleau, Tabardon.
[93] Madame Moulinfrou, Moulinfrou, Tabardon, Goderleau.
[94] Eusèbe, Constance.
[95] Constance, Eusèbe.
[96] Eusèbe, Goderleau.
[97] Eusèbe, Goderleau, madame Moulinfrou, Tabardon, Moulinfrou.
[98] Eusèbe, Goderleau, Polydore, Moulinfrou, Tabardon.
[99] Eusèbe, Goderleau, madame Moulinfrou, Augustine, Moulinfrou, Tabardon.
[100] Goderleau, madame Moulinfrou, Augustine, Moulinfrou, Tabardon.
[101] Madame Moulinfrou, Goderleau, Moulinfrou, (Tabardon à la table) Augustine.
[102] Goderleau, madame Moulinfrou, M. Moulinfrou, Augustine, (Tabardon à la table.)
[103] Goderleau, madame Moulinfrou, Gaston, Moulinfrou, Augustine, Tabardon (à la table.)
[104] Goderleau, madame Moulinfrou, Henri, M. Moulinfrou, Augustine, Tabardon (à la table.)
[105] Madame Moulinfrou, Henri, Goderleau, Moulinfrou, Augustine, Tabardon (à la table.)
[106] Madame Moulinfrou, Henri, Augustine, Goderleau, Moulinfrou, Tabardon (à la table.)
[107] Madame Moulinfrou, Henri, Augustine, Eusèbe, Goderleau, Moulinfrou, Tabardon, Constance.
[108] Madame Moulinfrou, Tabardon (à la table), Henri, Augustine, Moulinfrou, (Goderleau, Eusèbe, Constance, à l’avant scène de droite.)