La Parisienne (Henry BECQUE)
Comédie en trois actes.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Renaissance, le 7 février 1885.
Personnages
CLOTILDE
ADÈLE
DU MESNIL
LAFONT
SIMPSON
La scène se passe à Paris, de nos jours.
ACTE I
Le théâtre représente un salon élégant. Au fond, porte à deux battants ; au fond également, à gauche, une deuxième porte à deux battants ; à droite, une fenêtre. Portes latérales, celle de droite, dans le milieu, à deux battants ; celle de gauche, simple et au premier plan. À droite, contre le mur, un meuble-secrétaire. En scène, à gauche, une table-guéridon et sur la table un buvard. Meubles divers, glaces, fleurs, etc.
Scène première
CLOTILDE, LAFONT
Au lever du rideau, la scène est vide. Clotilde habillée, gantée, son chapeau sur la tête, entre par le fond, précipitamment. Elle tient une lettre fermée à la main. Elle va à la table, lève le buvard et cache la lettre dessous. Elle gagne le meuble-secrétaire, tout en tirant un trousseau de clefs de sa poche. Lafont paraît à ce moment. Il la voit là. Elle fait mine de fermer le secrétaire à triple tour. Lafont dépose son chapeau et s’avance sur Clotilde, très ému, en se dominant avec peine.
LAFONT.
Ouvrez ce secrétaire et donnez-moi cette lettre.
CLOTILDE.
Non.
Un temps.
LAFONT.
Ouvrez ce secrétaire et donnez-moi cette lettre.
CLOTILDE.
Je ne le veux pas.
Un autre temps plus long que le premier.
LAFONT.
D’où venez-vous ?
CLOTILDE.
Ah ! C’est autre chose maintenant.
LAFONT.
Oui, c’est autre chose. Je vous demande d’où vous venez.
CLOTILDE.
Je vais vous le dire. – Je voudrais que vous vous regardiez en ce moment pour voir la figure que vous me faites. Vous n’êtes pas beau, mon ami. Vous me plaisez mieux dans votre état ordinaire. Où irons-nous, mon Dieu, si vous perdez toute mesure pour un méchant billet que le premier venu peut-être m’a adressé ?
LAFONT.
Ouvrez ce secrétaire et donnez-moi cette lettre.
CLOTILDE.
Vous allez l’avoir. – Vous devez penser que des scènes comme celle-ci, si elles se renouvelaient fréquemment, me détacheraient bien vite de vous. Je ne pourrais pas, je vous en préviens, subir un interrogatoire chaque fois que j’aurais mis le pied dehors.
LAFONT.
D’où venez-vous ?
CLOTILDE.
Tâchez donc d’être logique au moins, je vous le conseille. Il n’est pas probable que je quitte quelqu’un et qu’en rentrant chez moi je trouve un mot de lui.
LAFONT.
Ouvrez ce secrétaire et donnez-moi cette lettre.
CLOTILDE.
Vous plaisantez, n’est-ce pas ?
LAFONT.
Je n’en ai pas l’air.
CLOTILDE.
Vous me soupçonnez alors ?
LAFONT.
C’est plus probable.
Il lui montre le secrétaire de la main.
CLOTILDE.
Vous le voulez ? Vous l’exigez ? Vous me le commandez ? C’est bien.
Elle cherche lentement, avec affectation, la poche de sa robe ; elle en retire un mouchoir d’abord, un carnet et les clefs ; elle remet le carnet et le mouchoir ; jetant les clefs à la volée.
Ouvrez vous-même.
Elle le quitte ; il reste immobile, indécis, rongeant son frein.
Allons, ramassez donc et allez ouvrir. Quand on a commencé, on va jusqu’au bout. On montre qu’on est un homme.
Il se décide, se dirige vers les clefs et se baisse ; le rejoignant.
Prenez bien garde à ce que vous allez faire. Si vous touchez ces clefs du bout des doigts... du bout des doigts... ce n’est pas moi qui le regretterai, ce sera vous.
LAFONT, hésite, ramasse les clefs et les lui donne.
Reprenez vos clefs.
Pause pendant laquelle Clotilde ôte son chapeau et ses gants, se met chez elle.
CLOTILDE.
Ça augmente, vous savez.
LAFONT.
Qu’est-ce qui augmente ?
CLOTILDE.
Le mal est en progrès, je vous en avertis.
LAFONT.
Quel mal ?
CLOTILDE.
Je m’étais bien aperçue déjà que vous me surveilliez et je riais de la peine que vous vous donniez... si inutilement. Jusqu’ici cependant il n’y avait rien à dire. C’était de la jalousie, mais une jalousie aimable, qui flatte l’amour-propre d’une femme et dont elle s’amuse. Vous venez de passer à l’autre, la jalousie stupide, grossière, brutale, celle qui nous blesse profondément et que nous ne pardonnons jamais deux fois. Recommencerez-vous ?
LAFONT.
Clotilde ?
CLOTILDE.
Recommencerez-vous ?
LAFONT.
Non.
CLOTILDE.
À la bonne heure.
LAFONT.
Clotilde ?
CLOTILDE.
Quoi, mon ami.
LAFONT.
Vous m’aimez ?
CLOTILDE.
Aujourd’hui moins qu’hier.
LAFONT.
Vous désirez me voir heureux ?
CLOTILDE.
Je vous l’ai montré assez, je crois.
LAFONT.
J’ai peur de tous ces jeunes gens que vous rencontrez et qui tournent autour de vous.
CLOTILDE.
Vous avez bien tort. Je cause avec l’un et avec l’autre ; le dos tourné, je ne sais plus seulement qui m’a parlé.
LAFONT.
Vous ne vous rappelez personne que vous auriez encouragé sans le vouloir et qui se serait cru autorisé à vous écrire ?
CLOTILDE.
Personne.
LAFONT, piteusement.
Ouvrez ce secrétaire et donnez-moi cette lettre.
CLOTILDE.
Encore ! Cette lettre est de mon amie, Madame Doyen-Beaulieu,
Mouvement de Lafont.
la plus vertueuse des femmes... sous ses airs évaporés. Je sais ce que Pauline m’écrit, et je serai la première à vous le dire quand vous ne me le demanderez plus.
LAFONT.
Clotilde ?
CLOTILDE.
Après ?
LAFONT.
Vous êtes raisonnable ?
CLOTILDE.
Plus que jamais.
LAFONT.
La tête est tranquille ?
CLOTILDE.
La tête est tranquille et le cœur aussi.
LAFONT.
Pensez à moi, Clotilde, et pensez à vous. Dites-vous qu’une imprudence est bien vite commise et qu’elle ne se répare jamais. Ne vous laissez pas aller à ce goût des aventures, qui fait aujourd’hui tant de victimes. Résistez, Clotilde, résistez ! En me restant fidèle, vous restez digne et honorable ; le jour où vous me tromperiez...
Elle l’arrête, fait quelques pas vers la deuxième porte du fond et revient.
CLOTILDE.
Prenez garde, voilà mon mari.
Scène II
CLOTILDE, LAFONT, DU MESNIL
DU MESNIL.
Je savais bien que c’était Lafont que j’entendais ! Allez-vous, parlez-vous, potinez-vous, quand vous êtes ensemble ; le tonnerre ne vous arrêterait pas !
CLOTILDE, allant à lui, à mi-voix.
Tu étais donc rentré ?
DU MESNIL.
Oui, j’étais rentré.
CLOTILDE.
Depuis longtemps ?
DU MESNIL.
Depuis quelque temps.
CLOTILDE.
Il me semble, lorsqu’un de tes amis est là, que tu pourrais te montrer et le recevoir.
DU MESNIL.
Je terminais quelque chose.
CLOTILDE.
Qu’est-ce que t’a dit ton oncle ?
DU MESNIL.
Je ne l’ai pas trouvé.
CLOTILDE.
On ne le rencontre pas aisément.
DU MESNIL.
Il m’a fait dire de revenir aujourd’hui.
CLOTILDE.
Veux-tu que je t’accompagne ?
DU MESNIL.
Tu nous gênerais.
CLOTILDE.
Merci.
DU MESNIL, allant à Lafont et lui tendant la main.
Comment vas-tu ?
LAFONT.
Pas mal. Et toi ?
DU MESNIL.
Peuh ! Je ne suis pas bien gaillard en ce moment !
LAFONT.
Qu’est-ce que tu as ?
DU MESNIL.
Je travaille beaucoup et ma santé s’en ressent.
LAFONT.
On se repose alors.
DU MESNIL.
Il faut du temps et de l’argent pour se reposer.
LAFONT.
De l’argent, tu en gagnes.
DU MESNIL.
Je le reçois d’une main et je le donne de l’autre.
LAFONT.
C’est amusant, ça.
DU MESNIL.
C’est amusant... quand on est garçon.
CLOTILDE.
As-tu bientôt fini de te plaindre, hein ? Crois-tu que tu intéresses M. Lafont et que tu me fasses plaisir ? À quel propos toutes ces lamentations ? Tu manges bien ; tu dors bien ; je ne connais pas de mari qu’on dorlote comme toi. Tu travailles ! Sans doute, tu travailles ! Tout le monde travaille ! Si j’étais à ta place, je ferais quatre fois plus de besogne et j’en parlerais quarante fois moins.
DU MESNIL.
Elle est superbe, ma femme ! On ne sait pas, mon cher, ce que c’est qu’une maison comme la mienne, où les charges augmentent tous les ans et où les habitudes deviennent plus coûteuses tous les jours.
CLOTILDE.
Tu continues ?
DU MESNIL.
Laisse-moi parler un peu. Je ne vous ai pas dérangés tout à l’heure. Assieds-toi et prends ton ouvrage, puisque tu es si laborieuse. Jette un coup d’œil sur les culottes de tes enfants, ça ne fera pas mal ; ces pauvres petits ont toujours leur postérieur à l’air.
CLOTILDE.
Je les gâte trop.
DU MESNIL.
Mais tu ne les raccommodes pas assez.
CLOTILDE.
La femme de chambre est là pour ça.
DU MESNIL.
Nous sommes logés aussi modestement que possible, je paye très cher pour vivre dans une prison. Les domestiques aujourd’hui ne se contentent plus de gages, ce sont des appointements qu’il leur faut. Nous dînons en ville souvent, c’est vrai, presque tous les jours ; mais ma femme, naturellement, veut être habillée comme toutes ces dames, et ce qu’on économise d’un côté, on le dépense de l’autre. On dîne mieux, voilà l’avantage.
CLOTILDE.
Tu y es sensible.
DU MESNIL.
Je ne dis pas non. J’aime mieux faire un bon repas dehors qu’un mauvais chez moi.
CLOTILDE, allant sur lui.
Finis, je te prie, et parlons de choses plus agréables.
DU MESNIL.
Tu es célibataire, mon cher Lafont, eh bien, crois-moi, reste-le.
LAFONT.
Est-ce votre avis, Madame ?
CLOTILDE.
Mariez-vous ou ne vous mariez pas, ça ne regarde que vous.
Elle s’éloigne.
DU MESNIL.
Veux-tu être plus aimable que ma femme et écouter ce que je vais te dire ?
LAFONT.
Très volontiers.
DU MESNIL.
On fait de grandes démarches en ce moment pour moi, des démarches qui en valent la peine.
LAFONT.
Conte-moi ça.
DU MESNIL.
C’est mon oncle, mon oncle Jean-Baptiste, le membre de l’Institut, que ma situation ne satisfait pas depuis longtemps. Il veut que je rentre dans l’administration des Finances. Il a là des amis, la plupart me connaissent, ces messieurs se sont entendus pour me trouver une recette particulière.
LAFONT.
Voilà la position qui te conviendrait, que tu remplirais à ton aise et où tu n’aurais plus besoin de personne.
DU MESNIL.
Je ne marche pas mal en ce moment. Je suis très apprécié maintenant par mes Sociétés ; il ne s’y écrit pas un chiffre qui ne me passe sous les yeux. On recherche beaucoup ma collaboration au Moniteur des Intérêts agronomiques, où je lance un pétard de temps en temps, ça me fait connaître. J’accepte tout ce qui se présente. Mais mon oncle n’entend pas de cette oreille-là. Il trouve qu’à mon âge, avec une femme et des enfants, on doit s’être fait sa place quelque part.
LAFONT.
Il a raison.
DU MESNIL.
Il a peut-être raison. Je ne suis pas un mathématicien, je ne suis pas un économiste, je suis... autre chose. Je te dirai, entre nous, que mon petit ouvrage, mes Considérations morales sur le budget ont été très recherchées. Ces livres-là ne s’adressent qu’à un public de choix et ne s’enlèvent pas comme des romans. Cependant on a vendu, à l’heure qu’il est, de mes Considérations, 119 exemplaires... ou 118. Il y a un exemplaire qui ne se retrouve pas. On l’a peut-être volé. Je vois là toute une sphère nouvelle pour moi, un filon à exploiter.
LAFONT.
Occupe-toi de ta recette d’abord, c’est le plus sûr, tu feras après ce que tu voudras. Je vais chercher de mon côté à te donner un coup d’épaule.
DU MESNIL.
Garde-t’en bien. Mon oncle s’est avancé dans cette affaire et il veut être seul avec ses amis à la terminer. Il me semble, lorsqu’un membre de l’Académie des sciences morales et politiques consent à solliciter, lorsqu’il sollicite pour son neveu, lorsque ce neveu... est quelque chose, que le Gouvernement n’a plus qu’à accorder. Est-ce ton avis ?
LAFONT.
Les places ne sont pas toujours à sa disposition.
DU MESNIL.
Je sais qu’il le pourra prochainement.
LAFONT.
Dis-moi. Il est clair qu’on t’a promis une recette à Paris ?
DU MESNIL.
À Paris, bien entendu. Ma femme ne pourrait pas vivre en province.
Clotilde, pendant cet aparté, est venue s’asseoir près de la table ; elle a retiré la lettre de dessous le buvard et a profité de ce que son mari lui tournait le dos pour la montrer à Lafont, à plusieurs reprises, avec un geste qui signifie : xi, xi, la voilà. Ce jeu de scène doit être calculé de telle manière que les derniers mots de Du Mesnil : « Ma femme ne pourrait pas vivre en province », tombent dessus.
CLOTILDE, après s’être levée.
Adolphe, lis cette lettre.
DU MESNIL, se retournant.
Qu’est-ce qu’elle dit, cette lettre ?
CLOTILDE.
Ouvre-la et tu le verras.
Lui donnant la lettre.
C’est Pauline qui m’écrit.
DU MESNIL, lisant.
« Ma chérie, tu vas recevoir, si ce n’est déjà fait, une invitation de Madame Simpson pour son grand bal du 25. Ton amour-propre était en bonnes mains et n’a pas eu à souffrir. J’ai prononcé ton nom, on l’a saisi au vol, en me disant qu’on te connaissait bien, que tu étais une fort jolie personne et qu’on serait charmée de t’avoir à ses soirées. Te voilà de la maison. – Je suis bien sûre que mon amie te plaira et que vous vous entendrez très bien ensemble. Ah ! dame ! elle n’est plus de la première jeunesse. Tu me diras l’âge que tu lui donnes et je te dirai celui qu’elle a. Ça n’empêche pas qu’au bal, décolletée, avec tous ses diamants, l’ex-belle Madame Simpson ne fasse encore illusion. Des bras ! Des yeux ! Une façon de sourire que je n’ai vue qu’à elle ! Et quelle indulgence ! Elle ne se choque de rien ; elle comprend toutes les faiblesses ; il n’est pas de légèreté, si grande qu’elle soit, qui ne lui paraisse intéressante ou excusable. C’est une véritable grande dame. »
Du Mesnil, mécontent et choqué, tourne les yeux vers Lafont. Celui-ci, plus affecté encore, attendait ce regard ; ils échangent leur fâcheuse impression en hochant plusieurs fois la tête.
DU MESNIL, revenant sur la lettre.
Et quelle indulgence !
Il regarde Lafont ; même jeu de scène.
Elle ne se choque de rien !
Même jeu.
Elle comprend toutes les faiblesses !
Même jeu.
Il n’est pas de légèreté, si grande qu’elle soit...
Allant à Clotilde qui se trouve placée entre les deux hommes ; à sa droite.
Je n’aime pas beaucoup la lettre de Pauline.
LAFONT, à sa gauche.
Votre amie, Madame, est bien inconséquente.
DU MESNIL.
Tu vois, hein, tu vois. Je la connais, cette Madame Simpson ; il court de drôles d’histoires sur son compte.
LAFONT.
Madame Simpson a une réputation déplorable.
DU MESNIL.
Tu entends, hein, tu entends. Je ne veux pas te mener dans une maison compromettante.
LAFONT.
Votre place n’est pas là, je vous assure, au milieu de femmes déconsidérées.
DU MESNIL.
Eh bien ? Ça doit te frapper de voir que Lafont et moi nous pensons exactement de la même manière.
CLOTILDE.
C’est bien. Nous ferons ce que tu voudras.
Regardant Lafont.
Si nous n’allons pas chez Madame Simpson, nous irons ailleurs, voilà tout. Mais à l’avenir, tu attendras, pour parler de certaines choses, que nous soyons seuls. Je n’ai pas l’habitude de consulter des étrangers.
Elle les quitte brusquement.
DU MESNIL.
Qu’est-ce que tu dis ? Lafont ! Un étranger !
À Lafont.
Il y a donc de la brouille avec Clotilde ?
LAFONT.
C’est toi, depuis que tu es ici, qui l’irrites bien inutilement.
DU MESNIL, allant à Clotilde.
Je m’en vais.
CLOTILDE, sèchement.
Bon voyage !
DU MESNIL.
Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui ?
CLOTILDE.
Ce qui me plaira.
DU MESNIL.
Où dînons-nous ce soir ?
CLOTILDE.
Je n’en sais rien.
DU MESNIL.
Comme tu me réponds !
CLOTILDE.
Je vais me gêner avec un homme querelleur et désobligeant.
DU MESNIL.
Tu tiens donc bien à aller à ce bal.
CLOTILDE.
Il ne s’agit pas de ce bal. Je l’avais déjà oublié. Je n’ai plus vingt ans, je crois, pour me préoccuper d’un bal de plus ou de moins. Tu te plains ! Tu cries ! Tu frappes sur ta femme sans le plus petit égard pour elle ! Quelqu’un qui t’entendrait se ferait une bien triste idée et une bien fausse idée de notre intérieur.
DU MESNIL.
Je plaisante, bébête, ne te fâche donc pas. Tu en trouveras beaucoup de maris comme moi. Je grogne pendant trois secondes, et, quand tu as décidé quelque chose, il faut toujours y arriver. Qui est-ce qui est le maître ici ?
Elle sourit.
Je pense beaucoup à cette recette, qui serait une grosse affaire pour nous et qui devrait te préoccuper davantage. Allons, Clotilde, bien raisonnablement, crois-tu que je réussisse ?
CLOTILDE.
Nous verrons.
DU MESNIL.
J’ai des titres, n’est-ce pas ?
CLOTILDE.
Les titres ! Ça ne compte pas.
DU MESNIL.
Je suis appuyé par des hommes compétents.
CLOTILDE.
Ils n’ont pas d’influence.
DU MESNIL.
Et ce grand patronage de l’Institut ne te paraît pas décisif ?
CLOTILDE.
Tu ne veux pas que je m’en mêle, tu as peut-être tort.
DU MESNIL.
Qu’est-ce que tu ferais ?
CLOTILDE.
Mille choses, qui ne coûtent rien à une femme et dont elle s’occupe en se promenant. Je mettrais toutes mes amies en campagne, Pauline d’abord. Elle t’estime tant, Pauline ! Elle voudrait bien que son mari te ressemblât ! Pauline, qui est très liée avec Madame Simpson, l’aurait intéressée à notre ménage. Tu me fais rire quand tu ne veux pas aller chez Madame Simpson. Elle se moque bien de nous. Elle reçoit tout ce qu’il y a de mieux à Paris. Elle a tous les jours deux ou trois ministres à sa table. Elle t’aurait fait dîner avec eux. Tu leur aurais exposé ta situation, tranquillement, d’égal à égal, en fumant de gros cigares, comme tu les aimes, et le jour où tes hommes compétents seraient venus te dire : Nous sommes bien fâchés, la place était promise ; tu leur aurais répondu : Je le sais bien, j’ai ma nomination dans ma poche. Voilà comme je comprends les affaires !
DU MESNIL.
Tu as peut-être raison. Écoute. Ne précipitons rien. Si je vois à un moment que les choses tournent mal et que mes relations ne suffisent pas, nous essayerons alors d’utiliser les tiennes.
CLOTILDE.
Quand tu voudras...
Bas.
Tu sais que c’est ma devise avec toi.
Ils rient.
DU MESNIL.
Je vais voir mon oncle. Est-ce que j’emmène Lafont ou bien le gardes-tu ?
CLOTILDE.
Je le garde. Il m’impatiente, mais il m’amuse. Son nez me fait toujours rire.
Ils rient.
DU MESNIL.
Tu le traites mal, ce pauvre Lafont, qui est aimable et obligeant.
CLOTILDE, à l’oreille de son mari.
Je ne voudrais pas qu’un homme m’embrassât avec un nez pareil.
Ils rient.
DU MESNIL, allant à Lafont.
Allons, au revoir. Ne m’accompagne pas, va, si je suis aussi désagréable que le dit ma femme. Tu ne sais pas ce que c’est, toi, qu’une femme et des enfants. On les aime beaucoup, on ne pense qu’à eux, on se trouverait tout bête s’ils vous manquaient, et ça n’empêche pas par moments de les envoyer à tous les diables.
Il sort.
Scène III
CLOTILDE, LAFONT
CLOTILDE.
Voyez un peu que de prudence il faut avoir ; mon mari serait entré une minute plus tôt, j’étais perdue.
Un temps.
LAFONT.
Vous vous êtes moquée de moi.
CLOTILDE.
Comment cela ?
LAFONT.
Avec cette lettre !
Elle rit.
Il eût été si simple de me la montrer tout de suite.
CLOTILDE.
Je pensais qu’elle ne vous ferait pas plaisir, je ne me suis pas trompée. Et puis c’était un piège que je vous tendais. Je voulais savoir si vous vous arrêteriez à temps.
LAFONT.
Pour une autre fois.
CLOTILDE.
Pour une autre fois précisément. Êtes-vous bête, mon ami, et malchanceux dans vos suppositions. Tenez, je veux bien faire quelque chose pour vous, quoique vous ne le méritiez guère. Mon mari ouvre toutes mes lettres, toutes, sans exception, je l’ai préféré ainsi, vous voilà tranquille de ce côté. Asseyez-vous et causons un peu, je vous en prie. Causons sans nous fâcher, n’est-ce pas ? Mon mari d’une part, vous de l’autre, c’est peut-être beaucoup dans le même jour. Voulez-vous me dire quelle mouche vous pique et ce que signifie cette jalousie, qui pourrait devenir inquiétante ? Ça vous a pris tout d’un coup, sans crier gare... aux environs du 15 janvier.,
Il la regarde, elle sourit.
J’ai une raison pour me rappeler cette date.
LAFONT.
Quelle raison ?
CLOTILDE.
J’en ai une, ça suffit. Vous n’allez pas maintenant vous arrêter sur chaque mot. Allons, parlez un peu, je vous écoute.
LAFONT, après avoir hésité.
D’où venez-vous ?
CLOTILDE, riant.
C’est vrai. Je vous demande pardon, mon ami. J’oubliais que vous m’aviez fait cette question plusieurs fois et que je n’y avais pas encore répondu. J’avais un rendez-vous, ne vous emportez pas, avec ma modiste, où l’on ne rencontre que fort peu de messieurs, je vous assure. Vous me permettez bien d’aller de temps en temps chez ma modiste ? Maintenant faites ce que je désire et répondez-moi. Que je sache quels sont mes torts envers vous, j’aurai toujours bien de la peine à m’en trouver.
LAFONT.
Je ne vous vois plus.
CLOTILDE.
Bah ! Et que faites-vous donc en ce moment ? Est-ce que je ne suis pas là ? Tant pis pour vous, si vous perdez en discussions et en querelles un temps que nous pourrions employer plus agréablement.
LAFONT.
Je vous ai attendue toute cette semaine... la semaine dernière aussi... la semaine précédente encore...
CLOTILDE.
Taratata. Pourquoi pas depuis un an ? Et quand cela serait, quand je vous aurais manqué de parole, non pas une fois, mais cent fois, la belle raison pour supposer tout de suite des horreurs. Est-ce que je dispose toujours de moi comme je le voudrais ? Est-ce que je ne dépends pas de tout le monde ici ?
Lui touchant le bras.
Je suis mariée, vous n’avez pas l’air de le savoir. – Il y a autre chose. Je veux que vous me disiez ce qu’il y a.
LAFONT.
Il me semble que notre liaison ne vous intéresse plus... que vous souhaitez du nouveau et que vous l’avez peut-être rencontré, que nous sommes à ce moment inévitable où commencent les mensonges, les mauvais tours... les petites infamies.
CLOTILDE.
Je ne sais pas bien, mon ami, à quel moment toutes ces belles choses commencent ; vous êtes mieux renseigné que moi là-dessus. Je vous demande des faits, quelque chose de net, de précis et de positif, que je puisse anéantir d’un seul mot. Quant à ce qui se passe dans votre imagination, que voulez-vous que je vous réponde ? Elle ne me paraît pas bien folichonne, votre imagination, ni remplie de souvenirs couleur de rose.
LAFONT.
Cette date... du 15 janvier... qui vous est restée si précise...
CLOTILDE, plus attentive.
Eh bien ? Cette date ?
LAFONT.
Elle m’a frappé aussi.
CLOTILDE.
Convenez que non, qu’elle ne vous a pas frappé du tout. Je m’en veux de vous avoir troublé avec cette date, qui signifie quelque chose pour moi et qui pour vous ne veut rien dire.
LAFONT.
J’ai fait bien des remarques depuis.
CLOTILDE.
Lesquelles ?
LAFONT.
Bien des observations.
CLOTILDE.
Quelles observations ?
LAFONT.
Oh ! Ce n’est rien, ce sont des nuances. Mais les nuances ! Il ne faut pas jouer avec les nuances !
CLOTILDE.
Voyons-les un peu, ces nuances.
LAFONT.
Vous avez bien changé, ma chère Clotilde, sans vous en rendre compte. Vous me raillez d’abord, c’est désobligeant. Je vous trouve distraite fort souvent et fort souvent aussi embarrassée. Je vois que vous me cachez ce que vous faites, je tremble alors, de vous interroger. Il vous arrive quelquefois de vous contredire.
CLOTILDE.
Ça m’étonne.
LAFONT.
Vous me parlez de gens d’un tout autre monde que le vôtre et que vous savez par cœur du jour au lendemain ; comment ? C’est vous maintenant qui me racontez les scandales ; j’avais eu ce plaisir jusqu’ici de vous les apprendre. Vos opinions politiques ne sont plus les mêmes !
CLOTILDE.
Quel grand enfant vous êtes ! Et moi je suis là, qui vous écoute sérieusement. Mes opinions politiques ! Vous voulez dire que je suis réactionnaire ? Je n’ai pas varié. Oh ! pour ça, oui, vous avez raison, je suis une bonne réactionnaire. J’aime l’ordre, la tranquillité, les principes bien établis. Je veux que les églises soient ouvertes, s’il me prend l’envie d’y faire un tour. Je veux que les magasins aussi soient ouverts et pleins de jolies choses, que j’aie le plaisir de voir si je n’ai pas celui de les acheter. Mais en admettant que mes opinions politiques se fussent modifiées, il me semble que vous auriez moins que personne à vous en plaindre. Vous ne faites pas fi du monde nouveau. Vous êtes démocrate, c’est une mode aujourd’hui qui n’engage à rien, on l’est dans tous les partis. Vous êtes un libre penseur ! Je crois que vous vous entendriez très bien avec une maîtresse qui n’aurait pas de religion, quelle horreur ! – Qu’est-ce que vient de vous dire mon mari, je vous prie ?
LAFONT.
Il m’a parlé d’une position qu’il désire obtenir et qu’on va peut-être lui donner.
CLOTILDE.
Ça ne vous a pas intéressé ?
LAFONT.
Beaucoup.
CLOTILDE.
Vous me dites beaucoup comme vous me diriez pas du tout. Comment le trouvez-vous, mon mari ?
LAFONT.
Bien.
CLOTILDE.
Il ne vous paraît pas soucieux et fatigué ?
LAFONT.
Non.
CLOTILDE.
Passons. Je ne sais pas pourquoi je vous parle d’Adolphe, pour l’affection que vous lui portez. Ça ne fait rien. Voilà où je voulais en venir. Ainsi, Vous savez que mon mari attend une position ; il l’attend du gouvernement, cela va sans dire. Quel que soit le gouvernement, lorsqu’on désire une position, c’est bien à lui qu’il faut s’adresser. Et vous croyez que j’irais critiquer le gouvernement au moment même où il s’occupe de nous ? Un homme ferait ça. C’est toujours si bavard, un homme, si maladroit et si ingrat ! Les femmes, jamais !... Voulez-vous que je vous dise, mon ami ? Vous avez obéi à un fort vilain calcul. Vous avez cru peut-être qu’en allant de l’avant vous découvririez quelque chose, mais vous ne savez rien et vous ne saurez rien... parce qu’il n’y a rien à savoir. C’est une leçon qui ne sera pas perdue pour moi. En attendant, écoutez bien ceci : il faut que vous soyez sage, patient, confiant, que vous vous contentiez de ce qu’on vous donne, sans exiger l’impossible. Vous devez vous dire que je ne suis pas libre, que j’ai une maison à conduire et des relations à conserver ; la bagatelle ne vient qu’après. Songez aussi que la plus petite incartade de votre part peut me compromettre, et si mon mari apprenait quelque chose, me précipiter je ne sais où. Je ne veux pas, vous m’entendez bien, je ne veux pas vous retrouver une seconde fois comme aujourd’hui, planté devant ma porte, gesticulant et prêt à tout avaler, quand je reviens bien tranquillement de chez ma couturière.
Lafont, qui a écouté tout ce discours tête baissée, la relève tout d’un coup.
Eh bien ? Qu’est-ce qui vous prend maintenant ?
LAFONT.
D’où venez-vous ?
CLOTILDE.
Je viens de vous le dire.
LAFONT.
Est-ce chez votre modiste ou chez votre couturière que vous êtes allée ?
CLOTILDE.
Pourquoi ?
LAFONT.
Répondez. Est-ce chez votre modiste ou chez votre couturière que vous êtes allée ?
CLOTILDE.
J’ai été chez les deux, là, êtes-vous satisfait ? – Maintenant il faut vous lever et vous en aller.
LAFONT.
Non.
CLOTILDE.
Si.
LAFONT.
Plus tard.
CLOTILDE.
Tout de suite.
LAFONT.
Quelle affaire vous presse ?
CLOTILDE.
Aucune. Rien ne me presse.
LAFONT.
Gardez-moi alors.
CLOTILDE.
Ce n’est pas possible. Si mon mari revenait et qu’il vous trouvât encore ici, il pourrait se fâcher sérieusement. Allons, soyez raisonnable et dites-moi adieu. Vous parlerez moins une autre fois.
LAFONT.
Clotilde !
CLOTILDE.
Qu’est-ce qu’il y a encore ?
LAFONT.
Je rentre chez moi.
CLOTILDE.
Rentrez chez vous, mon ami, je ne vous en empêche pas.
LAFONT.
Vous savez l’heure ?
CLOTILDE.
À peu près.
LAFONT.
La journée n’est pas encore finie.
CLOTILDE.
Elle ne commence pas non plus.
LAFONT.
Vous n’avez que votre chapeau à mettre, ce n’est pas grand’chose.
CLOTILDE.
Je vous voyais venir. J’aurais été bien surprise si toutes vos histoires avaient fini autrement.
LAFONT.
Mettez votre chapeau, voulez-vous ?
CLOTILDE.
Soit. C’est la seule bonne idée que vous ayez eue, il est bien juste que j’en profite. Allez-vous-en.
LAFONT.
Vous me suivez ?
CLOTILDE.
Je vous suis.
LAFONT.
Dans un instant ?
CLOTILDE.
Dans un instant. Mais partez donc.
LAFONT.
À tout à l’heure ?
CLOTILDE.
À tout à l’heure.
Il sort. Clotilde va sonner.
ADÈLE, entrant.
Madame m’a sonnée ?
CLOTILDE.
Adèle, donnez-moi ma robe de chambre et mes pantoufles, je ne ressortirai pas.
ACTE II
Même décor.
Scène première
CLOTILDE, ADÈLE
CLOTILDE est habillée, prête à sortir, et jette un dernier coup d’œil sur sa toilette.
Je suis bien, Adèle ?
ADÈLE.
Oui Madame.
CLOTILDE.
Très bien ?
ADÈLE.
Très bien, Madame.
CLOTILDE.
Dites-moi l’heure.
ADÈLE.
Trois heures bientôt, Madame.
CLOTILDE.
J’ai tout ce qu’il me faut sur cette table ?
ADÈLE.
Tout ce que Madame prend d’habitude. Ses clefs, son carnet, sa boîte de poudre de riz.
CLOTILDE.
Donnez-les-moi.
ADÈLE, d’un air entendu.
Madame ne reviendra pas aujourd’hui.
CLOTILDE.
C’est possible.
ADÈLE, même ton.
C’est probable.
CLOTILDE.
Pourquoi ?
ADÈLE.
Je crois que Monsieur a son dîner d’économistes ; il ne le manquerait pas pour un empire.
CLOTILDE.
Eh bien ?
ADÈLE.
J’ai remarqué que Madame passait ce jour-là chez une amie de pension, que le mari de Madame ne voit jamais.
CLOTILDE.
Vous écoutez donc ce que l’on dit ?
ADÈLE.
Je n’écoute pas, non, Madame... Je saisis seulement quelques mots au passage... J’avais prévenu Madame que mon frère...
CLOTILDE.
Je le connais, votre frère ! Vous désirez sortir, c’est bien, sortez.
ADÈLE.
Merci, Madame.
Clotilde se dirige vers la porte du fond.
Madame ne voit plus rien à me commander ?
CLOTILDE.
Non. Que la cuisinière ne s’éloigne pas et que Monsieur l’ait à sa disposition, quand il rentrera s’habiller.
ADÈLE.
Oui, Madame. Madame ne veut pas que j’aille lui chercher une voiture ?
CLOTILDE.
C’est inutile. J’en trouverai une sur mon chemin.
ADÈLE, suivant Clotilde.
Au revoir, Madame... Bon plaisir.
Arrivées à la porte du fond, un coup de timbre les arrête brusquement ; pause.
ADÈLE.
On a sonné, Madame.
CLOTILDE.
J’ai bien entendu.
Revenant en scène.
Trois heures ! Il ne m’a pas vue depuis fort longtemps ! Il sait que c’est aujourd’hui le dîner des économistes ! Je devais m’attendre à quelque bourrasque de sa part !
Un deuxième coup de timbre.
ADÈLE.
Qu’est-ce que Madame décide ?
CLOTILDE.
Allez ouvrir, Adèle, je n’y suis pour personne.
ADÈLE.
Si c’était M. Lafont ? Madame.
CLOTILDE.
Je vous ai dit pour personne. Je ne reçois pas M. Lafont plutôt qu’un autre.
ADÈLE.
Bien, Madame.
CLOTILDE.
Laissez vos portes ouvertes que j’entende ce qu’on vous dira. S’il s’agissait d’une affaire pour mon mari, vous feriez asseoir et je viendrais.
ADÈLE.
C’est compris, Madame.
Un troisième coup de timbre.
En voilà de l’impatience et bien inutile !
Elle sort.
Scène II
CLOTILDE, seule
J’ai eu tort de ne pas me presser. Je serais partie à l’heure qu’il est et l’on ne m’aurait pas ennuyée.
Allant à la porte du fond, qu’elle tient entr’ouverte.
C’est bien lui. Il ne pouvait pas manquer une si bonne occasion... Parle, mon ami, parle... Questionne la domestique... Je crois qu’il demande à Adèle où je suis... Il insiste... Comment ? Adèle le laisse entrer...
Revenant en scène, pas à pas.
Il vient, ma foi, il vient. Est-ce qu’il va se reposer ici ? Ah ! les hommes ! Quand nous ne les aimons plus, voilà comme ils se conduisent avec nous !
Elle entre vivement à droite.
Scène III
LAFONT, ADÈLE, CLOTILDE, derrière la porte
LAFONT, entrant.
C’est bien, Mademoiselle, c’est bien.
ADÈLE.
Pourquoi Monsieur ne m’écoute-t-il pas ? Monsieur voit bien qu’il n’y a personne.
LAFONT.
Je vais attendre.
ADÈLE.
Attendre quoi ? Monsieur et Madame viennent de sortir.
LAFONT, après avoir hésité.
Ensemble ?
ADÈLE.
Non, Monsieur, pas ensemble. Monsieur est parti de son côté et Madame du sien.
LAFONT.
Monsieur a-t-il dit l’heure où il serait chez lui ?
ADÈLE.
Je sais seulement que Madame ne rentrera pas. Elle dîne en ville.
LAFONT, après avoir hésité.
Avec Monsieur ?
ADÈLE.
Sans Monsieur. Monsieur dîne de son côté et Madame du sien.
LAFONT.
Allez à vos affaires, Mademoiselle. Je vois là de quoi écrire, je laisserai un petit mot.
ADÈLE.
Comme Monsieur voudra. Ce n’est pas moi qui commande ici, je ne peux pas mettre Monsieur à la porte.
Elle sort.
Scène IV
LAFONT, CLOTILDE, derrière la porte
LAFONT.
Je suis entré, je ne sais pas pourquoi je suis entré, c’est encore une sottise que j’ai faite... Il faut me calmer et prendre mon parti d’une séparation nécessaire... On ne peut pas, à Paris, conserver une maîtresse un peu convenable, ce n’est pas possible. Plus elle est convenable et moins on la conserve... J’aurai une explication avec Clotilde, une explication sanglante !... ce sera plus gentil de ma part, et je la quitterai définitivement. Je m’agite, je cours, je la cherche à droite pendant qu’elle s’échappe à gauche, à quoi bon ? Qu’est-ce que j’apprendrais de plus ?... Elle est la maîtresse de ce M. Mercier, c’est clair comme le jour. Depuis quand ? Quel avantage aurais-je à le savoir ? Pourquoi ? Ah ! Pourquoi ? Je serais bien embarrassé de dire pourquoi. Elle ne l’aime peut-être pas, c’est une consolation... Qu’est-ce que je vais faire ? Si Adolphe était là au moins, nous aurions fini la journée ensemble. C’est vrai : Quand le cœur me manque et que Clotilde m’a mis sens dessus dessous, c’est encore avec son mari que je me trouve le mieux. Je me sens moins seul. La position d’Adolphe me console un peu de la mienne ; elle est moins bonne ; certainement elle est moins bonne. Si Clotilde ne me doit rien après tout, elle a de bien grands torts envers son mari... Je suis bien fort pour juger sévèrement sa conduite, quand je me mets à la place de son mari... Quelle désolation ! Je me trouve tout d’un coup isolé, sans un lien, la mort dans l’âme, devant une situation des plus vulgaires et que je vais creuser indéfiniment ! Allons, les hommes ne sont guère heureux ; célibataire ou cocu, il y a bien peu de choix.
CLOTILDE.
Tant pis, je me montre. Je saurai toujours ce qu’il me veut.
Scène V
LAFONT, CLOTILDE
LAFONT.
Comment ! Vous êtes chez vous ?
CLOTILDE.
Eh bien ! Qu’est-ce qu’il y a d’étrange à ce que je sois chez moi ? L’étrange, c’est que vous vous y trouviez, vous, quand je condamne ma porte et qu’on vous le dit sur tous les tons. Voilà comme vous me remerciez de mon indulgence ! Vous ne savez plus qu’inventer pour me déplaire et je me laisse aller chaque fois à vous pardonner.
LAFONT.
C’est votre faute !
CLOTILDE.
Oh ! ne recommençons pas, je vous en prie. Pas de scène aujourd’hui, pas de scène ! Je ne m’y prêterais pas d’ailleurs. Aviez-vous une raison au moins, un prétexte, quelque découverte bien terrible et que vous ne pouviez pas garder plus longtemps.
LAFONT.
J’ai craint, je vous l’avoue, que vous ne fussiez, souffrante.
CLOTILDE.
C’est très gracieux de votre part. Vous m’avez vue, vous êtes rassuré,
Elle lui montre la porte en imitant le vol ; d’un oiseau avec la main.
envolez-vous.
Un temps.
LAFONT.
Vous sortez ?
CLOTILDE.
Il me semble que je sors. Je n’ai pas l’habitude de me promener avec un chapeau dans mon appartement.
LAFONT.
Vous êtes pressée ?
CLOTILDE.
Je suis en retard.
LAFONT.
Nous ne décidons rien.
CLOTILDE.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
LAFONT.
Je pensais que nous dînerions ensemble, si je suis toujours l’amie de pension.
CLOTILDE.
Il n’y a plus d’amie de pension, ni pour vous ni pour personne. J’ai réfléchi que ces escapades dans les restaurants avaient toutes sortes d’inconvénients. Elles m’entraînent dans des mensonges qui me révoltent et que je ne veux pas continuer. – Est-ce que je n’ai pas raison ?
LAFONT.
Ne me demandez pas ce que je pense.
CLOTILDE.
Vous m’en voulez ?
LAFONT.
Je m’attends à tout maintenant.
CLOTILDE.
C’est toujours le plus sage, on n’a pas de déceptions de cette manière.
Un temps.
LAFONT, allant à elle.
Asseyez-vous, de bonne grâce, et causons bien affectueusement.
CLOTILDE.
Je n’ai pas le temps... de causer. Un autre jour, demain, si vous voulez.
LAFONT.
Demain je vous attendrai et il y aura quelque chose encore, au dernier moment, qui vous empêchera de venir.
CLOTILDE.
Vous refusez demain ?... À votre aise. Ça me convient parfaitement. Je ne suis jamais pressée de me trouver avec des gens mécontents et désagréables.
LAFONT.
C’est l’amour qui me rend ainsi.
CLOTILDE, du bout des lèvres.
Il est embêtant, l’amour !
LAFONT.
Plaignez-vous, je vous le conseille, plaignez-vous. On voit bien que vous n’êtes pas à ma place. Je me désespère et je me morfonds de mon côté, pendant que vous galopez du vôtre.
CLOTILDE.
Je galope ! Qu’est-ce que c’est que cette expression ? Admettons, ce qui est possible, que je me sois un peu refroidie avec vous ; croyez-vous qu’on ramène une femme en agissant comme vous le faites, en la harcelant perpétuellement ? C’est tout le contraire qui arrive ; on la fatigue, on l’impatiente, et on lui donne des idées dont elle était à mille lieues.
Se rapprochant de lui avec des apparences de tendresse qui le trompent.
Allez faire un petit voyage.
Mouvement de Lafont.
Oui, faites un petit voyage. Absentez-vous... six mois, ce n’est pas le diable. Une séparation en ce moment vous conviendrait fort bien, et vous n’en seriez que plus agréable à votre retour. Ne craignez rien de mon côté. Je ne suis pas une femme qui oublie facilement. Vous me retrouverez exactement la même. Voulez-vous ? Non, vous ne voulez pas. Vous ne pourriez pas vous absenter six mois, lorsque votre maîtresse vous le demande et qu’elle verrait là, de votre part, une véritable marque d’attachement.
Un temps.
LAFONT.
Où allez-vous ?
CLOTILDE.
C’est tout ce que vous trouvez à me répondre ?
LAFONT.
Où allez-vous ?
CLOTILDE.
J’étais si sûre que vous me feriez cette question, je l’attends depuis que vous êtes là.
LAFONT.
Elle vous gêne ?
CLOTILDE.
Nullement. Vous serez bien avancé, n’est-ce pas, quand vous saurez où je vais ? Et qu’est-ce qui m’empêcherait de vous dire : je vais là, et d’aller ailleurs.
LAFONT.
Je vous suivrai.
CLOTILDE.
Suivez-moi, je vous y engage ; ça vous a si bien réussi jusqu’ici. Prenez garde. Je suis très faible pour vous, très faible. Je tiens compte de tout, de l’état où je vous vois et des moments que nous avons passés ensemble ; mais ne vous croyez pas le droit d’en abuser.
En accentuant.
Je fais ce qui me plaît, et ça ne regarde personne que mon mari.
LAFONT.
Vous me trompez !
CLOTILDE.
Moi !... Avec qui ?... Qui ?... qui ?... qui ?... qui ?... Apprenez que des soupçons ne suffisent pas, et que pour accuser une femme, il faut avoir la preuve entre les mains. Quand cette preuve existe, quand la femme est véritablement coupable, un galant homme sait ce qu’il lui reste à faire, il la quitte... ou il se tait.
LAFONT.
Clotilde !
CLOTILDE.
Qui ? Dites donc un nom, si vous savez seulement lequel ! Je serais bien aise de le connaître, ce don Juan, que je fatigue peut-être de mes poursuites et qui ne se doute guère de son bonheur ! – Vous me forcez à vous dire ce que j’aurais toujours voulu vous cacher. J’ai fait une grande faute ! J’avais un mari, des enfants, un intérieur adorable, j’ai voulu plus, j’ai voulu tout. J’ai rêvé comme toutes les femmes d’une existence unique, où mes devoirs seraient remplis sans que mon cœur fût sacrifié ; la terre et le ciel ! Vous vous êtes chargé de me démontrer l’impossible. Je ne sais pas ce qui se serait passé avec un autre, il ne pouvait rien m’arriver de pire. C’est fait, c’est fait, je ne vous en veux pas ; mais ça été la première et la dernière fois.
Elle tire son mouchoir et le porte à ses yeux avec une légère oppression.
LAFONT.
Vous souffrez ?
CLOTILDE, gagnant un siège.
Ce n’est rien, ça passe.
LAFONT.
J’ai eu tort.
CLOTILDE, profondément.
Très tort.
LAFONT.
Je pars.
CLOTILDE.
C’est ce que vous avez de mieux à faire.
Il s’éloigne et revient.
LAFONT.
Oubliez un mot de trop qui ne signifie rien. Je ne le crois pas, que vous me trompiez. Vous êtes trop bonne et trop sincère ; vous appréciez au fond la tendresse que j’ai pour vous. Je croyais que vous m’attendiez et que notre petite fête ordinaire tenait toujours ; la colère m’a pris quand vous m’avez dit que non. Où allez-vous ? Faire des visites, retrouver une de vos amies. Est-ce un bien grand plaisir, ou une nécessité absolue ? Dégagez-vous, s’il le faut. Ecrivez que votre mari est malade et que vous restez près de lui, c’est bien simple. Faites ce que je vous demande. Rendez-moi cette journée qui m’appartient depuis bien longtemps et que vous m’aviez réservée jusqu’ici.
CLOTILDE.
Je le voudrais que je ne le pourrais pas.
LAFONT.
Pourquoi ?
CLOTILDE.
On vient me chercher en voiture et l’on me mène au Bois.
LAFONT.
Vous alliez sortir.
CLOTILDE.
C’est une erreur. J’attendais.
LAFONT.
Madame Simpson ?
CLOTILDE.
Madame Simpson justement... Je dîne chez elle.
Se relevant.
Quel drôle d’homme vous êtes ! Vous, prenez tout de travers, même ce qui devrait vous rassurer.
LAFONT.
Madame Simpson !
CLOTILDE.
C’est vrai. J’oubliais que Madame Simpson n’est pas de vos amies et que vous avez voulu m’interdire sa maison. Une maison charmante, montée supérieurement et irréprochable ! Il y a peut-être des amourettes, je ne dis pas, c’est comme partout.
LAFONT.
Madame Simpson, vous le savez bien, a la plus mauvaise réputation.
CLOTILDE.
Tant pis pour ceux qui la lui ont faite ! Quand un homme a vu à une femme un bout de sa chemise, cette femme est sacrée pour lui, sacrée ! retenez ce principe et qu’il vous serve à l’occasion. – Je suis épouvantée, je vous l’avoue. Je me demande où nous allons et ce que vous me préparez encore. L’offense la plus grave que puisse entendre une femme, vous venez de me la faire aujourd’hui. Après ? Qu’est-ce qui vous reste maintenant ? Je ne vois plus que les violences ! J’espère que vous serez maître de vous et que vous vous arrêterez aux violences ! Réfléchissez, mon ami ; il vaudrait mieux nous séparer tout de suite, si vous deviez en venir aux violences ! Allons, je vous renvoie cette fois très sérieusement. Vous voilà tranquille, n’est-ce pas ? Quelque horreur que vous ayez pour Madame Simpson, vous préférez encore me savoir avec elle. Nous reprendrons cette idée de voyage et je vous y amènerai, je l’espère, la première fois que je vous verrai.
LAFONT, piteusement.
Demain.
CLOTILDE.
Ah ! demain. C’est donc changé maintenant ? Vous voulez bien m’attendre demain ? Soit ! Je n’ai qu’une parole. Mais veillez bien sur vous. Vous êtes assez calme en ce moment et bien convaincu, n’allez pas changer de l’autre côté de la porte. Vous avez l’escalier malheureux, je vous en avertis. Si d’ici à demain vous me faites un tour, si je vous rencontre... au Bois ou ailleurs, si j’aperçois le bout de votre joli nez quelque part, vous ne me revoyez de votre vie.
LAFONT.
À demain ?
CLOTILDE.
À demain.
Il sort vivement.
Scène VI
CLOTILDE, seule
Allons, il n’y a rien à dire. Il a été raisonnable. Quand il se fâche, c’est plaisant, mais j’ai toujours peur de le voir pleurer.
Allant à la fenêtre.
Assurons-nous, avant de descendre, que je ne l’aurai pas derrière moi. Il s’en va, tristement, la tête basse. Pauvre garçon ! Oh, certainement, je lui ferai une petite visite demain. Qu’est-ce qui lui prend ? Il s’arrête. Il revient sur ses pas. Il entre dans la maison en face. Ah ! le monstre ! Il va me guetter et me tenir là jusqu’à ce qu’il tombe de fatigue. Je vais lui montrer que je l’ai vu, c’est le seul moyen de le faire partir.
Du Mesnil entre par le fond ; son attitude est celle d un homme mécontent et découragé ; il jette son chapeau sur un meuble et vient s’asseoir près de la table qu’il remue avec colère.
Scène VII
CLOTILDE, DU MESNIL
CLOTILDE, se retournant et apercevant son mari.
À l’autre maintenant !
Le regardant mieux.
Adolphe ? Adolphe ? Qu’est-ce que tu fais là ?
Allant à lui.
Adolphe ? Réponds-moi donc !
DU MESNIL, durement.
Laisse-moi un peu, je te prie.
CLOTILDE.
Qu’est-ce qui t’arrive ? En voilà une mine pour rentrer chez soi ! Je ne te connaissais pas encore la pareille !
DU MESNIL.
Ne m’irrite pas davantage. Je ne suis pas en train de rire et d’écouter tes gamineries.
Un temps.
CLOTILDE, inquiète, changeant de ton.
Qu’est-ce qu’il y a ?
DU MESNIL.
Tu le sauras, ce qu’il y a, tu le sauras toujours trop tôt.
CLOTILDE.
C’est donc sérieux ?
DU MESNIL.
Très sérieux.
CLOTILDE.
Tu es fâché ?
DU MESNIL.
On le serait à moins.
CLOTILDE.
Tu es fâché... contre moi.
DU MESNIL.
Il ne s’agit pas de toi. Tu allais sortir, sors. Sors !
Elle fait un pas vers la porte.
Où vas-tu d’abord ?
CLOTILDE, revenant.
Au Louvre.
DU MESNIL.
Va au Louvre, va. Achète des chiffons, le moment est bien choisi.
CLOTILDE.
Tu m’ennuies à la fin. Je ne bougerai pas avant que tu aies parlé.
Elle enlève son chapeau brusquement.
Je ne sors pas quand mon mari a de la peine et que je ne sais pas ce que c’est que cette peine.
S’asseyant.
S’il attend pour me la dire, c’est bien, j’attendrai aussi pour la connaître.
DU MESNIL, se levant et allant à elle.
Tu es bien gentille.
CLOTILDE.
Parle donc, bêta.
DU MESNIL.
Nous sommes flambés !
CLOTILDE.
À quel propos ?
DU MESNIL.
À quel propos ? Pour la recette.
CLOTILDE, se relevant.
C’est ça ! Comment, toi, un homme, tu te mets dans un état pareil et tu me révolutionnes par contrecoup pour une affaire qui n’a pas marché ! Elle n’a pas marché, voilà tout. C’est toujours ainsi les affaires. L’une manque, l’autre réussit, on profite de la bonne et l’on oublie la mauvaise. Tu croyais peut-être que j’allais me plaindre et te faire des reproches, jamais, mon cher ami, jamais. Allons, remets-toi, et ne garde pas cette figure désolée. Qu’est-ce que tu deviendrais donc pour un malheur véritable ? Si tu me perdais, par exemple ! – Qui est-ce qui avait raison de nous deux ? Hein, ton oncle, le joli protecteur que nous avons là ! Il ne trouve rien de bien, ni ta situation, ni tes écrits, ni ta femme, et finalement, quand il s’occupe de quelque chose, on peut être certain que ce sera un four. Je me demande comment il a pu entrer à l’Institut ? S’il n’était pas garçon, ça me ferait bien rire. – Explique-moi un peu ce qui s’est passé. Tu m’as tout dit et je ne sais rien.
DU MESNIL.
Je ne sais rien non plus.
CLOTILDE.
C’est fini, n’est-ce pas, tout à fait fini ?
DU MESNIL.
À peu près.
CLOTILDE.
À peu près seulement ? Qu’est-ce que ça signifie : à peu près ? La recette est-elle donnée, oui ou non ?
DU MESNIL.
Elle n’est pas encore donnée.
CLOTILDE.
Il n’y a rien de fait alors ?
DU MESNIL.
La recette va être donnée et l’on m’a fait comprendre qu’elle ne serait pas pour moi.
CLOTILDE.
C’est bien. Voilà un renseignement. Et qui choisit-on à ta place ?
DU MESNIL, après avoir levé les bras en l’air.
Un homme... très ordinaire !
CLOTILDE.
Je m’en doute bien. Marié ?
DU MESNIL.
Quel intérêt ça a-t-il ?
CLOTILDE.
Réponds toujours.
DU MESNIL.
Marié, oui.
CLOTILDE.
Sa femme est jeune ?
DU MESNIL.
De ton âge.
CLOTILDE.
Jolie ?
DU MESNIL.
Agréable.
CLOTILDE, plus bas.
Légère ?
DU MESNIL.
On le dit.
CLOTILDE.
Ah ! la mâtine !
DU MESNIL.
Je te comprends.
CLOTILDE.
Il est temps.
DU MESNIL.
Tu te trompes. Ces choses-là ne se font jamais aux Finances.
CLOTILDE.
En somme, personne n’est encore nommé, ni toi ni un autre, et tu t’es désespéré trop tôt, ce qui est ton habitude.
DU MESNIL.
Soit ! Je le veux bien ! Que faire ?
CLOTILDE, après avoir réfléchi.
Ôte-toi delà.
Elle passe brusquement devant lui, s’assied à la table et se met à écrire.
DU MESNIL.
Dis-moi un peu...
CLOTILDE.
Ne me trouble pas.
DU MESNIL.
Entendons-nous d’abord.
CLOTILDE.
C’est inutile... J’écris à Lolotte et je lui demande un rendez-vous ; elle comprendra qu’il s’agit d’affaires sérieuses.
DU MESNIL.
Lolotte ! Qu’est-ce que c’est que ça, Lolotte ?
CLOTILDE.
Lolotte, c’est Madame Simpson. Nous l’appelons Lolotte dans l’intimité, depuis qu’elle a joué le rôle de Chaumont ; ça lui fait plaisir.
DU MESNIL.
C’est bien. Ecris à Lolotte. Tu diras ce que tu voudras. Si Lolotte réussit là où un membre de l’Institut a échoué, j’en serai charmé pour ma part, mais je plaindrai la France.
CLOTILDE.
Laisse donc la France tranquille. Elle ne s’occupe pas de toi, ne t’occupe pas d’elle.
Se relevant.
As-tu quelque chose à faire en ce moment ?
DU MESNIL.
Mon intention est de rester chez moi et de m’y enfermer pendant huit jours.
CLOTILDE.
Je ne le veux pas. Je n’ai pas envie que tu te rendes malade pour une affaire qui peut encore très bien tourner. Tu vas prendre cette lettre et la porter chez Madame Simpson, ça te promènera. De là, tu iras voir ton oncle.
DU MESNIL.
Pourquoi ? Un homme qui n’est bon à rien, tu le dis toi-même. Je vais lui écrire, à mon oncle, que j’ai assez de ses conseils et qu’il dispose de son influence.
CLOTILDE.
Je ne le veux pas. On sait que ton oncle s’est occupé d’une position pour nous, qui que ce soit qui nous l’obtienne, ce sera toujours à lui que nous la devrons, tu me comprends. Tu ne tiens pas à ce qu’on dise que Madame Simpson te protège et que nous enlevons des faveurs grâce à elle ou à son entourage.
DU MESNIL.
C’est très juste. Je vais porter ta lettre et j’irai voir mon oncle. Mais les économistes se passeront de moi cette fois.
CLOTILDE.
Je ne le veux pas. Pourquoi changer quelque chose à nos habitudes ? Ce n’est pas une corvée pour toi, ce dîner. Tu en reviens généralement fort tard, la tête assez en l’air, et avec des histoires qui me donnent un aperçu de votre conversation. Vous êtes entre hommes, vous dites des bêtises, vous avez raison. Ne te prive donc pas d’un plaisir, on n’en a pas tant en ce monde. Tu iras retrouver ces messieurs, dont le genre t’amuse, et moi ma petite amie qui serait désolée de ne pas me voir.
DU MESNIL.
C’est bien. Je n’insiste pas. Mais aujourd’hui où je suis de très mauvaise humeur, j’aurais préféré rester avec toi.
CLOTILDE.
Je te remercie. Ne le regrette pas, va. Ça se retrouvera.
DU MESNIL.
Allons, au revoir, je vais porter ta lettre.
CLOTILDE.
C’est cela.
Il se dirige vers le fond piteusement.
Tenons-nous droit, n’est-ce pas, et un peu de gaieté, si c’est possible. Ne mettons pas les autres dans la confidence de nos ennuis, ça ne sert à rien.
DU MESNIL, revenant.
Qu’est-ce que je dois dire à mon oncle ?
CLOTILDE.
Ce que tu voudras.
DU MESNIL.
Alors, c’est bien convenu, tu m’envoies à ce dîner. Tu m’y envoies dans des dispositions atroces.
CLOTILDE.
Elles passeront... quand tu seras à table.
DU MESNIL.
Je vais m’en flanquer jusque là.
Il sort.
Scène VIII
CLOTILDE, seule
Bovary ! Parlez donc de sagesse et de retenue à une femme. Qu’elle reste dans sa maison et sa maison prospérera, je t’en moque. Qu’est-ce qu’il aurait fait, mon mari, s’il ne m’avait pas eue ? Sans compter que les honnêtes gens ont de la chance et que l’on est bien disposé pour eux ! Toujours, toujours, lorsqu’il y a quelque chose à donner, une place, une croix, une faveur, grande ou petite, et que deux candidats sont en présence, d’un côté, un brave homme, pas bien fort, mais modeste et méritant, et de l’autre, quelque farceur qui n’a pour lui que son savoir-faire ; toujours, c’est le farceur qui l’emporte et le bon Monsieur qui est blackboulé ! Je finirai peut-être par sortir aujourd’hui. J’espère que M. Lafont se sera fatigué de m’attendre. Il ne se plaindra pas cette fois si je le distance pendant quelque temps. Filons !
Elle se dirige à grands pas vers le fond ; la porte s’ouvre lentement et timidement ; Lafont paraît avec hésitation.
Ah ! C’est trop fort !
Elle revient précipitamment en scène, furieuse, avec une colère concentrée et comme une femme résolue à ne pas desserrer les dents.
Scène IX
CLOTILDE, LAFONT
LAFONT.
Vous m’en voulez d’être revenu ?... Voici ce qui s’est passé. Je m’en allais, je vous le jure. Je ne voulais plus penser à vous jusqu’à demain. J’aperçois votre mari qui rentrait, que devais-je faire ?... J’aurais été très heureux de lui serrer la main, mais vous préfériez peut-être qu’il ignorât ma visite, il était plus prudent alors de ne pas me montrer... Vous me dites toujours que je ne tiens compte de rien, quand je passe ma vie avec Adolphe à sauver les difficultés... Je me suis retourné vivement pendant que votre mari ne me voyait pas et je suis entré sous une porte cochère pour le laisser passer. Il est bien rentré, n’est-ce pas ? Vous avez dû le voir ? Je n’invente rien ?... Après, c’est vrai, j’ai été faible, il ne fallait pas rester là. Je me suis dit : Clotilde attend depuis longtemps Madame Simpson qui n’a pas l’air de venir beaucoup ; si ses projets ne tenaient plus, elle serait peut-être bien aise de me retrouver. Vous ne pouvez pas me reprocher une pensée bien tendre et bien modeste ?... Votre mari est ressorti, ça ne changeait pas les choses, il était en dehors de toutes les combinaisons... J’ai regardé encore une fois si la voiture de Madame Simpson arrivait, je n’ai rien vu venir, je suis remonté. Oh ! je suis remonté en tremblant, je vous assure, et je serais peut-être redescendu
Riant.
sans un de ces petits hasards qui sont toujours drôles : votre mari avait laissé la porte ouverte. Voyons, Clotilde, tout cela est bien simple, bien naturel, on ne se fâche pas pour si peu de chose... Dites un mot. Vous ne voulez pas me répondre ? Un mot ? Un seul...
S’éloignant.
C’est bien. Je vous laisse. Vous préférez décidément avoir cette journée à vous. À demain.
Revenant.
À demain ?...
S’impatientant.
Dites un mot. Vous ne voulez pas me dire un mot ?
S’éloignant.
Je suis tout à fait blessé, je vous le déclare. Vous me traitez depuis quelque temps trop légèrement et sans aucune considération pour le passé.
Revenant.
Vous êtes bien résolue à ne pas me répondre ?
S’éloignant.
Eh bien, comme vous voudrez, finissons-en. Vous ne m’aimez plus, je vous embarrasse, je n’ai plus de bien grandes joies avec vous quand je pourrais être heureux ailleurs, séparons-nous.
Revenant à elle et lui tendant la main.
Séparons-nous en gens d’esprit !... Voulez-vous que je vous dise ? Vous n’attendez personne. Vous allez retrouver votre amant et c’est avec lui que vous dînez ; soutenez donc le contraire ?... Je le connais. Je n’ai pas voulu vous le nommer tout à l’heure. C’est... Monsieur... Ernest Mercier.
CLOTILDE.
Alfred Mercier.
LAFONT.
Alfred ?
CLOTILDE.
Alfred Mercier.
LAFONT.
Rue de la Madeleine, 28.
CLOTILDE.
Boulevard de la Madeleine, 28.
LAFONT, troublé.
Clotilde ? Est-ce une moquerie de votre part, ou bien la vérité que vous m’avouez ?... C’est bien la vérité, n’est-ce pas ?...
Pleurant.
Ah ! Clotilde ! Clotilde ! Qu’est-ce que vous venez de faire ? Il fallait me tromper délicatement, sans que je le voie et sans me le dire. C’est bien la fin, cette fois, c’est bien la fin ! Adieu...
S’arrêtant.
Adieu ?... Adieu !
Il sort.
Scène X
CLOTILDE, seule
En voilà assez. J’ai bien voulu être complaisante et me prêter à une explication par hasard ; mais tous les jours, deux fois par jour, non. Ah ! bien, on en aurait de l’agrément avec des passions pareilles qui ne vous laissent pas le temps de respirer. Sans compter qu’on est toujours à deux doigts d’une catastrophe. C’est vrai. Je ne suis plus tranquille que quand mon mari est là.
ACTE III
Même décor. La porte de droite est ouverte à deux battants ; on a placé la table au milieu du salon pour y servir le café.
Scène première
CLOTILDE, SIMPSON, ADÈLE
CLOTILDE est près de la table.
Monsieur Simpson ?
SIMPSON est assis et achève une tasse de café.
Madame ?
CLOTILDE.
Vous faites ici comme chez votre mère, n’est-ce pas ? Vous vous servirez.
SIMPSON.
Oui, Madame.
CLOTILDE, en donnant une tasse à Adèle.
Portez cette tasse à Monsieur et laissez-nous.
ADÈLE.
Madame n’aura plus besoin de moi ?
CLOTILDE.
Non.
ADÈLE.
J’avais prévenu Madame que mon frère...
CLOTILDE.
Allez, vous me parlerez de cela plus tard.
ADÈLE, aigrement.
Bien, Madame.
Elle sort, en emportant la tasse, par la porte de droite.
Scène II
CLOTILDE, SIMPSON
CLOTILDE, s’approchant lentement de Simpson, à mi-voix.
C’est donc bien vrai, vous quittez Paris décidément ?
SIMPSON.
Décidément.
CLOTILDE.
Aujourd’hui même ?
SIMPSON.
Je prends le train de sept heures qui me mettra à minuit chez moi.
CLOTILDE.
Vos malles sont faites ?
SIMPSON.
Mon domestique les termine en ce moment.
CLOTILDE.
Vous ne me demandez rien ?
SIMPSON.
Il me reste si peu de temps vraiment que je craindrais de vous déranger.
CLOTILDE.
Comme vous voudrez.
Elle le quitte ; il se lève et va poser sa tasse sur la table.
Qu’est-ce que pense votre mère de cette brusque résolution ?
SIMPSON.
Ma mère est enchantée de me voir partir. C’est un peu pour elle que je m’en vais plus tôt que d’habitude. Elle m’a demandé d’inspecter sa propriété de fond en comble et de diriger les réparations qui seront nécessaires. Je veux que ma mère ne reconnaisse pas Croquignole, quand elle viendra s’y installer.
CLOTILDE.
Si votre mère est de votre côté, je n’ai plus rien à dire.
SIMPSON.
Vous aimez trop Paris ; vous n’admettez pas qu’on s’y trouve mal et qu’on puisse vivre ailleurs.
CLOTILDE.
Je ne pense pas cela. Je trouve seulement qu’à votre âge et dans votre situation un homme n’abandonne pas Paris volontiers, surtout s’il y était retenu par le plus léger attachement. L’hiver est à peine fini ; le temps est affreux ; personne ne songe encore à partir, excepté vous ; il faut que vous ayez une raison.
SIMPSON.
J’en aurais une plutôt pour rester.
CLOTILDE.
Alors pourquoi vous en allez-vous ?
SIMPSON.
Je m’ennuie. Je suis irrité et humilié. Je me fais l’effet d’un pauvre dans votre Paris. Qu’est-ce que c’est que ce misérable entresol où je demeure ? J’ai honte pour moi de l’habiter ; c’est bien pis quand on me fait le plaisir de venir me voir. Ma mère se refuse toujours à me donner une installation comme je la voudrais. Elle préfère que je voyage. Je dépense beaucoup d’argent, sans en retirer ni plaisir ni honneur. Là-bas, à Croquignole, le décor change. Je mène grand train. Je compte dans le pays ; on me salue très bas quand je passe. J’ai sous la main tout ce qui me manque ici : mes chevaux, mes chiens... mes fusils. Vous savez que j’ai une magnifique collection de fusils qu’il me tarde toujours un peu de retrouver en bon état. Paris est agréable évidemment ; je m’y plairais peut-être autant qu’un autre, si j’y étais dans des conditions qui satisferaient mon amour-propre.
CLOTILDE.
C’est ma faute. Je n’ai pas su vous consoler et vous conserver. Se quitter comme nous le faisons, de gaieté de cœur, après quatre mois seulement, le temps ne vous aura pas paru long, je l’espère.
SIMPSON.
Cinq mois.
CLOTILDE.
Croyez-vous ?
SIMPSON.
Comptons : 15 janvier, 15 février, 15 mars...
CLOTILDE.
C’est très juste. Mettons cinq mois et n’en parlons plus.
Un temps.
SIMPSON, s’approchant d’elle.
Vous devriez venir cette année à Croquignole, quand ma mère sera là, avec une partie de sa société.
CLOTILDE.
Ne comptez pas sur moi. Mon mari ne peut pas s’absenter si aisément.
SIMPSON.
Vous le laisseriez.
CLOTILDE.
Il n’aime pas ça.
SIMPSON.
Vous vous retrouveriez avec votre amie, Madame Beaulieu, que les difficultés n’arrêtent pas, elle.
CLOTILDE.
Oh ! Pauline, c’est différent. Elle a une fortune d’abord qui lui permet de faire ce qu’elle veut. Ensuite, son mari a eu de grands torts avec elle, elle en profite et elle a bien raison.
SIMPSON.
Elle s’amuse, Madame Beaulieu ?
CLOTILDE.
Je n’en sais rien. Nous sommes très liées avec Pauline, très liées, mais nous ne nous disons pas tout.
SIMPSON.
C’est elle cependant qui vous a mise en relations avec ma mère.
CLOTILDE.
Pauline n’a jamais su pourquoi je le désirais. Qu’est-ce qui vous fait supposer que Madame Beaulieu ne se conduise pas régulièrement, on vous a dit quelque chose sur elle ?
SIMPSON.
Je lui connais une forte toquade pour un de mes amis.
CLOTILDE.
Vous l’appelez ?
SIMPSON.
Hector de Godefroy.
CLOTILDE.
C’est un mensonge.
SIMPSON.
À peine un secret.
CLOTILDE.
Madame Beaulieu, vous ne pouvez pas l’ignorer, vit depuis des années avec un garçon charmant qui l’adore et qui ne la quitte jamais.
SIMPSON.
Il se nomme ?
CLOTILDE, après avoir hésité, avec un sourire.
Alfred Mercier.
SIMPSON.
Oui, mais Madame Beaulieu s’est amourachée, je me demande pourquoi, de mon ami Hector, et elle ne passe plus un jour sans le voir.
CLOTILDE.
De qui le tenez-vous ?
SIMPSON.
De Madame Beaulieu elle-même, qui ne recule pas devant des confidences de ce genre.
CLOTILDE.
Quelle enfant que cette Pauline ! Elle ne pourrait pas garder ces choses-là pour elle !
SIMPSON, la quittant.
Voilà ce que j’apprécie encore en m’éloignant de Paris ; on enterre un tas d’histoires qui ne sont pas bien propres.
CLOTILDE.
C’est pour mon amie que vous faites cette phrase ?
SIMPSON.
Je crois qu’elle peut en prendre sa part.
CLOTILDE.
Pauline a bien souffert, allez.
SIMPSON.
Il n’y paraît guère aujourd’hui.
CLOTILDE.
Vous lui avez peut-être fait la cour.
SIMPSON.
L’idée ne m’en serait jamais venue.
CLOTILDE.
Madame Beaulieu est tout bonnement adorable.
SIMPSON.
Je n’aime pas à être confondu avec tout le monde.
CLOTILDE.
Il faut bien cependant vous y attendre un peu.
SIMPSON.
Les femmes ne seraient pas contentes, si elles vous entendaient.
CLOTILDE.
Qu’est-ce que ça prouve ? Que nous sommes faibles, changeantes, coupables, si vous le voulez ; que nous nous laissons entraîner toujours : que nous rencontrons des maladroits qui ne nous aiment pas comme nous le voudrions, ou des ingrats, ce qui est pis, qui n’ont de l’estime et de l’affection que pour eux-mêmes ! Vous avez raison, du reste. Le plus sage serait de ne connaître ni les uns ni les autres ; de se fermer les yeux ; de se boucher les oreilles ; de se dire courageusement : ta place est là, restes-y. La vie ne serait peut-être pas très drôle ni très palpitante, mais on s’éviterait bien des tracas, bien des déceptions et bien des regrets.
SIMPSON.
Qu’avez-vous ?
CLOTILDE.
Laissez.
SIMPSON.
Vous pleurez ?
CLOTILDE.
Et bien sincèrement, je vous l’atteste.
SIMPSON.
Pourquoi pleurez-vous, ma chère ?
CLOTILDE.
Est-ce qu’on sait ? Il y a un peu de tout dans les larmes d’une femme.
SIMPSON.
Je serais désolé que mon départ...
CLOTILDE.
Non. Ne vous faites pas plus coupable que vous ne l’êtes. On se rencontre, on se plaît, on se sépare, c’est l’histoire de tous les jours. Mais, messieurs, vous êtes bien accommodants pour obtenir nos bonnes grâces, et bien sévères quand nous vous les avons accordées. Allons ! Il faut que j’appelle mon mari, qui nous laisserait ensemble jusqu’à demain avec sa bonne foi et cette sublime ignorance de toutes nos folies.
Lui tendant la main.
Dites-moi adieu. Gardez de ces cinq mois un bon souvenir, c’est tout ce que je demande. Gardez-le pour vous seul, comme vous le devez et comme je peux y compter de votre part. C’est à vous que nous devons d’avoir réussi dans ce que nous désirions, mais le service n’est venu qu’après la faute, et il n’était pas nécessaire. Si vous voulez un jour, en passant, me serrer la main, vous connaissez maintenant la maison où vous avez fait tout ce qu’il faut pour y être bien reçu.
SIMPSON.
Vous êtes charmante.
CLOTILDE.
Je le sais.
Elle le quitte et va à la porte de droite.
Voyons, Adolphe, tu as assez fumé. Tu finiras tes journaux une autre fois. Adolphe, m’entends-tu ? M. Simpson prend son chapeau, lève-toi tout de suite, si tu veux descendre avec lui.
Revenant.
Mon mari vient.
Scène III
CLOTILDE, SIMPSON, DU MESNIL
DU MESNIL, entrant et allant à Simpson.
Je me conduis comme un malappris avec vous, je vous abandonne.
SIMPSON.
Ça ne fait rien.
DU MESNIL.
J’ai pris cette habitude après mon déjeuner de me reposer un instant ; c’est le seul moment où je me sente bien chez moi.
SIMPSON.
Vous êtes prêt ?
DU MESNIL.
Quand vous voudrez
SIMPSON.
Partons alors.
DU MESNIL.
Vous permettez que je dise un mot à ma femme.
SIMPSON.
Certainement.
DU MESNIL, allant à Clotilde, bas.
Est-ce qu’il faut que je remercie ce jeune homme ?
CLOTILDE.
Non. Nous l’avons invité à déjeuner, ça suffit.
DU MESNIL.
Nous devons beaucoup à son ami du ministère.
CLOTILDE.
C’est sa mère qui a tout fait... depuis que je lui ai écrit un mot devant toi, tu te souviens ?
DU MESNIL.
Je ne savais pas que Madame Simpson avait un fils de cet âge-là ; comment le trouves-tu ?
CLOTILDE.
Distingué.
DU MESNIL.
De bien grands airs, hein ?
CLOTILDE.
Ça ne me déplaît pas.
DU MESNIL.
Qu’est-ce qu’il te disait ?
CLOTILDE.
Que j’étais parfaite.
DU MESNIL.
Au moral.
CLOTILDE.
Au physique aussi.
DU MESNIL.
Je suis bon enfant de vous avoir laissés ensemble.
CLOTILDE.
Il part ce soir.
DU MESNIL.
Il peut revenir aussi.
CLOTILDE, à l’oreille de son mari.
Ce n’est pas encore celui-là qui me fera oublier mes devoirs.
Elle le quitte.
SIMPSON, allant à Clotilde.
Vous voulez bien m’excuser, Madame, de me retirer si vite.
CLOTILDE.
Je sais que votre temps est compté, vous me l’avez dit, et je n’ose pas vous retenir.
SIMPSON.
Je regrette déjà Paris avant de l’avoir quitté.
CLOTILDE.
Vous allez l’oublier bien facilement.
SIMPSON.
Ma mère vous verra bientôt sans doute et elle me donnera de vos nouvelles.
CLOTILDE.
Nous lui demanderons aussi des vôtres.
SIMPSON.
Rappelez-vous que vous êtes attendue à Croquignole.
CLOTILDE.
Il n’est pas probable que vous m’y voyiez.
SIMPSON.
Je ne me tiens pas pour battu. Si une occasion se présente pour moi de venir à Paris, et au besoin je la ferai naître, j’essayerai encore de vous décider.
CLOTILDE.
Ne venez pas pour m’inviter, mais pour me voir.
SIMPSON.
À bientôt alors.
CLOTILDE.
À bientôt.
Il sort.
DU MESNIL.
Qu’est-ce que je te disais ?
CLOTILDE.
Qu’est-ce que je t’ai répondu ? Ne t’occupe pas de ça et fais tes affaires.
Il sort.
Scène IV
CLOTILDE, seule
Sotte aventure ! Tous ces jeunes gens d’aujourd’hui ne valent pas la peine qu’on s’occupe d’eux. C’est sec, plein de prétentions, ça ne croit à rien ; ils aiment la pose, et voilà tout. Je pensais que M. Simpson, élevé par sa mère, s’attacherait sérieusement à une femme. Je n’ai pas à me plaindre de lui, du reste. Il a été toujours fort convenable et très obligeant... Il est un peu bête avec ses fusils... C’est bien fait pour moi. J’avais ce qu’il me fallait, un ami excellent, un second mari, autant dire. Je l’ai malmené de toutes les manières, il en a eu assez, ça se comprend. Qui sait ? Il me croit peut-être plus fâchée que je ne le suis, les hommes nous connaissent si peu. Nous sommes bien faibles, c’est vrai, avec celui qui nous plaît, mais nous revenons toujours à celui qui nous aime.
Un coup de timbre.
Scène V
CLOTILDE, ADÈLE
ADÈLE, entrant.
M. Lafont, Madame.
CLOTILDE.
Eh bien ? Pourquoi prenez-vous cet air étonné pour annoncer M. Lafont ?
ADÈLE.
Madame va donc le recevoir ?
CLOTILDE.
Certainement.
ADÈLE.
Bien, Madame.
CLOTILDE.
Allez-vous-en maintenant, Adèle, si vous avez besoin de sortir.
ADÈLE.
Merci, Madame.
Elle fait entrer Lafont.
Scène VI
CLOTILDE, LAFONT
LAFONT, ému, lentement.
Bonjour.
CLOTILDE, d’une voix calculée.
Bonjour, mon ami.
LAFONT.
Comment allez-vous ?
CLOTILDE.
Doucement, bien doucement. Et vous ?
LAFONT.
Mal. Très mal. Je vous dérange ?
CLOTILDE.
Pas le moins du monde.
LAFONT.
Vous alliez peut-être sortir ?
CLOTILDE.
Ma foi, non. Je sors à peine maintenant. Où irais-je ?
LAFONT.
Vous aviez du monde à déjeuner ?
CLOTILDE.
Du monde, non, une personne.
LAFONT.
Un ami ?
CLOTILDE.
Un passant.
LAFONT.
Vous le nommez ?
CLOTILDE, après avoir cherché.
Mon mari me l’a dit, mais je ne m’en souviens plus.
LAFONT.
Je viens de les voir partir ensemble.
CLOTILDE.
Vrai ? Vous étiez là, sous mes fenêtres ? Si je l’avais su, je me serais montrée un instant. C’est très gentil de votre part. Au moins vous ne m’avez pas oubliée tout de suite.
LAFONT.
Quel était ce Monsieur ?
CLOTILDE.
Un passant, je vous le répète, le premier venu. Il ne peut pas vous donner de l’ombrage ; mon mari me l’a présenté ce matin et ce soir il sera parti.
LAFONT.
Vous me dites la vérité ?
CLOTILDE.
Pourquoi vous mentirais-je maintenant ? Vous ne changez pas, vous, c’est une justice à vous rendre ! Venez ici, dans ce fauteuil, et tenez-vous-y, si c’est possible, que je ne vous voie pas marcher, remuer et vous agiter comme autrefois. Vous m’avez laissé de meilleurs souvenirs.
LAFONT.
Clotilde !
CLOTILDE.
Il n’y a plus de Clotilde.
LAFONT.
Mon amie !
CLOTILDE.
Un peu de calme, n’est-ce pas, et ne nous égarons pas si vite.
LAFONT.
J’ai bien regretté, allez, cette scène ridicule, que vous pouviez empêcher si facilement. Regardez-moi. M. Alfred Mercier !
Elle rit.
Que voulez-vous ? J’étais jaloux depuis longtemps de ce M. Mercier ; tous mes soupçons se portaient sur lui. Madame Beaulieu ne se plaindra pas de votre discrétion.
CLOTILDE.
C’est bien. Qu’est-ce que vous avez fait depuis que je ne vous ai vu ?
LAFONT.
J’ai pensé à vous.
CLOTILDE.
Cela se dit, cela. Après ?
LAFONT.
Après ! J’ai vécu comme d’habitude.
CLOTILDE.
Vous ne vous êtes pas absenté ?
LAFONT.
Il fallait me déplacer, je n’en ai pas eu le courage.
CLOTILDE.
Ces demoiselles ont-elles été gracieuses ? Vous ont-elles bien reçu ?
LAFONT.
Je ne vous réponds pas.
CLOTILDE.
Pourquoi ? Il est possible qu’autrefois une infidélité de votre part m’eût été sensible, très sensible ; mais ce qui vous était défendu alors vous est bien permis maintenant. Avec cela que je ne vous connais pas et que vous êtes un homme à vous priver de consolations. Vous n’étiez pas toujours bien aimable, mon ami, ni bien gai, ni bien confiant, mais...
LAFONT.
Mais...
CLOTILDE.
Ne parlons pas de ces choses-là.
LAFONT.
Je souffre beaucoup trop, je vous assure, pour songer à des consolations. Et puis, si le malheur veut que je vous ai perdue pour toujours, je ne chercherai pas à vous remplacer dans un monde que je ne fréquente plus.
CLOTILDE.
Vous avez tort. Vous devriez retourner auprès de ces dames. Elles sont libres ; on ne se gêne pas avec elles ; elles aiment les histoires, les cris, les batailles ; vous ne trouverez jamais cela avec nous. Nous ne pouvons offrir qu’une affection paisible, sincère... et désintéressée.
LAFONT.
C’est ce que je demande. C’est ce que nous demandons tous.
CLOTILDE.
Alors, mon ami, il fallait prendre garde et ne pas risquer ce que vous teniez pour le plaisir de faire un coup de tête.
LAFONT.
Clotilde ?
CLOTILDE.
Quoi, mon ami ?
LAFONT.
Donnez-moi votre main.
CLOTILDE.
Non.
LAFONT.
Vous pouvez bien me donner la main.
CLOTILDE.
Plus tard, nous verrons. Ne prenez pas cet air-là, ou je vous renvoie à l’instant même.
LAFONT.
Donnez-moi votre main.
CLOTILDE.
Allons, la voici. Il vous faut l’autre maintenant.
LAFONT.
Vous êtes bien froide.
CLOTILDE.
Comment, froide ? Je vous fais asseoir près de moi et je vous permets de m’embrasser, vous ne pensiez pas que j’allais me jeter à votre cou, dès que vous entreriez.
LAFONT.
Je suis là, comme un coupable. J’accepte tous les reproches que vous me faites ; je crois que vous en mériteriez aussi.
CLOTILDE.
Aucun.
LAFONT.
Est-ce ma faute ou la vôtre si nos relations ont changé tout à coup ? Il n’y avait pas d’homme plus heureux que moi, jusqu’au jour où votre existence a été bouleversée.
CLOTILDE.
Qu’est-ce que vous dites ? Mon existence bouleversée ! Elle ne pouvait l’être que par vous, si je ne vous avais pas arrêté à temps.
LAFONT.
Vous avez raison. Je ne sais pas pourquoi je reviens là-dessus. Laissons ce qui s’est passé.
CLOTILDE.
Qu’est-ce qui s’est passé ? Vous êtes incorrigible. Je vous reçois, je vous écoute, je crois que vous regrettez sincèrement une conduite inexplicable, je me dis que plus tard, si vous vous réformiez sérieusement, il ne serait pas impossible que je vous pardonne ; et vous me fâchez encore avec ce mauvais esprit que je déteste en vous et que je n’ai jamais réussi à vaincre. Il ne s’est rien passé du tout, vous entendez, rien, rien, rien, absolument rien ! – Éloignez-vous.
LAFONT.
Pourquoi ?
CLOTILDE.
Éloignez-vous. Je désire me lever.
LAFONT.
Non.
CLOTILDE.
Si.
LAFONT.
Restons comme nous sommes.
CLOTILDE.
Laissez-moi me lever un instant... Vous ne partez pas encore...
LAFONT.
Continuons.
CLOTILDE.
Quelle exigence !
LAFONT.
Vous ne souffrez pas ?
CLOTILDE.
Je suis nerveuse et agitée.
LAFONT.
Raison de plus.
CLOTILDE.
Vous dites ?
LAFONT.
J’ai bien de la peine aussi à me dominer.
CLOTILDE.
Allons, ne vous troublez pas, je resterai assise.
LAFONT.
Vous pensiez donc un peu à me pardonner ?
CLOTILDE.
J’ai dit cela et j’ai eu tort.
LAFONT.
Reprenons notre bonne existence d’autrefois.
CLOTILDE.
À quoi bon ? Vous ne serez jamais heureux avec moi et je ne serai jamais tranquille avec vous ; vous ne voulez pas comprendre ma situation.
LAFONT.
Quelle situation ?
CLOTILDE.
Ma situation. Est-ce que je n’ai pas un mari, dont je dépends entièrement, et qui doit me trouver là toutes les fois qu’il le désire ? C’est bien le moins, vous l’avouerez. Voilà encore une bien grande faute de votre part et que vous vous éviteriez, si vous me connaissiez mieux.
LAFONT.
Qu’est-ce que vous me reprochez ?
CLOTILDE.
Vous n’aimez pas mon mari !
LAFONT.
Mais si, je vous assure.
CLOTILDE.
Mais non, je vous le garantis. Vous n’aimez pas Adolphe, je le vois à bien des choses. Ce sont peut-être vos caractères qui ne s’accordent pas ou bien la position qui veut ça.
LAFONT.
Quelle injustice ! Votre mari ! Il n’a jamais eu que deux amis en ce monde !
CLOTILDE.
Deux ?
LAFONT.
Oui, deux.
CLOTILDE.
Lesquels ?
LAFONT.
Vous et moi.
Ils rient.
Laissons de côté les autres et parlons de nous. Voyons, Clotilde, soyez sincère, est-il vrai que vous me plaisiez ?
CLOTILDE.
Ça, oui. Je crois que je suis à votre goût.
LAFONT.
Une affection comme la mienne ne se rencontre pas tous les jours ; vous en tenez compte ?
CLOTILDE.
Certainement. C’est bien parce qu’elle me touche et que j’en tiens compte, que j’ai supporté toutes vos tempêtes.
LAFONT.
Je suis bien doux d’ordinaire, bien tendre...
CLOTILDE.
Je ne dis pas non. Vous savez parfaitement plaire quand vous le voulez bien, et vous trouvez quelquefois de fort jolies choses qui sont très agréables à entendre... Ce n’est pas vous qui parleriez de fusils à une femme.
LAFONT.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
CLOTILDE.
Rien. Une sottise qu’on m’a contée. Ne faites pas attention.
LAFONT, se rapprochant d’elle.
Dites-moi que vous me pardonnez.
CLOTILDE, bas.
Oui... Soyez sage, n’est-ce pas ?
LAFONT.
Vous me pardonnez... tout à fait ?
CLOTILDE.
Tout à fait... Ne me tourmentez pas, j’irai vous voir.
LAFONT.
Bientôt ?
CLOTILDE.
Quand vous le voudrez... Prenez garde, je ne suis pas seule ici.
LAFONT.
Clotilde !
CLOTILDE, se relevant.
Tu m’aimes ?
LAFONT.
Je t’adore.
CLOTILDE.
En aurons-nous dit des paroles inutiles pour nous retrouver au même point.
LAFONT, allant à elle.
Le regrettez-vous ?
CLOTILDE.
Pas encore.
LAFONT.
J’étais bien triste en venant ici ; je vous quitterai dans de meilleures dispositions.
CLOTILDE.
Eh bien ? que cette petite leçon vous profite ! Plus de scènes, n’est-ce pas, plus de ces affreux soupçons, qui désobligent une femme et qui sont si inutiles. Quand quelque chose va mal ou vous fait de la peine, dites-le-moi, je suis toujours disposée à entendre raison. Écoutez. Je vais vous annoncer une nouvelle qui ne vous déplaira pas.
LAFONT.
Voyons.
CLOTILDE.
Je crois que mes beaux jours avec Madame Simpson sont finis.
LAFONT.
Bah !
CLOTILDE.
Oui.
LAFONT.
Vous avez eu à vous plaindre d’elle ?
CLOTILDE.
Non. Je n’ai eu qu’à me louer d’elle au contraire. Ce n’est pas précisément Madame Simpson que je ne veux plus voir, c’est sa maison où il me paraît préférable de ne pas aller.
LAFONT.
Qu’est-ce que je vous avais dit tout de suite ?
CLOTILDE.
Vous êtes plus fin que moi, voilà tout.
LAFONT.
Je connais une autre personne, dont la société n’est pas bien bonne pour vous, et que vous devriez écarter aussi.
CLOTILDE.
Vous allez me dire une bêtise, je vois ça d’ici. Cette personne, c’est...
LAFONT.
Madame Beaulieu.
CLOTILDE.
Moi, me fâcher avec Pauline, je voudrais bien savoir pourquoi ? Pourquoi ?
LAFONT.
Il me semble...
CLOTILDE.
Qu’est-ce qu’il vous semble ?
LAFONT.
M. Mercier !
CLOTILDE.
Eh bien ? M. Mercier ?
LAFONT.
J’ai appris ce qui en est et ce que vous savez bien aussi.
CLOTILDE.
Oui, je le sais. Après ?
LAFONT.
Vous ne défendez pas Madame Beaulieu, je présume.
CLOTILDE.
Ah çà ! pensez-vous un peu à ce que vous me dites ? Est-ce que vous allez reprocher à Pauline de faire pour M. Mercier ce que je fais pour vous ?
LAFONT.
Ce n’est pas la même chose.
CLOTILDE.
En êtes-vous sûr ? Expliquez-moi la différence.
LAFONT.
J’en vois une.
CLOTILDE.
Laquelle ? Allons. Dites un peu. Laquelle ?... Vous êtes tous les mêmes, messieurs. Pour vous, nous pouvons tout nous permettre, mais vous vous révoltez quand ce sont les autres qui en profitent. Plutôt que de vous occuper de Pauline, vous devriez songer à mon mari qui s’est plaint tous les jours qu’on ne vous voyait plus et qui va vous demander une explication.
LAFONT, montrant la seconde porte du fond.
C’est Adolphe que nous venons d’entendre rentrer ?
CLOTILDE.
Oui, c’est Adolphe. Avez-vous pensé un peu à ce que vous lui diriez ?
LAFONT.
Non.
CLOTILDE.
Non. Ça vous fait rire. Tant pis pour vous, mon ami, vous vous tirerez de là comme vous pourrez.
Scène VII
CLOTILDE, LAFONT, DU MESNIL
DU MESNIL.
Te voilà, toi !
LAFONT, embarrassé.
Bonjour, mon cher.
DU MESNIL.
Bonjour. Pourquoi ne t’a-t-on pas vu depuis si longtemps ?
LAFONT, embarrassé.
Comment vas-tu ?
DU MESNIL.
Je me porte à merveille. Tu ne réponds pas à ma question. Qu’est-ce qui s’est donc passé que tu aies disparu du jour au lendemain ?
CLOTILDE.
Ne le tourmente pas. Il a eu un gros chagrin, n’est-ce pas, Monsieur Lafont ?
LAFONT.
Oui, Madame.
DU MESNIL.
Quel chagrin ?
CLOTILDE.
Est-ce qu’il faut que je dise à mon mari ?
LAFONT.
Si vous le voulez.
DU MESNIL.
Parle donc.
CLOTILDE.
Il était jaloux.
DU MESNIL.
Jaloux !
À Lafont.
Comment ! Tu es encore jaloux, à ton âge ?
À sa femme.
Et de qui diable était-il jaloux ? D’une femme qui ne lui appartient pas, bien entendu. Ces célibataires ! Ils ne se refusent rien, ils sont jaloux par-dessus le marché. Veux-tu que je te dise l’opinion d’un économiste célèbre sur la jalousie ? La jalousie, c’est la privation, pas autre chose. Si tu étais marié, tu ne serais pas privé et tu ne serais pas jaloux. Est-ce vrai, ça, Clotilde ?
CLOTILDE.
Allons, tais-toi un peu.
DU MESNIL.
Jaloux !
À sa femme.
Est-ce que tu lui as dit ?
CLOTILDE.
Quoi donc ?
DU MESNIL.
Que j’étais nommé.
CLOTILDE.
M. Lafont est le premier qui t’ait écrit pour te féliciter.
DU MESNIL.
En effet. Je ne m’en souvenais plus. Il m’a écrit plutôt que de venir me voir...
À Lafont, en regardant sa femme avec intention.
C’est mon oncle, mon vieux bonhomme d’oncle, qui a enlevé cette affaire-là.
CLOTILDE.
On le sait bien que c’est ton oncle, tu n’as pas besoin de le crier sur les toits.
DU MESNIL, à Lafont.
Eh bien ! Est-ce que ça ne vaut pas mieux d’être receveur que d’être jaloux, hein ?
À sa femme.
Ce pauvre Lafont ! Il n’est pas encore bien remis. Il n’a pas son nez ordinaire. – Ah çà ! t’a-t-elle trompé ou ne t’a-t-elle pas trompé ?
LAFONT.
Laisse-moi donc !
DU MESNIL.
Tu peux bien me dire ça, à moi. T’a-t-elle trompé ou ne t’a-t-elle pas trompé ?
CLOTILDE.
Mon mari vous fait une question, répondez-y.
LAFONT.
Que voulez-vous que je réponde ? Y a-t-il un homme, un seul, qui jurerait que sa maîtresse ne l’a pas trompé ? La mienne m’a dit que non, elle ne pouvait pas me dire oui. Nous nous sommes réconciliés, c’est ce que nous désirions sans doute l’un et l’autre.
CLOTILDE.
Vraiment ! Il est bien fâcheux que cette dame ne soit pas ici pour vous entendre ; elle saurait l’opinion que vous avez d’elle et de toutes les femmes. La confiance, Monsieur Lafont, la confiance, voilà le seul système qui réussisse avec nous.
DU MESNIL.
Ç’a toujours été le mien, chère amie...