La Nouvelle Colonie (MARIVAUX)
Comédie en trois actes, en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, par les comédiens italiens, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 18 juin 1729.
DIVERTISSEMENT
I
Entrée (dansée)
II
Cantatille
Si les lois des hommes dépendent,
Ne vous en plaignez pas, trop aimables objets :
Vous imposez des fers à ceux qui vous commandent,
Et vos maîtres sont vos sujets.
III
Prélude
Vous triomphez par une douce guerre
De l’esprit le plus fort et du cœur le plus fier.
Jupiter d’un regard épouvante la terre :
Vous pouvez d’un regard désarmer Jupiter.
Vos attraits fixent la victoire ;
Rien ne saurait vous résister,
Et c’est augmenter votre gloire
Que d’oser vous la disputer.
IV
Menuet
V
Parodie
Minerve guide
Les sages, les vertueux,
Junon préside
Sur les cœurs ambitieux,
Vénus décide
Du sort des amoureux.
Tout ce qui respire
Vit sous l’empire
D’un sexe si flatteur.
Quelque sort qui nous appelle,
C’est une belle
Qui fixe notre ardeur.
VI
Gavotte
VII
Vaudeville
Aimable sexe, vos lois
Ont des droits
Sur les Dieux comme sur les Rois ;
Voulez-vous la paix ou la guerre,
Sur vos avis nous savons nous régler :
Pour troubler ou calmer la terre,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.
Tout est possible à votre art :
Un vieillard
Rajeunit par votre regard.
Pour dompter le cœur d’un Achille,
Pour engager un Hercule à filer,
Et pour rendre un sage imbécile,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.
Le jugement d’un procès
Au Palais
Ne dépend pas de nos placets :
Que Philis soit notre refuge,
Nous entendrons notre cause appeler ;
Pour faire prononcer un juge,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.
Un avocat bon latin
Cite en vain
Et Bartole et Jean de Moulin :
On est sourd à son éloquence,
Dès qu’au barreau Philis vient s’installer :
Pour faire pencher la balance,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.
Oh ! que l’on voit à Paris
De commis
Qu’en place les belles ont mis.
Si Cloris le veut, un gros âne
Dans un bureau saura bientôt briller ;
Pour en faire un chef à la douane,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.
Je ne vais point au vallon
D’Apollon
Quand je veux faire une chanson.
Le beau feu qu’Aminte m’inspire
Vaut bien celui dont ce dieu fait brûler,
Et pour faire parler ma lyre,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.
UNE JEUNE FILLE.
Si j’avais un inconstant
Pour amant,
Je craindrais peu son changement ;
J’aurais tort de m’en mettre en peine :
Il en est cent que je puis enrôler,
D’ici j’en vois une douzaine,
Et mes yeux n’ont qu’à parler.
Auteurs, soyez désormais
Plus discrets.
N’attaquez plus ces doux objets.
En vain l’on vante votre ouvrage :
D’un feu divin il a beau pétiller,
Pour vous causer un prompt naufrage,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.
Si vous voulez qu’Arlequin
Soit en train,
Venez, belles, tout sera plein :
Je cabriole pour vous plaire.
Si vous voulez, je saurai redoubler,
Un bis ne m’embarrasse guère :
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.