La Comédie des comédiens (Georges de SCUDÉRY)

Poème de nouvelle invention en cinq actes et un prologue, les 3 derniers en vers sous le titre L’Amour caché par l’amour, tragi-comédie pastorale.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en novembre 1634.

 

Personnages des deux premiers Actes

 

BELLE-OMBRE

ARLEQUIN

LE TAMBOUR

BELLE-FLEUR

BELLE-ÉPINE

LA FEMME DE BELLE-ÉPINE

BEAU-SÉJOUR

BEAU-SOLEIL

LA FEMME DE BEAU-SOLEIL

MONSIEUR DE BLANDIMAR

SON HÔTE

 

Personnages de l’amour caché par l’amour

 

LE PROLOGUE

L’ARGUMENT

FLORINTOR, Berger

PIRANDRE, Berger

ISOMÈNE, Bergère

MÉLISÉE, Bergère

TARAMINTE, père de Florintor

ALPHANGE, père de Pirandre

LISIMANT, oncle de Mélisée

ALIANTE, mère d’Isomène

 

La scène est en forêts.

 

 

À MONSIEUR LE MARQUIS DE COALIN,

COLONEL GÉNÉRAL DES SUISSES

 

MONSIEUR,

 

Si je ne savais bien que parmi les personnes illustres, la richesse des dons n’en fait pas la valeur : je n’aurais garde de vous offrir cette Comédie : elle est trop peu considérable pour un homme qui l’est tant : et je devrais avoir honte de ma hardiesse. Mais après les courtoisies dont je vous suis déjà redevable, j’espère que vous ne regarderez mon dessein plutôt que mon présent, que vous ouvrirez mon cœur avec mon livre, et que vous lirez dans l’un est dans l’autre que je suis,

 

MONSIEUR,

 

Votre très humble et très fidèle serviteur,

 

DE SCUDÉRY.

 

 

AU LECTEUR

 

C’est une maxime reçue entre les personnes qui se connaissent aux bonnes choses, que l’esprit de celui qui fait des vers, et qui les fait bien, doit être comme le Prothée des Poètes, ou comme la matière première, capable de toutes formes : il faut qu’il sache faire parler des Rois et des Bergers, et les uns et les autres en des termes, qui conviennent à leurs conditions. Ainsi, le Dieu de la Poésie Latine, que toute la terre adore encore sous le non de Virgile, n’a pas manqué de suivre une règle si nécessaire aux bons ouvrages. Et qui prendra le soin de comparer le style pompeux et magnifique de l’Énéide, avec la douceur naïve des Bucoliques, jugera sans doute que mon opinion est bien fondée. Je ne tâche (Lecteur) de t’amener dans mon sens, par ce raisonnement, qu’afin que si la suite des temps te met en main après ma COMÉDIE, LIGDAMON, LE TROMPEUR PUNI, LE VASSAL GÉNÉREUX, ORANTE, LE FILS SUPPOSÉ, LE PRINCE DÉGUISÉ, LA MORT DE CÉSAR, ou celle de DIDON que je traite, tu ne t’étonnes point d’y voir une diversité si grande, soit aux pesées, soit en la façon de les exprimer, quelques uns de ces Poèmes, m’ont obligé de toucher en passant, la morale et la politique ; d’autres m’ont fait parler de l’art militaire par terre et par mer ; les voyages de mes Héros m’ont fait marquer la Carte de leur navigation ; les aventures des personnes illustres m’ont donné les grandes et les fortes passions, que demande une douleur éloquente ; et de cette sorte, j’ai tâché de n’être point ignorant, dans les sciences, et dans les Arts, qui se sont trouvez comme enchaînés avec les sujets que j’ai voulu prendre, que si tu ne rencontres pas un de ces ornements en cette Pièce, tu te souviendras s’il te plaît, qu’aux autres, ce sont des Princes et des Rois qui parlent, et qu’en celle-ci ce sont des Comédiens et des Bergers, mais Comédiens et Bergers, qui ne font pas pourtant du commun, et qui t’entretiendront assez agréablement, des choses qui regardent leur profession et leurs amours. En un mot j’ose croire que cette Peinture a ses grâces, aussi bien que la plus achevée des miennes, l’invention en est nouvelle, et si je ne me trompe divertissante, elle tient quelque chose de ce genre de Poème, que les Italiens appellent capriccioso si l’impression la fait aussi bien réussir que le Théâtre, je ne plaindrai pas quinze jours, que ma coûté sa production. C’est ce que je dois apprendre de la voix publique, dont la tienne fait une partie : mais de grâce sois juste et clément pour cet Ouvrage ; c’est à dire, estime ce qu’il a de bon, et pardonne moi des fautes que tu ne verras, que parce que je ne les ai point vues.

 

 

PROLOGUE

 

Non, je ne ferai rien ; tenez, reprenez vos habits : je ne veux point être fou par compagnie : et je ne saurais me résoudre à tromper tant d’honnêtes gens, comme je vois qu’il y en a ici. Je ne sais (Messieurs) quelle extravagance est aujourd’hui celle de mes Compagnons, mais elle est bien si grande, que je suis forcé de croire, que quelque charme leur dérobe la raison, et le pire que j’y vois, c’est, qu’ils tâchent de me la faire perdre, et à vous autres aussi. Ils veulent me persuader que je ne suis point sur un Théâtre ; ils disent que c’est ici la ville de Lyon, que voilà une Hôtellerie ; et que voici un jeu de paume, où des Comédiens qui ne sont point nous, et lesquels nous sommes pourtant, représentent une Pastorale, ces insensés ont tous pris des noms de guerre, et pensent vous être inconnus, en s’appelant, Belle-Ombre, Beau-Soleil, Beau-Séjour, et d’autres encore tous semblables ; ils veulent que vous croyez être au bord du Rhône, et non pas à celui de la Seine ; et sans partir de Paris, ils prétendent vous faire passer pour des habitants de Lyon : à moi-même ces Messieurs des petites Maisons, me veulent persuader que la métempsychose est vraie, et que par conséquent Pythagore était un évangéliste car ils disent que je suis un certain monsieur de Blandimare, bien que je m’appelle véritablement Mondory, et voyez s’ils ont le sens bien égaré, ils doivent faire passer ici un Tambour et un Arlequin, comme le pratiquent les petites Troupes dedans, les petites villes ; n’est-ce pas se faire tort, et vous offenser aussi ?Mais ce n’est point encore tout, leur folie va bien plus avant, car la pièce qu’ils représentent, ne saurait durer qu’une heure et demie, mais ces insensés assurent, qu’elle en dure vingt et quatre et ces esprits déréglés, appellent cela suivre les règles, mais s’ils étaient véritables, vous devriez envoyer quérir à dîner, à souper, et des lits ; jugez si vous ne seriez pas couchés bien chaudement, de dormir dans un jeu de Paume : enfin leur manie m’oblige à faire un voyage a Saint-Mathurin pour eux, où je m’en vais et cependant (Messieurs) ne les croyez pas, quoiqu’ils puissent dire ; car je meure s’il y aura rien de véritable : mais il est bien tard pour partir et le Soleil s’abaisse fort, de sorte que puisque je suis contraint de remettre mon voyage à demain, il faut nécessairement que je m’accommode pour aujourd’hui, à l’humeur de ces Passerellis ; car elle se peut vaincre par la douceur, et s’irrite par la résistance : et de peur de les mettre en mauvaise, ne dites mot je vous supplie : parce qu’étant mélancoliques, ils sont amateurs du silence.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

BELLE-OMBRE

 

Je meure s’il n’est vrai que tout ce qui reluit n’est pas or : et que les belles apparences sont le plus souvent trompeuses, avant qu’avoir goûté la forme de vie que je mène, je me l’imaginais la plus agréable de toutes : et je croyais indubitablement la Comédie aussi plaisante à faire, qu’à voir : mais l’expérience m’a contraint de changer d’opinion : et certes il faudrait que j’eusse le goût bien malade, pour ne savoir pas faire la différence de ces deux choses, puisque l’une commence, continue, et finit avec plaisir, et que l’autre au contraire, est suivie de mille incommodités. Ce n’est pas que la qualité que nous avons de Bourgeois de l’univers, ou de Citoyens du Monde, ne soit capable de contenter l’esprit d’un jeune homme, par les diversités qu’elle présente à la curiosité, comme à sa vue, mais ce peu de douceur est mêlé de tant d’amertume, et ces roses accompagnées de tant d’épines, qu’il est impossible de prendre l’une sans dégoût, ni de toucher aux autres sans piqûre. Quoi que le personnage que je joue à cette porte, ne soit pas le plus honorable, il est pourtant le plus utile, et comme il fait la part à mes Compagnons, je n’ai pas la mémoire si mauvaise, que j’oublie à faire la mienne bonne ; mais le malheur est, que mon industrie ne trouve point où agir pleinement, à cause de l’humeur de ces habitants, plus froide que la saison où nous sommes, de sorte que si ce désordre continue, BELLE-OMBRE, je pense que le meilleur sera de nous y tenir, c’est à dire, d’aller revoir les clochers de notre ville, et demeurer à la maison clos et couvert de peur du hâle. Mais voici notre Tambour et notre Arlequin revenus, et je pense puisque je ne vois venir personne, que le bruit qu’ils ont fait par les rues, n’aura pas été plus persuasif, que les menteries de l’affiche.

 

 

Scène II

 

ARLEQUIN, LE TAMBOUR

 

ARLEQUIN.

Nous pouvons bien bander notre caisse, et notre Tambour débander la sienne : car désormais je ne vois point d’apparence que nous fassions rien ici, il n’est grande ni petite rue, que nous n’ayons visitée quatre fois, avec plus de soin, que si nous eussions eu ordre du Magistrat de faire la patrouille : mais le tout inutilement, et puissai-je ne souper d’aujourd’hui, à voir le peu d’émotion que ma présence leur apporte, si l’on ne dirait que je suis Bourgeois comme eux, ou qu’ils font tous Arlequins comme moi. Il n’est pas jusqu’aux petits enfants, qui ne soient fols à force d’être sages, et je puis dire sans vanité, que jamais homme de ma condition ne se vit si mal accompagné, j’ai même plus fait que ne porte ma commission, car ce que les affiches leur montrent par les yeux, j’ai tâché de le leur apprendre par les oreilles, et cette ville n’a point de carrefour, où je n’ai fait le crieur public ; mais je pense qu’ils ont tous voyagé en Égypte, et que le bruit des Cataractes du Nil, leur a dérobé l’ouïe.

 

 

Scène III

 

TOUS LES COMÉDIENS

 

BELLE-FLEUR.

Ha, ha, te voilà sur l’histoire, à ce que j’entends.

ARLEQUIN.

Oui ; et plus véritable à mon grand regret, que celle de Pline, qui rapporte ce que je viens de dire : car il est indubitable, que nous ne gagnerons rien ici.

BELLE-ÉPINE.

Voilà les plus mauvaises nouvelles que tu nous pouvais apprendre : il est vrai qu’elles ne me surprennent point, car je les avais bien prévues.

BEAU-SÉJOUR.

Voici un de ces prophètes, qui prédisent les choses arrivées : et Tiercelet de Nostradamus, si vous prévoyez le malheur de la troupe que ne l’en avertissiez vous ?

LA BELLE-ÉPINE.

Ce qui m’en empêcha, fut que je connaissais que j’ai parmi vous autres le malheur de Cassandre, qui bien que toujours véritable, ne fut pourtant jamais crue : mais vous pourriez bien avoir la punition des Troyens, il est vrai que j’y aurai ma part comme elle.

BEAU-SOLEIL.

Voilà à mon avis, le plus grand nombre de tes humanités, et de tes fleurs de Rhétorique étalé, et pour peu qu’on te pressât encore, tu serais contraint de recourir, à l’éloquence de ton pays, c’est à dire aux phrases Périgourdines.

BELLE-ÉPINE.

Monsieur de Beau-Soleil, si mon Mari n’a pas la langue si bien pendue que vous, il a d’autres parties en lui, qui le rendent recommandable.

LA BEAU-SOLEIL.

Nous le devons croire puisque vous le dites, Mademoiselle de Belle-Épine, car il n’en a point de si cachées, dont vous ne puissiez parler comme savante.

BELLE-OMBRE.

La repartie n’est pas mauvaise, mais elle me semble un peu bien libre pour une femme.

LA BEAU-SOLEIL.

Les eaux dormantes ne font pas les plus saines, et la vertu se trouve pour le moins aussi souvent dans un esprit libre, que parmi ces âmes retenues, qu’on a droit de soupçonner d’hypocrisie, mais c’est une erreur où tombe presque tout le monde, pour ce qui regarde les femmes de notre profession, car ils pensent que la farce est l’image de notre vie, et que nous ne faisons que représenter ce que nous pratiquons en effet, ils croient que la femme d’un de vous autres, l’est indubitablement de toute la Troupe ; et s’imaginant que nous sommes un bien commun, comme le Soleil ou les Éléments, il ne s’en trouve pas un, qui ne crois avoir droit de nous faire souffrir l’importunité de ses demandes, et certes c’est bien de là que procède la plus fâcheuse chose, qui s’éprouve à notre condition : car comme nos chambres tiennent des Temples, en ce quelles sont ouvertes à chacun, pour un honnête homme qui nous y visite, il nous faut endurer les impertinences, de mille qui ne le sont pas, l’un viendra branler les jambes toute une après-dînée sur un coffre sans dire mot, seulement pour nous montrer qu’il a des moustaches, et qu’il les sait relever, l’autre un peu moins rêveur que celui-ci, mais non pas plus habile homme, fera toute sa conversation de bagatelles, aussi peu considérables que son esprit : et tranchant de l’officieux, il voudra placer une mouche sur la gorge, mais c’est à dessein d’y toucher : il voudra tenir le miroir, attacher un nœud, mettre de la poudre aux cheveux, et prenant sujet de parler de toutes ces choses, il le fait avec des pointes aussi nouvelles, et aussi peu communes que la Guimbarde, ou Lanturlu. Le troisième prenant un ton plus haut, et trop fort pour son haleine, s’engage inconsidérément, à la censure des Poèmes, que nous aurons représentés : l’un sera trop ennuyeux pour sa longueur, l’autre manque de jugement en sa conduite, celui-là est plat et trop stérile en pensées, celui-là au contraire à force d’en avoir s’embarrasse, et parle Galimatias ; un est défectueux en ce qu’il ne s’attache pas aux règles des anciens, ce qui témoigne ion ignorance ; l’autre pour les avoir trop religieusement observées, est froid, et presque du tout sans action ; celui-ci ne lie pas son discours, et fait des fautes au langage, celui-là n’a pas la politesse de la Cour ; l’un manque des ornements de la poésie ; l’autre est trop abondant en fables ; ce qui sent plus le Pédant que l’honnête homme, et plus l’huile que l’ambre gris ; enfin, il n’en échappe pas à la langue de ce Critique, qui faisant ainsi le procès à tant de bons esprits, sans les ouïr en leurs défenses, montre qu’il est aussi mauvais juge en matière de vers, que le font en la connaissance de l’honnêteté des femmes, ceux qui nous soupçonnent d’en manquer.

BELLE-FLEUR.

Je meure si elle n’habille ses raisons de bonne grâce ; et bien que cinq heures aient sonné, depuis qu’elle parle, je m’étais résolu de ne l’interrompre point ; mais puisqu’une femme a pu s’imposer silence elle-même, faisons en autant, et, rentrons ; et bien que nous ayons accoutumé ailleurs d’avoir achevé à cette heure, ne laisse pas Belle-Ombre, de te tenir encore quelque temps à la porte ; car peut-être, ce que nous jugeons stupidité, ne se trouvera que paresse, et le bien ne vient jamais tard, quand il arrive.

BELLE-OMBRE.

Si nous repaissons de cette espérance seule, nous avons la mine de ne souper que de vent.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR DE BLANDIMARE, L’HÔTE

 

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Il faut avouer, que la jeunesse et la prudence, ne se trouvent que bien rarement ensemble, comme en cet âge bouillant, le corps est rempli de force, l’esprit l’est d’inconsidération. On n’a pour but que les délices, sans songer à l’utile ni à l’honnête : et flattant la folie de ses pensées, on croit que tout ce qui plaît est permis. J’ai tiré la preuve de ce que je dis, dans notre famille même, car feu mon frère d’Ollinville que vous connaissiez, mon Hôte, n’a laissé qu’un fils à sa mort, héritier de tous ses biens, et des miens encore, puisque je ne marierai jamais qui suivant les caprices qui l’emportent loin de la raison, a déjà fait mille saillies. Les Lettres où nous le destinions, lui ont semblé une occupation trop basse, et trop endormie, pour sa vivacité, il a voulu porter les armes, et le faisant, a couru toute l’Europe : et certes comme ce métier n’était pas indigne de sa naissance, nous supportions son erreur, mais lorsque nous pensions qu’il dût faire sa retraite, il est reparti de nouveau, sans que nous ayons pu découvrir sa route, et mon frère m’ayant supplié en mourant, d’avoir soin d’en faire la recherche, il n’est forme de vie où la débauche puisse réduire un jeune homme, dans laquelle je n’ai tâché de le rencontrer : mais tout inutilement, de sorte qu’ennuyé d’un si long voyage, enfin me voici dans Lyon, mais si las, qu’il ne m’est pas possible d’en partir de deux ou trois jours, pour revoir après notre ville, la plus belle du monde, Paris.

L’HÔTE.

Monsieur, je suis marri que vos peines n’ont été plus fructueuses ; mais il faut s’armer de patience, et vous divertir. Les affiches que vous voyez à ce coin, vous montrent qu’il y a des Comédies en cette ville, et le jeu de Paume où ils représentent, n’est qu’à trois pas d’ici, vous ferez bien d’y aller prendre votre part du passe-temps.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Quoi que je n’aie pas grande envie de rire je suivrai pourtant votre conseil, et je m’y en vais.

L’HÔTE.

Et moi vous faire à souper pour le retour.

 

 

Scène V

 

BELLE-OMBRE, MONSIEUR DE BLANDIMARE

 

BELLE-OMBRE.

Je crois que toute la ville est en dévotion aujourd’hui, et qu’on leur a ordonné pour se mortifier, de ne venir point à la Comédie : enfin la patience m’échappe ; mais silence, voici un Oiseau qui a la mine de se venir jeter dans nos filets peut-être comme les Canards, les autres feront le même à son exemple.

MONSIEUR DE BLANDIMARE lit l’affiche.

LES COMÉDIENS DU ROI. Ho cela s’entend sans le dire, cette qualité, et celle de Gentilhomme ordinaire de la Chambre, sont à bon marché maintenant ; mais aussi les gages n’en sont pas grands ; que prend-on ?

BELLE-OMBRE.

Huit sols.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Commencera-ton bientôt ?

BELLE-OMBRE.

Oui Monsieur, on s’y en va ; toute la Compagnie est dans un jeu de Paume voisin, et comme elle viendra tout à coup entrez, et retenez place de bonne heure.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Ô Dieu, qu’est-ce que je vois ? suis-je endormi, ou si c’est une illusion ? es-tu mon Neveu, ou quelque Démon sous fa forme ?

BELLE-OMBRE.

Mon Oncle je vous demande pardon, encore que j’ai peine à croire, que ce que je fais soit une faute.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Et c’est là ce que je vois de pire ; d’autant, que tu tombes en sens réprouvé : tu ne crois point avoir failli, en te faisant portier de Comédie, ha certes voilà une belle métamorphose, bien quelle ne soit pas dans Ovide, qui d’un Gentilhomme de bonne Maison, a fait en toi un voleur.

BELLE-OMBRE.

Ha mon Oncle, Dieu me damne si je le suis.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Ô mon Ami ne jure point une chose qu’on ne peut croire ; les portiers ne sont pas reçus à se purger par serment sur ce sujet l’occasion est trop belle, la tentation de l’argent trop puissante, et le larcin de cette nature, trop difficile à prouver ; en un mot, le titre de voleur est une qualité annexée à celle de Portier de Comédie : et un homme fidèle de cette profession, est comme la pierre Philosophale, le mouvement perpétuel, ou la quadrature du Cercle ; c’est à dire, une chose possible et non trouvée.

BELLE-OMBRE.

Mais mon Oncle, est-on blâmable pour être Comédien ?

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

La question que tu me fais, n’est pas si aisée à résoudre, qu’on le puisse faire dans la rue, il y a beaucoup de raisons, pour et contre, et de plus, tel se nomme Comédien, qui n’est rien moins que cela, et je vois bien même, que je n’apprendrai d’aujourd’hui sur votre Théâtre si tes Compagnons ont droit à cette qualité, ou s’ils l’usurpent : car je n’aperçois venir personne, et j’ai bien remarqué, que le jeu de paume voisin, était un tour de ton métier. Mais ce que je veux que tu fasses, est que tu te souviennes, que je loge à la Pomme de Pin, et qu’à ce soir tu m’y conduise toute la Troupe, pour venir souper avec moi : peut-être ma conversation ne leur sera pas inutile : Adieu.

BELLE-OMBRE.

Très humble serviteur mon Oncle. Jamais je ne me trouvai si empêché de ma contenance ; mais puisque je ne fais plus rien ici, allons rejoindre nos Messieurs, et leur rendre compte de mon aventure.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

MONSIEUR DE BLANDIMARE, TOUS LES COMÉDIENS

 

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Qu’on apporte à laver, nous ne faisons plus rien à table. Ça, donnez moi la main, Mademoiselle de Beau...

MADAME DE BEAU-SOLEIL.

De Beau-Soleil, à votre service Monsieur.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

La faute de ma mémoire est fort excusable, car toutes les Terres des Comédiens, ont tant de rapport aux noms, qu’il est bien difficile qu’on ne les prenne l’un pour l’autre. Monsieur de Bellerose, de Belleville, Beauchâteau, Belleroche, Beaulieu, Beaupré, Bellefleur, Belle-Épine, Beau-Séjour, Beau-Soleil, Belle-Ombre, en fin, eux seuls possèdent, toutes les beautés de la Nature.

MADAME DE BEAU-SOLEIL.

Pour nous punir en quelque façon de la faute que nous avons commise, en recevant Monsieur votre Neveu, votre bel esprit a semblé avoir pris a tâche, pendant tout le souper, le mépris de la Comédie : mais nous nous en consolons, par la connaissance que nous avons de la bonté de votre jugement, qui fans doute, vous fait avoir dans l’âme, des sentiments de notre Profession, tous contraires, à ce que la raillerie, vous met à la bouche sur ce sujet.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Tant s’en faut que je la méprise, que je tiens qu’à moins que d’avoir renoncé au sens commun, il n’est pas possible qu’on ne l’estime quand elle est bien faite mais je vous dirai librement, que j’ai le même goût pour les Comédies, que pour les Vers, pour les Melons, et pour les Amis ; c’est à dire, que s’ils ne sont excellents, ils ne valent rien du tout. Il y a des choses d’une nature si relevée, que la médiocrité les détruit : et à n’en point mentir, il faut tant de qualités à un Comédien, pour mériter celle de bon, qu’on ne les rencontre, que fort rarement ensemble, il faut premièrement que la nature y contribue, en lui donnant la bonne mine ; c’est ce qui fait la première impression dans l’âme des spectateurs : qu’il ait le port du corps avantageux, l’action libre, et sans contrainte ; la voix claire, nette, et forte ; que son langage soit exempt des mauvaises prononciations, et des accès corrompus, qu’on acquiert dans les Provinces, et qu’il se conserve toujours la pureté du Français, qu’il ait l’esprit et le jugement bon, pour l’intelligence des vers, et la force de la mémoire, pour les apprendre promptement, et les retenir après toujours qu’il ne soit ignorant ni de l’histoire, ni de la fable, car autrement, il fera du Galimatias malgré qu’il en aie : et récitera des choses bien souvent à contre-sens : et aussi hors de ton, qu’un Musicien qui n’a point d’oreille : ses actions mêmes seront comme les pas d’un mauvais Baladin, qui saute une heure après la cadence ; et de là vient tant de postures extravagantes, et tant de lever de chapeau hors de saison, comme on en voit sur les Théâtres. Enfin, il faut que toutes ces parties soient encore accompagnées d’une hardiesse modeste qui ne tenant rien de l’effronté, ni du timide, se maintienne dans un juste tempérament, et pour conclusion, il faut, que les pleurs, le rire, l’amour, la haine, l’indifférence, le mépris, la jalousie, la colère, l’ambition, et bref que toutes les passions soient peintes sur son visage, chaque fois qu’il le voudra. Or jugez maintenant, si un homme de cette sorte, est beaucoup moins rare que le Phœnix ?

BEAU-SÉJOUR.

Ce que vous nous venez de dire, est l’Idée de la perfection, qui ne se trouve point aux hommes : mais si j’ose bien assurer que notre troupe n’en est pas tant éloignée ; et comme vous savez parfaitement faire le discernement des bonnes et des mauvaises choses, si vous nous aviez vu représenter, peut-être seriez vous de mon avis.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

À dire vrai l’on connaît le Lion par l’ongle : mais les nuits sont longues, et ennuyeuses, quand vous m’aurez fait la faveur d’en employer une demi-heure à réciter des vers devant moi, il nous restera encore assez pour dormir.

BELLE-ÉPINE.

Vous pouvez tout sur notre obéissance.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Quelles pièces avez-vous ?

BELLE-FLEUR.

Toutes celles de feu Hardy.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Il faut donner cet aveu à la mémoire de cet auteur, qu’il avait un puissant génie, et une veine prodigieusement abondante (comme huit cent Poèmes de sa façon en font foi) et certes à lui seul appartient la gloire, d’avoir le premier relevé le Théâtre Français, tombé depuis tant d’années. Il était plein de facilité, et de doctrine, et quoi qu’en veuillent dire ses envieux, il est certain que c’était un grand homme. Et s’il eut aussi bien travaillé par divertissement, que par nécessité, ses ouvrages auraient sans doute, été inimitables : mais il avait trop de part à la pauvreté de ceux de sa profession, et c’est ce que produit l’ignorance de notre siècle, et le mépris de la vertu.

BEAU-SOLEIL.

Nous avons encor tout ce jeu imprimé, La Pyrame de Théophile, poème, qui n’est mauvais qu’en ce qu’il a été trop bon : car excepté ceux qui n’ont point de mémoire, il ne se trouve personne qui ne le sache par cœur, de sorte que ses raretés, empêchent qu’il ne soit rare. Nous avons aussi la Sylvie, la Chriseïde, et la Sylvanire, Les Folies de Cardenio, L’infidèle Confidente, et la Philis de Scire, les Bergeries de Monsieur de Racan, Ligdamon, le Trompeur Puni, Mélite, Clitandre, la Veuve, la Bague de l’oubli, et tout ce qu’ont mis en lumière les plus beaux esprits du temps, mais pour maintenant, il suffira que nous vous fassions ouïr une Églogue Pastorale à l’auteur du Trompeur Puni, nous l’avons apprise parce qu’elle est bonne, et sans dessein de nous en servir au Théâtre, pour lequel elle n’a pas été composée : Prenez la peine de l’entendre.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Vous n’avez pas mal choisi, pour rencontrer mon approbation car ce Gentilhomme dont vous parlez, est à mon gré un de ceux qui portent une épée, qui s’aide le mieux d’une plume : mais commencez quand il vous plaira.

 

ÉGLOGUE

 

TANCRÈDE, IRIS, ALCIDON, CLORICE

 

TANCRÈDE.

Que faites-vous Iris dans cette forêt sombre
Où nul Soleil que vous n’a jamais pénétré ?

IRIS.

J’y cherchais ce qui fuit, c’est à dire de l’ombre,
Et fuyais seulement ce que j’ai rencontré.

CLORICE.

Plus parfait que Pâris, cher miracle des hommes,
Pourquoi haïssez-vous mon visage et mon nom ?

TANCRÈDE.

Si j’étais ce Troyen, et que j’eusse cent pommes,
Vous en auriez autant, que Pallas, que Junon.

ALCIDON.

Reine de mes désirs, tu te vois refusée,
Et moi qui te chéris, je me vois méprisé.

CLORICE.

Si guérir d’un refus, est chose tant aisée,
Que ne te guéris-tu, te voyant refuser ?

IRIS.

Quitte cher Alcidon, quitte cette farouche
Qui ne mérite pas de captiver ta foi.

ALCIDON.

Veux-tu que la raison se trouve dans ta bouche,
Ne me parle point d’elle, et dis cela de toi.

TANCRÈDE.

Ha Glaçon animé, tu veux meurtrir Tancrède,
Ton abord méprisant, en porte la façon.

IRIS.

Berger, ne te plains pas de rencontrer frede
Il faut que je le sois, si je suis un Glaçon.

CLORICE.

Las, réponds à ma voix, alors qu’elle t’approche
Un Rocher endurci, ne doit pas craindre l’air.

TANCRÈDE.

Discours doncques fort peu car étant une Roche,
Après deux ou trois mots, je ne puis plus parler.

ALCIDON.

Puisque tous mes souhaits, ont la raison pour règle,
Permets-moi de te voir, bel Astre sans parler.

CLORICE.

Ferme plutôt les yeux car n’étant point une Aigle,
Je pourrais t’aveugler, si je suis un Soleil.

IRIS.

Ingrat, si tu me fuis, le torrent de mes larmes,
Te suivra pas à pas, afin de t’abîmer.

ALCIDON.

Cherche ailleurs que dans l’eau, du secours et des armes,
Car le feu que je sens pourrait tarir la Mer.

TANCRÈDE.

Enfin je ne puis plus souffrir ton arrogance,
Adieu méchante Iris, qui ma raison surprit.

IRIS.

Va, ne me blâme point de cette répugnance,
Qui vient de mon mérite, et de ton peu d’esprit.

CLORICE.

Enflammé d’un dépit, que tu portes dans l’âme,
Souffre-moi de te suivre, et de te consoler.

TANCRÈDE.

On ne m’approche point, puisque je suis de flamme,
Ou bien ne te plains plus, si tu te sens brûler.

ALCIDON.

Elle court en pleurant, après un insensible ;
Arrête ce ruisseau, qui te fera mourir.

CLORICE.

Tu demandes Berger, une chose impossible,
Où vois-tu qu’un Ruisseau, puisse être sans courir ?

IRIS.

Ha cruel Alcidon, tu vas fuyant infâme ;
Mais en vain, je t’aurai d’un cours précipité.

ALCIDON.

Fâcheuse, tu dis vrai, car étant une femme,
Rien ne peut s’égaler, à ta légèreté.

 

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Ha certes il faut avouer que voilà réciter de bonne grâce : et qu’en vous autres, j’ai trouvé ce que je cherchais depuis si longtemps. Non, non, je lève le masque ; et je vous fais réparation d’honneur pour ce que j’ai dit en soupant : encore que ma Satyre ne s’adressât point à la profession, mais seulement à ceux qui s’en acquittent mal. Car il faudrait être privé de raison, pour mépriser une chose tant estimable : la COMÉDIE, qui a été en vénération dans tous les Siècles, ou les sciences fleurissaient ! La COMÉDIE fait le divertissement des Empereurs et l’entretien des bons esprits : le Tableau des passions, l’image de la vie humaine, l’Histoire parlante, la Philosophie visible, le fléau du vice, et le trône de la vertu. Non, non tant s’en faut qu’elle me soit en horreur, que voyant comme elle en est son lustre parmi vous, je loue le jugement de mon Neveu, de s’être mis en votre Troupe : et pour vous montrer que j’ai ce que je dis, aussi bien dans le cœur, que dans la bouche, et que bien, loin de soupçonner votre Profession d’ignominie, je la tiens fort glorieuse ; je la veux embrasser moi-même, si vous me voulez recevoir.

BEAU-SOLEIL.

Monsieur, nous acceptons cet honneur avecques joie, et nous en reconnaissons indignes.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Mais n’avez vous point de Poème, qui n’aie déjà été vu ?

BEAU-SOLEIL.

Oui, Monsieur, il nous reste une TRAGI-COMÉDIE PASTORALE, intitulée, L’AMOUR CACHÉ PAR L’AMOUR.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Elle est de ma connaissance, et de la composition de celui dont nous avons parlé, il m’a fait la faveur de me la donner écrite de sa main. C’est un poème à l’Espagnole, de trois actes ; mis par lui dans la règle des vingt et quatre heures. Et comme je vous ai dit, que je chéris tout ce qui vient de cet auteur, peu s’en faut, que je ne le sache entier, de sorte, que si vous trouvez bon, j’en jouerai demain un rôle, pour faire mon coup d’essai.

BELLE-ÉPINE.

C’est à vous d’ordonner tout ce qui vous plaira dans la Troupe : mais craignant de vous apporter de l’importunité, nous allons vous donner le bonsoir.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Je ne vous prie point de coucher ici, parce que vous serez plus commodément chez vous : mais pour ces Demoiselles, à qui le serein pourrait faire mal en s’en allant, je leur offre, et ma chambre, et mon lit s’il leur agrée.

MADAME BEAU-SOLEIL.

Sans accepter cette courtoisie, nous vous en restons obligées, nous doutant bien, que nos maris s’y opposeraient.

MONSIEUR DE BLANDIMARE.

Adieu Mesdames, bonsoir Messieurs.

BEAU-SOLEIL.

Monsieur nous sommes vos très humbles serviteurs.

 

 

L’AMOUR CACHÉ PAR L’AMOUR

 

Tragicomédie pastorale.

 

LE PROLOGUE, L’ARGUMENT

 

LE PROLOGUE.

Messieurs.

L’ARGUMENT.

Mesdames.

LE PROLOGUE.

Cet ancien Philosophe Grec avait raison.

L’ARGUMENT.

Taraminte Berger de Forêts.

LE PROLOGUE.

Qui disait que les hommes.

L’ARGUMENT.

N’ayant qu’un fils nommé Florintor.

LE PROLOGUE.

Quel est cet épouvantail de chènevière qui vient ici m’interrompre ?

L’ARGUMENT.

Et qui est ce revêtu de la friperie, qui le demande de si mauvaise grâce ?

LE PROLOGUE.

Ne me connais-tu pas à l’habit sans que je me nomme ?

L’ARGUMENT.

Non, mon Ami, je te le jure : et il y a déjà longtemps qu’on ne peut plus connaître en France, les conditions par l’habit.

LE PROLOGUE.

Pour suppléer charitablement à ton ignorance, je t’apprends que je suis Prologue.

L’ARGUMENT.

Et moi je suis l’Argument.

LE PROLOGUE.

Je ne sais qui t’amène ici, toi qui es la plus inutile pièce d’un Poème.

L’ARGUMENT.

Et je ne sais qui t’y peut conduira, toi qui es la moins nécessaire.

LE PROLOGUE.

Et va te cacher dans la Presse, va te barbouiller d’encre d’Imprimerie, et te vêtir de papier ou de parchemin, si tu veux être reconnu : il est vrai que bien que tu sois sur un Théâtre, on te peut croire dans un livre, parce que tu es couvert de veau.

L’ARGUMENT.

Quoi que j’aie les injures en main aussi bien que toi, si te veux-je payer en meilleure monnaie : et te dire, que bien que nous soyons en un temps où la coutume est aussi forte que la loi, si ne saurai-je me résoudre à estimer cette vieille espèce de Prologue, que l’usage sans doute faisait attendre de toi à ces Messieurs. Ces selles à tous chevaux me déplaisent, et je trouve qu’il vaut mieux réussir avec moins de gloire, qu’en matière de Prose parler comme un perroquet. Se pique qui voudra d’un effort de mémoire en cette occasion, c’est aux vers que je réserve la mienne ; et quelques grands que soient les esprits de nos auditeurs, il faut que tu te croies bien privé de sens commun, en jugeant qu’il t’est absolument nécessaire, de dire une chose étudiée, quand tu les veux entretenir. La naïveté a bien aussi bonne grâce que l’artifice, et les beautés nues ne se font pas des moins excellents traits de la peinture. Et confessez la vérité Messieurs, ne le trouveriez vous point ridicule, si se mettant sur le haut style, comme il avait déjà commencé quand je suis venu, pour paraître ce qu’il n’est pas (je veux dire docte) il vous allait citer deux cens Auteurs, lesquels il n’a lus de la vie, ni peut-être vous aussi. Ne serait-ce pas vous assassiner par l’oreille, que devons faire des compliments au vieux loup, et qui commençaient à être déjà hors de mode, sous le règne de Charles septième, et ne le tiendriez vous pas coupable d’une ruse charlatane, si comme on dit pour attirer l’eau au moulin, il s’allait embarrasser dans les louanges de personnes, qu’il n’a pas l’honneur de connaître assez particulièrement, pour savoir l’histoire de leur ville, ni celle de leurs maisons. Vois-tu mon Ami, il faut être un peu plus du dernier siècle que cela : mais si par la cajolerie tu ne mets point la modestie de nos spectateurs en état de rougir, saches qu’il ne faut non plus que tu la perdes en leur parlant de notre Troupe. Puisqu’ils doivent être nos juges, il ne faut point les préoccuper, et te doit suffire de les avertir, que nous espérons faire pour leur contentement, tout ce que les autres promettent.

LE PROLOGUE.

Quoique tout ce qui vient d’un ennemi doive être suspect, si ne laissais-je pas de recevoir tes avertissements de bon cœur, par ce que j’y vois quelque ombre de raison et de vérité : et pour n’en demeurer pas ingrat, je te prie de considérer un peu combien est peu important le personnage que tu joues sous le nom de l’argument. Tu sais qu’il n’est rien qui plaise tant en toute la Nature que la nouveauté, et toi seul empêches qu’on n’en puisse trouver aux Poèmes, ayant déjà averti le Spectateur, de tout ce qu’il y doit voir. Le principal secret de pareils ouvrages, consiste à intriquer les accidents de sorte, que l’esprit du spectateur demeurant suspendu entre la joie et la douleur, entre l’espérance et la crainte, ne puisse deviner où doit aboutir l’histoire, et se trouvé agréablement surpris, par cet invisible nœud, qui débrouille toute une pièce : que si tu me dis que tu sers à faciliter l’intelligence du Poème, j’ai à te répondre, que les premiers broyeurs d’Ocre qui furent au monde, imitaient si mal toutes choses, qu’ils étaient forcés d’écrire sous leurs Tableaux, ceci est un homme, et cela est un cheval : mais comme les Arts se perfectionnent par la suite des siècles, les peintres se sont tirés bien loin de cette ignorance grossiers ; et maintenant leur travail ne donne pas si tôt dans la vue, que l’imagination conçoit ce que la leur a voulu représenter. Je veux dire par là, que tout Poème qui ne se rend intelligible de soi-même, et qui a besoin de ton secours pour l’être, manque sans doute de jugement en sa conduite, et comme tous ceux que notre Troupe représente, viennent de plumes qui volent haut sans prendre l’essor, je conclus que le babil inutile de l’argument, doit être condamné au silence.

L’ARGUMENT.

Puisque tu sembles avoir acquiescé à ma sentence, je n’appellerai point de la tienne : et puis que tu te confesses inutile, je me reconnais superflu, et si tu m’en crois, nous ne serons ni Argument, ni Prologue.

LE PROLOGUE.

Ta proposition est trop juste, pour ne la recevoir pas, retirons-nous puisqu’il t’agrée : aussi bien j’entends l’impatience de nos Compagnons, qui demandent que la Prose cède la place à la rime.

L’ARGUMENT.

Bonsoir Monsieur le Prologue.

LE PROLOGUE.

Adieu Monsieur l’Argument. 

 

 

ACTE I et III

 

 

Scène première

 

Le Théâtre change de face et paraît Bocager.

 

PIRANDRE.

Je ne puis endurer, ingrate Mélisée,

Que ma fidélité soit ainsi méprisée,

Je ne puis plus souffrir que l’on de mes Rivaux,

Recueille sans travail le fruit de mes travaux.

Ou si de mes soupirs tu ne dois tenir compte,

Devant être vaincu, je le ferai sans honte :

Faignant d’aimer ailleurs, au lieu de t’en moquer,

L’Amour parle dépit te pourra bien piquer.

Isomène abusée, accepte mon service ;

Un Dieu qui fait mon crime, en excuse le vice ;

Je dis que son bel œil s’est rendu mon vainqueur,

Mais la bouche reçoit un démentir du cœur.

Et lorsque mon discours trompe son innocence,

Je crains que ce Rocher n’aide à sa connaissance :

Car il sait mon dessein, et cruel comme toi,

Son Écho l’autre jour ainsi parlait à moi :

Stances.

Nymphe (lui dis-je) Solitaire,
Qui sais quel objet m’a charmé.
De mépris le voyant armé,
Dis moi ce que tu ne peux faire ;
Si je ne l’aurai point, sous les lois de Junon ?
Aussitôt elle me dit, NON.

Ô rude, de cruelle sentence,
À quoi je ne puis consentir ;
Car mon éternelle constance,
La pour toucher de repentir :
Et lorsque sera-t-elle, au tourment que j’endure !
Je l’entendis répondre, DURE.

Si je vais près de la farouche ?
Arroser, et sécher les fleurs,
De l’eau qui coule de mes pleurs,
Des soupirs que j’ai dans la bouche ;
Son œil, de ma douleur, sera-t-il réjoui ?
Elle me repartit, OUI.

Écho, je te crois véritable ;
Mon mal se veut perpétuer ;
Et je ne vois de profitable
Que le dessein de me tuer ;
Vu que mon espérance enfin est abattue :
À l’instant elle cria, TUE.

Mais il n’est rien en la Nature,
Qui ne soit sujet à changer ;
Tel se trouve hors de danger,
Qui se croie dans la sépulture ;
Dis-moi, dois-je mourir, ou fléchir ses humeurs ?
Elle eut hâte de dire, MEURS.

Puisque ma perte est ordonnée ;
Et que tu me le fais savoir ;
Lutter contre la Destinée,
N’est pas un acte en mon pouvoir
Ça, donnons d’un couteau, si tout nous abandonne :
Cette inhumaine ajouta, DONNE.

Ainsi tout m’est contraire, et pour me secourir,
Il semble que le Ciel m’ordonne de mourir ;
Mais essayons premier d’acquérir par la ruse,
Un bien que la Fortune au mérite refuse ;
Et puis qu’en la servant nous souffrons le trépas,
Tâchons de l’obtenir en ne la servant pas.

 

 

Scène II

 

MÉLISÉE

 

O Pirandre, Pirandre, objet de ma pensée ;

Si tu savais combien ma pauvre âme est blessée ;

Au lieu de m’accuser de manquer d’amitié,

Tu joindrais à l’amour peut-être la pitié.

Mais je vois bien ta ruse, et non pas toi ma feinte ;

Et bien que nos esprits soient en même contrainte,

Et qu’un même Démon s’empare de nos sens ;

Je cache mieux que toi le feu que je ressens.

Tu feins grossièrement d’aimer une Bergère ;

Tu feins d’être infidèle, en me croyant légère ;

Mais avec le peu d’art, qu’à toute heure, en tous lieux,

Je te mène en esclave, attaché par les yeux.

Courage mon Berger, la Fortune t’appelle ;

Et puis que son amour a souffert la coupelle ;

Que tu t’es vu quitter, sans me pouvoir haïr ;

Et que ta foi subsiste, en te voyant trahir ;

Je me veux laisser vaincre à tant de bons offices ;

Désormais je renonce, à tous mes artifices ;

Et quelque jugement que tu fasses de moi ;

Tu connaîtras bientôt que je n’aime que toi.

 

 

Scène III

 

FLORINTOR, ISOMÈNE

 

FLORINTOR.

Quand vous lasserez vous de me faire une injure ?

Quand vous lasserez vous de me rendre parjure ?

En gênant mon esprit, n’avez-vous point de peur,

Qu’à force de le feindre il ne vienne trompeur ?

Vous me hasardez trop, il faut que je le die :

Car vous m’accoutumez dedans la perfidie.

J’abuse une innocente, convoyant son erreur

Auprès de ma finesse, elle me fait horreur.

Voulant vous obéir ; j’ai peine à m’y résoudre ;

Et pour vous, pour moi, j’appréhende la foudre ;

Et je ne puis souffrir qu’un Rival près de vous,

Bien que ce soit par feinte, en air va œil si doux :

En un mos, cette vie est pour moi trop amère.

ISOMÈNE.

Je vous l’ai cent fois dit, il faut tromper ma Mère ;

Et nécessairement ; se résoudre ce point ;

Elle estime Pirandre, et ne vous aime point ;

J’ai vu (pour la changer) le bout de ma science

Notre unique remède, est en la patience ;

Après un mauvais temps, il en vient un plus beau :

Elle touche déjà le bord de son Tombeau ;

Nos peines, ses jours, ont mêmes destinées ;

Ne pouvant augmenter, que de fort pu d’années ;

Et lors soyez certain, que vous m’aurez un jour.

FLORINTOR.

Ainsi donc par la mort, vous payez mon amour :

Et considérez bien, quelle est mon aventure ;

Que ce Monstre hideux, qui détruit la Nature,

Cet hôte des Tombeaux, ce spectre d’ossements,

La mort, donne la vie, à mes contentements,

Me doit-on envier, ou si l’on me doit plaindre ?

Me voyant désirer, un objet tant à craindre ?

ISOMÈNE.

Gardez que vos désirs, ne soient trop criminels.

FLORINTOR.

J’en suis déjà puni, par des feux éternels.

ISOMÈNE.

Je m’en vais vous quitter, pour vous tirer de peine.

FLORINTOR.

Ha demeurez moqueuse, et cruelle Isomène ;

Que vous connaissez mal, l’effet de vos appas ;

Je meurs en les voyant, et ne les voyant pas.

ISOMÈNE.

C’est à mon grand regret, que je vous suis fatale. 

FLORINTOR.

Votre œil pour Florintor, est le dard de Céphale,

Qui ne manque jamais, de lui toucher le sein.

Mais il fait plus encore, il frappe sans dessein,

Vous croyez qu’à me vaincre, on a si peu de gloire,

Qu’il faut que le hasard, vous donne ma victoire,

Mais comme la froideur approche du mépris,

Je sais bien que par là, je ne fus jamais pris :

Et lorsque de mon cœur, vous fûtes adorée,

Confessez que votre œil fut à la picorée,

Je le vis ce bel œil, se cacher à demi,

Pour surprendre ce cœur qu’il jugeait ennemi ;

Et bien qu’à force ouverte il peur dompter la terre,

Il fut comme vu Soldat, à la petite guerre ;

Et lors suivant le cours de mon heureux destin,

Cet œil jugea mon cœur, digne de son butin.

ISOMÈNE.

Il est vrai, j’eus dessein dessus votre constance ;

Mais bons Dieux, que ce cœur, fit peu de résistance ?

Je le pris sans travail, lui-même s’enchaina 

Mais pensant l’emmener, le rusé m’emmena ;

Je le fis mon Captif, je fus sa Captive :

Silence, Florintor, votre Rival arrive ;

Je vous quitte pour lui, n’en soyez pas jaloux ;

Ce que je lui dirai, ne s’adresse qui à vous.

FLORINTOR.

Dieux ! que cet artifice, est fâcheux à mon âme ;

Isomène, Trompeuse, allez, je vous en blâme.

 

 

Scène IV

 

ISOMÈNE, PIRANDRE, FLORINTOR

 

ISOMÈNE.

Votre abord, ne me fut jamais moins déplaisant ;

Car vous me déchargez, d’un fardeau bien pesant.

ISOMÈNE.

Vous dites franchement, tout ce qui vous en semble ;

Mais je ne laisse pas de vous trouver ensemble ;

Si vous ne me quittez Isomène, Berger,

J’irai voir Mélisée, afin de me venger.

FLORINTOR.

Approchez, approchez, reprenez votre place ;

Nous sommes l’un et l’autre, et de flamme, et de glace ;

Elle glace pour moi, feu pour votre sujet ;

Moi glace pour ses yeux, feu pour un autre objet.

ISOMÈNE.

Sans être pour aucun, de si facile prise,

L’un des deux me menace, et l’autre, me méprise ;

Soyez flamme, ou glaçon, partez, ou demeurez,

Je me moque de vous, et vous en assurez.

PIRANDRE.

Voilà s’ouvrir l’esprit, et le montrer sans voile.

FLORINTOR.

Qu’elle en prenne un par mon conseil,

Cachez vous Étoile, voici le Soleil.

 

 

Scène V

 

ISOMÈNE, MÉLISÉE  FLORINTOR, PIRANDRE

 

ISOMÈNE.

Deux contre une, c’est trop.

MÉLISÉE.

Vous êtes garantie.

À moi Berger, à moi, je suis de la partie.

FLORINTOR.

Je mets les armes bas, Amour est mon vainqueur,

Quoi ? voulez-vous combattre, un qui n’a point de cœur

MÉLISÉE.

Vous n’avez point de cœur ! ha ce discours m’offense :

Que direz-vous qui serve, et passe pour défense

Vous n’avez point de cœur ! hélas depuis combien ?

Répondez-moi Berger, qu’avez vous fait du mien ?

FLORINTOR.

Apres l’avoir acquis, avecque tant de peine

Je ne le montre point, de peur qu’on ne le prenne.

PIRANDRE.

Vous le pouvez montrer, librement en ces lieux,

Un plus rare trésor, m’occupe assez les yeux.

MÉLISÉE.

De votre jugement ne vient pas mon estime.

ISOMÈNE.

Mille de son avis, le croiront légitime :

Joint que plus rare ou non, il n’est pas important,

L’homme content est riche, et Pirandre est content.

FLORINTOR.

Son âme par orgueil, n’est point trop aveuglée,

Et son ambition, me semble assez réglée.

PIRANDRE.

 On blâme bien souvent, ce qu’on ne connait pas,

Mais je vous aime aveugle, auprès de ces appas.

MÉLISÉE.

Il montre par son choix, qu’il a fort bonne vue.

ISOMÈNE.

De mérite pour lui, vous êtes trop pourvue ;

Vos beautés sans excès le peuvent acquérir ;

Et son cœur est un lieu, facile à conquérir.

FLORINTOR.

Mon cœur est assez fort, pour mépriser vos charmes.

ISOMÈNE.

C’est bien plus noblement, que j’occupe mes armes,

Les traits de mes regards, sont bien plus hauts montés.

Votre cœur ferait honte, à ceux que j’ai domptés.

MÉLISÉE.

Glorieuse prison, honorables Entraves,

On voit autour de vous, des Monarques esclaves ;

Mais Monarques pourtant ; à ce qu’on peut juger,

Qui se sont déguisés, sous l’habit d’un Berger.

ISOMÈNE.

Berger, dont la vertu, vous fait bien reconnaitre,

Que s’il n’est pas né Prince, il est digne de l’être.

PIRANDRE.

Leurs discours importuns, me donnent de l’ennui

Soyez moins femme qu’elle, et plus homme sue lui ;

La victoire est à nous, sans que personne en meure.

FLORINTOR.

Oui, nous sommes vaincus, mais le Champ nous demeure.

ISOMÈNE.

Contre la folle erreur, qui vous va possédant,

Il faut combattre en Parthe, et vous vaincre en cédant.

MÉLISÉE.

Stratagème subtil, excellente conduite,

Vous le nommez retraite, et nous l’appelons fuite.

PIRANDRE.

Vous vous trompez Bergère, et vous le nommez bien ;

On doit fuir le mal, comme suivre le bien ;

Et suivant son esprit, pour m’éloigner du votre,

Je crois assurément, que je fais l’un et l’autre :

Et qui de vos beautés, fera comparaison,

S’il n’en manque beaucoup, dira que j’ai raison.

Mais parfaite Isomène, allons sous quelque ombrage ;

Le Soleil (ainsi qu’eux) sache à vous faire outrage,

Concernons ce beau tain ; mais elle y peut rester,

Car n’ayant rien de beau, que lui peut-il ôter ?

FLORINTOR.

J’estime ce conseil, cherchez un lieu fort sombre ;

Découvrir ces défauts, il n’appartient qu’à l’ombre ;

C’est là, qu’on ne voit point, qu’elle manque d’appas ;

Si bien que pour l’aimer, il faut ne la voir pas.

PIRANDRE.

Et pour ne l’aimer pas, il faut voir Mélisée.

FLORINTOR.

Vider notre dispute, est chose fort aisé ;

Nous tomberons d’accord, notre gout est pareil ;

Pour haïr Isomène, il faut voir mon Soleil.

PIRANDRE.

Vous prenez mal le sens, de ce que je veux dires.

MÉLISÉE.

En me croyant fâcher, il me force de rire ;

Il confesse son crime, et son aveuglement,

Et puis il est honteux, d’avoir du jugement ;

Mais persistez Berger, en cette repentance.

PIRANDRE.

Ma seule fin, sera celle de ma constance.

MÉLISÉE.

La mienne doit durer, plus longtemps que mes jours.

ISOMÈNE.

Je n’aime qu’un Pasteur, que j’aimerai toujours.

FLORINTOR.

Ha que vous ferez bien, ne soyez pas légère ;

Je quitterais le Ciel, plutôt que ma Bergère.

PIRANDRE.

Quand on esprit pour moi, n’aurait que cruautés.

Je fais vœu solennel, d’adorer ses beautés.

MÉLISÉE.

Graver dessus mon cœur, n’est pas écrire en sable ;

Mon amour tout divin, n’a rien de périssable.

ISOMÈNE.

Autre que mon Berger, ne peut qu’en s’abusant,

Croire que son dessein, ne me soit de plaisant.

FLORINTOR.

Le Soleil élevé, donne à plomb sur la roche ;

Témoignage certain, que le midi s’approche ;

Il se faut retirer, l’heure nous y semond.

MÉLISÉE.

Allons voir mon Troupeau, qui broute, au pied du Mont.

PIRANDRE.

Soyez aussi content que je suis à mon aide.

ISOMÈNE.

Auprès de ce qu’on aime, il n’est rien qui ne plaise.

 

 

ACTE II et IV

 

 

Scène première

 

TARAMINTE, LISIMANT

 

TARAMINTE.

Vous connaissez mon fils, vous savez quel il est ;

S’il touche votre esprit, votre Nièce me plaît,

Et comme Florintor adore Mélisée,

On voit que son amour n’en est pas méprisée

Si vous le désirez, ainsi que je le veux,

Nos volontés iront où s’adressent leurs vœux ;

Et puis qu’un même Dieu, leurs courages assemble,

Nous les laisserons vivre, et demeurer ensemble :

Pour lui seul je nourris ce nombre de Troupeaux,

Dont l’on voir chaque jour, blanchir tous ces Coupeaux,

Je n’en suis que Pasteur, Nature les lui donne ;

Vous savez bien l’estime, en quoi vit sa personne ;

Aucun de nos Bergers ne le peut devancer,

À sauter, à lutter, à courir, à danser ;

Et lorsque solitaire à l’écart il s’amuse,

Donnant à ces Rochers, l’air d’une Cornemuse,

On voit que maint Agneau, dessus l’herbe paissant,

La foule sans manger, et s’en va bondissant ;

Et charmé par les tons que sa dextre fredonne,

L’Animal sans raison, aime ce qui résonne.

Enfin ses qualités, de l’esprit et du corps,

Semblent vous obliger d’accomplir leurs accords ;

Vous êtes seul Parent de cette belle fille ;

Et vous n’ignorez point quelle est notre famille

Acceptez ce Neveu, ne le refusez pas ;

Car certes ce refus, causerait son trépas.

LUSIMANT.

Je serais ennemi, de ma propre parente,

Si l’offre qu’on lui fait, m’étais indifférente,

Je l’accepte pour elle, et tiens à grand bonheur,

Ce qui la va combler de plaisir, et d’honneur ;

Dites à votre fils, qu’il aura sa Maîtresse :

Le désir qui le point, est celui qui me presse ;

Dans ses contentements, le trouverai les miens,

Et mourrai sans regret, en lui laissant mes biens.

Et quand votre maison, me serait inconnue,

J’adorerais en lui, la Vertu toute nue :

Adieu, cher Taraminte, allez l’en assurer,

Car il n’a rien à craindre, et peut tout espérer.

TARAMINTE.

Ô Dieux ! cher Lusimant, après cette parole

Dont je le vais ravir je n’y cours pas j’y vole

LUSIMANT.

Et moi, je m’en vais dire, à ma Nièce à l’instant,

Que Florintor qu’elle aime est un Berger constant.

La musique d’amour, en douceur infinie,

Lorsqu’on est bien d’accord, est pleine d’harmonie.

 

 

Scène II

 

ALIANTE ALPHANGE

 

ALIANTE.

Oui, Pirandre l’aura, de bon cœur j’y consens,

Et ne puis exprimer, plaisir le que je sens :

En m’offrant votre fils, vous me tirez de peine,

Je ne l’aime pas moins que peut faire Isomène :

Et si la bienséance eut peu me le souffrir,

J’aurais été moi-même, en parler et l’offrir,

Je voudrais qu’elle fut, et plus riche, et plus rare,

Mais Pirandre amoureux, ne saurait être avare,

Et puis que par amour, son esprit est dompté,

Il prendra pour l’effet, ma bonne volonté.

ALPHANGE.

Quand vous lui donneriez, ces pierres adorées,

Qui filles du Soleil, n’en sont pas éclairées,

Et quand cette eau qui fait les perles estimer,

Aimerait mieux son sein, que celui de la Mer,

Quand toute la Nature, aurait choisi dans elle

Tant de diversités, qui la font être belle,

Et quand les éléments, ne voudraient aujourd’hui,

Travailler aux métaux, que pour l’amour de lui,

Il foulerait aux pieds, ce que le monde honore,

Et la possédant seule, il gagnerait encore.

ALIANTE.

Veuve comme je suis, j’ai besoin de support.

ALPHANGE.

Vous en aurez de nous jusques à notre mort.

ALIANTE.

Je l’attends de Pirandre, et l’espère d’Alphange.

ALPHANGE.

Ne craignez pas qu’un jour notre volonté change,

Aliante, et sa fille, auront toujours de nous,

Un serviteur fidèle, et le traitement doux :

Mais j’aperçois mon fils, la belle Isomène ;

Je m’en vais satisfaire, au dessein qui les mène :

La victoire est à toi, Pirandre bien heureux ;

Aliante reçoit, ton service amoureux,

Et consent que sa fille, en soit la récompense.

ALIANTE.

Vous n’en pleurerez pas, ou du moins je le pense ;

Contentant ce Berger, en ton affection,

Je crois avoir suivi, votre inclination.

 

 

Scène III

 

PIRANDRE, ISOMÈNE, ALPHANGE, ALIANTE

 

PIRANDRE.

Je viens de la trouver, au bout de la prairie.

ISOMÈNE.

Érie m’en retournais, à notre Bergerie.

ALPHANGE.

Dieux ! que pour un Amant, tu parais peut hardi.

PIRANDRE.

Je connais au Soleil qu’il est plus de midi ;

Et n’ai vu mon Troupeau, de toute la journée.

ALIANTE.

Isomène, qu’as-tu, pour faire l’étonnée ?

Ce Berger à ton gré, manquerait-il d’appas ?

ISOMÈNE.

Quel, ma Mère, Clindor ? je ne le connais pas.

ALPHANGE.

Suivrez-vous mon conseil ? laissons les Aliante :

Amour est un Enfant, capable d’épouvante ;

Notre âge lui fait peur, laissons les seulement.

ALIANTE.

Allons rire chez moi, de leur étonnement.

PIRANDRE.

Ô Dieux ! que dois-je dire, Isomène, une affaire.

Me revient en l’esprit, je ne m’en puis distraire ;

Vous me permettrez bien, que j’y passe le jour.

ISOMÈNE.

Que puisses-tu trouver la mort, à son retour,

Hélas de quel malheur, me vois-je poursuivie ?

La ruse dont j’usais, me va couter la vie ;

Mon esprit en creusant, un piège sous mes pas,

Pour trop faire le fin, trouve qu’il ne l’est pas,

En tâchant de tenir, ma passion couverte,

Je recueille mon bien, et j’avance ma perte ;

Je prive Florintor du fruit de ses travaux ;

Et lui fais plus de mal, que n’ont fait ses Rivaux.

Que de mon feint amour, je me vois bien punie !

Et quoi, céderons-nous à cette tyrannie ?

À t’entendre parler, d’un pouvoir absolu,

Il semble lâche esprit, qu’on t’y vois résolu !

Peux-tu bien endurer, cette douleur amère ?

Et quoi, tu fais un Dieu, plus faible que ta Mère ?

Et quoi, tant de serments, par le Ciel entendus ?

Et quoi, le souvenir des services rendus ?

Et quoi, tant de plaisirs, tant de douleurs passées.

Ne seront désormais, qu’images effacées,

Et quoi, tu t’y résous et tu peux consentir,

D’acheter chèrement, un triste repentir,

Donc après l’avoir feint, tu veux être infidèle ?

Et courir à clos yeux, où le malheur t’appelle ?

Crois-tu que Florintor puisse, voir sans mourir

Que la faible amitié, n’a pu le secourir,

Et d’inconstante alors, tu seras homicide :

Non, non, mon pauvre esprit, ne sois pas si timide ;

Si le sort nous défend, de vivre avec bonheur,

Il nous permet au moins, de mourir en honneur :

Je puis malgré l’effort, de sa rage ennemie,

Lui remettre mon âme exempte d’infamie,

Dans quelque extrémité, qu’il me puisse ranger,

Il changera plutôt, que me faire changer,

Que sans avoir pitié, de ma triste aventure,

Que le Ciel ennemi, se joigne à la Nature,

Que trois des Éléments, conspire contre moi,

Il n’est point de Rocher, si ferme que ma foi ;

Que les hommes, les Dieux, l’Onde, l’Air, et la Terre,

Au feu de mon amour, dénoncent tours la guerre,

Ce dernier Elément, en aspirant aux Cieux,

Élèvera mon cœur, comme un victorieux.

C’est là que les Destins, auront ta connaissance,

Des marques de ma force, et de leur impuissance,

C’est là qu’en confessant, qu’ils n’ont rien vu de tel

J’aurai (comme l’Amour) un renom immortel,

Une seule Couronne, est le bien où j’aspire ;

Destins, donne la moi ; de gloire, ou de martyre ;

N’importe l’un ou l’autre ; aussi bien malgré vous,

J’aime plus Florintor, que je ne crains vos coups :

Ha bons Dieux ! le voici, quel transport il me donne !

 

 

Scène IV

 

FLORINTOR, ISOMÈNE

 

FLORINTOR.

Dieux, Destins, et parents, en fin tout m’abandonne ;

L’Amour, la pitié, les pleurs, et le discours

Sont inutilement venus à mon secours ;

Tout cède à la rigueur d’un père inexorable,

Qui me croit rendre heureux, me fait misérable :

Mais il est innocent, votre crime est le mien,

Sont les seuls ennemis, de notre commun bien ;

Votre ruse nous perd ; car son âme abusée,

Me commande aujourd’hui, d’épouser Mélisée ;

Et comme assurément je n’obéirai pas,

Il faut que j’en échappe, en courant au trépas.

ISOMÈNE.

Hélas c’est par lui seul, que je me peux défendre.

De l’arrêt qui me donne...

FLORINTOR.

Achevez.

ISOMÈNE.

À Pirandre.

FLORINTOR.

Ô Destins ennemis, qui me persécutez,

Voici le dernier coup, de tant de cruautés,

Désormais je dépite, et les dieux, les hommes

Rien ne peut augmenter, le désastre où nous sommes ;

Et dans l’excès des maux, où l’on m’a condamné

Sans descendre aux enfers, je suis déjà damné.

Ha subtile à vous perdre, ô Trompeuse Isomène,

Vous avez fait la faute, et j’emporte la peine ;

J’ai trop bien obéi, votre commandement

Me prive pour jamais de tout contentement.

ISOMÈNE.

La fin de vos plaisirs, est celle de ma joie ;

Mais mon cher Florintor, j’ai peur qu’on ne nous voie ;

Il nous faut séparer.

FLORINTOR.

Ô rigoureux destin.

ISOMÈNE.

J’espère vous revoir, demain des le matin ;

Rendez vous ou Lignon arrose la prairie,

Ce flatteur de vos maux, et de ma rêverie ;

C’est là que nous verrons, s’il nous sera permis,

D’éviter les efforts de tous nos ennemis ;

Adieu, n’y manquez pas.

FLORINTOR.

Doux objet de ma flamme,

Je n’y saurais manquer, vous y portez mon âme.

 

 

Scène V

 

MÉLISÉE

 

Elle parle après avoir écouté.

Tu me punis Amour, parce que j’ai péché,

Ton feu paraît trop beau, pour le tenir caché ;

Ma passion voyant la sienne mutuelle,

Sans raison en l’aimant, je me feignais cruelle :

Mon Oncle s’est déçu, parce mépris menteur ;

Mais n’importe, l’esprit n’a jamais de Tuteur :

Son crédit contre un Dieu, manquera de puissance ;

Un Dieu qui m absoudra de désobéissance ;

Et pourvu que Pirandre, aime aussi bien que moi,

Rien que ce même Dieu, ne nous fera la loi.

Arrière la froideur, loin bien loin l’artifice ;

Il faut que la raison, fasse enfin son office,

Pirandre m’a servie, il est temps de penser

À l’unique moyen, de le récompenser :

Confessons librement, nos flammes insensées ;

Faisons lire mon Oncle, au fonds de nos pensées ;

Montrons lui clairement, qu’il ne voit qu’à demi ;

Et chassons le respect, qui nous est ennemi.

Jamais à Florintor je ne veux être unie ;

Amour est un Tyran, qui fuit la tyrannie ;

Et quoi qu’oppose ici, mon Oncle Lusimant,

Ce n’est pas de sa main que je veux un Amant :

Quand le choix que j’ai fait, me donnerait sa haine,

Mon inclination, régnera souveraine.

Mais d’où peut bien venir que Florintor ici

Entretient Isomène, et paraît tout transi ?

Nulle que moi n’a mis, son âme prisonnière ;

Ils ont pris rendez vous, au bord de la rivière ;

Ce procédé m’étonne ; et cette nouveauté.

Me chatouille l’esprit de curiosité ;

Demain dès le matin, je m’y veux aller rendre,

Peut-être leur discours, servira pour Pirandre ;

Amour, Roi des Amants, par ton pouvoir divin,

Rends ce présage heureux, et mon cœur bon Devin.

 

 

Scène VI

 

PIRANDRE

 

Stances.

Enfin cette ruse inutile,
Plus dommageable que subtile,
Dont je couvrais mes passions ;
Ne sert qu’a me tromper, aussi bien que mon père :
Et le mal qui me désespère ;
Ne vient que de mes fictions.

Je pensais fléchir ma Maîtresse,
En cachant l’ennui qui m’oppresse,
Mais Dieux ! que j’eus peu de raison :
Je m’oblige à me perdre, au lieu de l’en distraire ;
Et par un effet tout contraire,
Ce remède m’est un poison.

Mais n’adorant que Mélisée,
Désabusons une abusée,
Dont t’espoir n’est qu’une vapeur :
Pour grand que soit le mal que son âme en ressente,
Disons lui qu’elle est innocente,
Aussi bien que je suis trompeur.

Demain aussitôt quel Aurore,
En quittant les rives du Maure,
Ouvrira les portes du jour ;
J’irai près de Lignon retrouver Isomène :
Et tâcher d’avoir par sa haine,
Un bien que montre son amour.

Tous les objets deviennent sombres ;
Et j’aperçois parmi les ombres,
La fin d’un jour qui m’est fatal :
Mais la Lune succède à sa clarté défunte ;
Suivons cet Astre libéral,
Qui nous donne ce qu’il emprunte.

 

 

ACTE III et V

 

 

Scène première

 

TARAMINTE, ALPHANGE, ALIANTE, LUSIMANT

 

TARAMINTE.

Aussitôt que le jour a vu notre horizon,

Florintor s’éveillant, a quitté la maison ;

Je ne le cèle point, cela me met en peine.

ALPHANGE.

Le même a fait Pirandre.

ALIANTE.

Et le même Isomène.

LUSIMANT.

Et ma Nièce prenant un chemin écarté,

Semblait avoir dessein, d’éviter la clarté.

ALPHANGE.

Je ne puis concevoir pareille procédure.

LUSIMANT.

Ni moi vous exprimer ce que mon cœur endure.

TARAMINTE.

En obligeant mon fils, on l’a désobligé,

Je m’étonne de voir comme il est affligé.

ALIANTE.

Ma fille en apprenant son prochain hyménée,

À l’instant se fit voir, triste, morne, étonnée ;

Son œil paru humide ; et changeant de couleur,

On ne vit en son teint, que marques de douleur :

Son âme en se faisant beaucoup de violence,

Condamne tout le soir sa parole au silence ;

Mais par de longs soupirs, l’un sur l’autre lâchés,

Elle me découvrait ses déplaisirs cachés.

Et malgré le respect qui la tenait contrainte,

Je lus dans son esprit une excessive crainte :

Mais quel est le sujet qui la lui peut donner,

C’est là ce que le mien ne saurait deviner.

En vain pour cet effet, je me rompais la tête,

Quand je vous ai trouvés, tous trois en même quête ;

Et je sens maintenant redoubler mon souci,

Puisque nous découvrons qu’ils ne sont pas ici,

Car ce pré que Lignon arrose de son onde,

Ce pré le plus aimable, et le plus beau du monde,

Est le seul rendez-vous, où ces captifs d’Amour

Avaient accoutumé de venir chaque jour.

ALPHANGE.

Ils pourront arriver ; cette place est secrète ;

Voyez que ce Rocher nous offre sa retraite,

Lieu plus propre à cacher, nous ne pourrions choisir ;

Donnons nous seulement une heure de loisir ;

L’Ombre pour ce dessein, nous rend un bon office,

Et nous fera voir clair, dedans leur artifice.

LUSIMANT.

J’approuve ce conseil, car par lui nous saurons

Un secret bien caché, puis que nous l’ignorons.

Or sans plus de discours, mettons nous dans la Roche,

De peur d’être aperçus, si quelqu’un d’eux approche.

 

 

Scène II

 

MÉLISÉE, LUSIMANT, ALPHANGE, TARAMINTE, ALIANTE

 

MÉLISÉE.

Le chemin ordinaire, eut trahi ma langueur ;

Et l’autre m’assassine, en son trop de longueur.

Florintor, Isomène, et Cupidon encore,

Me verront arriver, aussi bien que l’Aurore :

Et le sort ennemi, qui ne veut pas mon bien,

Me cachant leur dessein, découvrira le mien.

Mais je vois sans les voir, que je me suis déçue ;

Et je me veux cacher, craignant d’être aperçue

Oiseaux, allez ailleurs, réciter vos chansons,

Amour pour me couvrir, me montre ces buissons.

LUSIMANT.

Je vais lui témoigner, que son humeur me fâche. 

ALPHANGE.

Le dessein qu’elle a pris, avec elle se cache ;

Donnez vous patience, attendez s’il vous plaît ;

Indubitablement nous saurons ce que c’est.

 

 

Scène III

 

PIRANDRE, ALPHANGE, LUSIMANT, MÉLISÉE, TARAMINTE, ALIANTE

 

PIRANDRE.

Elle n’est point ici ; malgré ma rêverie,

J’arrive devant elle, au bout de la prairie ;

J’ai loisir de songer avec quelles raisons

J’adoucirai l’aigreur de tant de trahisons :

Mais plus j’y pense, Amour, moins j’y trouve d’excuse ;

Pour ce fâcheux discours, ma langue me refuse

Mais dussé-je mourir à ses yeux ébahis,

Ils verront aujourd’hui, que je les ai trahis.

Et de peur que quelqu’un ne m’use de surprise

Et que son entretien, n’en rompe l’entreprise,

Le tronc de ce vieux chêne, et ses grands rameaux verts,

Offrent à mes desseins, de les tenir couverts.

ALPHANGE.

Je veux lui reprocher, l’excès de sa folie.

LUSIMANT.

Laissez un chemin libre, à sa mélancolie ;

Son cœur au déplaisir s’est trop abandonné ;

Et suivez un conseil, que vous m’avez donné.

MÉLISÉE.

Elle n’est point ici ? Pirandre qui m’adore,

En cette extrémité, feindrait-il bien encore ?

Elle n’est point ici, non, sans doute sa foi

N’adresse ces propos, à nulle autre qu’à moi.

Amour, Roi de mon cœur, endure qu’en mon âme,

La curiosité, l’emporte sur ta flamme ;

Je veux que mon ardeur, se cache pour encor.

TARAMINTE.

Nous allons tout savoir, j’aperçois Florintor.

ALIANTE.

Il n’arrive pas seul, je découvre Isomène.

PIRANDRE.

Ha Ciel ! qu’en ce moment, mon esprit est en peine ;

Ce Berger importun, augmente mon souci,

Mais pourtant apprenons, ce qui les mène ici.

LUSIMANT.

Silence.

TARAMINTE.

Pas un mot.

ALIANTE.

Je veux être une souche.

ALPHANGE.

Et ma langue et mes yeux, s’attachent à leur bouche.

PIRANDRE.

Que mon étonnement est extrême aujourd’hui.

MÉLISÉE.

Que je me plais d’entrer dans les secrets d’autrui.

 

 

Scène IV

 

FLORINTOR, ISOMÈNE, PIRANDRE, MÉLISÉE, TARAMINTE, ALPHANGE, LYSIMANT, ALIANTE

 

FLORINTOR.

La rigueur de mon Père, et de ma destinée,

M’ordonne de finir ; avecques la journée ;

Montrant son cœur.

La mort de livrer à ce pauvre prisonnier

Ce jour de tous les miens, doit être le dernier ;

Et puisque mon bonheur, est sans nulle apparence,

J’aurai même Sépulcre, avec mon espérance.

Les hommes généreux, qu’on ne peut secourir,

Ont toujours un remède, en cherchant à mourir ;

La Parque au misérable, est toujours opportune ;

La douleur la plus courte, est la moins importune ;

Et quel que soit l’effroi, que donne le trépas,

Lorsqu’on n’est point content, il vaut mieux n’être pas.

Hélas chère Isomène, en vain la solitude,

Le silence, la nuit ; l’amour, l’inquiétude,

Fidèles Conseillers ; ont tâché de trouver,

Un remède assez fort, pour me pouvoir sauver

Tout est faible, à l’égal d’un malheur invincible ;

Et chercher mon salut, c’est chercher l’impossible :

Mais en dépit du Ciel, qui semble être jaloux,

Je mourrai satisfait, en mourant devant vous.

ISOMÈNE.

Vous mourrez satisfait, et non pas moi contente ;

Car puisque le Destin s’oppose à mon attente,

Que ses injustes Lois me forcent d’obéir,

Et que si je veux vivre, il faudra vous trahir.

Pour près que soit l’instant, ou la mort rigoureuse

Me ravira le jour, je mourrai malheureuse :

Et songeant que moi-même ai perdu mon Amant,

Je serai sans repos, dedans le monument.

Vous exempt de péché, soyez le de l’envie,

Qui vous pousse à chercher la fin de votre vie ;

Vivez cher Florintor, et gardez votre foi,

Pour une plus heureuse, plus et belle que moi :

Si comme votre Esprit, son corps est adorable,

La fortune à tous deux vous sera favorable ;

C’est le seul réconfort que ma douleur attend ;

Et je serai moins triste, vous bien plus content.

FLORINTOR.

Ô Conseil homicide, et qu’on ne saurait suivre !

Qui me donne la mort, en me parlant de vivre :

Conseil, aussi perfide, à moi, comme à l’Amour ;

Et quoi ! je vous perdrai, sans perdre aussi le jour ?

Comment ! vous croyez donc qu’au milieu de l’orage,

Ainsi que de bonheur ; je manque de courage ?

J’apprends à votre esprit, de ce crime fouillé,

Que je me dois coucher, puis qu’on m’a dépouillé :

Mon unique repos est en la sépulture ;

Ha ! que n’est en ma fin, celle de la Nature.

En vain pour me flatter, vous faites des désirs ;

C’est ajouter encor, à tant de des plaisirs ;

Car puisque le Destin, me refuse Isomène,

L’univers n’a pour moi que des objets de haine.

Ha pauvre Mélisée, ô Pirandre banni,

Vous êtes bien vengés, et je suis bien puni ;

Le Ciel, le juste Ciel qui hait la perfidie,

Me condamne au supplice, et veut que je le dit :

J’ai mérité mon mal, par cette trahison,

Et si je m’en plaignais, ce serait sans raison.

Enfin donc Isomène, épousera Pirandre ?

La contrainte l’emporte, et l’Amour se va rendre ?

Il met les armes bas, et comme on l’oit parler,

Il ne résiste plus que pour capituler.

La volonté m’afflige, et la voix me console,

Misérable en effet bien heureux en parole,

L’âme dans le désordre, vous dans les accords,

J’embrasserai votre ombre, et Pirandre le corps.

Ne l’imaginez pas ; la fortune ennemie

Peut me charger de peine, et non pas d’infamie

Puis que vous témoignez me vouloir secourir,

Faites que votre bras, m’aide au moins à mourir.

Je percevais mon cœur, s’il n’avait votre image :

Vous qui n’adorez pas votre propre visage,

Servez vous de ce fer, aidez à mon dessein ;

Car l’Amour me défend de me l’ôter du sein.

Le respect, non la crainte, occupe ma pensée :

Mais pour blesser mon cœur, j’ai l’âme trop blessée :

Et bien que le trépas désormais me soit cher,

Vous seule avez le droit de le pouvoir toucher.

Accordez-moi la mort, où mon désir aspire :

Faites un corps d’État, car c’est là votre Empire ;

Empêchez qu’un Rival, n’en devienne vainqueur ;

Et pour donner le votre, arrachez-moi le cœur.

ISOMÈNE.

Ha cruel Florintor, que votre méfiance

Irrite mon amour, et mon impatience ;

Que vous avez de tort, de vous imaginer,

Que ce que j’ai donné, se puisse redonner ;

Non, non, malgré les Lois, du Ciel, et de Nature,

Je vous conserverai ma flamme toute pure ;

Et bien que vos soupçons, me dussent arriver,

Je quitterai le jour avant que vous quitter.

Guérissez votre esprit de l’erreur qui l’afflige,

En m’ouvrant l’estomac, votre dextre m’oblige ;

Aux Myrtes amoureux, enlacez du Cyprès,

Et si vous m’aimez bien, vous me suivre après.

PIRANDRE.

Quelle merveille ô Dieux ! s’empare de mon âme ?

MÉLISÉE.

Quel miracle d’Amour, de cacher de la flamme ?

TARAMINTE.

Admirez Aliante, un tel déguisement ;

ALIANTE.

Je ne puis me r’avoir de mon étonnement.

ALPHANGE.

Que ! Amour est subtil, et qu’il a de malices.

LUSIMANT.

Et qu’il mêle de maux avec que ses délices.

ISOMÈNE.

Vous rêvez mon Berger, quoi, ne voulez vous pas

Conserver Isomène, et suivre son trépas ?

Ce fer sera plus doux, qu’une Mère insensée.

FLORINTOR.

Un moyen plus aisé me vient en la pensée ;

Et sans vous amuser par un plus long discours,

Voyez comme Lignon nous offre son secours,

Là, malgré le Destin, sous qui l’univers tremble,

N’ayant peu vivre unis, nous mourrons joints ensemble.

ISOMÈNE.

J’approuve ce conseil, embrasse je le veux ;

Car il fallait de l’eau pour éteindre nos feux.

PIRANDRE.

Arrêtez-vous Berger, retenez cette envie ;

Je ne mets point d’obstacle à l’heur de votre vie

On me donne Isomène, et je vous en fais don ;

Je confesse mon crime en demandant pardon

Le dessein que j’avais d’obliger Mélisée

Acquitter son mépris, se voyant méprisée.

Me fit feindre une amour malheureux en ce point,

Qu’il vous a pensé perdre en ne me sauvant point.

MÉLISÉE.

Va fidèle Pirandre, aujourd’huy ta constance

Me donne de la joie et de la repentance,

Trop amoureux Bergers saches que ma rigueur

Ne fut jamais d’accord au sentiment du cœur

Pour éprouver le rien, je me feignais cruelle,

Et je brûlais pourtant, d’une ardeur mutuelle,

Mais vous que j’ai trahi vous me devez punir

Si la pitié ne passe en votre souvenir :

Car depuis Céladon de la Bergère Astrée,

On n’a point vu d’amants en toute la contrée,

Si près du désespoir, si remplie de fureur,

Et tout par mon dessein qui causa votre erreur.

FLORINTOR.

Fortuné Florintor.

ISOMÈNE.

Trop heureuse Isomène.

PIRANDRE.

Je rencontre l’amour, où je croyais la haine.

MÉLISÉE.

Oublions le passé pour contenter nos vœux.

TARAMINTE.

Montrons-nous Lusimant.

LUSIMANT.

Montrons-nous.

ALIANTE.

Je le veux,

Ha Ciel que la douleur a de puissantes armes

La plainte a des attraits les pleurs ont des charmes.

ALPHANGE.

Or pour vivre contente rendons les satisfaits

Et ne séparons point des Amants si parfaits.

FLORINTOR.

Arbitres de nos jours à qui par la naissance

Nous sommes obligés de rendre obéissance,

Agréez nos désirs, ayez pitié de nous,

Pour obtenir ce bien nous sommes à genoux.

TARAMINTE.

Des travaux endurez n’accusez que vous même

On ne doit point celer quel est l’objet qu’on aime.

Votre erreur sur la notre et l’amour outragé

Vous a punie lui seul et s’est assez vengé :

Allez vivez heureux et faites que la joie

Trouve pour votre cœur une secrète voie,

Qu’elle paroisse au front et dessus un autel,

Où ces mots dompteront un vengeur immortel.

C’est ici le lieu des merveilles

Mille aventures nonpareilles. 

Sur les bords de Lignon se font paraître au jour

Ici l’amour rend ses oracles

Mais le plus grand des es miracles,

Fut l’Amour caché par l’amour.

 

MONSIEUR DE BLANDIMARE

Il ne vous est pas difficile de remarquer par la satisfaction que témoignent nos Spectateurs, que je ne vous ai pas été du tout inutile, et l’espère que vous vous en apercevrez mieux encor à l’avenir, pourvu que le successeur de Belle-Ombre ; c’est à dire celui qui recevra l’argent, se résolue de faire un miracle en faisant homme de bien un portier de Comédie : et pour vous Messieurs. Si vous rendez ma prophétie véritable, en continuant de nous honorer de vos présences, nous vous promettons absolument de n’employer tout les forces de notre esprit qu’à tâcher faire quelque chose digne de l’excelle du vôtre.

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