Les Nicandres (Edme BOURSAULT)

Sous-titres : les deux frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point

Comédie en cinq actes, en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 15 juin 1664.

 

Personnages

 

ISIDORE, homme savant, père d’Hipolite

EUTROPE, père d’Ismène

HIPOLITE, Parisienne, amoureuse du premier Nicandre

JACINTE, suivante d’Hipolite

ISMÈNE, Lyonnaise, vêtue en homme, amante du second Nicandre

Le premier NICANDRE, amant d’Hipolite

Le second NICANDRE, amant d’Ismène

Frères Gémeaux, qui se ressemblent si fort, qu’on les prend à tous moments l’un pour l’autre, et qui se rencontrent fortuitement à Paris, sans que l’un ni l’autre le sache ; où ils s’habillent par hasard tous deux d’une même façon.

CRISPIN, valet du second Nicandre

RAGOTIN, valet du premier Nicandre durant le premier Acte, puis valet d’Ismène

UN COMMISSSAIRE

UN SERGENT du Châtelet

DES ARCHERS muets

 

La scène est en Prison.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

HIPOLITE, JACINTE

 

HIPOLITE.

Me trompais-je, Jacinte, est-ce là sa demeure ?

JACINTE.

C’est là même.

HIPOLITE.

Et tu dis qu’il viendra tout à l’heure ?

JACINTE.

Il me suit.

HIPOLITE.

Ah, Jacinte !

JACINTE.

Et quoi donc...

HIPOLITE.

Je me plains,

Ce que je souhaitais, à présent je le crains :

D’une fille en aimant le malheur est extrême

Alors qu’elle est réduite à le dire elle-même ;

Et que l’objet charmant qui la comble d’ennui

A donné de l’amour sans en prendre pour lui.

Je m’étais résolue à parler de ma flamme ;

Mais Jacinte au moment...

JACINTE.

Au moment, quoi Madame ?

À qui cherche à vous plaire expliquez votre mais ;

Mais ?

HIPOLITE.

Mais je ne croi pas que j’en parle jamais.

JACINTE.

Courage ; quand la chose est si bien préparée,

Faire la scrupuleuse, et la sainte sucrée ?

Et que lui direz-vous, car il vient sur mes pas ?

HIPOLITE.

En ne lui disant rien, que ne dirai-je pas !

Quand on voit ce qui plaît quoi qu’une âme projette,

Les yeux ont une voix si la langue est muette ;

Et pour bien découvrir son aimable tourment,

Affecter le silence est parler clairement.

JACINTE.

Et de cette façon vous croyez faire entendre...

Je vous le disais bien j’aperçois ce Nicandre ;

Il avance.

 

 

Scène II

 

Le premier NICANDRE, HIPOLITE, JACINTE, RAGOTIN

 

Le premier NICANDRE.

Madame, il doit m’être bien doux

De jouir du bonheur qui m’approche de vous ;

Mais achevez, de grâce, et pour comble de joie

De vous mieux obéir découvrez une voie.

Parlez.

RAGOTIN.

Comme elle parle, écoutez, Diablezot ?

JACINTE.

Ma Maîtresse, Monsieur, parle sans dire mot.

Le premier NICANDRE.

Dites-moi, sans frayeur ce que c’est qui vous touche,

Je suis homme...

JACINTE.

Et là là, parlez lui de la bouche,

Madame.

Le premier NICANDRE.

Vous croyez que me dire un secret

C’est peut-être...

HIPOLITE.

Nicandre, éloignez ce Valet.

Le premier NICANDRE, à Ragotin.

Dans une heure au plus tard tu viendras me reprendre.

RAGOTIN.

Mais...

Le premier NICANDRE.

Sors.

RAGOTIN.

Mais...

Le premier NICANDRE.

Sors te dis-je, et te va faire pendre.

RAGOTIN.

Et votre honneur, Monsieur, il est fort en danger,

Quand on n’en a plus guère il le faut ménager.

Le premier NICANDRE.

Qu’elle est belle ! Vois-tu ? J’en ai l’âme surprise.

RAGOTIN.

Déjà de son honneur tout le reste agonise.

Qu’il est âpre !

Le premier NICANDRE.

Sors donc.

RAGOTIN.

Mais.

Le premier NICANDRE.

Encor une fois ?

RAGOTIN.

Adieu l’honneur.

 

 

Scène III

 

HIPOLITE, le premier NICANDRE, JACINTE

 

HIPOLITE.

Nicandre, et mes yeux, et ma voix...

Je me sens interdite, et le charme qui brille...

Quand on est inquiète, et qu’on est une fille...

Le mérite sublime a pour moi tant d’appas...

J’ose... le trouble... Et quoi, ne m’entendez-vous pas ?

Le premier NICANDRE.

Moi, Madame !

HIPOLITE.

Jacinte, il ne veut pas m’entendre.

JACINTE.

Parlez sans façonner, et vous faites comprendre

Aussi ; car le moyen jusqu’ici qu’il ait pu ?

Si vous dites deux mots c’est en baston rompu.

Laissez moi lui parler je suis bien plus hardie.

Permettez, ô Monsieur qu’à présent je vous die.

Ma Maîtresse Hipolite a depuis peu de jours...

Quand on est en son âge, et qu’on rêve toujours...

Je ne puis deviner, mais enfin je suis sûre...

À tous ses mouvements j’aperçois qu’elle est mûre...

Je ne sais quoi pour elle a des charmes si doux...

Dites-moi, s’il vous plaît, Monsieur, m’entendez-vous ?

Le premier NICANDRE.

Me jouer c’est vous plaire, et je m’offre moi-même...

JACINTE.

À quoi tant de façons ? Ma Maîtresse vous aime.

Le premier NICANDRE.

Ciel !

HIPOLITE.

Ô Dieux !

JACINTE.

Dame, ô Dieux, je ne puis niaiser.

Le premier NICANDRE.

Madame...

HIPOLITE.

Il n’est plus temps de vous rien déguiser.

Je vous aime ; ce mot est sans doute blâmable ;

Il m’échappe à regret, mais il est véritable,

Je vous aime.

Le premier NICANDRE.

Est-il vrai, m’aimez-vous ?

HIPOLITE.

Je l’ai dit.

Le premier NICANDRE.

De vos rares bontés je me sens interdit,

Mais, Madame...

JACINTE.

Ce mais pourra bien la confondre.

HIPOLITE.

Mais enfin...

Le premier NICANDRE.

Mais enfin, je ne puis y répondre.

JACINTE.

Justement.

HIPOLITE.

M’exposer à ce honteux mépris ;

Ô Ciel !

Le premier NICANDRE.

De vos appas je connais tout le prix ;

À me favoriser votre cœur se dispose,

Mais un serment horrible à mon bonheur s’oppose ;

Pour ne pas en douter écoutez seulement.

JACINTE.

Écoutons.

Le premier NICANDRE.

D’où je sors on vivait noblement.

JACINTE.

Après.

Le premier NICANDRE.

Ma mère est morte, aussi bien que mon père.

JACINTE.

Pour cela ?

Le premier NICANDRE.

De parents je n’ai plus qu’un seul frère.

JACINTE.

Hé bien ?

Le premier NICANDRE.

Ce frère et moi sommes frères jumeaux.

JACINTE.

Qu’en est-il ?

Le premier NICANDRE.

Tous ses traits à mes traits sont égaux.

JACINTE.

Est-ce tout ?

Le premier NICANDRE.

Pour nos mœurs il en est tout de même.

JACINTE.

À la fin ?

Le premier NICANDRE.

Ce qu’il aime est aussi ce que j’aime.

JACINTE.

Et qu’importe ?

Le premier NICANDRE.

Entre nous tout paraît si commun

Que pour voir tous les deux, il ne faut en voir qu’un.

JACINTE.

Quoi ?...

HIPOLITE, à Jacinte.

Ne l’interromps plus qu’au plus vite il achève.

D’avoir dit mon secret je déteste.

JACINTE.

Et je crève,

Il se pâme de joie à présent qu’il sait tout.

Voyez vous du depuis comme il tient son bon bout ;

Le manœuvre ?

HIPOLITE.

Jacinte, est-ce là ta conduite ?

Le premier NICANDRE.

De mon âpre malheur pour apprendre la suite,

De ce frère si cher dont j’ignore le sort,

De qui j’ai le visage, et la voix, et le port ;

De ce frère, en un mot qui si fort me ressemble,

Qu’on nous prend l’un pour l’autre à nous voir être ensemble ;

D’un frère...

JACINTE.

Et foin du frère, et du frère éternel ;

Concluez.

Le premier NICANDRE.

De mon frère un serment solennel

Madame...

HIPOLITE.

De ce frère un serment vous engage...

Le premier NICANDRE.

Depuis plus de six ans je voyage, il voyage,

Mais en nous séparant nous jurâmes tous deux

De jamais à l’Hymen ne contraindre nos vœux,

Que de l’un, ou de l’autre une bouche fidèle

De la mort ou la vie eut appris la nouvelle.

Voyez donc à mon sort quelle peine se joint,

Je le cherche, il me cherche, et ne nous trouvons point ;

Je ne puis deviner quel endroit le recèle :

Et pour comble de maux je vous trouve si belle,

Qu’il fallait que mon cœur qu’Hipolite asservit,

Ou jamais ne jurât, ou jamais ne vous vit.

Adieu Madame.

 

 

Scène IV

 

HIPOLITE, JACINTE

 

HIPOLITE.

Hé bien, que dis-tu ?

JACINTE.

Moi ? j’enrage.

HIPOLITE.

Le serment qu’il a fait de jamais...

JACINTE.

Badinage ?

Il se raille, Madame.

HIPOLITE.

Est-il vrai ?

JACINTE.

Tout de bon.

HIPOLITE.

Mais il m’aime, tu vois.

JACINTE.

Lui ? tarrare pompon.

Je m’en suis aperçue, il biaise, il bricole ;

Quand il parle de frère il vous fiche la cole ;

Je vous le garantis franc donneur de canards.

HIPOLITE.

Tu crois donc que quelqu’autre ait surpris ses regards ?

JACINTE.

Si je le crois ? vraiment ; ce matois, ce Nicandre...

 

 

Scène V

 

ISMÈNE vêtue en homme, HIPOLITE, JACINTE

 

ISMÈNE, vêtue en homme.

Nicandre ! Le serait-ce ? Essayons de l’apprendre.

Ce Nicandre, Madame, à mon cœur est bien cher,

Je le cherche.

HIPOLITE.

Hé ! Monsieur, vous pouvez le chercher,

Peu m’importe.

ISMÈNE.

Peut-être, il vous plaît, il vous touche,

Avouez.

JACINTE.

Dépêchez, que Monsieur se recouche,

Il déplaît, c’est tant pis, et s’il plaît, c’est tant mieux.

ISMÈNE.

Ce n’est pas sans raison que je suis curieux ;

Il vous aime ?

HIPOLITE.

Peut-être.

ISMÈNE.

Il l’adore, le traître.

Vous, l’aimez-vous, Madame, à votre tour ?

HIPOLITE.

Peut-être.

ISMÈNE.

L’aime-t-elle ?

JACINTE.

Selon.

ISMÈNE.

Sera-t-il son époux ?

JACINTE.

C’est selon.

ISMÈNE.

Justes Dieux ! 

HIPOLITE.

Vous en êtes jaloux ?

ISMÈNE.

De celui que je dis si vous êtes l’épouse

Je puis être alarmée, et paraître jalouse ;

L’infidèle !

HIPOLITE.

Jalouse !

JACINTE.

Ah ! Madame, voyez

Ce que c’est que nos yeux qui s’étaient fourvoyez ;

Elle est fille, elle même elle s’est éclaircie ;

Ah le joli garçon par la superficie !

Qu’il est drôle !

HIPOLITE.

Elle est fille !

ISMÈNE.

Il est vrai, je la suis

Et ce que vous aimez est ce que je poursuis.

L’infidèle Nicandre...

HIPOLITE.

Achevez, l’infidèle...

ISMÈNE.

Dans Lyon à ses yeux je parus assez belle,

Je lui plus, il me plût, et dans un même jour

Je donnai tout ensemble et reçus de l’amour.

Il me voit, me demande, et m’obtient de mon père,

On nous veut épouser, et le traître diffère ;

Et pour toutes raisons parle confusément

Et de frère semblable, et d’horrible serment :

Me soutient qu’il m’adore, ardemment me conjure

De ne pas endurer qu’il devienne parjure ;

Et d’une âme charmée, et qui l’aime toujours

Pour rejoindre ce frère il exige huit jours.

Il me quitte, le traître, et j’en sens mille peines ;

Cependant du depuis j’ai compté huit semaines.

Et tel est de mon sort le cruel traitement

Que je trouve Nicandre, et je perds mon amant.

JACINTE, à Hipolite.

D’où naissait le refus qui si fort vous afflige ?

Voyez-vous ?

HIPOLITE.

Apprends...

JACINTE.

Paix.

HIPOLITE.

Mon courroux...

JACINTE.

Paix, vous dis-je,

Et ne lui dites rien qui nourrisse ses feux.

ISMÈNE.

Il vous peut à son aise adresser tous ses vœux ;

Demander son logis serait perdre ma peine,

Redoutez seulement la présence d’Ismène ;

De Rivale à Rivale on ne s’accorde rien,

Mais je puis le trouver par un autre moyen.

Je vous laisse.

 

 

Scène VI

 

HIPOLITE, JACINTE

 

JACINTE.

Il vous aime ?

HIPOLITE.

Il me hait, l’infidèle.

JACINTE.

Vous devez au Seigneur une belle chandelle,

Madame, il a pour vous une grande amitié ;

Je ne me défends pas d’en payer la moitié.

Car enfin la nature est aisée à surprendre ;

Et si pour votre époux vous aviez eu Nicandre,

Avec son valet, qui n’a point mauvais air,

Mon honneur eut pu faire un méchant pas de Clerc.

Haïssez désormais, aussi bien cette fille...

HIPOLITE.

Elle est belle, bien faite, et paraît de famille ;

Elle cherche Nicandre, et j’en ai du souci ;

Mais l’amour est aveugle, et je la suis aussi.

Que Nicandre l’adore, ou Nicandre l’abuse,

Qui n’a point de mérite a du moins de la ruse,

Et peut-être...

JACINTE.

Madame, il revient dans ce lieu.

 

 

Scène VII

 

Le second NICANDRE, HIPOLITE, JACINTE, CRISPIN

 

HIPOLITE, en raillant.

À la fin votre frère est trouvé.

Le second NICANDRE.

Plût à Dieu !

HIPOLITE.

Je l’ai vu.

Le second NICANDRE.

Quoi Madame...

HIPOLITE.

Il vous est tout semblable.

CRISPIN.

Madame, êtes-vous Ange, ou bien êtes-vous Diable ?

Quoi ! sans vous dire mot vous savez nos secrets ?

Le second NICANDRE.

Il est vrai que tous deux nous avons mêmes traits,

J’ai la voix, le visage, et la taille de même,

J’ai l’humeur...

JACINTE.

Comme il fait l’innocent quatrième !

De vous pousser à bout le perfide a fait vœu.

Le second NICANDRE.

Vous le connaissez donc, ce frère ?

HIPOLITE.

Quelque peu.

Le second NICANDRE.

Il vous voit ?

HIPOLITE.

Quelquefois.

CRISPIN.

Ah, la bonne bigote !

Dirait-on qu’elle y touche ?

JACINTE.

Un Valet vous ballotte ?

Et je pense... Madame admirez ce bâtier !

Ce n’est pas son valet que ce galefretier ;

Avec cette finesse il prétend qu’on s’embourbe.

Le second NICANDRE.

Ainsi...

HIPOLITE.

Levez le masque, on connaît votre fourbe,

Et vous vous y prenez de mauvaise façon.

CRISPIN.

Parbleu, pas tant bigote, elle change de ton.

Le second NICANDRE.

Et quoi...

HIPOLITE.

Qui vous aimait a pour vous de la haine.

Le second NICANDRE.

On me hait ! Mais Madame...

HIPOLITE.

On connaît votre Ismène.

Le second NICANDRE.

Mon Ismène !

CRISPIN.

Bon, bon ; mordez vous-en les doigts ;

Il demande huit jours, et demeure deux mois.

Le second NICANDRE.

Mon Ismène, bons Dieux ! ô parole cruelle !

CRISPIN appelle son Maître au coin du Théâtre.

St, st ; une autrefois battez moins la semelle,

Monsieur.

Le second NICANDRE.

Tes sots discours...

CRISPIN.

Je parle à cœur ouvert.

JACINTE.

Il enrage tout vif de se voir découvert,

Il ne se doutait pas qu’on eut pu tout apprendre.

Le second NICANDRE.

Et comment croyez-vous qu’on me nomme ?

HIPOLITE.

Nicandre.

Fourbe, artificieux, diseur de faussetés.

CRISPIN.

Puis qu’il ne répond rien, d’accord des qualités.

Le second NICANDRE.

Il est vrai qu’à l’amour je n’ai pu satisfaire.

Mais par votre moyen si je trouve mon frère,

Pour rendre un juste hommage à de rares appas,

Ismène...

HIPOLITE.

Dites donc que vous ne l’aimez pas ?

Imposteur.

Le second NICANDRE.

Je l’adore, ou le Ciel me foudroie !

La servir est ma gloire, et l’aimer est ma joie :

Pour quelque autre beauté qui respire le jour

J’ai des civilités et non pas de l’amour.

Son intérêt vous touche, et je vous en rends grâce ;

Embrassez...

HIPOLITE.

Vous saurez l’intérêt que j’embrasse,

Et je vous ferai voir dés ce jour, si je puis,

Comme Ismène me touche, et ce que je lui suis.

Vous verrez qu’à l’outrage une fille est sensible ;

Qu’à ses vœux méprisés il n’est rien d’impossible ;

Et quoique depuis peu vous soyez à Paris

Ainsi que votre nom je sais votre logis ;

Pensez-y bien.

Elle sort.

 

 

Scène VIII

 

Le second NICANDRE, JACINTE, CRISPIN

 

Le second NICANDRE arrête Jacinte, et lui dit.

De grâce, ayez plus de tendresse.

Dites-moi qui des deux est Suivante ou Maîtresse ?

Je vous trouve bien faite, est-ce vous qu’elle sert ?

JACINTE.

Oui.

Le second NICANDRE.

Madame...

JACINTE.

Courage.

CRISPIN.

Elles sont de concert,

Les gaillardes.

Le second NICANDRE.

Madame, écoutez, en revanche...

JACINTE.

Voyez-vous cette main au fin bout de ma manche ?

Elle pourrait tomber dessus votre museau ;

Allez vous-en chercher votre frère jumeau ;

Ou dessus cette joue un puissant cataplasme...

Adieu.

 

 

Scène IX

 

Le second NICANDRE, CRISPIN

 

CRISPIN.

Connaissez-vous cette bonne Madame ?

Le second NICANDRE.

Nullement.

CRISPIN.

Nullement ?

Le second NICANDRE.

Je ne la vis jamais.

CRISPIN.

Songez bien...

Le second NICANDRE.

Plus j’y songe, et moins je la remets.

Je ne la vis jamais en aucune manière.

CRISPIN.

À la première vue elle est bien familière.

Des soufflets tout d’abord !

Le second NICANDRE.

Tu m’en vois tout surpris.

D’hier au soir seulement j’arrivai dans Paris.

CRISPIN.

De la nuit noire en Diable il était plus d’une heure.

Le second NICANDRE.

Et déjà toutes deux ont appris ma demeure,

Crispin.

CRISPIN.

Les Poussecus sont de vilaines gens,

Gare âpres votre queue un troupeau de Sergents,

Et si votre personne est par eux attrapée,

Vous aurez une femme, ou la tête coupée.

Ce n’est pas qu’entre nous je ne sache fort bien

Qu’avec une Maîtresse on ne fait souvent rien ;

Mais à votre prison pour donner une cause

Vous serez accusé d’avoir fait quelque chose ;

Et vous en sortirez si le Ciel vous y met,

Pour aller à la Noce, ou du moins au gibet.

Le second NICANDRE.

Quoi, tu penses qu’Ismène ait si peu de constance...

CRISPIN.

Je ne sais par ma foi ce qu’il faut que je pense ;

Il faut bien vous aimer pour attendre toujours :

Et je trouve deux mois bien plus longs que huit jours.

En laissant à Lyon cette belle Lionne,

Tu me crèves le cœur, disiez-vous, ma Pouponne,

Mais enfin mon départ ne doit pas t’irriter,

Je te quitte un moment pour ne plus te quitter ;

Laisse agir mon amour, je te tire de peine,

Ou je me donne au Diable, et dans une semaine,

Mon Fanfan, de mon frère, ou la vie ou la mort

Me remet le pouvoir de conclure mon sort,

De quelqu’un que je crois j’en aurai la nouvelle.

Depuis à vous attendre elle fait sentinelle.

Tandis qu’en galopant et par vaux et par monts

Nous passons vous et moi pour de francs vagabonds.

Voyez si la Donzelle a sujet de bien rire.

Le second NICANDRE.

Ah ! Crispin, de ce frère on n’a pu me rien dire ;

Je m’en meurs. Cependant va dedans mon logis,

On me veut faire pièce, et j’ai peur d’être pris :

Dis qu’il n’est pas besoin qu’aujourd’hui l’on m’attende.

CRISPIN.

Si je suis pris pour vous, et qu’après on me pende

Aussi ?

Le second NICANDRE.

Te pendre ! à tort on l’aurait prétendu.

CRISPIN.

Et qu’importe comment on puisse être pendu ?

Soit à tort, soit à droit, n’est-ce pas toujours l’être ?

Le second NICANDRE.

Tu te moques, te dis-je, obéis à ton Maître.

Je t’attends en ce lieu.

CRISPIN.

Mais, Monsieur...

Le second NICANDRE.

Hâte-toi.

CRISPIN revient sur ses pas.

Daignez donc pour le moins me répondre de moi ;

Car enfin...

Le second NICANDRE.

Va te dis-je, et retient cette place.

Crispin sort.

Attendant qu’il revienne allons voir Clidimace ;

Comme dans cette ville il a bien du crédit,

Cet ami...

 

 

Scène X

 

RAGOTIN, le second NICANDRE

 

RAGOTIN.

Je reviens comme vous m’avez dit,

Est-ce fait ?

Le second NICANDRE.

Que veux-tu ?

RAGOTIN.

Je reviens.

Le second NICANDRE.

Que je meure...

RAGOTIN.

Dites en conscience, ai-je mis plus d’une heure ?

Le second NICANDRE.

Que veux-tu, mon ami ? dis le moi.

RAGOTIN.

Je reviens.

Le second NICANDRE.

Accordons un peu mieux tes discours et les miens,

À tout ce que tu dis je ne puis rien comprendre.

RAGOTIN.

Il ne vous souvient pas que je viens vous reprendre ?

Le secret de la Dame à la fin est-il su ?

Dites-moi.

Le second NICANDRE.

Mon enfant, je ne t’ai jamais vu ;

Quel es-tu ?

RAGOTIN.

Qui je suis ? Qu’ai-je accoutumé d’être ?

Ragotin.

Le second NICANDRE.

Ragotin, je ne puis te connaître,

Passe ton chemin, passe.

RAGOTIN.

Il le fait tout exprès !

Moi je vous connais.

Le second NICANDRE.

Toi me connaître ?

RAGOTIN.

À peu près.

Le second NICANDRE.

Tu t’abuses, mon cher, ton erreur est extrême :

Passe.

RAGOTIN.

Il n’est donc pas vrai que vous êtes vous-même,

N’est-ce pas ?

Le second NICANDRE.

Je commence à beaucoup m’ennuyer.

RAGOTIN.

En gambades je pense il prétend me payer.

Je vous sers.

Le second NICANDRE.

Tu me sers !

RAGOTIN.

Hé nenni ?

Le second NICANDRE.

Je m’irrite ;

Maraud...

RAGOTIN.

Payez-moi donc, et sortons quitte à quitte.

Le second NICANDRE.

Je te dois quelque chose ! Insolent, je vois bien...

RAGOTIN.

Si vous me devez ! non, vous ne me devez rien.

Et qui peut me devoir quinze mois de mes gages ?

Le second NICANDRE.

Laisse là ta sottise ; en un mot tu m’outrages.

Je me fais violence, et je dois de ce pas...

RAGOTIN.

Vous devez, il est vrai, mais vous ne payez pas.

Le second NICANDRE.

Sais-tu bien, goguenard qu’à bons coups de nasardes,

Si tu railles encore, et que tu goguenardes,

Que de tes mots bouffons tu me fasses l’objet...

RAGOTIN.

Je bouffonne ! Vraiment j’en ai bien du sujet !

Mis dehors, pas le sou, ne savoir chez qui vivre...

Quoi ! vous vous en allez.

Le second NICANDRE.

Et tu penses me suivre ?

RAGOTIN.

Je le pense, et repense.

Le second NICANDRE.

Et tu ne penses pas,

Que si tu l’entreprends je te casse les bras ?

Suis-moi donc si tu veux ; viens, tu n’as rien à craindre.

Il sort.

 

 

Scène XI

 

RAGOTIN, seul

 

Il ne faut que cela pour m’achever de peindre.

Peu courtois Courtisan en chassant ton valet

Que la peste t’étouffe, et te saute au collet.

Qu’au fin fond des Enfers le grand diable te plonge.

Mais j’enrage de faim, à propos, quand j’y songe,

Pour branler la mâchoire, et nous faire laquais

Allons chercher fortune aux degrés du Palais.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

Le premier NICANDRE, seul

 

La charmante Hipolite a pour moi de l’estime,

Et je n’ose répondre au beau feu qui l’anime !

À mon cruel serment tous mes sens occupez...

 

 

Scène II

 

ISMÈNE, le premier NICANDRE

 

ISMÈNE, en habit d’homme.

Ou je vois l’infidèle ou mes yeux sont trompez.

C’est lui-même, le traître ! À quoi rêve Nicandre ?

Le premier NICANDRE.

Et par quelle raison souhaiter de l’apprendre ?

ISMÈNE.

Vous m’aimiez autrefois, et j’ai dû présumer...

Le premier NICANDRE.

Si je vous ai connu, j’ai bien pu vous aimer ;

Où vous ai-je pu voir ? tirez-moi d’une peine.

ISMÈNE.

À Lyon.

Le premier NICANDRE.

À Lyon ? votre nom c’est...

ISMÈNE.

Ismène.

Le premier NICNADRE.

J’ai beau pour vous connaître employer mes efforts...

ISMÈNE.

Je ne vous parais pas ce que j’étais alors ;

Vous savez que l’on change.

Le premier NICANDRE.

Il est indubitable,

Mais c’est beaucoup changer qu’être méconnaissable ;

À Lyon j’ai pu faire un passable séjour, 

Mais...

ISMÈNE.

Mais quoi qu’il en soit, vous rêviez à l’amour ?

Le premier NICANDRE.

J’y rêvais, je l’avoue, une Dame si belle...

ISMÈNE.

Vous l’aimez ?

Le premier NICANDRE.

Si je l’aime ?

ISMÈNE.

Et vous êtes fidèle ?

Le premier NICANDRE.

Vouloir toute ma vie adorer ses appas...

ISMÈNE.

Ingrat, c’est le paraître, et c’est ne l’être pas ;

Ouvre les yeux.

Le premier NICANDRE.

Monsieur...

ISMÈNE.

Dis mon nom, si tu l’oses,

De ton frère, perfide, as-tu su quelques choses ?

Le premier NICANDRE.

Un langage si haut me rend tout interdit...

ISMÈNE.

Ta Maîtresse, infidèle, est dessous cet habit.

Vois Ismène, vois traître, et que l’œil te dessille.

Le premier NICANDRE.

Quoi dessous cet habit j’aperçois une fille !

Ah ! Madame...

ISMÈNE.

Volage, à quoi m’obliges-tu ?

Ta honteuse inconstance a trahi ma vertu :

Sont-ce là ces huit jours ? est-ce là cette flamme ?...

Le premier NICANDRE.

Expliquez cette énigme ; et de grâce, Madame...

ISMÈNE.

Cette énigme ? volage : ah cruel, plût aux Dieux !

Mais ton crime visible a-t-il rien de douteux,

Infidèle ?

Le premier NICANDRE.

Mon crime !

ISMÈNE.

Âme double, et traitresse,

Est-ce donc ta vertu que trahir ta Maîtresse ?

Le premier NICANDRE.

Moi, trahir ma Maîtresse ?

ISMÈNE.

Oui, toi lâche.

Le premier NICANDRE.

Moi ?

ISMÈNE.

Toi.

Le premier NICANDRE.

Je ne vous connais pas, et j’ignore pourquoi...

ISMÈNE.

Tu ne me connais pas ? toi, perfide ? toi, traître ?

Hé bien, je veux t’apprendre à pouvoir me connaître ;

Et te faire toi même à toi même avouer

Que tu m’as oubliée, et n’ai pu t’oublier.

Prends-y garde.

 

 

Scène III

 

Le premier NICANDRE, seul

 

J’ignore à quoi tend sa querelle

À l’entendre, autrefois je soupirai pour elle :

Moi, bon Dieux ! Moi pour elle avoir pu soupirer !

Je ne la vis jamais, et ne puis pénétrer...

Mais à quoi je m’amuse ? À quoi songe mon âme ?

Si j’ai quelques moments je les dois à ma flamme ;

Hipolite... Jacinte en ce lieu se fait voir ;

Jacinte...

 

 

Scène IV

 

JACINTE, le premier NICANDRE

 

JACINTE.

Il dit mon nom ! Qui vous l’a fait savoir ?

Vous me démaîtressez, maître fourbe.

Le premier NICANDRE.

Où s’adresse...

JACINTE.

Dites-moi qui des deux est Suivante ou Maîtresse ?

Je vous trouve bien faite, est-ce vous qu’elle sert ?

Le premier NICANDRE.

Parlez plus clairement ; avez-vous découvert...

JACINTE.

Rien du tout.

Le premier NICANDRE.

D’où vient donc que je comprends à peine...

JACINTE.

On connaît...

Le premier NICANDRE.

Quoi ? Parlez, qui connaît-on ?

JACINTE.

Ismène.

Le premier NICANDRE.

Je vous entends, Jacinte ; Hipolite sait bien...

JACINTE.

Que gens faits comme vous ne vaudront jamais rien,

Adieu, passe-volant.

Le premier NICANDRE l’arrêtant.

Demeurez, et pour cause,

Au malheureux Nicandre apprenez une chose,

J’allais voir Hipolite...

JACINTE.

Hipolite ! vous !

Le premier NICANDRE.

Moi.

JACINTE.

C’est bien fait.

Le premier NICANDRE.

Croyez-vous...

JACINTE.

Oui, sans doute, je croi.

Je crois si vous osez dans sa chambre paraître

Que vous n’en sortirez que par une fenêtre.

Hipolite piquée...

Le premier NICANDRE.

Elle ?

JACINTE.

Non ; qui donc ? moi ?

Le premier NICANDRE.

Et qui l’a pu piquer ?

JACINTE.

Votre... je ne sais quoi ;

Vos discours outrageants, votre langue qui joue...

Le premier NICANDRE.

Ma langue est imprudente, et je la désavoue ;

Non, je ne prétends pas qu’elle parle jamais

S’il ne faut d’Hipolite applaudir les attrais.

Me hait-elle, Jacinte, avouez ?

JACINTE.

L’idiote

Pour vous aimer encore est peut-être assez sotte,

Mais si j’en étais crue...

Le premier NICANDRE.

Elle ne me hait pas !

Pour me bien obliger retournez sur vos pas,

Dites-lui tout l’excès de ma flamme amoureuse,

Dites... 

JACINTE.

Allez ailleurs chercher une menteuse,

Monsieur.

Le premier NICANDRE.

Mettez ma flamme au degré le plus haut ;

Et ce sera...

JACINTE.

Mentir justement comme il faut.

Le premier NICANDRE.

Puisque vous refusez d’aller dire que j’aime,

Offrez-moi le moyen de le dire moi-même,

Que je voie Hipolite, et lui puisse parler ;

Qu’un moment...

JACINTE.

J’ai bien peur de me laisser aller.

Vous l’aimez ?

Le premier NICANDRE.

Je l’adore, et j’adore elle seule.

Ou...

JACINTE.

Qui dit Courtisan dit toujours fort en gueule :

De vous croire moi même en secret je rougis ;

Cependant sans façon je retourne au logis :

J’allais faire un message, et pour vous je diffère ;

À propos, Hipolite accompagne son père,

Mais il peut la quitter, il ne faut qu’un instant...

Le premier NICANDRE.

À la prochaine rue un intime m’attend ;

Je m’en vais le trouver, où vous dois-je reprendre ?

JACINTE.

Dans une petite heure ayez soin de vous rendre...

Où dirai-je ? Ici même, en ce coin à l’écart.

Le premier NICANDRE.

C’est assez, et de plus...

JACINTE.

Et de plus, Dieu vous gard.

 

 

Scène V

 

Le premier NICANDRE, seul

 

Téméraire serment sors de cette mémoire,

Ne fais pas un obstacle à l’excès de ma gloire,

Depuis plus de six ans je me suis défendu...

 

 

Scène VI

 

CRISPIN, le premier NICANDRE

 

CRISPIN.

Monsieur, vous ne serez ni roué, ni pendu ;

Je n’ai vu ni records, ni bourreau, ni charrette.

Tout va bien.

Le premier NICANDRE.

De quel air ce bélître me traite !

À qui parle...

CRISPIN.

Pour moi, quoique simple valet,

Dans la peur que j’avais d’être pris au collet,

J’ai joué de finesse, et l’ai mis dans ma poche.

Voyez-vous ? Pour l’Hôtesse elle tourne la broche ;

Elle dit qu’en tout cas votre lit sera prêt ;

Que peut-être...

Le premier NICANDRE.

À cela, je n’ai point d’intérêt.

Où vas-tu ? d’où viens-tu ? dis le moi toute à l’heure :

Et je crois...

CRISPIN.

Je ne vais, ni ne viens, je demeure,

Comme il fait le gausseur ! d’où je viens, me dit-il ?

Il a crû tout d’abord que j’étais Algouazil ;

Et qu’en vrai pas de loup je venais le surprendre.

Le premier NICANDRE.

Sais-tu, mon ami, qu’on me nomme Nicandre,

Et que l’on me déplaît quand on fait le badin ?

CRISPIN.

Savez-vous bien, Monsieur, qu’on m’appelle Crispin ?

Le premier NICANDRE.

Moi, je saurais ton nom ?

CRISPIN.

Comme je sais le vôtre ;

Et nous nous connaissons aussi bien l’un que l’autre.

Le premier NICANDRE.

Camarade !...

CRISPIN.

Pays.

Le premier NICANDRE.

Dis moi, traître, es-tu saoul ?

CRISPIN.

Mon cher maître, avouez que vous êtes bien fou.

Le premier NICANDRE.

Moi ton Maître !

CRISPIN.

Et qui donc ?

Le premier NICANDRE.

Il a pu se méprendre.

Je t’ai dit, mon ami, qu’on m’appelle Nicandre :

Qu’un sot conte me choque, et qu’enfin...

CRISPIN.

Et qu’enfin...

Je vous ai répondu qu’on me nomme Crispin.

Le premier NICANDRE.

Et ce nom de Crispin suffira pour m’apprendre...

CRISPIN.

Tout comme il me suffit de celui de Nicandre.

Le premier NICANDRE.

Mais de bien te connaître offre moi le moyen ;

Que veux-tu ? Quel es-tu ?

CRISPIN.

Mon Dieu, je ne suis rien ;

Je suis ce que je suis ; qui que je sois je m’aime,

Et je ne voudrais pas ne pas être moi-même.

Je me garantis tel.

Le premier NICANDRE.

Mais pourquoi...

CRISPIN.

Mais pourquoi...

Puisque vous êtes vous, je puis bien être moi.

Le premier NICANDRE.

Mon valet...

CRISPIN.

Je le suis.

Le premier NICANDRE.

Ta folie est extrême.

CRISPIN.

À tout autre que vous je dirais fou toi-même !

Et je pense...

Le premier NICANDRE, en s’en allant.

Maraud, tu veux être battu ;

Et si je n’avais hâte insolent... où vas-tu ?

CRISPIN.

Où vous même allez-vous ? J’accompagne mon Maître.

Le premier NICANDRE.

Je dois si je le suis te le faire paraître :

Il t’en faut une preuve, impudent ; la voilà !

Il lui donne un soufflet.

 

 

Scène VII

 

CRISPIN, seul

 

Il a parbleu raison, il le prouve par là.

Le secret est joli pour se bien faire croire !

De sa chienne de patte enfoncer ma mâchoire,

Et souffrir sans souffler qu’il me donne un soufflet,

C’est bien être le Maître, et Crispin le valet.

Quelle peste de preuve il me force de prendre !

Ce bon frère frappart est sans doute Nicandre :

Ce sont là de ses coups je les sens à leur poids :

J’en reçois règlement près de cent tous les mois ;

Et de tous ses soufflets ce n’est pas là le moindre.

Mais où Diable à présent le pourrai-je rejoindre ?

Sa valise restée au logis d’où je viens,

Où parmi ses habits sont aussi tous les miens.

En tout cas... Le voici la gueule enfarinée,

Le bon traître !

 

 

Scène VIII

 

Le second NICANDRE, CRISPIN

 

Le second NICANDRE.

Qu’heureuse est pour moi la journée !

Ah, Crispin ! Un ami généreux, bien faisant,

Et non pas un ami comme ceux d’à présent,

Dont la langue est dorée, et dont l’âme est de boue ;

Mais un ami sincère, obligeant...

CRISPIN.

Ah la joue !

Le second NICANDRE.

De me voir Clidimace a les sens tous ravis,

Dans sa propre maison il me donne un logis.

À tous mes intérêts tout entier il se voue,

Et je veux ce qu’il veut, pour lui plaire.

CRISPIN.

Ah la joue !

Le second NICANDRE.

Quel sujet te fait plaindre, et pourquoi le cacher ?

C’est peut être une dent qu’il te faut arracher ;

Une dent peut suffire à gâter une bouche,

Songes-y. Mais répond sur le fait qui me touche,

As-tu vu mon hôtesse, aura-t-elle tout prêt ?...

CRISPIN.

À cela, mon ami, je n’ai point d’intérêt ;

Où vas-tu ? d’où viens-tu ? dis-le moi tout à l’heure ?

Le second NICANDRE.

Que me dit ce coquin ! Je t’assomme ou je meure :

Parle ; dois-je tout craindre, ou ne redouter rien ?

CRISPIN.

Mais de bien te connaître offre moi le moyen ;

Que veux-tu ? Quel es-tu ?

Le second NICANDRE.

Qui je suis, double traître ?

Je puis facilement te le faire connaître,

Et sans avoir besoin d’être si retenu...

CRISPIN.

Ah ! Démentibuleur ; je l’ai trop reconnu.

De ne pas l’ignorer à présent je me pique ;

Et ma joue en peut être un témoin authentique.

Faire pleine recette à deux doigts de mon nez

D’un soufflet plantureux, et des mieux assenez ;

D’un soufflet qu’une main bien plus noire que blanche,

Depuis plus de six mois mitonnait dans sa manche ;

D’un soufflet qui par terre quasi a répandu...

Si vous ne le payez je veux être pendu.

Le second NICANDRE.

Est-ce pure gageure : ou bien si tu déterres...

CRISPIN.

C’est gageure.

Le second NICANDRE.

Gageure ?

CRISPIN, montrant sa joue.

On m’en donne des erres.

Il chante de rage.

Voyez-vous ? Mon cadet... Là, là, là, là, là, là.

 

 

Scène IX

 

JACINTE, HIPOLITE, le second NICANDRE, CRISPIN

 

JACINTE, sortant avec Hipolite.

Il vous attend Madame, et c’est lui que voilà.

Avancez.

À Nicandre.

À vous voir je l’ai fait condescendre.

Près d’une heure Hipolite a voulu s’en défendre,

Mais j’ai tant de vos feux appuyé le parti,

J’ai tant dit que mes soins vous avoient pressenti,

Tant de fois répété que toujours pour Ismène

Loin d’avoir de l’amour vous auriez de la haine...

Le second NICANDRE.

De la haine pour elle ! ah ! je brûle d’amour.

Non, non...

HIPOLITE, à Nicandre.

De vos mépris vous voilà de retour,

 Je l’ai su de Jacinte, Ismène est pourtant belle.

Le second NICANDRE.

Elle est toute charmante, et je n’adore qu’elle ;

Son aimable visage a des charmes si doux...

JACINTE.

Il se moque, Madame, il n’adore que vous.

Il me l’a dit.

Le second NICANDRE.

Moi ?

JACINTE.

Vous.

Le second NICANDRE.

En parlant de ma flamme

Loin de vous avoir dit que j’adore Madame...

JACINTE.

Quoi, vous n’avez pas dit à moi même, en ce lieu...

Le second NICANDRE.

Rien du tout.

JACINTE.

Rien ! Madame il offense bien Dieu

Le méchant homme !

Le second NICANDRE.

Quoi...

JACINTE.

Quoi, vous-même hypocrite

Quand vous êtes venu pour lui rendre visite...

Le second NICANDRE.

Moi visite ! Crispin pourra dire au besoin...

CRISPIN.

Je vous sers de valet, et non pas de témoin.

Le second NICANDRE.

Mais tu sais...

CRISPIN.

Je ne sais si je sais quelque chose,

Mais je me tais.

HIPOLITE, à Jacinte.

Tu vois où ton zèle m’expose ?

À ton rapport sans doute il n’a pas consenti.

JACINTE.

J’ai dit vrai, je vous jure, et Nicandre a menti,

Je n’ai pas, grâce à Dieu, la mémoire débile ;

Il fallait que pour lors son valet fut en ville,

Lui seul en cette place il faisait l’idiot.

Le second NICANDRE.

Quand vous m’avez parlé j’étais seul ! Réponds.

CRISPIN.

Mot.

Le second NICANDRE.

Où donc, lors que Jacinte a commencé sa guerre,

Étais-tu ?

CRISPIN.

Dans le monde.

Le second NICANDRE.

En quel lieu ?

CRISPIN.

Sur la terre.

Le second NICANDRE.

L’endroit, c’est...

CRISPIN.

Dans la France, à Paris, que je croi.

Le second NICANDRE.

En présence...

CRISPIN.

En présence ? En présence de moi.

Le second NICANDRE.

Mais perfide Crispin le dessein où tu buttes...

CRISPIN, montrant sa joue.

Il ressouvient toujours à Crispin de ses flutes.

Le second NICANDRE.

Ils s’entendent, Madame, un indice trop grand...

JACINTE.

Si je lui déchargeais un bon moule de gand ;

Madame, laissez-moi lui bailler sur la crête.

CRISPIN, à Jacinte.

Ne prends point de conseil que celui de ta tête ;

J’en suis de moitié ; rosse.

HIPOLITE.

Enfin, il m’est honteux

D’avoir pu vous apprendre où j’adresse mes vœux :

Ne vous souvenez pas qu’Hipolite vous aime ;

Oubliez...

Le second NICANDRE.

Vous m’aimez !

HIPOLITE.

Je l’ai dit à vous même,

Ingrat, et ma faiblesse est allée à ce point...

Le second NICANDRE.

En vérité, Madame, il ne m’en souvient point.

Vous m’avez, dites-vous, adorable Hipolite...

HIPOLITE.

Une feinte si basse, et m’outrage, et m’irrite.

Je ne suis pas Jacinte, et vous vous méprenez...

JACINTE.

Paumez-lui moi la gueule, et lui cassez le nez.

Faut-il tant de façons ? J’en enrage d’envie ;

Son valet qui me pousse, à cela me convie.

Le second NICANDRE.

Tu la pousses, perfide ? et ton cœur est si bas...

CRISPIN.

Moi loin de la pousser je lui retiens le bras.

Elle a menti.

JACINTE.

Madame, admirez l’autre traître,

Le valet se gauberge aussi bien que le maître.

Oses-tu ?... Voyez-vous, il fait signe des yeux...

CRISPIN.

Vous mentez comme un Diable, impudente.

JACINTE lui donne un soufflet.

Moi ?

CRISPIN.

Deux.

C’est le compte tout rond, et ma joue aplatie...

Ah ! Maîtresse coureuse, ou du moins apprentie...

JACINTE.

Quoi ! bélître...

Le second NICANDRE.

La belle, il faut moins s’émouvoir

Votre sexe, et Madame ont ici tout pouvoir.

Essayez ma petite à vous rendre plus sage.

Pour vous, c’est à regret que ma voix vous outrage ;

D’avoir pu vous choquer j’ai beaucoup de douleur ;

Et de peur qu’il n’arrive un semblable malheur,

Je sors.

CRISPIN, à Jacinte.

Je sors aussi, mais avant que je sorte 565

À ton peste de bras qui n’a pas la main morte

Je souhaite la galle, et qui mine ton corps ;

À tes pieds tout crochus je souhaite des cors ;

À ta jambe un ulcère ; à ta cuisse une goutte,

Que de toi désormais tout chacun se dégoûte ;

Je souhaite à ton ventre une canine faim,

Et que pas un mortel ne te donne du pain ;

Loin d’avoir des appas, et des charmes qui brillent,

Je souhaite à ton sein des tétons qui brandillent ;

À ton bas de visage un menton fort pointu ;

À tes dents une brèche à passer tout vêtu ;

À ton nez la roupie ; aux yeux cire ; au front crasse ;

Et que de tes cheveux dont tu tires ta grâce,

On fasse des licous au Bourreau de Paris,

Pour pendre les laquais qui sont au Paradis.

Peste de Cagne !

 

 

Scène X

 

HIPOLITE, JACINTE

 

HIPOLITE.

Hé bien ?

JACINTE.

Sans perdre une parole,

Dépêchez vitement de jouer votre rôle.

Au secours, à la force, embrassez l’intérêt...

Tout va le mieux du monde, Isidore paraît ;

Isidore !

 

 

Scène XI

 

ISIDORE, HIPOLITE, JACINTE

 

ISIDORE.

Il s’exhibe où le cri prend son être.

Qu’est-ce ?

HIPOLITE.

Comme un éclair il vient de disparaître.

Il faut qu’assurément il vous ait entendu.

ISIDORE.

Éclaircis ta matière à mon individu.

À ma mémoire active à comprendre la chose,

De sa voix attractive incorpore la cause.

Articule tes mots, et divulgue le fait :

Puis après de la cause on descend à l’effet.

Déduits ta malencontre en manière succincte.

HIPOLITE.

Il est venu... Monsieur, demandez à Jacinte.

ISIDORE, à Jacinte.

Oculaire témoin du malheur qu’elle tait,

Toi, qui peut à son père inculquer son secret,

De le développer j’interpelle ton âme.

JACINTE.

Il est venu... Monsieur, demandez à Madame.

HIPOLITE.

J’appréhende si fort de vous voir indigné,

Qu’enfin...

ISIDORE.

Ma géniture, aurais-tu forligné ?

HIPOLITE.

Ah !

JACINTE.

Ah !

ISIDORE.

Dieux des savants, l’une et l’autre soupire !

D’où dérive...

HIPOLITE.

Autre part je saurai vous tout dire ;

Et puisqu’un prompt remède est ici de saison,

Vous forcerez le traître à m’en faire raison.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

ISMÈNE, LE COMMISSAIRE

 

ISMÈNE.

Enfin de mon malheur vous avez connaissance,

Je vous ai de ma honte assez fait confidence :

Je vous ai découvert de quel sexe je suis,

Et le nom et l’ingrat qu’à présent je poursuis :

Mais tout ingrat qu’il est, comme il a du courage,

Il peut vous outrager, et je crains qu’on l’outrage ;

Car enfin, à la haine il a beau m’animer,

Mon naturel usage est l’usage d’aimer :

En m’ôtant son amour, il retient ma tendresse ;

Ainsi pour s’en saisir il faut user d’adresse,

Puis que de tous côtés je redoute les coups,

Soit qu’ils viennent de lui, soit qu’ils viennent de vous.

LE COMMISAIRE.

Vous craignez vainement qu’il se puisse défendre.

Jusques dans son logis on le peut aller prendre ;

Et quinze ou seize Archers aux captures forts prompts...

ISMÈNE.

Ah ! De grâce, à Nicandre épargnons ces affronts.

L’ingrat m’est toujours cher, tout cruel qu’il puisse être ;

Et quoi qu’il soit éteint, son amour peut renaître :

Écoutez le biais que je crois le plus doux ;

Je lui fais un appel, et je prends rendez-vous ;

Je m’en dis offensé, sans lui dire autre chose ;

Je lui mande qu’au Cours il en saura la cause ;

Que je suis Gentilhomme aussi noble que lui,

Et qu’au lieu que je marque il peut même aujourd’hui...

LE COMMISSAIRE.

Et sur votre parole il aura l’assurance...

ISMÈNE.

Il a tant de courage et si peu de prudence,

Qu’à sa seule valeur osant trop se fier,

Dans le Cours de la Reine il sera le premier.

Là, vous et vos Archers ayez soin de vous rendre ;

Et sous un faux semblant de vouloir nous défendre,

Nous ayant désarmés par votre autorité,

Vous pourrez le saisir avec facilité.

Cette voie est plus douce, et me semble plus sûre.

LE COMMISSAIRE.

Mais enfin d’une femme il verra l’écriture,

Et d’un cœur amoureux prévenant le dessein...

ISMÈNE.

Vous croyez mon cartel fabriqué de ma main ?

Une main empruntée a pris soin de l’écrire ;

Et pour en peu de mots achever de tout dire,

Un Valet que j’ai pris aux degrés du Palais

Mieux vêtu mille fois que mille autres valets,

Servira ma colère, et fera mon message.

Vous de votre côté commencez votre ouvrage,

Amassez tous vos gens, et selon mon espoir

Faites-les rendre au Cours à six heures du soir :

Voilà ce que de vous j’ai voulu me promettre.

Et tandis qu’au Courrier mon valet va remettre...

Il revient ; il me cherche, allez tout dépêcher,

Adieu.

Le Commissaire sort.

 

 

Scène II

 

RAGOTIN, ISMÈNE

 

RAGOTIN.

N’est-ce pas vous que je viens rechercher,

Dites-moi ? 

ISMÈNE.

C’est moi-même ; As-tu beaucoup de zèle ?

Car je ne doute point que tu ne sois fidèle,

Et de ta part enfin je crains peu d’accidents.

RAGOTIN.

N’ai-je pas dans Paris cinq ou six Répondants ?

Pour me cautionner s’ils me sont nécessaires,

J’ai trois Laquais, un Page, et deux Clercs de Notaires ;

Diable je suis connu par d’honnêtes Messieurs !

J’ai l’honneur, qui plus est, d’être aimé de plusieurs ;

Et je conte cela mon plus bel avantage.

ISMÈNE.

Il est grand, mais écoute, as-tu bien du courage ?

RAGOTIN.

Du courage ! J’en crève... En mon juste courroux...

Produisez quelques-uns qui me tastent le poux,

Est-ce Brave ? Soldat ? Mousquetaire ?

ISMÈNE.

Moi-même.

RAGOTIN.

Vous, Monsieur ?

ISMÈNE.

Moi ?

RAGOTIN.

Pour vous mon respect est extrême ;

Je suis votre valet.

ISMÈNE.

Mais enfin...

RAGOTIN.

Mon Dieu ! Mais

C’est un point chatouilleux que l’honneur d’un Laquais ;

Je suis plein de courage, et n’en fus jamais vide,

Mais j’aurais du regret de faire un Maîtricide :

Vous ne l’ignorez pas les honnêtes Chrétiens...

ISMÈNE.

Tu conçois à rebours le discours que je tiens ;

J’ai querelle.

RAGOTIN.

Querelle ! est-il vrai ?

ISMÈNE.

J’ai querelle ;

Et je veux éprouver à quel point va ton zèle.

Pour porter un cartel de toi seul j’ai fait choix.

RAGOTIN.

Donnez-vous bien souvent de semblables emplois ?

ISMÈNE.

Selon.

RAGOTIN.

Dites-moi donc sans donner de bricole,

Si c’est que je me loue, ou bien si je m’enrôle ?

ISMÈNE.

As-tu peur ?

RAGOTIN.

Moi ? non ; mais...

ISMÈNE.

Mais point tant de façon ;

Si tu sens de la peur tu peux le dire.

RAGOTIN.

Et... non ;

Mais...

ISMÈNE.

Voilà le cartel ; prends le soin de le rendre ;

Tu liras le dessus ; il s’adresse à Nicandre.

RAGOTIN.

À Nicandre !

ISMÈNE.

À Nicandre, il demeure ici près ;

À ce nom tu frémis que je crois ?

RAGOTIN.

Moi ? Non, mais...

ISMÈNE.

S’il demande le nom de celui qui t’envoie,

Il pourra le savoir, puis qu’il faut qu’il me voie.

Je vais dans mon logis, rue aux Ours, au Dauphin,

De ce jour ennuyeux attendre le déclin,

Cela fait dans ce lieu tu viendras me reprendre,

Adieu.

 

 

Scène III

 

RAGOTIN, seul

 

Je vais porter un Cartel à Nicandre !

À lui qui me veut battre, et qui fait le madré.

Ah ! Nicandre, ma foi tu seras Nicandré !

Tu t’en vas étrenner mon épée. Il avance ;

Mais il ne songe pas à ceci que je pense ;

Dieu sait si le cartel le va rendre éperdu !

 

 

Scène IV

 

Le premier NICANDRE, RAGOTIN

 

Le premier NICANDRE.

Jacinte assurément m’aura trop attendu ;

Il m’a trop retenu cet Ami, j’en déteste.

Où pourrai-je à présent la trouver ? Ah, ah.

RAGOTIN, lui allongeant une botte.

Zeste.

Le premier NICANDRE.

Tu reviens à belle heure, et tu penses qu’au cas...

RAGOTIN.

Oui, je pense, pourquoi ne penserais-je pas ?

Je veux penser.

Le premier NICANDRE.

Coquin ; je puis t’être funeste ;

Et si tu fais le fou tu ne doutes pas...

RAGOTIN, allongeant encore une autre botte.

Zeste.

Le premier NICANDRE.

Où crois-tu que tu sois ? dis maroufle.

RAGOTIN.

Pourquoi ?

J’ai mon droit comme vous sur le pavé du Roi,

De quoi vous mêlez-vous ? Qu’est-ce donc ? J’y veux être.

Le premier NICANDRE.

Mais à qui donc es-tu ?

RAGOTIN.

Moi je suis à mon Maître,

Avec autre que vous on se trouve un peu mieux ;

Tenez quasi défunt, jetez ici les yeux,

Puis après au Seigneur recommandez votre âme.

Le premier NICANDRE.

Cet infâme...

RAGOTIN.

Tantôt vous aurez de l’infâme ;

Vous m’avez querellé, vous avez fait le fat ;

Vous en mourrez, beau Sire, et mourrez intestat ;

Lisez.

Le premier NICANDRE lit.

Sans que je me nomme,

Nicandre vous saurez que je suis Gentilhomme,

Qui l’épée à la main j’ai dessein de vous voir.

Du sujet que J’en ai, j’ose tout me promettre :

C’est au Cours de la Reine, à six heures du soir ;

Et j’aurai le second qui vous rend cette Lettre.

Nicandre continue.

Tu ne me sers donc plus, Ragotin ?

RAGOTIN.

Non, ma foi.

Le premier NICANDRE.

Je n’en murmure point ; cela dépend de toi ;

Tu te rends le second de celui qui m’appelle ?

Tu le dois, c’est ton maître, et j’admire ton zèle ;

Voyons si ta valeur à ton zèle répond.

Il tire l’épée, et Ragotin remet la sienne.

RAGOTIN.

Que ne suis-je premier aussi bien que second !

Voyez-vous de courroux comme le nez me fronce ?

Le premier NICANDRE.

Quoi tu crains...

RAGOTIN.

Écoutez, je vais vous rendre réponse ;

Si vous vouliez m’attendre un moment dans ce lieu ?

Le premier NICANDRE.

Je le veux...

RAGOTIN.

Mettez là votre main. Sans Adieu.

Bas.

C’est assez, si j’y viens que le Diable m’emporte.

 

 

Scène V

 

Le premier NICANDRE, seul

 

Ciel ! vous m’êtes propice ; et l’on ouvre la porte ;

Le bonheur de vous voir va donc m’être accordé,

Hipolite : Jacinte, ai-je point trop tardé ?

Si vous pouviez savoir quel plaisir vous me faites,

Je jure...

 

 

Scène VI

 

JACINTE, le premier NICANDRE

 

JACINTE.

Allez-vous-en au peautre, à qui vous êtes.

Le premier NICANDRE.

Quoi ! Jacinte me laisse, et dans cet embarras...

JACINTE.

Allez vous-en au diable, et ne me touchez pas,

Vous dis-je.

Le premier NICANDRE.

Mais Jacinte, il me semble...

JACINTE.

Il me semble

Qu’on ne vaut pas la peste alors qu’on vous ressemble ;

Qu’être lâche, perfide, hypocrite, emballeur,

Méchant comme la grêle, insolent, suborneur,

Qu’avoir l’âme du diable à tous coups possédée ;

C’est de votre peinture une légère idée ;

Il me semble cela.

Le premier NICANDRE.

Mais au moins...

JACINTE.

Au moins mais...

Le premier NICANDRE.

Mais vous m’avez promis...

JACINTE.

Mais je vous dépromets ;

Et de plus laissez-moi, j’ai des mains, je dévore.

 

 

Scène VII

 

EUTROPE, JACINTE, le premier NICANDRE

 

EUTROPE.

Est-ce pas près d’ici que demeure Isidore ?

JACINTE.

Oui ; le voulez-vous voir ?

EUTROPE.

Ah ! Je le voudrais bien.

JACINTE.

Attendez.

Le premier NICANDRE, à Jacinte.

Vous pouvez par le même moyen...

À tout ce procédé, je ne puis rien comprendre,

Jacinte...

EUTROPE.

Ou je m’abuse, ou je vois le Nicandre.

Je le vois, c’est lui même. À la fin je te tiens.

C’est en vain que tes bras sont plus forts que les miens.

Qu’as-tu fait de ma fille ?

JACINTE appelle à une fenêtre.

Isidore ! allons vite.

À Eutrope.

Tenez ferme, tenez, car il faut qu’on le gîte.

Isidore !

Le premier NICANDRE.

Monsieur lâchez-moi de ce pas ;

Ou du moins...

JACINTE.

Tenez ferme, et ne le lâchez pas ;

Son filou de caquet m’a su rendre éblouie.

 

 

Scène VIII

 

ISIDORE, JACINTE, EUTROPE, le premier NICANDRE

 

ISIDORE, à la fenêtre.

Une voix transcendante a percé mon ouïe.

Apprêtez-vous...

JACINTE.

Monsieur, venez vite au secours.

À Eutrope.

Vénérable vieillard, tenez ferme toujours ;

D’une fille de bien, de famille assez grande,

Ayant pris tout l’honneur, il faut qu’il le rende,

Ou qu’il crève.

EUTROPE.

De rage, il m’en voit tout en feu ;

Le déloyal, le traître !

Le premier NICANDRE.

Est-ce conte ? Est-ce jeu ?

Quoi Jacinte elle même aura donc de la joie...

JACINTE.

Venez vite, Monsieur, vous saisir de la proie ;

C’est Nicandre.

EUTROPE.

Lui-même.

Le premier NICANDRE.

Il est vrai, mais confus...

ISIDORE, en bas.

Rendons-en grâce et los à Jupin de la sus.

Ô malin Téréus, de qui l’âme trop noire

D’une Philomela contamines la gloire ;

Toi, qui dans le vrai centre où l’on prend les plaisirs,

Veux immatriculer tes coupables désirs ;

Un saut patibulaire est le prix que j’annexe

Aux torrides souhaits dont l’outrage me vexe ;

Et par un sort tragique âprement avancé,

Du terrestre climat tu seras expulsé.

JACINTE.

Prenez l’occasion qu’un bon Ange vous offre ;

Tandis qu’il est ici permettez qu’on le coffre :

Je m’en vais au plus vite amener le Coffreur.

Elle sort.

Le premier NICANDRE, tenu par les deux bras.

Quoi, de l’un et de l’autre éprouver la fureur !

D’un courroux si bizarre apprenez-moi la cause ;

Soit à vous, soit à vous, ai-je fait quelque chose ?

De qui m’ose arrêter que je sache le nom.

Est-ce vous ? Est-ce vous ?

EUTROPE.

C’est moi-même.

ISIDORE.

Ego sum.

Une fille effleurée est un grand vitupère.

EUTROPE.

Et cela de bien près touche un malheureux père

Isidore !

ISIDORE.

Isidore ! Hé vous me connaissez ?

EUTROPE.

Je ne vous ai point vu depuis dix ans passés,

Un tel temps a rendu ma mémoire affaiblie,

Cependant de vos traits elle est toute remplie ;

Eutrope aime Isidore, et le Ciel a permis...

ISIDORE.

Eutrope ! Ah parangon des fidèles amis !

Charissime collègue incapable de noises,

Relégué par le sort aux rives Lyonnaises,

Si vous êtes fertile en tendresses pour moi,

Étreignez Isidore, et plaignez son émoi :

C’est Eutrope !

EUTROPE.

Vous voir est ce que je souhaite.

Mais ma joie Isidore est pourtant imparfaite,

Une fille abusée...

ISIDORE.

Ah !

EUTROPE.

Ah !

ISIDORE.

Ah !

EUTROPE.

Ah !

Isidore et Eutrope lâchent Nicandre, et s’embrassent en pleurant, tandis que Nicandre s’échappe.

Le premier NICANDRE.

Destin !

Je suis débarrassé de leurs mains à la fin ;

Mais le faible malheur que celui que j’évite,

Si le triste Nicandre est haï d’Hipolite ;

Elle est seule chez elle, allons-y de ce pas.

Il entre chez Hipolite.

 

 

Scène IX

 

Le second NICANDRE, CRISPIN, EUTROPE, ISIDORE

 

CRISPIN, chargé d’une Valise.

Ah ! Que déménager est un rude tracas !

Peste soit la valise ! Elle est diablement lourde,

Haie ! Au meurtre ! Ah l’échine !

Les deux vieillards étant embrassés, Crispin passe auprès d’eux, trébuche, se laisse tomber, et les fait tomber tous deux.

EUTROPE.

Ah maudite balourde !

ISIDORE.

J’ai les muscles froissés, et le corps mutilé.

Le second NICANDRE.

Ce coquin... Dieux, Eutrope ! Il paraît désolé :

Quoi le père d’Ismène est dedans cette ville !

À la première porte attrapons un asile,

Fuyons.

Il entre aussi chez Hipolite.

 

 

Scène X

 

EUTROPE, ISIDORE, CRISPIN

 

EUTROPE.

Est-ce pour rire, ou du moins es-tu fou ?

CRISPIN.

Oui vraiment c’est pour rire, on se casse le cou,

Pour rire ! C’est Eutrope, il faudra qu’on achève...

Monsieur ! je crois, ma foi, que le diable l’enlève.

Ho ! Nicandre ! Il fait gille, et je suis retenu ;

Dites-moi, s’il vous plaît, ce qu’il est devenu,

Messieurs ?

EUTROPE.

Le voyez-vous le malicieux traître ?

Il nous a fait tomber pour faire fuir son maître :

Quoi perfide Crispin, ose-tu nous choquer ?

ISIDORE.

Dans la prison prochaine il le faut colloquer ;

Et que touchant son maître une réminiscence...

CRISPIN.

Moi, Messieurs, en prison ? Vous raillez, que je pense.

EUTROPE.

Dis l’endroit qui le cache, ou du moins nous le rend.

CRISPIN.

Si le Diable l’emporte, en puis-je être garant,

Messieurs ?

EUTROPE.

Laisse la feinte et paraît plus sincère.

Le malheur d’une fille émeut l’âme d’un père ;

Peut-être est-elle grosse, et je sais le moyen...

CRISPIN.

Ma foi grosse ou menue, il n’y va rien du mien.

De ce qu’à cette fille on peut dire les causes,

Et ne pas se méprendre en faisant choix des choses :

Si dedans un cachot je me voyais caché,

Je ferais pénitence, et je n’ai pas péché ;

De quoi que mon étoile aujourd’hui me menace,

Ou souffrez que je pèche, ou qu’un autre le fasse ;

Je ferais à regret pénitence gratis.

ISIDORE.

Empêchons que nos vœux ne soient pas mi partis ;

Thémis veut qu’on le tôle, et s’il ratiocine...

CRISPIN.

En son chien de patois qu’est-ce qu’il baragouine ?

Ma mort est résolue, il le dit en Hébreu.

À condamner Crispin différez tant soit peu ;

Et qu’un jour à venir le bon Dieu vous le rende,

Charitables Messieurs, qui voulez qu’on me pende,

Et qui tous acharnez sur un pauvre garçon...

Mais que voici des gens de méchante façon !

Ah ! Combien les Bourreaux ont de Valets de Chambre ?

 

 

Scène XI

 

EUTROPE, ISIDORE, JACINTE, UN SERGENT, LES ARCHERS

 

LE SERGENT.

Messieurs, de la Justice ayant l’heur d’être membre...

CRISPIN.

Membre, vous ?

LE SERGENT.

Oui-da, membre ; et je dirai de plus...

CRISPIN.

Diable, que la justice a les membres dodus !

JACINTE.

On dirait qu’à vos vœux toute chose réponde.

Ces Messieurs tous ensemble attendaient d’autre monde,

Et Nicandre... Le traître, où s’est-il retiré ?

ISIDORE.

Imperceptiblement il s’est évaporé ;

Mais voilà qui le pleige ; il faut qu’on l’appréhende ;

Que dedans une Chartre après on le descende ;

Et son procès en suite étant fait, et parfait,

Qu’il serve d’holocauste à mon sang putrefait.

EUTROPE.

Votre sang, dites-vous ? C’est le mien qu’on outrage.

ISIDORE.

C’est le mien.

EUTROPE.

C’est le mien.

CRISPIN.

J’ai le dos bon ; courage :

À Eutrope.

Votre fille à ce compte a perdu son honneur ?

EUTROPE.

Oui perfide.

CRISPIN, à Isidore.

La votre a le même malheur ?

ISIDORE.

Oui, pécore.

CRISPIN, à Jacinte.

Et le tien ?

JACINTE.

Moi ? Je l’ai.

CRISPIN.

Chose vraie !

Car si tu ne l’as plus il faut bien que je l’aie.

Crois-moi tâtes y, tâte, et ne déguise rien.

Tu peux parmi le leur faire passer le tien ;

Cependant que d’honneur tout le monde me charge,

Signe au bas de la feuille, et te mets à la marge.

Ton honneur, si tu l’as.

JACINTE.

Si ! comment si ! fripon :

Moi, si j’ai mon honneur ! si je l’ai !

CRISPIN.

Que sait-on !

On te voit du grand monde imiter la méthode :

Tu veux comme ce monde enchérir sur la mode ;

Ce qu’il fait tu le fais, et pour cette raison

Le Si, dont je te parle est assez de saison.

Si donc...

JACINTE.

Quoi ! vous souffrez que ce perfide cause ?

LE SERGENT.

Si de mon ministère il vous plaît quelque chose,

Messieurs...

EUTROPE.

C’est ce pendard qu’il faut prendre.

CRISPIN.

Qui ?

JACINTE.

Toi.

ISIDORE.

Accipez.

EUTROPE.

Saisissez.

JACINTE.

Prenez.

LE SERGENT, saisissant Crispin.

De par le Roi...

CRISPIN.

Vrais Suppôts de Satan, effroyable couvée...

Peste ! comme le membre a la tête levée !

Il me va mener pendre, il n’est rien si constant.

Membre, qui démembrez, ne me tirez pas tant.

Aux Archers.

Vous petits membrillons, dont je crains la présence,

Vous, qui du Maître-Membre accroissez la puissance,

Hapes-chairs de mon âme, ah ! ne permettez point

Que de pierre de taille on me fasse un pourpoint.

Je suis valet de bien, et c’est pure malice.

EUTROPE.

D’un méchant ravisseur c’est l’infâme complice ;

Et l’honneur d’une fille a rendu désolé...

CRISPIN.

Eh ! Monsieur, qu’on me fouille, on verra si je l’ai.

L’honneur est nécessaire en de bonnes familles,

Et j’en voudrais avoir pour donner à vos filles.

Si pour prendre le mien dans ce lieu l’on m’a pris,

Messieurs...

ISIDORE, au Sergent.

Vous le tenez in manibus vestris,

Suffecit ; Domine vous saurez m’en répondre,

Dans un sombre manoir vous devez le profondre ;

Puis, quand dans la prison vous l’aurez intégré,

L’hôtel de Nicandre vous sera démontré.

Surtout vers sa demeure ayez soin qu’on se muce.

Employez à sa prise et la fourbe, et l’astuce ;

L’amiable Jacinte ira guider vos pas.

Vous, Eutrope, in domum venez prendre un repas.

Et lors qu’à vos douleurs vous aurez donné trêve,

Vous me clarifierez le sujet qui vous grève.

Venez.

EUTROPE.

Vous le voulez, j’accomplis vos souhaits.

Au Sergent.

Débonnaires Messieurs vous serez satisfaits ;

Mais au traître Crispin, daignez joindre Nicandre.

 

 

Scène XII

 

CRISPIN, LE SERGENT, JACINTE, LES ARCHERS

 

CRISPIN, au Sergent.

Membre, nous sommes seuls, on ne peut nous entendre.

Dites-moi, puis-je pas un moment vous parler ?

LE SERGENT.

Tu le peux un moment ; que veux-tu ?

CRISPIN.

M’en aller,

Ô cher membre !

LE SERGENT.

Il raisonne : on dirait qu’il méprise...

CRISPIN.

Menez donc à ma suite en prison la valise,

Ô gigot de Justice ! et traînez avec moi

Mon malheureux paquet dans la Maison du Roi.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

HIPOLITE, le premier NICANDRE

 

HIPOLITE.

D’une indigne faiblesse à ma gloire mortelle,

Tu viens de recevoir une preuve nouvelle ;

Je cherchais à te perdre, et tu m’as su toucher ;

Je voulais qu’on te prit, et j’ai su te cacher :

Je sais qu’il est honteux que mon sexe soupire,

Mais tel est de l’amour l’inévitable empire ;

Et le feu qu’en son âme une fille ressent,

Pour être plus contraint, n’en est pas moins puissant.

C’est en vain que d’un cœur où l’amour a pris place,

La pudeur en tumulte autorise l’audace ;

N’aimer rien que d’aimable est un faible si doux...

Le premier NICANDRE.

Ah que ce faible est beau quand on brûle pour vous !

Ma flamme impétueuse est pour vous trop fidèle

Pour convaincre d’erreur une bouche si belle :

Pourtant quelques respects dont je sois combattu,

Ce que vous nommez faible est toute ma vertu.

Il est doux d’être aimé, c’est avoir de la gloire ;

Mais s’il est doux de l’être, il est doux de le croire.

Vous avez tant d’appas, je mérite si peu,

Qu’un équitable doute accompagne mon feu.

Je dois à l’apparence un amour qui m’honore ;

En voyant mes défauts m’aimerez-vous encore ?

Consultez-vous, Madame, et sans précipiter...

HIPOLITE.

Toi-même, ingrat, toi-même ose te consulter.

Avoue ingénument que tu ne peux sans peine,

Pour aimer Hipolite abandonner Ismène ;

Et que de mes bontés l’injurieux excès,

De ta première flamme empêche le succès.

Afin que ton destin à mon destin s’attache,

J’ai su faire moi-même à moi-même une tâche ;

On me croit abusée, on te croit suborneur ;

Et l’on doit te contraindre à me rendre l’honneur.

Je te l’ai déjà dit, et ton âme est instruite...

Le premier NICANDRE.

Je l’avais oublié généreuse Hipolite,

Mais il m’en ressouvient, et d’un cœur amoureux

L’obligeante imposture a rempli tous mes vœux.

De mon amour aussi daignez être certaine ;

Je soupire pour vous, et non pas pour Ismène ;

De vos seules beautés je connais le pouvoir ;

Vos yeux seuls...

HIPOLITE.

S’il est vrai, tu le peux faire voir ;

On me croit abusée, et l’honneur te convie...

Le premier NICANDRE.

Je vous entends, Madame, et j’en brûle d’envie ;

Je dois à votre feinte accorder mon aveu ;

Mais l’endroit est mal propre à parler de mon feu.

Vous m’aimez, je vous aime, il me suffit, Madame,

Apaisez votre père en faveur de ma flamme ;

Dés demain je m’apprête au bonheur de le voir.

Pourrez-vous l’apaisez ?

HIPOLITE.

J’y ferai mon pouvoir ;

Adieu.

Le premier NICANDRE.

Donc à ma flamme il n’est rien de contraire ?...

HIPOLITE retourne sur ses pas.

Si je fais mon pouvoir je pourrai beaucoup faire :

J’oubliais de le dire ; adieu.

Le premier NICANDRE.

Mais... Elle sort.

Ne sois plus un obstacle aux douceurs de mon sort,

Mon frère, et souffre au moins qu’une flamme si belle...

Mais au Cours de la Reine enfin l’heure m’appelle :

Je n’ai point de second ; mais du moins j’ai du cœur,

Et de plus mon épée est de bonne longueur.

Il est vrai qu’assez faible est le bras qui seconde...

 

 

Scène II

 

CRISPIN, le premier NICANDRE

 

CRISPIN, avec une Bouteille à la main.

Ah mon bon Dieu ! pourtant je ne vois point de monde.

Ces maudits Houspilleurs comme ils m’ont fait driller.

Apercevant Nicandre.

Autre Chasse-Coquin qui m’entend babiller ;

Il me lorgne. Ah ! c’est vous, ô Messire Nicandre !

Bonjour.

Le premier NICANDRE.

Dis promptement ce que tu veux m’apprendre,

Je ne puis faire ici qu’un moment de séjour ;

Si tu veux me parler parle vite.

CRISPIN.

Bonjour.

Des mains de la Justice est-ce ainsi qu’on s’arrache ?

Eh que si le bonhomme eût trouvé votre cache !

Le premier NICANDRE.

Si je me cache ou non, que t’importe ?

CRISPIN.

Si fait :

Il m’importe.

Le premier NICANDRE.

Il t’importe ! As-tu quelque sujet :

Maraud...

CRISPIN.

Faudra-t-il point que je vous rende grâce

De ce qu’au lieu de vous en prison on m’enchâsse ?

Le premier NICANDRE.

On t’a mis en prison !

CRISPIN.

Et bien mis, qui plus est ;

Les bourreaux.

Le premier NICANDRE.

C’est, dis-tu, pour mon seul intérêt ?

CRISPIN.

Nenni, c’est pour le mien ; je suborne des filles ;

Et je suis en amour grand abatteur de quilles !

Le premier NICANDRE.

Ne veux-tu me donner que de sottes raisons ?

CRISPIN.

Ne vous souvient-il pas des deux chiens de grisons ?

Vôtre futur beau-père, et son cher maigre-échine ?

Le premier NICANDRE.

Hé bien ?

CRISPIN.

Tu Dieu ! Monsieur, la méchante vermine !

À peine de leur vue étiez-vous échappé,

Qu’un gros peste de membre aussitôt m’agrippé.

L’un et l’autre grison ne savait où se prendre ;

Moi n’ayant point d’honneur que je pusse leur rendre.

Au redoutable son d’un seul, De par le Roi,  

Cinq ou six Poussecus se sont jetés sur moi ;

Et par tant de côtés m’ont fait coure si vite,

Qu’à la fin, grâce aux Dieux, ils m’ont mis dans le gîte.

On nous croit de concert, et l’on s’est fourvoyé.

Le premier NICANDRE.

Voyant ton innocence on t’a donc renvoyé ?

On s’est donc aperçu de cette erreur extrême ?

CRISPIN.

Je m’en suis, par ma foi, revenu de moi-même.

Considérez le tour que je viens de jouer.

Mes Archers occupez à me faire écrouer,

Avaient mis à la porte un niais à merveille ;

Moi trouvant sur un banc cette chère bouteille,

D’une joie effrontée étouffant mon chagrin,

Je lui suis allé dire, Où vend-on de bon vin ?

J’ai céans des Amis que je veux faire boire.

À la belle Épousée, ou bien à la Croix noire,

Me répond bonnement mon niais d’apprenti ;

Aussitôt porte ouverte, aussitôt moi sorti,

Puis plus vite qu’un Basque enfilant la venelle,

Passant d’une ruelle en une autre ruelle,

J’ai tant fait qu’à la fin j’ai trouvé le moyen...

Mais, ô Monsieur, Monsieur... Ne bougez, ce n’est rien.

Votre bourreau d’amour à cent craintes m’expose.

Le premier NICANDRE.

De ton dernier malheur je suis la seule cause.

Mais n’appréhende plus de t’y voir exposé,

Ma Maîtresse est contente, et son père apaisé.

On m’attend de ce pas dans le Cours de la Reine ;

Je veux à mon retour reconnaître ta peine.

Je reviens dans une heure, attend-moi dans ce lieu.

CRISPIN.

Mais tout est apaisé ?

Le premier NICANDRE.

Je te le jure ; adieu.

Désormais de Sergents ne crains nulle surprise.

 

 

Scène III

 

CRISPIN, seul

 

Il n’a pas dit le mot concernant sa valise.

Elle est pourtant restée, et puissai-je mourir

Si jamais j’ai dessein de l’aller requérir.

Quelque fou !

 

 

Scène IV

 

CRISPIN, JACINTE

 

CRISPIN.

Te voici cauteleuse pucelle,

(Ou du moins s’il n’est vrai, fille soi-disant telle ;

Car d’oser en jurer j’aurais peu de raison.)

Te voici.

JACINTE.

Le perfide, il est hors de prison !

CRISPIN.

Te voici donc, te dis-je et te voici toi seule ;

Ta carogne de main m’a baillé sur la gueule,

Tu le sais, la pucelle ?

JACINTE.

Et bien oui, je le sais.

CRISPIN.

Et sais-tu bien aussi que j’en suis offensé,

La pucelle ?

JACINTE.

Moi ? non.

CRISPIN.

Mais dis-moi ; la pucelle...

JACINTE.

Mais toi-même, dis-moi si tu cherches querelle ?

Tu me nommes pucelle, et prétends te moquer,

Je le vois ; mais apprends si tu m’oses choquer,

Que je suis de colère à toute heure pourvue ;

Et que si je m’y mets je te saute à la vue.

Sache qu’en ma furie acharnée à ta peau,

J’en saurai de chaque ongle arracher un lambeau.

Et si plus en raillant tu me nommes pucelle,

Pour te mieux faire voir qu’en effet je suis telle,

Sache que mon courroux qu’on ne peut égaler...

CRISPIN.

Ah tout beau ! Je suis prêt de te dépuceler :

Si ce n’est que cela n’ayons point de querelle ;

Qui peut empuceler aisément dépucelle ;

Et si tu sens de l’être une démangeaison...

 

 

Scène V

 

Le second NICANDRE, JACINTE, CRISPIN

 

Le second NICANDRE, sortant de la maison d’Isidore.

À la fin je te quitte, ô propice maison !

Eutrope en me voyant m’aurait fait de la peine,

Mais enfin...

JACINTE, apercevant tout à coup Nicandre.

Je vous cherche, ô l’esclave d’Ismène.

Le second NICANDRE.

Dieux ! Jacinte me cherche ! Aurait-on prévenu...

CRISPIN.

Que du Cours de la Reine il est tôt revenu !

Diable !

Le second NICANDRE, à Jacinte.

Que voulez-vous, la belle ?

CRISPIN.

Pour la belle,

Baste : mais gardez bien de l’appeler pucelle ;

Vous lui feriez tort.

Le second NICANDRE.

Traître... Enfin dites-moi donc...

JACINTE, arrêtant Nicandre par le bras.

Vous me paierez ma peine, et paierez tout du long ;

Celle qui vous aimait est si fort en colère,

Que de vous faire prendre elle a prié son père.

Le second NICANDRE.

Me croit-elle volage ? elle dont le pouvoir...

JACINTE.

Mon Dieu, ce qu’on vous croit vous pourrez le savoir.

Et si tantôt son père avait eu la puissance...

Le second NICANDRE.

J’ai pris soin, il est vrai, d’éviter sa présence ;

Mais il n’était pas seul, et je n’ai pas osé...

CRISPIN, à Nicandre.

La Maîtresse est contente, et le père apaisé ?

Ah ! Le menteur.

Le second NICANDRE.

Ta langue un peu trop s’émancipe.

CRISPIN.

Si le membre repasse, et que l’on me regripe ?

Le second NICANDRE.

L’insolence d’un traître ira donc jusqu’au point...

CRISPIN.

C’est de l’honneur qu’on cherche, et vous n’en avez point.

Le second NICANDRE.

Tu mens, traître, j’en ai ; mais si tu n’appréhendes...

CRISPIN.

En aurez-vous assez pour deux filles friandes ?

Si de les contenter vous n’avez le moyen,

Ayant pris votre honneur elles prendront le mien.

Montrant Jacinte.

Elle même est d’honneur tellement amoureuse,

Que vous n’en aurez pas pour sa seule dent creuse ;

Ainsi quoique l’on fasse en un tel embarras,

Deux honneurs si petits ne leur suffiront pas.

Pensez-y bien.

Le second NICANDRE.

Perfide, ainsi donc ton audace...

Mais laissez-moi, Jacinte, et daignez...

JACINTE.

Point de grâce.

Celle qui vous aimait a le seul intérêt...

Mais pour votre malheur la voilà qui paraît.

 

 

Scène VI

 

HIPOLITE, JACINTE, le second NICANDRE, CRISPIN

 

JACINTE.

Venez vite, Madame, autrement il m’échappe :

Il faut faire si bien que Mendoce l’attrape ;

Je le viens de quitter, qu’il attend le retour...

HIPOLITE.

Ce qu’il avait dans l’âme il l’a su mettre au jour.

Je ne suis plus, Jacinte, Hipolite irritée ;

Je donne ma tendresse à qui l’a méritée :

Et de peur que mon père entendit vos discours,

Je suis venue en hâte embrasser son secours.

Qui l’outrage m’outrage, et mon âme et la sienne...

CRISPIN, à Jacinte.

Je veux t’aimer aussi bonne peste de chienne.

JACINTE.

Toi, m’aimer ? Tu veux donc oublier le soufflet ?

CRISPIN.

Je mets tout sous les pieds, et je suis ton valet.

JACINTE.

Quoi ! tu pourrais...

CRISPIN.

Mon Dieu, je ne cours pas grand risque :

Si je suis ton mari, je reprendrai ma bisque :

Et dessus ton visage appliquant tous mes doigts,

Pour un soufflet reçu je t’en donnerai trois.

Le second NICANDRE.

Quelles grâce, Madame, ai-je droit de vous rendre ?

Hipolite elle-même a voulu me défendre !

Que ferai-je pour vous qui réponde jamais ?...

HIPOLITE.

Vous savez le moyen de remplir mes souhaits.

C’est cela qu’il faut faire, et j’attends de Nicandre...

Le second NICANDRE.

Crispin, que me dit-elle ? et que viens-je d’entendre ?

Moi, je sais le moyen de remplir ses souhaits !

CRISPIN.

Si vous le savez ?

Le second NICANDRE.

Moi ! je le sais ?

CRISPIN.

À peu près.

Le second NICANDRE.

Que ferai-je ? Pour faire une chose qui plaise...

CRISPIN.

Et que fait-on pour faire une fille bien aise,

Idiot ?

Le second NICANDRE, à Hipolite.

Vous servir m’est un bien précieux ;

Mais daignez vous résoudre à vous expliquer mieux.

Je vous veux obéir, j’y mets toute ma gloire ;

Mais...

HIPOLITE.

Vous avez, Nicandre, une faible mémoire ;

N’attendez plus pourtant de si libres propos ;

J’ai trop...

CRISPIN, à Nicandre.

Concevez-vous ce que disent ces mots ?

Pauvre fille !

JACINTE, à Hipolite.

Expliquez aussi votre pensée.

CRISPIN.

Son honneur la suffoque, elle en est si pressée,

Qu’elle étouffe. Ma foi, je vous sais mauvais gré ;

Car si vous le vouliez, vous seriez honoré.

Le second NICANDRE.

Mais je ne comprends pas quel sera le service...

CRISPIN.

Vous ne comprenez pas ? mais c’est pure malice ;

Car il ne tient qu’à vous de comprendre.

Le second NICANDRE.

Elle veut...

CRISPIN, à Hipolite.

Madame, comprenons, si comprendre se peut...

Le second NICANDRE.

Impertinent... De grâce, excusez si ce traître...

HIPOLITE.

Le valet ne fait rien qu’à l’exemple du Maître.

Vit-on jamais, Jacinte, un si volage amant ?

JACINTE.

Pourquoi vous fiez vous à ce chien de Normand

Aussi ?

Le second NICANDRE.

Si je savais qui vous met en colère,

Peut-être...

HIPOLITE.

En ta faveur j’eusse apaisé mon père,

(Car tu viens de sortir de ce même logis.)

Le second NICANDRE.

Il est vrai que j’en sors, mais au moins...

HIPOLITE.

Je rougis

De ce qu’un infidèle en a fait son asile.

Le second NICANDRE.

Il m’a donné, Madame, une retraite utile ;

Mais insensiblement je m’y suis égaré :

Une cour dérobée où j’étais retiré...

HIPOLITE.

L’imposteur !

CRISPIN, à Nicandre.

Cumlicenze ôtez-moi d’une peine,

Monsieur, en quelle rue est le Cours de la Reine ?

Le second NICANDRE.

Maraud !

CRISPIN.

Vous en venez, vous devez le savoir.

HIPOLITE.

Dans ce même logis tu n’as donc pu me voir ?

Le second NICANDRE.

Moi, vous voir !

HIPOLITE.

Toi, qui mens avec tant d’assurance ;

Toi qui d’un galant homme as la seule apparence ;

Toi, qu’un sang assez bon semble avoir élevé,

Et qui n’est cependant qu’un perfide achevé :

Je t’ai de ce logis aplani la sortie.

Le second NICANDRE.

Vous, Madame ?

HIPOLITE.

Moi, traître, et ton âme l’oublie.

Le second NICANDRE.

Vous ?

HIPOLITE.

Moi.

Le second NICANDRE.

Quoi qu’il en soit j’en prends peu de souci ;

Puisque vous le croyez je le veux croire aussi,

Je me retire : adieu trop charmante Hipolite ;

Ce n’est pas sans regret que Nicandre vous quitte :

Mais Ismène elle seule a droit de me charmer ;

Et pour peu que je reste il faudra vous aimer ;

Adieu.

CRISPIN, à Jacinte.

Je me retire, et pourtant, ô friponne,

Ce n’est pas sans regret que Crispin t’abandonne ;

Car quand dès ce matin je t’ai vue en ce lieu...

C’est ma foi plutôt fait de ne dire qu’adieu.

 

 

Scène VII

 

HIPOLITE, JACINTE

 

HIPOLITE.

Si jamais tu m’aimas, cours après ce Nicandre ;

Fais si bien par tes soins qu’on le puisse surprendre.

Il s’en va du côté que Mendoce l’attend.

JACINTE.

Mais Madame...

HIPOLITE.

Cours vite, et ne parle point tant ;

Vole s’il est possible, et fais qu’on le saisisse.

Mais que vois-je ?

Jacinte sort.

 

 

Scène VIII

 

ISMÈNE, HIPOLITE

 

ISMÈNE, revenant du Cours, où elle a fait saisir le premier Nicandre.

À vos vœux tout semble être propice ;

Il vous aime, Nicandre, et me fait un affront,

L’ingrat.

HIPOLITE.

S’il m’aime, il fait ce que bien d’autres font.

ISMÈNE.

À donner cœur pour cœur vous avez été prompte.

HIPOLITE.

Je n’ai pas entrepris de vous en rendre compte.

ISMÈNE.

De ses premiers liens vous l’avez arraché.

HIPOLITE.

Donc, assez faiblement il était attaché.

ISMÈNE.

D’accord. Mais vos appas ont de telles amorces...

HIPOLITE.

S’ils vous ont fait trembler ils ont assez de forces.

Non sans votre soupçon que je crusse en avoir ;

Mais qui les appréhende en connaît le pouvoir.

ISMÈNE.

Jugez-en mieux, Madame, un honteux artifice

De vos faibles appas a su faire l’office ;

C’est cela qui me choque, et cela qui m’aigrit.

HIPOLITE.

Qui charme sans appas n’a pas manque d’esprit.

ISMÈNE.

Je le crois. Savez-vous le destin de Nicandre ?

HIPOLITE.

Non je ne le sais pas : mais on va me l’apprendre.

Écoutez ma Suivante, elle vient droit ici.

Ragotin vient d’un côté, et Jacinte de l’autre.

ISMÈNE.

Point, Madame, vous-même écoutez celui-ci ;

Mais tremblez de frayeur.

HIPOLITE.

Ayez-en l’âme atteinte.

 

 

Scène IX

 

ISMÈNE, HIPOLITE, RAGOTIN, JACINTE

 

ISMÈNE, avec beaucoup de fierté.

Hé bien cher Ragotin ?

HIPOLITE, avec beaucoup de fierté.

Hé bien, chère Jacinte ?

RAGOTIN, à Ismène, parlant du premier Nicandre.

Il est enseveli dans le grand Châtelet. 

JACINTE, à Hipolite, parlant du second Nicandre.

En ma propre présence on l’a pris au collet.

RAGOTIN.

Je l’ai vu dans la Morgue, où je crois qu’il enrage.

JACINTE.

Pour apprendre à chanter on l’a mis dans la cage.

RAGOTIN.

Il ne présumait pas qu’on lui fit cet affront.

JACINTE.

Il ne se doutait pas d’un orage si prompt.

RAGOTIN.

Il vous nomme perfide.

JACINTE.

Il vous nomme cruelle.

ISMÈNE, à Hipolite.

Écoutez.

HIPOLITE, à Ismène.

Écoutez.

ISMÈNE.

Que dit-il ?

HIPOLITE.

Que dit-elle ?

ISMÈNE.

Vous le voyez, Madame, on l’a mis en lieu sûr.

HIPOLITE.

À qui vient de si loin cela semble assez dur.

Mais plaignez son malheur, soupirez sans rien craindre.

ISMÈNE.

Je ne l’ai pas fait prendre à dessein de le plaindre ;

On l’a pris par mon ordre.

HIPOLITE.

On l’a pris par le mien.

ISMÈNE.

Le savez-vous, Madame ?

HIPOLITE.

Oui, je le sais.

ISMÈNE.

Mal.

HIPOLITE.

Bien.

RAGOTIN.

C’est par l’ordre à Monsieur.

JACINTE.

C’est par l’ordre à Madame.

RAGOTIN.

Effrontée !

JACINTE.

Arrogant !

RAGOTIN.

Impertinente !

JACINTE.

Infâme !

RAGOTIN.

Ne raisonne pas tant, je t’en prie.

JACINTE.

Et pourquoi,

Hé ?

RAGOTIN.

Si dans ma fureur je me jette sur toi,

Tu verras beau jeu.

JACINTE.

Ladre.

RAGOTIN.

Aiguillon de vipère.

JACINTE.

Croyez-m’en Hipolite, appelons votre père ;

Isidore !

 

 

Scène X

 

ISIDORE, EUTROPE, ISMÈNE, JACINTE, RAGOTIN

 

ISIDORE.

Audio, cela veut dire j’oi,

C’est le présent du verbe Audire.

ISMÈNE.

Je le voi !

RAGOTIN.

Qui, Monsieur ?

ISMÈNE.

Ragotin ma surprise est extrême.

RAGOTIN.

Qui voyez-vous ?

ISMÈNE.

Ce l’est, c’est mon père lui-même.

ISIDORE, à Jacinte.

Définis-moi la cause, et dis-moi la raison...

JACINTE.

La cause est que Nicandre est dans une prison :

Mais ce demi Monsieur, qui dessous sa jaquette...

ISMÈNE.

Ne passe plus outre, impudente soubrette ;

Découvrant qui je suis, tu prétends me punir ;

Pour te punir toi-même il te faut prévenir ;

Un aveu légitime autorise ma flamme :

Je suis demi Monsieur, mais entière Madame ;

Ce vieillard est mon père, et c’est tout mon bonheur.

J’ose...

RAGOTIN, à Ismène.

Vous êtes donc une fille, Monsieur ?

EUTROPE.

Quoi ! Ma fille...

ISMÈNE.

Mon Père !

EUTROPE.

As-tu pu me connaître ?

RAGOTIN, à Ismène.

Je couchais d’ordinaire aux côtés de mon Maître.

Il était si peureux que j’étais son appui ;

N’êtes-vous point peureuse aussi bien comme lui ?

ISMÈNE, à Eutrope.

Je partis de Lyon sans vous en rien apprendre,

Pour venger mon injure, et pour perdre Nicandre.

J’ai trouvé que Madame en a fait son Amant :

Mais sa lâche inconstance aura son châtiment.

Il est pris.

HIPOLITE, à Isidore.

Vous savez ce que m’a fait Nicandre.

ISIDORE.

Maculée.

HIPOLITE.

À la fin je l’ai su faire prendre ;

Mais Madame qui l’aime, et qui vit sous sa loi...

ISMÈNE.

Il est vrai que je l’aime, et c’est à faire à moi ;

Mais il faut que mon père en secret m’interroge :

Allons où vous logez, ou venez où je loge.

Si jamais la tendresse ébranla votre cœur ;

Si jamais...

EUTROPE.

Tu sais bien que j’ai peu de rigueur.

À Isidore.

Et vous quoi que pour moi votre bonté paroisse,

N’attendez nullement que je la reconnaisse.

Puisque, quoique Nicandre ait commis contre vous,

Je veux que de ma fille il devienne l’Époux :

C’est être ingrat ami, mais c’est être bon Père.

ISIDORE.

J’ai trop eu pour Eutrope indulgence plénière,

J’eusse récidivé ; mais je veux que mes-hui

Mon esprit se gendarme à l’encontre de lui.

Vale.

Isidore s’en va d’un côté, et Eutrope de l’autre.

HIPOLITE, à Ismène.

Consolez-vous, vous pouvez tout prétendre ;

Demain dans la prison vous reverrez Nicandre.

ISMÈNE.

Vous dites vrai, Madame, et ce qui m’est bien doux,

Vous le verrez aussi sans qu’il puisse être à vous.

JACINTE, à Ismène.

Adieu donc, voyageuse.

ISMÈNE.

Adieu bonne, rusée,

Intrigante !

JACINTE.

Adieu donc fille garçonnisée !

RAGOTIN, à Jacinte.

Elle garçonnisée ? Instruits-moi de ton sens.

JACINTE.

Elle l’est par dehors.

RAGOTIN.

Et tu l’es par dedans.

Hipolite et Jacinte s’en vont du côté d’Isidore, et Ismène et Ragotin du côté d’Eutrope.

 

 

ACTE V

 

La Scène paraît une Cour de Prison.

 

 

Scène première

 

Le second NICANDRE, CRISPIN en caleçon et une boîte à quêter en main

 

Le second NICANDRE.

À voir de mon amour l’aventure bizarre,

On dirait que le sort contre moi se déclare ;

Moi coucher en prison ! Moi qui sais le moyen...

CRISPIN.

Moi qui crois vous valoir, Monsieur, j’y couche bien !

Dites-moi, votre gîte est-ce un gîte passable ?

Le second NICANDRE.

On n’a dans la prison point de chambre agréable ;

Mais l’endroit où je couche est pourtant assez beau.

C’est dans la chambre neuve.

CRISPIN.

Et moi dans le berceau :

Le bon peste de gîte ! On dirait d’une cave ;

D’une vieille muraille on ramasse la bave ;

Et de foin tout pourri les petits brins épars

Sont sans cesse trainés par Messieurs les Piquars.

Le second NICANDRE.

Mais d’où vient que si tard ta personne est si nue ?

CRISPIN.

On m’a pris mes habits pour ma bonne venue,

Et tous mes compagnons, les filous de céans,

(Qu’au filoutage près je trouve braves gens ;

Car ils sont si bénins que de peur de rancune,

Ils ont pris mon bagage au défaut de pécune.)

Le second NICANDRE.

Tes habits sont mangés ?

CRISPIN.

Oui, Monsieur.

Le second NICANDRE.

Est-ce ainsi...

CRISPIN.

S’ils m’avaient pu manger ils l’auraient fait aussi :

Peste ! ces affamés sont de vrais fripe-sausses.

Le second NICANDRE.

Quoi, tu n’as ni pourpoint, ni casaque, ni chausses ?

Ils ont tout avalé sans rien mettre à l’écart ?

CRISPIN.

Nenni pas tout à fait ; j’en ai mangé ma part.

Mais ce qui me contente, ils ont l’âme assez franche.

Outre qu’ils m’ont promis que j’aurais ma revanche,

Ils souffrent bonnement que je rie avec eux,

Et j’ai déjà la boîte à quêter pour les gueux.

J’y ferai bien mon compte.

Le second NICANDRE.

Et comment, ridicule ?

CRISPIN.

Et par le petit trou quand on ferre la mule.

Ah ! que j’aurai bientôt regagné mon habit.

Le second NICANDRE.

On n’y met rien.

CRISPIN.

Ma foi, l’on me l’a déjà dit.

Mais si l’on y mettait c’était bien mon affaire.

Le second NICANDRE.

Ce n’est certes qu’à moi que le sort est contraire.

Mais sortons de ce lieu, je vais faire un écrit...

CRISPIN.

N’en sortons point, Monsieur, que je n’aie un habit,

Je vous en prie.

Le second NICANDRE.

Écoute, en cas qu’on me demande,

Tu viendras me querir, et diras qu’on m’attende,

Ou du moins si tu veux tu pourras m’appeler.

Il sort.

 

 

Scène II

 

CRISPIN, seul

 

Il a le Diable au corps de vouloir s’en aller.

Du fidèle Crispin le bonheur l’importune.

Il mourrait de regret si je faisais fortune ;

Et de sortir d’ici le bourreau n’a dessein,

Qu’à cause qu’à présent il me voit dans le gain.

Mais l’on ouvre ; l’on entre ; allons faire la quête.

 

 

Scène III

 

CRISPIN, ISMÈNE

 

CRISPIN.

Mettez vite, Monsieur, de l’argent dans la boîte.

ISMÈNE.

Une autre fois.

CRISPIN.

Mettez ; on n’a point de crédit.

ISMÈNE.

Mais l’ami...

CRISPIN.

Mais l’ami... J’ai besoin d’un habit,

Monsieur.

ISMÈNE.

Ou je me trompe, ou je crois te connaître.

Quel es-tu ?

CRISPIN.

Moi ? Je suis tout ce que je puis être ;

Receveur ; (il est vrai qu’à ne vous celer rien,

La recette est petite, et ne va pas trop bien ;

Mais faut-il de regret que je m’en aille pendre ?)

ISMÈNE.

Je t’ai vu dans Lyon souvent suivre Nicandre. 

CRISPIN.

Si vous m’avez vu là, vous me voyez ici.

ISMÈNE.

Tu ne me connais pas ?

CRISPIN.

Il me semble que si.

À remettre vos traits j’ai pourtant de la peine ;

Ne vous nommez-vous pas Monsieur, Madame Ismène ?

ISMÈNE.

Oui, Crispin, c’est Ismène. Et ton Maître, l’ingrat ?

Le perfide ?

CRISPIN.

Mon Maître ? Il est fort délicat.

J’ai peur dans la prison qu’il n’amasse du rhume.

Ismène met deux louis dans la boîte de Crispin, et Crispin qui fait ses efforts pour en faire tomber quelqu’un, voyant qu’il ne le peut, parle en lui-même si justement au sens d’Ismène, qu’elle croit qu’il réponde à ses demandes.

ISMÈNE.

Va, sa flamme l’échauffe, et l’amour le consume ;

Mais voilà deux louis, reçois-les de ma main ;

Et du traître Nicandre apprends-moi le dessein.

N’a-t-il point de regret de ce qu’il m’a perdue ?

Ne veut-il pas me rendre une foi qui m’est due ?

Agis. Par ton moyen si l’ingrat se résout...

CRISPIN, parlant des louis qu’il ne peut avoir.

Je suis trop malheureux pour en venir à bout.

ISMÈNE.

Toi qui sers cet ingrat, ne peux-tu faire en sorte,

Crispin...

CRISPIN, parlant des louis.

Si je le puis, que le diable m’emporte !

ISMÈNE.

Tu ne le peux ? Le traître a donc bien du mépris !

D’un amour réciproque il dédaigne le prix ;

Croyant à son départ qu’il m’adorait dans l’âme,

J’ai mis tous mes plaisirs à répondre à sa flamme,

J’ai mis tous mes plaisirs au bonheur d’être unis ;

J’ai mis...

CRISPIN, parlant de louis.

Où Diable aussi les avez-vous là mis ?

ISMÈNE.

Que veux-tu ? Je l’aimais ; il me semblait sincère ;

À son volage cœur je croyais être chère ;

J’avais en sa faveur des sentiments si doux,

Crispin...

CRISPIN, songeant à ce qu’Ismène dit.

Plaît-il ? Quoi ? Qu’est-ce ? et que me dites-vous ?

Vous voulez voir mon Maître, ayez soin de m’attendre.

Non, ne m’attendez pas, je l’appelle. Nicandre !

Le premier NICANDRE, à une fenêtre grillée.

Qui m’appelle ?

CRISPIN.

C’est moi.

Le premier NICANDRE.

Qui ?

CRISPIN.

C’est moi.

Le premier NICANDRE.

Qui toi ?

CRISPIN.

Moi.

Le premier NICANDRE.

Et qui donc est-ce là que je vois avec toi ?

CRISPIN.

C’est elle.

Le premier NICANDRE.

Qui ?

CRISPIN.

C’est elle.

Le premier NICANDRE.

Et qui donc ? dis.

CRISPIN.

C’est elle. 

Le premier NICANDRE.

Qui que ce soit n’importe ; il suffit qu’on m’appelle.

Je descends.

ISMÈNE, à Crispin.

Que dis-tu de la peine qu’il a ?

N’as-tu pas aperçue... Mais l’ingrat le voilà.

 

 

Scène IV

 

ISMÈNE, le premier NICANDRE, CRISPIN

 

ISMÈNE.

Hé bien, Nicandre ?

Le premier NICANDRE.

Hé bien, Madame, êtes-vous lasse.

De me jouer des tours de si mauvaise grâce ?

Quels appas avez-vous qui puissent me charmer ?

Et par quel privilège ai-je dû vous aimer ?

Y suis-je obligé, moi ? Voulez-vous m’y contraindre ?

ISMÈNE.

Si tu n’as pu m’aimer, volage, as-tu dû feindre ?

Et ne fallait-il pas pour le bien de mes jours,

Ou ne m’aimer jamais, ou bien m’aimer toujours ?

Mais écoute, il est temps que tu m’ouvres ton âme ;

Je t’ai fait mettre ici, tu le sais ?

Le premier NICANDRE.

Oui, Madame ;

Et sans perdre un moment en propos superflus,

Sachez...

CRISPIN, à Nicandre.

Depuis quand donc ne l’adorez-vous plus,

Notre cher ?

Le premier NICANDRE.

Dis-tu moi ? J’ai plutôt de la haine...

CRISPIN.

Que diable dites-vous, étourdi ? C’est Ismène,

Que vous aimez tant.

Le premier NICANDRE.

Moi ? Je n’ai jamais pensé...

CRISPIN.

C’est Ismène, vous dis-je ; êtes vous insensé ?

Elle qui dans Lyon arrêta votre course...

ISMÈNE.

Moi qui de son bonheur voulais être la source.

De publier sa honte on m’épargne le soin.

Dans son propre valet je rencontre un témoin.

Et par un procédé qui sent l’âme de boue,

Il fait un désaveu qu’un valet désavoue :

Poursuis, Crispin, poursuis ; et d’un Maître pareil...

Le premier NICANDRE.

Il a suivi, Madame un si rare conseil.

Vous l’aviez bien payé pour m’appeler son Maître,

Mais par malheur pour vous je n’ai pu le connaître.

L’artifice était faible, et je suis délicat,

Madame.

CRISPIN.

Ah justes Dieux, le maudit renégat !

C’est donc quand il vous plaît, que vous êtes mon Maître ?

Le premier NICANDRE.

Jamais je ne le fus, et ne veux jamais l’être.

J’aurais trop de regret si la moindre union...

ISMÈNE.

Et qui donc te servait quand tu vins à Lyon ?

Mais tu n’y fus jamais, tu le vas faire accroire.

Le premier NICANDRE.

J’ai trop peu de faiblesse, et trop bonne mémoire.

On m’a vu dans Lyon faire assez de séjour,

Mais ce n’est qu’à Paris que j’ai pris de l’amour.

ISMÈNE.

Ah méchant !

Le premier NICANDRE.

Moi méchant ! c’est me faire injustice.

CRISPIN.

Renier un valet, c’est un beau petit vice !

Il appelle cela des chansons.

ISMÈNE.

Résouds-toi ;

Vois qui tu veux aimer d’Hipolite ou de moi ;

Épargne à mon amour le regret de te nuire,

J’oublierai ton forfait si tu veux t’en dédire ;

Et pour mieux te contraindre à paraître surpris,

J’aurai plus de bonté que tu n’as de mépris.

Le premier NICANDRE.

Et moi qui suis sensible, et qui vois qu’on m’abuse,

J’aurai plus de mépris que vous n’aurez de ruse ;

De ce lâche coquin je fuirai l’entretien ;

Il me dira son maître, et je n’en croirai rien ;

Dédaignant les défauts, honorant le mérite,

Je saurai vous haïr comme j’aime Hipolite ;

Et n’était votre sexe, eût-on dû m’en blâmer,

Vous seriez en état de jamais ne m’aimer.

Sortez.

ISMÈNE.

Pardonne ingrat ma visite obligeante

Au reste agonisant d’une amitié mourante ;

Qui pour ton intérêt augmentant de moitié,

Arrachait un avis à ma lâche pitié.

Tu ne m’écoutes pas, mais redoute mon père ;

Adieu, je vais moi-même irriter sa colère ;

Dans assez peu de temps nous serons en ce lieu.

Ismène sort.

 

 

Scène V

 

Le premier NICANDRE, CRISPIN

 

CRISPIN.

Vous voilà justement, comme il plaît au bon Dieu.

Vous venez là de faire un bon chien de ménage.

Continuez, l’ami.

Le premier NICANDRE.

Tai-toi, traître, ou...

CRISPIN.

J’enrage,

Et je souhaiterais que chacun souhaitât

Qu’au milieu de la grève on vous décapitât.

Un tendron l’idolâtre ; et Monsieur le néglige !

Une Ismène l’adore, et Monsieur...

Le premier NICANDRE.

Paix, te dis-je,

Ou bien si de ta voix rien n’arrête le cours,

Dis-le nom d’Hipolite, et m’en parle toujours :

Su tu veux que pour toi mon courroux se désarme.

Détruis un nom haï, par un nom qui me charme ;

Et pour l’un et pour l’autre agissant tour à tour,

En approuvant ma haine applaudis mon amour.

Là-dessus, cher ami, le Seigneur te console ;

Jusqu’au revoir.

Nicandre s’en va.

 

 

Scène VI

 

CRISPIN, seul

 

Et toi, le bourreau te décolle ;

Fou des plus achevés, dont les sens abêtis

Pensent... Mais des verrous j’entends le cliquetis ;

Quelqu’un entre.

 

 

Scène VII

 

CRISPIN, JACINTE

 

CRISPIN, apercevant Jacinte.

Bonjour.

JACINTE.

Ah c’est toi !

CRISPIN.

Belle bête

À voir ce que je porte on connaît que je quête ;

Tout quêteur que je sois si tu fais un souhait,

Tu peux tendre ta boîte, et je donne mon fait :

J’ai deux louis ; je t’aime.

JACINTE.

Il n’est pas temps encore ;

Je viens voir...

CRISPIN.

Vois traîtresse, un Crispin, qui t’adore,

Et qui pour t’avoir vue un peu plus qu’il ne faut,

N’est vêtu que de toile, et s’il brûle de chaud.

JACINTE.

Je viens dire...

CRISPIN.

Dis-moi, femelle insecourable

Si l’on peut longtemps vivre, et brûler comme un Diable ;

Et si tu n’agis pas d’une ingrate façon,

De me voir être braise, et que tu sois glaçon.

JACINTE.

Je viens faire...

CRISPIN.

Toi faire ? Hé bien fille mauvaise,

Il ne tiendra qu’à toi de me faire bien aise ;

Ou du moins connaissant que tu m’aimes si peu,

Souffre glace pour glace, ou me rend feu pour feu.

JACINTE.

Je viens pour...

CRISPIN.

Tu viens pour ? Ce n’est pas assez dire ;

Viens-tu pour m’obliger, ou viens-tu pour me nuire ?

Et puisqu’assurément dans ce lieu tu viens pour,

Dis-moi si c’est pour haine, ou si c’est pour amour.

JACINTE.

C’est pour amour. Ton Maître en a-t-il l’âme atteinte ?

CRISPIN.

Le Maître aime Hipolite, et le valet Jacinte.

JACINTE.

Tu te railles, peut-être, et te moques de nous ;

Car Ismène...

CRISPIN.

La Dône a ma foi du dessous.

Elle vient de sortir qui déteste Nicandre ;

De lui-même à lui-même elle a dit pis que pendre ;

Il avait le dessein de lui rompre le cou.

JACINTE.

Aime-t-il Hipolite ?

CRISPIN.

Il en est parbleu fou !

Quand on parle d’Ismène, on le choque, on l’irrite ;

On le touche, on le charme en parlant d’Hipolite ;

Et ce nom par lui-même est si fort répété...

JACINTE.

Attend, mon cher Crispin, tu seras contenté.

Voyons dans la geôle, Hipolite y doit être ;

Elle m’a fait entrer pour pressentir ton Maître ;

Et puisqu’enfin Nicandre à l’aimer se résout,

Disons-lui qu’elle vienne, et l’informe de tout.

Hipolite ! Hipolite !

 

 

Scène VIII

 

HIPOLITE, JACINTE, CRISPIN

 

JACINTE.

Allons-donc, paresseuse ;

Nicandre est amoureux, comme vous amoureuse ;

Et Crispin que voilà qui soupire pour moi,

M’en répond corps pour corps, et m’en jure sa foi.

C’est vous seule qu’il aime, et qu’il trouve d’aimable.

HIPOLITE.

En est-il bien certain ?

CRISPIN.

Oui, je me donne au Diable !

HIPOLITE.

Mais Ismène l’adore ; elle veut recouvrer...

CRISPIN.

En ma propre présence il la vient de sevrer.

Mais voyez, on dirait que le Ciel nous l’envoie.

JACINTE.

Si tu penses...

CRISPIN.

Jacinte, il va mourir de joie ;

Je le sais de science, et je t’en donne avis ;

Jamais nul amoureux n’eut les sens si ravis ;

Et tu vas voir.

 

 

Scène IX

 

Le second NICANDRE, HIPOLITE, JACINTE, CRISPIN

 

Le second NICANDRE.

Ma lettre à la fin est écrite ;

Mais que vois-je ? ô bons Dieux ! n’est-ce pas Hipolite ?

CRISPIN.

Hipolite elle-même ; avancez, mal ému.

À Jacinte.

Que disais-je ? De joie il est si prévenu,

Qu’il a changé de note au moment qu’il a vue.

Le second NICANDRE.

Madame, à votre aspect je me sens l’âme émue...

CRISPIN, à Jacinte.

L’âme émue ! Entends-tu ? Sans amour l’aurait-on ?

Que t’en semble ?

JACINTE.

Il le dit d’un assez vilain ton.

HIPOLITE.

Si d’un cœur qui vous aime on vous fait une offrande...

Le second NICANDRE.

Je veux dans une fille une vertu plus grande ;

Et quand d’autres que vous ne me charmeraient pas,

Votre extrême faiblesse avilit vos appas.

À ne pas vous connaître et voir votre visage

J’aurais pu vous aimer si j’eusse été volage ;

Mais fussai-je volage, à vous connaître mieux,

Vous seriez la dernière à surprendre mes yeux.

Je vous fais par pitié d’équitables reproches.

JACINTE.

Crispin !

CRISPIN.

Je suis penaud comme un fondeur de cloches.

JACINTE.

Tu disais...

CRISPIN.

Je disais ; mais je ne dis plus rien.

JACINTE.

Quoi le traître...

CRISPIN.

Il est fou, ne le vois-tu pas bien,

Il fait bon se fier à de semblables drilles !

JACINTE.

Est-ce comme cela que l’on traite des filles ?

Le perfide !...

CRISPIN.

Il est fou, je te l’ai déjà dit...

HIPOLITE.

Ton brutal procédé rend mon cœur interdit...

Le second NICANDRE.

Et le votre me choque, et le votre m’étonne,

Je suis honteux pour vous de ce qu’on m’emprisonne.

Je ne suis dans ce lieu que par votre moyen,

Mais aussi...

HIPOLITE.

Quoi ! mais ?

Le second NICANDRE.

Mais...

CRISPIN.

Mais vous ne valez rien.

Le second NICANDRE.

J’ai de la quereller un sujet raisonnable ;

Tu sais...

CRISPIN.

Que les menteurs sont les enfants du Diable,

Et pour cette raison je vous fais à savoir

Que Monsieur votre père est un père fort noir ;

C’est Ismène en ce lieu qui vous a fait conduire,

Menteur.

HIPOLITE.

Point, c’est moi-même et je cherche à lui nuire ;

Loin de le déguiser, j’en demeure d’accord.

JACINTE.

Un habile fauteur pour le craindre si fort !

Ma foi !

HIPOLITE.

Je t’ai fait prendre, et non pas ton Ismène,

Perfide.

Le second NICANDRE.

Elle est trop bonne, et vous êtes trop vaine ;

Mon sort est déplorable, et mon sort serait doux,

Si c’était mon Ismène aussi bien que c’est vous,

Méchante.

JACINTE, à Crispin.

Qu’il est traître ! et qu’il a de malice !

CRISPIN.

Feu Judas, près de lui n’eut été qu’un novice ;

S’ils se fussent connus celui-ci l’eut forcé

À venir de sa bouche écouter l’A, B, C.

Il a fait tout son cours à l’École traîtresse,

D’autres nomment trahir ce qu’il appelle adresse ;

Et si de ce qu’il sait je savais les trois quarts,

Au plus tard dans trois jours je serais Maître-ès-Arts.

Il est savant.

HIPOLITE.

Dis-moi ce que tu veux résoudre,

Apprend-moi...

Le second NICANDRE.

Dans vos mains je pourrais voir la foudre,

En redouter la chute, en sentir les éclats,

Et la peur de périr ne m’ébranlerait pas :

J’aime Ismène, je l’aime, et non pas Hipolite ;

J’aime Ismène...

HIPOLITE.

C’est trop, ton audace m’irrite,

Traître. Tu sais, Jacinte, où mon père m’attend ?

JACINTE.

Oui je le sais, Madame, et je vais à l’instant...

Il prévient mon voyage, et le voilà qu’il entre.

Voyez.

 

 

Scène X

 

ISIDORE, HIPOLITE, CRISPIN, le second NICANDRE, JACINTE

 

ISIDORE, entrant.

Des forfaiteurs c’est donc ici le centre ?

Nicandre...

HIPOLITE.

De l’ingrat le mépris est trop grand,

À toute ma tendresse il est indifférent.

De son perfide cœur la fierté me ravale ;

Et vous devez... Mais Dieux j’aperçois ma Rivale ;

Elle vient.

 

 

Scène XI

 

ISMÈNE, EUTROPE, ISIDORE, HIPOLITE, le second NICANDRE, CRISPIN, JACINTE, RAGOTIN

 

ISMÈNE.

Infidèle, il est temps de parler.

HIPOLITE.

Volage, il n’est plus temps de rien dissimuler.

CRISPIN.

S’il s’en peut démêler il n’est pas malhabile.

Le second NICANDRE, à Eutrope.

Monsieur...

ISMÈNE.

Tu cherches, traître, une ruse inutile ;

Tu n’abuseras plus ni mon père, ni moi.

Le second NICANDRE.

Votre père ! Madame, est-ce vous que je voi !

Est-ce Ismène !

CRISPIN.

Nenni, c’est une autre. Ah, le traître !

Le second NICANDRE.

Est-ce Ismène !

ISMÈNE.

Tu feins de ne pas me connaître,

Lâche !

CRISPIN.

C’est un fin Merle : il sait bien d’autres tours.

HIPOLITE, à Isidore.

Parlez ; souffrirez-vous qu’il lui parle toujours ?

ISIDORE.

Sois mon Gener, Immond ; ou descends au sépulcre.

Tu vois bien que ma fille est passablement pulcre ;

Sois mon Gener, sinon...

EUTROPE.

Mais ma fille a sa foi.

ISMÈNE.

L’ai-je pas, volage ?

Le second NICANDRE.

Oui.

HIPOLITE.

L’ai-je pas aussi, moi ?

Le second NICANDRE.

Non.

HIPOLITE.

Non traître ! Oses-tu...

ISMÈNE.

Je sais qu’elle te touche ;

Je le sais.

Le second NICANDRE.

Vous ?

ISMÈNE.

Moi.

Le second NICANDRE.

Vous ?

ISMÈNE.

Je le sais de ta bouche

Effronté !

Le second NICANDRE.

Vous, Madame ? ô grands Dieux qu’est-ce ci !...

JACINTE.

Je le sais aussi, moi.

RAGOTIN.

Moi je le sais aussi.

CRISPIN.

Si pas un de ceux là ne vous semble croyable,

Je le sais aussi, moi, témoin irréprochable,

Je le sais.

Le second NICANDRE.

Quoi Crispin, quoi j’aurais consenti !...

CRISPIN.

C’est dire en mots couverts tout le monde a menti.

Le second NICANDRE.

Tu n’as point de raison, car tu dois faire entendre...

CRISPIN.

J’aurai tort si ce lieu loge plus d’un Nicandre ;

Voyons.

Le second NICANDRE.

Mais...

CRISPIN.

Mais voyons. Ho, Nicandre ! J’ai tort !

Comme il répond. Nicandre ! est-ce pas assez fort ?

Ho, Nicandre ! écoutez catarrheuse cervelle,

J’ai tort.

 

 

Scène XII

 

Le premier NICANDRE, le second NICANDRE, EUTROPE, ISIDORE, HIPOLITE, ISMÈNE, JACINTE, CRISPIN, RAGOTIN

 

Le premier NICANDRE.

Qui donc encor est-ce là qui m’appelle ?

CRISPIN.

Qui Diable est celui-ci qui s’en vient droit à nous ?

Le second NICANDRE.

Que vois-je ?

Le premier NICANDRE.

Qu’aperçois-je ?

Le second NICANDRE.

Est-ce vous ?

Le premier NICANDRE.

Est-ce vous ?

Le second NICANDRE.

Quoi mon frère est ici !

Le premier NICANDRE.

Quoi, je vous vois paraître !

CRISPIN.

Dites-moi, s’il vous plaît, qui des deux est mon Maître ?

ISMÈNE.

Dites-moi qui des deux m’a fait don de sa foi ?

HIPOLITE.

Dites-moi qui des deux s’est pu donner à moi ?

Est-ce vous ? Est-ce vous ? Rendez m’en plus instruite ;

Qui des deux...

Le premier NICANDRE.

C’est-moi-même, ô ma chère Hipolite,

C’est moi qui dans l’espoir de me voir vôtre époux...

Le second NICANDRE, à Ismène.

Hé bien, suis-je Madame infidèle pour vous ?

Rendez-moi votre amour, reprenez votre haine.

ISMÈNE.

Mais lorsqu’on vous a pris dans le Cours de la Reine...

Le premier NICANDRE.

Lui, Madame ? C’est moi qu’on a pris dans ce lieu.

JACINTE.

Tout va le mieux du monde, ou je me donne à Dieu ;

Car aucun contre aucun n’aura sujet de plainte.

CRISPIN.

Puisqu’Ismène est aimée, Hipolite, et Jacinte,

Sans nous embarrasser d’aucune autre raison,

Prenons chacun la nôtre, et sortons de prison.

Que dis-tu de l’avis, dis-moi donc ma petite ?

Le second NICANDRE.

Pour moi, j’adore Ismène.

Le premier NICANDRE.

Et j’adore Hipolite.

Le second NICANDRE.

Pourrons-nous être à vous, et souffrirez-vous bien ?...

ISMÈNE.

Demandez à mon père.

HIPOLITE.

Et demandez au mien.

EUTROPE.

Puisqu’il est si sincère, il a droit de prétendre

Et le nom de mon fils, et le nom de mon gendre ;

Et si touchant sa fille Isidore m’en croit,

Envers l’autre Nicandre il fera ce qu’il doit.

ISIDORE.

Que Nicandre la Sponde, et foi de Philosophe,

Je serai bénévole envers sa catastrophe ;

C’est le cœur qui le dit, et s’il est trop obscur,

Ex abundantia cordis os loquitur.

Le premier NICANDRE.

Quelles grâces vous rendre ! Une gloire parfaite...

CRISPIN.

Tournez-moi les talons, votre besogne est faite,

Monsieur. Toi, que dis-tu ?

JACINTE.

Moi ? ce que tu voudras.

CRISPIN.

Je t’aime bien, et toi ?

JACINTE.

Moi ? Je ne te hais pas.

CRISPIN.

Je me veux marier aussi bien que mon Maître.

Et toi, dis ?

JACINTE.

Dis-tu moi ? Je voudrois déjà l’être.

CRISPIN.

Je te veux, me veux-tu ? Concluons tout ici.

JACINTE.

Ma foi ! si tu me veux, je te veux bien aussi.

CRISPIN.

Toque-là.

JACINTE.

Tien.

CRISPIN, aux deux Nicandres.

Et vous avant votre sortie,

Allez dans une Chambre y conter votre vie ;

Et faites qu’en tous lieux on vous loue en ce point

Qu’on vous a crû MENTEURS, et vous ne MENTIEZ POINT. 

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