La Métamorphose amoureuse (Marc-Antoine LEGRAND)
Comédie en un acte et en prose.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 6 août 1712.
Personnages
SÉVERIN, Oncle et Tuteur d’Isabelle
ISAELLE, Nièce de Séverin
VALÈRE, Amant d’Isabelle
BOUQUINART, Amoureux d’Isabelle
TOINETTE, Suivante d’Isabelle
CRISPIN, Filleul de Séverin
PASQUIN, Valet de Valère
UN COMMISSAIRE
BRASDEFER, Exempt
SERFORT, Archer
GRIPPEAU, Archer
TROUPE D’ARCHERS
La Scène est à Paris dans la Maison de Séverin.
Scène première
SÉVERIN, TOINETTE
SÉVERIN.
Enfin je respire, j’ai fait maison nette aujourd’hui : ce fripon de Laquais qui servait d’Écuyer à ma Nièce, ce coquin de Cuistre qui me servait de Secrétaire, jusqu’à la Nourrice qui dormait à téter à mon petit enfant ; j’ai tout chassé. Allons, Mademoiselle Toinette, prenez la peine de décamper aussi.
TOINETTE.
Mais, Monsieur...
SÉVERIN.
Point de mais. Tes gages sont payés, va chercher condition ailleurs. Tu vois ma maison, prends garde d’en approcher de cent pas. Comment ! des coquins de domestiques avoir l’insolence d’introduire chez moi dans mon absence un Écolier de Droit ! un Cadet du Maine ! de bonne maison à la vérité, mais de très mauvaise conduite ; un godelureau qui a déjà mangé son fait, et qui, dit-on, ne fait figure à Paris qu’autant que son frère aîné lui en fournit les moyens. Flatter ma nièce dans l’amour qu’elle a pour lui ! la fortifier dans l’aversion qu’elle a conçue pour l’époux que je lui destine ! Non, je n’en puis revenir.
TOINETTE.
Vous devriez du moins nous garder jusqu’à demain la Nourrice et moi.
SÉVERIN.
Non, non, point de remise.
TOINETTE.
Mais qui achèvera d’habiller Madame votre Nièce ?
SÉVERIN.
Elle s’habillera toute seule.
TOINETTE.
Qui donnera à téter à l’enfant ?
SÉVERIN.
Ce ne sera pas toi.
TOINETTE.
Dieu m’en garde. Oh ça, vous me donnez donc mon congé absolu ?
SÉVERIN.
Très absolu.
TOINETTE.
Il n’y a plus de retour.
SÉVERIN.
Non, va-t-en au Diable.
TOINETTE.
Puisque vous me congédiez si bien, et que je n’ai plus rien à ménager, je vous déclare ici guerre ouverte, et vous dis que c’est en vain que vous faites venir de Baveux Monsieur Bouquinart pour épouser votre Nièce, que je l’ai promise à Valère, et que je prétends qu’ils soient mariés ensemble dans ce jour.
SÉVERIN.
Sans mon consentement.
TOINETTE.
Ils ont le mien, cela suffit ; et je veux dans le besoin leur servir de père, de mère, d’oncle, de tante, de tuteur, de tutrice, de témoin, de Notaire, et l’Amour dictera les articles.
SÉVERIN.
Je ne sais qui me tient.
TOINETTE.
Oh doucement, Monsieur, je ne suis plus à vous ni chez vous, je suis à moi et sur le pavé du Roi.
SÉVERIN.
Je rentre ; car je ne pourrais m’empêcher de te traiter comme tu le mérite. Monsieur Bouquinart va arriver, et je veux qu’il épouse ma Nièce dans le moment même : va-t-en porter la nouvelle à ton Valère ; va, insolente, ne te montre de la vie devant moi.
Scène II
TOINETTE, seule
Me voilà fort embarrassée, au bout du compte ; Monsieur Séverin le sera comme il le dit, Bouquinart va arriver : Isabelle n’ayant plus de conseil, se laissera mener par le nez comme un Oison, et sera assez sotte pour obéir ; cependant notre Écolier... Mais le voici avec son valet.
Scène III
VALÈRE, PASQUIN, TOINETTE
PASQUIN.
Que fais-tu là toute seule ?
TOINETTE.
Je vous attends.
PASQUIN.
Pour nous faire entrer dans le logis apparemment ?
TOINETTE.
Non, c’est pour vous dire que Monsieur Séverin, après avoir chassé généralement tous les Domestiques que vous aviez gagnés, vient de me faire l’honneur de me donner mon congé en mon petit particulier, et que je crois que vous n’avez qu’à prendre le vôtre.
VALÈRE.
Que me dis-tu là ?
TOINETTE.
La vérité.
PASQUIN.
Quand tu n’auras que des vérités comme celle-là à nous dire, tu feras mieux de mentir à ton ordinaire Monsieur vient d’apprendre que son oncle et son frère étaient à l’extrémité, et tu viens troubler notre joie par tes mauvaises nouvelles.
VALÈRE.
Ne badinons point, cette affaire est sérieuse.
TOINETTE.
Des plus sérieuses ; car vous n’avez plus personne dans le logis qui puisse vous rendre aucun service, hors le Filleul de la maison dont Monsieur Séverin ne se défie point encore : mais je crains que notre sortie ne l’ait intimidé.
PASQUIN.
Cela est fâcheux : mais après tout Monsieur Séverin ne tardera point à prendre de nouveaux domestiques. Doute-tu que mon esprit insinuant, soutenu de l’éloquence de quelques pistoles qui roulent encore dans la bourse de Monsieur, ne les rendent bientôt aussi traitables que vous ?
TOINETTE.
Je le crois : mais Monsieur Bouquinart va arriver ; et sur le champ Monsieur Séverin lui va faire épouser Isabelle.
PASQUIN.
Oh pour le coup l’affaire mérite attention, et j’ai ici besoin de tout mon génie. Mais vous, Monsieur, qui dans votre vie avez fait tant de tours de passe-passe ; vous qui êtes le héros de toutes les espiègleries d’écoliers, donc on fait des contes dans le monde, ne pourriez vous rien inventer dans cette occasion ?
VALÈRE.
Non, Pasquin, je ne me reconnais plus ; l’Amour qui donne de l’esprit et de la hardiesse aux autres, a fait tout le contraire en moi.
PASQUIN.
Cependant il faut... Mais voici le Filleul de Monsieur Séverin.
Scène IV
VALÈRE, PASQUIN, TOINETTE, CRISPIN
CRISPIN.
Ah Monsieur, serviteur : bonjour : Pasquin. Vous voudriez bien entrer dans le logis, n’est-ce pas ? et moi, je n’ai pas de plus grande joie que lorsque j’en suis bien loin.
VALÈRE.
Pourquoi ?
CRISPIN.
Peste soit la chienne de maison. Mon Parrain a le diable au corps avec sa nièce, et sa nièce fait le diable depuis qu’elle vous a en tête.
VALÈRE.
Tu crois, mon cher Crispin, qu’elle a quelque attention au triste état où elle me voix réduit ?
CRISPIN.
Bon ! elle se désespère, et l’oncle de son côté enrage. Le beau plaisir pour moi, qui ai toute ma raison, de me trouver entre un enragé et une désespérée !
PASQUIN.
Cela n’est point plaisant en effet. Mais par parenthèse, pourquoi cet habillement ?
CRISPIN.
Comme il n’y a plus de domestiques dans la maison, et que je me vois factotum ; jusqu’à nouvel ordre, je me suis fait un équipage convenable aux différentes charges que je vais exercer. J’ai pris les manchettes et le rabat du Secrétaire, l’épée et les bottines de l’Écuyer, et j’aurais pris dans un besoin les tétons de la Nourrice. Mais ne m’arrêtez point davantage, il faut que j’aille faire ma commission.
TOINETTE.
Quelle commission ?
CRISPIN.
Mon Parrain m’envoie chez Madame Simone.
PASQUIN.
Ah, ah, je la connais, elle demeure ici-près ; c’est cette Dame qui se mêle de faire des mariages, et déplacer des domestiques dans les maisons.
CRISPIN.
Justement : voilà une lettre que je vais lui porter.
PASQUIN.
Montre un peu.
CRISPIN.
Oh tu la peux lire. Le bon homme était si troublé en l’écrivant, qu’il a oublié de la cacheter.
PASQUIN lit la lettre.
J’ai une entière confiance en vous, Madame, et je vous prie de mettre tous vos soins à me déterrer une femme de chambre d’une sévérité incorruptible, d’une sagesse éprouvée, d’une...
Diantre, il faudra fouiller bien avant pour lui trouver cela...
TOINETTE.
Voyez cet impertinent.
PASQUIN continue de lire.
J’ai besoin aussi d’une Nourrice, qui... etc.
Une demande point d’autres domestiques.
CRISPIN.
Non, et je crois qu’il ne veut avoir à l’avenir dans sa maison d’homme que moi.
PASQUIN.
La maison sera fort bien réglée. Mais cette lettre me donne une idée. Es-tu toujours de nos amis ?
CRISPIN.
À la mort et à la vie.
PASQUIN.
Te sentirais-tu assez de hardiesse pour...
CRISPIN.
De la hardiesse ! morbleu il n’y a pas d’homme qui avale un verre de vin aussi hardiment que moi.
PASQUIN.
Nous t’en serons boire du meilleur. Tu aimes l’argent ?
CRISPIN.
Autant que toi.
PASQUIN.
C’est beaucoup dire. Pour en avoir, il faut faire en sorte que Monsieur épouse Isabelle dans ce jour.
CRISPIN.
Comment faire ? mon Parrain la veut marier à Monsieur Bouquinart à son arrivée, et, comme Toinette vous l’a pu dire, an l’attend dans ce moment.
PASQUIN.
Il n’importe, nous pourrons les prévenir, st tu veux nous seconder.
CRISPIN.
Que faut-il faire ?
PASQUIN.
Je te le dirai. Pour vous, Monsieur, il faudra, s’il vous plaît, que vous vous prêtiez à certaine métamorphose.
VALÈRE.
Moi ?
TOINETTE.
Allons, allons, Monsieur, encore un petit tour d’écolier.
VALÈRE.
Il n’y a rien que je ne fasse pour posséder la charmante Isabelle.
PASQUIN.
Voilà qui me plaît. Mais j’aperçois Monsieur Séverin et sa nièce : il ne nous connait pas, et il n’est pas nécessaire qu’il nous connaisse encore. Suivez-moi tous, je vous instruirai de mon projet.
Scène V
SÉVERIN, ISABELLE
SÉVERIN.
Vous voulez absolument prendre l’air, j’y consens : mais je ne vous quitterai point, jusqu’à ce que Madame Simone m’ait envoyé une personne telle que je lui demande, capable de me répondre de vos actions.
ISABELLE, bas.
Quelle contrainte !
SÉVERIN.
Quand Monsieur Bouquinart sera votre époux, ce sera son affaire ; mais je vous avertis que malgré son humeur enjouée, il est aussi défiant qu’un autre.
ISABELLE.
Que vais-je devenir !
SÉVERIN.
Sa première femme et la mienne nous ont donné de leur vivant un peu de tablature ; elles nous ont parbleu fait voir du pays, et c’est ce qui fait que nous ne femmes plus si faciles à attraper.
ISABELLE.
Une fille de mon âge, épouser un tel mari !
SÉVERIN.
Comment donc ? savez-vous qu’il est encore aussi frais et aussi ragoûtant que moi.
ISABELLE, bas.
Ô Ciel !
SÉVERIN.
Quoique vieux, il est de la meilleure humeur du monde, a sans cesse quelque bon mot dans la bouche ; et tout ce qu’il dit, ou qu’il veut dire, est si plaisant ; si plaisant, que fort souvent il en rit lui-même d’avance.
ISABELLE.
Mon Oncle, ni sa belle humeur, ni sa bonne mine ne seront point capables de détruire la haine que j’ai conçue pour lui sans le connaître ; la seule pensée qu’il va arriver en ce moment me fait frémir.
SÉVERIN.
Ce que c’est que la prévention. Mais j’entends un cheval dans la cour.
ISABELLE.
Ah c’est lui sans doute.
SÉVERIN.
C’est lui-même, il est entré par la porte de derrière.
ISABELLE.
Mon Oncle, considérez...
SÉVERIN.
Ma Nièce, tout ce que vous pourrez me dire est inutile ; votre Père par son testament me recommande cette alliance, et d’ailleurs Monsieur Bouquinart est mon ancien ami : il attendait depuis longtemps la mort de sa femme, le Ciel a exaucé ses vœux ; et je prétends... Mais le voici.
Scène VI
BOUQUINART, SÉVERIN, ISABELLE
BOUQUINART.
Me voilà, bonjour. Il faut que j’aie le diable au corps pour venir de Bayeux à Paris prendre une femme par le temps qu’il fait.
SÉVERIN.
Soyez le bien venu.
BOUQUINART.
La pluie, la grêle, le tonnerre m’ont toujours accompagné ; je n’ai pas laissé de pousser comme il faut, et de faire diligence. Mais tête-bleu voilà des yeux qui me poussent terriblement à leur tour.
SÉVERIN.
Que vous serez heureuse, ma nièce, d’avoir un mari aussi jovial ; on ne peut pas dire les choses avec plus d’esprit.
ISABELLE.
Je n’en ai pas assez, mon Oncle, pour m’y connaître.
SÉVERIN.
La sotte ? Hé bien ! voulez-vous avoir une autre contenance ?
ISABELLE.
Quelle ?
SÉVERIN.
Paraître du moins de bonne humeur.
ISABELLE.
Je ne saurais.
BOUQUINART.
Comment donc ? que vous dit-il, qui vous rend si triste ? Oh, je te prie, Compère, de ne point chagriner ta nièce, et de la laisser toute entière à la joie qu’elle a de me voir, et aux idées charmantes que lui donnent l’espoir d’être aujourd’hui mariée.
SÉVERIN.
C’est une impertinente, qui ne mérite pas l’honneur que vous lui faites.
BOUQUINART.
Oh, tu es un impertinent toi-même. N’est-il pas vrai, ma Belle, ce sont d’étranges gens que ces Oncles ? Oui, ne concevez-vous pas que c’est une agréable cascade que celle que fait une fille en tombant de leur tutelle dans les bras d’un mari ? Ho, ho, ho.
Scène VII
SÉVERIN, BOUQUINART, ISABELLE, CRISPIN
CRISPIN.
Monsieur, Madame Simone avait justement votre affaire ; elle va vous envoyer la perle des Nourrices, et une femme de chambre qu’elle dit être un vrai Argus.
SÉVERIN.
Bon, c’est ce qu’il nous faut.
BOUQUINART.
Que fais-tu de cette petite Figure ?
CRISPIN.
Comment donc Figure ? Figure vous-même, Savez-vous, Monsieur, que je suis Écuyer.
BOUQUINART.
Écuyer ?
CRISPIN.
Oui ventrebleu, Écuyer sieur de la Crispinière, Secrétaire des Commandements de Messire Fiacre Séverin. Et vous êtes un impertinent de venir ici...
SÉVERIN.
Doucement, petit drôle, tu parles à l’époux de ma Nièce.
CRISPIN.
Quoi c’est-là Monsieur Bouquinart ! En ce cas je m’apaise. Monsieur, j’ai eu tort... d’avoir eu raison... de m’attaquer... à un personnage... dont la physionomie surprenante... Je suis votre serviteur.
BOUQUINART.
Le petit coquin se moque encore de moi.
SÉVERIN.
Qu’on se taise. Hé bien n’êtes-vous pas d’avis que nous envoyions chercher un Notaire ?
BOUQUINART.
Oh parbleu je m’en rapporte à toi, fait dresser le Contrat à ta fantaisie, je le signerai s’il est à la mienne : mais du moins donne-moi le temps de me reconnaître ; j’ai marché presque toute la nuit, et si je me suis arrêté en quelque endroit, j’y ai pris plus de vin que de repos : enfin que veux-tu que je te dise ? j’ai maintenant plus d’envie de dormir que d’autre chose.
CRISPIN.
Monsieur a raison, il vaut mieux qu’il dorme avant la noce qu’après. Si vous voulez, Monsieur, je m’offre à vous bercer.
BOUQUINART.
Il ne sera ma foi pas nécessaire, et je ne me suis jamais trouvé si assoupi.
SÉVERIN.
Entrez donc dans la maison, votre appartement est tout prêt, faites comme si vous étiez chez vous.
BOUQUINART.
Je le prétends bien ainsi. Excusez, ma Charmante, si lorsque l’Amour voudrait tenir mes yeux ouverts pour admirer vos charmes, le sommeil jaloux s’attache à les fermer, et si dans le temps que ce même amour entr’ouvre ma bouche pour pousser des soupirs, ce même sommeil me l’ouvre tout à fait pour bailler. Ah, ah. Mais je vous promets un rêve des plus circonstanciés, vous en serez l’objet, et... je suis fort pour les rêves moi.
CRISPIN.
Oh je n’en doute pas, et je crois même que vous n’avez pas besoin de dormir pour rêver.
SÉVERIN.
Allons, raisonneur, conduisez Monsieur dans l’appartement qu’on lui a préparé, et qu’on en ait soin comme de moi-même, et surtout que personne ne trouble son repos.
CRISPIN.
Ah Monsieur, puisse-t-il dormir éternellement, Diable emporte qui songera à l’éveiller.
Scène VIII
SÉVERIN, ISABELLE
SÉVERIN.
Hé bien, c’est donc ainsi que vous cherchez à me contenter ? Je ne m’étonne pas que Monsieur Bouquinart quitte sitôt la compagnie. Qui est-ce qui ne s’endormirait pas à voir votre humeur sombre et mélancolique ?
ISABELLE.
Offrez-moi un époux qui me plaise, vous n’aurez pas lieu de vous plaindre de mon humeur.
SÉVERIN.
Votre Valère, par exemple ?
ISABELLE.
Hé bien oui, mon Oncle, je l’aime ; dans la situation où sont les choses, je puis l’avouer. Et si vous le connaissiez...
SÉVERIN.
Je l’aimerais aussi, n est-ce pas ? Qu’on ne m’en parle plus.
ISABELLE.
Sa famille...
SÉVERIN.
Je sais quelle est sa famille ; mais pour lui je ne le connais, ni le veux connaître.
ISABELLE.
Que je suis malheureuse !
Scène IX
SÉVERIN, ISABELLE, CRISPIN
CRISPIN.
L’affaire est faite, notre homme est couché. Savez-vous que c’est un sagouin.
SÉVERIN.
Comment ?
CRISPIN.
Il n’a pas été longtemps à sa toilette, comme vous voyez ; après avoir ôté son chapeau et son juste-au-corps, il s’est jeté tout botté entre deux draps.
SÉVERIN.
Il est comme cela sans façon.
CRISPIN.
Il a mis ses habits sur son lit par le chaud qu’il fait ; il n’a pas eu la tête sur son chevet, qu’il a ronflé comme il faut. Je l’ai examiné un moment et je vous puis assurer qu’il est aussi beau couché que debout.
SÉVERIN.
Il est ce qu’il est. Retourne à Madame Simone, qu’elle m’envoie incessamment les personnes que je lui ai demandées.
CRISPIN.
Il n est pas nécessaire, et voilà déjà la Femme de chambre.
ISABELLE.
Que vois-je ?
CRISPIN.
C’est Valère, votre amant, motus.
Scène X
SÉVERIN, ISABELLE VALÈRE, déguisé en femme, CRISPIN
VALÈRE, à Crispin.
Enseignez-moi, s’il vous plaît, le logis de Monsieur Séverin.
CRISPIN.
Le voici lui-même en propre original.
VALÈRE, en femme.
Je viens, Monsieur, de la part de Madame Simone ; elle m’a appris que vous demandiez une personne peur demeurer auprès de Madame votre Nièce, et je me tiendrai trop heureuse si mes services lui peuvent être agréables.
SÉVERIN.
Voilà une grande fille qui me revient assez ; qu’en dites-vous, ma Nièce ? vous en accommoderiez-vous ?
ISABELLE.
En cela, mon Oncle, vous savez que je ne dois avoir de volonté que la vôtre : mais je crois que cette personne me convient mieux que tout autre.
CRISPIN.
Je n’en doute pas.
SÉVERIN.
Sa Physionomie me plaît.
ISABELLE.
Elle ne me plaît pas moins.
SÉVERIN.
Je ne sais quoi, d’honnête, d’engageant.
ISABELLE.
Au dessus de ce qu’on peut dire.
SÉVERIN.
Cela est admirable, il y a des gens comme cela qui plaisent à tout le monde du premier abord.
CRISPIN, à part.
Mon Parrain ne le prend pas mal, il faut lui en donner encore une pipe.
SÉVERIN.
Peut-on vous demander où vous avez servi ?
VALÈRE, en femme.
Monsieur, c’est ici ma première condition : mais j’espère que ce sera la dernière, et que Madame sera si contente de moi, qu’elle ne me voudra jamais changer.
ISABELLE.
Vous pouvez vous en assurer, je n’aime point du tout le changement.
VALÈRE.
Quel bonheur de me voir sans cesse auprès de vous ! quel plaisir de servir une si belle maîtresse !
SÉVERIN.
Elle dit tout si agréablement j’en suis charmée.
CRISPIN.
N’est-il pas vrai, Monsieur, que cela vaut mieux pour votre Nièce, que cette coquine de Toinette ? C’était une arrogante, une...
SÉVERIN.
Fi donc, il n’y a pas de comparaison.
CRISPIN.
Elle n’introduira point d’homme dans la maison, celle-ci.
VALÈRE, en femme.
Oh pour cela non, je les écarterai autant qu’il me sera possible ; et Madame dût-elle s’en fâcher, je mettrai tout mon plaisir à l’accompagner sans cesse, et je vous puis assurer que tant que je serai auprès d’elle, aucun amant n’en approchera.
SÉVERIN.
C’est comme nous l’entendons. Que je suis heureux d’avoir fait cette trouvaille ? Comment vous nomme-t-on.
VALÈRE, en femme, embarrassé.
On me nomme...
CRISPIN.
Madame Simone m’a dit qu’elle s’appelait Marion ; c’est un joli nom, au moins, que Marion, Marion ! j’ai eu une Maîtrsse qui s’appelait comme cela.
SÉVERIN.
Taisez-vous, petit sot.
ISABELLE.
Jusqu’à votre nom, tout me plaît de vous.
SÉVERIN.
Que voulez-vous gagner, Mademoiselle ?
VALÈRE, en femme.
Ah, Monsieur, ne parlons point de cela, s’il vous plaît.
SÉVERIN.
Mais il faut bien savoir ce qu’on vous donnera de gages.
VALÈRE, en femme.
Monsieur, je ne veux point faire de marché avec vous ; c’est à Madame, si elle est contente de mes services, à me récompenser.
CRISPIN.
C’est une personne qui n’est point intéressée, et qui veut faire comme moi, servir pour son plaisir.
SÉVERIN.
Elle n’y perdera pas, et je voudrais que la Nourrice... mais apparemment que la voici.
CRISPIN, à Isabelle.
Vous voyez bien que c’est Pasquin.
Scène XI
SÉVERIN, ISABELLE, VALÈRE en femme de chambre, PASQUIN, en Nourrice, CRISPIN
SÉVERIN.
Approchez, ma mie, c’est Madame Simone qui vous envoyé, n’est-ce pas ?
PASQUIN, en Nourrice.
Oui, Monsieur, elle viendra tantôt vous répondre de moi, et vous assurer que je suis une Nourrice d’une sagesse consommée.
SÉVERIN.
Je le crois.
PASQUIN, en Nourrice.
La plus honnête fille de tout le quartier, sans contredit.
SÉVERIN.
Je n’en doute pas ; votre lait est-il nouveau ?
PASQUIN, en Nourrice.
Oui, Monsieur, des plus nouveaux et des plus particuliers qui se fassent.
SÉVERIN.
Quel nourrisson quittez-vous ?
PASQUIN, en Nourrice.
L’enfant d’un riche Procureur.
SÉVERIN.
Et pourquoi êtes-vous sortie de cette maison-là ?
PASQUIN, en Nourrice.
Monsieur, vous savez que les nourrices ont toujours des envies, et qu’il faut leur servir les meilleurs morceaux de dessus la table ? si l’on veut que les nourrirons profitent.
SÉVERIN.
Hé bien ?
PASQUIN, en Nourrice.
Hé bien, ce maudit Procureur-là me faisait mourir de faim, parce que malheureusement l’enfant que je nourrissait avait le nez fait comme celui de son Maître Clerc.
CRISPIN.
La belle raison ! Monsieur n’aurait donc qu’à faire de même, parce que son fils me ressemble.
SÉVERIN.
Paix.
PASQUIN, en Nourrice.
Et d’ailleurs, la maudite engeance que ces Clercs ! ma vertu a bien essuyé des assauts.
SÉVERIN.
Vous serez ici fort tranquille.
PASQUIN, en Nourrice.
Ah, Monsieur, c’est ce que je demande.
SÉVERIN.
Mais aussi il rie faut pas qu’une Nourrice demeure oisive ; cela amasse de mauvaises humeurs donc un enfant se remplit. Que savez-vous faire ?
PASQUIN, en Nourrice.
Mille choses que ne sont point les autres Nourrices.
SÉVERIN.
Mais encore ?
PASQUIN en Nourrice.
Par exemple, pour faire une barbe, et relever une moustache, je défie toutes les Nourrices de France de s’en acquitter comme moi.
SÉVERIN.
Voilà un plaisant talent pour une Nourrice.
PASQUIN, en Nourrice.
Et sans me vanter, j’ai bien des qualités que bien des femmes n’ont pas.
SÉVERIN.
Et quelles ?
PASQUIN, en Nourrice.
Je sais me taire.
SÉVERIN.
Cela est bon.
PASQUIN, en Nourrice.
Je n’aime point les hommes.
SÉVERIN.
Comment ? voilà un trésor. Mais allons au fait ; voyons votre sein.
CRISPIN, à part.
Haye, haye, haye.
PASQUIN, en Nourrice.
Comment Monsieur, pour qui me prenez-vous ? Mort de ma vie, si un autre que vous avait l’insolence de me faire une pareille proposition, je lui arracherais les yeux.
SÉVERIN.
Mais, ma mie...
PASQUIN, en Nourrice.
Mais, mais ; je l’ai montré à Madame Simone.
SÉVERIN.
Ah, cela suffit ; vous avez raison : je ne veux point vous contraindre davantage. J’entends l’enfant qui crie, allez vite là-haut lui donner à téter.
PASQUIN, en Nourrice.
La bonne chienne de commission.
SÉVERIN.
Mais en montant ne faites point de bruit, de crainte d’éveiller le futur époux de ma Nièce qui repose dans la chambre voisine.
CRISPIN, bas à Pasquin.
Comment diantre feras-tu pour donner à téter à cet enfant ?
PASQUIN, en Nourrice.
Parbleu, je m’en vais le sevrer.
Scène XII
SÉVERIN, ISABELLE, VALÈRE en femme de chambre, CRISPIN
SÉVERIN.
Mademoiselle Marion, je vous confie ma Nièce, ne la quittez pas d’un pas.
VALÈRE, en femme.
Je vous obéirai ponctuellement.
SÉVERINE, à sa Nièce.
Vous, Isabelle, je vous recommande de suivre aveuglement les conseils de cette sage personne.
ISABELLE.
Dans la cruelle situation où me réduit votre sévérité, je vois bien, Monsieur, que c’est le mieux que je puisse faire.
SÉVERIN.
Je m’en vais chez mon Notaire.
Scène XIII
VALÈRE, en femme, ISABELLE, CRISPIN
ISABELLE.
Enfin le voilà parti, je respire. Ah Valère, que vous m’avez fait trembler dans votre métamorphose.
VALÈRE, en femme.
Ah, Madame, je vous avoue que je ne me suis jamais trouvé dans un tel embarras. Je craignais à tout moment de me tromper dans mes discours et que mon amour ne vint à me trahir : mais puisque cet amour peut maintenant s’exprimer sans contrainte, souffrez que je me jette à vos genoux, et que je vous jure mille fois de vous adorer éternellement. Hélas ! que deviendrais-je, si l’injuste projet de votre Oncle avait son effet, si je me voyais enlever pour jamais tout ce que j’ai de plus cher au monde. Ah ! Madame, je me donnerais la mort, et si mon amour...
ISABELLE.
Mon Dieu, Valère, finissez : tout ce que vous pouvez me dire dans cet équipage, ne me touche point : il me semble que ce n’est point vous qui me parlez ; et si vous voulez me persuader, allez reprendre votre habit de Cavalier.
CRISPIN.
Il ne s’agit point de cela, il faut aller au fait. Mon Parrain reviendra bientôt, et votre Rival ne dormira pas toujours.
VALÈRE, en femme.
Il a raison, charmante Isabelle, vous savez les offres que Madame votre Tante nous a faites plusieurs fois. Si nous perdons ce moment, je vous perds peut-être pour jamais. Un carrosse nous attend à quatre pas, venez.
ISABELLE.
Ah ! Valère, quelque horreur que m’ait inspiré la seule vue de votre Rival, à quelque reconnaissance que doive m’engager, et votre mérite, et tout ce que vous bazardez pour moi, je ne puis me résoudre...
CRISPIN.
Oh parbleu, Madame, vous faites trop de façons. Comment donc ; quand l’argent nous engage Madame Simone et moi à trahir Monsieur Séverin, son meilleur ami, et mon Parrain, l’amour ne vous fera rien faire ? Et vous Monsieur l’Amoureux, vous ne dites plus mot ? Morbleu, il me semble que si j’étais comme vous habillé en femme, je jaserais dix fois plus qu’à mon ordinaire. Mais voici Toinette.
Scène XIV
VALÈRE, en femme, ISABELLE, CRISPIN, TOINETTE
TOINETTE.
Ah, mes enfants, sauvez-vous au plus vite ; voilà Monsieur Séverin avec un Commissaire, un Exempt, et des Archers ; il a rencontré en sortant d’ici Madame Simone, qui l’a apparemment instruit de votre métamorphose.
CRISPIN.
Ah la double traîtresse !
ISABELLE.
Ah, Valère, dérobez-vous à son emportement.
TOINETTE.
Ne vous y exposez pas trop vous-même, vous le connaissez.
ISABELLE.
Il est vrai, mais...
TOINETTE.
Point de discours inutiles, nous n’avons point de temps à perdre ; allons promptement chez Madame votre Tante ; Monsieur Séverin ne fera pas un procès à sa sœur pour vous avoir retirée chez elle.
ISABELLE.
Ne m’abandonne point, Toinette.
TOINETTE.
Je vous suis : mais il ne faut pas laisser ce pauvre Pasquin dans le lac ; apparemment qu’il est dans la maison.
CRISPIN.
Sans doute, et je vais l’avertir. Mais j’aperçois mon Parrain ; il n’est pas à propos que j’aille me renfermer là-dedans : il suffit de l’appeler. Pasquin, holà, Pasquin.
Scène XV
CRISPIN, PASQUIN, en Nourrice à la fenêtre
PASQUIN, en Nourrice.
Qu’est-ce ?
CRISPIN.
Tout est découvert ; descends promptement. Monsieur Séverin vient ici avec un Commissaire et des Archers ; ne le vois-tu pas ?
PASQUIN, en Nourrice, à la fenêtre.
Hé oui, de par tous les diables, je le vois ; et je vois de plus que je n’ai pas assez de temps pour gagner la porte.
CRISPIN.
Saute par la fenêtre.
PASQUIN, en Nourrice, à la fenêtre.
Le beau conseil !
CRISPIN.
Prends les pistolets de Monsieur Séverin, ils sont sur la cheminée de la Salle ; quoiqu’il n’y ait rien dedans, cela fera peur aux Archers. Mais les voici, je me sauve.
PASQUIN, en Nourrice, à la fenêtre.
Peste soit des amours de mon Maître ; Ah ! me voilà perdu.
Scène XVI
SÉVERIN, LE COMMISSAIRE, BRAS-DE-FER, ARCHERS
SÉVERIN.
C’est ici, Messieurs : Je suis heureux dans mon malheur, que le hasard m’a fait vous rencontrer si à propos.
BRAS-DE-FER.
Nous avons manqué notre capture, et nous sommes heureux nous-mêmes, de vous avoir trouvé pour nous dédommager. Nous venions...
SÉVERIN.
Il ne s’agit pas de m’apprendre d’où vous veniez : il faut promptement investir cette maison, et aller prendre dedans, un certain Valère et son Valet, qui, comme je viens de vous dire, s’y sont introduits déguisés en femmes, pour suborner ma Nièce, et peut-être me voler.
LE COMMISSAIRE.
Monsieur Bras-de-fer, faites occuper toutes les avenues par vos gens, et surtout gardez-bien cette porte : moi, j’entre dans la maison avec Serre-fort et Grippaut.
BRAS-DE-FER, aux Archers.
Mes amis, ayons bien l’œil à tout. Passez de ce côté vous autres, et vous de celui-ci. Voilà une bonne affaire, Monsieur.
SÉVERIN.
Vous appeliez cela une bonne affaire ?
BRAS-DE-FER.
Oui, d’autant qu’elle est bien criminelle.
SÉVERIN.
Vous avez vos raisons pour la trouver bonne : mais pour moi je la trouve très mauvaise. Voilà ma famille déshonorée, et Monsieur Bouquinart ne voudra plus de ma Nièce après un tel éclat.
LE COMMISSAIRE, sortant de la Maison.
Il nous faut du monde pour passer outre ; nous venons d’entendre une voix qui menace de brûler la cervelle au premier qui avancera, et comme nous ne savons pas les êtres de votre maison, il est nécessaire que vous marchiez le premier pour nous conduire.
SÉVERIN.
Moi, je ne veux point m’aller fourrer là ; s’il se donne quelques coups, vos gens sont payés pour les recevoir.
LE COMMISSAIRE.
Mais, Monsieur
SÉVERIN.
Bien loin d’entrer, je vais me mettre à l’abri des armes, afin d’empêcher qu’on ne fasse aucune insulte à Monsieur Bouquinart, mon neveu prétendu, qui est malheureusement renfermé là-dedans.
Il se cache dans un coin.
Scène XVII
BRAS-DE-FER, PASQUIN, avec les habits de Monsieur Bouquinart, LES ARCHERS
PASQUIN, aux Archers qui sont à la porte.
Qu’est-ce donc que ceci, et que venez-vous chercher dans la maison de mon Oncle futur ?
BRAS-DE-FER.
Deux hommes déguisés en femmes, qui pour suborner sa Nièce... Mais si vous voulez en savoir davantage, vous pouvez l’aller joindre, il a passé de ce côté.
PASQUIN, sous les mêmes habits.
Moi ? je ne veux lui parler de ma vie : c’est un plaisant visage, de me faire venir de Bayeux pour épouser sa Nièce, quand il sait ce qu’il sait. Me prend-il pour un sot ?
BRAS-DE-FER.
Je ne sais pas, Monsieur.
PASQUIN, sous les mêmes habits.
Dites lui de ma part que c’est un sot lui-même.
BRAS-DE-FER.
Ce n’est pas à nous...
PASQUIN, sous les mêmes habits.
Il croyait m’attraper ; mais ce ne sera pas d’aujourd’hui. Adieu, adieu.
BRAS-DE-FER.
Voilà un drôle de corps, et un plaisant visage ; je ne m’étonne pas si cette Nièce en a introduit d’autres dans la maison.
Scène XVIII
SÉVERIN, BRAS-DE-FER, LES ARCHERS
SÉVERIN.
Qui est l’homme qui vient de vous parler ?
BRAS-DE-FER.
C’est votre Neveu prétendu, qui s’en va fort en colère.
SÉVERIN.
Ah ! je n’en doute pas, et je jugeais bien que cette aventure le dégouterait de son mariage ; mais je m’en vengerai sur ceux qui vont tomber entre mes mains.
Scène XIX
LE COMMISSAIRE, SÉVERIN, LES ARCHERS
LE COMMISSAIRE.
En voici un de pris, il faut que l’autre se soit sauvé ; car nous avons parcouru toute la maison.
SÉVERIN.
Il n’importe, celui-ci payera pour tout.
LE COMMISSAIRE.
Savez-vous où le drôle s’était caché ? Dans un lit. Nous l’avons trouvé entre deux draps, ses habits de femme sur lui ; il feignait de dormir, mais on l’a réveillé comme il faut. Il ne voulait point absolument s’habiller : mais il a trouvé des Valets de chambre qui n’avaient pas les mains gourdes ; et quoique j’aie pu faire, s’il leur a donné bien de la peine, il leur a aussi donné bien des coups. Le voici qu’on amène.
Scène XX
BOUQUINART, en Nourrice, LE COMMISSAIRE, SÉVERIN, LES ARCHERS
SÉVERIN.
Que vois-je ? c’est Monsieur Bouquinart !
BOUQUINART, en Nourrice.
Que veut donc dire tout ceci ? Avez-vous perdu l’esprit ? L’ai-je perdu moi-même ?
SÉVERIN.
Ah ! mon cher ami, je suis au désespoir.
BOUQUINART, en Nourrice.
Que la peste te crève mille fois ; on dit que c’est par ton ordre que tout ceci se fait. Par quelle extravagance m’envoyer éveiller en sursaut, et m’obliger à prendre ce diable d’équipage ? Je suis si étonné de l’état où je me trouve, que sans les coups que j’ai reçus, je prendrais encore ce ci pour un rêve.
SÉVERIN.
Parbleu, Messieurs, vous avez fait là de belles affaires. Vous laissez échapper les coupables, et allez saisir et maltraiter mon ami, que je fais venir exprès de cinquante lieues pour épouser ma Nièce ; il faut que vous soyez de grandes bêtes.
LE COMMISSAIRE.
Et vous un grand poltron. Vous nous appelez pour arrêter deux hommes déguisés en femmes, qui se sont introduits dans votre maison pour vous déshonorer en la personne de votre Nièce.
BOUQUINART, en Nourrice.
Qu’entends-je ?
LE COMMISSAIRE.
Et vous n’osez entrer avec nous ; est-on obligé de les connaître ? On a trouvé Monsieur couché, des habits de femme sur son lit, on a cru...
SÉVERIN.
Ne deviez-vous pas bien voir que Monsieur n’avait pas la mine d’un suborneur ?
BRAS-DE-FER.
Le drôle qui s’est fauve avait raison de dire qu’il n’était pas sot.
LE COMMISSAIRE.
La méprise à part, par la manière dont Monsieur a été houspillé, il a pu connaître avec quel zèle ces Messieurs vous servaient.
BOUQUINART, en Nourrice.
Le diable les emporte avec leur zèle.
LE COMMISSAIRE, aux Archers.
Allons, allons, retirons-nous.
SERRE-FORT.
Et les frais de la capture ?
BOUQUINART, en Nourrice.
Attends, attends, je vais te les payer. Et toi, notre cher ami, tu voulais donc me faire entrer une seconde fois dans la Confrérie, avec ta jolie Nièce, dont tu me vantais tant la vertu ? Tu n’as qu’à l’épouser toi-même. À quelque chose le malheur est bon. Songe seulement à me rembourser les frais de mon voyage, et bonsoir.
Scène XXI
SÉVERIN, VALÈRE, BOUQUINART, PASQUIN, CRISPIN
VALÈRE.
Monsieur, je suis au désespoir de tout le trouble que je vous ai causé Isabelle est chez Madame votre sœur, et je viens me livrer entre vos mains : je suis Valère, non plus ce Cadet du Maine, que jusqu’ici la fortune a si maltraité, mais un des riches héritiers de la Province, par la mort de mon frère, dont je reçois la nouvelle en ce moment.
SÉVERIN.
En ce cas, Monsieur, vous êtes mon homme ; votre famille m’est connue, et je vous donne ma Nièce en mariage.
PASQUIN.
Madame la Nourrice, quand il vous plaira nous changerons d’habit ; mais cependant vous voulez bien que je vous remercie des coups qu’il vous a plu de recevoir pour moi.
VALÈRE, à Bouquinart.
Monsieur, pardonnez.
BOUQUINART, en Nourrice.
Voilà qui est fini, Monsieur, je garderai les coups, et vous garderez la Nièce : je ne sais pas qui gagnera le plus de nous deux à ce marché-là. Je vais quitter ce maudit équipage.
CRISPIN, à Bouquinart.
Madame, avez-vous besoin d’un Écuyer ?
SÉVERIN.
Ah, Monsieur mon Filleul... Mais puisque les choses tournent ainsi, et que chacun est content, je fais grâce à tous ceux qui m’ont trahi, et les reprends à mon service.