Le Mauvais ménage (Marc-Antoine LEGRAND)
Parodie, en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 19 mai 1725.
Personnages
BARBARIN
MARIANNE
SIMONNE
CLÉON
JOLI-CŒUR
MARAUDIN
GRIFFON.
ARLEQUIN
SCARAMOUCHE
TROUPE DE DRAGONS
TROUPE D’ARCHERS
DEUX SUIVANTES de Marianne
La Scène est à dans une Ville de Normandie sur le bord de la Mer.
Scène première
SIMONNE, MARAUDIN
MARAUDIN.
Qui, cette autorité qu’un Frère vous confie,
Est reconnue en Haute et Basse Normandie :
J’ai volé vers Gisors, et traversant Rouen,
Repassé par Avranches, et de Falaise à Caen.
Madame, il était temps ; car prompts à se dédire,
Nos Normands commençaient par tout à vous détruire :
Barbarin votre Frère, à Rouen revenu,
Déjà dans ces Cantons n’était plus reconnu ;
Et ce Prévôt altier, accusé d’injustice,
De ses fraudes devait recevoir le supplice.
J’ai vu par ces faux bruits tout ce Peuple ébranlé,
Mais j’ai parlé, Madame, et ce Peuple a tremblé :
J’ai dit que Barbarin était de son affaire,
Sorti blanc comme neige, et que plein de colère
Il revenait ici plus fier, plus orgueilleux,
Se venger hautement de tous ses envieux.
SIMONNE.
Il revient en effet, c’est une chose sûre ?
MARAUDIN.
Que sa Femme nous va donner de tablature !
Il la verra, Madame, et va plus que jamais,
Se laisser enchanter par ses puissants attraits.
Elle va nous confondre et jouer de son reste.
SIMONNE.
Ne craignez rien, j’ai su parer ce coup funeste,
Et par un artifice, obtenir un Arrêt,
Qu’à faire exécuter, un Exempt est tout prêt.
MARAUDIN.
Expliquez-vous...
SIMONNE.
J’ai su par mes intelligences,
Donner à Barbarin d’étranges défiances ;
J’ai même fait partir deux faux témoins exprès,
Dont ici, grâce au Ciel, on ne manqua jamais :
Ils ont jusqu’à Rouen été trouver mon Frère,
Et sous le faux semblant d’un avis salutaire.
Contre sa femme ils l’ont si fortement aigri,
Qu’il l’a fait condamner pour le Mississipi.
MARAUDIN.
Il n’en faut point douter, ce coup est nécessaire ;
Mais avez-vous prévu si l’Officier austère,
Qui commande en ces lieux le parti de Dragons,
Que l’on a depuis peu logés dans nos maisons :
Si Cléon, ce Marquis si fier de sa noblesse,
Souffrira que l’on ose enlever son Hôtesse
Il est loge chez elle, il peut dans son courroux...
Mais le voici lui-même.
SIMONNE.
Allons, retirons-nous.
Scène II
CLÉON, JOLI-CŒUR, MARAUDIN
CLÉON.
Simonne et Maraudin s’éloignent de ma vue ?
Par-là leur trahison ne m’est que trop connue !
Maraudin, demeurez : vous êtes un fripon ;
Je vous ferai donner mille coups de bâton.
MARAUDIN.
Monsieur...
CLÉON.
De Barbarin vous empoisonnez l’âme,
Tous étiez d’un complot tramé contre sa femme.
Je voudrais bien savoir ce qu’elle vous a fait ?
Il faut avoir du moins des raisons quand on hait ;
Mais vous n’en avez point ; vous les feriez connaître,
Et vous n’êtes méchant seulement que pour l’être.
Quel caractère affreux ! se peut-il tolérer ?
Jamais fit-on du mal sans en rien espérer ?
Quoiqu’il en soit, sachez que je prends la défense
De celle contre qui s’armait votre insolence :
Vous savez de quel bois se chauffent les Dragons.
MARAUDIN.
Monsieur...
CLÉON.
C’en est assez, tournez-moi les talons.
Scène III
CLÉON, JOLI-CŒUR
CLÉON.
Joli-Cœur, que dis-tu ? Quoi sans ton arrivée,
La belle Marianne allait être enlevée ?
JOLI-CŒUR.
Oui, Monsieur, un Exempt, dont j’ignore le nom,
Chargé d’Ordres secrets, était dans sa maison.
Il avait tout au moins douze Archers à sa suite,
Fiers comme des Césars, enfin tous gens d’élite,
Et qui déjà par tout avaient jette l’effroi.
Quand j’ai crié soudain, à moi Dragons, à moi :
Ils ont paru : l’Exempt et sa brave cohorte,
On pris tout aussitôt le chemin de la porte,
Et leurs jambes alors les servant à propos,
De cent coups de bâton ont garanti leur dos.
CLÉON.
Ah ! mon cher Joli-Cœur, tu m’as rendu la vie ;
Quoi ! sans toi Marianne, hélas m’était ravie !
Et mon amour...
JOLI-CŒUR.
Ah ? ah ! voici du fruit nouveau :
Vous avez donc enfin donné dans le panneau ?
Vous qui pour le beau sexe aussi froid qu’une souche.
Ne l’abordiez jamais qu’avec un œil farouche ?
Vous qui voulez passer par tout pour vertueux,
De la femme d’un autre on vous voit amoureux ?
CLÉON.
Les beautés de Paris, parleurs minauderies,
Par leurs airs affectés, par leurs coquetteries,
M’avaient contre l’amour déchaîné tellement,
Que de n’aimer jamais, j’avais fait le serment :
De leurs chignons frisés la bizarre structure,
De leurs nouveaux Paniers la ridicule amplure,
Et surtout de leur cœur tous les plis et replis,
Pour elles ne m’avaient inspiré que mépris.
Mais j’ai vu Marianne, une beauté si pure
Tire tout son éclat de la simple nature :
Jamais dans son maintien aucun air affecté ;
Jamais dans ses discours la moindre fausseté.
Cette rare vertu, de tous les lieux bannie,
L’aimable vérité, qui dans la Normandie
N’avait pu jusqu’ici trouver d’appartement,
Sur ses lèvres habite, et loge incessamment ;
Et voilà ce qui fait que je brûle pour elle,
Mais c’est d’une manière à vrai dire nouvelle,
C’est sans en rien attendre et sans rien désirer.
JOLI-CŒUR.
Bon, quel conte ! aima-t-on jamais sans espérer ?
Vous nous la donnez belle avec un tel langage ?
CLÉON.
Excusez-mol, je suis à mon apprentissage :
Je te dirai bien plus, j’ignore encor comment
On doit s’y prendre à faire un tendre compliment ;
Mais, j’entends Marianne, évitons sa présence,
Je crains de proférer quelque mot qui l’offense.
JOLI-CŒUR.
Dites-lui franchement ce que sent votre cœur.
CLÉON.
Non, je suis trop timide, et j’ai trop de pudeur.
Scène IV
MARIANNE, ARLEQUIN, DEUX SUIVANTES
MARIANNE.
Je suis tout effrayée, à peine je respire,
Arlequin, demeurez ; et vous, qu’on se retire.
Un fauteuil, sans cela je ne pourrais parler.
Qu’on me cherche Cléon ?
ARLEQUIN.
Il vient de s’en aller.
MARIANNE.
Hé bien dans un moment dites-lui qu’il revienne ;
En l’attendant, il faut que je vous entretienne.
Scène V
MARIANNE, ARLEQUIN
MARIANNE.
Enfin, sage Vieillard, vous voyez mes chagrins ;
Et si de mon Époux, sans raison je me plains :
Je ne vous parie point de ce nouvel outrage ;
De mon cruel Époux vous connaissez la rage,
Ivrogne, libertin, joueur, traître, jaloux,
Toujours m’injuriant, ou me rouant de coups ?
Vous fûtes le témoin de mon triste hyménée ;
Ah ! que j’en ai maudit mille fois la journée !
Depuis ce temps, hélas ! que de cruels ennuis !
Que de malheureux jours !
ARLEQUIN.
Et de mauvaises nuits ?
À qui le dites-vous ? feu Monsieur votre Père,
Cet honnête Normand, qui fut si débonnaire,
Qu’à personne en sa vie il ne dit oui ni non,
N’a-t-il pas eu de lui mille coups de bâton ?
C’était dans cet endroit, je reconnais la place ;
Là, votre frère encore eut la même disgrâce ;
Hélas ! depuis ce temps, ils n’ont pas été loin,
Tous deux de Médecins n’eurent pas grand besoin,
Pour aller voyager bientôt dans l’autre monde.
MARIANNE.
C’est sur ces traitements que ma raison se fonde,
Pour quitter un Époux que je ne puis souffrir,
Et qui ne cherche enfin qu’à me faire périr.
Déjà sur mon dessein j’ai consulté ma Mère ;
Ma fille, a-t-elle dit, vous ne sauriez mieux faire ;
Prenez sans différer le chemin de Paris ;
Mais sur tout avec vous emmenez vos deux Fils.
ARLEQUIN.
C’est parler sagement ; car certaine Sorcière,
Qui vous prédit jadis la mort de votre Père,
Vous dit en même temps que vos deux Fils et vous,
Vous pourriez bien un jour périr des mêmes coups,
Mettez donc à couvert ces trois têtes si chères ;
Et pour que vos Enfants entendent les affaires,
À Paris mettez-les chez un bon Procureur ;
Désintéressé, franc, habile et plein d’honneur,
(S’il s’en peut rencontrer.) Je serai du voyage ;
Quand je ne ferais pas prudent, discret et sage,
Mon âge suffirait pour ôter tout soupçon ;
Je m’offre à vous servir par tout de chaperon.
Mais, Madame, avez-vous une voiture prête.
MARIANNE.
Pour me la refuser, Cléon est trop honnête ;
Je vais lui demander, et vous de votre part,
Allez tout disposer pour notre prompt départ.
Scène VI
MARIANNE, CLÉON
MARIANNE.
Monsieur, vous voulez bien que je vous remercie,
Vos Dragons ce matin m’ont à propos servie ;
Ils ont tous fait merveille ; hélas ! sans leur secours
Dans le Mississipi j’allais finir mes jours.
CLÉON.
Madame, en vérité c’eût été grand dommage,
Qu’un objet si charmant eue reçu cet outrage.
Votre Mari devrait être assommé de coups,
De former des projets si cruels contre vous.
MARIANNE.
Ah ! vous ne savez pas la centième partie,
Des tourments qu’avec lui depuis longtemps j’essuie.
Mais laissons le passé, songeons à l’avenir ;
Connaissant ses desseins je veux les prévenir.
Je prétends pour jamais quitter la Normandie,
Pour aller à Paris finir ma triste vie :
Mon Mari, m’a-t-on dit, arrive incessamment,
Et je voudrais partir dans ce même moment :
Ainsi pour ce départ, Monsieur, je m’imagine.
Que vous me voudrez bien prêter votre Berline,
Et me faire escorter par six de vos Dragons ?
Pour me mettre à couvert de toutes trahisons.
Vous ne répondez rien à mes humbles instances ?
Cependant je vous faits me semble assez d’avances.
Ce silence, Monsieur, serait-il un refus ?
CLÉON.
Non, vos prières sont des ordres absolus.
Mais, Madame, excusez un généreux scrupule,
Qui pour un Officier paraîtra ridicule :
Vous êtes mariée, et je plains votre Époux,
Il sera trop puni s’il se voit loin de vous.
Il ne vous verra plus, grâces à son injustice,
Et je sens qu’il n’est point de plus cruel supplice.
Vos yeux doux et charmants... mais qu’est-ce que j’ai fait !
Je vous ai découvert, je pense mon secret.
MARIANNE.
La déclaration, quoiqu’à vrai dire, obscure,
Paraît à mon honneur une cruelle injure :
Un autre à vos discours voudrait n’entendre rien.
Mais, malgré ma vertu, moi je vous entends bien.
Je vois que vous m’aimez ; et comme je suis bonne.
Je plains votre faiblesse, et je vous la pardonne.
Quoiqu’un juste courroux en dût être le prix,
Pour il peu ; doit-on rompre avec ses bons amis
Je sais bien qu’on ne peut jamais m’aimer sans crime,
Et pourtant j’ai toujours pour vous la même estime.
Pour la première fois c’est vous donner beau jeu.
Si vous m’entendez mal, c’est votre faute. Adieu.
Scène VII
CLÉON, JOLI-CŒUR
JOLI-CŒUR.
Que veut dire cela, vous changez de visage ?
Morbleu, la Dame en tient, allons, Monsieur, courage.
CLÉON.
Non, c’est une action qui n’est pas d’un grand cœur.
Que de vouloir séduire une femme d’honneur.
JOLI-CŒUR.
Morbleu, d’un Officier est-ce-là le langage ?
Vous qu’on a vu cent fois au milieu du carnage...
CLÉON.
Hélas ! lorsqu’à Paris j’étais petit collet,
Je n’aurais pas été si sage et si discret.
À l’ombre d’un manteau, plus hardi, plus alerte,
J’aurais pris aux cheveux l’occasion offerte.
Mais je suis Colonel, et cette qualité,
Me donne auprès du Sexe une timidité,
Qui malgré mon amour me retient et m’arrête ;
Marianne m’a fait un compliment honnête,
Je prétends la servir, la venger, et c’est tout.
Bien plus à se guérir mon âme se résout.
Comme sur ma vertu toujours je me retranche...
Mais que veut ce jeune homme avec sa barbe blanche.
Scène VIII
CLÉON, JOLI-CŒUR, ARLEQUIN
ARLEQUIN.
Mariamne, Monsieur, m’a dit de vous chercher,
Pour savoir, si bientôt les chevaux, le Cocher,
Auront mangé l’avoine : Elle veut tout à l’heure
Monter dans sa Berline, et changer de demeure.
CLÉON.
Pour les faire hâter, Joli-Cœur allez-y.
Scène IX
CLÉON, ARLEQUIN
CLÉON.
Enfin cette beauté va donc partir d’ici ;
Grêle, vents furieux, Tonnerre, pluie, orage,
Gardez-vous de troubler le cours de son voyage ;
Soleil, luis sur la route afin de la sécher,
Chevaux qui la traînez, gardez-vous de broncher :
Et vous qui conduisez à Paris cette belle,
Que vous ferez heureux, vous vivrez auprès d’elle !
ARLEQUIN.
Ah ! ah ! vous aimez donc Marianne, indiscret,
Quel besoin de m’apprendre ainsi votre secret ?
Vous êtes bien badaud, il faut que je le dise,
Mais baste ce n’est pas la dernière sottise,
Que vous ferez peut-être avant la fin du jour.
Scène X
CLÉON, seul
Il a parbleu raison, avec mon sot amour,
Qui ne sait ce qu’il veut, qui n’est d’aucun usage.
Je l’avouerai, je joue un fort sot personnage.
La Cour m’envoyé ici, j’y suis depuis un mois,
Pour y rétablir l’ordre et calmer le Bourgeois ;
Et pour premier Exploit, sans craindre qu’on me blâme,
Du Prévôt par mes soins en enlève la femme,
Comment ; si j’ignorais que jamais on ne doit,
Entre l’arbre et l’écorce, aller mettre le doigt.
Scène XI
CLÉON, GRIFFON
GRIFFON.
Monsieur, préparez-vous, notre Prévôt arrive,
Au devant de ses pas, chacun court sur la rive :
Comme il sait son devoir, il vient publiquement
Vous faire sa harangue ou bien son compliment
Suivi pompeusement des tambours de la Ville.
CLÉON.
Dites lui que ce soin est assez inutile :
De tous ces vains honneurs je m’embarrasse peu,
On y fait bonne mine et souvent mauvais jeu.
GRIFFON.
Quoi ! de notre Prévôt vous fuyez la présence ?
CLÉON.
Contre sa femme il peut user de violence.
Simonne et Maraudin sont des gens que je crains,
Et qui peuvent avoir de dangereux desseins,
Je dois les prévenir dans l’ardeur qui m’anime,
Et mon premier devoir est d’empêcher le crime.
Scène XII
GRIFFON, seul
Disons ici deux vers, afin que Barbarin
Ne puisse rencontrer Cléon dans son chemin.
Scène XIII
BARBARIN, MARAUDIN
BARBARIN.
Que veut dire ceci, Cléon aussi me quitte ?
À qui donc venait-il ici rendre visite ?
Suis-je dans mon logis, ou s’il est dans le sien ?
C’est, à dire le vrai, ce qu’on ne sait pas bien ;
Mais ce qui me surprend, et ce qui m’embarrasse,
Il a l’ordre absolu de me remettre en place,
Je ne saurais sans lui, rentrer dans mon Emploi ;
Et quand j’arrive il joue aux barres avec moi ;
Sans ravoir vu, je n’ose ici parler en Maître,
Et je ne le verrai de tout le jour peut-être.
Je ne comprends pas bien cette conduite là,
Ni tout ce que je dois soupçonner de cela.
Quoi qu’il en soit, sortez vous autres, qu’on me laisse.
Maraudin, demeurez : accablé de tristesse,
Je voudrais avec vous un peu me lamenter,
Ô Ciel !
MARAUDIN.
Quoi ! vous pleurez ? voilà bien débuter !
Comment : ce Barbarin triomphant, plein de gloire,
Qui sur ses envieux remporte la victoire,
Que j’ai peint anime des plus vives fureurs,
Commence en arrivant à répandre des pleurs !
Est-ce là ce Prévôt si fier et si sévère ?
BARBARIN.
Ah ! Mon ami, j’ai bien changé de caractère,
Je suis défiguré d’une telle façon,
Qu’on me méconnaîtrait aujourd’hui, sans mon nom.
MARAUDIN.
Vous avez l’air galant, et des plus à la mode,
Et l’on ne dira pas qu’il est plus vieux qu’Hérode.
BARBARIN.
Sais-tu bien d’où je viens dans ce même moment ?
MARAUDIN.
Non.
BARBARIN.
De voir Marianne en son appartement :
Je me suis dérobé sans rien dire à personne,
J’ai trompé tous mes Gens, jusqu’à ma Sœur Simonne.
MARAUDIN.
Marianne a sauté d’abord à votre cou ?
BARBARIN.
Non, j’ai voulu sauter au sien.
MARAUDIN.
Êtes-vous fou ?
Quoi ! malgré les sujets de colère et de haine,
Que vous a jusqu’ici donné cette inhumaine,
Vos respects dangereux nourrissent sa fierté.
BARBARIN.
Elle me hait. Hélas : je l’ai bien mérité.
Après le traitement que j’ai fait à son Père,
Je devrais bien m’attendre à toute sa colère.
C’en est fait, à m’aimer je prétends l’engager ;
Et de tous mes défauts je veux me corriger,
Je veux des bons maris devenir le modèle,
Et par mon repentir, me rendre digne d’elle,
En un mot je prétends vivre en homme de bien,
Et gagner tous les cœurs pour mériter le sien,
Il le faut avouer, j’ai dans la Normandie,
Hanté jusqu’ici mauvaise compagnie ;
Quoiqu’on me fasse accueil en cent lieux différents,
Je n’ai pas un ami qui me prêta vingt francs.
Ma Sœur vindicative, arrogante, sévère,
N’a dans le fond du cœur jamais aimé son frère,
Elle est bigote, enfin, c’est tout dire, et jamais,
Elle ne m’inspira, que des conseils mauvais :
Toutes ces prudes là ne vaillent pas la maille,
De chez moi dans ce jour je veux qu’elle s’en aille,
Et que ma femme soit maitresse en ma maison.
MARAUDIN.
Quoi ! Monsieur, vous voulez...
BARBARIN.
Je le veux, j’ai raison,
Allez-vous-en trouver tout de ce pas ma femme,
Peignez lui les remords qui déchirent mon âme,
Et le vrai repentir que je sens dans mon cœur ;
Peignez lui mon amour... mais on vient, c’est ma Sœur.
Scène XIV
BARBARIN, SIMONNE
SIMONNE.
Hé bien, vous venez donc de voir votre Pimbêche ;
Est-elle toujours fière, et toujours pigrièche,
Ayez-vous bien encore essuyez des mépris ?
BARBARIN.
Ma sœur, n’aigrissez plus, s’il vous plaît, mes esprits,
Et ne me rompez-pas la tête davantage :
Depuis assez longtemps vous brouillez mon ménage,
Je m’en lasse à la fin, je vous le tranche net,
Pour sortir de chez moi faites votre paquet,
Délogez sans trompette.
SIMONNE.
Ah ! quelle ignominie !
BARBARIN.
Un Prévôt vous l’ordonne, un frère vous en prie,
Faites le diable à quatre, emportez-vous, pestez,
Murmurez, plaignez-vous, plaignez-moi, mais partez.
SIMONNE.
Je ne me plaindrai point de voir votre âme dure,
À votre passion immoler la nature,
Je n’attends pas de vous ces tendres mouvements,
De l’amour fraternel trop justes sentiments ;
Je sais qu’en vos pareils, le sang ne touche guère,
Et qu’un Prévôt Normand ferait pendre son Père ;
Mais croyez-vous qu’après ce que vous avez fait,
Marianne oubliera jamais ce dernier trait ?
Après ce que contre elle on vous vit entreprendre.
BARBARIN.
Non, ma Sœur, taisez-vous, je ne veux rien entendre ;
Je crois que par vos soins je fus toujours trahi,
Et que sans vous enfin j’eusse été moins haï.
SIMONNE.
Ah ! c’est trop endurer un discours qui m’offense,
Dussiez-vous m’en punir, je romprai le silence,
Frère dénaturé, benêt, crédule Époux,
Pauvre dupe, apprenez ce qui se fait chez vous.
C’est peu que Marianne orgueilleuse et sévère,
Dans ses rigueur, pour vous jusqu’au bout persévère,
Et que de ses mépris vous soyez convaincu,
C’est peu de vous haïr, elle vous fait cocu.
BARBARIN.
Elle me fait cocu ! pouvez-vous bien, cruelle,
Annoncer à mon front une telle nouvelle !
Nommez-moi, nommez-moi, l’indigne suborneur.
SIMONNE.
Vous le voulez ?
BARBARIN.
Parlez, je l’ordonne.
Scène XV
BARBARIN, SIMONNE, MARAUDIN
MARAUDIN.
Ah ! Monsieur ;
Venez, ne souffrez pas que le crime s’achève.
Votre Épouse vous fuit, et Cléon vous l’enlève.
BARBARIN.
Marianne ! Cléon ! qu’entends-je ! justes Cieux !
MARAUDIN.
Cléon et ses Dragons sont sortis de ces lieux,
Il les a tous conduits au-delà de la porte,
Il place auprès des murs une secrète escorte,
Marianne dans peu le doit aller chercher,
Monter dans sa Berline, et puis touche Cocher.
BARBARIN.
Ah tête !‘ ah ventre ! ah mort ! courons à la vengeance,
On verra ce que c’est qu’un Prévôt qu’on offense !
Surprenons l’infidèle ; et quant à son Mignon,
Je prétends lui jouer un tour de ma façon.
Déjà pour commencer, dans l’ardeur qui m’enflamme.
Je vais dire par tout qu’il couche avec ma femme.
SIMONNE.
La plaisante vengeance, et pendant ce temps-là !
Marianne avec lui de ces lieux partira.
Ordonnez qu’on l’arrête en toute diligence,
Et confiez le soin du reste à ma prudence ;
Cependant, dans ma chambre allez vous reposer.
BARBARIN.
Non, ma Sœur, je voudrais l’entendre un peu jaser
Elle ignore à quel point la rage me surmonte,
Je prétends la confondre et la couvrir de honte ;
Jouir de sa douleur...
SIMONNE.
Mon Frère, je crains bien...
BARBARIN.
Je vous réponds de tout, ma Sœur, ne craignez rien,
Je n’ai pas, grâce au Ciel, comme on sait le cœur tendre,
C’est pour la mieux punir que je prétends l’entendre.
Je veux que son aspect augmente mon courroux.
Qu’on la fasse venir ; et vous, retirez-vous.
Scène XVI
BARBARIN, seul
À quoi te résous-tu ? que veux-tu davantage !
Quoi n’es-tu pas assez instruit de ton dommage ?
Époux infortuné, faut-il pour t’animer,
Que ta femme elle-même ose le confirmer ?
Vas-tu lui demander pour mieux savoir la chose,
Qui ? quoi ? par quels secours ? le temps, le lieu, la cause ?
Comment... Ah ! sans vouloir chercher plus de clarté,
Ne te suffit-il pas de l’avoir mérité ?
Si les meilleurs maris et les plus raisonnables,
Ne sont pas à couvert de disgrâces semblables,
Cruel, brutal, jaloux, osais-tu te flatter,
Que de la Confrérie on voulut t’excepter ?
Rends-toi, rends-toi justice, et sans tant de scrupule
Comme ceux que tu vois, avale la pilule ;
Mais voici Marianne, et je sens la fureur,
Qui vient tout de nouveau s’emparer de mon cœur.
Scène XVII
BARBARIN, MARIANNE, soutenue par DEUX SUIVANTES
MARIANNE.
Que vois-je ? où suis-je ? où vais-je ? ah ! ma force succombe,
Filles, soutenez-moi, de peur que je ne tombe :
Ah ! j’ai crû voir le diable en voyant mon Époux,
Hé bien, pour quel dessein ici m’appelez-vous ?
Est-ce pour m’assommer ? dépêchez au plus vite,
Du tourment qui m’attend, je voudrais être quitte.
BARBARIN.
Non, non, auparavant je veux vous écouter :
Dites quelle raison vous faisait me quitter ?
À quoi tendait enfin ce beau pèlerinage ?
Quand on a de l’honneur, quitte-t-on son ménage ?
MARIANNE.
Pouvez-vous de ma suite ignorer le sujet,
Barbare Époux ! après ce que vous m’avez fait ?
Et jamais un Breton dans sa plus grande ivresse,
Traita-t-il une femme avec plus de rudesse ?
Et vous osez vous plaindre et demander pourquoi
J’ose sans votre aveu m’éloigner de chez moi ?
Quoiqu’ici votre esprit malin vous persuade,
Vous savez bien que c’est ma première escapade,
Depuis plus de cinq ans que je vis dans vos fers,
Chaque jour exposée à cent chagrins divers,
Voulant me retirer d’un cruel esclavage,
Je m’étais résolue enfin à ce voyage.
BARBARIN.
Et pour dans le chemin ne vous point ennuyer,
Vous allez voyager avec un Officier,
Et de Dragons encor : la partie est jolie,
Et mon front...
MARIANNE.
Ah ! tout doux, arrêtez je vous prie,
Et ne m’insultez pas par vos soupçons jaloux,
Respectez Marianne, et même son Époux.
BARBARIN.
Perfide, il vous sied bien de proférer encore
Un nom que votre amour aujourd’hui déshonore.
MARIANNE.
Ah ! ne le croyez pas. Non, d’un honteux affront,
Votre femme jamais ne tacha votre front :
Vous le méritiez bien, après vos injustices,
Vos cruels traitements, vos bizarres caprices :
Mais vous aviez pour femme un Phénix en vertu,
Et qui vous eût aimé si vous l’aviez voulu.
BARBARIN.
Hé bien ! faisons la paix, quand tu serais traîtresse,
Je te pardonne tout, et te rends ma tendresse ;
Considère par-là l’amour que j’ai pour toi,
Et me voyant si bon, en revanche, aime-moi.
Va, touche dans la main.
MARIANNE.
Ah ! que voulez-vous faire,
Songez que votre main a maltraité mon père !
BARBARIN.
Hé bien, oui, tu te plains avec juste raison,
Oui, ton père expira sous mes coups de bâton ;
Mais tu dois oublier un si sensible outrage,
Songe qu’à cet oubli mon repentir t’engage ;
L’effort de ces vertus que renferme ton sein,
Consiste à pardonner, surtout à ton prochain.
MARIANNE.
Ah ! si ce repentir était bien véritable !
BARBARIN.
Oui, rien n’est plus sincère, ou je me donne au diable.
Si du passé je puis obtenir le pardon,
Tu me verras plus souple et plus doux qu’un mouton
Ensemble nous vivrons dans nos ardeurs fidèles,
Comme des vrais agneaux, comme deux tourterelles ;
Sans cesse jour et nuit je te caresserai,
Je te bouchonnerai, baisserai, mangerai :
Quelle preuve veux-tu de mon amour extrême ?
Veux-tu me voir pleurer, me voir battre moi-même ?
Veux-tu que je m’arrache un côté de cheveux ?
Veux-tu que je me tue ? oui, dis si tu le veux ?
Je suis tout prêt...
Scène XVIII
BARBARIN, MARIANNE, GRIFFON
GRIFFON.
Monsieur, Cléon est dans la place.
Il fait le Diable, il jure, il tempête, il menace,
Il vient, il va paraître, et veut dans son dépit...
BARBARIN.
Holà, je me dédis de tout ce que j’ai dit,
Ah perfide ! ah guenon ! ah traitresse ! ah friponne !
Quoi ! dans le même temps que mon cœur vous pardonne...
MARIANNE.
Allez, vous radotez, un si prompt changement
Révolte tout le monde et n’a nul fondement,
Et je dois être mise au nombre des plus folles
De m’être ainsi rendue à vos tendres paroles,
Après tous mes malheurs, c était bien à mes yeux
De vous lancer encor des regards amoureux !
Mais supposé tantôt que je fusse coupable,
Depuis votre pardon, qu’ai-je fait de blâmable ?
Puis-je... mais si Cléon touché de mes malheurs,
Veut peut-être empêcher l’effet de vos fureurs.
Puisqu’ainsi, sans sujet s’enflamme votre bille,
Cette Scène si tendre était bien inutile.
BARBARIN.
J’agis sans règles, moi, je me mets au-dessus.
Mais c’est trop écouter des discours superflus ;
Qu’on me l’a garde ici liée et garrottée,
Et vous braves Records dont la troupe augmentée.
Par la Maréchaussée, et la Pousse, et le Guet,
Est plus que suffisante à remplir mon projet,
Venez vous retrancher au-devant de ma porte,
Et surtout empêchez qu’aucun n’entre ou ne sorte :
Les Dragons de Cléon autre part dispersés,
Ne seront pas sitôt en un corps ramassés,
Nous serons six contre un avant qu’il les rassemble.
Hâtons-nous et surtout qu’aucun de vous ne tremble.
C’est tout ce que je crains...
Scène XIX
BARBARIN, MARIANNE, SIMONNE, ARCHERS
SIMONNE.
Mon Frère, où courrez-vous ?
Ah ! voici les Dragons qui viennent, sauvons-nous,
Ils veulent de vos mains arracher Marianne ;
Maraudin a déjà reçu cent coups de canne.
BARBARIN.
Allons... je veux... j’ordonne... il faut... ah ! malheureux...
Je m’égare, et ne sais ma foi ce que je veux.
Scène XX
MARIANNE, seule
Tandis que l’on se bat, et qu’un moment me reste.
Composons quelques vers sur mon destin funeste :
Les stances n’étant plus à présent de saison,
En vers Alexandrins faisons notre Oraison,
Ô Ciel ! fut-il jamais plus triste destinée,
De parents opulents en ces lieux je suis née,
Tous Prévôts ou Baillis, et pour tout dire enfin,
Mon Père était issu de sang Chicanéen.
À quinze ans mille attraits brillaient sur mon visage,
J’étais belle et bien faite, et surtout j’étais sage ;
On voulait m’épouser sitôt qu’on me voyait,
Que de coups de chapeau mon Père recevait !
Mais il refusait tout. Hélas ! on peut bien dire,
Qu’en voulant choisir, souvent on prend le pire,
Pour Barbarin enfin mon Père décida,
Et quelque temps après cet amant m’épousa.
Pendant les premiers jours il était doux, traitable,
Mais au bout de deux mois, hélas ! ce fut un diable.
À mon Père en un an il fit trente procès ;
Et les ayant perdus, s’en vengea tôt après.
Il l’assomma de coup. Ô souvenir terrible !
Mais parlons du présent, il est bien plus sensible,
Il me faut donc partir pour le Mississipi,
Sans que de ses soupçons mon mari soit guéri ;
Et pour dire encore plus, dans mon état funeste
On m’ôte pour si peu de vertu qui me reste :
Il faut donc sans honneur m’éloigner de ces lieux,
Mais qu’est ce que j’entends ! et quel tapage affreux !
À grands coups redoublés, on enfonce la porte.
Et qui peut donc ainsi s’en venir à main forte !
Je ne sais que penser ! que vois-je ! c’est Cléon,
Il vient me secourir, hélas, qu’en dira-t-on ?
Scène XXI
MARIANNE, CLÉON, DRAGONS, ARCHERS
CLÉON.
Archers disparaissez, fuyez troupes pagnottes,
Les Archers s’en vont.
Et vous braves Dragons, mettez-leur les menottes.
Allons Madame, allons, suivez-moi promptement,
Tandis que mes Dragons combattent vaillamment :
Je me suis doucement esquivé sans rien dire,
Souffrez que dans ces lieux en hâte on vous retire.
Le temps presse, venez.
MARIANNE.
Halte-là, s’il vous plaît,
Respectez mon honneur, laissez-le tel qu’il est ;
Les soupçons d’un Époux n’y sont que trop d’outrage,
Sans que l’on aille encore l’altérer davantage.
Quand Barbarin combat et se trouve en danger,
Je dois moins que jamais de ces lieux déloger :
De mon Époux encor la personne m’est chère ;
Je tremble pour ses jours !...
CLÉON.
La plaisante chimère,
Quoi ! cet Époux cruel, furieux, et jaloux...
MARIANNE.
Tout ce qu’il vous plaira, c’est toujours mon Époux.
CLÉON.
Il ne s’en souvient plus.
MARIANNE.
Je m’en souviens encore,
Ce nom m’est précieux.
CLÉON.
Mais il le déshonore.
MARIANNE.
Hé bien, c’est son affaire.
CLÉON.
Il consent aujourd’hui,
À ne vous plus revoir.
MARIANNE.
Hé bien, tant pis pour lui.
CLÉON.
Il vous hait à la mort.
MARIANNE.
Tant mieux, cela me flatte.
CLÉON.
Il peut vous maltraiter.
MARIANNE.
Et je veux qu’il me batte.
CLÉON.
Pour le Mississipi...
MARIANNE.
Je n’en ai point d’effroi.
CLÉON.
Il vous fait embarquer.
MARIANNE.
Vous n’irez pas pour moi.
CLÉON.
Ah ! je perds patience, et de bon cœur j’enrage ;
Mais c’est trop m’amuser à tout ce badinage :
Retournons au Combat qu’il fallait achever,
Avant que de venir ici vous retrouver.
Scène XXII
MARIANNE, seule
Arrêtez ; où va-t-il cet étourdi ? je tremble ;
Mais c’eut été bien pis, qu’on nous eut vus ensemble,
Peloter les bons mots, et nous les renvoyer,
Pour voir à qui des deux resterait le dernier.
Tandis que c’est pour moi qu’on se bat, qu’on se tue,
Que mon mari peut-être expire dans la rue,
Et que d’ailleurs Cléon qui fait tout ce fracas,
Laisse battre ses gens, et ne s’y trouve pas.
Scène XXIII
MARIANNE, ARLEQUIN
MARIANNE.
Mais ! je vois Arlequin, hé bien ! quelles nouvelles ?
ARLEQUIN.
Ah ! Madame, vraiment j’en apporte de belles.
MARIANNE.
Que viendrais-tu m’apprendre ? est-ce que mon Époux...
ARLEQUIN.
Ne craignez rien pour lui, ne craignez que pour vous,
Allez, Cléon et lui sont d’une égale force,
Et si leurs pistolets avaient eu de l’amorce,
On aurait vu beau jeu.
MARIANNE.
Mais, pourquoi me dis-tu
Que je craigne pour moi ? que sais-tu ? qu’as-tu vu ?
ARLEQUIN.
Je n’ai rien vu de près, mais on m’a dit, Madame,
Que votre Époux, suivant la fureur qui l’enflamme,
Avant que de combattre, avait chargé Zarés,
D’exécuter ici quelques ordres secrets :
Cet Huissier est poltron autant que je puis l’être,
Et je viens vous défendre, il n’a plus qu’à paraître.
MARIANNE.
Non, non, le Ciel m’inspire un plus noble dessein,
Et mon honneur m’invite à faire un coup de main ;
Aux pieds de mon Époux, je vais porter ma tête.
ARLEQUIN.
Et s’il va la couper ? ne soyez pas si bête.
MARIANNE.
N’importe, sans trembler, je prétends aujourd’hui,
M’offrir à tous les coups qu’on va lancer sur lui.
Scène XXIV
ARLEQUIN, seul
Tandis que d’un côté Marianne s’esquive,
De l’autre son Époux au même instant arrive,
Ma foi, c’est un hasard qu’ils ne se soient point vu.
Scène XXV
BARBARIN, GRIFFON, armé ridiculement
BARBARIN.
Hé bien, Braves Records, nous avons le dessus,
Cléon hors de combat, blessé d’un coup de pierre,
Plusieurs de ses Dragons par nous couchés par terre ;
Ont obligé le reste à s’éloigner d’ici,
Sans que leur beau projet ait enfin réussi.
Du nombre, il est bien vrai, nous avions l’avantage ;
Mais le nombre n’est rien, si l’on n’a du courage,
Vous en avez fait voir, je suis content de vous.
GRIFFON.
Je crains bien que Cléon ne revienne sur nous,
Ses Dragons sont mutins, s’il faut qu’il les rallie.
BARBARIN.
Et que me seront-ils ? Marianne est partie,
Ou doit l’être du moins, Zarés secrètement,
A dû tout préparer pour son embarquement.
Cependant dans mon cœur des alarmes secrètes...
Mais effaçons son nom de dessus mes tablettes.
Elle fut infidèle, et me fit enrager,
C’était trop à la fois, il n’y faut plus songer,
Prenons que je sois veuf. Mais hélas je frissonne,
Que vois-je ! à la douleur mon âme s’abandonne :
Qu’est-il de plus touchant, que de voir Arlequin,
Les yeux baignés de pleurs, un mouchoir à la main,
Venir taire un récit, et pathétique et tendre ?
Scène XXVI
BARBARIN, GRIFFON, ARLEQUIN, ARCHERS
BARBARIN.
Ah ! mon cher Arlequin, que venez-vous m’apprendre ?
Marianne est partie apparemment.
ARLEQUIN.
Hélas.
Aïe... ouf...
BARBARIN.
Expliquez-vous, et ne sanglotez pas.
ARLEQUIN.
Je ne saurais parler tant ma douleur est forte,
Ma voix ne peut sortir et demeure à la porte.
BARBARIN.
Tous ces retardements sont ici superflus ;
Où Marianne est-elle ?
ARLEQUIN.
Hélas ! elle n’est plus.
BARBARIN.
Qu’entends-je ? elle est partie !
ARLEQUIN.
Apprenez davantage ;
À mes yeux, le vaisseau vient de faire naufrage.
BARBARIN.
Quoi ! ma femme est noyée ?
ARLEQUIN.
Il le faut bien juger,
À moins que par bonheur elle ne sût nager ;
Je vous dirai bien plus, elle était innocente.
BARBARIN.
Ah r que m’apprenez-vous ? mon désespoir augmente.
Elle était innocente : ah ! je veux me tuer...
ARLEQUIN.
Souffrez auparavant que je puisse achever.
BARBARIN.
Achevez, achevez.
ARLEQUIN.
Alors qu’elle est partie,
Elle allait au combat pour vous sauver la vie ;
Et c’est dans ce moment que le traître Zarés,
L’a conduite à la mer.
BARBARIN.
Ô sensibles regrets !
Poursuivez.
ARLEQUIN.
Que dirai-je ! en passant dans la rue
On voyait sur son front la vertu toute nue,
La modeste innocence et la chaste pudeur,
Régnaient sur son visage ainsi que dans son cœur :
Son teint sage et discret, sa bouche scrupuleuse,
La candeur de ses yeux, sa gorge vertueuse...
BARBARIN.
Quel galimatias, finissez promptement.
ARLEQUIN.
Elle joint le Vaisseau, le monte sagement :
Il fait voile, et chacun lui criait bon voyage ;
Quand soudain il s’élève un furieux orage,
Dont le Vaisseau surpris, tout prêt à se noyer,
Descendait à la cave et montait au grenier.
Tant enfin qu’il survint un affreux vent de bise,
Qui contre un fier rocher en cent morceaux le brise
Apres cet accident, vous voyez bien, hélas,
Que votre femme est morte, et n’en reviendra pas.
BARBARIN, se relevant.
Quoi ! Madame est morte, et j’en suis l’homicide !
Ah, coquine de sœur ! ah traitresse ! ! ah perfide !
Mais hélas ! Je succombe, et je trouve à propos,
De prendre en ce fauteuil un moment de repos.
ARLEQUIN.
Pour calmer la douleur de ce coup qui l’assomme.
Laissons-le, s’il se peut, dormir un petit somme.
BARBARIN, revenant de sa pamoison.
Je ne sais d’où je viens, je me sens tout rêveur,
Je ne vois point ici ma femme ni ma sœur ;
Appellez Marianne.
ARLEQUIN.
En voici bien d’un autre.
BARBARIN.
Vous pleurez, Arlequin, quel chagrin est le vôtre ?
ARLEQUIN.
Marianne n’est plus : vous moquez-vous de nous
Les morts revivent-ils ?
BARBARIN.
Ah ! que me dites-vous ?
Qui vous fait me tenir un discours de la force ?
ARLEQUIN.
Avez-vous oublié que votre femme est morte ?
BARBARIN.
Quoi ! Marianne est morte ?
ARLEQUIN.
Il a perdu l’esprit,
Le pauvre homme extravague et ne sait ce qu’il dit,
Je vous viens dans l’instant d’apprendre son naufrage.
BARBARIN.
Ah ! je sens redoubler ma douleur et ma rage,
Venez, accablez-moi, Normands qui la perdez,
Noyez-moi dans vos flots, Mer qui la possédez.
Scène XXVII
BARBARIN, ARLEQUIN, GRIFFON, SCARAMOUCHE, ARCHERS
SCARAMOUCHE.
Ah ! Monsieur, apprenez une étrange nouvelle,
Votre Épouse est vivante, et dans une Nacelle,
On vient dans ce moment de l’amener à bord.
BARBARIN.
Ah, que je suis heureux ! que je bénis mon sort ;
À présent que je sais qu’elle fut toujours sage,
Je prétends désormais faire un ménage.
Messieurs, vous le voyez, ce raccommodement,
D’une Pièce Comique est le vrai dénouement,
Il faut finir ainsi, pour que la Parodie,
Ne soit point confondue avec la Tragédie.