Le Prix de l’arquebuse (DANCOURT)
Comédie en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 1er octobre 1717.
Personnages
MONSIEUR MARTIN, Prévôt
SOPHIE, Fille de Monsieur Martin
NANETTE, Nièce de Monsieur Martin
MADEMOISELLE GIRAUT, Sœur de Monsieur Martin
NICOLAS, Juge du Prix
GROS-JEAN, Juge du Prix
DORANTE, Amant de Sophie
MONSIEUR DE BRACASSAK
MADEMOISELLE DE BRACASSAK
MONSIEUR DE BARBALOU
MONSIEUR PRUNEAU
TROUPE DE CHEVALIERS DE L’ARQUEBUSE
TROUPE D’AMAZONES
TROUPE DE JOUEURS D’INSTRUMENTS, etc.
La Scène est dans une Ville de Brie.
Scène première
NANETTE, SOPHIE
NANETTE.
Hé ! qu’as-tu donc, ma chère ? Je ne te connais plus ; toi qui es la fille du pays la plus enjouée, la plus gaillarde, la plus mièvre : te voilà tout je ne sais comment ; et depuis que ton Père est devenu riche, et qu’il s’est fait Prévôt de la Ville, de simple Sergent qu’il était ; depuis qu’il regorge de richesses, et que l’on dit qu’il a trouvé un trésor ; il semble que cela te chagrine, et ta chance ne te tourne point à profit. Es-tu devenue folle ?
SOPHIE.
Je ne me soucie point de toutes ces choses-là, ma Cousine.
NANETTE.
N’est-ce point que tu aurais quelque Amoureux, dont tu serais amoureuse de ton côté, à qui tu crois que ton Père ne voudra pas te donner depuis qu’il a fait fortune lui ?
SOPHIE.
Ce n’est point cela.
NANETTE.
Serait-ce point que ton Père par aventure te voudrait de son côté donner quelque Amoureux, dont tu ne serais pas amoureuse, toi ?
SOPHIE.
Non.
NANETTE.
Non. Ah ! m’y voilà. Ne serait-ce point que tu aurais quelque Amoureux, mais bien Amoureux ; dont tu n’aurais été d’abord guères amoureuse, et puis après un peu davantage, et puis ensuite autant qu’il fallait, et puis un peu trop sur la fin ?
SOPHIE.
Quel conte me fais-tu là ?
NANETTE.
Hé ! je te fais un conte qui se trouve quelquefois une vérité : ces amours-là, vois-tu, sont dangereux quand ils augmentent. Ce n’est pas tout à fait comme la fortune de ton Père. Il se trouve parfois de petits trésors cachés, dont on est plus embarrassé qu’il ne sera du sien.
SOPHIE.
Que tu es extravagante ?
NANETTE.
Et que tu es malheureuse toi d’avoir des chagrins, et d’en faire mystère à une personne qui est plus capable que qui que ce soit de te donner du soulagement. Je ne manque, ni de talent, ni de bonne volonté. Mets-moi à l’épreuve, parles, apprends-moi le sujet de tes peines : c’est un Amant sans doute ; et je sais par expérience que la plupart des Filles de notre âge n’ont guère d’autres inquiétudes.
SOPHIE.
Il n’est point venu, ma chère Cousine.
NANETTE.
Il n’est point venu, qui ?
SOPHIE.
Ah ! je ne sais ce que je dis, je rêve.
NANETTE.
Oh ! pour le coup tu ne dissimules point. Je le vois bien, il est vrai, tu rêves à quelqu’un que tu attends, et qui ne manquera pas de venir je t’en réponds.
SOPHIE.
Il ne manquera pas de venir ? Qui te le fait croire ?
NANETTE.
Ta jeunesse, ta beauté, ton mérite, et l’amour que je vois bien que tu sens même. Il faudrait qu’il n’eût ni goût, ni discernement, ni esprit, ni reconnaissance, s’il manquait au rendez-vous que tu lui as donné.
SOPHIE.
Je ne lui ai point donné de rendez-vous vraiment ; je ne fais rien contre la bienséance ; c’est lui qui m’a écrit tout au contraire.
NANETTE.
Ah ! tu as raison ; il n’y a point de manque de bienséance à recevoir des Lettres. Et qu’est-ce c’est qu’il t’écrit, dis-moi ?
SOPHIE.
Les plus jolies choses du monde, ma chère Enfant, et il me mande qu’il en a encore cent mille plus jolies à me dire. Oh ! la conversation vaudra mieux que la Lettre.
NANETTE.
C’est ce qui fait que tu l'attends avec tant d’impatience.
SOPHIE.
Oui, je te l’avoue.
NANETTE.
Et qui est-il donc cet Amoureux-là ?
SOPHIE.
Je ne saurais te le dire ; mais je crois qu’il est de partout. Il connaît tout, il parle de tout, il n’y a rien qu’il ne sache.
NANETTE.
Et où as-tu fait cette jolie connaissance-là ?
SOPHIE.
Chez Madame Benoît à l’Ours. Il y mangeait des œufs frais en passant en poste. Il avait des affaires, et il y demeura jusqu’à la nuit, exprès pour causer avec moi.
NANETTE.
Il te trouva de l’esprit apparemment.
SOPHIE.
Oh ! il me trouva bien autre chose de plus étonnant, à ce qu’il me dit.
NANETTE.
Hé ! quoi encore ?
SOPHIE.
De la vertu, ma cousine. Il dit que quelque part om il eût été, il n’avait jamais vu de Fille qui en eût autant que moi.
NANETTE.
Voilà un heureux Voyageur !
SOPHIE.
Et c’est cela qui fait qu’il me veut épouser.
NANETTE.
Il a bien raison.
SOPHIE.
C’est sur ce ton-là qu’il m’écrit, au moins.
NANETTE.
Je ne m’étonne pas que tu trouves sa Lettre si jolie.
SOPHIE.
Oh ! je te la veux montrer, tu me diras ce que tu en penses.
NANETTE.
Ne te presse point, remettons la partie ; voilà ton Père.
SOPHIE.
Les vilaines gens qu’il a avec lui ; sa fortune ne le décanaille point.
Scène II
MONSIEUR MARTIN, SOPHIE, NANETTE
MONSIEUR MARTIN.
Où allez-vous, ma fille ?
SOPHIE.
Nulle part, mon Père, je reviendrai tout à l’heure.
MONSIEUR MARTIN.
Ne vous écartez pas, vous n’aurez pas la peine de revenir de loin. Et vous aussi, Nanette, j’ai à vous parler toutes deux, entendez-vous.
Scène III
MONSIEUR MARTIN, NICOLAS, GROS-JEAN
MONSIEUR MARTIN.
Hé bien, mes Enfants, où en sommes-nous ? Tout cela se passera-t-il comme il faut ?
GROS-JEAN.
Oh ! tastigué, ne vous boutez pas en peine, tout ira bian, c’est moi qui m’en mêle : je sais le trantran, le çarimonial de l’Arquebuse à marveille.
NICOLAS.
Hé parguenne oui, je sommes barsés avec ça ; et tous petits que j’étions, j’avons toujours eu ly et moi de la sympathie pour les Armes. J’ai été Anspeçade de la Milice, moi tel que vous me voyez.
MONSIEUR MARTIN.
Je le crois bien.
GROS-JEAN.
Et moi Sergent dans celle de la Ferté-sous-Jouars. Je nous assemblismes à Yvetot en Normandie : tastigué que je m’y divartis bian. Tout chacun m’aimait, c’était à qui m’aurait, les filles me couriont. Tout le monde m’estimait. Je crois, morgoi, si j’y fus demeuré, qu’à la parfin je serais devenu le Général des Troupes de ce petit Royaume-là. Pour peu qu’an soit brave, et un tantinet aimé des Femmes, son fait queuquefois son chemin bian vite au temps qui court : morgoi m’est avis que je suis fait pour être un grand homme.
NICOLAS.
Morgué de quoi te plains-tu ? Ne l’es-tu pas ? Chacun dans notre état je poussons tant que je pouvons les petits talents que la Nature nous baille. Je serais bian fâché que dans tout le Pays, il y eût un si brave homme que moi. Je n’avons que ça dans le monde, de la vartu, de la probité, point de vargogne. Il n’est rien de tel que le mérite personnel. Oh ! pour ce qui est d’an cas de ça, je ne le cède à parsonne, hors à Monsieur le Prévôt da, qui a acheté sa Charge, et qui est bian riche. Dame, acoutez, Monsieur le Prévôt, quand on a de l’argent, on a toutes sortes de bonnes qualités, personne ne vous dispute : Vous êtes bienheureux d’avoir trouvé ce trésor-là.
MONSIEUR MARTIN.
J’ai trouvé un trésor, moi, et qui est-ce qui fait ces contes-là ?
NICOLAS.
Pargué tout le monde.
MONSIEUR MARTIN.
Comment, tout le monde ?
GROS-JEAN.
Il n’est bruit que de ça dans tout le pays, on ne parle d’autre chose, an dit que vous avez attrapé le Diable. Vous vous êtes baillé à ly, il vous a baillé un Trésor, et que le marché est bon pour vous. Oh ! tastigué, vous êtes plus futé que ly, il est pris pour dupe.
MONSIEUR MARTIN.
Je voudrais bien savoir qui sont les impertinents qui font courir ces mauvais bruits-là.
NICOLAS.
Morgué ne vous fâchez point, à ça près, et qu’euqu’autres petites bagatelles, nan sait bian que vous êtes honnête homme, personne ne vous le dispute.
MONSIEUR MARTIN.
C’est de la succession de mon frère que m’est venu le bien dont je jouis, et ce sont des coquins qui...
GROS-JEAN.
Point d’emportement, n’an vous croit, ça se peut bian, c’est ce frère-là qui avait fait le marché du Diable peut-être.
MONSIEUR MARTIN.
Lui point du tout, il était Secrétaire du Secrétaire d’un Intendant d’une certaine Province...
NICOLAS.
Oh ! tastigué la bonne boutique, je ne m’ébahis pas qu’ansi enrichisse, ce sont d’habiles gens que ces Messieurs-là, ils gouvernont tout. Les petites gens, la Robe, la Finance, et quand ils avont bon esprit, ils sont morgué, queuquefois les gouvarneurs des gouverneurs même. Allez, Monsieur le Prévôt, si votre bian vient de là, il est bian acquis, ne craignez rien.
MONSIEUR MARTIN.
Je m’en sers en honnête homme, comme vous voyez, j’en ai plus qu’il ne m’en faut, et c’est ce qui fait aussi que je suis si désintéressé.
GROS-JEAN.
Je n’en ai pas tant que vous, mais l’intérêt ne me gouvarne pas, j’aimerais mieux être pendu que d’avoir un denier à parsonne.
NICOLAS.
Je suis tout comme ça, le bian de mon prochain ne me tente point, et nan ne me reprochera jamais d’avoir une obole à qui que ce soit.
MONSIEUR MARTIN.
Voilà pourquoi je vous ai choisis pour mes amis, j’aime les honnêtes gens, moi.
GROS-JEAN.
Je sis bian votre serviteur, Monsieur le Prévôt.
NICOLAS.
Je vous avons bian de l’obligation, et je tâcherons de nous rendre daignes d’être capables ?
MONSIEUR MARTIN.
Laissons les compliments et parlons sérieusement de notre affaire. Je veux que cela aille bien, et que cela fasse honneur aux uns et aux autres.
NICOLAS.
C’est bian la raison.
MONSIEUR MARTIN.
C’est moi qui ai imaginé de tirer ici ce prix de l’Arquebuse pour signaler mon avènement à la Prévôté, par quelque chose d’extraordinaire.
NICOLAS.
L’imagination est pargué bonne. Le bourg est plein de monde, an ne sait où les loger, il y a morgué plus de deux cents Tireux, qui ont presque tous amené chacun leur Tireuse, et ces Tireuses-là avons après elle d’autres Tireux qui les suivons par bandes, et qui avons amené avec eux des Ménestriers, des Violons, des Hautbois, des Flûtes, depuis la cave jusqu’au grenier, tout est rempli dans les Cabarets ; ansy divartit bian, an fait bonne chère, et an ne manquera pas sitôt de provision, ni pour la pause, ni pour la danse.
GROS-JEAN.
Ça est tout-à-fait divartissant.
NICOLAS.
Et bian glorieux pour Monsieur le Prévôt. Vous êtes bian aise dites, n’est-il pas vrai ?
MONSIEUR MARTIN.
Oui, la gloire me flatte, je vous l’avoue, mais songeons à l’utile. Le prix proposé est de dix mille francs, comme vous savez, cela est-il rempli ? la recette est-elle bonne ?
GROS-JEAN.
Il y a plus de deux cents tireux, vous dit-on, à soixante francs pièce, je n’en recevons pas à moins, je n’en recevons pas à moins. Ça fait douze mille livres.
MONSIEUR MARTIN.
Cela est bon, il y aura de quoi boire.
NICOLAS.
Et autant qu’il s’en présentera encore je les recevrons, je ne refusons parsonne.
MONSIEUR MARTIN.
Cela est de bon sens. Cela grossira le pot de vin.
GROS-JEAN.
Et plus le pot de vin sera gros, plus je boirons.
MONSIEUR MARTIN.
Il ne faut pas tant boire, cela vous enivrerait, mes enfants.
NICOLAS.
Oui, l’ivrognerie est un grand vice ?
MONSIEUR MARTIN.
Nous emploierons le superflu de ces deniers-là à des œuvres pieuses et charitables.
NICOLAS.
Ça est bian dit. Ça accommodera qu’euques familles, pourvu que ce soit des nôtres s’entend.
GROS-JEAN.
Hé bian, soit, je baillerons les mains à tout ce que vous voudrez, Monsieur le Prévôt, pourvu que j’ayons notre paragouane.
MONSIEUR MARTIN.
Oh ! cela est trop juste ? ne vous mettez pas en peine, et disposez bien toutes choses pour que le prix soit tiré dès aujourd’hui.
NICOLAS.
J’avons tout arrangé pour ça, tatigué, il y aura une belle ordonnance.
GROS-JEAN.
Comme c’est une façon de Loterie que staffaire-ci, faut que ça se tire de même, avec de la conscience et de la règle, ça est respectable, voyez-vous, il ne faut point de friponnerie là-dedans, je n’y trampe en rian ; je m’en lave les mains.
NICOLAS.
Oh tatigué ! oui Monsieur le Prévôt : honni soit qui mal y pense : je vous en fais ma déclaration.
MONSIEUR MARTIN.
Je suis ravi de vous voir des sentiments d’honneur comme ceux-là.
GROS-JEAN.
Comme sti qui aura le prix doit épouser une fille du lieu, je n’avons enrôlé que des garçons et des hommes Veufs, voyez-vous ?
MONSIEUR MARTIN.
Vous avez bien fait, cela est dans l’ordre.
NICOLAS.
J’ai une fille moi ?
GROS-JEAN.
Et moi une Nièce, Monsieur le Prévôt.
MONSIEUR MARTIN.
Hé bien.
NICOLAS.
Si je pouvions adroitement faire tomber ça sus queuqu’une d’elles.
MONSIEUR MARTIN.
Oui, mais j’ai une Nièce et une fille aussi, moi.
GROS-JEAN.
Cela est vrai.
MONSIEUR MARTIN.
Et une sœur encor par-dessus le marché qui est très folle, et dont je voudrais bien être débarrassé.
NICOLAS.
Je comprends bian, vous voulez avoir trois parts là-dedans, Monsieur le Prévôt.
MONSIEUR MARTIN.
Cela n’est-il pas juste ?
GROS-JEAN.
Chacun pour soi, n’y a pas le mot à dire.
MONSIEUR MARTIN.
Au bout du compte, cela ne dépend ni du hasard, ni de nous, ce sera le plus adroit qui emportera le prix, et qui choisira la fille.
NICOLAS.
Ma fille a des Amoureux qui sont bian adroits.
GROS-JEAN.
Il y a un Drôle qui recharche ma Nièce, qui vise morgué bian juste.
MONSIEUR MARTIN.
Cela est bon, le meilleur tireur aura le droit pour lui.
NICOLAS.
Hé oui ! mais je sommes les Juges pour juger de tout ça nous autres, bon droit comme vous savez, a besoin d’aide, ne pourrions-nous point un tantinet aider le bon droit de qui je voudrons, c’est le droit des Juges, stila.
GROS-JEAN.
Il ne faut pas que la Justice parde ses droits, Monsieur le Prévôt. Eh, morgué, relâchez seulement un peu des vôtres ! Vous êtes riche, votre Sœur, votre Nièce et votre Fille n’ont pas besoin de ça. Je nous recommandons à vous.
MONSIEUR MARTIN.
Vos intérêts sont en bonne main ; laissez-moi faire, et allez achever de disposer toutes choses pour commencer la cérémonie.
NICOLAS.
Vous n’avez qu’à ordonner, tout sera prêt.
Scène IV
MONSIEUR MARTIN, seul
Ces drôles-là ont pour leurs familles les mêmes vues que j’ai pour la mienne. Pour moi dix mille francs de plus ou de moins ne sont pas une affaire, mais ce sont dix mille francs d’argent comptant ; et dix mille francs d’argent comptant au temps qui court, ne dérangent rien dans un coffre-fort.
Scène V
MONSIEUR MARTIN, MADEMOISELLE GIRAUT
MADEMOISELLE GIRAUT.
Allégresse, Monsieur le Prévôt, allégresse, épanouissement de cœur, dilatation de rate, parfait abandonnement à la joie, nous sommes les plus heureuses personnes du monde.
MONSIEUR MARTIN.
Qu’est-ce qu’il y a donc, Mademoiselle ma Sœur ? Quel heureux événement vous transporte si fort ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
L’événement n’est point encore arrivé, mais il arrivera incessamment ; tout le pronostique, tout le dénote. Je ne me sens pas d’aise, je ne me sens pas d’aise, et il ne tient qu’à moi de devenir folle.
MONSIEUR MARTIN.
Cet événement est déjà tout arrivé, vous ne m’apprenez rien là de nouveau ; mais je ne vois pas moi ce qu’il y a de si fort réjouissant...
MADEMOISELLE GIRAUT.
Esprit borné, petit génie, vous ne méritez pas le bonheur qui vous arrive, puisque vous n’avez pas assez de lumières pour le prévoir.
MONSIEUR MARTIN.
Maugrebleu de la folle ! De quoi voulez-vous parler ? Quel est ce bonheur ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
Mon Mariage, mon Frère.
MONSIEUR MARTIN.
Votre Mariage.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Oui, c’est une chose résolue, une chose réglée, une chose conclue, une chose faite.
MONSIEUR MARTIN.
Vous vous mariez, ma Sœur.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Un peu, mon Frère. Je serai débarrassée de vous, vous serez débarrassé de moi, nous serons débarrassés l’un de l’autre. Quel excès de plaisir ? quel ravissement !
MONSIEUR MARTIN.
Oui ; je serais fort content de cela, je vous l’avoue : mais avec qui faites-vous cette partie de mariage, s’il vous plaît ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
Cela se déclarera.
MONSIEUR MARTIN.
C’est donc jusqu’à présent un Mariage clandestin.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Il deviendra public, et très public, et il ne le sera que trop peut-être.
MONSIEUR MARTIN.
Trouvez bon que j’attende qu’il le soit pour m’en réjouir.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Je crois que mes avantages ne vous touchent guères. Vous avez eu par Testament la succession de feu notre Frère : cela vous donne un sot orgueil. Je n’ai eu moi que ma part de notre patrimoine, qui n’est rien. Mais la Nature m’en dédommage par tant d’endroits, la figure, la beauté, les grâces, l’esprit, l’enjouement, la vivacité, la politesse, le savoir-vivre, talents très peu d’accord ensemble, et d’un consentement très unanime, réunis tous en ma personne.
MONSIEUR MARTIN.
Vous êtes bienheureuse, si vous êtes persuadée de cela.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Persuadée, mon Frère, j’en suis convaincue. Je n’envie point votre fortune ; laissez-moi la mienne, je suis à la veille d’en jouir, et d’user de mes droits. Je m’en servirai, je m’en servirai, laissez-moi faire.
MONSIEUR MARTIN.
À la veille d’user de vos droits, ne seriez-vous point au lendemain, de par tous les Diables ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
Oh ! pour cela non, je vous en assure, il n’y a rien encore sur mon compte, et je ne suis heureuse qu’en idée. Mais cette nuit, mon Frère...
MONSIEUR MARTIN.
Hé bien cette nuit, ma Sœur !
MADEMOISELLE GIRAUT.
J’ai fait le plus joli rêve, j’ai vu les choses les plus gracieuses...
MONSIEUR MARTIN.
Je me donne au Diable, vous rêvez encore, ma Sœur : allez-vous-en achever votre songe, et puis nous en verrons la suite.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Oh ! le songe est fini, et la suite est certaine.
MONSIEUR MARTIN.
Grand bien vous fasse.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Ah ! mon Frère, je voudrais veiller toute ma vie, comme j’ai dormi cette nuit.
MONSIEUR MARTIN.
Que diantre, ma Sœur, finissez donc. Vous dites là des sottises, et vous me feriez penser des choses...
MADEMOISELLE GIRAUT.
Il n’y a point-là de sottises, mon Frère, rien de plus sérieux ; et je veux bien que vous sachiez que je ne fais que des songes fort modestes.
MONSIEUR MARTIN.
Dites-moi donc ce que c’est que ce songe ? Il faut que j’aie belle patience.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Laissez-moi reprendre mes esprits. Le voici, mon Frère. Vous connaissez l’Amour, ce petit Archerot ?
MONSIEUR MARTIN.
Je le connais, je le connais ; nous n’avons pas grand commerce ensemble.
MADEMOISELLE GIRAUT.
C’est le plus habile Tireur, et sans contredit, le meilleur Arquebusier qu’il y ait au monde.
MONSIEUR MARTIN.
Quel galimatias me faites-vous ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
C’est lui qui emportera le Prix, et je l’aurai moi ; il m’est destiné, je vous en assure.
MONSIEUR MARTIN.
Elle a tout-à-fait perdu l’esprit.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Je l’ai vu cette nuit, ce charmant petit Dieu ; il planait dans les airs, il volait à la tête de toutes les Brigades des Chevaliers de l’Arquebuse, et les conduisait dans un petit Bois écarté, où je rêvais à l’ombre. Il a tiré de son Carquois une flèche dorée, qu’il m’a lancée tout droit au cœur ; et comme si c’eût été le signal, ou plutôt un avis aux Chevaliers de l’objet où leurs traits devaient s’adresser, je les ai tous vus me coucher en joue, le feu prendre, leurs coups partir, et je m’en suis trouvée toute criblée.
MONSIEUR MARTIN.
La malepeste, ma Sœur, vous avez essuyé là une furieuse Escopetterie.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Cela ne m’a point fait le moindre mal, le croiriez-vous ?
MONSIEUR MARTIN.
Il faut que vous soyez invulnérable.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Les seuls traits d’amour m’ont percée :
Mais entre nous
Ses coups sont doux,
Ses tourments
Charmants ;
On n’en est jamais offensée,
Et je voudrais avoir à tous moments
Le plaisir d’en être blessée.
MONSIEUR MARTIN.
Ô la folle ! Ô la folle !
MADEMOISELLE GIRAUT.
Pas tant, mon Frère,
Vous traitez mon songe de songe,
Il deviendra réalité ;
Songe d’amour n’est point mensonge,
Le mien sera bientôt parfaite vérité.
MONSIEUR MARTIN.
Je le souhaite, ma Sœur ; et pour ne point gâter la douceur de vos idées par l’amertume de mes réflexions, je vous donne le bonjour, et vous laisse la liberté de vous entretenir avec vos chimères.
Scène VI
MADEMOISELLE GIRAUT
Il me regarde comme une visionnaire, qui me repais d’idées chimériques, et je le regarde moi comme un fou malin, qui est jaloux de mon bonheur, et qui voudrait ensevelir mes charmes dans l’obscurité du célibat. Il n’en sera rien, j’y mettrai bon ordre, et puisqu’il ne songe point à me marier, je me marierai fort bien toute seule.
Scène VII
MADEMOISELLE GIRAUT, MONSIEUR PRUNEAU
MADEMOISELLE GIRAUT.
Ah ! que voilà un jeune Chevalier bien fait, et de bonne mine ; mais que vois-je ? c’est un de ceux qui m’ont tirée cette nuit, je le reconnais, je l’ai remarqué plus que les autres. Le prix est pour lui. C’est lui qui m’aura, mon cœur me le dit, l’amour m’en assure, et je regarde cela comme une chose déjà faite.
MONSIEUR PRUNEAU.
Qu’il y a de jolies Filles en ce Pays-ci ! Si je pouvais donner dans la vue de quelqu’une, cela vaudrait morbleu mieux que le Prix de l’Arquebuse ; et ma Mère et mon Oncle le Chanoine me l’ont bien dit, que c’était là qu’il fallait viser. En voici une qui n’est pas trop sotte.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Il me regarde avec attention.
MONSIEUR PRUNEAU.
Elle se requinque en me lorgnant.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Il semble qu’il hésite à m’aborder.
MONSIEUR PRUNEAU.
Il faut chercher à faire connaissance.
MADEMOISELLE GIRAUT.
L’Amour est un Enfant timide. Il faut enhardir celui-ci.
MONSIEUR PRUNEAU.
Bonjour, Mademoiselle, comment vous portez-vous ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
Monsieur, je suis votre très humble Servante.
MONSIEUR PRUNEAU.
Vous ne me connaissez pas, je gage, car vous ne m’avez jamais vu. N’est-il pas vrai ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
Je ne puis pas bien dire qui vous êtes ; mais cependant votre visage ne m’est pas tout-à-fait nouveau.
MONSIEUR PRUNEAU.
Mon visage n’est pas nouveau ; il n’y a pourtant pas longtemps qu’il est fait, je suis tout jeune.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Cela ne paraît point, Monsieur, ni à votre esprit, ni à vos manières, et vous êtes aussi parfaitement façonné, aussi gracieusement formé pour votre âge...
MONSIEUR PRUNEAU.
Fort à votre service, Mademoiselle, nous sommes faits de bonne heure dans notre famille.
MADEMOISELLE GIRAUT.
C’est un avantage que nous avons aussi dans la nôtre. Nous paraissons toujours plus formés que nous ne sommes. Je ne suis qu’un Enfant, par exemple ; et il n’y a presque personne qui ne s’imagine...
MONSIEUR PRUNEAU.
Malepeste ! vous êtes un Enfant bien dru, Mademoiselle ; les Filles de chez nous ne sont ni si jolies, ni si précoces ; et si nous pouvions avoir de votre Race en notre Pays...
MADEMOISELLE GIRAUT.
Vous êtes trop obligeant, Monsieur, en vérité.
MONSIEUR PRUNEAU.
Je vous dis vrai, la peste m’étouffe. Il y aurait moyen de greffer de beaux fruits sur un sauvageon comme vous, Mademoiselle.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Qu’il s’explique agréablement ! qu’il dit de jolies choses ! Peut-on vous demander, Monsieur, comment vous vous appelez ? d’où vous êtes ?
MONSIEUR PRUNEAU.
Je suis de Tours, Mademoiselle : je m’appelle Grégoire Pruneau.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Vous êtes Monsieur Pruneau, de Tours, Monsieur.
MONSIEUR PRUNEAU.
Oui, Mademoiselle. Je viens ici pour tâcher de gagner le Prix ; et si j’étais assez heureux pour y gagner un cœur comme le vôtre, ce serait un prix pour moi plus précieux que tous les prix de l’Arquebuse.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Voilà mon songe. La déclaration est tout-à-fait galante, Monsieur, et vous me paraissez un Cavalier trop adroit pour ne pas tirer droit aux cœurs dont vous vous proposez la conquête.
MONSIEUR PRUNEAU.
Je ne viser qu’au vôtre, Mademoiselle ; et si je suis assez fortuné pour...
Scène VIII
SOPHIE, MADEMOISELLE GIRAUT, MONSIEUR PRUNEAU
SOPHIE.
Ma chère Tante, j’ai besoin de vos bons offices auprès de mon père.
MADEMOISELLE GIRAUT.
De quoi est-il question ? vous n’avez qu’à parler, ma Nièce.
SOPHIE.
J’ai peur que vous ne me refusiez, ma Tante, et que trop de scrupule... qui est ce Monsieur-là, ma Tante ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
C’est mon Chevalier, ma Nièce, Monsieur Pruneau, ne veut tirer le prix que pour viser à moi. Je suis son objet, dit-il, le blanc où il tire.
SOPHIE.
Vous avez un Chevalier ma Tante ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
J’en ai à choisir ma nièce, mille de rebut, mais voilà le véritable que je vous présente.
SOPHIE.
Ah ! que je suis ravie, ma Tante ! j’en ai aussi un que vous voulez bien que je vous présente à mon tour, et pour qui je me persuade que vous voudrez bien vous intéresser. Approchez, Dorante, approchez, ma Tante ne me refusera pas d’être dans nos intérêts, elle a un Amant, et elle n’oserait pas condamner en moi ce qu’elle fait elle-même.
Scène IX
DORANTE, MADEMOISELLE GIRAUT, MONSIEUR PRUNEAU, SOPHIE
DORANTE.
Je puis donc avec confiance lui déclarer les sentiments que j’ai pour vous, et lui demander en grâce...
MADEMOISELLE GIRAUT.
Vous pouvez tout, Monsieur, fait comme vous êtes. Le joli petit homme, quel air ! quelle figure ! cela vaut mille fois mieux que Grégoire Pruneau, que ma Nièce est heureuse !
MONSIEUR PRUNEAU.
Cette jeune fille est encore plus jolie que l’autre, c’est à celle-là qu’il faut viser, je suis toujours moi pour les plus jolies.
SOPHIE.
Oh ! çà ma Tante, point de trahison, vous avez de la confiance en moi, j’en ai en vous. Voilà une belle occasion, une fête tumultueuse, il ne faut pas qu’elle finisse sans que nous nous mations l’une et l’autre.
MADEMOISELLE GIRAUT.
C’est bien dit, ma Nièce, et malgré votre père qui est un libertin, qui voudrait que tout le monde fût comme lui, et qu’on ne se mariât point dans sa famille...
SOPHIE.
Qu’il soit comme il voudra, ma Tante ; ce sont ses affaires. Je veux être comme ma mère moi, ce sont les miennes, et les filles doivent tenir des mères, n’est-il pas vrai ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
Cela ne reçoit pas de difficulté.
Scène X
NANETTE, MADEMOISELLE GIRAUT, MONSIEUR PRUNEAU, DORANTE, SOPHIE
NANETTE.
Ma chère Tante, ma chère Cousine, que je vous rencontre à propos ensemble.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Qu’est-ce qu’il y a, ma chère Enfant ? que pouvons-nous pour votre service ?
NANETTE.
Bonjour, mon petit Cousin, car vous le serez bientôt, si vous ne l’êtes déjà, et ma Cousine m’a fait confidence...
MADEMOISELLE GIRAUT.
Vous regardez Monsieur comme votre Cousin.
NANETTE.
Oui, ma Tante.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Hé bien, regardez, Monsieur comme votre Oncle : queuci, queumi, les choses sont aussi avancées de part et d’autre.
MONSIEUR PRUNEAU.
Oh ! parbleu. Nenni, je veux devenir le Cousin, moi, je ne veux plus être l’oncle.
NANETTE.
Ah ! quel bonheur, quel heureux présage ; cela se rencontre le plus heureusement du monde, un oncle de plus, un cousin de même : nous pouvons faire entre nous autres une petite Assemblée de parents, et nous n’avons que faire de mon oncle le Prévôt pour achever mon Mariage ?
SOPHIE.
Pour achever ton Mariage.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Est-ce que vous l’avez déjà commencé, ma Nièce ?
NANETTE.
Comme vous, ma Tante, il n’est encore qu’ébauché, fort imparfaitement ? mais avec votre secours, avec votre exemple et votre aveu, nous le mènerons bientôt à sa perfection.
MONSIEUR PRUNEAU.
Les filles du Pays sont jolies, mais elles se marient bien facilement.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Hé quel Neveu me prétendez-vous donner, ma Nièce ? quel Cousin pour votre Cousine ? encore faut-il savoir avec qui on s’allie.
NANETTE.
Un Gentilhomme de Picardie, un Chevalier d’Amiens, ma Tante.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Mais cela est heureux, le choix est bon, nos Mariages ne peuvent manquer de réussir. Monsieur le Prévôt les approuvera s’il veut, ils n’en seront pas moins bons, je vous assure.
DORANTE.
Vous avez une Tante toute spirituelle, une Cousine toute charmante ; et c’est un avantage bien flatteur de pouvoir entrer dans une famille où l’esprit et la beauté paraissent être héréditaires.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Ne cherchez point à voir mon frère le Prévôt, Monsieur ; ces bons sentiments-là vous passeraient bien vite.
SOPHIE.
Le voilà, ma Tante, notre petite Assemblée de Famille sera troublée. Parlez-lui la première, ma Cousine.
NANETTE.
Ma Tante expliquera mieux la chose que moi ; laissons-la faire.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Vous serez plus hardies, vous êtes plus jeunes.
SOPHIE.
Vous avez plus d’expérience, vous serez plus sage.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Je le suis trop pour proposer des choses raisonnables à un fou comme lui. Si Monsieur le Chevalier de Paris voulait... eux qui ont la langue si bien pendue...
SOPHIE.
Oh ! pour ça non, ma Tante : mais Monsieur de Tours ne pourrait-il pas... comme vous êtes l’aînée, et que c’est votre Chevalier, à vous. Le fruit le plus mûr est celui qu’il faut cueillir le premier, ma Tante ; et c’est l’exemple que vous nous donnerez, qui doit nous déterminer.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Hé bien soit, je vous le donnerai, cela est fini.
Scène XI
MONSIEUR MARTIN, MADEMOISELLE GIRAUT, SOPHIE, DORANTE, MONSIEUR PRUNEAU, NANETTE
MADEMOISELLE GIRAUT.
Nous allions tous de concert vous chercher, mon frère, et vous nous prévenez agréablement en venant ici.
MONSIEUR MARTIN.
À quoi Diable vous amusez-vous, et que ne faites-vous comme les autres ? Tout le monde s’assemble sous les avenues, le Peuple, les Magistrats, les Premiers de la Ville, la Noblesse des environs, la Jeunesse, les Dames, l’élite des Provinces, toutes les Brigades sont sous les Armes ; c’est un beau coup d’œil, cela est beau à voir. Comme c’est moi qui ai mis tout ça en train, je vous avoue que ça me flatte. On me regarde, morbleu, comme un Général ; et dans le fonds, j’aime mieux commander là, qu’à une Armée ; ça n’est guères moins glorieux, et il y a bien moins de risque. J’ai eu toutes les peines du monde à me résoudre de quitter ; mais on m’a dit qu’il y avait du monde au logis qui me demandait. Savez-vous qui c’est ?
SOPHIE.
Non, mon Père : mais comme voilà des personnes qui vous demandent aussi, ayez la bonté d’expédier leurs affaires avant que d’aller ailleurs. Ma Tante vous dira...
MADEMOISELLE GIRAUT.
Je vous dirai, Monsieur mon Frère, que nous sommes tous d’accord, et que nous n’avons besoin de vous que par manière d’acquit. Monsieur aime ma Nièce, et ma Nièce aime Monsieur. Je suis adorée de Monsieur moi, et je ne suis ni ingrate, ni insensible. Mon autre Nièce que voici présente, a de son côté aussi un Soupirant qui est absent, mais elle en a procuration, elle occupe pour lui, je parle pour eux. Voilà trois Mariages sur le Bureau, comme vous voyez : si vous y donnez votre aveu, à la bonne heure ; si vous le refusez, on s’en passera, tout coup vaille, et l’on ne laissera pas de passer outre. Voilà de quoi il est question. Prononcer, ordonnez, donnez-nous votre décision par forme d’avis, on s’y conformera en cas de convenance. Cela est-il clair, oui ou non ; il n’y a point d’obscurité là-dedans, à ce qu’il me semble.
MONSIEUR MARTIN.
Pour cela non, ma Sœur, il n’y a point d’obscurité, il n’y a que de l’impudence. Je ne connais point ces Messieurs : je veux croire qu’ils vous font honneur de vous rechercher ; mais vous êtes tous trop bien d’accord ensemble, pour l’être avec moi. Vous, ma Sœur, vous êtes folle, et je vous ferai mettre aux Petites-Maisons incessamment. Vous, ma Nièce et ma Fille, deux impertinentes que je renfermerai dans un Couvent, pas plus tard que demain. Et vous, Messieurs les Inconnus, tant présents, qu’absents, vous êtes des suborneurs de Filles, et comme tels, je suis en droit de vous faire arrêter comme Prévôt, moi. Je ne vous réponds pas de n’en point venir-là.
DORANTE.
Je ne mérite pas Monsieur...
MONSIEUR PRUNEAU.
Parbleu, Monsieur le Prévôt, si vous croyez qu’on soit si affamé de votre Sœur...
MONSIEUR MARTIN.
Vous vous y êtes mal pris, Messieurs, cela me révolte. Des trois Mariages qui sont sur le Bureau, aucun n’aura mon aveu : si vous vous en passez, je passerai outre ; voilà ma décision. Vous ferez bien de vous y conformer, de peur d’inconvénients ; c’est un avis que je vous donne par forme d’ordre. Cela est-il net, oui ou non, ma Sœur ; il n’y a point d’ambiguïté là-dedans, à ce qu’il me paraît. Adieu, Messieurs, je vous baise les mains. Rentrez, vous, et que je ne vous voie pas davantage ensemble, hom, hom, hom, hom. Ce jeu de l’Arquebuse ne laisse pas au bout du compte d’attirer ici un tas de godelureaux, de fainéants... de chercheurs de bonnes fortunes, hom, hom, hom, hom.
Scène XII
DORANTE, SOPHIE, MADEMOISELLE GIRAUT, NANETTE, MONSIEUR PRUNEAU
NANETTE.
Je ne m’épouvante pas de ce qu’il dit ; faites comme moi, ma Tante.
MADEMOISELLE GIRAUT, à Monsieur Pruneau.
Ne vous effarouchez point, et demeurez ici, Monsieur Pruneau.
SOPHIE.
Ne vous en allez pas, Dorante, nous ferons changer les sentiments de mon Père : ce ne sont que les discours de ma Tante qui l’ont mis de mauvaise humeur.
DORANTE.
Le voilà rentré heureusement. Quez ne demeurez-vous ici vous-même ? Et pourquoi ne pas songer ensemble à prendre des mesures ?
MADEMOISELLE GIRAUT.
Les mesures ne sont pas difficiles. Il en aura le démenti, je vous en réponds. Soyez-moi fidèle, Monsieur Pruneau, nous voyagerons ; je veux aller à Tours.
SOPHIE.
Et je veux voir Paris moi, ma Tante.
NANETTE.
On n’est jamais Prophète en son Pays, j’irai à Amiens moi, et je vais retrouver mon Chevalier Picard ; afin d’arranger toutes choses pour le voyage.
MONSIEUR PRUNEAU.
Et moi, en attendant l’événement, je vais rejoindre ma Brigade ; et si je remporte le Prix ; je sais bien à qui je le destine, Mesdames.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Ce sera pour moi, le joli petit homme, le joli petit homme.
Scène XIII
DORANTE, SOPHIE
DORANTE.
Votre Père me paraît terriblement opposé à mon bonheur, s’il persiste dans ses sentiments. Quelles résolutions sont les vôtres ?
SOPHIE.
De vous aimer.
DORANTE.
Que produira cet amour ?
SOPHIE.
Votre bonheur et le mien.
DORANTE.
Quelle assurance m’en donnerez-vous ?
SOPHIE.
Toutes celles que la bienséance pourra permettre.
DORANTE.
La bienséance est bien gênante, lorsque l’amour en prend la loi.
SOPHIE.
Mon amour n’est point faible, et le vôtre n’est point timide ; ils s’enhardiront par les conjonctures.
DORANTE.
Y en a-t-il de plus pressantes que celles où nous sommes ?
SOPHIE.
Si elles continuent de l’être, elles achèveront de nous déterminer.
DORANTE.
À quoi encore ?
SOPHIE.
À tout ce qui pourra contribuer à nous rendre heureux.
DORANTE.
Vous me promettez d’être à moi.
SOPHIE.
Je ne serai jamais à d’autres.
DORANTE.
Que cette assurance me comble de joie ! et que...
SOPHIE.
Adieu, je vais rejoindre mon Père, pour ne pas l’aigrir davantage ; et s’il nous impose des lois trop dures, nous n’en prendrons que de nous-mêmes.
DORANTE.
Et je vais, moi, disposer toutes choses, pour nous mettre, de manière ou d’autre, hors de la portée de ses caprices.
Scène XIV
BRACASSAK, DORANTE
BRACASSAK.
Oh ! cadedis, le voyage est bon, Monsieur le Prévôt en payera les frais ; il n’aura pas impunément conté sornettes à ma Sœur ; et dans la famille des Bracassaks, où nous faisons ordinairement bouquer la Noblesse, il ne sera pas dit que nous nous laissions insolenter par la Roture ; et que Pézenas soit en droit de se moquer d’une Demoiselle de Bracassak.
DORANTE.
Me trompai-je, serait-ce bien vous, Monsieur le Chevalier ?
BRACASSAK.
Tu ne te trompes point, c’est moi-même ; et comment te portes-tu, mon pauvre cadet de la Badaudière ? Es-tu toujours riche ? car dans le Régiment tu prenais diablement le train de perdre cette bonne qualité-là.
DORANTE.
La mort d’un oncle a fort heureusement réparé les premiers égarements de ma jeunesse.
BRACASSAK.
Tu n’es plus si poli, si galant, tranchons les mots, si fat, si dupe auprès des belles.
DORANTE.
L’expérience m’a corrigé.
BRACASSAK.
On t’en a fait de rudes, et les Aigrefins de nos Régiments, et les Aigrefines de nos Garnisons, tiennent d’assez bonnes écoles pour vous autres enfants de Paris. Nous vous regardons ordinairement comme les Trésoriers auxiliaires des Troupes.
DORANTE.
Ne parlons plus de cela, je te prie.
BRACASSAK.
Je veux bien m’en taire. Je suis modeste, mais si tu avais voulu m’en croire, j’en aurais profité davantage, et il t’en aurait moins coûté. Baste, va, je te le pardonne, et je serai toujours de tes amis. Que viens-tu faire ici ? quel dessein te met en campagne ?
DORANTE.
Je suis à la poursuite d’une jeune personne que j’aime, et que je veux épouser.
BRACASSAK.
C’est ainsi que tu te corrige, tu veux épouser. Eh ! sandis tu tombes d’un égarement dans un autre ! Aime, aime, et n’épouse point. Je t’ai vu si fort ennemi de l’engagement sérieux, tu perds tes bonnes qualités, je ne puis croire que tu te sois défait des mauvaises.
DORANTE.
Je veux faire un établissement.
BRACASSAK.
Établissement qui ruine les pauvres nigauds de Paris, ils naissent tous avec ces principes, aucune vivacité ne les en dégage, et les préjugés de l’enfance leur font faire autant de sottises à l’âge de raison que la force du tempérament et de l’air natal leur en inspire en sortant des classes.
DORANTE.
Tu fais-là un beau panégyrique de la bonne Ville.
BRACASSAK.
Je la connais et j’en suis connu, non pas sur le pied d’un de ses enfants gâtés au moins ; au contraire j’ai toujours été leur antagoniste, et je les ai mainte fois redressés autant qu’il m’a été possible.
DORANTE.
Je m’en rapporte bien à toi.
BRACASSAK.
Encore m’en fait-on mauvais gré, je n’ai jamais vu de nation plus incorrigible ; c’est ce qui fait que je n’y vais plus, je rode aux environs, et je m’occupe depuis un temps à corriger les gens de Province.
DORANTE.
Tu ne manques pas d’occupation.
BRACASSAK.
J’ai grand nombre d’écoliers, mais cela rend peu.
DORANTE.
Tu as donc tout-à-fait quitté le Régiment.
BRACASSAK.
Je m’y suis fait des jaloux ; ils ont écrit au bureau contre moi, un mauvais vent a soufflé sur mon affaire, et l’on m’a cassé comme un verre.
DORANTE.
On t’a cassé.
BRACASSAK.
Tout net, te dis-je, mais je m’en soucie peu, les morceaux en sont bons, pour être dérégimenté, je n’en vaux pas pis. Je suis moi seul le Colonel, l’État-Major, le Régiment et le Ministre même de la petite guerre que je sais faire.
DORANTE.
Tu me donnes-là de ta conduite des idées...
BRACASSAK.
Doucement, Bourgeois, doucement, tu n’en dois avoir que de bonnes. Les Bracassaks ne sont point gens à se fourvoyer à un certain point. Le droit et la justice règle nos projets, la prudence les mène à leurs fins et la force avec la valeur en soutiennent l’exécution.
DORANTE.
Voilà le vrai moyen de réussir.
BRACASSAK.
Je suis cadet de cinq frères que j’ai tous plaidés, ma légitime a absorbé leurs fonds, et me voilà devenu l’aîné. Je plaide mes collatéraux, pour réunir leurs Fiefs à mon Domaine, et tu me vois à la poursuite d’un certain Prévôt à qui je veux faire épouser une sœur unique dont il a eu l’insolence de devenir amoureux en venant recueillir la succession d’un certain sien frère qui méritait d’être du pays ; car il faisait bien ses affaires.
DORANTE.
Et tu songes à donner ta sœur, une Demoiselle de la maison des Bracassaks, à un homme de fortune, à un Prévôt de petite ville : Quelle mésalliance ! Pour nous autres Parisiens encore passe, mais un Gentilhomme de la Garonne...
BRACASSAK.
Sandis, pourquoi non. De l’argent, morbleu, de l’argent, c’est la véritable grandeur, l’appui de la vertu, le nerf de la valeur, le soutien des États et des familles, et la source abondante de tous les bonheurs de la vie. Le Prévôt s’est fait riche, il achètera de la noblesse, et nous fournirons de l’illustration, nous en avons à revendre dans la famille.
DORANTE.
Que je suis charmé de te revoir ici et de retrouver en toi un véritable ami. C’est la fille du Prévôt dont je suis amoureux.
BRACASSAK.
Certaine petite que je viens de voir en arrivant ici.
DORANTE.
C’est elle-même.
BRACASSAK.
Tu choisis bien, elle est jolie, j’en suis charmé, je fais ton affaire.
DORANTE.
Et comment, mon cher Chevalier ?
BRACASSAK.
Par le mariage de ma sœur avec le Prévôt, elle va devenir ma nièce, demandes-la moi, je te l’accorde, un mariage de plus ou de moins ne doit pas faire de difficulté.
DORANTE.
Mais celui de ta sœur avec le Prévôt est-il bien sûr ?
BRACASSAK.
S’il est sûr, sandis, s’il est sûr, le Prévôt n’a qu’à choisir, le mariage, ou l’anéantissement de sa personne, je ne lui ai donné qu’une heure, et je me promène pendant qu’il rêve.
DORANTE.
Il est homme de caprice et d’entêtement. Je crains...
BRACASSAK.
Oh ! cadedis, c’est à lui de craindre ! Il passe de mauvais moments, je m’assure. Avec ses réflexions et ma sœur il est en fâcheuse compagnie.
Scène XV
MADEMOISELLE BRACASSAK, BRACASSAK, SOPHIE, MONSIEUR MARTIN, DORANTE
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Justice, justice, au secours, main forte.
BRACASSAK.
Qu’est-ce donc ? qu’y a-t-il, ma sœur ? quelle violence vous fait-on ?
MADEMOISELLE BRACASSAK.
On me réassigne dans l’honneur, mon frère, on m’outrecuide, on me fait une insulte nouvelle.
SOPHIE.
Eh ! de grâce un peu moins d’emportement, Madame !
MADEMOISELLE BRACASSAK.
En peut-on trop avoir dans une occasion si intéressante ? Je vous en fais juge vous-même ? Par le secours de ma bonne étoile, et par l’activité d’un frère, je retrouve un lâche, un perfide, un ingrat, qui, sur un faux exposé d’amour, s’est rendu maître de ma tendresse ; et quand je le tiens, quand pour le punir de son inconstance, je suis maîtresse de l’épouser malgré qu’il en ait, il croit m’échapper et se soustraire à l’authentique punition que je prétends faire de son crime.
MONSIEUR MARTIN.
Moi, Madame, que la peste m’étouffe, si je sais ce que vous voulez dire, je ne vous connais point, je ne vous ai jamais vue.
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Ah ! l’imposteur ; le traître, il me renie, mon frère, il me renie.
BRACASSAK.
Oh ! cadedis, je le ferai bien tout avouer, je le garde à vue lui et toute sa Maréchaussée.
MONSIEUR MARTIN.
Mais ces violences-là ne se pratiquent point, je ne sais qui vous êtes, ni vous, ni cette Madame votre sœur.
BRACASSAK.
Oh ! nous vous connaissons bien, nous autres. Vous êtes Monsieur Martin, n’est-ce pas ?
MONSIEUR MARTIN.
Hé bien oui, je suis Monsieur Martin, j’en conviens.
BRACASSAK.
Natif de Chatillon-sur-Marne.
MONSIEUR MARTIN.
De Chatillon-sur-Marne soit : quels droits cela vous donne-t-il sur ma personne ?
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Quels droits, petit volage ? n’ai-je pas des lettres de toi, une promesse de mariage dans les formes.
BRACASSAK.
Lettres de change à vue qu’il faut acquitter sans délai.
MONSIEUR MARTIN.
Ce sont des lettres de change que je ne payerai point. Vous n’avez qu’à me faire assigner.
BRACASSAK.
Vous faire assigner, non, nous ne sommes pas processifs ; et voilà la Juridiction par-devant laquelle il faut répondre.
MONSIEUR MARTIN.
Ah ! je suis mort, au secours, miséricorde : Eh prenez mon parti, Monsieur ! Laisserez-vous ainsi périr un Prévôt contre tous les droits de la Justice.
SOPHIE.
Empêchez Dorante...
DORANTE.
Quand le devoir et l’humanité ne m’engageraient pas à prendre le parti du plus faible...
MONSIEUR MARTIN.
Oh ! je le suis, je vous assure, et très innocent de ce qu’on m’impute.
DORANTE.
L’intérêt que je prends à Mademoiselle votre fille ne me permettrait pas de souffrir qu’on vous fit insulte, vous n’avez rien à craindre où je suis. Mais il faut examiner vos raisons de part et d’autre, que Monsieur et Mademoiselle justifient de leurs prétentions, que vous exposiez les raisons que vous avez pour vous en défendre ; et si vous vous en remettez à mon jugement, soyez sûr que vous n’aurez pas lieu de vous en plaindre.
MONSIEUR MARTIN.
À votre jugement, le Juge me paraît pour le moins aussi fripon que ma partie ; mais il n’importe, il faut filer doux pour me tirer d’ici, je suis presque seul au milieu de la Ville, et tout le monde est rassemblé dans les avenues où se tire le Prix, ne nous piquons point ici de faire le brave mal-à-propos, quand je serai tantôt à la tête de ma Maréchaussée, je leur ferai bien voir que je ne les crains guères.
BRACASSAK.
Que murmurez-vous tout bas, Monsieur le Bélître ?
MONSIEUR MARTIN.
Rien, Monsieur, je m’examine, et je prends conseil de moi-même.
BRACASSAK.
Ne vous en donnez point de mauvais, prenez-y garde.
MONSIEUR MARTIN.
Je n’en suivrai que de bons, ne vous mettez pas en peine, et je veux bien prendre ce Monsieur-là pour être l’arbitre de nos différends.
BRACASSAK.
Cela sera bien ainsi : j’y consens, et nous représenterons tous deux la Justice à merveille, il tiendra la balance, et moi l’épée.
MONSIEUR MARTIN.
Quelle diable de Juridiction ?
BRACASSAK.
Allons, plaidez, ma sœur, exposez laconiquement le fait en peu de paroles.
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Le fait s’explique de lui-même, mon frère. Monsieur Martin, que voilà est malheureusement pour moi venu dans la Province. Il était Secrétaire de l’Intendant, il m’a trouvée belle, il m’a paru aimable. Il m’a recherchée, j’ai écouté ses propositions, et à la veille de tout conclure, il a eu la malice de mourir tout subitement et de se faire enterrer tout exprès pour me manquer de parole.
MONSIEUR MARTIN.
Si je suis mort et enterré, que diable me demandez-vous donc ? Ce n’est pas moi, c’était mon frère, c’est le défunt à qui il faut vous en prendre.
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Ah ! voilà le tour de coquin, la perfidie la plus outrée, mon scélérat, mon traître reparut au bout de quinze jours sous le nom d’un frère qui venait recueillir sa succession ; je le pleurais mort, et je ne fus jamais plus surprise que de le trouver dans les rues qui portait le deuil de lui-même, et qui ne fit pas semblant de me connaître.
DORANTE.
Voilà une conduite bien criminelle, un procédé bien condamnable.
MONSIEUR MARTIN.
Tenez, Monsieur, que la peste m’étouffe s’il y a un seul mot de vrai dans tout ce qu’elle dit, que la succession que j’ai été quérir, et que mon frère et moi nous nous ressemblions un peu, je vous l’avoue.
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Ils se ressemblaient, le vivant et le défunt ; c’est la même chose, mon cher Monsieur, il me faut un Martin. Je le prouve, et je m’en saisis. On prend son bien où on le trouve, et je le connais trop pour m’y méprendre.
MONSIEUR MARTIN.
Je fournirai les preuves du contraire, c’est le défunt qui vous a promis, il faut que le défunt vous épouse.
BRACASSAK.
Ah ! cadedis, mort ou vif ce sera vous qui épouserez Monsieur Martin. Le défunt a promis, le vivant paiera : vous avez eu la succession, c’est à vous d’acquitter les dettes.
DORANTE.
Cela me paraît un peu violent. Et si Monsieur le Prévôt justifie qu’effectivement il avait un frère...
Scène XVI
GROS-JEAN, MONSIEUR MARTIN, BRACASSAK
GROS-JEAN.
Et qu’est-ce que c’est donc, Monsieur le Prévôt ? Est-ce que vous vous gobergez de nous ? Vous faites assembler je ne sais combien de monde. Toute la Ville est hors la Ville, tous les anvirons sont à l’antour ; on n’entend plus que vous, on ne veut point commencer que vous n’y soyez. On m’envoie vous chercher. Voulez-vous venir, avec votre permission da, Messieurs ?
MONSIEUR MARTIN.
Je suis bian fâché de vous quitter ; mais...
BRACASSAK.
Doucement, doucement, mon cher, qu’est-ce que c’est que cette cérémonie ?
MONSIEUR MARTIN.
Une fonction de ma charge que je ne saurais remettre. Il faut que chacun se rende à son devoir, comme vous savez.
BRACASSAK.
C’est quelque Expédition Prévôtale, sans doute.
GROS-JEAN.
Nanain, Monsieur, nanain, c’est queuque chose de bian plus honnête. Je tirons le Prix de l’Arquebuse.
BRACASSAK.
Et qu’est-ce que ce Prix encore ?
GROS-JEAN.
Oh ! tatiguenne, un Prix de conséquence. Sti qui visera le mieux gagnera mille pistoles, et une Fille à choisir dans le Bourg, telle qu’il lui plaira, pour en faire sa femme.
BRACASSAK.
Le Prix est gaillard, je le tire.
GROS-JEAN.
C’est fort bian fait ; tirez donc de l’argent, soixante francs.
BRACASSAK.
Soixante francs ; le Prix est cher.
GROS-JEAN.
Pour avoir dix mille francs et une Fille, c’est bailler les choses pour rian.
BRACASSAK.
Allez toujours devant, Monsieur le Prévôt, nous discuterons tantôt amiablement nos affaires, et vous prendrez loi du Vainqueur. Ne te mets-tu pas de la partie, toi, Cadet ?
Scène XVII
DORANTE, BRACASSAK, GROS-JEAN
DORANTE.
Je suis trop mauvais Tireur, tu le sais bien.
BRACASSAK.
Parlons en mieux, tu es devenu trop économe.
DORANTE.
Plus prodigue et plus libéral que jamais, je t’assure.
BRACASSAK.
Fais donc les avances ; nous serons de moitié de Prix, et le tirerai pour ton compte.
DORANTE.
Fort volontiers, qu’à cela ne tienne. À qui faut-il donner de l’argent ?
GROS-JEAN.
C’est à moi, Monsieur, je suis un des Receveurs, à votre sarvice.
DORANTE.
Est-ce là ce qu’il vous faut ?
GROS-JEAN.
Vous me baillez un Louis d’or de plus ; mais je ne regarde pas après vous ; je ne sis pas défiant.
DORANTE.
C’est le droit du Receveur, gardez-le.
GROS-JEAN.
V’là un Monsieur qui fait bian les choses ; c’est dommage qu’il ne tire pas, il est bian adroit. Ô çà, Monsieur, dans quelle Brigade voulez-vous être, car tous les Tireux se mettront par Brigades, comme vous savez.
BRACASSAK.
Mets-moi dans celle de Pézenas, mon ami, je ne veux point changer ma Patrie.
GROS-JEAN.
De Pézenas, je n’en avons, morgué, point de ce pays-là. Comment est-ce que je ferons ?
BRACASSAK.
Eh ! sandis, mets-moi dans la première venue, dans celle d’ici, si tu le veux ; j’en deviendrai, si j’y prends femme.
GROS-JEAN.
C’est fort bian dit ; il vous faut une Arme. En avez-vous une bonne ?
BRACASSAK.
Elle le deviendra dans mes mains, bonne ou mauvaise, prête-moi la tienne.
GROS-JEAN.
Pargué vous n’êtes pas mal avisé, vous n’échayez pas mal, c’est une des meilleures, afin que vous le sachiez. Voyez-moi ça, il y a dix mille francs au bout de ce fusil-là, regardez-moi dedans.
BRACASSAK.
Tout beau, tout beau Manant, point de jeu de main : je vous prie. Sans adieu, Mesdames. Je cours à la gloire, ne vous exposez point au bruit des armes, ni aux inconvénients des maladroits.
Scène XVIII
SOPHIE, MADEMOISELLE BRACASSAK, DORANTE
SOPHIE.
Pour peu que vous ayez de curiosité pour ces sortes de spectacles, Madame, l’on aura l’honneur de vous y accompagner.
MADEMOISELLE BRACASSAK.
En aucune façon, ma belle enfant, et j’ai des secrets à vous dire, dont je me flatte que vous ferez un bon usage.
SOPHIE.
Me voilà prête à vous entendre, Madame, et ce Monsieur-là ne doit point vous être suspect.
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Ni moi suspecte à lui, je vous assure. C’est votre Amant sans doute, et l’amour unit d’intérêt tous ceux qu’il assemble sous sa bannière.
SOPHIE.
Mais vous n’êtes point amoureuse de mon père, Madame, quoique vous vouliez l’épouser ?
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Pour cela non, je vous assure. Mais ce sont mes intérêts et les vôtres qui me font agir, et je ne veux devenir votre belle-mère, qu’afin de l’empêcher de vous en donner une, dont vous ne seriez peut-être pas si contente que je me dispose à vous la rendre.
SOPHIE.
Mais ce n’est point mon père qui vous a écrit, et qui vous a fait une promesse de mariage.
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Nan j’en conviens, nous le savons, mais j’ai une donation du défunt, dont je ferai valoir les droits contre lui s’il refuse de me faire les mêmes avantages.
DORANTE.
Il faut éviter le procès, charmante Sophie, une belle-mère comme Madame, ne saurait que vous faire honneur, je connais les Bracassaks, c’est une des meilleurs familles de la Garonne.
Scène XIX
MONSIEUR DE BARBALOU, DORANTE
MONSIEUR DE BARBALOU, ivre.
Qu’est-ce donc que tout ceci, Mesdames ? où est la probité, la justice. On tire le prix sans m’en avertir, j’ai donné mon argent de bonne foi pour être dans la brigade de notre Province, on est aux mains, et on ne le dit pas : Ah ventre ! ah tête ! ah mort ! où est le Prévôt du lieu, que je l’égorge.
DORANTE.
Vous le prenez-là sur un ton Monsieur le Chevalier de l’Arquebuse.
MONSIEUR DE BARBALOU.
Je ne parle pas à vous, Monsieur, je n’offense jamais personne en face, je suis trop honnête homme, et je ne m’adresse jamais qu’aux absents. Il n’est pas ici ce Monsieur le Prévôt.
DORANTE.
Il est sur le champ de l’assemblée, où l’on tire le prix à l’heure qu’il est.
MONSIEUR DE BARBALOU.
Sur le champ de l’assemblée, ah parbleu ! c’est un plaisant visage, de ne pas rendre ce qu’il doit à de certaine gens, d’une certaine considération, d’un certain pays. Je suis Picard afin que vous le sachiez. J’ai la tête chaude, et il ne fait pas bon me marcher sur le pied, je vous en avertis, et ce Monsieur le Prévôt-là pourrait bien...
DORANTE.
Parlez-en avec considération, monsieur, voilà Mademoiselle sa fille.
MONSIEUR DE BARBALOU.
Mademoiselle sa fille, j’ai du respect pour le sexe, j’aime les filles, mais pour les pères, je m’en goberge, je veux une fois en ma vie apprendre à vivre à un Prévôt.
DORANTE.
Un Prévôt pourrait bien vous apprendre à mourir, prenez-y garde.
MONSIEUR DE BARBALOU.
Ce serait un vilain apprentissage, mais cela n’empêche pas que ce Monsieur le Prévôt-là ne soit un impertinent, fort ridicule.
DORANTE.
Puisque le respect pour les Dames ne vous retient pas, il est bon de vous dire que je me regarde comme le gendre de Monsieur le Prévôt.
MONSIEUR DE BARBALOU.
Comme son gendre.
DORANTE.
Oui, vraiment, et il ne vous convient pas...
MONSIEUR DE BARBALOU.
Eh bien ! je vous regarde de même. Voilà qui est fini, point de dispute. Vous m’avouerez qu’il est bien désagréable à un honnête Gentilhomme, Neveu d’un Procureur du Roi, fils d’un Maire de Ville, de donner son argent, soixante bonnes livres pour tirer un prix considérable, mille pistoles et une fille, et de n’être averti de rien, d’être regardé comme un zéro, et de se voir passer la plume par le bec.
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Voilà un petit Gentilhomme Picard, qui a la tête bien chaude.
MONSIEUR DE BARBALOU.
Ce n’est pas le vin, Madame, on n’aura jamais cela à me reprocher, je suis en garde là-contre. Il faut être de sang-froid pour tirer le prix.
SOPHIE.
Celui-ci vous est sûr en l’état où vous êtes.
MONSIEUR DE BARBALOU.
Ne vous en moquez point, le prix est en fille, et en argent, je m’en suis déjà assuré une bonne moitié.
DORANTE.
Les fils de Maires ne sont pas des bêtes.
MONSIEUR DE BARBALOU.
Oh ! pour ça non ! le diable m’emporte. Il y a une certaine petite Mademoiselle Nanette. Eh parbleu ! si vous êtes la fille du Prévôt, c’est votre Cousine à vous.
SOPHIE.
Ce serait là le Chevalier de ma Cousine.
MONSIEUR DE BARBALOU.
Assurément, qu’en voulez-vous dire. Je suis son Chevalier, elle est ma Chevalière, que je vise bien ou mal, elle m’est acquise, j’en ai sa parole et quelques petits gages, les enfants de Picardie sont-ils des dupes : On verra bien que non. Je m’en vais à ma brigade.
Scène XX
MADEMOISELLE BRACASSAK
Toutes les filles de ce pays-ci se marient, elles se saisissent de l’occasion. Elles ont lu l’histoire, la fête est bien imaginée, ce sera l’enlèvement des Romains par les Sabines.
Scène XXI
NICOLAS, SOPHIE, DORANTE
NICOLAS.
Oh ! tatigué, Mesdames, v’là bian du grabuge, le Diable est bian aux vaches.
SOPHIE.
Qu’est-ce qu’il y a ?
DORANTE.
Qu’est-il arrivé ?
NICOLAS.
De plus de deux cents, et ne sais combien de Tireux qu’il y a, il n’y en a que dix-neuf qui avons tiré encore.
DORANTE.
Les autres tireront, le grand malheur !
NICOLAS.
Ils ne tireront morgué pas. Une partie des brigades avons mis bas les armes par admiration, les autres se donnent au Diable qu’il faut que ce soit le Diable en personne, qui a tiré ce coup-là, il a morgué si bien mis dans le milieu, qu’il ne s’en faut pas tout autour l’épaisseur d’un cheveu, que ça ne l’ait emporté tout brandi : Hé où tireront les autres, ils ne saurions plus mettre qu’à côté, quand ils viserions aussi bian que stilà, ils aurions bian mettre dans le milieu, le trou est tout fait, il n’y paraîtrait morgué pas : ah ! que c’est un bon Viseux que ce drôle-là.
DORANTE.
Et qui est-il ce drôle-là ?
NICOLAS.
Un nouviau venu, un homme de bian loin, car parsonne ne le connaît, c’est ce qui fait qu’ils le croyons le Diable, voyez-vous Gros-Jean l’a mis dans la Brigade d’ici, parce qu’il n’avait point de pays, n’an croit qu’ils sont sorciers tous deux, et Gros-Jean n’a qu’à se bian tenir, nan ly revaudra, c’est ly qui a prêté son arme.
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Ne serait-ce pas mon frère, par aventure, le Chevalier de Bracassak.
NICOLAS.
Tout justement, v’là comme on l’appelle, et ce nom-là fait peur à tretous, il n’y en a morgué point qui ne tremblions pour quelqu’un de leurs membres.
DORANTE.
Et pourquoi donc cela ?
NICOLAS.
Pourquoi, morguenne, ly a eu queuques mutins, qui voulions ly disputer, qui avions dit qu’il fallait faire un Blanc nouviau ; qu’ils serions peut-être aussi adroits, ou aussi heureux que ly ?
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Ô qu’ils fassent ! qu’ils fassent ! Il n’est point d’exercice, d’adresse, de valeur et de force, où les Bracassaks n’aient tout l’avantage.
NICOLAS.
Il leur a, pargué, bian dit qu’ils n’aviont qu’à faire ; mais que ceux qui ne ferions pas si bien qu’il a fait, il les tirerait, morgué, tous les uns après les autres. Que v’lez-vous que n’an dise à ça ? Parsonne ne veut avoir affaire à un Tireux comme ly, c’est queuque échappé du Sabat sur ma parole, avec votre parmission da, Madame.
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Je te pardonne tout, rien ne m’offense.
DORANTE.
Mais enfin donc tout est fini.
NICOLAS.
Je ne sais pas trop, mais ça doit l’être.
SOPHIE.
Et mon Père !
NICOLAS.
Monsieur le Prévôt, il est là tout ébahi, qui ne sait que dire comme tous les autres. Il fait sa cour au bon Tireux. Jarnigué ce drôle-là en sait bien long : si an ne l’aime point, on l’appréhende ; il est déjà craint dans le Pays presqu’autant qu’un Receveur des Tailles.
DORANTE.
Quel bruit est-ce que j’entends ? des Violons, des Hautbois, des Flûtes ?
NICOLAS.
Oh ! palsangué, tout est d’accord, il n’y a point eu de noise, et c’est le Victorieux que n’an ramène dans la Ville en sarimonie. Ils m’avons suivi de près. V’là un détachement de la bande : chaque Tireux mène sa Tireuse par la main. Tatigué la belle Ordonnance.
Scène XXII
BRACASSAK, MADEMOISELLE BRACASSAK, DORANTE, SOPHIE, MADEMOISELLE GIRAUT, MONSIEUR PRUNEAU, NANETTE, MONSIEUR DE BARBALOU
BRACASSAK.
Hé bien, ma Sœur ! reconnaissez-vous votre sang : Et dans quelques lieux du monde qu’ils se rencontrent, les Bracassaks font-ils déshonneur à leur Famille ?
MADEMOISELLE BRACASSAK.
Je fais gloire de vous appartenir, mon Frère, et c’est sans doute un avantage où chacun devrait aspirer.
BRACASSAK.
Je ne communique volontiers, je fais faveur à qui le mérite, et nous avons toujours eu des descendants de père en fils, tant mâles, que femelles, du cœur, de la valeur, de l’esprit, et de l’honneur à donner libéralement à nos Amis. Oh çà, Monsieur le Prévôt, vous conviendrait-il de finir avec nous, et d’y prendre part.
MONSIEUR MARTIN.
Je ne sais pas, Monsieur, comment vous prétendez...
BRACASSAK.
Vous le saurez, je vous laisse huit jours pour y penser. En attendant quoi, bonne cuisine, et chère entière. Examinons à présent mes droits, et nous en servons. Le Prix est de dix mille francs, et d’une Fille, n’est-ce pas ? Il me les faut. Hé bien, Cadet, tu meurs d’amour pour cette belle.
DORANTE.
Je fais gloire de l’adorer.
BRACASSAK.
Chacun a sa passion dominante dans le monde. À moi l’argent, à toi la Fille, tu n’es pas le plus mal partagé.
DORANTE.
Elle est pour moi d’un Prix inestimable ; et si Monsieur ne s’oppose point à mon bonheur...
MONSIEUR MARTIN.
Je ne m’oppose à rien, si vous êtes riche ; car je ne sache rien de si bon dans le monde.
DORANTE.
Je jouis de vingt mille livres de rente, et je ne vous demande point de dot.
MONSIEUR MARTIN.
Ma Fille est à vous, cela est trop honnête.
MADEMOISELLE GIRAUT.
Voilà Monsieur Pruneau qui est fort riche aussi, mon Frère.
MONSIEUR MARTIN.
Ne demande-t-il point de dot, ma sœur ?
MONSIEUR PRUNEAU.
Moi, monsieur, je ne demande rien, pas même Mademoiselle.
MONSIEUR MARTIN.
Vous êtes trop modeste, je vous la donne.
MONSIEUR PRUNEAU.
Et vous trop généreux. Je l’accepte. Il faut bien retourner au Pays avec quelque chose de nouveau.
NANETTE.
Si vous vouliez, mon Oncle, voilà un Monsieur d’Amiens qui m’épouserait aussi aux mêmes conditions.
MONSIEUR MARTIN.
À la bonne heure, je serai de fait de tout ce qui m’embarrasse, et j’épouse aussi votre Sœur, Monsieur de Bracassak, pour me refaire une nouvelle Famille, et pour me conformer à l’exemple.
MONSIEUR DE BARBALOU.
Allons, venez, mon Adorable, voilà une famille bien exemplaire.
BRACASSAK.
Allons, Mesdames, de la Joie, à proportion de tant de noces, je veux marier tout le Pays, heureux de pouvoir faire de deux jours l’un des Mariages, qui nous attirent toujours bonne et nombreuse Compagnie.
Divertissement.
Victoire, Victoire,
Salut, Honneur,
Au bon Tireur,
Comblé de gloire,
Que la mémoire
De la valeur,
Et de l’adresse de ce vainqueur,
Dure à jamais dans notre histoire.
À boire, à boire.
À la santé de sa grandeur.
Second air.
Que de tous côtés on apprenne,
Quel Héros emporte le Prix.
Que des bords de la Marne aux rives de la Seine,
Tout le Pays,
Jusqu’à Paris,
En soit surpris.
Troisième air.
Aimables fillettes
Et jeunes garçons,
Venez aux doux sons
Des tendres musettes,
Fouler les herbettes
De ces verts gazons.
Parlez en chansons
De vos amourettes,
Et dans ces retraites,
Vénus, et son fils
Pour les plus hardis,
Pour les plus adroites,
Destinent des Prix.
Branle.
Dans cinq ou six carrosses,
Un badaud de Paris,
Vint le jour de ses noces,
À Meaux tirer le Prix
Mais quel ennui, son Épousée,
Pendant qu’il tirait, fut visée,
Par un Tireur meilleur que lui.
Deuxième couplet.
De Basse Normandie
Cinq ou six hobereaux
Allaient de compagnie
Tirer le Prix à Meaux.
Mais à Paris, c’est grand dommage,
Ils mirent l’argent du voyage,
À tirer leur poudre aux moineaux.
Troisième couplet.
Un Conseiller d’Auxerre,
Noble comme Amadis,
Revenu de la guerre,
Pour remporter le Prix
Vint à Senlis, mais quel voyage !
Il crut y prendre femme sage,
Et pour sot lui-même il fut pris.
Quatrième couplet.
Un coureur de grisettes,
Du Quartier Saint-Denis ;
En certaines guinguettes,
S’enivra d’un vin gris,
Tant en fut pris qu’il voyait trouble,
Et qu’il trouva sa femme double,
Quand il revint à son logis.
Cinquième couplet.
Enfants de la fortune,
Nous en profitons tous,
Et n’en manquons aucune
Lorsqu’elle s’offre à nous :
Je suis adroit,
Et quand la plus belle,
Près de moi passe à tire d’aile,
Je la saisis par le toupet.
Sixième couplet.
Du bonheur de vous plaire,
Uniquement charmés,
Par vous-même à le faire,
Nous sommes animés,
Que tout Paris à nos ouvrages,
Ne refuse point ses suffrages,
Et nous aurons gagné le Prix.