John Bull au Louvre (Jean-François BAYARD - Charles NOMBRET SAINT-LAURENT - Emmanuel THÉAULON)
Vaudeville en trois tableaux
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 13 septembre 1827.
Personnages
JOHN BULL
MISS JENNI, sa nièce
ENJOLINI, italien
MADAME MOREL, tenant hôtel garni
CHARLES, fabricant d’armes
BAZANNE, fabricant de cuirs
MADAME MILET, marchande de souvenirs
MONSIEUR COQUILLE, imprimeur
DULORGNON, jeune fat
MADAME FLORENCE
LES SIX OSAGES
PUBLIC
Le premier Tableau se passe chez madame Morel. Les deux autres à l’exposition au Louvre.
PREMIER TABLEAU
Le Théâtre représente une salle de l’Hôtel garni.
Scène première
CHARLES, MADAME MOREL
MADAME MOREL.
Oui, monsieur, c’est ici l’Hôtel du Trident britannique.
CHARLES.
Vous devez avoir beaucoup d’Anglais ?
MADAME MOREL.
Je m’en vante, et ma cuisine est bien faite pour les attirer ; je n’en suis pas moins française dans l’âme, voyez-vous, et le Trident britannique renferme une arrière-pensée.
CHARLES.
Une arrière-pensée, madame, expliquez-vous.
MADAME MOREL.
Eh ! sans doute, les Anglais ne voient dans ce Trident que l’emblème de leur puissance sur mer, et moi j’y vois autre chose.
Air : Il me faut quitter l’Empire.
C’est, voyez-vous, une lettre-de-change,
Que l’esprit tire sur l’orgueil ;
Nos fiers voisins délicats en louange,
S’empressent tous d’y venir faire accueil,
L’allégorie est si frappante à l’œil !
Et je ne crains pas qu’on me traite,
De mauvaise française vraiment,
Car entre nous ce superbe trident,
N’est à mes yeux qu’une simple fourchette
Dont je me sers pour vivre honnêtement.
CHARLES.
C’est juste ! mais ne pourriez-vous m’apprendre si vous avez dans votre Hôtel, un Anglais arrivé depuis peu ?
MADAME MOREL.
Il m’en arrive tous les jours, surtout depuis l’exposition des produits de notre industrie ; vous savez que nos voisins d’outre-mer prétendent sur ce point à une grande supériorité, et le désir de faire des comparaisons, qu’ils supposent fort humiliantes pour nous, en amène à Paris, une grande quantité.
CHARLES.
Je crois que depuis longtemps la comparaison a cessé d’être à leur avantage.
Air : De Turenne.
Assez connu dans les champs de la guerre,
Et recourant aux arts consolateurs,
Le Français cueille en cette autre carrière,
D’autres lauriers peut-être moins flatteurs,
Mais qui du moins ne coûtent point de pleurs.
Ah ! qu’admirant l’éclat qui l’environne,
De notre France on dise enfin partout :
Brillant encor, son génie est debout,
Il n’a changé que de couronne.
MADAME MOREL.
Parlez plus bas, monsieur, de grâce parlez plus bas ; j’ai là à côté un Anglais, plus Anglais que tous les Anglais ensemble, et s’il vous entendait, il déserterait mon Hôtel... Oh ! c’est un homme qui ne plaisante pas sur ce chapitre que le seigneur John Bull.
CHARLES.
John Bull ! C’est justement l’homme que je cherche.
MADAME MOREL.
Ah ! vous le connaissez ?
CHARLES.
Non, non, pas encore ! mais il doit avoir avec lui une jeune personne.
MADAME MOREL.
Élevée aux dames Anglaises, de Chaillot, et que sir John Bull, son oncle, est venu marier à Paris.
CHARLES.
La marier ! la marier !
MADAME MOREL.
Ah ! ah ! Il paraît, monsieur, que vous ne voulez pas qu’on la marie... Mais le mariage me paraît bien avancé, car j’ai déjà vu sir John Bull et sa jolie nièce avec un monsieur...
CHARLES.
Un jeune homme ?
MADAME MOREL.
Un homme entre deux âges, un Italien, beau parleur, qui parle très mal, espèce de parasite, qui se mêle de tout et sert à sir John Bull de Cicérone dans Paris, avec une intrépidité qui cache nécessairement quelque projet ; on ne se donne pas tant de peine pour rien... Mais d’après ces questions, je vois que monsieur connaît miss Jenni ?
CHARLES.
Oui, je l’ai connue aux Dames Anglaises, où j’avais placé ma sœur pour apprendre l’Anglais, à cause de notre commerce.
MADAME MOREL.
Ah ! monsieur est commerçant.
CHARLES.
Je suis manufacturier, madame, j’ai continué la noble profession de mon père.
Air : De Préville et Taconnet.
Par le travail il ennoblit sa vie,
Il enrichit son fils qu’il adorait ;
Et quand sa course ici-bas fut finie,
Au lit fatal, où la mort l’attendait,
D’une voix ferme encore il me disait :
Charles, mon fils, avec mon opulence,
Te créant des besoins nouveaux,
Tu peux trouver les honneurs, le repos :
Mais souviens-toi que tu dois à la France,
Ton industrie et tes travaux.
MADAME MOREL.
Votre père était un brave homme, monsieur.
CHARLES.
Ces paroles ont décidé de mon sort ; travaillerai toute ma vie, et cette vie eût été trop belle si Jenny avait pu l’embellir.
MADAME MOREL.
Il est sûr qu’une jolie femme...
CHARLES.
Madame Morel, si je pouvais la voir, lui parler, peut-être d’un mot...
MADAME MOREL.
Monsieur, monsieur, vous êtes libre de rendre une visite à sir John Bull, il est visible pour tout le monde ; mais je me flatte que vous n’espérez pas que je consente...
CHARLES.
Madame...
MADAME MOREL.
C’est qu’il faut que vous sachiez que l’Hôtel du Trident britannique, est le plus moral de tous les Hôtels garnis de Paris ; moi d’abord je suis pour les principes, et jamais chez moi... Sir John Bull va conduire sa nièce à l’exposition, si vous voulez la voir, lui parler, lui glisser même un petit billet dans la main, suivez-la dans les salles du Louvre, c’est le rendez-vous des amoureux contrariés... car enfin les papas et les mamans ne peuvent pas avoir un œil pour l’admiration, et l’autre pour la surveillance : on ne regarde bien qu’une chose à la fois.
CHARLES.
Ah ! quelle idée vous me donnez-là.
MADAME MOREL.
Moi, monsieur, je ne vous ai pas donné d’idée du tout, surtout contre un homme qui fait chez moi une dépense... mais tenez, voici justement le monsieur que je suppose être le prétendu ; il vient chercher sir John Bull et sa nièce pour les conduire au Louvre.
CHARLES.
Comment ! c’est là ?...
À part.
Tâchons de ne pas en être aperçu, et cherchons un moyen... Madame, je vous remercie de votre obligeance.
Il sort.
Scène II
MADAME MOREL, ENJOLINI
ENJOLINI.
Air : Di tanti palpiti.
Bravo,
Bravissimo,
Moi
Caro
Amico !
Bravo
Bravissimo !
Tout est bien, tout est beau.
La fortune rebelle
M’avait tourné le dos ;
J’ai forcé la cruelle
À me dire deux mots.
Bravo, etc.
En France, en Angleterre.
Qu’on fasse vingt projets ;
Qu’on déclare la guerre,
Ou qu’on signe la paix.
Bravo, etc.
MADAME MOREL.
Comme cela, monsieur Enjolini vous êtes toujours de l’avis de tout le monde ?
ENJOLINI.
Toujours, signera, toujours, et cela pour ne pas désobliger personne : tel que vous me voyez, je suis Romain de naissance, Grec par sentiment, Français par goût, et Anglais par spéculation.
MADAME MOREL.
Ce qui veut dire que vous flattez les prétentions de sir John Bull, pour qu’il vous donne la main de sa nièce.
ENJOLINI.
È vero, è vero ! elle est jolie la petite personne... et puis c’est un bon parti... Le cher oncle, il voulait la marier, moi je veux l’épouser... nous voilà d’accord ! Et lassé de parcourir le monde, je me fixe à Paris, qui.est le plus beau pays de la terre, depuis que l’immortel Rossini y a fixé sa résidence, et qu’on y fait le macaroni aussi bien qu’à Naples et qu’à Milan !
MADAME MOREL.
Et sans doute ce mariage est arrêté ?
ENJOLINI.
Non, pas tout-à-fait, je n’en ai point encore parlé à sir John Bull, mais j’ai gagné sa confiance en lui faisant croire que Londres est plus beau que Paris, et quand je l’aurai conduit à l’exposition de l’industrie Française, je suis sûr que ce cher homme m’adorera ; c’est un brave homme pour un Anglais.
Air : Vaudeville de la haine d’une femme.
Être brutal dans sa franchise,
Et fier avec les ennemis ;
Préférer toujours la Tamise,
Aux fleuves de tous les pays.
Vouloir la liberté du monde,
Depuis Londres jusqu’à Stamboul ;
Mais dès que le sort le seconde,
Vouloir dominer à la ronde,
Voilà John Bull. (bis)
Oh ! c’est bien lui, voilà John Bull.
MADAME MOREL.
Même Air.
Ah ! je connais son caractère,
Préférer au poulet chétif,
Un boisseau de pommes de terre,
Autour d’un énorme rosbif.
Aimer le Pomard, le Tonnère,
Bien plus qu’on ne l’aime à Stamboul ;
Et ne boire d’une âme fière,
Que du porter et de la bière,
Voila John Bull. (bis.)
Oh ! c’est bien lui, voilà John Bull.
ENJOLINI.
È vero, è vero.
MADAME MOREL.
Et vous oseriez épouser cette jeune personne malgré le danger ?
ENJOLINI.
Si vi le permettez, madame Morel.
MADAME MOREL.
Par exemple, vous êtes brave !
ENJOLINI.
Je vous ai dit que j’étais un Romain. Mais sir John Bull et sa nièce se font bien attendre, je suis venu à la minute.
MADAME MOREL.
La jeune personne est à sa toilette.
ENJOLINI.
Ah ! c’est pour me plaire ce qu’elle en fait.
MADAME MOREL.
Ah ! si vous êtes sûr de plaire à la jeune personne !
ENJOLINI.
Je plairai, madame Morel, je vis le répète encore, je suis un Romain, et puis le cher oncle, qui ne parle pas très bien français, m’a pris pour son interprète, moi qui le parle si bien, et alors je puis causer en toute liberté avec la demoiselle !... La demoiselle m’écoute, elle m’écoute avec plaisir, car elle rit quand je lui parle... et cette conquête me donnera moins de peine que la conquête des Gaules n’en donna à l’un de mes aïeux, Jules César, de glorieuse mémoire.
MADAME MOREL.
Ah ! vous remontez jusqu’à César.
ENJOLINI.
Non, je ne remonte pas, je descends.
MADAME MOREL.
Voici sir John Bull et sa nièce.
ENJOLINI.
Ah ! diavolo !
Scène III
MADAME MOREL, ENJOLINI, JOHN BULL, JENNI, DEUX DOMESTIQUES
JOHN BULL, aux domestiques.
Tom, premier, allez chercher la voiture.
Un domestique sort.
Et vous, Tom second, allez faire les commissions de moi.
MADAME MOREL.
Vos domestiques s’appellent donc tous deux Tom, Milord ?
JOHN BULL.
Yes, madame yes, ce était un domestique en deux volumes. Vous miss, écoutez un en à moi avec le attention de le Angleterre, et point du tout avec le étourderie française.
JENNI.
Oui, mon bon oncle.
ENJOLINI.
Signor, je suis votre serviteur... mademoiselle, je suis...
JOHN BULL.
Laissez parlez moi ; monsieur Enjolini... bonjour.
ENJOLINI.
Pardon, Milord, mais c’est que mademoiselle est encore piou jolie ce matin qu’hier et que vous, Signor, vi avez dans la physionomie quelque chose de radieux.
JOHN BULL.
Je avais dans la physionomie le mauvais déjeuner que je venais de faire... La France il était le pays où l’on déjeunait le plus incomplettement.
MADAME MOREL, à part.
Incomplettement... Il a mangé dix livres de bœuf.
JOHN BULL.
Air : Le luth galant.
Pauvre John, hélas ! dans ce pays,
Depuis cinq jours comme je dépéris !
Du soleil des Français le feu me décolore,
Tous leurs repas sont courts ;
Vainement je dévore.
Je avais faim tantôt, je avais faim encore,
Je avais faim toujours.
MADAME MOREL.
Si monsieur, veut qu’on lui serve un quatrième déjeuner.
ENJOLINI.
Excellente idée, Madame Morel, d’autant plus que je n’ai déjeuné qu’une fois.
JOHN BULL.
Nous déjeunerons avant dîner... Écoutez encore, miss Jenni, je étais venu à Paris pour voir le exposement de le industrie, avec un grand projet que je ne voulais pas dire encore... Prenez ce petit billet, où je avais mis dedans le projet à moi, vous ne le ouvrirez qu’après avoir vu les produits de les Manufactures Françaises. John Bull, il n’aimait pas le Français du tout, du tout, mais John Bull, il était juste et équitable.
JENNI.
Je le sais, mon bon oncle.
JOHN BULL.
Vous le savez, vous le savez, et qui avait dit à vous, petite Française étourdie ? Vous le saurez quand vous aurez-vu cette billet.
ENJOLINI.
Calmez-vi, mon ami, calmez-vi, pour l’amour de moi.
MADAME MOREL.
Mais, sir John Bull, puisque vous aimez si peu les Français, pourquoi avoir fait élever notre nièce en France ?
JOHN BULL.
Ma nièce, il n’était pas ma fille, Madame.
MADAME MOREL.
C’est juste.
JENNI.
Mon père, Milord Artur, était venu s’établir à Paris, et me fit élever aux Dames Anglaises ; la Directrice de la maison m’aimait comme sa fille, et quand je perdis mon père, mon oncle consentit à me laisser en France jusqu’à mon mariage.
JOHN BULL.
Mis, il écrivait à moi : ma petit oncle, je mourrai moi de chagrin si je quittais ma bonne amie de Paris.
MADAME MOREL, à part.
Ce qui veut dire mon bon ami ; je vois qu’elle aime le jeune manufacturier.
JOHN BULL.
Ma nièce, voyez-vous, elle était pas comme moi, elle aimait le Français infiniment beaucoup.
JENNI.
Cher oncle, c’est si naturel.
Air : D’une heure de mariage.
C’est en France depuis dix ans,
Que je reçois une autre vie ;
Mais gardé mes sentiments,
Pour mes parents, pour ma patrie.
Et je sens-là que j’aimerais,
Pour y faire ma résidence,
L’Angleterre avec un Français,
Mais avec un Anglais, la France.
MADAME MOREL, bas, à Enjolini.
Dites donc, elle ne parle pas des Italiens.
ENJOLINI.
C’est qu’elle me prend pour un Français.
MADAME MOREL, à part.
Est-il gascon, ce Romain là.
ENJOLINI.
Ma audianco, audianco, signor John Bull, il est l’heure d’aller à l’exposition publique : n’entre pas qui veut aujourd’hui... Voici les cartes de faveur ; c’est ce matin que l’on distribue les médailles et les récompenses aux artistes et aux commerçants Français. Vous verrez, mon ami, que l’industrie Française ne vaut pas l’industrie Anglaise, mais pourtant...
JOHN BULL.
Partons, Madame la table d’hôte, songez au dîner de nous.
ENJOLINI.
Je vi recommande le macaroni... Si mademoiselle voulait prendre le bras du romain ?
JENNI.
J’aime mieux celui de mon oncle.
ENJOLINI.
Vraiment j’en suis très flatté. La voiture est à la porte... Nous allons voir des femmes jolies.
JOHN BULL.
Yes, yes ! Je savais bien qu’à Paris...
TOUS.
Air : De Michel et Christine.
Hâtons-nous, rendons-nous,
Dans ces lieux où l’industrie,
Des beaux-arts, du génie.
A fixé le noble rendez-vous.
JOHN BULL.
O god, ici, que de femmes jolies !
À Londres j’ai vu la beauté ;
J’ai fait pour elles cent folies,
Mais ici je suis enchanté.
Oui j’admire fort les Anglaises,
Mais pour les dames de Paris,
John Bull il donnerait le prix.
Aux manufactures françaises.
TOUS.
Hâtons-nous, etc.
Ils sortent.
DEUXIÈME TABLEAU
Le théâtre change et représente une des salles du Louvre, où sont exposées les reliures, les modes, les cachemires, etc., etc.
Scène première
MADAME FLORANGE, DAMES À LA MODE
CHŒUR.
Air :
Ce qu’on voit ici,
Est frais et joli ;
Ces modes nouvelles,
Et ces fleurs si belles,
Tout charme les yeux.
Et les curieux ;
Ont tous à la fois
L’embarras du choix ;
Ces tissus divins,
Ces brillants écrins ;
Tout ravit, enchante,
Tout nous tente.
Messieurs les maris,
Ah ! malgré les prix,
Pour nous contenter,
Il faut acheter.
Scène II
MADAME FLORANCE, DAMES À LA MODE, MONSIEUR DULORGNON, caricature à la mode
DULORGNON.
Ah ! ah ! ah !... impayable, d’honneur.
MADAME FLORANCE.
Eh ! c’est monsieur Dulorgnon, ce jeune fat de la chaussée d’Antin.
DULORGNON, faisant une pirouette.
Mesdames... enchanté.
MADAME FLORANCE.
Qu’est-ce donc qui vous fait rire ainsi ?
DULORGNON.
Une aventure charmante : le gros baron d’Albois qui peste et jure là-bas contre sa femme. Figurez-vous que la petite baronne se promène dans les galeries avec trois domestiques et achète tout ce qui lui plaît sur son passage. Rien de plaisant comme de voir madame, prenant tout sans marchander et ne répondant aux observations de son époux que par ces mots : payez, monsieur le baron ! monsieur le baron paie, mais il enrage, c’est délicieux.
MADAME FLORANCE.
Est-elle heureuse la petite baronne d’avoir un mari comme celui-là : pour moi, le croiriez-vous, mon cher, il m’a été impossible encore de déterminer le mien à m’accompagner ; voilà pourtant des choses ravissantes et d’un goût parfait dont on ne peut absolument se passer ; ces bronzes de Thomires, ces cachemires de Ternaux, ces colliers de Bourguignon...
DULORGNON.
Il est sûr que pour les objets de luxe, l’exposition est admirable cette année ; cette salle surtout ressemble à une féerie.
MADAME FLORANCE.
Tout me tente ici, et mon mari ne veut pas absolument venir.
DULORGNON.
Je vois qu’il a peur de se laisser tenter aussi ; que ne faites vous apporter chez lui tout ce qui vous fait envie, il sera bien forcé de payer alors.
MADAME FLORANCE.
Vous me donnez là ‘une excellente idée ; puisque nos maris sont riches ; ils doivent acheter tout ce que nous désirons, ne fut-ce que pour encourager les arts, n’est-ce pas ? Allons ma chère, il ne faut pas se gêner.
Air : Du Vaudeville du
Je prends tout ce que je désire,
Bijoux, esprit, velours, acier,
Bronze, meubles, fleurs, cachemire,
Mon époux est là pour payer.
DULORGNON.
Ah ! ne craignez pas qu’il réclame,
Les pauvres maris d’à présent,
Sont trop heureux avec leur femme,
De s’en tirer pour de l’argent.
MADAME FLORANCE.
Venez ma chère amie, et procédons par ordre... Il faut commencer par la salle voisine, j’y avais remarqué des choses charmantes.
DULORGNON.
Si ces dames veulent me le permettre, je vais les accompagner ; elles savent que j’ai un goût parfait pour tout ce qui tient à la parure des dames ; d’ailleurs, si vous avez besoin d’argent ne vous gênez pas... à propos mesdames, savez-vous la nouvelle ?
MADAME FLORANCE.
Qu’est-ce donc ?...
DULORGNON.
Les sauvages vont venir à l’exposition.
MADAME FLORANCE.
En vérité !...
DULORGNON.
C’est pour cela qu’il y a tant de monde.
Air : Il me faudrait quitter l’Empire.
Ces Indiens ont bonne tournure,
Leur costume est des plus galants ;
Mais la couleur de leur figure,
Fait peur à nos petits enfants.
Leurs compagnes sur nos rivages,
Viennent aussi nous montrer leurs attraits ;
Et les Parisiens stupéfaits,
Contemplent ces femmes sauvages
Comme des gens qui n’en virent jamais.
MADAME FLORANCE.
Apprenez, monsieur, qu’il y a dans Paris des femmes sauvages comme ailleurs.
DULORGNON.
Je le crois bien, il n’y en a nulle part. Mais je ne me trompe pas, voilà monsieur Charles.
Scène III
MADAME FLORANCE, DAMES À LA MODE, MONSIEUR DULORGNON, CHARLES
DULORGNON.
Bonjour, monsieur Charles ; mesdames, je vous présente l’un de nos plus riches manufacturiers.
MADAME FLORANCE.
Monsieur fabrique des Cachemires ?
CHARLES.
Non, madame, je fabrique des armes.
MADAME FLORANCE.
Tenez, mon cher monsieur Dulorgnon, allons voir la salle des marchandes de modes.
DULORGNON.
Allons, madame.
TOUS.
Reprise du Chœur.
Ce qu’on voit ici, etc.
Scène IV
CHARLES, MADAME MILET
CHARLES.
Vous savez nos conventions, madame Milet.
MADAME MILET.
Quelque amourette, je le vois ; je gage que c’est pour cela que vous m’avez acheté ce joli souvenir ?
CHARLES.
Précisément ; mais silence, car je vois venir là-bas, les personnes que j’attends...
Madame Milet reste près de sa boutique.
Oui le moyen est hardi, mais il me paraît sûr, il faut absolument savoir si Jenni partage mon amour, ou si elle consent au mariage que son oncle veut faire.
Air : C’est bien ici l’instant de commenter.
Pendant dix ans j’ai travaillé,
Pour la gloire et pour ma patrie,
Et deux fois mon nom a brillé
Dans ce temple de l’industrie.
En ce noble et royal séjour,
Du prince la munificence,
Nous attend, dit-on, en ce jour ;
Mais si je perds l’objet de mon amour,
Où sera donc la récompense.
Soyons prudent, les voici.
Scène V
CHARLES, MADAME MILET, JOHN BULL, JENNI, ENJOLINI
ENJOLINI.
Vi voyez, sir John Bull, vi voyez, je ne vous avais point trompé, l’industrie française est bien loin de l’industrie anglaise.
JOHN BULL.
Yes, yes !... Mais je avais pourtant admiré un superbe... taverne de porcelaine.
JENNI.
Un cabaret mon oncle.
JOHN BULL.
Yes, yes, un cabaret de porcelaine : maintenant allons voir le exposition de les machines françaises, le Angleterre elle était fort pour les machines, on pouvait pas faire un pas sans en rencontrer par tout des machines.... Ensuite miss, nous irons voir les petites personnes qui disent papa et maman.
ENJOLINI.
Les automates, vous voulez dire... Elles ne sont pas toutes à l’exposition.
JOHN BULL.
Yes, yes, il y en avait partout des automates.
Air : Turlurette.
Ce grand Monsieur sa mouvant,
Au moindre souffle du vent,
Sans que jamais rien l’abatte...
Automate,
Petite automate.
Ce grand acteur déclame
Tous ses vers à la Talma,
Et de régaler se flatte...
Automate,
Petite automate.
Enfin ce vieux cuisinier,
Qui sans savoir son métier,
Nous fait mainte sauce ingrate,
Automate,
Petite automate.
ENJOLINI.
Vi êtes un homme d’esprit, Milord.
JOHN BULL.
Finalement, tout était plus brillant à Paris, mais à London, ce était plus solide.
CHARLES.
C’est selon, milord, c’est selon.
JOHN BULL.
Qui parlait à moi.
JENNI, à part.
C’est monsieur Charles.
CHARLES.
C’est un Français, milord, auquel vous permettrez bien j’espère, de prendre la défense de son pays.
JOHN BULL.
Vous voulez dire à moi, monsieur, que les manufactures de la France remportaient sur les manufactures de le Angleterre ; je croirai jamais.
ENJOLINI.
Ni moi non plus, je rends justice à l’industrie française, mais ce n’est pas l’humilier que de dire que dans cette salle, par exemple, tout ce qu’on y trouve en gravure, lithographie, reliure et dorure sur cuir, n’égale pas les mêmes produits de l’industrie anglaise... que diavolo, voyez plutôt, je vi en fais juge.
JOHN BULL.
C’était bien parler cela, monsieur Enjolini, vous êtes un Italien, mais vous êtes un bon Anglais.
ENJOLINI.
Je suis un Romain, c’est tout dire.
CHARLES.
Et vous dites monsieur que l’industrie anglaise surpasse la nôtre. Je doute pourtant que la perfection puisse aller plus loin.
Air : De Kettli.
Voyez d’un coup d’œil.
L’orgueil
D’une noble industrie,
Qui de toutes parts
Étonne, enchante nos regards ;
Ces produits épars,
Trésors de la même patrie,
Autour d’un laurier
Viennent ici nous rallier.
Le sein nourricier
D’une mère riche et féconde,
À tous les Français.
De la paix verse les bienfaits ;
Et dans ce palais
Les arts, ces autres rois du monde,
De la France encor
Ont relevé le sceptre d’or.
Ce brillant essor
Nous promet des palmes nouvelles,
On n’a plus chez nous
Recours à des voisins jaloux ;
Nos tissus plus doux
Parent les attraits de nos belles,
Et de nos maris
L’argent au moins reste à Paris.
Nos riches tapis,
Nos fleurs, nos meubles indigènes,
Ont repris leurs droits.
Jusques dans les salons des rois ;
Et l’art des Chinois
Cède enfin à nos porcelaines,
Ces boudoirs charmants
Ou l’on baille sur leurs romans.
Nos livres brillants
Chez Didot marchent à la gloire,
Celui qui les vend
Quelquefois les pousse en avant :
Et même souvent
Jusques au Temple de Mémoire,
D‘un front radieux
L’imprimeur s’élance avec eux.
Ce bronze pompeux
Qui fut conquis par la victoire,
D’un éclat nouveau
Semble briller chez Ravrio ;
Sur ce piano
Que les arts offrent au génie,
Brillent Boyeldieu,
Rossini, chers au même dieu !...
Voyez d’un coup d’œil, etc.
MADAME MILET.
Allons, Messieurs, achetez-moi quelques souvenirs.
ENJOLINI.
Vive l’Angleterre per les souvenirs, par exemple,
CHARLES.
Les souvenirs de l’Angleterre, Monsieur, n’éclipsent pas les souvenirs de la France.
JOHN BULL.
Que voulez-vous dire, monsieur le marchand ?
CHARLES.
Pardon, Milord, mais je me connais en souvenirs, moi.
Air : De Calpigi.
Souvenirs d’amour, de tendresse.
Souvenirs d’esprit, de noblesse,
Souvenirs de nobles travaux,
Et pour l’usage des héros,
Souvenirs d’honneur et de gloire,
Milord, permettez-moi de croire,
Que les souvenirs des Français,
Valent mieux que ceux des Anglais.
JOHN BULL.
Goddam ! les souvenirs anglais, les souvenirs anglais, ils seraient superbes aussi, entendez-vous monsieur le petit marchand ?
CHARLES.
Tenez, regardez Milord.
Il l’emmène au fond.
MADAME MILET, à Enjolini.
Monsieur, faites donc hommage à Mademoiselle de ce joli souvenir qui se distingue de tous les autres par son élégance ; vous m’avez l’air d’être son prétendu, c’est le moyen de lui plaire.
ENJOLINI.
Vi croyez, vi croyez... Mademoiselle Jenni, je vous prie de recevoir ce joli petit souvenir.
JENNI.
Monsieur.
MADAME MILET, bas à Jenni.
Acceptez et lisez.
ENJOLINI.
Vous refusez, belle miss, je suis désespéré...
JENNI.
Au contraire, Monsieur, j’accepte avec reconnaissance.
ENJOLINI.
Ah ! je suis enchanté.
À part.
Diavolo de marchande.
CHARLES, au fond.
Et la beauté de ces tissus, Milord ! admirez ces cachemires français, Ternaux semble posséder la baguette des génies de l’orient.
JOHN BULL.
Oh ? god ! ce était une magnificence, magnifique.
JENNI, ouvrant le souvenir, et lisant à part.
« Si le prétendu que votre oncle vous destine, vous déplaît, si vous approuvez mon amour, placez à votre côté, dans la salle voisine, le bouquet de fleurs artificielles qui vous sera présenté, ce signal voudra me dire que je puis demander votre main. CHARLES. »
JOHN BULL.
Regardez un peu, miss, regardez un peu les cachemires de France, comme ils étaient dans le raffinement.
ENJOLINI.
Oh ! c’était superbe ; on dirait de la flanelle d’Angleterre.
CHARLES.
Quelle basse flatterie !
JOHN BULL.
God ! ce jeune homme il n’avait qu’un défaut, c’est qu’il n’était pas Anglais... Qu’est ce qui venait là ?
ENJOLINI.
Oh ! caro ! ce sont les sauvages du Missouri, les Osages qui sont venus en Europe pour apprendre a faire le macaroni.
JENNI.
Les sauvages ! oh ! que j’aurai de plaisir à les voir.
Scène VI
CHARLES, MADAME MILET, JOHN BULL, JENNI, ENJOLINI, LES SIX SAUVAGES, DULORGNON, CURIEUX
CHŒUR.
Air :
Oui, les voilà vraiment,
C’est surprenant,
Quel événement,
De ces indiens,
Les parisiens,
N’avaient jamais
Pu contempler les traits.
JOHN BULL, à la femme sauvage.
Vous étiez une femme sauvage, madame ?
LA FEMME SAUVAGE.
Bic, doc, telour, mac, fric.
JOHN BULL.
Je ne comprenais pas, moi,
DULORGNON.
C’est justement ce que madame vous dit, Milord.
JOHN BULL.
Ah ! vous entendez le sauvage vous, Monsieur.
DULORGNON.
Comme ma langue maternelle ! J’ai longtemps habité la Nouvelle-Orléans, et nous allions tous les dimanches chez ces messieurs, c’est à deux pas, comme qui dirait Bagnolet ou Passy.
JOHN BULL.
Pourriez-vous dire à moi comment s’appelaient ces messieurs ?
DULORGNON.
Bien volontiers, Milord. Voici d’abord monsieur Karquachinka, c’est-à-dire le grand chef et ses deux femmes de voyage madame Mianga, c’est-à-dire la rose d’aujourd’hui, et madame Crétome, ou la rose d’hier : ces intéressants personnages sont suivis de leur suite, monsieur Moucaquiguitanga ou l’homme d’esprit, Minchédaou, c’est-à-dire le petit soldat, et Couchisabe surnommé le grand soldat à cause de sa belle taille : ces enfants des déserts sont venus à Paris pour assister à une représentation de l’opéra sur la renommée du célèbre Rossini.
Air : De Partie carrée.
Vénus de l’autre bout du monde,
Pour visiter notre brillant pays ;
Ces bons Indiens veulent voir à la ronde,
Tous les théâtres de Paris.
JOHN BULL.
C’est un plaisir que le sauvage ignore,
Mais en courant ces spectacles divers,
À l’Odéon ils vont se croire encore
Au fond de leurs déserts.
ENJOLINI.
È vero, è vero, et pourtant le grand Maestro s’y montre quelquefois.
UN SAUVAGE.
Fric, crac, bok, froc, thi, brr...
JOHN BULL.
Que voulait lui ?...
DULORGNON.
Il dit qu’il est enchanté de vous voir si bien portant.
JOHN BULL.
Et aussi moi.
LE SAUVAGE, le faisant tourner.
Crac, ter, fric, zout, talour pouf.
JOHN BULL.
Assez, assez, goddam.
LA FEMME SAUVAGE.
Gnic, gnoc, fir, talour, pou.
DULORGNON.
Elle dit qu’elle va chanter une romance osagienne.
JENNI.
Cher oncle, écoutons cela.
LA FEMME SAUVAGE.
Romance.
Air : Nouveau de monsieur Blanchard.
Zinz, tali, talour.
Fir, zoli, zolour.
Fur, cali, calour.
Ti, touli, toulour.
Vak, bek, fik, buk, bok.
Ouli, ouli, ouli.
Tchin, tchoun, tchan. (bis.)
Bik, bouli, bolour.
Crek, tizalo, zour.
Traduction.
Aux armes ! l’ennemi a paru dans la plaine du Sang ! aux armes ! amants, époux, et même vieillards ; il faut sauver les os de nos pères, et la couche où nous dormons au retour de la chasse. Mort ! mort ! mort ! aux ennemis. Demain nous boirons dans leurs crânes dépouillés.
Bek, fali, zalan.
Pik, kébo, vélan.
Nurk, zépu, iolan.
Ti, touti, tgolan.
Nurk, fulr, crip, cok, pirk.
Izu, izo, iza.
Tchin, tchoun. tchan. (bis.)
Traduction
Si l’amour de la lutte ne vous enflamme pas... que celui de vos femmes vous guide. Les verrez-vous, sans courage, donner des colliers d’amour aux ennemis vainqueurs ?.... Hommes rouges ! Vous frémissez. Mort ! mort ! mort ! etc.
JENNI.
Comme c’est singulier une femme sauvage.
DULORGNON.
N’est-ce pas, Mademoiselle ?
LES SAUVAGES.
Hiré ! hiré !
DULORGNON.
Vous voyez la joie qu’ils éprouvent à l’aspect des armes qui leur rappellent leur pays ; permettez leur monsieur le marchand, de s’en emparer. Hiré, coula, couli bick, fric.
Danse des sauvages.
JOHN BULL, après la danse.
Cette sauvage, elle était charmante !
JENNI.
Quelle est intéressante !
LA FEMME SAUVAGE.
Zur, guif, gnof, zir, crac hiré, tour.
JONH BULL.
Que disait-elle encore ?
DULORGNON.
Elle dit, Milord, que si vous êtes content, vous en fassiez part à vos amis et à vos connaissances.
JOHN BULL.
Yes ! je étais fort content ; mais continuons la promenade pour le exposition.
MADAME MILET, bas à Jenni.
Songez au bouquet de fleurs artificielles.
CHŒUR.
Oui, les voilà vraiment, etc.
Ils sortent tous.
TROISIÈME TABLEAU
Le théâtre représente une salle très riche ; on voit dans le fond, des armes, des tapis, etc.
Scène première
BAZANE, MADAME MILET, COQUILLE
BAZANE.
Ah ! ah ! v’est vous madame Milet ? Je suis bien aise de vous rencontrer. Vous venez dans cette salle voir la distribution des récompenses que le Roi z’accorde aux fabricants.
MADAME MILET.
Si vous voulez bien le permettre, monsieur Bazane.
BAZANNE.
Oui, monsieur Bazane, immortalisé cette année pour le perfectionnement du cuir z’à relier. Notre commerce se touche, madame Milet, et c’est pour cela que nous pourrions nous donner mutuellement la main... Voulez-vous me donner votre main ?
Il la prend.
Elle ressemble zà un maroquin perfectionné.
MADAME MILET.
Vous songez toujours à cela, monsieur Bazane ?
BAZANE.
J’y songe plus que jamais, belle dame ! V’là six mois que je vous vis dans le magasin du gros marchand de papiers de la rue Saint-Honoré, qui a z’exposé cette année de si jolis souvenirs, de si jolis portefeuilles : depuis ce jour, ous que j’admirais vos yeux charmants et votre peau si douce, un vrai cuir de Russie... je ne dors plus, je ne mange plus, je ne pense qu’a vous !... C’est tannant z’en diable ! il faut que ça finisse, et je profite de l’exposition des objets de l’industrie, pour venir vous exposer mon martyre. Vous allez dire que je ressemble z’a un vieux bouquin relié z’en veau de chagrin, c’est votre faute. Épousez-moi donc, vous n’en serez pas fâchée, le commerce des cuirs va t’assez bien en ce moment.
MADAME MILET.
Ceux que vous faites surtout sont fort jolis ; mais nous avons le temps d’attendre, monsieur Bazane.
BAZANE.
Le temps ! madame Milet, le temps !
Air : De Julie.
Mettez bien ça sur vos tablettes,
Quand elle touche à quarante ans.
Une femme des moins coquettes,
Ne doit rien attendre du temps.
Car par les effets les plus tristes,
Le temps chagrine nos regards ;
S’il perfectionne les arts,
Il n’embellit pas les artistes.
Montrant Coquille qui se promène au fond de la scène.
Demandez plutôt z’à l’imprimeur que voilà ! il était encore assez joli garçon z’à la dernière exposition, et maintenant il a l’air d’une vieille reliure en veau.
COQUILLE, s’approchant.
Ça ne vous regarde pas ; qu’est-ce que j’ai donc de commun avec un marchand de cuirs, moi ?
BAZANE.
Tiens, il fait le fier, comme si les livres et les cuirs, ça ne se tenait point par la couverture.
COQUILLE.
Comparer votre art au mien !
BAZANE.
Oui, je compare mon art à la vôtre : les arts sont sœurs, monsieur Coquille ; et il ne faut pas faire tant le dédaigneux...
Air : De Partie carrée.
Dans l’ maroquin, dans l’ veau, dans la bazane,
J’ai travaillé ! j’ travaille encor souvent ;
Et plus d’un livr’, dont l’auteur fait le crâne,
Dût quelquefois son lustre à mon talent.
Dans vos succès nous somm’ ; pour quelque chose.
Et que d’ouvrag’s dont on a dit enfin :
L’auteur du cuir z’et l’auteur de la prose,
Peuvent se donner la main.
COQUILLE.
Au fait, ça se voit quelquefois, monsieur Bazane !...
BAZANE.
Pas si bas que vous, Monsieur !...
Air : Je regardais Madelinette.
Je m’appelle monsieur Bazane,
Et parle mal, cela se peut ;
Pourtant je ne suis pas un âne,
Que l’on ait z’aller comme on veut ;
Je sais attirer la pratique.
COQUILLE.
Quels cuirs il fait d’un air aisé !
MADAME MILLET.
Comme un produit de sa fabrique,
On dirait qu’il s’est exposé.
ENSEMBLE.
Je }
Il } m’appelle monsieur Banane, etc.
Scène II
BAZANE, MADAME MILET, COQUILLE, ensuite CHARLES avec la croix
BAZANE.
Ah ! voilà, monsieur Charles, le jeune fabricant qui a la croix d’honneur ; regardez donc, madame Milet, comme ça va t’a sa boutonnière.
MADAME MILET
Il ne l’a pas volée, celui-là.
BAZANE.
Ils auraient bien dû me la donner {aussi à moi, pour mes cuirs perfectionnés.
MADAME MILET.
Il ne doute de rien, monsieur Bazane... Mon jeune manufacturier, veuillez recevoir mon sincère compliment.
CHARLES.
C’est le plus beau jour de ma vie !
Air : Du Bouffe.
Ce signe d’honneur et de gloire,
Était le prix de la victoire ;
La récompense du soldat,
Défendant et servant l’état.
Mais un commerçant j’imagine,
Peut bien porter sur sa poitrine
Les mots de patrie et d’honneur,
Puisqu’il les porte dans le cœur.
BAZANE.
C’est bien dit ça. Voilà comme nous sommes tous dans le commerce et l’industrie nationaux.
CHARLES, allant au fond.
Mais que vois-je ? monsieur Enjolini qui vient de ce côté ; il est avec miss Jenni. Comment se fait-il ?
Scène III
BAZANE, MADAME MILET, COQUILLE, CHARLES, ENJOLINI, JENNI
JENNI.
Ramenez-moi près de mon oncle, monsieur Enjolini, je vous en prie, il doit être d’une inquiétude mortelle.
ENJOLINI.
Nous l’avons perdu dans la foule.
À part.
Je l’ai égaré exprès pour lui parler de ma passion.
CHARLES, à part.
Quel bonheur, elle s’est parée du bouquet de fleurs artificielles, plus de doute je suis aimé et je puis parler à cet Italien.
ENJOLINI.
Votre oncle, belle miss, se sera arrêté dans la salle des armes Françaises, pour voir si elles valent les armes Anglaises, ma...
CHARLES, s’approchant.
Ne dites pas de mal des armes Françaises, monsieur l’Italien.
JENNI, à part.
C’est encore Charles.
CHARLES.
Air : De la Sentinelle.
Chez nous l’acier qui brille au champ d’honneur,
Est d’un éclat dont jamais rien n’approche ;
Et tous ces fers dont s’arme la valeur,
Chez nous toujours ont été sans reproche ;
Oui, leur renom est achevé,
Au sein des plus vives alarmes,
Leur mérite est partout prouvé ;
Et les peuples ont éprouvé
Ce que peuvent valoir nos armes.
ENJOLINI.
È vero, Signor, mais je n’ai pas l’honneur de vous connaître et je vi prie...
CHARLES.
Monsieur l’Italien, j’aime la nièce de sir John Bull ; et si vous ne voulez point renoncer à vos prétentions ridicules, je vous apprendrai ce que peuvent valoir aussi les épées que je fabrique.
ENJOLINI.
Ma, Signor ?
CHARLES.
Vous m’avez entendu ?
ENJOLINI.
Si, Signor... Oh ! capisco, m’a, je vous ferai observer que je n’ai jamais eu de prétentions à la main de miss Jenni, et je vi prouverai que j’estime l’industrie Française en allant dîner chez vous ; je vi apprendrai à fabriquer le macaroni.
CHARLES.
À la bonne heure... Mais, silence ; voici sir John Bull.
MADAME MILET.
Ah ! comme il a l’air essoufflé, ce pauvre John Bull.
BAZANE.
Des Turcs, des Sauvages, des Anglais, la jolie collection ; il n’y manque que la Girafe et le Serpent zà sonnettes.
Scène IV
BAZANE, MADAME MILET, COQUILLE, CHARLES, ENJOLINI, JENNI, JOHN BULL
JOHN BULL.
Ah ! god, god ! Je étais dans le étouffement de la chaleur, je trouvais enfin vous, miss Jenni ; petite évaporée, vous courir toujours dans le salle où l’on vendait le bouquet fait avec le gros poisson et avec le baleine.
JENNI.
Ce n’est pas ma faute, mon cher oncle, c’est monsieur...
ENJOLINI.
Eh ! bien, cher ami, que dites-vous des armes Françaises ? vous-êtes content ?
JOHN BULL.
Yes, je étais content.
Air : que je sens d’impatience.
C’était superbe, magnifique,
Et l’on ne pouvait faire un pas
Sans trouver un objet unique,
Qu’à London on ne connait pas.
Partout quelle richesse !
Quel talent ! quelle adresse ;
Et partout la beauté
Et le bonté ;
En vérité
John Bull commence
À croire qu’on voit à Paris,
Comme en son pays,
Les arts réunis ;
Tenez, voyez-vous,
Au Louvre ils sont tous,
Oui, tous ; (bis.)
Et John Bull il serait jaloux.
Mais ce serait égal tout de même. John Bull il était juste et il disait lui... disait dans la rage de la colère... God ! God ! Goddam !
Fin de l’air.
La France, (bis.)
L’emporte enfin sur nous. (ter.)
ENJOLINI.
Je vi avais toujours dit, caro amico ! ma vous ne voulez jamais me croire.
JENNI.
Cher oncle, vous êtes si bon.
JOHN BULL.
Je étais pas bonne du tout, miss ; car je étais dans le mécontentement pour la perte de ma gageure.
JENNI.
Une gageure !...
JOHN BULL.
Yes ! Une gageure de dix mille guinées que je avais perdue, moi, à Paris. Lisez le petite billet que je avais donné à vous.
JENNI.
Oui, mon oncle.
Elle lit.
« Je permets à miss Jenni d’épouser un manufacturier Français, avec dix mille guinées de dot. »
ENJOLINI.
Dix mille guinées, ah ! mon dieu !
JOHN BULL.
Yes ; moi, John Bull, je avais parié avec moi-même toute seule dix mille guinées, que le industrie Anglaise, il valait mieux que le industrie Française ! et j’étais venu à Paris pour voir Goddam ! je avais perdu.
JENNI.
Cher oncle !
JOHN BULL.
Yes ! bien je avais perdu ! et vous épouserez un Français quand il se présentera pour le mariage.
CHARLES.
Me voici, Milord.
JOHN BULL.
Oh ! oh ! ce était le fabricant d’armes Français... J’accepterais lui avec plaisir pour ma neveu.
JENNI.
Et moi pour mon mari.
JOHN BULL.
Fort bien ; je voyais que vous aimez aussi le industrie Française.
ENJOLINI, à part.
Je suis mystifié joliment ; ma je suis philosophe.
CHARLES.
Croyez, sir John Bull, que le bonheur de Jenni sera l’occupation de toute ma vie.
JOHN BULL, prenant Charles à part.
J’ai promis dix mille guinées, mais j’en donnerai vingt mille si vous voulez venir établir vous en Angleterre.
CHARLES.
Je n’irais pas pour vingt millions, sir John Bull.
Air : Voulant par ses œuvres.
Moi, j’irais fabriquer des armes,
Pour d’autres que pour les Français ;
Ah ! plutôt soudain à ses charmes,
Aujourd’hui je renoncerais.
Ma flamme est cependant sincère,
J’aime Jenni plus que jamais ;
Oui réponse une Anglaise, mais
Je n’épouse pas l’Angleterre.
JOHN BULL.
Je étais encore content ; j’aimais le esprit national partout. Eh ! bien, nous ferons le mariage tout de suite, et je repartirai pour Londres ; si le industrie est meilleure ici, le rosbif il valait mieux là-bas.
ENJOLINI.
Et vive toujours l’industrie !
CHARLES.
C’est aujourd’hui le cri de tous les peuples.
Vaudeville.
Air :
Dans le calme de la paix,
La France s’écrie :
Pour la gloire des Français,
Vive l’industrie !
JOHN BULL.
N’ayant point de vin bien bon,
L’Anglais plein d’envie,
En fait avec du houblon.
Vive l’industrie !
BAZANE.
Pour des livres excellents,
Notre librairie
Nous vend des points t’et des blancs,
Vive l’industrie !
MADAME MILET.
L’orgeat devenant trop cher,
En boire est folie ;
On fait du soda water ;
Vive l’industrie !
ENJOLINI.
Elle inventa dans les temps,
Cette artillerie
Qui fait fuir les Musulmans ;
Vive l’industrie !
JENNI, au Public.
S’il peut voir, grâce au décor,
Sa pièce applaudie ;
Si dans un heureux transport,
Le lustre l’appuie,
L’auteur pourra dire encor :
Vive l’industrie !