La Malade sans maladie (Charles DUFRESNY)
Comédie en cinq actes
Représentée pour la première fois, au Château de Versailles, le 2 avril 1699.
Personnages
LA MALADE, Tante d’Angélique
LUCINDE, son Amie
ANGÉLIQUE, Amante de Valère
VALÈRE, Amant d’Angélique
FAUSSINVILLE
LISETTE, Suivante de la Malade
LA VALÉE, Valet de Faussinville
La Scène est à Paris, dans la Maison de la Malade.
ACTE I
Scène première
ANGÉLIQUE, LISETTE
LISETTE.
Ce que je viens de vous apprendre, est fâcheux assurément, vous avez raison de vous en plaindre ; mais vous auriez tort de vous en étonner. Votre Tante veut vous déshériter pour enrichir Lucinde. Elle hait une nièce aimable, elle aime une étrangère, cela est naturel : car cette étrangère flatte ses visions. Vous voulez les guérir, vous ; et les malades d’esprit haïssent naturellement le Médecin.
ANGÉLIQUE.
Je conviens que je me suis fait haïr céans par ma sincérité ; mais que veux-tu ? ma tante me doit tenir lieu de père et de mère. Je l’aime tendrement, et je ne puis souffrir, qu’une créature de rien, une scélérate lui affaiblisse l’esprit, pour s’en rendre maîtresse : tout ce que je puis faire à cela, c’est de parler ; je parle, Lisette, et je ne dis que des vérités.
LISETTE.
Dire à une fourbe qu’elle est fourbe, et à Madame votre tante qu’elle se porte bien, ce sont deux vérités aussi offensantes l’une que l’autre. Entre nous, Mademoiselle, vous ne laissez pas d’avoir quelque tort : car un peu de complaisance pour sa maladie et pour sa Lucinde, vous auraient mis en état de la guérir de l’une et de l’autre. On ne vient à bout de rien avec cette espèce de sincérité, qui montre toujours le côté du vrai : pour réussir dans le monde il faut une sincérité à deux envers. Ho que n’avez-vous un peu de la trigauderie de Lucinde ! Elle vous haït par exemple beaucoup plus que vous ne la haïssez ; cependant, voyez comme elle vous caresse au moment qu’elle veut vous ruiner ! Gardez-vous bien au moins de lui rien témoigner de ce que vous savez.
ANGÉLIQUE.
Je ne pourrai jamais dissimuler.
LISETTE.
Tout serait perdu, vous dis-je, si elle s’apercevait que je vous avertis de ce qui se passe ; elle ne s’ouvrirait plus à moi, elle me cacherait ses manigances, et nous ne pourrions plus y remédier.
ANGÉLIQUE.
Je dissimulerai donc, Lisette.
LISETTE.
Prenez-y garde, c’est votre intérêt. À propos d’intérêt, j’oublie le mien pour l’amour de vous ; car Lucinde en me confiant ses desseins m’a promis quelque argent comptant, et une petite pension.
ANGÉLIQUE.
Je t’entends.
LISETTE.
L’un et l’autre me sont nécessaires : de l’argent comptant pour me faire adorer de quelque joli homme, et une pension viagère pour l’empêcher de me faire mourir de chagrin, quand il sera mon mari.
ANGÉLIQUE.
Je te promets tout cela ; et quand ma tante m’ôterait tout, j’aurai d’ailleurs quelque jour assez de bien pour t’en faire.
LISETTE.
C’est-à-dire que mon mariage, et le vôtre sont hypothéqués sur la mort du riche cousin normand : apparemment nous ne serons pas longtemps filles, car il y a quatre-vingts ans, qu’il est garçon. Mais j’entends du bruit, Lucinde sort de sa chambre la scélérate va vous saluer à l’ordinaire par une enfilade de protestations flatteuses ; cachez aussi bien vos soupçons, qu’elle cache ses mauvais desseins ; elle vous fera la mine riante, souriez-lui de même ; que je voie là une de ces Scènes de Cour, dont les acteurs se montrent les dents si gracieusement, qu’on ne peut deviner lequel des deux va mordre l’autre.
Scène II
ANGÉLIQUE, LUCINDE, LISETTE
LUCINDE, d’un ton doucereux.
J’allais à votre chambre, ma chère enfant ; j’allais vous donner avis de certaines choses qui se passent à votre préjudice ; car vos intérêts me sont chers... J’ai une attention continuelle à ce qui peut vous être utile. Plus vous avez d’aversion pour moi, plus j’ai envie de vous faire plaisir.
ANGÉLIQUE.
Voilà un effort de vertu dont je ne serais pas capable.
LUCINDE.
Ce n’est point vertu chez moi d’aimer ceux qui me haïssent, c’est un faible que j’ai, je suis mon penchant. Ah je ne te voyais pas Lisette... Souffrez que je me mette l’esprit en repos ; votre tante eut hier un peu de fièvre, je voulais la veiller, elle s’y opposa, jugez quel tourment pour moi ! Quand on a le cœur sensible on souffre bien dans la vie : dis-moi, Lisette, comment mon amie a-t-elle passé la nuit ?
LISETTE.
Assez doucement : elle a dormi d’abord huit ou neuf heures tout d’un somme, après quoi son insomnie lui a repris.
LUCINDE.
Elle n’est pas bien depuis hier, je veux qu’elle se tienne au lit tout le jour.
LISETTE.
C’est moi, qui aurais besoin de m’y mettre, car elle m’a fait veiller au chevet de son lit, pour la regarder dormir, afin de la réveiller, si elle mourait subitement.
LUCINDE.
Tu plaisantes toujours ; mais dans le fond elle n’a pas tort de craindre. Sa constitution est si délicate...
ANGÉLIQUE.
Elle serait plus robuste, si vous vouliez.
LUCINDE.
Toujours des traits piquants ! mais je vous les pardonne en faveur de votre sincérité ; j’aime la sincérité jusques dans les injures.
ANGÉLIQUE.
De franches injures sont moins à craindre, que certaines caresses.
LUCINDE.
Vous me poussez vivement, mais je ne sais point me brouiller avec une amie au moment qu’elle a besoin de moi ; je puis vous être utile, vous pouvez m’offenser impunément, quand j’aurai tout fait pour vous, vous serez ingrate, si vous voulez.
ANGÉLIQUE.
Que voulez-vous donc faire pour moi ? voyons ?
LUCINDE.
Empêcher votre ruine. Car enfin vous êtes héritière unique de votre tante, et je viens vous avertir que ce jeune homme qui la voit depuis peu, pourrait bien vous faire tort.
ANGÉLIQUE.
Quel tort pourrait-il me faire auprès de ma tante ? il n’est ni flatteur, ni intéressé.
LUCINDE.
Il est aimable, et votre tante est sensible.
ANGÉLIQUE.
Est-ce là tout ce que vous avez à me dire ? est-ce là tout ce qui se passe céans contre mes intérêts ?
LUCINDE.
C’est bien assez vraiment ! Je vous le répète encore, votre tante est sensible, Valère est aimable, Valère vous déshéritera.
ANGÉLIQUE.
Si quelqu’un a dessein de me déshériter, ce n’est pas Valère.
LUCINDE.
Que voulez-vous dire ?
Lisette pousse Angélique pour la faire taire.
ANGÉLIQUE.
Je ne veux rien dire... C’est pour cela que je vous laisse.
Scène III
LUCINDE, LISETTE
LUCINDE.
Tu vois avec quelle honnêteté je lui parle, et comme elle me répond brutalement.
LISETTE.
Sincérité est une vertu bien brutale...
À part.
Je me sais bon gré d’être un peu fourbe.
LUCINDE.
Est-ce qu’elle soupçonnerait quelque chose, Lisette ?
LISETTE.
Elle a des soupçons en général ; il y a une heure que je tâche de la rassurer. Je la trouve admirable après tout, de se mettre en tête qu’elle doit hériter de sa tante, parce qu’est est son héritière ; car une bonne amie est plus proche qu’une nièce. Non, la malade ne saurait trop faire pour vous ! Quel attachement n’avez-vous point eu pour elle ? vous avez sacrifié votre jeunesse, l’âge nubile ; et l’âge nubile est le patrimoine des filles qui n’en ont point. Mais ce qui rend vos prétentions très légitimes, c’est la récompense que vous m’avez promise.
LUCINDE.
Ah ! Lisette, nous n’en sommes pas encore où nous pensons, et ce Valère m’alarme beaucoup.
LISETTE.
Effectivement depuis que votre amie le voit, elle a certains désirs de guérison : il est à craindre pour vous que l’envie de se marier ne l’emporte sur le plaisir d’être malade.
LUCINDE.
Hier elle devait me forcer, disait-elle, d’accepter une donation. Valère vint, elle ne me parla plus que de ses charmes.
LISETTE.
Peste soit des charmes ! hom, le vilain homme que ce joli homme !
LUCINDE.
Il faut l’éloigner, Lisette, empêchons qu’elle ne le voie davantage. Pour lui ôter toute envie de recevoir visite, je suis d’avis de la faire ce matin plus malade qu’à l’ordinaire. Toi, si tu vois paraître ici Valère, dis-lui qu’elle ne sera pas visible d’aujourd’hui.
LISETTE.
Je lui dirai que nous prenons tous médecine.
Apercevant la malade.
L’amour la tient, nous sommes perdues.
À part.
Bon, bon, je vais avertir Valère de venir fortifier cet amour-là, c’est toute notre ressource.
Scène IV
LUCINDE, LA MALADE, qui entre en rêvant, et ne voyant pas Lucinde marche vigoureusement
LUCINDE.
Es-tu folle ma chère amie de te lever avant midi ? à quoi rêves-tu donc ?
LA MALADE.
Ah ! soutiens-moi un peu ma bonne, aide-moi à marcher toute seule.
LUCINDE.
Tu t’émancipes trop, et je serai contrainte de t’abandonner, si tu ne veux point suivre mes règles.
LA MALADE, vivement.
Tu sais que l’air du matin est un air cru, un air neuf, et que mes poumons sont usés.
LUCINDE.
Il y a de plus dans l’air d’aujourd’hui certaine vapeur assommante.
LA MALADE.
Effectivement cet air-là m’assomme ; il rend ma tête d’une pesanteur... ah ! quel fardeau qu’une tête !
LUCINDE.
C’est ce que je te dis, tu es si faible, rentrons.
LA MALADE.
Tu m’avais pourtant promis de la force pour ce printemps.
LUCINDE.
Il est vrai : mais nous sommes en décours, et sur le déclin de la lune les malades déclinent.
LA MALADE.
Depuis ce déclin-là je dépéris à vue d’œil ; je crois que je suis bien maigre ce matin ?
LUCINDE.
Tu n’es pas si grasse qu’hier au soir, et c’est la rechute que je t’avais prédite.
LA MALADE.
Tu es sorcière, je crois, à force d’être savante ! tu as deviné hier que je ferais des rêves cette nuit, et cela n’a pas manqué : j’ai songé que je voyais Valère de loin, que je voulais aller à lui, et que quelqu’un m’en empêchait ; cela me donnait des inquiétudes.
LUCINDE.
Les inquiétudes de nuit sont dangereuses, je vais te faire prendre quelque chose pour cela, viens te recoucher.
LA MALADE.
Oh non : car mes inquiétudes n’ont pas duré, Valère est venu m’aborder, et quoique ce ne fut qu’en songe, sa conversation m’a charmée. En effet il a bien de l’esprit, qu’en dis-tu ? Cela te plairait-il ?
LUCINDE.
Tout ce qui te plaît ne saurait me déplaire, ton goût détermine le mien.
LA MALADE.
Tu es si complaisante !
LUCINDE.
C’est que ta destinée entraîne la mienne ; j’ai découvert depuis peu que je suis née sous ton étoile.
LA MALADE.
Cela est admirable !
LUCINDE.
C’est pour cela que tu es tant d’ascendant sur moi.
LA MALADE.
Ascendant à part avoue que Valère a de bonnes qualités ; il me plaignait tant hier.
LUCINDE.
Tu crois qu’il te plaint, il est vrai qu’il le dit, et c’est toujours une politique.
LA MALADE.
Je suis persuadée qu’il est sincère.
LUCINDE.
La seule différence que je trouve entre ce jeune homme-ci et les autres, c’est qu’ils sont parvenus à certains degrés de sincérité, qui leur fait dire tout le mal qu’ils pensent des femmes, et que celui-ci les taille encore avec quelque finesse, quelque ménagement.
LA MALADE.
Valère n’est point railleur, il prend vraiment part à mes maux.
LUCINDE.
Quand un Officier mal aisé s’attache à une riche malade, ce n’est pas pour partager ses maux ; et à te parler franchement je croirais bien que Valère...
LA MALADE, vivement.
Ah le voilà !
Scène V
LA MALADE, LUCINDE, VALÈRE, LISETTE
LISETTE, feignant de vouloir empêcher Valère d’entrer.
Non, vous dis-je, non, vous n’entrerez point, Madame est très mal, elle ne se lèvera point d’aujourd’hui.
VALÈRE.
Je la vois debout.
LUCINDE.
Elle va donc se recoucher.
VALÈRE.
Je suis ravi, Madame, de vous voir plus de santé qu’on ne dit.
LUCINDE.
Plus de santé ! ce mot est malin.
LA MALADE.
Je prends les choses mieux que toi ; Monsieur ne prétend pas que j’aie une santé robuste.
VALÈRE.
Je vous crois plus de délicatesse que d’infirmité.
LUCINDE.
C’est-à-dire que tes infirmités sont des visions.
LA MALADE.
Monsieur entend que je n’ai point de ces infirmités capitales. En effet, on peut être saine et malade.
VALÈRE.
Je n’oserai plus parler, si Mademoiselle continue d’être mon interprète.
LA MALADE.
Non, Monsieur, non, je suis persuadée que vous n’êtes point de ces gens cruels, impitoyables, qui ne peuvent comprendre qu’on soit réellement malade.
VALÈRE.
Je comprends que vous êtes réellement à plaindre.
LA MALADE.
Que de bontés ! que d’humanité pour un jeune homme ! je vous l’avoue, Monsieur, je suis charmée des beaux sentiments...
LUCINDE.
Qu’entends-je ? c’est midi qui sonne, et tu n’as encore rien pris d’aujourd’hui.
LA MALADE.
Je ne me sens pas grand besoin.
LUCINDE.
Tu as plus de besoin, que tu ne penses ; te voilà toute embrasée, n’est-ce pas Lisette ?
LISETTE.
Oui : elle a de l’ardeur dans les yeux.
LA MALADE.
Ah ! c’est l’inanition. Quel tort cela me va faire ! excusez, Monsieur, si je vous quitte, il n’y a que la régularité du régime, qui me fait subsister, et il faut que je prenne certaines choses à certaines périodes ; si vous voulez revenir dans une heure... une heure n’est-ce pas, ma bonne, il me faudra bien une heure pour digérer mon café. J’aurai après cela mille choses à vous communiquer, quand je vous aurai conté tous mes maux, il me semble que je serai à moitié guérie.
Scène VI
LISETTE, VALÈRE
LISETTE.
Qu’est-ce donc, Monsieur, vous ne dites mot ? vous ne fortifiez point la malade contre l’inanition ? vous souffrez qu’on vous l’enlève, quand elle commence à avoir du goût pour vous ? Est-ce là comme vous exécutez le projet que nous avons fait avec Angélique ?
VALÈRE.
Il est vrai que je me suis engagé à détromper notre malade de sa fausse amie, et de sa fausse maladie ; mais, Lisette, je viens encore de m’apercevoir que l’estime qu’elle a pour moi devient un peu trop forte.
LISETTE.
Hé ! tant mieux, mort de ma vie, tant mieux ! vous en serez plus à portée de lui faire ouvrir les yeux. Il n’y a que vous qui puissiez vous faire écouter, personne n’ose plus lui parler que Lucinde ; vous voyez comme elle est entêtée ; tâchez qu’elle s’entête de vous, car chez les femmes un entêtement ne se guérit que par un autre.
VALÈRE.
Je ne veux point qu’elle s’entête de moi.
LISETTE.
Et ce scrupule vous empêchera de rendre service à Angélique ! mais elle paraît, vos scrupules ne tiendront pas contre elle.
Scène VII
VALÈRE, ANGÉLIQUE, LISETTE
ANGÉLIQUE.
Hé bien, Valère, où en sommes-nous ? avez-vous vu ma tante ce matin ?
VALÈRE.
Je ne l’ai que trop vue.
ANGÉLIQUE.
Comment donc ?
VALÈRE.
Pardonnez, charmante Angélique, si je cesse d’exécuter vos intentions. La même tendresse, qui me faisait agir pour vous auprès de votre tante, me fait craindre d’en être trop aimé, et je me suis aperçu...
ANGÉLIQUE.
Ne la voyez plus, Valère, ne la voyez plus.
LISETTE.
Lucinde va triompher.
ANGÉLIQUE.
D’accord.
LISETTE.
Vous serez déshéritée.
ANGÉLIQUE.
N’importe.
LISETTE.
Et plus de mariage pour vous.
ANGÉLIQUE.
Ah ! Valère, voyez-la donc.
VALÈRE.
Mais elle ne consentira jamais à notre mariage, si son estime pour moi se change en amour.
ANGÉLIQUE.
Cela est vrai : ne la voyez plus absolument.
LISETTE.
Vous me faites rire avec vos alarmes ! Quoi ! vous croyez qu’elle puisse aimer, là... vraiment aimer ? non, non, je la connais mieux que vous. Elle n’est visionnaire que pour s’être toujours trop aimée elle-même, et quand on s’est accoutumé à n’aimer que soi, on devient incapable d’aimer les autres. D’ailleurs son tempérament est si fort affaibli par les remèdes, qu’elle n’est capable que d’un demi-amour.
ANGÉLIQUE.
Ah ! Lisette, peut-on aimer Valère à demi.
VALÈRE.
En parlant ainsi, belle Angélique, vous flattez ma tendresse ; mais je n’ai point la vanité de me croire aimable : convenons donc que votre tante est d’humeur à se passionner aisément.
LISETTE.
Je conviens qu’elle est vive, et veut ce qu’elle veut dans le moment qu’elle le veut ; mais elle n’aura jamais de passion suivie. Ce ne sont que des saillies de caprice qui retombent toujours dans sa manie principale, et vous aimant aujourd’hui à la fureur, persuadez-lui que l’amour donne la fièvre, elle vous troquera demain contre le quinquina.
VALÈRE.
Je croirais bien que c’est là le fond de son caractère, et je comprends que je puis encore faire quelque tentative dans la nécessité où je me vois de gagner sa confiance.
ANGÉLIQUE.
Voyez-la donc, mais ne vous faites aimer qu’autant qu’il faut ; cachez une partie de votre mérite, et ne vous laissez regarder que le moins qu’il sera possible.
LISETTE.
En voilà assez de dit, séparez-vous ; il serait dangereux qu’on vous vît trop ensemble. Songez toujours au moins, quand vous vous rencontrerez en leur présence, à ne vous point trop regarder ; méfiez-vous de vos yeux.
ANGÉLIQUE.
Tu vois même que j’affecte de n’être jamais du sentiment de Valère.
LISETTE.
Trop de complaisance prouverait que vous êtes amants ; il ne faut pas aussi trop vous contredire, on croirait que vous seriez déjà mariés. Çà, allez m’attendre à votre chambre vous : Et vous, entrez dans le Jardin ; je vais voir ce qui se passe là-dedans.
Seule.
Les pauvres enfants ! je ne les sépare qu’à contrecœur, et je les unirais dès demain s’ils avaient assez de bien pour se marier malgré la tante.
Scène VIII
LISETTE, LA VALÉE
LA VALÉE, en habit de Courrier pleurant et ayant un mouchoir à la main.
Hon, hon.
LISETTE.
À qui en veut ce pleureux-ci ?
LA VALÉE.
Réjouissez-vous, hon réjouissez-vous, réjouissez-vous.
LISETTE.
Vous me donnez plutôt envie de pleurer.
LA VALÉE.
Réjouissez-vous, vous dis-je, riez, sautez, dansez. Je viens en poste de cent lieues d’ici pour vous exciter à la joie.
LISETTE.
Pourquoi pleurez-vous donc, Monsieur le courrier ?
LA VALÉE.
C’est que la nouvelle que j’apporte est une nouvelle triste, et pourtant réjouissante : elle est triste pour le défunt que je pleure, et réjouissante pour certaine cousine, qui hérite de cent mille écus.
LISETTE.
Le vieux cousin est mort ? vivat.
LA VALÉE.
C’est assez pleurer dans le fond, car ce n’est presque pas une mort que cette mort-là ; et on ne peut pas dire que le défunt ait perdu la vie, car on n’a plus de vie à perdre à quatre-vingt-quinze ans.
LISETTE.
Bon ! c’était un animal qui ne voulait point voir ses héritières de peur que cela ne le fît souvenir de mourir. Il ne leur a jamais rien donné, et sa mort est le premier bien qu’il leur ait fait de sa vie. Hé ! dites-moi un peu, étiez-vous son domestique ?
LA VALÉE.
Non, j’appartiens à Monsieur le Marquis de Faussinville son intime ami, l’unique confidente de ses épargnes, et le dépositaire de ses dernières paroles.
LISETTE.
Si vous les savez, dites-les-moi de grâce. J’ai de la vénération moi pour les dernières paroles des morts.
LA VALÉE.
Celles-ci sont pathétiques, les voici. Je laisse, dit-il, en rouvrant ses yeux morts pour voir encore ses contrats, je laisse cent mille écus en fonds de terre.
LISETTE.
Les belles dernières paroles ! est-ce tout ?
LA VALÉE.
Je crois qu’oui, mais mon maître sait le détail de tout cela. Il est venu pleurer avec l’héritière, et moi je voudrais bien rire avec la suivante.
LISETTE.
Votre maître est donc là-dedans ?
LA VALÉE.
Vraiment oui. On l’a fait parler à une certaine Lucinde.
LISETTE.
Allons vite avertir Angélique. Monsieur je vous rejoindrai dans un instant.
LA VALÉE.
Je vous attends, car j’ai des affaires importantes à vous communiquer.
Seul.
Cette maison me paraît d’une architecture régulière ; voyons si l’architecte a bien placé la cuisine.
ACTE II
Scène première
ANGÉLIQUE, LISETTE
LISETTE.
Il s’appelle le Marquis... le Marquis de... de Faussinville ; il est là avec Lucinde : je n’ai pu m’introduire dans leur conférence ; mais Lucinde a beau négocier avec lui, on ne saurait vous ôter cinquante mille écus, dont vous héritez pour votre moitié. Voilà de quoi terminer votre mariage avec Valère, et le mien avec qui il me plaira, car j’aurai de l’argent. À propos c’est assez pleurer, Mademoiselle, car la succession est grosse : pleurer une mort qui vous fera vivre avec votre amant ? il faut avoir bien du naturel.
ANGÉLIQUE.
Je vais voir ce qui se passe là-dedans. Ayez soin d’avertir Valère de tout ceci ?
LISETTE.
Scène II
LISETTE, LA VALÉE
LA VALÉE.
Bonjour la charmante.
LISETTE.
Bon jour Monsieur le courrier.
LA VALÉE.
Pour vous avoir vu tantôt un moment je me suis senti un désir pressant d’aller boire : l’ardeur de vos beaux yeux m’avait causé une altération prodigieuse.
LISETTE.
À mon égard, je n’ai point soif en vous voyant.
LA VALÉE.
Trêve de galanteries. La réputation d’une Lisette mariable a volé jusqu’au pays normand, et je brûle d’impatience de faire mes offres : car mon maître et moi sommes venus en poste pour contracter plus vite.
LISETTE.
La déclaration est brusque : vous proposez un mariage, comme une partie de plaisir.
LA VALÉE.
Ceci doit se traiter comme alliance financière, une règle d’arithmétique suffit pour assortir les cœurs. Mon maître fait de riches propositions à l’héritière, il a en poche de quoi l’épouser papiers sur table, et moi je vous fais l’amour à l’appui de la succession. Le bon vent de cette aubaine m’amène du fond de la Normandie pour vous prendre à femme.
LISETTE.
Le vent de Normandie est un vent froid. Je ne me marie point de ce vent-là, cherchez fortune ailleurs.
LA VALÉE.
Qu’appelez-vous chercher fortune ? c’est nous qui venons faire la vôtre. Premièrement mon maître est un homme de qualité qui sait les affaires ; il n’y a que ceux-là qui fassent de bonnes maisons.
LISETTE.
Quoi ! l’on trouve en la seule personne de ce Seigneur un Marquis et un Praticien ? la bigarrure est nouvelle !
LA VALÉE.
Très ancienne, Madame, très ancienne. J’ai lu que les Marquis Romains savaient plaider et combattre. L’Histoire Romaine en fait foi ; et l’Histoire Normande assure que Robert le Roux était brave soldat, grand Capitaine, et faisait ses écritures lui-même ; et moi qui ne suis que le maître clerc de Monsieur le Marquis, je plaide de naissance. Mon père plaidait, mes enfants plaideront, et ma mère qui n’était qu’une femme plaidait aussi. Je voudrais que vous eussiez ouï un plaidoyer de ma mère : c’était les plus belles invectives !
LISETTE.
De grâce, Monsieur le plaideur né, quelles affaires votre maître a-t-il avec Lucinde ? Quels vieux parchemins lui montre-t-il là ?
LA VALÉE.
Je ne sais : mais il est porteur et dépositaire d’un testament, par lequel le cousin défunt donne tous ses biens à une cousine malade.
LISETTE.
Un testament qui donne...
LA VALÉE.
Tout, à la cousine malade ; et tien à la cousine qui se porte bien.
LISETTE.
Quelle injustice ! mais je ne puis ajouter foi à cela. Sachons de lui ce qui en est.
LA VALÉE.
Vous êtes bien curieuse, et bien peu tendre de me quitter ainsi.
Seul.
Si cette fille-ci m’épouse, ce sera plus par curiosité que par amour.
Scène III
LA VALÉE, FAUSSINVILLE
LA VALÉE.
Ha voici mon maître. Hé bien, Monsieur vous venez d’avoir une ample conversation avec cette Lucinde ; vous promet-elle merveilles ?
FAUSSINVILLE.
Elle est si gracieuse, si affable, et si bien disante qu’on n’oserait s’y fier.
LA VALÉE.
Hé vous a-t-elle donné parole ?
FAUSSINVILLE.
Bon parole ! la parole n’est que de l’air, on ne peut rien fonder là-dessus.
LA VALÉE.
Vous fondez sur ce que vous tenez dans vos mains. Vous avez bien eu de la peine à faire écrire votre pauvre ami mourant. Ça, Monsieur, afin que je puisse vous seconder dans vos desseins, voyons si je suis au fait ; car intrigue normande est une énigme obscure. Voici ce que j’ai compris : nous venons ici pour ménager une tante et une nièce ; cette nièce-ci hériterait naturellement du défunt ; mais sa tante en hérite par le testament que vous avez manigancé, et dont vous êtes nanti : enfin en le supprimant, ou en le produisant, vous faites hériter ou la tante ou la nièce. En un mot vous pouvez faire la fortune de celle qui voudra bien faire la vôtre.
FAUSSINVILLE.
Tu l’as dit. Si la tante refuse de m’épouser, je supprime le testament qui la fait héritière unique : elle y perdrait une belle terre.
LA VALÉE.
Il faut que vous épousiez cette terre-là ; elle est considérable.
FAUSSINVILLE.
Et à ma bienséance.
LA VALÉE.
Elle vaut douze mille livres de rente.
FAUSSINVILLE.
Ce n’est pas ce que j’estime le plus.
LA VALÉE.
Elle a de beaux droits Seigneuriaux.
FAUSSINVILLE.
Ce n’est pas encore cela que j’en aime : ce sont certaines vieilles prétentions. Avec certains vieux titres, je pourrais arrondir cette terre-là sur celles de mes voisins ; ces voisins sont des sots ; je pourrais les déposséder, les abîmer, et avec justice.
LA VALÉE.
Cela est beau ! abîmer avec justice ! et vous avez ces titres-là ?
FAUSSINVILLE.
C’est une recherche curieuse qui m’a coûté bien du travail. Mais cette Lucinde me fait attendre longtemps ; elle m’a dit qu’elle m’allait introduire chez l’héritière.
LA VALÉE.
Vous êtes donc résolu d’épouser cette originale de tante ?
FAUSSINVILLE.
Il faudra bien. On dit qu’elle a certaine marotte de maladie, j’ai moi la marotte des successions ; et ma folie me fera passer par-dessus la sienne.
LA VALÉE.
Dans le fond, une épouse malade a son mérite ; c’est le trop de santé qui rend les femmes inquiètes ; une femme infirme, qui garde la chambre, est plus fidèle qu’une autre.
FAUSSINVILLE.
Lucinde vient ; selon la réponse qu’elle me va faire, je prendrai des mesures avec la nièce : sache un peu s’il y aura moyen de l’entretenir en secret. Va.
Scène IV
FAUSSINVILLE, LUCINDE
FAUSSINVILLE.
Hé bien, Mademoiselle pourrai-je enfin voir votre amie ?
LUCINDE.
J’ai fait mon possible pour vous ménager un entretien avec elle ; mais il n’y a pas d’apparence pour aujourd’hui, car elle se porte très mal : il lui a pris une si grande faiblesse qu’elle ne peut ni remuer ni parler.
Scène V
FAUSSINVILLE, LUCINDE, LA MALADE
LA MALADE, entrant gaiement et délibérément, Faussinville recule deux pas et reste immobile.
N’as-tu point revu Valère ? je voulais me promener avec lui, je me sens une force, une santé, une vivacité... Qu’est-ce donc ? il semble que tu sois fâchée de me voir si bien porter.
LUCINDE.
Je te l’avoue, l’état où je te vois, me fait trembler ; rien n’est plus dangereux que ces verves de santé surnaturelle.
LA MALADE, voyant Faussinville.
Qui est cet homme-là ma bonne ?
LUCINDE.
C’est Monsieur le Marquis de Faussinville, dont je vous ai parlé.
FAUSSINVILLE.
Vous me voyez, Madame, dans une surprise qui m’a rendu immobile. Votre beauté m’étonne, Madame ; j’avais conçu l’idée d’une personne infirme, pâle, maigre : quel coloris ! quel embonpoint !
LA MALADE.
La raillerie est un peu forte, Monsieur ; il ne fallait pas venir de si loin pour m’offenser.
FAUSSINVILLE.
Je m’explique, Madame, je m’explique. J’ai été frappé d’un certain brillant, à la vérité, mais à travers tous vos charmes je ne laisse pas d’entrevoir un certain fond de maladie, et c’est cela même qui achève de me charmer. Je ne serais jamais touché moi, d’une femme qui se porterait bien. J’ai là-dessus un goût singulier, un goût qui paraît dépravé ; c’est pourtant le bon, et je prouverais par bonnes raisons, qu’une beauté malade est cent fois plus aimable qu’une autre.
LUCINDE.
Cela s’appelle un paradoxe.
FAUSSINVILLE.
Je ne dis pas que je souhaitasse dans une maîtresse ces maladies assommantes ; néphrétique, pleurésie, fièvre continue ; on peut me plaire à moins ; mais une migraine douce, insensible, assez d’émotion pour animer le teint, un de ces rhumes légers, qui attendrissent la voix sans la grossir, qui couvrent un bel œil d’une vapeur humide, et perlée. Quel cœur de roche pourra tenir là-contre ?
LUCINDE.
Monsieur donnerait presque envie d’être malade.
FAUSSINVILLE.
Je prouverais de plus, que la délicatesse de la constitution fait les visages mignons, rend les organes plus fins, plus délicats, donne le bon air même ; car sans contredit une valétudinaire a la taille plus fine qu’une autre : et l’esprit, l’esprit ! ne voyons-nous pas que les beaux esprits n’ont jamais de santé. Dans les personnes robustes tout est grossier, les sentiments, les manières, les inclinations ; c’est pourquoi j’ai toujours souhaité de pouvoir épouser une femme délicate, et maladive.
LA MALADE.
Vous vous lasseriez de l’entendre gémir.
FAUSSINVILLE.
Non, j’aime les gémissements à la fureur, une voix plaintive me porte jusqu’au fond du cœur certain mélange de pitié et de tendresse. Au moment que je vous parle, j’en suis pénétré ; mais suspendons ce plaisir-là pour parler d’affaire.
LA MALADE.
D’affaire, Monsieur ? je ne me mêle point de mes affaires.
FAUSSINVILLE.
Qui s’en mêlera donc, Madame ? il faut bien que vous vous expliquiez sur les propositions qu’on vous a faites de ma part, et que je sache quelle est votre penser ?
LA MALADE.
Ma pensée ! vous croyez donc que j’ai la force de penser ?
FAUSSINVILLE.
Je ne dis pas cela ; mais pour prendre un parti, vous n’avez besoin que d’une simple réflexion.
LA MALADE.
Les réflexions donnent la migraine. Mais, Monsieur, voilà une amie qui réfléchira, qui pensera, qui parlera d’affaire pour moi ; vous pouvez terminer avec elle, je vous laisse ensemble.
Scène VI
FAUSSINVILLE, LUCINDE
FAUSSINVILLE.
Votre amie n’a pas l’esprit décisif.
LUCINDE.
Vous voyez que j’avais raison de différer votre entrevue ; je voulais avoir le temps de la disposer en votre faveur.
FAUSSINVILLE.
Il suffit que vous la soyez.
LUCINDE.
Je suis toute dévouée à vous. Je ne complimente point, je parle vrai, exactement vrai ; j’ai souhaité d’abord d’unir votre mérite à celui de mon amie.
FAUSSINVILLE.
Vous avez bien de la bonté. Cette bonté vient apparemment de ce que je puis vous être utile ; n’importe, c’est toujours bonté.
LUCINDE.
Je ne vois jamais que l’utilité d’autrui, je sais que vous êtes un parti pour mon amie ; sur ma parole, espérez tout.
FAUSSINVILLE.
Sur votre parole j’espère, mais je crains aussi.
LUCINDE.
Vous ne devez pas douter un instant...
FAUSSINVILLE.
Je doute sans cesse moi, c’est mon naturel.
LUCINDE.
Je vous le dis simplement, uniment, c’est un mariage conclu, fiez-vous à moi.
FAUSSINVILLE.
Je m’y fie de reste, mais je prendrai mes mesures. Souvenez-vous que je suis nanti : je ne me dessaisis jamais, et c’est prudence.
LUCINDE.
Mon cher Monsieur, je ménagerai la chose en trois ou quatre jours.
FAUSSINVILLE.
Trois ou quatre jours ? je reviendrai demain.
LUCINDE.
Que vous êtes défiant !
FAUSSINVILLE.
Il vaut mieux que ce soit dès aujourd’hui.
LUCINDE.
Donnez-moi vingt-quatre heures au moins.
FAUSSINVILLE.
Deux ou trois suffisent. Je vous en prie, dans une heure vous me rendrez réponse.
LUCINDE.
Je vais en parler à l’instant même : comptez sur mes soins.
FAUSSINVILLE, seul.
Voici une rusée, qui est aussi habile que moi ; il ne faut pas se fier à sa négociation.
Scène VII
FAUSSINVILLE, LA VALÉE
LA VALÉE.
J’ai exécuté vos ordres, Monsieur, et pour ménager un entretien secret avec Angélique, j’ai courtoisé, flatté, normanisé la Lisette. Mais c’est une fille incorruptible.
FAUSSINVILLE.
Tu es un sot : te faut-il plus d’une entrevue pour mettre une servante dans tes intérêts ?
LA VALÉE.
Je n’ai rien épargné pour la réduire ; mais elle ne veut point se contenter de belles promesses, et nous n’avons apporté que cela du pays.
FAUSSINVILLE.
La Valée !
LA VALÉE.
Monsieur.
FAUSSINVILLE.
Je crains fort que toutes mes tentatives ne soient inutiles du côté de la tante. Nous avons à faire à une folle, et à une fille d’esprit...
LA VALÉE.
J’entends : on ne saurait faire fond sur la folle, et l’autre a trop d’esprit pour faire fond sur nous.
FAUSSINVILLE.
Je fais réflexion d’ailleurs sur l’état cruel, où doit être la pauvre nièce déshéritée ; cela me touche, il me vient un moyen de compassion.
LA VALÉE.
De compassion ! l’air de Paris vous aurait-il déjà attendri l’âme ?
FAUSSINVILLE.
En déchirant le testament, la succession tomberait naturellement sur la nièce, je veux lui faire ce bien, et je vais le lui offrir généreusement.
LA VALÉE.
Votre générosité me ferait trembler ; si nous n’étions pas normands ; mais nous nous sauverons par le faux-fuyant.
FAUSSINVILLE.
Je puis faire sa fortune, je la ferai.
LA VALÉE.
Et le faux-fuyant ?
FAUSSINVILLE.
N’est-ce pas là Angélique ?
LA VALÉE.
Oui, Monsieur.
FAUSSINVILLE.
Je vais lui proposer son bonheur.
LA VALÉE, tandis que son maître va au-devant d’Angélique.
Je l’attends au faux-fuyant ; il va lui proposer quelque avantage pour elle, qui sera lucratif pour nous... Il veut en tirer beaucoup, car il la caresse excessivement.
Scène VIII
FAUSSINVILLE, ANGÉLIQUE, LA VALÉE
FAUSSINVILLE.
Mademoiselle, comme les moments sont précieux, j’abrège toutes les galanteries que mériterait une personne comme vous, et je vous offre de vous relever de l’injustice que feu votre cousin vous a faite.
ANGÉLIQUE.
J’accepterai le secours que vous m’offrez, pourvu qu’il ne porte aucun préjudice à ma tante.
FAUSSINVILLE.
Je veux vous mettre en état de lui faire la loi.
ANGÉLIQUE.
Non, Monsieur, non.
FAUSSINVILLE.
Premièrement je vous fais échoir la terre à vous seule.
ANGÉLIQUE.
Ce n’est point là mon intention.
FAUSSINVILLE.
Et d’autres biens encore qu’elle possède mal à propos.
ANGÉLIQUE.
Non, vous dis-je, je ne veux point.
FAUSSINVILLE.
Il faut vouloir tout ou rien, je ne fais point les choses à demi.
ANGÉLIQUE.
Mais pourvu que je sois contente...
FAUSSINVILLE.
Il faut que je le sois aussi. Nous le serons tous deux, Mademoiselle, c’est une affaire faite, il ne s’agit plus que de la forme.
LA VALÉE, à part.
Ha ! le faux-fuyant sera dans la forme.
FAUSSINVILLE.
Pour me mettre en état d’agir pour vous, il sera nécessaire que vous me signiez...
LA VALÉE.
Une procuration ?
FAUSSINVILLE.
Cela ne suffirait pas.
LA VALÉE.
Une cession ?
FAUSSINVILLE.
Quelque chose de plus fort. Il faut que j’aie un intérêt personnel, une action.
ANGÉLIQUE.
Je n’entends point les affaires, Monsieur ; mais si vous voulez que nous consultions un Avocat...
FAUSSINVILLE.
Non, charmante personne, non, vous pouvez sans Avocat me donner un intérêt personnel pour entrer en cause ; en un mot vous pouvez m’épouser.
ANGÉLIQUE.
Que dites-vous ?
LA VALÉE.
Pour donner un intérêt personnel...
ANGÉLIQUE.
Vous épouser ?
LA VALÉE.
Pour entrer en cause.
FAUSSINVILLE.
Vous hésitez, Mademoiselle : quoi ! lorsque je vous offre de vous donner par contrat de mariage vos biens, ceux de votre tante, les miens, mon crédit, ma personne et un Marquisat...
LA VALÉE.
Nous vous ferons Dame de vingt Paroisses ; vous aurez fiefs à foison, haute, basse et moyenne justice ; redevances, mouvances, quints et requints, chapons, fois et hommages ; un Seigneur enfin jeune, et bien fait, avec qui vous serez Marquise que rien n’y manquera.
FAUSSINVILLE.
Je n’exige point de vous une réponse précipitée, je vous donne vingt-quatre heures pour vous déterminer. Faites bien réflexion, que j’ai entre les mains un testament, qui vous déshérite...
LA VALÉE.
Il, faut anéantir ce maudit papier-là ; mettons-y le feu avec le flambeau de l’hymen.
FAUSSINVILLE.
Je présume que c’est votre pudeur qui balance, et non pas votre raison. Je vous promets d’être muet jusqu’à demain. Adieu charmante héritière.
ANGÉLIQUE, seule.
Quel homme ! quelles propositions ! quelle horreur !
Scène IX
ANGÉLIQUE, LISETTE, VALÈRE
VALÈRE.
Que m’apprends-tu, Lisette ? Angélique déshéritée ! quelle désolation !
ANGÉLIQUE.
Ah Valère ! ce malheur m’ôte tout moyen d’être à vous.
VALÈRE.
Non, Angélique, non, nous n’en serons pas moins unis.
LISETTE.
Votre union dépend plus que jamais du caprice de votre tante ; et votre tante...
ANGÉLIQUE.
Je n’ai plus aucune ressource.
VALÈRE.
Ah ! si vous m’aimez, vous partagerez avec moi tout ce que je possède au monde.
LISETTE.
Ce tout-là, est peu de chose. Elle n’a plus rien ; et peu avec rien, font un établissement fort triste.
VALÈRE.
J’ai peu de bien, mais enfin quand on s’aime...
LISETTE.
J’ai vu des ménages, où l’argent tient lieu d’amour, mais je n’en vois point où l’amour tienne lieu d’argent.
ANGÉLIQUE.
Nous ne pouvons plus être l’un à l’autre, il n’y faut plus penser.
VALÈRE.
Il faut donc mourir.
LISETTE.
Cela vaudrait bien un mariage indigent, oui ; Mais avant que de mourir, travaillons à négocier un accommodement : ne paraissez point là vous, car la sincérité n’est pas propre pour les négociations. Vous, Monsieur, pour vous instruire à fond des choses, faites l’office d’ami de la famille, et tâchez de tirer quelque éclaircissement du Marquis, le voilà dans le jardin, abordez-le, faites-le parler ; moi je ferai parler Lucinde.
ANGÉLIQUE.
Adieu, Valère.
VALÈRE.
Il faut espérer, voyons ce que ce Marquis me dira.
ACTE III
Scène première
VALÈRE, FAUSSINVILLE
VALÈRE.
De grâce, Monsieur, arrêtez un moment, et parlez-moi juste : vous ne vous promenez qu’en fuyant, et ne répondez que par équivoques. Faites-vous la violence de prononcer un oui, ou un non. Encore un coup, dites-moi, si vous voulez faciliter un accommodement entre la tante et la nièce ? Car enfin un honnête homme doit se faire un plaisir d’empêcher un procès.
FAUSSINVILLE.
Empêcher un procès ! moi je ne veux point empêcher le cours de la justice.
VALÈRE.
Vous confondez deux choses très opposées ; la justice n’a en vue que la paix, et l’union ; le procès au contraire est la source des inimitiés, et de la haine.
FAUSSINVILLE.
Pourquoi haïr ceux qui nous plaident, ne peut-on pas plaider à l’amiable ?
VALÈRE.
Fort bien : s’égorger à l’amiable ! Mais nous voilà encore dans les raisonnements vagues : répondez-moi juste : vous avez entre vos mains la clef de ces affaires-ci, refuserez-vous de donner les lumières, et les éclaircissements ?...
FAUSSINVILLE.
Mes lumières, dites-vous ! donner mes connaissances, mes conseils, mes avis, donne-t-on ainsi son bien ?
VALÈRE.
Je vous entends, vous prétendez que celle des deux héritières, qui vous craindra le plus, vous épousera ; ce serait une union bien tendre ! mais venons au fait, avez-vous quelque droit ?
FAUSSINVILLE.
Mais vraiment j’ai le droit de supprimer, ou de produire le testament, que j’ai en poche ; de donner gain de cause à celle qui me plaira.
VALÈRE.
Un homme d’honneur n’a point droit de faire perdre celle qui a raison.
FAUSSINVILLE.
Qu’appelez-vous avoir raison ? Est-ce qu’en procédure on sait qui a tort, ou raison ? le pis qui peut arriver, c’est de perdre.
VALÈRE.
Le pis qui peut arriver, c’est de gagner injustement.
FAUSSINVILLE.
Il est très juste de pouvoir gagner les mauvaises causes, puisqu’on peut perdre les bonnes ; incertitude partout, mon cher Monsieur : par exemple, que sais-je, si le texte de mon voisin n’est point à moi ? il y a peut-être dans ses titres des nullités qui ne se découvrent qu’en disputant le terrain.
VALÈRE.
C’est donc pour disputer le terrain à ces héritières-ci, que vous voulez embrouiller leur succession ?
FAUSSINVILLE.
Qui vous dit qu’on embrouille ? on n’embrouille point ; au contraire chacun met sa cause dans le plus à beau jour qu’il peut ; c’est une science, un art juridique. Je blâme la supercherie, faux témoignages, exploits soufflés, tout cela ne vaut rien, je me retranche dans la procédure loyale, je cherche la justice dans les formalités judicieusement établies par le formulaire, la coutume, le Praticien Français. Vous êtes trop équitable pour blâmer ces sources d’équité.
VALÈRE.
Je ne blâme que les malhonnêtes gens, qui s’en servent pour s’approprier le bien d’autrui. Écoutez, Monsieur, je vous en avertis, si ceci tourne mal, vous aurez affaire à moi.
FAUSSINVILLE.
Volontiers, Monsieur, très volontiers.
VALÈRE.
Vous m’entendez je crois.
FAUSSINVILLE.
Je me tiens pour dit, et avant qu’il soit peu, vous connaîtrez quel homme je suis.
VALÈRE.
Soyez homme droit, ou je ne vous réponds pas de ma patience.
FAUSSINVILLE.
Monsieur, Monsieur, je suis plus impatient que vous, et dès aujourd’hui...
VALÈRE.
Dès aujourd’hui ?
FAUSSINVILLE.
Dès aujourd’hui, je mets Procureur, et demain je vous fais assigner.
VALÈRE.
Je ne donne point d’assignation moi, mais on se rencontre.
FAUSSINVILLE.
Adieu, Monsieur, adieu, nous plaiderons comme beaux diables, et n’en serons pas moins bons amis ; cela n’empêchera pas que vous ne me donniez à dîner, quand il vous plaira.
VALÈRE, seul.
L’indigne Marquis que voilà ! et le sort d’Angélique est entre les mains d’un tel scélérat ! juste Ciel !
Scène II
VALÈRE, LISETTE, LUCINDE
Lucinde, voyant Valère n’avance point, Lisette fais signe à Valère que Lucinde la suit, et il n’aperçoit point ces signes tant il est transporté.
VALÈRE.
Ah Lisette !
LISETTE, bas.
Lucinde écoute.
VALÈRE.
Je suis outré d’indignation contre le plus grand maraud...
LISETTE, bas.
Hem.
VALÈRE.
Juge quelle peut être ma situation. Je vois ce que j’aime dépendre entièrement d’un...
LISETTE.
Doucement, Monsieur, doucement, Vous prenez trop à cœur les intérêts de notre malade. Quels transports pour une succession ! ça, Monsieur, je viens vous prier de remettre votre visite à demain.
VALÈRE.
Elle m’avait pourtant dit de revenir dans une heure.
LISETTE.
Elle avait oublié que c’est aujourd’hui son jour de migraine ; voulez-vous la déranger ?
VALÈRE.
Non vraiment.
LISETTE.
À demain donc, Monsieur, à demain.
VALÈRE.
Je me retire.
LISETTE, bas.
Ne vous éloignez pas.
Scène III
LISETTE, LUCINDE
LISETTE.
Malepeste, comme nos jeunes Officiers prennent feu pour les grosses héritières.
LUCINDE.
Il me paraît plus passionné qu’hier.
LISETTE.
C’est qu’il est venu cent mille écus.
LUCINDE.
Il pousse des soupirs.
LISETTE.
Il soupire à proportion de la somme.
LUCINDE.
Comme il joue ce rôle-là, Lisette !
LISETTE.
Ils sont acteurs ces amants de cour.
LUCINDE.
Hom, que je hais les fourbes !
LISETTE.
Je ne les hais pas tous moi, car j’ai de l’amour-propre. Ça nous voilà débarrassés de notre importun : vous avez affaire en ville, m’avez-vous dit, vous pouvez sortir en sûreté.
LUCINDE.
Je ne puis confier mon dessein à personne, il faut que j’aille moi-même ; il me fâche pourtant d’être obligé de la quitter.
LISETTE.
Vous l’avez mise en état de ne penser qu’à elle, votre manœuvre vient de l’affaiblir jusqu’à extinction de chaleur naturelle ; vos paroles lui ont fait comme une saignée.
LUCINDE.
Je commence à croire que la maladie l’emportera sur l’amour.
LISETTE.
Bon son amour n’est qu’une bluette, qui disparaît, quand elle envisage la conservation de sa chère personne. Le premier plaisir, c’est celui de conserver sa vie. Mais dites-moi un peu le dessein qui vous fait sortir ? Je m’en doute bien : vous allez profiter de la faiblesse de la Malade ; elle n’a pas la force d’hériter, vous voulez hériter pour elle ?
LUCINDE.
Je crois qu’elle s’est endormie, car elle ne me rappelle point : je te laisse pour la garder à vue.
LISETTE.
Faites-moi donc la confidence entière.
LUCINDE.
Je t’expliquerai tout, suffit que je fais ta fortune.
LISETTE.
Mais encore que faites-vous pour la vôtre ?
LUCINDE.
Rien que d’avantageux pour mon amie je me chargerai du soin de ses affaires.
LISETTE.
Quelle bonté !
LUCINDE.
Je prends sur moi un procès qui la menace.
LISETTE.
C’est dans l’occasion qu’on connaît les vrais amis.
LUCINDE.
Enfin j’empêcherai qu’on ne la pille.
LISETTE.
Quand elle vous aura tout donné, elle sera à couvert de pillage.
LUCINDE.
Prends garde à tout ; je reviendrai dans une heure.
LISETTE.
Allez vite faire mettre sa bonne volonté sur un parchemin bien fort, afin que la postérité sache que c’est une belle chose que l’amitié.
Seule.
Je ne puis plus en douter, la donation est prête à éclore ; elle va chez le Notaire, allons avertir nos amants.
Scène IV
LISETTE, VALÈRE, ANGÉLIQUE
LISETTE.
Vous venez tout à propos.
VALÈRE.
Nous avons vu sortir Lucinde.
ANGÉLIQUE.
C’est ce qui nous a déterminés à venir trouver ma tante ; pendant qu’elle est seule, nous allons lui proposer un accommodement.
VALÈRE.
Oui, Lisette ; et cet accommodement entre les deux héritières rendrait inutiles tous les projets de ce maraud de Faussinville.
LISETTE.
Je suis de votre avis ; mais il faut aller au plus pressé.
VALÈRE.
Qu’y a-t-il de nouveau ?
LISETTE.
Lucinde n’est sortie que pour la donation.
ANGÉLIQUE.
Tu me l’as bien dit tantôt.
VALÈRE.
Quoi ! les choses en sont déjà là ?
LISETTE.
Afin qu’elles n’aillent pas plus loin, allez vite vous emparer de la Malade, et ne la quittez plus que vous ne l’ayez mise à la raison.
VALÈRE.
Dis-moi, en quelle situation d’esprit est-elle à mon égard ?
LISETTE.
Hé mais, elle voulait être assez vigoureuse pour faire une promenade avec vous, mais Lucinde vient de mettre son imagination à l’agonie. Elle a enveloppé une pincée de poivre blanc dans une cerise confite, et lui a fait avaler le brûlot. Notre visionnaire a senti la chaleur qu’elle a prise pour une inflammation de poitrine, on l’a menacé de la fièvre, la peur lui a donné le frisson, elle s’est emmitouflée dans son maillot d’hermine, et s’est retranchée là contre les vents coulis : mais l’amour est plus subtil que les vents coulis, elle a soupiré à votre intention.
ANGÉLIQUE.
Ah Valère !
LISETTE.
Allez vous promener vous, avec votre jalousie.
VALÈRE.
Mais Lisette ?
LISETTE.
Et vous, allez vite, allez vous faire aimer ; vous ne parlez point, et vous ne voulez pas le faire partir ?
ANGÉLIQUE.
Mais si elle lui parle d’amour ?
LISETTE.
Qu’il lui parle de ses maux. Elle prendra le change, et vous contera à coup sûr le roman de sa maladie. Elle prendra plus de plaisir à vous parler de sa maladie, que de soin amour.
Scène V
VALÈRE, ANGÉLIQUE, LA MALADE, LISETTE
LA MALADE.
Ah Valère, il faut que je vous fasse rire d’un tour plaisant, que j’ai joué à Lucinde. Elle a voulu me faire croire que j’étais très malade, et je l’étais effectivement, car j’ai senti là un brasier ; mais enfin elle me faisait encore plus malade, que je n’étais, pour m’empêcher de recevoir votre visite. J’ai connu cela ; car je suis pénétrante. J’ai feint un abattement et un assoupissement très profond, afin qu’elle me laissât seule : parce que j’ai à vous parler en particulier... Ah ! ah ! vous êtes là ma nièce ?
ANGÉLIQUE.
J’arrivais.
LA MALADE.
N’étiez-vous point seule avec Monsieur ?
ANGÉLIQUE.
Non vraiment, Lisette était présente.
LA MALADE.
Il me semble que vous rougissez ?
LISETTE.
C’est de colère contre ce Faussinville, dont nous parlions.
LA MALADE.
Ma nièce, j’ai bien peur...
ANGÉLIQUE.
De quoi ma tante ?
LA MALADE.
J’ai peur, Monsieur, qu’elle ne vous dise du mal de mon amie, elle en dira bientôt de vous aussi ; elle hait tous ceux que j’aime.
VALÈRE.
Elle a trop de vertu pour haïr personne.
LA MALADE.
Elle vous hait ; Monsieur, je jurerais qu’elle vous hait ! elle me hait bien moi qui suis sa tante.
VALÈRE.
On vous le persuade, Madame, mais pour peu que vous fassiez d’attention sur son procédé...
LA MALADE.
Non, non ; c’est un mauvais cœur, elle a une dureté pour moi. Elle veut sans cesse me persuader que je suis forte et robuste, afin que je ne me ménage point, que je meure, et qu’elle hérite de moi.
ANGÉLIQUE.
Est-ce ma tante, qui parle ainsi ? non, monsieur, non ce sont là les discours de Lucinde.
LA MALADE.
Ce n’est point Lucinde ; mais n’a-t-elle pas raison, qui dit héritière, dit ennemie mortelle.
VALÈRE.
En vérité, Madame, je ne puis plus me taire, je vois dans votre fausse amie une malignité, une noirceur d’âme...
LA MALADE.
Ne parlez point de son âme, c’est ce qu’elle a de plus beau, si vous saviez comme elle m’aime.
VALÈRE.
Mais si je vous prouve qu’elle ne vous aime que par intérêt ? car enfin vous m’avez promis d’examiner sa conduite sans prévention.
LA MALADE.
J’en conviens, et pour vous contenter, j’ai même résolu de la mettre à certaines épreuves... Mais laissons cela pour le présent, j’ai à vous parler d’autre chose.
VALÈRE.
Volontiers ; mais avant cela j’ai une grâce à vous demander.
LA MALADE.
Hé quoi, Monsieur ?
VALÈRE.
C’est de vouloir bien écouter des positions d’accommodement, que votre nièce vient vous faire, et de vous réunir avec elle, pour rendre inutiles les projets que ce normand a fondés sur votre division. J’ai compris qu’il voudrait bien se joindre à l’une de vous pour plaider l’autre, c’est ce que je veux empêcher en vous accommodant. Je crois que vous avez quelque confiance en moi.
ANGÉLIQUE.
En pourriez-vous douter ?
VALÈRE.
Je veux être médiateur entre vous, et votre nièce.
ANGÉLIQUE.
Monsieur est de vos amis, je veux bien qu’il soit mon juge.
VALÈRE.
Me refuserez-vous cette marque d’amitié ?
LA MALADE.
Pourrais-je vous refuser quelque chose ?
VALÈRE.
Çà voyons donc, de quoi il s’agit.
LA MALADE.
Remettons la chose à tantôt, car j’ai à vous entretenir de choses plus importantes.
VALÈRE.
Rien n’est plus important pour vous qu’un accommodement.
LA MALADE.
À tantôt, vous dis-je ; ce que j’ai en tête est plus pressé, car cela me tient là d’une force...
VALÈRE.
Mais, Madame, considérez...
LA MALADE.
Considérez que vous me causez des impatiences.
VALÈRE.
Nous aurons bientôt terminé.
LA MALADE.
L’impatience m’étouffe, me dessèche.
VALÈRE.
Madame...
LA MALADE.
Retirez-vous, ma nièce, c’est vous qui êtes cause que Monsieur ne m’écoute pas : si vous ne me laissez, point d’accommodement. Qu’on nous donne deux sièges.
Lisette fait apporter deux sièges.
Scène VI
LA MALADE, VALÈRE, LISETTE
VALÈRE, à part.
Elle me va parler de son amour, comment détourner cette conversation-là ?
LA MALADE.
Monsieur, je n’ai pu encore vous entretenir en particulier, car mon amie ne m’abandonne point. Elle est un peu jalouse, elle craint que je ne vous aime plus qu’elle : croyez-vous qu’elle ait raison ?
VALÈRE.
Je suis ravi qu’elle soit absente, nous nous entretiendrons plus librement sur votre maladie ; j’ai une impatience extrême d’en apprendre les particularités.
LA MALADE.
Que vous êtes bon, Monsieur, que vous êtes bon !
VALÈRE.
Expliquez-moi donc à loisir en quoi consiste votre mal.
LA MALADE.
Mon mal consiste en toutes sortes de maux, à le bien prendre, car je ne puis dire que je ne souffre point ; premièrement je suis toujours dégoûtée, et avec cela je mange, je mange, je mange, je mange, et si je ne mange quasi de rien, car le plus souvent je ne sais ce que je mange.
LISETTE.
C’est ce que les Médecins appellent intempérie ; moi j’appelle cela intempérance.
LA MALADE.
Tu m’as interrompue... Où en étais-je ?
LISETTE.
Vous mangez, mangez, mangez, et après le manger, c’est le dormir.
LA MALADE.
Oh ! le dormir, c’est ce que je n’ai jamais connu, je ne dors que par insomnie, à force de n’avoir point dormi. On croirait quelquefois, que je m’endors après le dîner ; mais ce n’est pas un sommeil, que ce sommeil-là, car je m’endors comme si je m’évanouissais. J’admire votre attention, Monsieur, je voudrais bien savoir, si cette compassion vous est naturelle, ou si c’est que vous ayez pour moi...
VALÈRE.
Ne perdons pas le fil de votre maladie : vous vous endormez, dites-vous, comme si vous vous évanouissiez. Et sentez-vous, quelque douleur ?
LA MALADE.
Oh tant, Monsieur, tant, tant ! mais ce qui me fait le plus souffrir, c’est ce qui ne se comprend point ; car le plus souvent toutes les douleurs cessent, et si c’est encore pis. Je ne sens point de mal pour ainsi dire, et si je suis comme une troublée. Vous comprenez bien ?
VALÈRE.
Oui da, oui.
LA MALADE.
Pour vous rendre cela plus sensible, imaginez-vous que c’est comme si tout d’un coup... je ne sais si je m’explique... un gonflement, une touffeur.
VALÈRE.
Une vapeur.
LA MALADE.
Fi, monsieur, c’est mon aversion que des femmes à vapeurs ; à mon égard, c’est une espèce de frémissement... d’horreur... là... des anéantissements...
VALÈRE.
Des faiblesses.
LA MALADE.
Non, non, vous n’y êtes pas. Il y a bien de la faiblesse, si vous voulez, mais il y a aussi de la force : ce sont des alternatives ; mon pouls va, va, va... puis il s’arrête ; je m’appesantis, et je m’évapore tout d’un coup ; je m’éteins, et petit à petit je me rallume ; je sens des glaçons qui descendent, et un feu, qui monte, monte, monte : vous voyez bien que tout cela est réel.
VALÈRE.
Je comprends que rien n’est pareil à la délicatesse de votre tempérament.
LA MALADE.
Oh ! de tempérament, je n’en ai point, mais Lucinde m’en fait un par artifice ; et je ne me soutiens que par un petit sachet cordial, qu’elle m’a mis à l’endroit du cœur.
VALÈRE.
Quelle momerie ! ce remède-là est aussi faux, que le Médecin qui vous le donne.
LA MALADE.
L’effet de mon cordial est visible. J’ai voulu quelquefois ôter le sachet pour un moment, à mesure que je l’éloigne, je sens que mon cœur s’en va.
VALÈRE.
Votre cœur devrait être déjà bien loin, car vous oubliâtes hier le cordial sur votre toilette.
LA MALADE, en tâtant.
Je n’ai pas mon cordial ! ah je n’en puis plus !
VALÈRE.
Vous voyez que l’imagination seule...
LA MALADE.
Je me sens bien, Monsieur, je m’évanouis, mon lit, mon lit, je m’évanouis, les jambes me manquent, les jambes me manquent.
LISETTE.
Allez vite interrompre son évanouissement, servez-lui de cordial, et tâchons de mettre à profit l’absence de Lucinde.
ACTE IV
Scène première
LUCINDE, LA VALÉE
LUCINDE, en rentrant court à la chambre de La Malade.
Voyons au plus vite si mon absence n’aura rien gâté.
LA VALÉE, venant après Lucinde.
Quelle tromperie ! quelle trahison ! cette Lucinde est une grande scélérate !... ah vous voilà ! je ne sais si vous m’avez entendu ; mais dans la colère, où je suis, je recommencerai, si vous voulez.
LUCINDE.
Que veut dire cet insolent ?
LA VALÉE.
Tromper Monsieur le Marquis de Faussinville, qui est la simplicité même, qui se fie à vous avec une cordialité, une ingénuité !
LUCINDE, fièrement.
Que voulez-vous dire, mon ami ?
LA VALÉE.
Voici le fait : En buvant avec un maître Clerc de mon pays (entre nous autres Normands, nous nous confions nos secrets, et ceux d’autrui même,) il m’a montré certain projet de donation. Ciel ! me suis-je écrié, pendant qu’on nous promet ?... Quoi mon pays, m’a-t-il dit ; cette Lucinde vous promet ? oui vraiment, mon pays : elle vous trompera mon pays ; mais sa parole, mon pays ? elle est de notre pays, mon pays.
LUCINDE.
Votre pays est un fripon.
LA VALÉE.
Ce n’est pas tout encore. Il m’a découvert certaines manigances...
LUCINDE.
Expliquez-vous.
LA VALÉE.
Ce n’est rien : ce sont de petites finesses innocentes, dont vous vous servez pour tirer de l’argent de votre amie, sans qu’elle en ait la tête rompue ; avec certaines signatures... Vous avez reçu pour vous, ce que vous deviez recevoir pour elle. Or moi, qui suis connaisseur en écriture, j’ai vérifié que ces signatures de votre main ne sont pas tout à fait fausses, si vous voulez, pas aussi tout à fait vraies, ce sont des signatures vraisemblables.
LUCINDE, à part.
Je suis perdue !
En le caressant.
Écoutez, Monsieur, mon cher Monsieur.
LA VALÉE, mettant son chapeau et prenant un air familier.
Hé bien, ma chère damoiselle ?
LUCINDE.
À l’égard de ces signatures, vous vous êtes trompé ; mais la donation est un secret, qui m’est important. Je suis bien heureuse, que mon secret soit tombé entre les mains d’un homme, qui pourrait avoir besoin d’un millier d’écus, entre les mains d’un honnête garçon comme vous, d’un bon enfant.
LA VALÉE.
Je suis bon moi ; mais mon maître ne vaut rien, ne vaut rien fâché, du moins.
LUCINDE.
Il entendra aussi raison.
LA VALÉE.
Non, vous dis-je, non. Il est dans une fureur, dans une rage... il va venir céans crier, tempêter, se venger. Je l’aperçois, il fulmine, il jette feu et flamme.
Scène II
LUCINDE, FAUSSINVILLE, LA VALÉE
FAUSSINVILLE.
Je viens vous rendre hommage, Mademoiselle, vous applaudir, vous féliciter. Rien n’est plus aimable, plus charmant, que le tour d’adresse dont j’ai pensé être la dupe !
LUCINDE.
Je n’ai point eu dessein de vous tromper.
FAUSSINVILLE.
Ne dites pas cela pour votre honneur, je vous en estimerais bien moins : c’est la tromperie c’est l’habileté qui me ravit. Oui, la manière adroite dont vous m’avez ballotté, trigaudé, leurré tourné, viré, m’enlève, m’enchante : vous me voyez passionné pour vous, et cela sans faiblesse, car ce ne sont ni vos yeux, ni votre bouche, ni votre teint ; je ne suis point sensible à ces fadaises-là, moi : ce qui me touche dans une femme, c’est son esprit subtil et façonné, un cœur politique : ne se passionner qu’avec réflexion et ruser naturellement, faire la naïve et la franche, en allant à ses fins. C’est par là que vous m’avez gagné le cœur.
LUCINDE.
Ces louanges ne me conviennent pas ; mais enfin où en voulez-vous venir ?
FAUSSINVILLE.
Je ne puis encore en venir à rien : je suis si transporté d’admiration pour votre patelinage ; une affabilité, un langage, des paroles dorées. Vous me faites épouser votre amie demain, et vous la dépouillez de tout aujourd’hui ; cela est joliment imaginé, et très agréablement conduit.
LUCINDE.
Je ne sais plus comment je dois prendre ces faux éloges ?
LA VALÉE.
Du bon côté, Mademoiselle, du bon côté. Mon maître vous loue selon nos maximes.
FAUSSINVILLE.
Est-il rien de plus louable que l’art de se faire donner ? votre amie est riche et bête, vous avez de l’esprit, et rien avec ; c’est un partage injuste, vous corrigez l’injustice, cela est bon.
LUCINDE.
Je commence à comprendre, Monsieur, que je dois vous ouvrir mon cœur.
FAUSSINVILLE.
Voilà comme il faut parler.
LA VALÉE.
Vous êtes bien difficile à émouvoir.
LUCINDE.
Mon amie m’a voulu donner des marques de son amitié, j’avoue que je suis dans le dessein de les accepter.
FAUSSINVILLE.
À l’égard de ce que vous avez reçu pour elle, elle vous l’aurait bien donné.
LA VALÉE.
Sans doute, mais un cœur noble répugne à recevoir : prendre subtilement fait plus de plaisir.
LUCINDE.
Et n’engage point à reconnaissance. On n’aime guères à avoir obligation : je suis fait ainsi, tel que vous me vous voyez ; et je remarque tant de conformité entre vous et moi, que nous étions nés l’un pour l’autre.
LA VALÉE.
Voilà le mot. Vous, mon maître, et la donation, vous êtes tous trois nés l’un pour l’autre.
FAUSSINVILLE.
Oui, je crois qu’il est à propos que vous deveniez ma femme, et voici pourquoi : deux vertueux réunis se fortifient réciproquement ; et séparés nous nous détruirions.
LUCINDE.
Vous ne voudriez pas me détruire ?
FAUSSINVILLE.
Pardonnez-moi, et ma raison est que je ne suis point dupe. Ainsi touchez-là, nous mourrons ennemis, ou mariés ensemble.
LA VALÉE, à part.
Et peut-être l’un et l’autre.
FAUSSINVILLE.
Êtes-vous devenue muette ? Ma proposition vous embarrasse-t-elle ?
LUCINDE.
On serait embarrassé à moins, et une pareille affaire....
FAUSSINVILLE.
C’est une affaire de rien qu’un mariage ; un oui le termine.
LA VALÉE.
Une honnête fille, et un Normand ne disent oui que le plus tard qu’ils peuvent ; mais Madame est trop politique pour vous refuser. Touchez-là, Monsieur, je vous donne sa foi.
FAUSSINVILLE.
Oui, mais c’est l’héritière qui fait la foi. Voici un modèle de duplicata promettant mariage...
LA VALÉE, pendant que Lucinde prend le papier et le lit.
C’est un chef-d’œuvre de composition ! Je crois que cet ouvrage d’esprit sera de votre goût.
FAUSSINVILLE.
La pudeur empêche de parler, mais elle n’empêche pas d’écrire.
LA VALÉE.
Vous écrirez modestement votre nom au bas de cette promesse, et vous serez presque mariés.
FAUSSINVILLE.
Par là vous me promettez pour votre dot tous les biens de votre amie.
LUCINDE.
Pour me déterminer sur le consentement ; que vous exigez de moi, il faudrait plus d’un jour ; mais nous n’avons pas un moment à perdre et il nous faut prendre de grandes mesures ensemble.
FAUSSINVILLE.
Vous consentez, ne perdons plus de temps. La Valée ? va toujours faire transcrire ceci, nous irons le signer dans un instant.
LA VALÉE.
Je vous attends chez le Notaire.
Scène III
LUCINDE, FAUSSINVILLE
LUCINDE.
Puisque nos intérêts sont à présent réunis, prenons des mesures si justes, que la donation ne nous manque point. Pour déterminer la Malade, il faut que vous la menaciez de chicanes, d’embarras, de persécutions.
FAUSSINVILLE.
Je ferai plus encore : pour la porter à déshériter sa nièce, je lui dirai qu’elle est venue me solliciter contre elle, et que...
LUCINDE.
Elle vient ; feignons de...
Scène IV
LUCINDE, FAUSSINVILLE, LA MALADE
LUCINDE.
Oui, Monsieur, vous êtes le plus grand chicaneur, le plus malhonnête homme... ah ma pauvre amie, je suis outrée de douleur ! Hélas en quelles mains es-tu tombée ! Monsieur croit, parce qu’il peut te ruiner, qu’il est en droit de le faire sans miséricorde.
LA MALADE.
Valère prendra mon parti, il a des amis en Normandie, et il leur écrit présentement.
FAUSSINVILLE.
Tous les Normands se tiennent par la main, et je mène la clique ; comptez votre procès perdu. Vous avez refusé mes offres, j’ai accepté celles de votre nièce, lorsqu’elle est venue se plaindre à moi pour vous plaider.
LA MALADE.
Ma nièce se joint à vous ? la petite effrontée.
FAUSSINVILLE.
Parlez mieux d’une aimable enfant qui se vient jeter entre mes bras ; je l’ai prise sous ma protection.
LUCINDE.
Vouloir plaider une tante ! Il faut être bien dénaturée ?
FAUSSINVILLE.
Plaider une tante, un père, une mère, il n’y a rien là de dénaturé, c’est l’usage de franche nature ; ainsi elle vous fera assigner en plein hiver pour vous transporter sur les lieux.
LA MALADE.
Moi ? me transporter dans les hivers ?
FAUSSINVILLE.
Préparez-vous à solliciter jour et nuit contre elle ; nous verrons qui d’elle ou de vous se lèvera plus matin.
LA MALADE.
Me lever matin ? ah Ciel !
FAUSSINVILLE.
Nous verrons qui de nous deux, tiendra plus longtemps pied à boule à la porte de l’audience.
LA MALADE.
Me tenir au vent d’une porte ! j’aimerais mieux perdre ma terre.
FAUSSINVILLE.
Quand vous l’aurez cédée, nous plaiderons pour le reste ; car je prends votre nièce avec ses prétentions, elle m’avait prié de vous cacher son dessein ; mais pourquoi vous ménager, nous sommes les plus forts, et ce qui prouve que j’ai en main de quoi vous abîmer, c’est que je ne veux nul accommodement avec vous.
Scène V
LUCINDE, LA MALADE
LA MALADE.
Hé bien, que dis-tu de ma coquine de nièce ?
LUCINDE.
Tant qu’elle n’a voulu que me perdre, moi, je l’ai ménagée, mais c’est toi qu’elle attaque, je ne me possède plus ; je me déclare ouvertement contre elle, et je te conseille de te mettre à couvert de ses injustes prétentions.
LA MALADE.
Je suivrai tes conseils.
LUCINDE.
Si tu es sage, tu chargeras quelqu’un du fond de tes biens, de l’embarras, et des risques de la propriété.
LA MALADE.
C’est mon dessein.
LUCINDE.
On te fera une bonne pension sûre et tranquille.
LA MALADE.
C’est à quoi j’aspire, je t’avais choisie pour cela...
LUCINDE.
Tu me fis hier des offres par amitié, je les refusai par délicatesse ; car enfin, recevoir d’une personne qu’on aime désintéressement, cela blesse, cela répugne.
LA MALADE.
Je m’aperçus bien que cela te faisait peine ; et pour ne plus blesser ta délicatesse, j’ai changé de dessein.
LUCINDE.
Tu es trop bonne, trop considérante.
LA MALADE.
Je considère encore que pour toi, comme pour moi, le soin de gouverner des biens est un tourment, un supplice.
LUCINDE.
Je veux me sacrifier pour ton repos, je ne balance plus, j’accepte ta proposition.
LA MALADE.
Non, ma bonne, non, il m’est venu d’autres idées.
LUCINDE.
D’autres idées ?
LA MALADE.
Plus avantageuses pour toi ; car sans te charger ni d’embarras, ni de propriété, j’aurai soin de toi tant que je vivrai ; et quand je serai morte, nous n’aurons plus besoin de rien.
Scène VI
LUCINDE, LA MALADE, VALÈRE, LISETTE
VALÈRE.
Madame je viens d’écrire en Normandie pour quelque éclaircissement sur votre succession.
LA MALADE.
Je suis déjà lasse de succession. Qu’on est malheureux d’avoir du bien ! il faudrait une santé de fer pour y résister ; je veux chercher quelqu’un de toutes ces corvées-là, et comme ce quelqu’un ne peut être que l’une des deux personnes que j’aime le mieux au monde, je suis bien aise de vous consulter tous les deux là-dessus ; car j’ai deux partis à prendre, qui sont très différents : premièrement je puis me marier, ma bonne.
LUCINDE.
Te marier !
LA MALADE.
Ou ne me pas marier, Monsieur.
VALÈRE.
Vous êtes libre.
LA MALADE.
Pour gouverner mes biens, il faudrait un mari qui fût mon vrai ami ; n’est-ce pas ma bonne ?
LUCINDE.
Où trouvera-t-on des maris, qui soient les vrais amis de leurs femmes ?
LA MALADE.
Si ce vrai ami ne veut point se marier, je donnerai tout à Lucinde ; n’est-ce pas, Monsieur ?
VALÈRE.
Quelque parti que vous preniez, il faut y penser à loisir.
LUCINDE.
Monsieur a raison, et je te conseille de suspendre un peu ta résolution.
VALÈRE.
Le conseil de Mademoiselle est très prudent.
LUCINDE.
Monsieur parle en homme sage.
LA MALADE.
Vous êtes donc tous deux du même avis, vous me conseillez d’attendre.
LUCINDE.
Sans doute.
VALÈRE.
Assurément.
LA MALADE.
Et moi je vous déclare que je veux me déterminer aujourd’hui d’une façon, ou d’une autre.
LUCINDE.
Tu ne penses pas, que c’est pour la vie.
VALÈRE.
L’affaire est importante.
LA MALADE.
Plus l’affaire est importante, et plus elle me pèse ; l’incertitude me cause une oppression, l’incertitude m’empêche de respirer.
Elle soupire tendrement.
Hé ; Monsieur, je ne saurais vivre sans respirer, c’est pourquoi conseillez-moi vite. Je vous laisse seul pour y penser, et si je ne trouve pas en vous un ami qui me conseille, comme il faut, je trouverai une amie qui acceptera tout mon bien. Allons, ma chère amie, allons.
VALÈRE.
Lisette.
LISETTE.
Monsieur.
Scène VII
VALÈRE, LISETTE, ANGÉLIQUE
ANGÉLIQUE.
Hé bien, Valère, dans quels sentiments avez-vous laissé ma Tante ?
VALÈRE.
Je n’ai pas la force de vous en rendre compte.
ANGÉLIQUE.
Qu’est-ce à dire ? qu’y a-t-il de nouveau ?
LISETTE.
Votre tante veut que Valère soit votre oncle.
ANGÉLIQUE.
Ah Ciel !
LISETTE.
Jugez si elle pourra consentir, qu’il ne soit que son neveu.
ANGÉLIQUE.
Je savais bien que ma tante ne vous aimerait pas à demi.
LISETTE.
Elle veut lui donner son bien, et sa personne ; c’est trop d’un article n’est-ce pas ?
ANGÉLIQUE.
Elle veut épouser Valère ?
LISETTE.
Et si il la refuse, elle donnera tout à Lucinde.
ANGÉLIQUE.
Quel remède donc, Valère ?
VALÈRE.
Je n’y en vois point.
LISETTE.
Ni moi non plus ; mais Lucinde en trouvera bien, elle, et travaillera pour nous, en croyant travailler pour elle. Elle revient, retirez-vous.
VALÈRE.
Quel conseil prendre ?
ANGÉLIQUE.
Que je suis malheureuse !
Scène VIII
LISETTE, LUCINDE, LA VALÉE
LUCINDE.
Ah ! Lisette, quel contretemps ?
LA VALÉE.
Mon maître vous attend pour signer le duplicata ; il s’impatiente.
LUCINDE.
Mon cher Monsieur, nos affaires vont mal.
LA VALÉE.
Hé comment cela ?
LUCINDE.
Je ne t’ai pas encore dit, Lisette, que je suis d’accord avec le Marquis, je t’expliquerai la chose, mais il est question à présent d’agir tous de concert.
LISETTE.
J’ai autant d’intérêt que vous autres : rompre ce maudit mariage.
LA VALÉE.
Quel mariage donc ?
LUCINDE.
La Malade veut épouser certain jeune homme.
LA VALÉE.
Ah Ciel ! il la guérira de l’envie de vous donner son bien : adieu le fondement de notre société.
LUCINDE.
Elle m’appelle : imaginez ensemble quelque expédient pour détourner ce mariage.
Scène IX
LISETTE, LA VALÉE
LA VALÉE.
J’imaginerai tout, pourvu que Lisette m’échauffe l’imagination par l’espérance.
LISETTE.
Il me vient une idée... seriez-vous assez habile...
LA VALÉE.
Pour peu que vous m’animiez, vous dis-je ?
LISETTE.
Pour exécuter...
LA VALÉE.
Je suis homme d’exécution.
LISETTE.
Suivez-moi, je vais vous instruire.
ACTE V
Scène première
LUCINDE, LISETTE
LUCINDE.
Concertons-nous un peu en particulier : je ne sais comment m’y prendre pour détourner mon amie du mariage ; il faut que je lui sois devenue bien suspecte, car je lui parle de ses maux, et elle ne m’écoute plus.
LISETTE.
Ses maux occupent pourtant la première place dans son imagination, Valère n’y tient que la seconde ; vous voyez qu’elle est résolue de consulter pour son mariage cet habile Médecin, qu’elle a tant souhaité de voir, et que vous craignez tant qu’elle ne vît.
LUCINDE.
Je le crains encore, car c’est un Médecin de bonne foi qui lui dira naturellement qu’elle se porte bien, qu’elle peut se porter bien, et qu’elle peut se marier.
LISETTE.
Il lui dira tout le contraire.
LUCINDE.
Est-ce que tu l’as mis dans nos intérêts ?
LISETTE.
Vous n’êtes pas au fait.
LUCINDE.
Explique-toi donc ?
LISETTE.
On ne connaît céans que la réputation de ce Médecin, car on ne l’a point vu.
LUCINDE.
Hé bien ?
LISETTE.
Je substitue à sa place...
LUCINDE.
Hé qui ?
LISETTE.
Le valet de votre nouvel associé, le valet de Faussinville.
LUCINDE.
Fort bien : Il faut donc que j’aille au plus vite signer la promesse de mariage, dont je suis convenue avec lui.
LISETTE.
Oui, oui, allez ; j’attends ici notre fameux Médecin. Je viens de le faire travestir, et de l’instruire ; il va paraître en habit décent.
LUCINDE.
Mais un valet soutiendra-t-il bien ce personnage ?
LISETTE.
Diantre ! celui-ci est un esprit universel ; il a de l’étude et de l’ignorance, de la politesse et de l’effronterie ; il est babillard, historien, nouvelliste, médisant, il sait tout hors la médecine, et c’est ce qui met un Médecin en vogue parmi les Dames.
LUCINDE.
La Malade vient ; jouons bien notre jeu.
Scène II
LUCINDE, LA MALADE, LISETTE
LA MALADE.
Que dites-vous donc là toutes deux ?
LUCINDE.
Je querelle Lisette, de vouloir introduire ici un charlatan que j’ai toujours défendu de voir.
LA MALADE.
Tu crains qu’il ne me conseille le mariage ; je vois ton intérêt.
LUCINDE.
Je ne m’en cache point, je me déclare ouvertement contre un mariage, qui romprait notre amitié.
LA MALADE.
Je ne t’en aimerai pas moins.
LUCINDE.
Quand on est marié, a-t-on le loisir d’avoir des amis ?
LISETTE.
Rien n’est plus opposé à l’union que le mariage.
LUCINDE.
Le mariage endurcit le cœur.
LISETTE.
Le mariage empoisonne l’humeur, aigrit le sang, fait murmurer, gronder, bouder, hargner, pointiller, picoter, quereller : les approches du mariage ont déjà plombé votre teint, obscurci votre physionomie...
LUCINDE.
Quoi je te verrais une physionomie de femme, un visage marié !
LA MALADE.
Tout cela ne me fait point peur ; c’est ma santé, qui doit décider de tout. Lisette, as-tu fait avertir ce Médecin ?
LUCINDE.
Tu as ta conservation en tête, je te suis suspecte, je te laisse en liberté.
Scène III
LA MALADE, LISETTE
LISETTE.
Je me suis déchaînée contre le mariage en sa présence, car elle m’a pensé chasser vingt fois, parce que je n’entrais pas dans ses vues intéressées ; elle a bien peur qu’un mari ne prenne sa place auprès de vous : franchement, je vous conseille moi d’épouser Valère.
LA MALADE.
Je t’ai toujours trouvé fille de bon conseil.
LISETTE.
Épousez-le dès aujourd’hui, si votre santé vous le permet da.
LA MALADE, tristement.
Oh bien entendu.
LISETTE.
Valère est si aimable !
LA MALADE, gaiement.
N’est-il pas vrai ?
LISETTE.
On dira peut-être que plus il est aimable, plus il sera sensible à votre santé.
LA MALADE, tristement.
C’est ce que je crains, Lisette : ce Médecin me fait bien languir, que ne vient-il donc ?
LISETTE.
Je crois que le voici ; c’est lui-même.
Scène IV
LA MALADE, LISETTE, LA VALÉE, en médecin
LA MALADE.
Où est-il donc ? je ne le vois point.
LISETTE.
Le voilà qui entre.
LA MALADE.
Cela un Médecin ! tu te moques.
LISETTE.
Ce n’est pas un Médecin de robe, c’est un Médecin d’épée.
LA VALÉE.
C’est la dernière mode, Madame, et toutes les femmes, qui sont curieuses de leur santé, ont banni les Médecins noirs ; elles aiment mieux les Médecins de couleur : en effet ils sont enjoués, galants, badins, traitent la médecine cavalièrement.
LA MALADE.
On me l’a bien dit, Monsieur, que vous étiez un Médecin tout différent des autres.
LA VALÉE.
Rien n’est plus opposé que ma méthode, et la leur ; car j’allonge la vie en abrégeant la maladie, les remèdes, et les consultations.
LA MALADE.
Abrégez donc, Monsieur, et voyons si je puis me marier, ou non.
LA VALÉE.
Mon intérêt serait de vous conseiller le mariage sur l’étiquette ; car le mariage produit le chagrin, le chagrin fait de la bile, la bile nourrit les maladies, et les maladies nourrissent le Médecin.
LA MALADE.
Dépêchons, Monsieur, je vous prie.
LA VALÉE.
Je déciderai, Madame, quand je vous aurai fait seulement trente ou quarante questions sublimes ; car je dédaigne le terre à terre de la Faculté.
LA MALADE, criant.
Ah !
LISETTE.
Ah !
LA VALÉE.
Ah ! est-ce une mort subite ?
LA MALADE.
Ne parlez pas.
LA VALÉE, voulant tirer de sa poche une fiole.
Un peu de mon eau...
LA MALADE.
Ah la tête ! je viens d’entendre une sonnette perçante, c’est cette sonnette du voisin, qui m’a fait un tintamarre dans le crâne, comme un coup de tonnerre ; la fatale sonnette ! il faudra que je déloge pour cette sonnette-là.
LA VALÉE.
Je n’ai plus de question à vous faire, Madame, et cette faiblesse de tête me fait connaître à fonds la fragilité de votre constitution ; j’ai tant vu de ces cerveaux à sonnettes : oui, Madame, sans vous étudier davantage, je lis dans votre tête à crâne ouvert, et j’y vois des membranes d’une délicatesse... les fibres de votre cerveau ne sont pas plus gros que des cheveux.
LA MALADE.
Je ne m’étonne plus, si ma tête est toujours toute prête à rompre.
LA VALÉE.
Je conclus de là que les ressorts, qui composent le reste de la machine, ne tiennent ensemble que par des filaments, dont la contexture est si fine, si fine...
LA MALADE.
En effet, je sens quelquefois que je ne tiens à rien.
LA VALÉE.
Vous avez de petites veines si déliées, si fragiles, que le moindre bouillonnement est capable de les faire crever.
LA MALADE.
Vous me faites trembler, Monsieur, car mon sang ne coule qu’à gros bouillons.
LA VALÉE.
Il faut le calmer, Madame, et sur ce pied-là les moindres passions vous sont mortelles.
LA MALADE.
Quoi, Monsieur, il ne me serait pas permis d’aimer un honnête homme ?
LA VALÉE.
Non : l’amour est de l’arsenic pour vous.
Scène V
LA MALADE, VALÈRE, LISETTE, LA VALÉE
VALÈRE.
Madame, je viens vous donner avis que...
LISETTE, à Valère.
Chut.
LA MALADE.
Ah Valère !
LA VALÉE.
La moindre agitation passionnée achèverait de briser les ressorts...
LA MALADE, à Valère.
Ah Monsieur ! je suis bien plus malade que je ne pensais.
LA VALÉE.
Pour guérir, il faut vous ensevelir dans une tranquillité paresseuse.
LISETTE.
Dans un repos oisif.
LA VALÉE.
Je vous ordonne un engourdissement de passion.
LISETTE.
Une inaction d’âme.
LA VALÉE.
Une inquiétude indolente.
LA MALADE, à Valère.
Vous comprenez bien, Monsieur, que tout cela est très opposé au mariage.
VALÈRE.
J’en suis très persuadé.
LA VALÉE.
Voyons encore, s’il n’y aurait point dans le pouls de Madame, quelque ressource pour le mariage : ah Ciel !
LA MALADE.
Qu’y a-t-il ?
LA VALÉE.
Hon !
LA MALADE.
Vous ne dites mot.
LA VALÉE.
Je calcule que vous n’avez de la vie, que ce qu’il vous en faut tout juste : non, Monsieur, si elle donnait la vie à un enfant pas plus gros que le poing, il ne lui en resterait plus pour elle.
LA MALADE.
Enfin, Monsieur, ma destinée veut que je ne sois propre à rien dans le monde, qu’à prendre un parti que je vous dirai : Monsieur le Médecin entrez dans ma chambre, j’irai vous satisfaire dans un moment.
LA VALÉE, à part.
Quel mystère est ceci ?
Scène VI
LA MALADE, VALÈRE, LUCINDE, LISETTE, LA VALÉE
LUCINDE.
Puisque monsieur est de la consultation, j’en puis bien être aussi.
LA MALADE.
Tout est décidé : Monsieur le Médecin, laissez-nous donc un moment.
LA VALÉE, à part.
Il se va passer là quelque chose qui pourrait être contre les intérêts de mon Maître ; allons vite l’avertir.
Scène VII
LA MALADE, VALÈRE, LUCINDE, LISETTE
LISETTE, après avoir conduit La Valée des yeux.
Les jeunes Médecins sont curieux !
LA MALADE.
Je suis bien aise de vous tenir là tous deux ensemble, pour me débarrasser au plus vite la tête d’une dernière résolution, que j’avais prise dès tantôt ; car je me doutais bien que j’étais confisquée : je vous dirai donc que ma tendresse pour Monsieur, est toute fondée sur l’estime ; je ne l’épousais que pour l’enrichir, et l’attacher à moi ; mais je puis vous enrichir tous deux, et vous attacher à moi, en vous mariant ensemble.
LUCINDE.
Me marier avec Monsieur !
LISETTE, à part.
En voilà bien d’une autre ; tout est perdu.
LUCINDE.
Non, ma bonne, non, je ne veux point me marier.
LA MALADE.
Je sais bien que vous ne vous entraimez guères, c’est pour cela que je veux vous marier ensemble ; car vous ne vous aimerez que pour l’amour de moi. Ahy !
Baissant sa voix.
Je n’en puis plus ; je vous conjure de ne me pas faire parler davantage... ah la gorge ! ma voix est éteinte.
LUCINDE.
Je n’écoute point tes propositions.
LA MALADE, tout bas en râlant.
Je le veux.
LUCINDE.
Je n’épouserai jamais que toi.
LA MALADE, encore bas.
Je le veux.
LUCINDE.
Non, te dis-je.
LA MALADE, haussant les yeux et glapissant.
Je le veux, je le veux, je le veux. Tu me fais parler, tu me contredis, tu m’obstines le sang, mon sang bouillonne, il se rompra quelque petite veine, et ce sera toi qui m’auras tuée.
LUCINDE.
Non, ma chère, non ; tu es en péril, je consens à tout : ah Lisette ! aidez-moi à me résoudre ; Valère acceptera le parti, car il n’en veut qu’au bien.
À part, bas à Lisette.
Je l’accepte aussi moi, ce mariage-ci est le plus sûr ; va vite amuser Faussinville, pendant que j’épouserai Valère.
Haut, à la Malade.
Ah ma bonne comme tu es cruelle !
VALÈRE.
Où tout ceci nous mènera-t-il ?
Scène VIII
LA MALADE, VALÈRE, LUCINDE, FAUSSINVILLE, LISETTE
LA MALADE.
Je vous ferai la donation à vous deux.
FAUSSINVILLE, à part.
Qu’entends-je ! on me trahit.
LUCINDE.
Mais je m’aperçois que j’oublie tout pour toi jusqu’à la bienséance ; et sans savoir les sentiments de Monsieur, j’ai consenti à l’épouser.
FAUSSINVILLE.
À l’épouser, dites-vous ?
LUCINDE.
Ah Ciel !
FAUSSINVILLE, haut.
Oh parbleu, j’empêcherai bien ce mariage ; j’ai tout entendu, je prends le plus sûr parti ; lisez, Monsieur, c’est une promesse de mariage qu’elle vient de me signer.
LUCINDE.
Je suis perdue, je suis perdue.
Elle s’en va.
Scène IX
LA MALADE, LISETTE, VALÈRE, FAUSSINVILLE
LA MALADE.
Qu’est-ce donc que tout ceci ?
VALÈRE.
Sa perfidie est claire, lisez à votre tour Madame.
FAUSSINVILLE.
Elle me promet pour sa dot tout votre bien.
LA MALADE.
La perfide ! elle disait que c’était ma nièce qui s’entendait avec Monsieur, et c’était elle-même ; que de tromperies ceci me fait apercevoir !... vous me le disiez bien, Valère, elle ne m’aimait que par intérêt.
FAUSSINVILLE.
Je n’ai tiré d’elle cet écrit que pour vous désinfatuer d’une créature, qui m’empêchait de m’accommoder avec vous : cela sera facile à présent ; et l’accommodement le plus naturel, c’est que vous me donniez votre nièce.
ANGÉLIQUE.
Ma tante, je ne veux pas que vous soyez heureuse à demi ; on vous a délivrée d’une amie scélérate, je vais vous délivrer encore du plus malhonnête homme du monde.
FAUSSINVILLE.
Mademoiselle.
ANGÉLIQUE.
Non, non Monsieur, je veux prouver à ma tante le mépris que j’ai pour vous, et la tendresse que j’ai pour elle ; et afin que vous ne puissiez jamais la chicaner en mon nom, je lui cède tous mes droits sur la succession nouvelle ; oui ma tante, je veux bien dépendre entièrement de vos bontés, puisque Lucinde n’en empêchera plus l’effet.
LA MALADE.
Je suis charmée de votre procédé ! j’ouvre les yeux ma nièce, et je vois que c’est vous qui êtes ma vraie amie.
LISETTE.
Vous voilà réunies ; quelle douleur pour Monsieur, le testament reste inutile entre ses mains !
FAUSSINVILLE, à part.
Et c’est ce qui fait ma rage ; je perds la tante, je perds la nièce ; et ce qui me désespère, je perds une occasion de plaider, que je ne retrouverai de ma vie.
Scène X
LA MALADE, ANGÉLIQUE, VALÈRE, LISETTE
LA MALADE.
C’est donc vous, Monsieur, qui me délivrez de tous mes ennemis ?
LISETTE.
Par ma foi, il me vient une bonne pensée.
LA MALADE.
Hé quoi Lisette ?
LISETTE.
Pour engager un si bon ami à se charger de la fatigue de vos affaires, faites une forte alliance avec lui ; vous vouliez lui donner votre fausse amie, donnez-lui votre véritable.
LA MALADE.
Ha, ha mais vraiment...
LISETTE.
Si vous êtes sûre de leur attachement pour vous.
LA MALADE.
Si ma nièce et mon bien... n’est-ce pas Monsieur.
LISETTE.
N’est-ce pas Mademoiselle ?
VALÈRE.
Si vous le souhaitiez, et qu’elle y consentît...
ANGÉLIQUE.
Ma tante vous a tant d’obligation, que je serais ingrate de ne vous pas attacher à elle par des liens solides.
LA MALADE.
Ne me faites donc pas languir ; je suis lasse d’être debout, mariez-vous vite, que je m’aille mettre au lit.
LISETTE.
Allons, soyez récompensés ; les scélérats sont punis et nous guérirons la Malade.