Danaé (Joseph DE LAFONT)
Comédie en un acte et un prologue et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 4 juillet 1707.
Personnages du Prologue
L’AMOUR
LA CRITIQUE
Personnages de la comédie
JUPITER
JUNON
MERCURE
DANAÉ, fille d’Acrise Roi d’Argos
TIPHAÉ, vieille nourrice de Danaé
PREMIER SOLDAT ARGIEN
DEUXIÈME SOLDAT ARGIEN
La scène est dans Argos.
AVERTISSEMENT
Je n’ai point prétendu donner cette Pièce pour un ouvrage parfait : c’est un coup d’essai fait à l’âge de dix-neuf ans, et je supplie le Lecteur d’y avoir égard. J’ai eu le plaisir d’y voir rire le Public en plusieurs endroits, moins sans doute pour la bonté des pensées qu’à cause de l’excellence des Acteurs ; c’est de quoi le Public lui-même est convenu. Au reste j’ose me vanter qu’à travers les défauts de cette Pièce, plusieurs personnes d’esprit, qui possèdent parfaitement le Théâtre, n’ont pas laissé d’y remarquer des endroits dignes de leur attention.
PROLOGUE
Scène première
L’AMOUR
Je viens de l’Île Je Cythère,
Et j’ai laissé près de ma mère
Toute la bande des Amours :
Je veux voir si dans cette Ville,
Aux yeux d’un spectateur fin, délicat, habile,
Danaé pourrait avoir cours.
Ici le sel des Grecs, et leur bon sens abonde ;
Et peut-être que dans le monde
On ne trouve point de pays,
D’un aussi bon goût que Paris.
Je viens donc... mais que vois-je ? Ô rencontre maudite !
L’Auteur n’attendait pas une telle visite.
Je ne me trompe point, c’est elle que je voi,
C’est la Critique...
Scène II
L’AMOUR, LA CRITIQUE
LA CRITIQUE.
Hé bien quoi ? qu’en voulez-vous dire ?
L’AMOUR.
Et que venez-vous faire au spectacle !
LA CRITIQUE.
Qui, moi ?
C’est la nouveauté qui m’attire.
Selon mon ordinaire emploi,
Je viens voir la pièce nouvelle ;
C’est-à-dire, bailler, siffler,
Mépriser Danaé comme une bagatelle,
M’ennuyer, et puis m’en aller.
L’AMOUR.
Parbleu, c’est nettement déclarer sa pensée.
LA CRITIQUE.
Et que ferait-on sans cela
Dans une Comédie, ou dans un Opéra ?
Applaudir et si donc, la mode en est passée.
L’AMOUR.
Fort bien : de Danaé connaissez-vous l’Auteur ?
LA CRITIQUE.
Je n’ai vraiment pas cet honneur.
L’AMOUR.
C’est un de mes sujets : je l’estime, je l’aime.
Je m’en déclare protecteur ;
Et si vous l’attaquez, c’est s’en prendre à moi-même
Je ne suis venu dans ces lieux
Que pour le soutenir contre les envieux.
C’est moi qui le premier lui fis naître l’envie
D’attacher son esprit à quelque Comédie ;
Et comme en son sujet il était incertain,
Je lui proposai le dessein
De donner quelque trait de la métamorphose.
Danaé s’offrit à ses yeux :
Mais en petite pièce introduire les Dieux,
Et les faire parler sur un ton sérieux,
C’est une dangereuse chose.
Il fallait pour donner à ces Dieux un bon tour
Les travestir en ridicule.
Ainsi, sans se faire un scrupule,
Conduit par le Dieu de l’Amour,
D’un sujet qui semblait fait pour la Tragédie
L’Auteur en a su faire une Crispinerie,
Que l’on va bientôt mettre au jour.
LA CRITIQUE.
Une Crispinerie ! Ah ! bons Dieux, quelle idée !
J’admire de l’Auteur l’impertinent dessein,
D’avoir ainsi tourné Jupiter en Crispin.
La vérité me semble, eût été mieux gardée
S’il eut pu transformer Jupiter en argent.
L’AMOUR.
Jupiter en Crispin est du goût d’à présent :
Ainsi, Madame la Critique,
N’usez point s’il vous plaît d’un pouvoir tyrannique.
L’Amour s’en vengerait sur vous.
Je ne sais pas si je m’explique :
Quoi qu’il en soit, craignez mes coups.
LA CRITIQUE.
L’Amour est fort plaisant de me parler en maître !
L’AMOUR.
Vous ne tarderiez pas longtemps à me connaître.
LA CRITIQUE.
Puisque vous le prenez sur ce petit ton là,
En dépit de l’Amour, la pièce tombera.
Je saurai du Public exciter la colère,
J’allumerai le feu dans l’esprit du Parterre,
Contre l’Auteur sur tout j’aiguiserai mes traits ;
Je débiterai des sifflets
À tous ceux qui voudront en prendre :
Au milieu du parterre, aux abbés, aux plumets,
Je trouverai bien à les vendre.
Partout de Danaé je dirai pis que pendre.
Je ne vous crains point ; et dans peu...
Vous entendrez parler de la Critique... Adieu.
Scène III
L’AMOUR, seul, au Parterre
Ah, Messieurs, n’allez pas en croire la Critique ;
Regardez son malin esprit
Ainsi qu’une perte publique.
Vous avez entendu tout ce qu’elle m’a dit ;
Vous avez vu son arrogance.
À l’entendre parler, elle règne sur vous,
Seule elle vous gouverne tous.
Pour bien punir son insolence,
Applaudirez, Messieurs, la pièce d’aujourd’hui.
L’Amour s’en est rendu l’appui :
Que votre sentiment ne me soit point contraire.
Vous savez ce que je puis faire.
Ne vous avisez pas de vous jouer à moi :
L’Amour n’entend point raillerie.
Je lancerais sur vous des flèches, par ma foi,
Dont vous vous sentiriez le reste de la vie.
Vous avez vu jusqu’à présent
Des avares, des misanthropes,
Des fourbes, des grondeurs, des joueurs, des Ésopes.
J’ai forcé chacun d’eux à devenir Amant.
On a beau se soustraire à mon obéissance ;
Il faut y venir tôt ou tard.
Jupiter et les Dieux qui boivent le Nectar,
Ainsi que les mortels, révèrent ma puissance.
Ainsi, Messieurs, accordons nous :
De cette Comédie embrassez la défense ;
Sinon, redoutez mon courroux.
Aux Dames.
Et pour vous, Déesses mortelles,
Si vous applaudiriez cet ouvrage nouveau,
Je rendrai vos Amants fidèles...
Ils vous trouveront toujours belles...
J’en jure par mes traits, mon arc, et mon flambeau.
COMÉDIE
On voit au fond du Théâtre la Mer Egée, et sur le bord du rivage une Tour d’airain où Danaé est enfermée.
Scène première
JUPITER sous l’habit de Crispin, avec une Couronne sur la calotte, et une espèce de foudre à la main, pour le distinguer, MERCURE
MERCURE.
Enfin vous voici donc arrivé sur la terre.
Ouf... J’ai bien fatigué pour descendre des Cieux.
Pour vous, Monsieur mon très cher père.
Maître des hommes et des Dieux,
Dans un nuage épais fait en forme de chaise,
Vous êtes descendu du Ciel fort à votre aise.
Mais moi, toujours en bute aux injures de l’air,
J’ai cent fois maudit la voiture,
Dont m’a fait présent Jupiter.
JUPITER.
Vous n’êtes qu’un faquin, Mercure.
MERCURE.
Comment donc ! suis-je un Dieu seulement en peinture ?
Car pour vous, vous avez l’air galant, cavalier :
Vous voilà tout aimable ; ou la foudre m’assomme.
On vous prendra par tout pour un Dieu gentilhomme ;
Mais moi, l’on me prendra pour un Dieu roturier.
JUPITER, se quarrant.
Si l’on en juge par la mine,
Il est bien vrai que j’ai la prestance divine.
Mais malgré cet air noble, et ce maintien divin,
Je crois que je ressemble encor plus à Crispin.
Pour cacher ici bas ma puissance immortelle,
Sous l’habit de Crispin, d’un homme j’ai pris l’air.
Sous cette figure nouvelle
Tu t’étonnes de voir travesti Jupiter :
Mais pour moi, je n’en suis que rire ;
Et puisque l’on m’a vu Cigne, Taureau, Satire,
Je peux bien aujourd’hui, pour mon nouveau dessein,
Prendre la forme de Crispin.
On dit que les Crispins ont le talent de plaire ;
Qui plus est, je veux être inconnu sur la terre.
Mais baste là-dessus... parlons d’une autre affaire.
MERCURE.
Soit... or ça, dites-moi qui vous amène ici ?
Je gage que l’amour... justement m’y voici :
Je lis dans vos yeux ce mystère.
C’est en vain sur ce point que vous voulez vous taire.
JUPITER, à part.
Ah, le maroufle ! il a raison.
Je l’avoue, il est vrai, j’aime un jeune tendron,
Ne me condamne point dans l’ardeur de ma flamme.
Je lui sacrifierais Junon ; car c’est ma femme.
MERCURE.
Quel est donc cet objet nouveau
Qui vous a coiffé le cerveau ?
En voudrez-vous toujours à ces pauvres mortelles ?
Alcmène, Io, Léda, Latone, Sémélé,
Pour qui votre cœur a brûlé,
Maintenant vous déplaisent-elles ?
JUPITER.
Bon ! tu me nommes là de plaisantes donzelles.
Je n’ai jamais senti pour elles cette ardeur.
Je te parle, ma foi, du meilleur de mon cœur,
Et te fais confident de toutes mes pensées.
De mon âme à présent elles sont effacées :
Elles en penseront tout ce qu’il leur plaira,
Je les estime moins que...
Mais, Mercure, après tout, puisqu’il faut te le dire,
Pour Danaé mon cœur soupire.
Par un brouillon d’Oracle Acrise étant instruit,
Qu’un Prince parricide et traître,
Qui de sa fille devait naître,
Lui ferait faire un saut dans l’éternelle nuit,
Dans Danaé voulut éteindre sa famille,
Et dans ces murs d’airain fit enfermer sa fille.
Cette Princesse était encor dans le berceau,
Lorsqu’elle y commença ses tristes destinées...
Elle n’a maintenant que quinze ou seize années.
MERCURE.
La peste ! le friand museau !
JUPITER.
Elle n’a jamais vu d’un homme la figure.
Je lui paraîtrai tout nouveau.
Elle ignore de tout, Mercure...
MERCURE.
Encor mieux... l’excellent morceau !
JUPITER.
Ciel ! quelle sera sa surprise
Voyant en ma personne un mignon jeune et beau
Lui jurer une amour soumise !
MERCURE.
Elle ne pourra pas se tenir dans sa peau.
JUPITER.
Cependant une chose à mes vœux est contraire.
Des soldats Argiens la retiennent de près ;
Du pied de cette Tour ils ne sortent jamais :
Et forcer des soldats c’est être téméraire ;
Car je suis devenu poltron
En prenant de Crispin la figure et le nom.
Pique, fusil, épée, hallebarde, canon,
Me feraient fuir au Ciel d’une belle manière.
MERCURE.
Mais voici bien une autre affaire :
Car comment vaincrez-vous la vieille Tiphaé,
La nourrice de Danaé
Elle veille sur elle en cette Tour affreuse.
JUPITER.
De nos difficultés c’est la moins épineuse.
MERCURE.
Tenez, m’en croirez-vous ? Le moyen le plus fort
Est de faire à leurs yeux briller l’éclat de l’or,
À force de ducats gagner la sentinelle.
Pour votre amour n’épargnez rien.
N’avez vous point d’argent ? C’est une bagatelle :
Vous n’avez qu’à vouloir, vous en trouverez bien.
JUPITER.
Que tu raisonnes bien ! L’or est la clef des âmes :
Par l’or on vient à bout des hommes et des femmes,
Des petits et des grands, soldats et cætera.
Oh ! va, va, qu’à l’argent ne tienne ;
J’en aurai plus qu’il n’en faudra ;
Car, si je veux, il en pleuvra.
MERCURE.
Mais gare que Junon ne vienne.
Pourrez vous d’elle vous cacher ?
Vous savez mieux que moi que la bonne Déesse,
Sitôt qu’elle s’y met, est tant soit peu diablesse.
Jusqu’au fonds des enfers elle irait vous chercher ;
Car entre nous, Seigneur, Madame votre épouse
Est de l’humeur la plus jalouse.
JUPITER.
Il faudra la guetter : si tu la vois venir,
Mercure, tu viendras promptement m’avertir
Ce n’est pas que je l’appréhende ;
Car après tout je ne demande
De Danaé nulle faveur.
Je voudrais seulement lui prouver que mon cœur,
Ardent à lui marquer mon amoureuse flamme,
Peut faire quand il veut d’une fille une femme.
MERCURE.
Quoi, vous ne voulez que cela !
Ah, l’honnête Dieu que voilà !
Par là vous méritez dans l’histoire une place.
JUPITER.
On connaît les grands cœurs à de grandes vertus.
MERCURE.
Avec ce beau jargon, il ne vous manque plus
Qu’une pique à la main, un casque, une cuirasse,
Et tout l’accoutrement que l’en portait jadis ;
Chacun vous prendra lors pour un autre Amadis.
Tous ces beaux sentiments ne sont plus en usage.
JUPITER.
Dis ce que tu voudras : je prétends être sage.
Mais je vois près de cette Tour,
Certains grands estafiers, avec des hallebardes.
MERCURE.
De Danaé ce sont les gardes,
Qui sont en faction et la nuit et le jour.
Ils ont l’air mauvais... mais n’importe,
Avançons. Serviteurs... ouvrez-nous cette porte.
Peut-on à Danaé dire un mot ?
Scène II
JUPITER, MERCURE, DEUX SOLDATS ARGIENS qui paraissent à l’entrée de la Tour de Danaé la hallebarde en main
PREMIER SOLDAT, présentant la pointe de sa pique.
Halte-là.
MERCURE.
Belle réponse que voilà !
JUPITER.
Permettez-nous...
DEUXIÈME SOLDAT, présentant la pointe de sa pique.
Point de réplique :
Crois moi range-toi de ma pique.
JUPITER, tremblant.
Je tremble... mais, Messieurs...
PREMIER SOLDAT.
Oh, point tant de raison.
MERCURE.
Puisqu’ils le prennent sur ce ton,
Morbleu, faisons les fiers, déclarons qui nous sommes,
Insolents, vous croyez être devant des hommes ;
Mais vous voyez en nous deux Dieux,
À part.
un peu poltrons,
Et même un peu trop fanfarons.
C’est le Grand Jupiter, l’auteur de la nature ;
Et moi je suis son fils Mercure.
PREMIER SOLDAT, présentant toujours la pointe.
Messieurs les Dieux, sans compliment
Parlez votre chemin, vous ferez sagement.
Sans respecter vos plates mines,
Nous pourrions assommer vos Majestés divines.
JUPITER.
Pour vous persuader de ce que nous disons,
Faites quelque souhait, et nous l’accomplirons.
DEUXIÈME SOLDAT.
Tu veux donc jusqu’au bout pousser l’effronterie ?
Mais n’importe, voyons : nous voulons bien encor.
Pour confondre ta menterie,
Souhaiter une mine d’or.
Puis de ta Déité convaincus pleinement,
De cette Tour d’airain nous t’ouvrirons la porte.
PREMIER SOLDAT.
Exauce ce vœu promptement ;
Je te donne les clefs : les voici que je porte.
Parbleu nous n’avons pas un sou,
Moi, ni mon compagnon, sans lui faire un reproche.
JUPITER.
Hé bien, fouillez dans votre poche.
DEUXIÈME SOLDAT, se fouillant.
Quelle quantité d’or !
PREMIER SOLDAT, se fouillant.
Ma poche est un Pérou !
Si vous n’êtes des Dieux, que pourriez-vous être ?
Ah je n’en doute plus, et même à deux genoux
Il se jette aux genoux de Jupiter.
Dans le grand Jupiter je reconnais mon maître.
DEUXIÈME SOLDAT, se jette aussi à genoux.
Ô Dieux puissants, pardonnez-nous :
Les soldats n’ont pas trop l’honneur de vous connaître.
JUPITER.
Vous autres, vous croyez aux Dieux
Par bénéfice d’inventaire,
Et vous êtes des malheureux
Que j’aurais dû cent fois écraser du Tonnerre.
Si j’en croyais ici mon transport furieux,
Dès ce même moment, Messieurs les incrédules.
Je devrais vous punir... Mais prenez des pilules.
En attendant, rendez les clefs de cette Tour.
Levez vous maintenant, allez, je vous pardonne :
Mais cependant je vous ordonne,
Sous peine de perdre le jour,
De tenir secret mon amour,
Et de n’en parler à personne.
Adieu, tirez...
Scène III
JUPITER, MERCURE
MERCURE.
De l’or j’admire la vertu :
Son éclat sait charmer le cœur le plus sauvage.
Mais entre nous, Seigneur, je crains bien.
JUPITER.
Que crains-tu ?
J’ai les clefs de la Tour : en faut-il davantage ?
MERCURE.
La surveillante Tiphaé,
L’argus de votre Danaé,
Est encore un nouvel obstacle.
JUPITER.
Il faut, pour l’engager, faire un nouveau miracle.
Aux Dieux cela ne coûte rien.
Je les fais par centaine, et je m’en trouve bien.
Cependant, mon ami, va-t-en faire la ronde,
Parcours un peu de l’œil le Ciel, la Terre et l’Onde.
Observe exactement tous les pas de Junon ;
Je vais t’en dire la raison :
Quoique le feu qui me dévore
Suit établi sur la vertu,
Son esprit malin et têtu
Jusques sur Danaé me poursuivrait encore.
MERCURE.
Votre Junon est bien la plus sotte pécore...
JUPITER.
Il est vrai : c’est pourquoi, sans faire de façon,
Il faut ici jouer d’adresse.
Tu pourras bien par ta finesse
L’éloigner, ou du moins détruire son soupçon.
Moi, je cours me jeter aux genoux de ma belle,
Bredouiller des discours de l’enjoué Crispin.
Toi, va de ton côté, pour seconder mon zèle,
Exercer le talent de ton esprit malin.
Scène IV
JUPITER, seul
Serrons pour un moment mon foudre dans ma poche :
Peut être il me ferait ici quelque anicroche.
Je veux m’humaniser un peu,
Et quitter mon éclat de Dieu.
Mais ouvrons promptement cette prison austère.
Bon ! voici la nourrice...
Scène V
JUPITER, TIPHAÉ, habillée en vieille et s’appuyant sur un bâton
TIPHAÉ.
Ah, que vois-je ? Un mortel
Jusques dans notre Tour porte un pas criminel !
Audacieux filou, dis-moi, qu’y viens-tu faire ?
Mais qui peut donc avoir dispersé les soldats ?
As-tu trompé leur vigilance ?
Sans garde notre sexe est-il sur la défense ?
Ah malheureux, n’approche pas...
JUPITER, à part le premier vers.
Cette vieille nourrice a l’humeur bien revêche.
Mais, ma bonne, faut-il être si pigrièche !
Je suis un bon enfant, Madame Tiphaé,
Qui plus est, amoureux...
TIPHAÉ.
De qui ?
JUPITER.
De Danaé !
Ma foi, je l’aime à la folie,
Parce qu’on dit qu’elle est jolie.
Mais que vois-je ? vos yeux de courroux enflammés
Ne seront-ils point désarmés
Par les attraits de cette bourse ?
TIPHAÉ.
En livrant Danaé je trahirais le Roi,
Elle est confiée à ma loi.
JUPITER.
Quelle sera donc ma ressource ?
TIPHAÉ, examinant la figure de Jupiter.
Mais viens-ça, dis-moi bonnement,
Est-ce par ton habit, ton air hétéroclite,
Que tu veux d’un galant faire voir le mérite ?
Voilà, je vous l’avoue, un beau bijou d’Amant.
Ma foi, c’est pour ton nez qu’on garde la Princesse.
Voyez un peu le bel oiseau,
Pour inspirer de la tendresse.
JUPITER.
Hé bien, soit, je ne suis point beau,
Je suis, si tu le veux, un monstre de nature,
Rien n’est si laid que ma figure,
Je n’eus jamais l’air engageant...
Mais après tout j’ai de l’argent.
Et, comme tu fixais bien, l’argent est un mobile,
À qui de tous les temps rien ne fut difficile.
TIPHAÉ.
Tarare... c’est ainsi qu’on attrape les sots.
Là ! que dirait le Roi d’Argos
Si je vous faisais voir sa fille ?
Votre bourse pourtant me paraît fort gentille...
Que je la voie de plus près.
Jupiter lui donne la bourse.
Courage, ma vertu, ne manquez pas de force.
Céderiez-vous à cette amorce ?
Mais quoi, plus je la tiens et plus j’y vois d’attraits.
Ah, si le fonds pouvait ne se vider jamais !
JUPITER.
Je puis accomplir tes souhaits,
J’aurai soin de la tenir pleine.
Mais ne sois donc plus inhumaine :
Laisse-moi seulement pousser quelque soupirs ;
Je n’exige pas davantage.
TIPHAÉ.
Vous me promettez d’être sage ?
JUPITER.
Quel conte ! assurément : je hais le badinage.
TIPHAÉ.
Je vais contenter vos désirs.
Danaé dans ces murs n’a jamais vu personne,
Et je crains que d’abord un homme ne l’étonne ;
Pour la première fois vous l’allez voir sortir ;
Et son air innocent pourra vous divertir.
Éloignez-vous...
Scène VI
JUPITER DANAÉ, TIPHAÉ, ouvrant la Tour
DANAÉ, à Tiphaé.
Hélas ! je te croyais perdue...
Mais que d’objets divers s’offrent à notre vue !
TIPHAÉ.
Cette nouveauté vous surprend ?
DANAÉ.
Ah, bons Dieux, que le monde est grand !...
Ma chère Tiphaé, de grâce,
Fais-moi voir un peu de pays :
Car à la fin je suis bien lasse
D’avoir toujours vécu dans ce sombre logis.
Je n’ai jamais vu de ma vie
Que des chiens, des chats, des oiseaux.
Et ne voir que des animaux,
C’est une triste compagnie.
Tant d’animaux.
Apercevant Jupiter.
Ah Ciel !
Je tremble, cache moi...
TIPHAÉ.
Qui vous fait crier de la sorte !
DANAÉ, tremblante.
Quel animal encore est-ce que j’aperçoi !
Il vient à nous : ah, je suis morte !...
JUPITER, à part.
Les filles n’ont plus peur d’animaux comme nous,
Elle est l’unique, je le gage.
TIPHAÉ.
Hé, ma fille, rassurez-vous :
Cet animal n’est point sauvage.
Un jeune agneau n’est pas plus doux.
DANAÉ.
Qu’il n’avance pas davantage :
Tiphaé, j’en ai trop de peur.
TIPHAÉ.
Examinez-le bien, voyez quelle douceur.
Approchez-vous, ma fille ; approchez-vous, vous dis-je :
Regardez son air gracieux.
Là... que dites-vous de ces yeux ?
Allons, de votre erreur souffrez qu’on vous corrige.
DANAÉ.
Plus je le considère, et moins j’en ai d’effroi.
JUPITER, à part.
Vraiment je le crois bien...
DANAÉ.
Je sens je ne sais quoi...
Qui dans mon cœur jette un désordre...
J’en approcherais bien : mais s’il allait me mordre ?...
JUPITER, à part.
J’en serais bien fâché.
TIPHAÉ, à Danaé.
Non, n’appréhendez rien.
DANAÉ.
Mais... Tiphaé, je voudrais bien
Savoir comment cela se nomme ?
TIPHAÉ.
Puisque vous le voulez, cela s’appelle un homme.
DANAÉ.
Un homme ? le drôle de nom !
Que ce mot est doux à l’oreille !
Un homme ? ce nom me réveille.
Ah, qu’un homme est joli !... mais qu’en faire de bon ?
TIPHAÉ.
Il sera votre Amant, vous serez sa Maîtresse.
DANAÉ.
Il sera mon Amant !
JUPITER, s’avançant vers Danaé.
Oui, ma chère Princesse,
Si tu me le permets, dès ce même moment
Je me déclare ton Amant ;
Mais un Amant tendre et sincère,
Qui n’a d’autre plaisir que de vouloir t’en faire.
DANAÉ.
Ah, qu’ai-je entendu ? les Amants
Sont donc des Animaux parlants.
Mais de quel nouveau trouble est mon âme saisie !
Je ne puis dire ce que c’est...
En lui tout me charme et me plaît...
De joie en le voyant je suis toute ravie...
Mais, sentez-vous pour moi ce que je sens pour vous ?
Je ne vous trouve point le regard assez doux...
Vous avez l’œil farouche, et je lis dans votre âme
Que vous n’éprouvez point...
JUPITER.
Ah, quel conte, Madame !
Avec quelque couleur qu’on ait peint ma fierté,
Croit-on que dans ses flancs un monstre m’ait porté.
DANAÉ.
Je vous trouve pourtant, malgré cet air farouche,
Certain je ne sais quoi qui me charme et me touche.
Plus je vous entretiens, plus mes troubles sont grands.
Ah, c’en est fait, je me rends.
JUPITER.
Que cet aveu m’est doux ! Rien pour moi, je te jure
Pat les ondes du Styx... Mais j’aperçois Mercure.
Hé bien, qu’apportes-tu de bon ?
Scène VII
JUPITER, MERCURE, DANAÉ, TIPHAÉ
DANAÉ, d’un ton gai.
Que vois-je ! encore un homme ! et d’où viennent-ils donc ?
TIPHAÉ.
Quoi, c’est donc là votre émissaire.
JUPITER.
Oui c’est mon commissionnaire,
Mon ambassadeur ordinaire,
Le porteur de mes billets doux,
L’Argus qui veille à mes jaloux ;
Et, pour vous en tracer les dernières peintures ;
Le bras droit de mes aventures.
Que dites-vous de son minois ?
TIPHAÉ.
Je dis qu’il est fort agréable,
Et qu’il me plairait fort, s’il fallait faire un choix.
Est-il tendre ?
MERCURE.
Moi ? non : je suis dur comme un diable,
Du sexe féminin je fais fort peu de cas,
Et je sais comme on doit respecter ses appas.
À Jupiter, bas.
Mais à propos, Seigneur, ce maudit trouble fête
Veut étrangler votre conquête.
Sauvez-là maintenant, puisque vous le pouvez.
Dans son accès quinteux Junon nous veut tous battre :
Elle se fait tenir à quatre.
JUPITER.
Peste du contretemps !
DANAÉ.
Qu’est-ce que vous avez ?
JUPITER.
Sauve-toi, ma Princesse, ou te voilà perdue.
DANAÉ.
Je n’ai garde vraiment de vous perdre de vue...
Le péril me paraîtra doux,
Si je le partage avec vous.
JUPITER.
Elle est folle de moi, la petite drôlesse !
Allons, sauvons-nous : le temps presse :
La nuit pour nous cacher semble venir exprès.
Bientôt le blond Phœbus, las d’éclairer le monde,
Va se culbuter dans l’onde :
Sous ces arbres prochains allons prendre le frais.
À Mercure.
Pour toi, dont la cervelle en malice est féconde,
Cherche quelque moyen pour écarter Junon,
Et reviens m’informer de ta commission.
Jupiter conduit Danaé sous des arbres.
Scène VIII
MERCURE, seul
Junon vient sur mes pas. Allons, ferme Mercure.
Donnons-lui de la tablature.
Elle vient... Mais que vois-je ! et quel déguisement !
D’une Dame Gigogne elle a l’habillement.
Ah, ah, ah, la plaisante histoire !
Scène IX
JUNON, en Dame Gigogne, MERCURE
MERCURE.
Quoi, Madame, allez-vous vous montrer à la Foire ?
Sommes-nous dans le carnaval ?
Est-ce là votre habit de bal ?
Expliquez-vous : qu’en dois-je croire ?
JUNON.
Voyez un peu l’original !
MERCURE.
Jupiter en Crispin ! vous en Dame Gigogne !
Puissé-je devenir un cadet de Gascogne,
Si le timbre des Dieux n’est fêlé...
JUNON.
L’animal !
MERCURE, la considérant.
Entre nous, cet habit ne vous sied pas trop mal.
JUNON.
Je me veux venger d’un parjure
Sous cette comique figure :
J’ai su qu’il aime Danaé.
Jadis, lorsqu’il aimait la jeune Sémélé,
Je pris, comme l’on sait, l’air d’une vieille femme.
J’abusai ma rivale, et par mes faux discours,
Bientôt j’eus le plaisir de voir finir ses jours,
En la faisant périr au milieu de la flamme.
Je veux à Danaé, sous ce déguisement,
Faire un semblable traitement.
MERCURE, à part.
Par ma foi, Madame Gigogne,
Vous êtes pour le coup une indigne carogne.
JUNON.
Elle pourrait se méfier,
Si je lui paraissais dans l’éclat de ma gloire ;
Mais voyant cet habit elle aura lieu de croire
Que mon dessein sera de la désennuyer.
Pour toi, je devrais bien châtier ton audace,
Traître.
MERCURE.
Me châtier ! et pourquoi donc, de grâce ?
Je ne sache pas de raison...
JUNON.
Vous êtes un joli mignon !
Au lieu de m’avertit qu’un époux infidèle
A fait une intrigue nouvelle,
Bon scélérat, vous le gâtez ;
Vous plongez Jupiter dans mille voluptés.
MERCURE.
Écoutez : hors sa femme il aime tout le monde :
Aujourd’hui c’est la brune, et demain c’est la blonde ;
Et comme un papillon au milieu d’un jardin,
Tantôt l’œillet lui plaît, et tantôt le jasmin.
JUNON.
L’humeur de Jupiter coquette et vagabonde
N’a jamais eu pour moi d’appas.
Sitôt que cet ingrat de la céleste voûte
Vient faire l’amour ici bas,
Les Déesses, les Dieux, tout se met en déroute.
Ils viennent de vider trois tonnes de Nectar,
En cassant pour le moins cent douzaines de verre.
L’un jure, l’autre rit, l’autre tombe par terre :
En un mot, c’est un grand hasard
Si sans s’estropier ils passent la journée.
Vénus fait le dragon, Pallas la forcenée.
On prendrait à présent le Ciel pour un enfer :
Et voilà tous les maux que cause Jupiter.
Oh ! je lui chanterai sa gamine.
MERCURE.
Mais, Madame Gigogne, ou Madame Junon,
(Car il faut tout au moins que je vous donne un nom)
Après quatre mille ans peut-on aimer sa femme ?
Car à bien supputer le temps,
Vous goutez de l’hymen depuis quatre mille ans,
Tandis que maintenant l’on maudit le ménage,
Après six mois de mariage.
JUNON.
Je gage qu’il est enfermé
Dans la tour arec Danaé.
MERCURE.
Non, je vous en réponds : il n’est plus sur la terre
Dans l’Olympe il est de retour.
JUNON.
Dis-tu vrai ? Mais tu mens ; et je connais Mercure.
Jupiter est assez parjure
Pour me trahir dans cette Tour...
Il me vient un dessein pour troubler son amour.
Oui, je veux punir l’infidèle,
En perdant à ses yeux sa conquête nouvelle.
Il ne peut échapper à mon juste courroux.
Vulcain me forgera certains passe-par-tous
Qui de cette prison sauront m’ouvrir la porte.
Scène X
MERCURE, seul
Informons Jupiter de son mauvais dessein.
Nous n’avions pas compté sur les clefs de Vulcain.
Ô femmes de vertu, le diable vous emporte !
Mais déjà la nuit vient, et l’on ne voit plus clair ;
Je m’en vais au plutôt retrouver Jupiter.
Scène XI
MERCURE, TIPHAÉ, venant an devant de Mercure
JUNON.
Écoute.
MERCURE.
Qui va là ?
TIPHAÉ.
Demeure.
MERCURE.
C’est la nourrice... Adieu : je reviens tout à l’heure.
TIPHAÉ.
J’ai deux mots à redire : écoute seulement.
MERCURE.
Je suis pressé, te dis-je...
TIPHAÉ.
Hélas ! rien qu’un moment.
MERCURE.
Achève : que veux-tu ?
TIPHAÉ.
J’ai dessein de te plaire...
MERCURE.
Comment donc ! n’est-ce que cela ?
Et tu crois m’arrêter avec ces contes-là ?
Adieu...
TIPHAÉ.
Reste... je veux te parler d’autre affaire
Ah ! le petit brutal !
MERCURE.
Tel est mon caractère.
TIPHAÉ.
Ton Maître a plus d’amour...
MERCURE.
Oh ! c’est un autre cas ;
Si mon Maitre est un sot... moi, je ne le suis pas.
Danaé, qui plus est, est dans la fleur de l’âge ;
Mais toi... prends un miroir, tu verras ton visage.
Ton bâton et tes cheveux blancs
Ne sont pas, vois-tu bien, des mets trop ragoûtants.
TIPHAÉ, à part.
Les vieilles d’ordinaire achètent leurs Amants ;
C’est-là leur dernière ressource...
Tâchons de le corrompre, et donnons-lui la bourse
Dont son Maître m’a fait présent.
Haut.
Tiens, si tu veux m’aimer... c’est pour toi cet argent.
Voici la bourse de ton Maître ?
Tu peux fort bien la reconnaître,
Dès ce moment elle est à toi,
Si tu veux m’engager ta foi.
MERCURE.
Qu’entends-je ! juste Ciel ! l’artifice est terrible.
Va, démon tentateur... je suis incorruptible...
Scène XII
JUPITER, DANAÉ, MERCURE, TIPHAÉ
DANAÉ.
Tiphaé, dis moi donc, à quoi t’amuses-tu ?
MERCURE.
Princesse, elle s’amuse à tenter ma vertu ;
Mais comme dans mon cœur la pudeur a pris germe,
Malgré ses beaux discours, j’ai toujours tenu ferme.
JUPITER.
Ainsi je t’attendais en vain...
MERCURE.
Vous m’auriez attendu, ma foi, jusqu’à demain.
La nourrice en ces lieux m’en contait des plus belles.
Mais voici bien d’autres nouvelles ;
Junon a couru chez Vulcain,
Et veut pour se venger (peste soit des femelles)
Faire forger des clefs pour entrer dans la Tour.
JUPITER.
Vulcain n’aurait, ma foi, qu’à me jouer ce tour !
D’un coup de pied au cul, du haut du Ciel en terre,
Je fis faire autrefois un saut
À ce malotru, ce maraud :
Il fut boiteux de cette affaire.
Je pourrais bien d’un autre coup
Cette fois lui rompre le cou.
DANAÉ, à Jupiter.
Vous parlez de Junon : quel est donc ce mystère ?
JUPITER.
M’amour, écoute-moi... je ne te veux rien taire,
Mais à propos mon foudre ici m’est nécessaire ;
Je l’ai mis dans ma poche : attendez un moment...
Bon... le voici... Je suis l’Auteur du firmament,
Qui lance quand il veut le foudre et le tonnerre,
Qui s’est Crispinisé tout exprès pour te plaire.
Au brillant de mes yeux, à ma bouche, à mon air,
Ne tremble point, mon cœur ; c’est Crispin Jupiter.
MERCURE.
Frémissez humaine Nature :
Vous voyez le Divin Mercure.
TIPHAÉ.
Quoi ! vous êtes des Dieux ?
MERCURE.
Vraiment, n’en doutez pas.
DANAÉ.
Quoi ! Jupiter était sensible à mes appas ?
JUPITER.
Lui-même.
DANAÉ.
S’il est vrai, qu’avons-nous donc à craindre ?
JUPITER.
La jalouse Junon, puisqu’il ne faut rien feindre ;
Se rit de mon pouvoir, et cherche à me contraindre.
MERCURE.
Pour vous faire tomber dans son piège à loisir,
Je dois ici vous avertir
Qu’elle a pris les habits d’une Dame Gigogne ;
Pour perdre Danaé, dit-elle.
JUPITER.
La carogne !
TIPHAÉ.
Puissant Dieu, nous laisserez-vous
En proie à son transport jaloux ?
JUPITER.
Dussé-je à poing fermé lui régaler la face ;
Dussions-nous nous battre tous deux ;
Dût-elle m’arracher la barbe et les cheveux ;
Dût l’un des deux rester étendu sur la place...
Bon : mais je vois venir cet enragé Lutin.
Scène XIII
JUPITER, JUNON, MERCURE, DANAÉ, TIPHAÉ
JUNON.
Je viens de l’antre de Vulcain.
Il n’a jamais voulu me servir, le coquin !
Mais je vois Jupiter. Ah, traître abominable !
JUPITER.
Retire-toi, jalouse, au diable.
JUNON.
J’ai des tentations de t’arracher les yeux.
JUPITER.
Tu n’as qu’à modérer tes désirs furieux.
JUNON.
Je devrais t’étrangler dans ma juste colère.
JUPITER.
Je te prie instamment de n’en vouloir rien faire.
JUNON.
Pour me trahir ainsi. Là de quoi te plains-tu,
Traître ? Ai-je jamais fait faux bond à ta vertu ?
Quelle femme, dis-moi, fut jamais plus aimable ?
Car pour ta Danaé, je la trouve effroyable.
DANAÉ.
Et moi, je vous trouve admirable.
Vous avez l’air de ma guenon.
JUPITER.
Sur mon honneur elle a raison.
JUNON.
J’ai l’air d’une guenon ! Ah, je suis enragée.
Tôt ou tard je serai vengée.
Je te jouerai, pendarde, un tour de ma façon.
J’irai révéler à ton père
Que ton cœur sensible à l’amour
A trouvé le secret de sortir de la Tour.
Acrise, apprenant ce mystère,
Cherchera le moyen de prolonger ces jours
Dont l’oracle à ton innocence
Autrefois attacha le cours ;
Et répandant ton sang vengera mon offense.
Tu mourras, téméraire... Et toi, parjure époux,
Je veux pour t’empêcher d’aller trouver les filles
Faire boucher du Ciel les portes et les trous.
J’y ferai mettre doubles grilles,
Je ferai renforcer cadenas et verrous,
J’obligerai Vulcain à faire cet ouvrage.
Adieu : Junon est en courroux ;
L’un et l’autre craignez les effets de sa rage.
MERCURE, arrêtant Junon.
Par ma foi, pour un rien voilà bien du tapage.
Je veux être entre vous l’arbitre de la paix.
Il vous faut pardonner à Jupiter.
JUNON.
Jamais.
MERCURE.
Pour vous, papa Jupin, vous ferez plus traitable :
Il vous faut embrasser Junon.
JUPITER.
Pas pour un diable.
MERCURE.
Il faut pourtant trouver un médion.
JUNON.
Je veux bien revenir ; mais à condition
Que l’ingrat Jupiter renonçant à sa belle
Me la laissera marier.
MERCURE.
Madame, à vos discours pouvons-nous nous fier ?
JUNON.
Oui, j’en jure.
MERCURE.
Seigneur, c’est une bagatelle.
Renoncez à l’amour qui vous presse à présent :
Pour une de perdue on en retrouve cent.
JUPITER.
Mais, tu n’y songes pas Mercure,
Si Junon... ment par aventure.
JUNON.
Non, non, je lui destine un Roi chéri des Dieux ;
C’est le Roi Polidecte.
JUPITER.
Est-ce-là ce mari ?
Ah, je ne dis plus mot : c’est un allez bon Prince.
Mais, qui la conduira jusques dans sa Province ?
MERCURE.
Je m’en charge...
JUNON.
Hé bien, soit.
MERCURE.
Vous voilà donc d’accord :
Le calme maintenant doit régner dans votre âme.
JUPITER.
Il faut bien accorder quelque chose à sa femme.
MERCURE.
Puissiez-vous désormais goûter un meilleur sort !
JUPITER.
Adieu mon cher trognon, belle et douce Princesse,
Tu jouiras de la tendresse
D’un Roi qui doit t’aimer autant que Jupiter.
Il sera ton époux... Pars et mets toi sur Mer.
DANAÉ.
Et qu’est-ce qu’un époux ?
JUPITER.
Un époux ? c’est un homme...
Qui... mais, attendez... c’est tout comme...
Mercure vous l’expliquera :
C’est un Dieu fort expert sur ces matières-là.
DANAÉ.
Adieu donc pour jamais...
JUPITER.
Faites un bon voyage.
Pour vous, Mercure, soyez sage.
MERCURE.
Reposez-vous-en sur ma foi...
Laissez-moi faire. Adieu... Mesdames, suivez-moi.
Ils s’en vont.
JUNON.
Tu vois, ingrat, je te pardonne :
En vérité je suis trop bonne.
JUPITER.
Morbleu, ne nous reprochons rien,
Et ne nous brouillons plus, puisque nous sommes bien.
Partons... Mais sur mon aigle, il faut que je me grimpe,
Pour me voiturer dans l’Olympe...
Adieu, Messieurs, jusqu’au revoir ;
Les Dieux vous donnent le bonsoir.