Le Roi de village (Jacques-François ANCELOT - Pierre CARMOUCHE)
Comédie en un acte, mêlée de vaudevilles.
Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 23 août 1819.
Personnages
HENRI IV
CRILLON
LE BAILLI
GERVAIS, Paysan
VIROFLAY, Neveu de Gervais
GABRIELLE, Paysanne
UN PAYSAN
OFFICIERS de la suite d’Henri IV
VILLAGEOIS et VILLAGEOISES
La scène se passe dans un Village.
Le Théâtre représente la Place du Village.
Scène première
LE BAILLI, GABRIELLE, VILLAGEOIS et VILLAGEOISES
LE BAILLI.
Air des Deux Edmond.
Le même jour que l’an passé,
Je proclame à tout le village,
Que sur son trône, ici Henri sera placé,
Ou plutôt sa vivante image !
Allons, qu’ici tout soit placé
Comme ça l’était l’an passé !
CHŒUR.
Allons, qu’ici tout soit placé
Comme ça l’était l’an passé !
Les paysans arrangent et placent des guirlandes.
LE BAILLI.
Courage ! J’espère que tout ira bien. Songez que notre canton, qui se distingue par son amour pour le bon Henri, se distingue aussi par la manière dont il le fête ! Il faut avouer que j’ai eu là une heureuse idée ?
GABRIELLE.
Ah ! Monsieur le Bailli, on vous a un peu aidé.
LE BAILLI.
Qu’est-ce à dire ? on m’a aidé ! Lorsqu’un soldat blessé nous fit présent d’un portrait du bon Henri, pour nous récompenser des soins qu’il reçut dans ce village, n’est-ce pas moi qui ai découvert la ressemblance de Gervais avec le Roi ? N’est-ce pas moi qui ai imaginé de le revêtir pendant tout le jour de la fête du pouvoir souverain, qui finit avec la journée.
GABRIELLE.
Il faut avouer que depuis trois ans, il s’en acquitte joliment.
LE BAILLI.
J’en conviens. N’est ce pas encore moi qui ai imaginé de faire choisir la plus jolie fille du village pour représenter une Dame d’Honneur ? Cette année le sort est tombé sur vous ; songez à bien vous acquitter de votre rôle.
GABRIELLE.
N’faut-il pas avoir l’air de l’aimer ?
LE BAILLI.
Certainement !
GABRIELLE.
Ah ! dites donc, Monsieur le Bailli, le neveu du père Gervais, ce pauvre Viroflay, a-t-il été nommé ?
LE BAILLI.
Non, il est furieux de n’avoir pas été choisi pour représenter le brave Sully, que nous prenons parmi les notables du canton.
GABRIELLE.
C’est une injustice qu’on a commise.
LE BAILLI.
On ne peut pas contenter tout le monde. Allons, enfants, préparez-vous ; le règne de Gervais va bientôt commencer, tout m’annonce que cette fête sera plus brillante encore que les précédentes. Une bataille a eu lieu hier à Fontaine Française ; on entendait le canon, et j’ai eu une peur du diable...
UN PAYSAN.
Comment, Monsieur le Bailli, vous avez eu peur ?
LE BAILLI.
Pardine ! j’ai eu peur pour les ennemis. J’espère que le parti de la ligue est enfin abattu. Monsieur de Mayenne est en déroute ; on l’a vu rôder dans les environs.
QUELQUES PAYSANS.
Bah ! vraiment ?
LE BAILLI.
Chut !... Mais je m’étonne de ne pas voir arriver Gervais.
GABRIELLE.
Vous savez bien qu’il est allé, il y a deux jours, à la ville voisine pour des affaires.
LE BAILLI.
Je me flatte que rien ne le retiendra. S’il manquait, il nous mettrait dans un grand embarras.
GABRIELLE.
Son neveu est parti avec lui ; il m’a bien assuré qu’ils reviendraient aujourd’hui même.
LE BAILLI.
À la bonne heure ! il faut que je m’occupe maintenant de tous les préparatifs de la fête. Le feu d’artifice, le mât de Cocagne, les danses ! Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! qu’un homme en place a de peine !
GABRIELLE.
Monsieur le Bailli, Monsieur le Bailli, j’aperçois Viroflay !
Scène II
LE BAILLI, GABRIELLE, VIROFLAY, VILLAGEOIS et VILLAGEOISES
LE BAILLI.
Arrivez donc, Monsieur, arrivez donc !
VIROFLAY.
Me voilà, Monsieur le Bailli ! Bonjour, ma chère Gabrielle !
LE BAILLI.
Eh bien ! je ne vois pas Sa Majesté votre oncle ?
VIROFLAY.
Ah ! ben oui, Monsieur le Bailli, mon oncle ne pourra pas venir !
GABRIELLE et TOUS LES VILLAGEOIS.
Ah ! mon Dieu !
LE BAILLI.
Qu’entends-je ? il ne viendra pas ! Comment se fait-il qu’il se soit arrêté ?...
VIROFLAY.
Parguienne ! il ne s’est pas arrêté lui-même ; c’est ces damnés ligueurs ! Ah ! qu’ils sont malhonnêtes !
LE BAILLI.
Comment cela ?
VIROFLAY.
Voilà ce que c’est : Vous savez qu’à la ville où mon oncle avait été appelé, on tient encore un p’tit peu pour Monsieur de Mayenne. Eh bien ! la ressemblance de mon pauvre oncle, et puis queuq’ paroles qu’il a lâchées tout haut, r’lativementau Roi, par ce que, voyez-vous, on ne peut pas cacher c’ qu’on pense, ça a fait dire... Mais un petit moment donc, si nous le soupçonnions, lui... Parce qu’il a un genre, ou à cause de... Et là-dessus ils l’ont arrêté.
GABRIELLE.
Arrêté !
LE BAILLI.
Voyez-vous ça ! Ces drôles-là ne se gênent pas !
VIROFLAY.
Il m’a pris à part et il m’a dit : Viroflay, cours au village, raconte mon aventure, dis à Monsieur le Bailli que j’ai des moyens sûrs de sortir des griffes des ligueurs ; mais que je n’ pourrai sans doute pas être au village avant demain : là-dessus, j’ai pris mes jambes à mon cou, j’suis venu sans m’amuser en chemin, et me v’là.
LE BAILLI.
Quel contretemps ! Il ne viendra pas ! S’il pouvait parvenir à se sauver aujourd’hui...
VIROFLAY.
J’ n’en crois rien !
LE BAILLI.
Comment ferons-nous ? Et tous mes préparatifs, que de viendront-ils ? Il faudra donc précisément cette année se résoudre à fêter le bon Henri par cœur, comme les autres villages de France ? Damnés ligueurs !
Air : Voulant par ses œuvres complètes.
Au prince qu’ici l’on adore,
Ne seront-ils jamais soumis ?
Comment Henri peut-il encore
En France avoir des ennemis ?
En voyant ses vertus, ils tremblent !
Et c’est peu de nous l’enlever,
Les méchants voudraient nous priver
De tous les gens qui lui ressemblent !
GABRIELLE.
Pauvre Gervais ! que vont-ils lui faire ?
LE BAILLI.
Ce n’est pas lui qu’il faut plaindre... Mais renoncer à la douce habitude que nous avions contractée de voir l’image vivante de notre Roi, et cela le jour de sa fête !...
GABRIELLE.
Et moi, qui étais dame d’honneur ! Voilà ma nomination qui devient nulle !
VIROFLAY.
C’est clair, ça. Plus de dame d’honneur, plus de Sully ! Et ma foi, je n’en suis pas fâché, à cause de ça ! Il y a trois ans que je suis sur les rangs pour être nommé premier ministre, et ça me revenait de droit : on a commis une injustice.
LE BAILLI.
Tu n’as pas réuni la majorité des suffrages.
VIROFLAY.
Voyez-vous la cabale ! J’avais pourtant joliment intrigué !
Air de Julie.
J’ons fait danser tout’ les jeun’ filles,
J’ons embrassé tout les mamans ;
Enfin, dans toutes les familles,
J’avons cherché des partisans !
Jaloux que l’ nombre s’en accroisse,
J’ n’épargnons rien afin d’ fixer leur choix.
Et j’ons fait boir’, pour obtenir leurs voix,
Tous les chantres de la paroisse !
LE BAILLI.
Allons : il faut que je cherche, que j’improvise une fête... Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! quel contre temps : Pauvre Gervais ! voyons, réfléchissons !... Non, c’n’est pas ça.
Air : Vaudeville de Bedlam.
Eh bien ! vous ne trouvez pas,
Imbéciles que vous êtes ?
Si vous n’étiez pas si bêtes,
Je sortirais d’embarras.
Venez tous dans ma maison,
La chose s’ra décidée ;
C’ n’est pas trop d’tout l’canton
Pour donner un’ bonne idée.
TOUS.
Allons tous, et de ce pas
Organisons une fête ;
Mais s’il n’était pas si bête,
Il nous tir’rait d’embarras.
Scène III
VIROFLAY, GABRIELLE
GABRIELLE.
Ah ! Monsieur, vous avez fait danser toutes les jeunes filles !
VIROFLAY.
Oui ; mais pour pénitence, j’ai embrassé toutes les vieilles ; ainsi ne te fâche pas !
GABRIELLE.
Vous êtes donc bien ambitieux, Monsieur ?
VIROFLAY.
Écoute donc, ma petite Gabrielle, une place de ministre !
GABRIELLE.
Qui ne dure qu’un jour.
VIROFLAY.
Mais, toi, n’es-tu pas bien aise d’être dame de la cour !
GABRIELLE.
Oh ! c’est différent !
VIROFLAY.
C’est vrai ; toi, tu ne perdras pas ta beauté avec la journée !
GABRIELLE.
Monsieur Viroflay est galant ! Eh bien ! voyons : qu’est-ce que tu aurais fait, si tu avais été nommé premier ministre ?
VIROFLAY.
Ah ! parguienne, ça ne se demande pas ! Si j’étais miniss’, tu vois ben c’t’habit là, c’est mon pus beau ! eh bien ! ce serait celui-là d’tous les jours ! J’aurais tous les mois un’ veste neuve ; je ne regarderais pas à la dépense ; et puis, toi, vois tu, tu irais au marché vendre ton lait dans un beau carrosse doré ! Ah ! ah !
GABRIELLE.
Pas mal, vraiment !
VIROFLAY.
Mais, tiens, Gabrielle, c’est assez nous occuper de ça pour cette année ; j’ai encore manqué ma vocation.
GABRIELLE.
Oui, occupons-nous de ton pauvre oncle.
VIROFLAY.
Oh ! je ne suis pas inquiet de lui ; il parviendra à se sauver, et nous le reverrons demain. Profitons du moment que nous laisse son absence pour parler de not’ amour.
GABRIELLE.
Non pas, Monsieur, non pas ! Aujourd’hui, je ne dois songer qu’au Roi.
VIROFLAY.
Eh ! mais, l’un n’empêche pas l’autre.
GABRIELLE.
Ah ! vraiment ?
VIROFLAY.
Est-ce que l’orgueil vous aurait fait oublier les serments que vous m’avez faits, mademoiselle Gabrielle ?
GABRIELLE.
Non, mon ami, non ; je t’aime toujours, mais je ne puis demeurer davantage avec toi : ma mère s’apercevrait de mon absence, et tu ne veux pas que je sois grondée.
VIROFLAY.
Non, certes.
Air : Ronde d’Anacréon.
Adieu, Gabrielle.
GABRIELLE.
Adieu, Viroflay !
De ma toilette nouvelle
Je vais fair’ l’essai.
VIROFLAY.
Qu’ça n’chang pas ton âme,
Et souviens-toi ben
Qu’si tu d’viens bell’ dame,
Moi, j’reste vilain !
ENSEMBLE.
Adieu, Gabrielle, etc.
Ils sortent.
Scène IV
HENRI, CRILLON, UN OFFICIER
HENRI.
Vive dieu, Messieurs, je suis charmé de ce pays !
CRILLON.
Mais, Sire, Votre Majesté ne s’expose-t-elle pas ?
HENRI.
Encore !... rappelez-vous, Crillon, que je ne suis qu’un soldat.
CRILLON.
C’est donc comme au fort d’une bataille.
HENRI.
Cet éloge...
CRILLON.
N’est point une flatterie... Monsieur de Mayenne en sait quelque chose.
HENRI.
Il est vrai que la journée d’hier a dû renverser les dernières espérances de la ligue.
CRILLON.
Quelle victoire !... quels exploits ! Mais, Sire, quels périls vous avez cherchés !... Il me semble encore vous entendre, au fort de la mêlée, nous crier : « À moi, Messieurs, et faites comme vous m’allez voir faire. »
HENRI.
Ah ! mon cher Crillon !
CRILLON.
Mais permettez-moi de vous demander pourquoi, précédant votre armée victorieuse, vous venez ici sous l’habit d’un simple soldat.
HENRI.
Juger par moi-même les habitants de ce pays, les ramener par la douceur s’ils sont égarés, jouir des marques de leur amour si j’ai le bonheur de trouver ici des sujets. Je vous recommande surtout de ne pas trahir mon incognito.
CRILLON.
Sire, comptez sur notre discrétion.
HENRI.
J’aperçois un villageois, interrogeons-le.
Scène V
HENRI, CRILLON, VIROFLAY, L’OFFICIER
VIROFLAY.
Elle est rentrée chez sa mère... Tiens, voilà des soldats ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Prenons garde à nous. Je tremble comme quatre !
CRILLON.
Jeune homme, approchez.
HENRI.
Les habitants de ce village tiennent ils pour Monsieur de Mayenne ?
VIROFLAY.
Monsieur de Mayenne ? ah bien oui !
À part.
Diantre ! pourquoi ces questions ? J’suis bien bon d’leur répondre, moi
Haut, en regardant Henri.
Écoutez, mon brave, j’vous conseille... Ah ! mon dieu, mon dieu ! qu’est-ce que j’vois : vous v’là, mon parrain, que je vous saute au cou !
HENRI.
Qu’est-ce donc ?
CRILLON.
Eh bien ! qu’avez-vous ?
VIROFLAY.
C’est cela, oui, en vérité ! c’est cela même.
HENRI.
Expliquez-vous.
VIROFLAY.
Oh ! c’est que c’est singulier comme vous ressemblez au Roi Henri.
HENRI.
Au Roi ?
VIROFLAY.
Quand j’dis au Roi, j’veux dire à mon oncle Gervais ; mais c’est étonnant.
CRILLON, à part.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
HENRI.
Je ne comprends pas...
VIROFLAY.
C’est pourtant ben facile ! J’ai un oncle qui ressemble au Roi comme... mais vrai, il ne lui r’semble pas plus que vous !
HENRI.
En vérité ?
VIROFLAY.
Vous pouvez m’en croire.
HENRI.
En effet, on m’a dit souvent que j’avais la même figure que Henri.
VIROFLAY.
Vous voyez bien... Je cours chercher Monsieur le Bailly... Oh ! mon dieu, mon dieu, que c’est singulier, quelle ressemblance, je n en reviens pas. Monsieur le Bailly ! Monsieur le Bailly !
Scène VI
HENRI, CRILLON, L’OFFICIER
HENRI.
Comprenez-vous, Messieurs, ce que veut dire ce villageois ?
CRILLON.
Je n’y entends rien.
HENRI.
Son oncle, qui me ressemble !
CRILLON.
La seule chose qui me rassure, c’est que dans ce canton, Votre Majesté ne trouvera que des amis.
HENRI.
Quand pourrai-je en dire autant de toute la France.
CRILLON.
Quand toute la France vous connaîtra.
Scène VII
HENRI, CRILLON, LE BAILLI, VIROFLAY, GABRIELLE, L’OFFICIER, VILLAGEOIS
CHŒUR.
Air : Vaudeville de Bancelin.
Par ici
Qu’chacun s’avance !
Accourons en diligence !
Nous jug’rons la ressemblance.
Tenez, le voici !
LE BAILLI.
Comment se peut-il ?...
VIROFLAY.
Examinez, de grâce !
LE BAILLI.
C’est bien son profil !
Regardons-le de face !
Que Monsieur s’efface !
Tournez-vous, de grâce !
Oui !... je crois pourtant
Qu’il est un peu plus grand !
TOUS.
C’est bien lui
Quell’ bonn’ chance !
Le Roi, malgré son absence,
Grâce à cette ressemblance,
Est encore ici !
VIROFLAY.
Quand je vous disais...
GABRIELLE.
Il a l’air bien plus aimable.
VIROFLAY.
Ah ! vous trouvez ?
LE BAILLI.
Ne précipitons rien... Je vais savoir qui il est...
À Henri.
Écoutez donc, Monsieur, d’où venez-vous ?
HENRI.
D’où je viens ?
LE BAILLI.
Oui, d’où venez-vous ? Vous étiez quelque part avant d’être ici ?
HENRI, à part.
Le plaisant original !
Haut.
Eh bien, Monsieur le Bailly, comme vous disiez, j’étais quelque part, et j’en viens.
LE BAILLI, à part.
C’est un peu vague, mais enfin c’est une réponse.
Haut.
Et qu’y faisiez-vous ?
HENRI.
Pas toujours ce que j’aurais voulu.
LE BAILLI.
Mais encore...
HENRI.
Écoutez : Je n’y faisais jamais de questions indiscrètes.
LE BAILLI.
Oh ! oh !
VIROFLAY, bas au bailli.
Faites bien attention, Monsieur le Bailli.
LE BAILLI.
Il n’est pas poli ; mais c’est étonnant comme il ressemble à Gervais : voilà l’homme qu’il nous faudrait pour le remplacer.
VIROFLAY.
C’est peut-être un ligueur, je vous l’ai déjà dit.
Air du Verre.
Tâchez de lire dans son cœur.
LE BAILLI.
Oui, cet avis est raisonnable ;
Mais si cet homme est un ligueur,
Ce qui pourtant n’est pas probable,
À cette faveur, croyez-moi,
Mes amis, bien loin qu’il résiste,
Il est sûr qu’en le nommant Roi,
Nous en ferons un royaliste.
TOUS LES VILLAGEOIS.
Oui, oui, il faut le nommer.
LE BAILLI.
Le nommer ! le nommer... un moment ; il s’agit de le connaître avant de lui donner une pareille marque de confiance, savoir quelle est sa profession, ses principes, sa moralité...
HENRI.
Ah ça ! Monsieur le Bailli, voulez-vous m’expliquer ce que tout cela signifie ?
LE BAILLI.
Je vais vous le dire, Monsieur. Vous saurez que depuis trois ans, j ai établi dans ce village un usage auquel nous tenons extrêmement : un habitant de ce pays ressemble beaucoup à notre bon Roi ; nous lui décernons, pour le jour de la Fête seulement, l’autorité souveraine dans ce village. Vous lui ressemblez à s’y méprendre, et si vous avez les opinions et les qualités requises, nous sommes disposés à vous nommer en son lieu et place ; voilà ce que c’est.
HENRI.
Monsieur le bailli, j’accepte avec reconnaissance.
À part, à Crillon.
Je vais faire ici mon apprentissage.
LE BAILLI.
Ce n’est pas tout ; nous choisissons aussi une Dame d’Honneur, et voici la jeune villageoise qui, cette année, a réuni les suffrages. C’est Gabrielle.
HENRI, la regardant.
Gabrielle !... Vive Dieu, on ne pouvait pas mieux choisir, et je me félicite.
Il veut l’embrasser.
VIROFLAY, l’arrêtant.
Un instant, vous n’êtes pas encore nommé.
HENRI.
Ah !
LE BAILLI.
Il a raison !... Nous voulons savoir si vous avez ce qu’il faut pour être Roi.
HENRI.
C’est juste !
LE BAILLI.
Si vous le permettez, je vais procéder à votre interrogatoire : car vous sentez bien qu’une place de Roi ne se jette pas à la tête du premier venu.
HENRI.
J’y consens !
Bas à Crillon.
Ventre saint-gris ! l’aventure est nouvelle.
CRILLON.
Si ces braves gens pouvaient se douter !
HENRI.
Ne me trahis pas !...
VIROFLAY, à Gabrielle.
Qu’est-ce que vous regardez donc comm’ ça ?
GABRIELLE.
Pardine, c’est le Roi !
VIROFLAY.
Il ne l’est pas encore, et il n’aura pas ma voix, toujours.
LE BAILLI.
D’abord, Monsieur, comment vous nomme-t-on ?
HENRI.
Ma foi, c’est un singulier hasard, je me nomme Henri.
LE BAILLI.
Henri ! comme notre Roi ! C’est un beau nom que vous portez là, Monsieur.
GABRIELLE.
C’est un titre de plus à notre choix.
LE BAILLI.
Êtes-vous d’une bonne famille ?
HENRI.
Mais oui !
LE BAILLI.
Et comment s’est passée votre jeunesse ?
HENRI.
Air : Vaudeville de la Robe et les Bottes.
Dès le berceau, vers la victoire
Mon cœur prenait un noble essor !
Et je parlais déjà de gloire
À l’âge où l’on bégaie encor !
Témoin de mon ardeur, mon père
Me disait souvent : Mon garçon,
Un jour tu régneras, j’espère !
LE BAILLI.
Vous voyez qu’il avait raison !
D’après ce que je vois, vous avez pris le métier des armes, c’est à merveille ; mais les ligueurs ne vous ont ils jamais vu dans leurs rangs ?
HENRI.
Je mentirais si je disais que non.
LE BAILLI.
Comment, Monsieur ?
HENRI.
Écoutez donc, je n’agis pas tout à fait comme vous avec eux.
Air : J’aime ce mot de gentillesse.
Votre colère les accable,
Toujours vous leur fermez vos cœurs ;
Moi, je suis un peu plus traitable.
Jamais je n’ai fui les ligueurs.
Vous allez me blâmer peut-être ;
Quelquefois, j’en dois convenir,
Dans leurs rangs ils m’ont vu paraître !
Mais ils n’ont pu m’y retenir.
LE BAILLI.
À la bonne heure ! Voyons, à présent, que feriez-vous si vous étiez Roi !
HENRI.
Air : Mon galoubet.
Si j’étais Roi, (bis.)
Convaincu que le rang suprême
Cause moins d’amour que d’effroi,
Afin d’être aimé pour moi-même,
Je cacherais mon diadème,
Si j’étais Roi ! (bis.)
Si j’étais Roi, (bis.)
Des flatteurs les chants mercenaires
Ne me séduiraient pas, je crois !
Mais je voudrais, au bruit des verres,
Être chanté dans les chaumières,
Si j’étais Roi ! (bis.)
TOUS LES VILLAGEOIS.
Bravo ! bravo !
LE BAILLI.
Je vais aller aux voix... Que ceux qui sont d’avis...
UNE GRANDE PARTIE DES VILLAGEOIS.
Oui, oui, nous l’acceptons.
GABRIELLE.
Je me doutais bien, moi, qu’il serait nommé.
VIROFLAY.
C’est contre mon avis.
LE BAILLI.
Monsieur, je vous annonce avec plaisir que vous êtes nommé à une grande majorité ; je vous engage à bien vous pénétrer de l’importance... de la dignité... que vous devez... qui doit être... parce que... voyez-vous... Cela s’entend !...
HENRI.
Oui, Monsieur le bailli. Mes amis, j’espère que vous ne vous repentirez pas du choix que vous venez de faire.
LE BAILLI.
Allons maintenant tout † pour la fête. Suivez moi, mes amis ; et vous, Viroflay, venez, j’ai besoin de vous.
VIROFLAY.
Je vous suis, Monsieur le Bailli.
À part.
Je vais avoir l’œil sur Gabrielle et cet étranger, car je ne suis pas tranquille.
HENRI, à Crillon.
Toi, Crillon, va au devant de Sully, et de mes troupes, et surtout prends garde qu’on ne me découvre ; tu ne peux concevoir combien je jouis de mon incognito.
CRILLON.
J’obéis.
LE BAILLI.
Marchons !
TOUS, en sortant.
C’est bien lui !
Quell’ bonn’ chance !
Le Roi, malgré son absence,
Grâce à cette ressemblance,
Est encore ici !
Scène VIII
HENRI, GABRIELLE
HENRI.
Arrêtez un instant, charmante Gabrielle, pourquoi vous éloigner si promptement de Henri.
GABRIELLE.
Me voilà, Sire.
HENRI.
Vous avez l’air timide ; est-ce que ma dignité vous imposerait...
GABRIELLE.
Ça ne devrait pas être, puisque vous n’êtes pas plus Roi que je ne suis grande dame, et pourtant...
HENRI.
Allons, rassurez-vous.
GABRIELLE.
Vous devez être bien content du choix qu’on a fait de vous ?
HENRI.
Oui, puisqu’il me procure les moyens de causer un moment avec une aussi jolie personne.
GABRIELLE.
Mais avouez que ça va vous embarrasser, de faire le Roi.
HENRI.
Peut-être pas tant que vous pensez.
GABRIELLE.
Quant à moi, je conviens que mon personnage m’inquiète un peu. Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour représenter une Dame d’Honneur.
HENRI.
Vous êtes jeune, jolie ; vous vous nommez Gabrielle, votre rôle est tout tracé : soyez près de Henri une autre Gabrielle d’Estrées.
GABRIELLE.
Comment donc faire, pour ça ?
HENRI.
Je vais vous l’apprendre.
Air : Le tien t’en a-t-il fait, ma chère.
Regardez-moi bien tendrement ;
Songez que je suis votre amant.
GABRIELLE.
Pour en prendre un, si j’ l’avions su,
Monsieur, j’vous aurions attendu.
HENRI.
Quoi, vous aimez déjà, ma belle !
Il faut oublier cet amant ;
Ici votre cœur innocent
Doit me rester toujours fidèle.
GABRIELLE.
Ah ! pour imiter Gabrielle,
Monsieur, c’est bien embarrassant.
HENRI.
Mais ce n’est pas encore tout ce qu’Henri exige de Gabrielle.
Même air.
Oubliant la gloire et la cour
Pour une faveur de l’amour,
Près d’elle il vient se reposer,
Et lui demande un doux baiser ;
Elle cède ; faites comme elle.
GABRIELLE.
De n’en donner qu’à mon amant,
Hier, encor, j’ons fait l’serment.
HENRI.
Il faut suivre votre modèle.
Il l’embrasse.
GABRIELLE.
Ah ! pour imiter Gabrielle,
Monsieur, c’est bien embarrassant.
Scène IX
HENRI, GABRIELLE, VIROFLAY
VIROFLAY.
Eh bien ! eh bien ! avais je tort d’être inquiet ? Quand j’vous dis qu’c’est un ligueur !
GABRIELLE.
Ne te fâche pas, c’est une leçon que le Roi me donnait pour bien remplir mon rôle.
VIROFLAY.
Oui dà ; vous m’avez l’air joliment docile.
HENRI, à part.
Je devine, voici l’amant.
Haut.
Jeune homme, ne la grondez pas, et croyez...
VIROFLAY.
Écoutez donc. Monsieur le Roi... Ceci n’est pas dans vos attributions...
GABRIELLE.
Fi ! Est-ce qu’on est jaloux d’un Roi ?...
VIROFLAY.
C’est ça ; laissez-le faire aujourd’hui, et demain...
HENRI.
Demain, vous rentrez dans vos droits !...
GABRIELLE.
Une journée est si vite passée.
VIROFLAY.
Oui, et un malheur est sitôt venu.
HENRI.
Rassurez-vous !
Air de Romagnési (Petite fille.)
Mon règne finira demain ;
Mais je ne vois pas sans alarmes
Votre règne bien plus certain,
Puisqu’il dure autant que vos charmes.
Ce pouvoir, dont ils sont l’appui,
Hélas ! c’est en vain qu’on le brave ;
Je suis votre maître aujourd’hui,
Demain je serai votre esclave.
VIROFLAY.
Au lieu d’écouter tout cela, vous feriez mieux, Mademoiselle, de vous rendre auprès de Monsieur le Bailli, qui a des instructions à vous donner, et à vous aussi, Monsieur le Roi.
HENRI.
À moi !
VIROFLAY.
Oui, à vous ; la première fois qu’on remplit une charge comme celle que vous avez, est-ce que vous croyez que ça va tout seul ? On voit bien que vous ne savez pas ce que c’est.
HENRI.
Il faut donc absolument entendre le Bailli. Ah ! il y a des désagréments dans l’État ! N’importe, j’y vais ; mais tranquillisez vous, j’espère qu’avant la fin du jour, vous ne m’en voudrez plus.
VIROFLAY.
J’voudrais ben que ce jour-là soit fini.
GABRIELLE.
Adieu, jaloux !
VIROFLAY.
Adieu, coquette !
Scène X
VIROFLAY, seul
C’est qu’Viroflay n’est pas une bête ! Il a beau dire, je ne suis pas rassuré, j’aimerais bien mieux que mon oncle fût ici, au moins il ne ferait pas la cour à Gabrielle ; mais comment faire ? Oh ! les femmes ! les femmes ! les femmes ! C’est bien dommage que nous ne puissions pas nous en passer.
On entend fredonner dans la coulisse.
Qu’est-ce que j’entends ? Eh ! v’là une voix qui ressemble à mon oncle ! Est-ce qu’il se serait échappé aujourd’hui ?
Scène XI
VIROFLAY, GERVAIS
GERVAIS.
Air : J’ons un curé patriote.
Pour la fête que l’on chôme,
Quand je rev’nons tout exprès,
Je retrouv’ ben mon royaume,
Mais je n’vois pas mes sujets.
Que l’ Bailli vienne, morgué !
Il faut que je sois harangué.
Allons, gai. (bis.)
À l’instant, il fau m’donner,
Et ma couronne, et mon dîner !
Où diable est donc mon sénéchal, mon officier tranchant ? J’gageons qu’ils sont au cabaret !
VIROFLAY.
Comment, c’est vous, mon oncle ?
GERVAIS.
Oui, c’est moi ; embrasse-moi, mon vieux.
VIROFLAY.
Nous n’espérions pas vous voir aujourd’hui... Comment êtes-vous parvenu à vous sauver ?
GERVAIS.
Plus facilement que je ne l’aurais cru. Je m’attendais qu’ils me mettraient en prison ; pas du tout, ils voulaient m’prendre par la douceur : alors, tu n’sais pas c’que j’ai fait ?
Air de Mariamne.
Ben loin d’avoir l’âme alarmée,
Voyant qu’ils m’traitaient sans rigueurs,
J’buvais, j’mangeais comme une armée,
Et je n’laissais rien aux ligueurs.
Tu sais qu’à table,
J’suis redoutable ;
Les cuisiniers
Étaient mes prisonniers.
J’ faisais merveille ;
À chaqu’ bouteille,
J’disais : Jarni,
Autant d’pris sur l’enn’mi !
Dévastant et cave et cuisine ;
Chez eux, j’ai tant bu, tant mangé,
Qu’s’ils n’m’avaient donné mon congé,
J’les prenais par famine !
Mais ne perdons pas de temps, courons trouver Monsieur le Bailli.
VIROFLAY.
Ah ! ben oui ! vous arrivez trop tard.
GERVAIS.
Qu’est-ce que tu dis donc là ?
VIROFLAY.
Votre place est prise !
GERVAIS.
Comment ! et par qui ?
VIROFRAY.
Par un étranger qui nous est tombé de je ne sais où, qui vous ressemble beaucoup, et qu’on a chargé de vos fonctions, en votre absence.
GERVAIS.
Têtebleu ! qu’est-ce que j’entends ? Ah ! nous allons voir beau jeu. Quel est cet accapareur-là ?
VIROFLAY.
C’est un homme que je n’aime guère. Je ne serais pas étonné même que ce fût un ligueur. Croiriez-vous que je l’ai surpris embrassant Gabrielle ?
GERVAIS.
Attends, attends, je vais lui parler, moi.
VIROFLAY.
Tenez, justement le voilà qui vient de ce côté.
GERVAIS.
Laisse-moi faire.
Scène XII
GERVAIS, VIROFLAY, HENRI
HENRI.
Ventre saint-gris ! rien n’est plus amusant que les instructions de ce brave Bailli.
GERVAIS.
Dites-moi donc, Monsieur ; un mot, s’il vous plaît ?
HENRI.
Volontiers.
À part.
Eh ! mais serait-ce là mon représentant ? Cette coiffure... ces traits...
Haut.
Que voulez-vous, mon brave ?
GERVAIS.
Je veux savoir, Monsieur, à quels titres vous venez ici vous emparer de ma place ?
HENRI.
À quel titre... Ah ! c’est donc vous qui ordinairement...
GERVAIS.
Oui, Monsieur, c’est moi qui depuis trois ans suis nommé roi du village pendant le jour de la fête, et je vous avoue que je trouve mauvais que vous veniez me déposséder de ma propriété.
HENRI.
Écoutez donc, j’ai peut être à cette place des droits aussi fondés que les vôtres.
GERVAIS.
Des droits ! vous !... Ah ! parbleu, je voudrais bien les connaître. Des droits ! Qu’est-ce que tu en dis, Viroflay ? Des droits !...
HENRI.
Et quand je n’aurais pour moi que le suffrage des braves gens qui m’ont choisi !
GERVAIS.
Oui, parce que je n’étais pas là.
HENRI.
Il est vrai que si j’avais eu un concurrent comme Monsieur Gervais...
GERVAIS.
Pas d’ironie, Monsieur : sachez que j’ai déjà exercé trois fois la place que vous m’enlevez, et à la satisfaction générale, j’ose m’en flatter.
HENRI.
Je tâcherai de marcher sur vos traces.
GERVAIS.
Je ne sais pas ce que vous êtes dans le monde ; mais si j’allais vous prendre votre place, qu’est-ce que vous diriez ?
HENRI.
Il y a des moments, je vous assure, où je vous la céderais avec plaisir.
GERVAIS.
Eh bien ! moi, Monsieur, je ne vous cède pas la mienne, et je vous préviens que j’allons réclamer.
HENRI.
À votre aise.
GERVAIS.
C’est que j’ai des partisans.
HENRI.
Moi, je n’en manque pas.
GERVAIS.
Votre nomination a fait des mécontents, j’en suis ben sûr.
HENRI.
Je ferai tout pour les ramener.
GERVAIS.
Vous n’y parviendrez pas.
HENRI.
Mon cœur me dit le contraire.
GERVAIS.
C’est ce que nous verrons.
Air du Major Palmer.
Quand j’l’entends, morgué, j’enrage !
Il vient m’parler de ses droits !
Pour régner dans ce village,
Je vaux mieux que vous cent fois !
S’il fallait êt’ militaire,
Je f’rais un fameux soldat !
HENRI.
Par malheur, j’ai fait la guerre,
Et j’ai vu plus d’un combat.
GERVAIS.
Au bon vin, toujours fidèle,
Ici c’est moi qui bois l’mieux,
Et jamais je ne chancelle !
HENRI.
Pour un Roi, c’est bien heureux !
GERVAIS.
J’sais comment on cont’ fleurette,
J’suis encore un vert galant !
HENRI.
Auprès de mainte fillette,
J’eus quelquefois ce talent.
Ensemble.
GERVAIS.
Pour aimer, boire et combattre,
Enfin, pour être un bon Roi,
Je ne connais qu’Henri quatre
Qui puiss’ valoir mieux que moi !
HENRI.
Pour aimer, boire et combattre,
Pour tâcher d’être un bon Roi,
Je vous jure qu’Henri quatre
Ne vaudrait pas mieux que moi !
HENRI, à part.
Sa colère me divertit.
GERVAIS.
Tenez, voici Monsieur le Bailli à la tête de tout le village ; laissez-moi faire.
Scène XIII
GERVAIS, VIROFLAY, HENRI, LE BAILLI, GABRIELLE, en parure de cour, VILLAGEOIS
CHŒUR.
Air : Vive Henri IV.
Vive Henri-Quatre,
Vive ce Roi vaillant
Ce diable à quatre
A le triple talent
De boire et de battre,
Et d’être un vert galant.
GERVAIS.
Un moment, un moment, Monsieur le bailli, me voilà revenu.
LE BAILLI.
C’est Gervais.
GERVAIS.
Oui, c’est Gervais qui... vient faire valoir ses droits.
LE BAILLI.
Ah diable ! voilà qui devient embarrassant.
VIROFLAY.
Mon oncle doit rentrer en possession.
GABRIELLE, à part.
Oh ! moi, j’aime bien mieux l’autre.
HENRI.
Mes amis, et vous, Monsieur le bailli, n’oubliez pas que j’ai mérité votre suffrage.
LE BAILLI.
C’est vrai !
GERVAIS.
Un homme qu’on ne connaît pas.
GABRIELLE.
Mais il gagne à se faire connaître.
LE BAILLI.
C’est encore vrai ! Qu’en pensez-vous, mes amis ?
GABRIELLE.
Air du comte Orry.
D’puis qu’il est dans ce village,
Il n’a fait qu’nous protéger.
J’ons un prince juste et sage ;
Il est temps d’n’en plus changer.
Aux pauvres sans cesse il donne,
Il acquitte les prisonniers.
De plus, il veut qu’on pardonne
Aux malheureux braconniers.
Il aime les bons drilles.
Il dote les jeunes filles.
TOUS.
Sur ma foi, (bis.)
C’est un très bon Roi.
Nous devons le garder, je crois ;
Tout l’monde ici chérit sa loi.
Oui, ma foi, (bis.)
C’est un très bon Roi.
LE BAILLI.
Allons, apaise-toi, mon pauvre Gervais ; tout le village s’est déclaré en faveur de ton concurrent.
GERVAIS.
C’est une indignité.
HENRI.
Enfants, je suis fier de votre choix. Qu’on se livre à la joie... Votre Roi se fait un plaisir de se mêler à vos jeux.
Il se place sur le trône.
Air : Pour obtenir celle qu’il aime. (du Calife de Bagdad.)
Sous les lambris dorés du Louvre,
Les chagrins assiègent un Roi ;
Sous un toit que le chaume couvre,
Le bonheur règne autour de moi !
On me fête, on me chante, on m’aime ;
Tous mes sujets pensent de même !...
Puisse Henri trouver dans sa cour
Ce que je trouve en ce séjour !
CHŒUR.
Chantons,
Rions,
Chantons,
Buvons.
Puisse Henri trouver dans sa cour
Ce que je trouve en ce séjour !
LE BAILLI.
Voilà le moment de ma harangue. Sire, dans ce jour...
HENRI.
Que faites-vous, bailli ? Une harangue ! allons donc ! voulez vous imiter les courtisans ?
Même air.
À genoux devant la puissance,
Toujours un flatteur l’applaudit ;
Il ne dit jamais ce qu’il pense,
Il ne pense pas ce qu’il dit.
Ici, chacun prend pour devise :
Amour, simplicité, franchise !
Puisse Henri, etc.
CHŒUR.
Puisse Henri, etc.
UN VILLAGEOIS.
Il a l’air bon enfant, ce Roi-là. C’est le cas de lui d’mander c’que Gervais m’a r’fusé l’an passé. J’vas lui présenter ma requête. Permettez-moi, sire...
HENRI.
Qu’est-ce que c’est que cela ? L’air suppliant ! une requête !... Venez, mon brave, parlez.
Même air.
Au Louvre, mille sentinelles
Environnent un souverain ;
Ici, de ses sujets fidèles
Un bon Roi peut serrer la main !
Sans avoir un placet en poche,
Que du Prince chacun s’approche !
Puisse Henri, etc.
CHŒUR.
Puisse Henri, etc.
GERVAIS.
Voyez donc quel choix on a fait !
VIROFLAY.
Comme il examine Gabrielle ! J’enrage.
GERVAIS.
Mais regardez donc !
GABRIELLE.
L’aimable Roi !
GERVAIS, au Bailli.
Ce n’est pas comme cela que je règne, moi.
LE BAILLI.
Écoutez donc, pour un homme qui n’en fait pas son état, ce n’est pas mal.
Scène XIV
GERVAIS, VIROFLAY, HENRI, LE BAILLI, GABRIELLE, UN VILLAGEOIS, VILLAGEOIS
LE DEUXIÈME VILLAGEOIS.
Monsieur le bailli, Monsieur le bailli, on vient d’arrêter un ligueux qui disait du mal de notre bon roi Henri...
LE BAILLI.
Ah ! ah !
HENRI, se levant avec vivacité.
Je lui fais grâce, j’ordonne qu’il soit mis en liberté...
LE BAILLI et LES AUTRES.
En liberté !...
GERVAIS.
Vous l’entendez, Monsieur le bailli. C’est sans doute un de ses complices.
VIROFLAY.
Oui, oui, il n’y a pas de doute.
HENRI.
Moi, un ligueur !
GERVAIS.
Oui, vous ; vous ne protégeriez pas les ligueurs, si vous n’étiez pas de leur parti.
HENRI, gaiement.
Mais enfin, je suis roi, ou je ne le suis pas ; si je le suis, on doit m obéir.
LE BAILLI.
Jusqu’à présent nous l’avons fait avec plaisir, parce que vous ne nous avez rien demandé qui ne fût... mais, quoique vous en disiez, l’on doit sévir contre les ennemis.
HENRI.
Sévir, mon Monsieur le bailli.
Air : Vaudeville de Turenne.
Faut-il qu’un châtiment sévère
Punisse l’erreur d’un moment ?
Au coupable montrant un père,
Dissipons son aveuglement.
Loin de vouloir qu’il me redoute,
Je dois, s’il s’égare en chemin,
Doucement lui tendre la main
Pour le remettre dans sa route.
GERVAIS.
Il cherche à vous faire prendre le change, mais je gage, moi, que c’est un espion du duc de Mayenne.
LE BAILLI.
Permettez donc ! ne serait-ce pas Monsieur de Mayenne lui-même ?
Il s’approche.
En y regardant de plus près, et en rapprochant diverses circonstances, notamment la manière ambiguë dont il s’est présenté... ces officiers qui étaient avec lui, qui lui témoignaient du respect... oui, c’est cela !... Monsieur le duc, croyez que je suis enchanté d’avoir l’honneur de vous arrêter vous-même.
HENRI.
Comment, m’arrêter ! Je me suis point le duc de Mayenne.
LE BAILLI.
Monseigneur, il n’est plus temps de feindre ; je vous avoue que ça ne prendrait pas. Si vous daignez vous rendre à la prison en personne, vous m’obligerez beaucoup.
HENRI.
Vive Dieu !... Bailli, je vous jure…
LE BAILLI.
Vous voyez que je m’y prends fort honnêtement... Je ne veux point abuse ! de votre malheur...
Aux Villageois.
J’espère que le Roi me récompensera, car je puis me regarder comme le Sauveur de la France... Cette capture m’a donné du mal, mais je savais bien que je réussirais !
HENRI, à part.
Ventre saint-gris ! Il est plaisant que je sois la victime de leur amour pour moi
GERVAIS et QUELQUES PAYSANS.
Allons, allons, qu’on l’emmène.
LE BAILLI
Hommes d’armes ! saisissez Monsieur le duc, et qu’on le traîne en prison avec tous les égards qui lui sont dus.
GABRIELLE et QUELQUES FEMMES.
Cependant, Monsieur le Bailli...
CHŒUR.
Air : Au collet ! au collet !
En prison ! (bis.)
Vous voyez qu’il vous abuse.
Pius d’raison ! (bis.)
Il prend un’ mauvaise excuse !
À tout avouer il s’refuse,
N’soyez pas dupe d’sa ruse
Ici tout l’monde l’accuse,
Il faut qu’il couche en prison !
En prison !
Scène XV
GERVAIS, VIROFLAY, HENRI, LE BAILLI, GABRIELLE, CRILLON, VILLAGEOIS, OFFICIERS
CRILLON.
Place ! place !... Où est le Roi !... Ah ! Sire, grande nouvelle !
LE BAILLI.
Mon officier, vous êtes dans l’erreur ; il est déchu...
HENRI.
Silence !
CRILLON.
Sire ! les ligueurs sont vaincus de toutes parts ; ils rentrent enfin dans l’obéissance qu’ils vous doivent, et le duc de Mayenne dépose ses armes aux pieds de Henri IV.
TOUS.
Henri IV !!!
HENRI.
Ah ! mon cher Crillon, que cette nouvelle a de charmes pour moi... Que dès cet instant, toutes les hostilités cessent ; il n’y a plus de rebelles en France !
TOUS.
Vive Henri !
LE BAILLI.
Ah ! grands Dieux !... Mon Prince, me pardonnerez-vous...
HENRI.
Quoi donc ? De vous être montré trop attaché à ma cause ? Je n’ai pas de rancune.
VIROFLAY et GERVAIS.
Sire, daignez... ayez la bonté...
GERVAIS.
Et moi, qui voulais vous détrôner !...
HENRI.
Vous étiez souverain avant moi ; touchez là mon cousin.
GERVAIS.
Ah ! quel honneur !... Alors, cousin, permettez-moi de vous offrir mon royaume.
GABRIELLE.
Oh ! que je suis heureuse ! j’ai été courtisée, embrassée par le Roi.
HENRI.
Je me charge de la dot de Gabrielle, et je lui demande de m’être aussi fidèle qu’à son amant.
GABRIELLE.
Oh ! Sire... encore plus !
VIROFLAY.
Eh ben ! tenez, parole d’honneur, je n’en serai pas jaloux.
Vaudeville final.
GERVAIS.
Air : De la Treille de sincérité.
Dans cette vie,
Où tout varie,
Souvent on ne brille qu’un jour ;
Mes amis, chacun a son tour !
CHŒUR.
Dans cette vie, etc.
VIROFLAY.
Puisqu’aujourd’hui l’hymen m’appelle,
J’cours me ranger sous son drapeau ;
J’tire au sort, il m’donne Gabrielle,
Et j’crois que c’est un bon numéro ! (bis.)
Quand il faudra fair’ l’exercice,
Je répondrai toujours : Présent !
Car je n’veux pas qu’pour mon service,
On prenn’ jamais un remplaçant !
CHŒUR.
Dans cette vie, etc.
LE BAILLI.
L’autre jour, on donne à Perrette :
Un talisman d’un’ grand’ vertu ;
Ell’ le perdit sous la coudrette,
Et son mariage fut rompu ! (bis.)
Ô vous, qui d’un objet si rare
Êtes nantie en cet instant,
Gardez-le bien !... Quand on l’égare,
On cherche en vain son remplaçant !
CHŒUR.
Dans cette vie, etc.
HENRI.
De mon peuple, après tant d’alarmes,
Sous le poids des maux terrassé,
Si je ne puis sécher les larmes,
Je désire être remplacé ! (bis.)
Mais pour protéger l’industrie,
Pour voir les Français s’embrassant,
Pour rendre heureuse ma patrie,
Je ne veux point de remplaçant !
CHŒUR.
Dans cette vie, etc.
GABRIELLE, au Public.
Vous jugez faible cet ouvrage,
Notre auteur en était certain ;
Vous l’trouverez bien mieux, je gage,
Si vous voulez rev’nir demain ! (bis.)
Pourtant, Messieurs, si quelqu’affaire
Vous forçait d’être tous absents,
Pour garnir les log’s, l’parterre,
Envoyez-nous des remplaçants.
CHŒUR.
Dans cette vie,
Où tout varie,
Souvent on ne brille qu’un jour ;
Mes amis, chacun a son tour !