Les Talents à la mode (Louis DE BOISSY)
Comédie en 3 actes et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 17 Septembre 1739.
Personnages
GÉRONTE, partisan de la vieille Musique
ISABELLE, Fille de Géronte
LUCINDE, Fille de Géronte
MÉLANIE, Fille de Géronte
LÉANDRE qui aime, et réunit tous les Talents
L’ÉPINE, Valet de Léandre
LISETTE
La scène est dans la Maison de Géronte.
ACTE I
Scène première
ISABELLE, LUCINDE
LUCINDE.
J’attends de vous, ma Sœur, un grand service.
Vous possédez le don charmant
De faire des vers aisément.
J’ai recours à votre art propice.
ISABELLE.
C’est-à-dire qu’en ce moment,
Livrée à la fureur du Chant,
Vous me demandez des paroles
Pour les mettre en Musique.
LUCINDE.
Oui, servez mon talent.
ISABELLE.
Les voulez-vous sérieuses ou folles ?
Expliquez-moi votre goût nettement.
LUCINDE.
Je ne les veux ni tristes ni bouffonnes.
ISABELLE.
Tendres ?
LUCINDE.
Non, non, galantes sans fadeur ;
Et qui plus est, je les veux bonnes.
ISABELLE.
Mais je n’en fais jamais d’autres, ma sœur,
Personne ne me le conteste.
LUCINDE.
Votre discours est tout-à-fait modeste.
ISABELLE.
Songez vous-même à faire de bons Airs.
LUCINDE.
Ils ne gâteront pas vos vers.
ISABELLE.
En bonne opinion on voit que chaque Art brille.
Est-ce un Air simplement que vous me demandez ?
LUCINDE.
Non, en forme de Cantatille
Faites un dialogue.
ISABELLE.
Entre qui ? Répondez.
LUCINDE.
Mais entre Daphnis et Silvie.
ISABELLE.
Quel sera le sujet d’un pareil entretien ?
LUCINDE.
Mais un dont j’ai la tête encore toute remplie ;
Et qui doit exercer votre Art comme le mien.
Ce sont les jeux, dont la magnificence
Vient d’étonner et d’amuser la France.
ISABELLE.
Oui, le feu surprenant qui vient d’être tiré,
Est digne d’être célébré.
J’approuve votre idée, elle sera remplie.
Je sens que cette image échauffe mon génie.
LUCINDE.
Que par le chant tous vos vers soient coupés,
Et soient féconds en ariettes.
ISABELLE.
Et que vos Airs moins escarpés,
Soient de nos sentiments les images parfaites ;
Qu’ils soient agréables, touchants.
Scène II
ISABELLE, LUCINDE, MÉLANIE
MÉLANIE.
Et qu’ils soient sur tout bien dansants.
Point de récitatif, il assomme, il ennuie.
Le plus beau ne vaut pas un simple rigaudon.
Vive les Airs de violon !
Tout Paris, comme moi, les aime à la folie.
ISABELLE.
Comme la Danse est ses amours,
Elle voudrait que l’on dansât toujours.
MÉLANIE.
Oui, le Chant langoureux me fait mal à la tête.
Je voudrais qu’on ôtât les scènes tout-à-fait.
Il suffirait d’un seul couplet
Pour bien amener chaque Fête,
Et faire briller le Ballet.
ISABELLE.
Ma petite sœur Mélanie,
Vous moquez-vous ? Sur ce pied-là
L’on ferait donc des Opéra,
Sans conduite, sans art, sans esprit, sans génie ?
MÉLANIE.
Ma grande sœur, quelle manie !
On les fait tels malgré cela.
LUCINDE.
Que deviendra donc l’Harmonie ?
MÉLANIE.
Je vous permets, à la rigueur,
Trois Ariettes, un grand Chœur,
Avec deux Airs de symphonie.
LUCINDE.
Ah ! grand merci de la faveur.
MÉLANIE.
Vous mettrez tout le reste en Danses expressives,
En pas nouveaux, et des plus fins,
En musettes, tendres, naïves,
En sourdines, en tambourins,
En contredanses des plus vives,
Et le succès fera des plus certains.
ISABELLE.
Pour régie sûre, et pour parfait modèle,
Chacun toujours donne son goût.
Qui veut bien réussir, y met un peu de tout.
LUCINDE.
C’est ce que je ferai. J’ai là dans ma cervelle,
Le plan d’un ballet fort joli.
Il sera dans un goût de Musique nouvelle.
Scène III
ISABELLE, LUCINDE, GÉRONTE, MÉLANIE
GÉRONTE.
Moi, je prétends qu’il soit dans le goût de Lully,
Entendez-vous, Mademoiselle ?
LUCINDE.
Mon père, j’ai pour vous un respect infini ;
Mais le vieux goût me désespère ;
Et tout l’effort que je puis faire,
Est de donner pour vous un morceau dans l’uni.
GÉRONTE.
Qu’est-ce à dire, un morceau ? Je veux être obéi.
J’entends que vous suiviez le ton de la nature.
La musique du temps me met à la torture,
Jusqu’à me rendre convulsif.
Je vous défends un chant dont la raison murmure,
Qui ne dit rien au cœur, ou qui le défigure.
Je veux du bon, du vieux récitatif,
Qui, par sa mélodie égale, mais touchante,
Lentement m’attendrisse, et par degré m’enchante.
LUCINDE.
C’est une psalmodie, un vrai soporatif !
MÉLANIE.
Lorsque j’entends chanter sur un ton si plaintif,
Pour moi, je crois danser une courante.
GÉRONTE.
Osez-vous bien tenir, petite impertinente,
Un discours si peu circonspect ?
Parlez, avec plus de respect,
D’une Danse auguste et décente
Que votre grand’mère dansait
D’une façon qui ravissait.
Imitez-la plutôt.
MÉLANIE.
Moi ? Je serais la seule ;
Et tout Paris de moi rirait certainement,
Si je dansais ainsi que mon aïeule.
GÉRONTE.
Mais tout Paris aurait grand tort vraiment :
Du vieux temps il a beau médire,
On dansait autrefois, et l’on saute à présent.
MÉLANIE.
Vous me permettrez de vous dire
Qu’à peine savait-on jadis former ses pas.
On marchait, on courait ; mais on ne dansait pas.
Ce n’est que de nos jours qu’on a cette science ;
Et qu’un prodige au milieu de la France
A porté ce talent à son point le plus haut.
C’est le vrai siècle de la danse.
GÉRONTE.
C’est celui de l’extravagance.
Cette perfection devient même un défaut.
Des femmes, sans garder la moindre bienséance,
Avec des hommes font assaut
D’entrechat et de bond, de gambade et de saut.
Ô siècle ! Ô temps ! Ô mœurs ! Quelle indécence !
MÉLANIE.
C’est où de ce grand art consiste l’excellence.
GÉRONTE.
Gardez-vous bien d’en imiter le fin,
Je vous en fais une expresse défense.
MÉLANIE.
Mon père, quel ordre inhumain !
GÉRONTE.
Aux nouveaux pas je déclare la guerre.
Le beau sexe est formé pour danser terre à terre.
MÉLANIE.
À sauter à vingt ans, on a le cœur enclin.
GÉRONTE.
Dansez le menuet, mais point de tambourin.
MÉLANIE.
Mais, mon père, sachez...
GÉRONTE.
Mais apprenez, ma fille,
Qu’on n’a jamais fauté dans ma famille.
ISABELLE.
On peut élégamment et décemment sauter ;
D’ailleurs, Monsieur, à ne point vous flatter,
On n’aime plus la danse unie.
La danse haute est la danse du jour.
Elle gagne à la ville, elle prend à la cour.
GÉRONTE.
Elle gagne, elle prend. Danse du jour ; j’enrage.
Tout devient neuf pour moi, jusqu’au langage.
De tant de changements, je demeure surpris
Je ne connais plus rien à la langue, à l’usage,
Aux mœurs, au goût, au ton de mon pays.
J’y redeviens écolier à mon âge,
Et je serai bientôt étranger dans Paris.
ISABELLE.
À mon tour, je suis étonnée.
Mon père, vous aimez l’esprit ;
Votre âme cependant semble être consternée,
Quand notre langue s’enrichit.
GÉRONTE.
Cette richesse l’appauvrit.
Le jargon usurpe sa place.
Je vois, pour comble de disgrâce,
Je vois mon sang, que l’exemple séduit,
Suivre du mauvais goût la dangereuse trace.
Non, non, il ne sera pas dit
Que chacune de vous, dans le bel Art qu’elle aime,
Se laissant entraîner aux torrents des abus,
Donne dans les appas que la nouveauté sème,
Ni que vos dons naissants soient ternis ou perdus.
De quelque injuste nom qu’un sot orgueil les nomme,
J’estime et chéris les talents,
Et quoique je fois Gentilhomme,
J’aime à les voir briller dans mes enfants.
Mais, dans leur pureté, je veux qu’ils les conservent,
Tels qu’ils étaient du temps de nos aïeux.
Les talents mal conduits nuisent plus qu’ils ne servent.
C’est pourquoi j’ai tourné les yeux
Vers trois époux, dignes sur tous les autres,
Par leurs clartés pour diriger les vôtres,
Et d’entretenir sains toujours dans ma maison,
L’Esprit, la Danse et la Musique,
Au fort de la contagion,
Qui s’étend malgré la critique.
ISABELLE.
Mon père, de ses droits mon esprit est jaloux,
Et de briller, sans aide, a la délicatesse.
LUCINDE.
Oh ! Des frais d’un mari, pour moi, dispensez-vous.
L’hymen gâte la voix, et tout maître me blesse.
GÉRONTE.
Mes filles, les talents ont des charmes plus doux,
Quand ils sont cultivés par la main d’un époux.
MÉLANIE.
Ces Messieurs, la plupart, ont tant de maladresse !
GÉRONTE.
Quand vous les connaîtrez vous changerez de ton.
J’ai, pris soin à vos goûts d’assortir leur personne.
J’ai dans ces divers choix, consulté la raison ;
Et chacune aimera l’époux que je lui donne.
Isabelle, pour vous, j’ai fait choix d’un trésor,
D’un Auteur d’un mérite rare,
Qui semble fait exprès pour modérer l’essor
De votre esprit trop jeune, et que la mode égare.
Du langage moderne il est ennemi né ;
Et par cette raison je vous l’ai destiné.
Son goût vous guérira, quand vous serez sa femme,
De la fureur de l’épigramme ;
Proscrira le jargon maudit,
Et vous montrera l’art d’écrire sans esprit.
ISABELLE.
Pour apprendre cet art, il ne faut point de maître,
Malgré soi l’on y réussit,
Sans compter que Paris tous les ans nous fournit
Des modèles nouveaux qui ne pensent pas l’être.
GÉRONTE, à Lucinde.
J’ai pour vous un mari dont vous me saurez gré.
C’est un homme de poids, amateur éclairé
De la Musique de nos pères.
Il vous ramènera par ses conseils sincères.
Au sein de la nature et du goût épuré.
LUCINDE.
Un partisan de la vieille Musique,
Monsieur, n’aura jamais ma foi.
Son goût avec le mien est trop antipathique.
GÉRONTE.
Tu t’en trouveras bien, va, Lucinde, crois-moi ?
À Mélanie.
Je vous destine, à vous, un militaire,
Et qui possède vos talents.
C’est l’homme, sans que j’exagère,
Qui dansait le mieux de mon temps.
MÉLANIE.
Ah ! C’est une raison, mon père,
Pour qu’il danse mal aujourd’hui.
GÉRONTE.
Il était du Ballet du Roi, chose assurée,
En six cent quatre vingt, il dansait une entrée.
Personne, il m’en souvient, n’y brilla plus que lui.
Il serait encor très ingambe,
S’il n’avait pas perdu par malheur une jambe
À la prise de Lérida.
MÉLANIE.
Je serais bien pourvue avec ce mari-là,
Moi, qui faute toujours ! C’est une raillerie.
GÉRONTE.
C’est pour calmer l’excès de cette frénésie.
Comme à fond de la danse, il sait la théorie,
Il vous fera danser comme Balon, Pécour.
MÉLANIE.
La danse de la vieille Cour.
Peut-on savoir son nom ?
GÉRONTE.
Ma fille, c’est Nicandre.
MÉLANIE.
Mon père, il est bien laid.
GÉRONTE.
Le mérite est son lot.
LUCINDE.
Comment appelez-vous le mien ?
GÉRONTE.
Mais, Périandre.
LUCINDE.
Mon père, il est bien vieux.
ISABELLE.
Votre troisième gendre ?
GÉRONTE.
Damis.
ISABELLE.
Mon père, il est bien sot.
GÉRONTE.
Oh ! Que de discours inutiles !
Il est bien sot ! Il est bien vieux !
Il est bien laid ! Vous êtes difficiles
Reposez-vous sur moi, je fais tout pour le mieux ;
Et je ne veux point de réplique.
Je vous laisse, et je vais au Café de ce pas,
Défendre le parti de la bonne musique,
Contre les novateurs, gens amis du fracas,
Qui, l’attaquant par ignorance,
Veulent définir son essence,
Et qui ne la connaissent pas.
Il sort.
Scène IV
LUCINDE, ISABELLE, MÉLANIE
ISABELLE.
Mes sens sont révoltés contre ce mariage.
LUCINDE.
Mon père se moque de nous
De vouloir nous forcer à prendre pour époux
Trois hommes qui sont de son âge,
Et qu’il nous donne encor pour combattre nos goûts !
MÉLANIE.
Ah ! fussent-ils jeunes, aimables,
Dès qu’à nos sentiments leur cœur s’opposerait.
Ce trait seul les enlaidirait,
Et les rendrait désagréables.
Scène V
LUCINDE, MÉLANIE, ISABELLE, L’ÉPINE
L’ÉPINE, à part.
Sans doute, voilà les trois sœurs.
Je ne les connais pas. Je ne sais comment rendre
Ces trois billets. Je crains de me méprendre.
Il lit le dessus d’un des billets.
À Mélanie.
ISABELLE.
Il faut le rapport des humeurs.
L’ÉPINE, à part.
Celle qui parle, est, je crois, Mélanie.
LUCINDE.
Pour le coup, j’ai perdu l’envie
De chanter ut, sol, ré, mi, fa.
L’ÉPINE, regardant Lucinde.
Plus je regarde celle-là,
Et plus il me paraît qu’elle a l’air d’Isabelle.
LUCINDE, à part.
Ce valet inconnu viendrait-il de la part
Du jeune homme qui m’a trouvé la voix si belle ?
L’ÉPINE, bas à Lucinde, la tirant à l’écart.
Pardon, rien qu’un mot à l’écart.
N’est-ce pas vous, Mademoiselle,
Qu’on appelle Isabelle ?
LUCINDE.
Non.
Je me nomme Lucinde.
L’ÉPINE.
Un moment, pour raison.
Il se détourne, et lit le dessus d’un autre billet.
À Lucinde. Prenez cette lettre en secret.
MÉLANIE.
De danser maintenant, je n’ai plus le courage.
ISABELLE.
Ni moi de rimer un couplet.
L’ÉPINE, à Mélanie, à part.
Mademoiselle est, je le gage,
La charmante Isabelle ; oui, c’est vous en effet.
MÉLANIE.
Non, je suis Mélanie.
L’ÉPINE, à part.
Ah ! ventrebleu, j’enrage.
Bas à Mélanie.
Daignez recevoir ce billet.
Dans le temps qu’il donne par devant une lettre à Mélanie, il en présente une autre, par derrière, à Isabelle, qui la reçoit.
Je respire à la fin.
À part.
Chacune a son poulet.
MÉLANIE, bas.
Voyons ce qu’il m’écrit.
LUCINDE.
Sachons ce qu’il me mande.
ISABELLE.
Instruisons-nous à part de ce qu’il me demande.
Chacune s’éloigne pour lire à l’écart, et n’être point aperçue des autres.
ISABELLE lit.
Ce matin, à onze heures précises, j’irai versifier avec vous. LÉANDRE.
Après avoir lu.
Ne nous éloignons point, l’heure approche déjà.
Elle sort.
Scène VI
LUCINDE, MÉLANIE, L’ÉPINE
LUCINDE lit.
Attendez-moi sur les trois heures, je me rendrai chez, vous, pour chanter ensemble un Duo.
LÉANDRE.
À part.
Le temps va me durer jusqu’à ce moment-là.
Scène VII
MÉLANIE, L’ÉPINE
MÉLANIE lit.
À cinq heures sans faute, comptez, sur moi. J’irai vous donner une leçon d’entrechats.
LÉANDRE.
Après avoir lu.
Ce mot réveille en moi la Fureur de la danse ;
Et je m’en vais l’attendre avec impatience.
Scène VIII
L’ÉPINE
N autre eût échoué dans un pareil emploi.
Ah ! quand on a de l’esprit comme moi,
On se tire toujours d’affaire.
Dans ses projets mon maître est heureux, sur ma foi,
D’avoir fait choix d’un si bon émissaire.
Il a besoin... mais je le vois.
Scène IX
LÉANDRE, L’ÉPINE
LÉANDRE.
Parle, à chacune as-tu remis ma lettre ?
L’ÉPINE.
Oui, par l’effet d’un fortuné hasard,
Ou bien plutôt par un coup de mon art,
Comme vous souhaitiez, je viens de tout remettre.
LÉANDRE.
N’as-tu point fait de qui pro quo ?
Ne me déguise rien ; je tremble.
L’ÉPINE.
Non, quoiqu’elles fussent ensemble,
Chaque sœur a reçu la sienne incognito.
Mais daignez, s’il vous plaît, m’éclaircir sur un doute :
Prétendez-vous, Monsieur, les aimer en trio ?
LÉANDRE.
Je ne sais.
L’ÉPINE.
Comment ?
LÉANDRE.
Écoute.
Je viens les voir ici pour la première fois.
Je veux les mieux connaître avant de faire un choix ;
Me fixer est d’ailleurs un pas que je redoute.
Mon cœur est indécis, et mon esprit les goûte
Également toutes les trois.
Une certaine sympathie,
Que font naître chez moi leurs charmes différents,
Entr’elles tient mon âme, et mes désirs errants.
Je veux, et j’ai de quoi soutenir la partie.
Comme je réunis en moi tous leurs talents,
Je sais les amuser toutes en même temps.
Je me retourne et me replie,
Et selon leur goût je les sers,
Isabelle l’aînée, aime la Poésie,
Avec elle je fais des vers.
Avec Lucinde je solfie ;
Et je bas l’entrechat auprès de Mélanie.
L’ÉPINE.
Vous êtes un Acteur parfait,
Et ce commerce est plaisant tout-à-fait.
L’une, par son charmant génie,
Enchante votre esprit coquet ;
L’autre, tient par ses sons votre oreille ravie ;
Et la troisième enfin par sa jambe jolie,
Et les pas brillants qu’elle fait,
Charme votre œil qui s’extasie.
Ah ! C’est dommage, il faudrait entre nous ;
Que vous pussiez des trois être l’heureux époux.
Pour bien faire, Monsieur, menons-les en Turquie.
LÉANDRE.
Mon embarras, dans des plaisirs si doux,
Est de bien ménager mes divers rendez-vous :
Comme de ces trois sœurs j’ai fait la connaissance,
Séparément, en différents endroits,
Et ne leur ai parlé seulement que deux fois,
L’Épine, je veux laisser dans l’ignorance,
Et voir en particulier.
L’ÉPINE.
Votre esprit a besoin d’un art bien singulier.
Par ma peur je conçois la vôtre.
L’une, pourra fort bien vous surprendre au moment
Que vous parlerez avec l’autre.
Un père, elles en ont un vraisemblablement,
Peut encor vous troubler plus incivilement.
LÉANDRE.
Je me suis embarqué, je dois braver l’orage.
Isabelle paraît, elle rêve.
L’ÉPINE.
Courage.
Devant l’ennemi point d’effroi,
Et courez vite à l’abordage.
LÉANDRE.
Laisse-nous seuls, retire-toi.
L’ÉPINE.
Au revoir, Monsieur, bon voyage.
Scène X
LÉANDRE, ISABELLE
LÉANDRE, à part.
Elle regarde sans me voir,
Dans sa profonde rêverie.
ISABELLE déclame.
Est-ce l’effet de la magie ?
Ou de l’art des mortels est-ce l’heureux pouvoir ?
LÉANDRE.
Bon, la voilà qui versifie.
Jouissons un moment du spectacle enchanteur
De voir un si charmant rimeur,
Dans les accès de sa douce manie.
ISABELLE.
Il me faut une rime en ie.
Pour le coup je la tiens. Non, je suis dans l’erreur ;
Et je la vois qui fuit cette rime ennemie.
Mais la plume pourra servir mieux mon ardeur.
Commençons toujours par écrire
Les Vers que m’a dictés la première chaleur.
Elle écrit dans un fauteuil.
LÉANDRE, à part.
Qu’elle a de grâce en son délire !
Le sexe embellit tout jusqu’aux transports d’Auteur.
ISABELLE.
J’ai beau me tourmenter, je ne puis rien produire.
Cela me met au désespoir.
Elle lit les vers qu’elle a faits.
Est-ce l’effet de la magie ?
Ou de l’art des mortels est-ce l’heureux pouvoir ?
Des clartés de la nuit la vue est éblouie...
Des clartés de la nuit la vite est éblouie,
En s’interrompant.
Ma sécheresse excite mon courroux.
Marchons pour réchauffer ma veine refroidie.
Elle s’éloigne.
LÉANDRE.
De ce moment saisissons-nous
Pour marier mes vers avec sa Poésie.
Il écrit sur le même papier qu’Isabelle a laissé sur la table.
Je l’entends qui revient, mettons-nous à l’écart.
Il se cache en un coin.
ISABELLE, revenant sur ses pas.
Un démon envieux vient de tarir ma veine,
Que je demeure assise, ou que je promène,
De mon cerveau maudit rien ne fort, rien ne part.
Sur ce papier, il faut que je me venge.
Que vois-je ! Juste Ciel ! par quel prodige étrange,
À la suite des miens, ces vers font-ils écrits ?
Mon cœur en est ému, mes yeux en sont surpris.
Elle lit.
Et des globes des Cieux, je vois l’onde embellie.
Un spectacle plus beau jamais ne se fit voir.
Dieux ! qu’il est doux pour moi !
J’y suis près de Sivie.
Après avoir lu.
Ce que je lis ne peut se concevoir !
Ma surprise redouble, et je suis bien servie.
On ne peut mieux me seconder.
Est-ce un esprit, est-ce un génie,
Qui, sensible à ma peine, et qui prompt à m’aider,
M’a fait cette galanterie ?
Léandre que j’attends est le seul aujourd’hui,
Que d’un pareil trait je soupçonne.
Mais je ne vois, ni je n’entends personne.
Il paraîtrait si c’était lui.
Je suis seule en ces lieux, et voilà qui m’étonne !
Qui que tu puisses être, homme, esprit, ou démon,
Je sens qu’en ce moment tu me sers d’Apollon.
Oui, tu m’inspires, tu m’animes.
Écrivons, écrivons, je tiens déjà trois rimes.
Elle écrit, et récite tout haut.
Fixez, vos yeux sur ce Palais charmant,
Et regardez, Daphnis, cette étincelle,
Vous l’allez voir dans un moment...
Y répandre l’éclat d’un vaste embrasement.
LÉANDRE, derrière le fauteuil d’Isabelle.
Ainsi le regard d’une belle
Met tout en feu dans le cœur d’un amant ;
Des jeux d’Amour c’est l’image fidèle.
ISABELLE.
Dieu ! quel surcroît d’étonnement !
Mais, que vois-je ? C’est vous, Léandre ?
LÉANDRE.
Pardon, j’ai voulu vous surprendre.
ISABELLE.
Le tour est trop galant pour ne pas l’excuser.
Vous êtes donc l’Apollon qui m’inspire,
Et qui vient me favoriser ?
LÉANDRE.
Vous êtes, vous, la Muse qui m’attire ;
D’exciter mes transports, vous avez la vertu.
Signalons tous les deux le feu qui nous anime,
Et prenons un chemin qui ne soit point battu.
ISABELLE.
Conversons-en vers impromptu ;
Et dans cet entretien n’employons qu’une rime.
LÉANDRE.
Soit. Il me sera doux d’être par vous vaincu.
Quelle rime choisir ?
ISABELLE.
Faites ce choix vous-même.
LÉANDRE.
Mais sans chercher plus loin, prenons la rime en ême.
ISABELLE.
Elle est pour les rimeurs d’une ressource extrême.
LÉANDRE.
D’elle j’attends mon bien suprême.
ISABELLE.
Pour surprendre mon cœur, elle est un stratagème.
LÉANDRE.
La chanter de concert est le plus doux système.
ISABELLE.
Je sens qu’elle m’arrête, et devient un emblème.
LÉANDRE.
Par elle, vous pouvez, résoudre le problème.
ISABELLE.
Le serpent est caché sous les fleurs qu’Amour sème.
Je suis...
LÉANDRE.
Je vous suivrai, fussiez-vous en Bohème.
J’arracherai l’aveu...
ISABELLE.
Grâce, au nom de Barème.
LÉANDRE.
Non, je cours après vous à pas de Polyphème.
Rimez.
ISABELLE.
Pour vous répondre, il faut que je blasphème.
LÉANDRE.
Un mot, de mes tourments peut être l’aposème.
Prononcez.
ISABELLE.
Je ne suis, je rougis, deviens blême,
Comme un jeune écolier qui ri a pas fait son thème.
LÉANDRE.
Hé quoi ? me ferez-vous languir jusqu’au Carême ?
ISABELLE.
Dieux ! Pour me secourir je ne vois que Thélème.
LÉANDRE.
Pour vous réduire à sec, je saisis Harpagème.
ISABELLE.
Ah ! La rime me force à dire, je vous aime.
LÉANDRE.
Ô rime désirée, et qui fait mon bonheur !
ISABELLE.
Modérez ce transport flatteur.
Dans un tel badinage ou votre art me surmonte,
Ce n’est que de l’esprit que vous êtes vainqueur.
LÉANDRE.
Non, je compte sur votre cœur.
ISABELLE.
À le donner je ne suis pas si prompte...
Mais, j’entends mon père qui monte.
Le cruel contretemps ! J’en ai le cœur saisi.
Ô Ciel ! que va-t-il dire en vous voyant ici.
LÉANDRE.
Mais ne pouvez-vous pas me soustraire à sa vue,
Et me cacher dans quelque coin ?
ISABELLE.
Non, je voudrais en vain prendre ce soin.
Il entre. Le voilà. Je demeure éperdue.
Scène XI
LÉANDRE, ISABELLE, GÉRONTE
GÉRONTE, s’emportant seul.
Oh ! Je le soutiens hautement.
Ce Chœur est volé de Roland.
Je suis sûr de gagner la gageure à bon compte.
LÉANDRE, à part.
Ô Ciel ! que vois-je ? c’est Géronte.
Oui, je le reconnais. Oh, bonheur sans égal !
GÉRONTE.
De m’y connaître je me pique.
LÉANDRE, à part.
Nous sommes grand amis, et j’ai parlé musique
Trente fois avec lui dans le Palais Royal.
GÉRONTE.
Un jeune homme est chez moi seul avec Isabelle :
À qui parlez-vous là, dites, Mademoiselle ?
LÉANDRE.
C’est à votre humble Serviteur.
GÉRONTE.
Quoi ! Léandre, c’est vous ! Par quel hasard flatteur
Reçois-je ce matin de vous une visite ?
LÉANDRE.
C’est un devoir dont je m’acquitte.
GÉRONTE.
Depuis longtemps je vous en ai prié.
Et de vous voir chez moi, je suis extasié.
ISABELLE, à part.
Je respire !
GÉRONTE.
Je suis enchanté que ma fille
En mon absence en ait fait les honneurs.
J’estime votre esprit, je fais cas de vos mœurs ;
Et dans tous vos discours le bon goût toujours brille.
Un ami de Lulli, de Pecour, de Balon,
Ne saurait trop souvent venir dans ma maison.
Et c’est un bien pour ma famille.
À vous voir, à vous fréquenter,
Elle ne peut que profiter.
À Isabelle.
Vos sœurs et vous, prenez-le pour modèle ;
Il peut vous donner des leçons ;
Et vous instruira mieux que beaucoup de barbons.
ISABELLE.
J’en suis persuadée, et comptez qu’Isabelle
À remplir vos désirs sera très ponctuelle.
GÉRONTE.
Elle fera fort bien.
ISABELLE.
Vous serez obéi.
LÉANDRE.
Je ne puis témoigner trop de reconnaissance,
Monsieur m’oblige, vrai, beaucoup plus qu’il ne pense.
GÉRONTE.
Non, je me fais plaisir à moi-même en ceci.
ISABELLE.
Vous m’en faites beaucoup aussi.
GÉRONTE, à Léandre.
Mais, écoutez, mon âme est doublement charmée,
De vous trouver présentement ici.
La dispute au Cassé s’est très fort allumée.
C’est au sujet d’un Chœur d’un Ballet tout récent.
Par un petit Abbé, qui criait plus qu’un grand,
Il était porté jusqu’aux nues.
Il mettait au-dessous le beau Chœur de Rolland,
Au blasphème de l’insolent,
Mes entrailles se sont émues ;
Je me lève, et je dis : Monsieur l’Abbé, tout beau.
Par moi qui m’y connais, apprenez, je vous prie,
Que ce Chœur-là que vous trouvez si beau,
N’est de Rolland pillé qu’une faible copie.
Notre petit Colet redoublant son fracas,
Veut alors parier, d’une audace effrénée,
Tout le revenu d’une année
D’un Bénéfice qu’il n’a pas.
Ennuyé du fausset de sa voix détestable,
Je lui réponds : Par la corbleu !
Il faut se taire, ou mettre argent sur jeu.
Je jette en même temps dix louis sur la table.
À cet aspect, l’Abbé rapetissé
Totalement s’est éclipsé.
Un petit Maître subalterne,
Dont le ton et l’accent décèlent le cousis.
S’écrie alors, va pour le chant moderne,
Contre Monssu, les dix plus beaux louis,
Qui soient jamais sortis de mon pays.
Les boilà. Jé suis sûr dé gagner quand jé gage.
Ce qui m’a de sa part étrangement surpris,
De l’argent, à ces mots, il fait un étalage.
Je soutiens le pari, le cassé se partage.
Pour confondre la mode, et le parti qu’elle a ;
Pour prouver que j’ai l’avantage,
Je viens prendre chez moi l’un et l’autre Opéra.
LÉANDRE.
C’est un pari que Monsieur gagnera.
GÉRONTE.
Je veux que vous soyez le témoin de ma gloire,
Vous m’aiderez vous-même à gagner la victoire.
LÉANDRE.
Je serai de moitié. Comptez bien sur cela.
GÉRONTE.
Vous, ma Fille, rentrez. Et vous, mon cher Léandre,
Vous savez mon bon droit, venez pour le défendre ;
Avec un tel second, j’ose les braver tous.
LÉANDRE, à part.
Pour mieux me l’assurer, entrons dans son courroux.
À Géronte.
Je suis prêt à vous suivre, attaquons les profanes ;
Faisons-les reculer aux yeux de tout Paris.
Allons, des Chants nouveaux, faire un vaste débris.
Et sur leurs Sectateurs, courons venger les mânes
De l’auteur de Cadmus, de Thésée et dAtis.
Ils sortent tous deux en chantant ce qui suit.
Poursuivons jusqu’au trépas,
L’ennemi qui nous offense.
Qu’il n’échappe pas
À notre vengeance.
ACTE II
Scène première
LÉANDRE, L’ÉPINE
L’ÉPINE.
Vous voilà bien content !
LÉANDRE.
J’ai lieu de le paraître.
Mes affaires font en bon train
Près d’Isabelle...
L’ÉPINE.
Hé bien !
LÉANDRE.
Par mon esprit badin,
Je suis aussi bien qu’on peut l’être,
Et, par un coup du plus heureux destin,
Le père des trois sœurs est de ma connaissance.
Au spectacle je l’ai plusieurs fois rencontré.
Comme il est du vieux goût un partisan outré,
J’ai flatté sa manie, et, par ma complaisance,
Depuis longtemps je me suis attiré
Son estime et sa confiance.
Pour mieux gagner sa bienveillance,
Je viens, dans un pari bouffon,
Je viens, tout haut, de prendre sa défense.
J’ai fait, en plein Café, voir qu’il avait raison.
Je dois tout espérer de sa reconnaissance,
Et je me vois par là l’ami de la maison.
L’ÉPINE.
Monsieur, pour vos desseins l’heureuse circonstance !
LÉANDRE.
Ce n’est pas tout. Apprends un bonheur inouï.
J’ai rendu raisonnable un fat, un petit-maître,
Mais des plus pétulants que Bayonne ait vu naître.
L’ÉPINE.
Vous avez fait, Monsieur, un chef-d’œuvre aujourd’hui !
LÉANDRE.
Géronte, c’est le nom du père des trois belles,
Dont les divers talent m’ont attiré chez lui.
Géronte sur les bras avait cet ennemi.
J’ai terminé leurs burlesques querelles.
Son adversaire a payé le pari.
La douceur que j’ai fait paraître
A subjugué cet étourdi ;
Et j’ai tant fait, que du parti
Qu’il défendait, sans le connaître,
Il est passé dans le camp de Lulli.
L’ÉPINE.
Cet avantage est remarquable.
LÉANDRE.
Ce qui va te paraître encor plus incroyable,
Lui-même à tous les deux il nous donne à dîner.
L’ÉPINE.
De la part d’un Gascon cela doit étonner !
LÉANDRE.
Notre homme impatient de couronner la fête,
Est allé commander le dîner qui s’apprête.
Géronte a saisi ce temps-là
Pour reporter chez lui ses livres d’Opéra,
Et pour écrire une lettre pressante,
D’où dépend le succès d’une affaire importante.
Comme je l’ai suivi, j’attends dans cet instant
Qu’il ait fait, pour nous rendre où Monssu nous attend.
L’ÉPINE.
Je ne puis m’empêcher de faire
Une réflexion sur votre état présent.
Vous arborez tout haut l’étendard du vieux Chant,
Que Géronte idolâtre tant :
Mais, par malheur, Lucinde est du parti contraire.
Le pas me paraît très glissant ;
En faisant votre cour au père,
À la fille, Monsieur, vous risquez de déplaire.
LÉANDRE.
Apprends, l’Épine, à me connaître bien.
Je prends de tout le bon et l’agréable,
Et je n’épouse aucun parti sur rien.
Chaque chose ici bas a sa face estimable,
Je la saisis toujours, pour en dire du bien.
Par ce tempérament, et par cet art aimable,
Je sais à l’indulgence allier l’équité.
Sans être adulateur, je sais me rendre aimable.
J’approuve tout, et dis la vérité.
L’ÉPINE.
Mais, Monsieur, il n’est pas possible
Que vous ne penchiez pas d’un ou d’autre côté.
LÉANDRE.
Non, je fuis avec soin la partialité.
À nos amusements elle est toujours nuisible.
Chaque Musique a sa beauté.
À leurs accords divers mon oreille est sensible.
Je trouve mon bonheur dans cette égalité.
Et mon plaisir par elle est augmenté.
Du tendre Atys, de l’aimable Thésée,
J’adore la simplicité.
Oui par leur mélodie, aussi tendre qu’aisée,
Le sentiment est imité.
Jusques au fond de mon âme attendrie
Son doux pouvoir se fait sentir.
Mon cœur est le premier toujours à l’applaudir ;
La nature est partout si bien peinte et saisie,
Qu’il en soupire de plaisir,
Et se méprend à la copie.
Mais de ces Opéra quels que soient les attraits,
Leurs grâces douces et touchantes
Ne ferment point mes yeux sur les beautés frappantes,
Sur les coups pleins d’audace, et les sublimes traits
Dont brillent Hippolite et les Indes galantes.
Quelle harmonie ! Ô Ciel ? Quels accompagnements !
Quels tourbillons ! Quels éclairs surprenants !
Des nouveautés si transcendantes
Font murmurer l’ignorant spectateur,
Et tiennent en suspens les oreilles savantes
Qu’étonnent tant de force et tant de profondeur.
Pour moi, j’admire et bénis le génie,
Dont les hardis travaux et la mâle vigueur,
Enrichissent Paris des trésors d’Italie.
L’ÉPINE.
L’Auteur est fort heureux de n’être pas tombé.
LÉANDRE.
Il a tout réuni dans ses Fêtes d’Hébé ;
Et le savant s’y marie à l’aimable.
Il était fort, hardi, profond, harmonieux.
Dans ce dernier Ballet il devient agréable ;
Il est tendre, amusant, doux, léger, gracieux ;
Mais, que dis-je ? Il est plus, il est voluptueux.
Il remplit mes esprits d’une ivresse nouvelle,
Et je me sens plonger dans des ravissements...
Il est, quand je me les rappelle,
Certains moments, Dieux ! Quels moments !
Où suis-je ? Et qu’est-ce que j’entends ?
Ah ! C’est un Dieu qui chante. Écoutons, il m’enflamme.
Jusqu’où vont les éclats de son gosier flatteur ?
De la voûte des Cieux, ils percent la hauteur !
Sur l’aile de ses sons je sens voler mon âme ;
Je crois des Immortels partager la grandeur !
La voix de ce divin Chanteur
Est tantôt un Zéphir qui vole dans la plaine,
Et tantôt un Volcan qui part, enlève, entraîne,
Et dispute de force avec l’art de l’Auteur.
L’ÉPINE.
Tout Paris avec vous est son admirateur :
Mais on me vante en vain la Musique nouvelle,
Je lui déclare une guerre mortelle.
Je suis, jusqu’à la mort, serviteur de Lully.
Il suffit qu’il ait fait, pour avoir mon appui,
L’air de Charmante Gabrielle.
Je ne vois rien de si joli.
LÉANDRE.
Bon, la chanson est du temps d’Henri-Quatre.
L’ÉPINE.
En ce cas-là, tant pis pour lui ;
Je suis obligé d’en rabattre.
LÉANDRE.
Tu n’es qu’un ignorant, tais-toi.
L’ÉPINE.
Beaucoup d’honnêtes gens s’y trompent comme moi.
LÉANDRE.
Mais Géronte est longtemps. Ses trois filles, j’en tremble,
Peuvent ici se rendre ensemble.
Un pareil contretemps me déconcerterait ;
Et mon dessein avorterait.
Dans le Palais Royal, où je m’en vais descendre,
Je songe que je puis plus sûrement l’attendre.
Toi, pour l’en informer, ne quitte pointées lieux.
Il faut d’ailleurs que tu demeures,
Tandis que je serai d’un repas ennuyeux.
Je dois voir Lucinde à trois heures.
L’Épine, parles-lui, prends soin de t’éclaircir
Si le rendez-vous doit tenir.
Quand elle aura pris les mesures
Les plus sages et les plus sûres,
D’abord tu viendras m’avertir
De l’instant, où je puis seule l’entretenir.
L’ÉPINE.
Il suffit. Mais voilà Géronte qui s’avance.
Scène II
LÉANDRE, GÉRONTE, L’ÉPINE
GÉRONTE.
Léandre, pardonnez ; partons en diligence.
Mais non, auparavant, je veux vous présenter
À ma famille réunie.
LÉANDRE.
Je craindrais de vous arrêter.
GÉRONTE.
Je veux que vous voyiez Lucinde et Mélanie.
Aux grâces d’Isabelle, elles ne cèdent pas.
L’ÉPINE, à part.
Pour mon maître, quel embarras !
GÉRONTE.
Je suis forcé, quoique je sois leur père,
De convenir quelles ont des appas,
Et des talents surtout, dont je fais plus de cas.
LÉANDRE.
Votre sang est formé pour plaire.
Mais, Monsieur, pour les voir, je prendrai mieux mon temps.
GÉRONTE.
Hé ! Pourquoi voulez vous reculer ces instants ?
Venez.
LÉANDRE.
Monsieur, l’heure est peu convenable.
Ces Dames doivent être à table.
GÉRONTE.
Non, elles ont dîné ; et quand même, Monsieur...
LÉANDRE.
C’est un manque d’égards que je ne puis commettre.
GÉRONTE.
Mais, étant avec moi, pourquoi cette frayeur ?
LÉANDRE.
C’est un bien que je dois remettre,
Je n’en pourrais jouir qu’un seul instant.
Il se fait tard, notre Gascon attend.
GÉRONTE, à part.
Ce jeune homme a pour moi des façons qui m’entraînent ?
Voilà ce qui s’appelle un véritable ami !
Ce ne sont point mes filles qui l’amènent,
C’est pour moi seul qu’il vient ici.
Je serais trop heureux d’avoir un pareil gendre,
Et préférablement il doit être choisi.
À Léandre.
À vos raisons il faut se rendre.
J’ai mon dessein quand je vous presse ainsi.
Mon estime, pour vous, ne peut trop loin s’étendre.
Partons ; venez, de ce projet, Léandre,
Tout en chemin faisant, vous serez éclairci.
Ils sortent.
Scène III
L’ÉPINE, seul
Par bonheur, à la fin, mon maître se dégage
D’un pas qu’il n’avait pas prévu ;
Mais il ne peut longtemps jouer ce personnage ;
Et quelqu’art qu’il emploie, il sera superflu.
Viser en même temps à courtiser trois filles
Dans la même maison, du père étant connu,
L’une à l’insu de l’autre, oh, c’est du temps perdu !
Également, dit-il, il les trouve gentilles,
Et leurs divers talents le divertissent fort.
Il voudrait conserver cette bonne fortune.
Vraiment, il n’a pas tout le tort ;
Je pense comme lui, trois amusent plus qu’une.
Mais c’est trop pour un homme entreprendre à la fois.
On ouvre ; les voici qui viennent toutes trois.
Parlons, mais, non, il faut attendre
Que Lucinde soit sans témoin.
Pour épier l’instant qu’il faudra prendre,
Écartons-nous, mais sans aller trop loin.
Il s’en va.
Scène IV
ISABELLE, LUCINDE, MÉLANIE
ISABELLE.
J’aurais, à toutes deux, quelques choses à dire.
Mon cœur, pour s’épancher, cherche votre entretien.
MÉLANIE.
Je voudrais aussi vous instruire
D’un grand secret qui pèse fort au mien.
LUCINDE.
Moi, j’ai de mon côté, tout examiné bien,
Une confidence à vous faire.
MÉLANIE.
Isabelle, courage, ouvrez-nous votre cœur ;
Vous avez parlé la première.
ISABELLE.
Je ne me ferai pas beaucoup prier, ma sœur.
Le ridicule hymen qu’a proposé mon père,
Me force à cet aveu sincère.
L’une et l’autre, écoutez. Dans cet appartement
Nous sommes seules.
LUCINDE.
Oui, dévoilez hardiment
Vos sentiments à notre vue.
ISABELLE.
Je ne veux pas au moins que la choie soit sue.
MÉLANIE.
Votre secret sera gardé fidèlement,
Puisque le nôtre aussi demande un grand silence.
ISABELLE.
J’ai, depuis peu de jours, fait, non pas un Amant,
Car ce n’est pas chez moi l’ouvrage d’un moment,
Mais une aimable connaissance.
C’est un jeune homme plein d’esprit,
Qui joint les agréments à beaucoup de science,
Et fait des vers les plus jolis de France.
Il m’a parlé pour la première fois.
MÉLANIE.
Où ?
ISABELLE.
Dans un spectacle bourgeois ?
Où je l’ai vu jouer la Comédie,
Et la jouer, mais dans un vrai parfait.
Même il n’est rien qu’il ne copie.
Il fait tout ce qu’il veut, l’amoureux, le valet,
D’une façon à s’y méprendre.
LUCINDE.
Voilà des talents merveilleux !
ISABELLE.
Du reste, il est galant, et plus badin que tendre.
MÉLANIE.
Je vous en félicite, Isabelle, tant mieux,
Il doit vous plaire davantage,
Et rien n’affadit plus qu’un langoureux hommage.
ISABELLE.
Aussi n’est-il pas de mon goût.
Notre amour pour l’esprit, et pour les vers surtout,
Est dans le fond le seul nœud qui nous lie :
S’il recherche mon entretien,
Et si je préfère le sien,
C’est pour faire tous deux briller notre génie,
Et goûter le souverain bien
De cultiver la Poésie.
Si je devais pourtant faire choix d’un époux,
J’aimerais mieux, je l’avoue entre nous,
Puisqu’il faut que mon cœur sans fard se montre au vôtre,
J’aimerais mieux que ce fût lui qu’un autre.
Mes sœurs, à cet égard, dites, me blâmez-vous ?
MÉLANIE.
Rien n’est plus naturel.
LUCINDE.
Moi, loin que je vous blâme,
Je vous applaudis fort, on ne peut mieux penser,
Ma sœur ; et sans plus balancer,
Votre exemple m’invite à vous ouvrir mon âme.
Je connais comme vous, depuis fort peu de temps,
Un jeune homme des plus charmants.
Pour les accords il montre un goût extrême ;
Ma Musique est celle qu’il aime.
Savant sans le paraître, il perce en badinant,
Jusques dans les replis et la moelle du chant,
Et compose, en honneur, aussi bien que moi-même !
Je dois à son mérite un éloge si doux.
MÉLANIE.
Vous en gardez, ma sœur une moitié pour vous.
LUCINDE.
Au Concert, chez Harmophilète
Notre connaissance s’est faite.
J’y chantais dans un Concerto.
Il me loua beaucoup, et nous nous fîmes
Politesse de l’œil d’abord incognito.
Ensuite il s’approcha ; de plus près nous nous vîmes,
Nous parlâmes à fond musique, et nous finîmes
Par chanter ensemble un duo.
On nous battit des mains et nous nous applaudîmes ;
Ce n’est pas, vous le voyez bien,
Une ardeur déclarée, un amour véritable,
Qui compose notre lien.
Non, c’est de sentiment un rapport favorable.
C’est du même talent un accord... assorti...
Et qui forme, entre-nous, un concert agréable...
Ce concert me le fait traiter comme un ami,
Comme un soutien de mon parti,
Et chérir tout au plus comme un confrère aimable.
ISABELLE.
La préférence est juste et raisonnable.
Vous, Mélanie, allons, parlez présentement.
C’est votre tour.
LUCINDE.
Suivez ce conseil salutaire,
Ne perdez pas un seul moment.
L’aveu que je viens de vous faire
M’a soulagée infiniment.
MÉLANIE.
Depuis huit jours aussi j’ai fait la connaissance
D’un Cavalier jeune et bien fait.
Mais à mes yeux ce qui le rend parfait,
Il sait sauter par excellence :
Ce que j’aime encor plus, c’est qu’il ne danse pas
En Danseur par état, esclave de ses pas,
Mais en jeune Seigneur qui badine sa danse.
Ah ! comme il coule un pas de menuet !
Personne ne l’égale en France,
Et d’un Zéphir, c’est le portrait.
Dans un tambourin, c’est l’image
D’un vent subit et furieux
Qui brise, qui détruit, bouleverse, ravage ;
Et c’est ainsi qu’au Bal il a frappé mes yeux.
Nous en fîmes tous deux l’ornement et la gloire.
Nous parlâmes longtemps, et je lui plus beaucoup.
Du moins il me le dit, et j’ai lieu de le croire.
Je l’avouerai, pour moi, du premier coup.
Je... aidez-moi donc...
ISABELLE.
J’entends, vous l’estimâtes.
MÉLANIE.
Oui, mais ce n’est pas là le mot.
LUCINDE.
Moi, j’y suis, vous le distinguâtes.
MÉLANIE.
Quelque chose de plus.
ISABELLE.
Comment donc vous l’aimâtes ?
MÉLANIE.
Quelque chose de moins. Mon cœur n’est pas si sot.
LUCINDE.
Attendez, vous le préférâtes ?
MÉLANIE.
Non, ce n’est pas cela.
ISABELLE.
Quoi donc, vous le goûtâtes ?
MÉLANIE.
Oui, justement, voilà le mot que je cherchais.
Il rend mon sentiment comme je le voulais.
Ce sentiment n’est point cette aveugle manie,
Ce fol amour qui tient nos sens assujettis.
C’est simplement le pur goût qui nous lie :
C’est une douce sympathie,
Qui naît des talents assortis,
Et sans troubler nos cœurs, fait unir nos esprits.
Exempte de langueur, comme de jalousie,
Elle ne fait, que des heureux ;
Elle règne sans tyrannie.
On n’est point brûlé de ses feux ;
Et l’émulation dont sa flamme est nourrie,
Est le seul aiguillon qu’elle nous fait sentir,
L’amusement la fixe et borne son désir.
À ceux qu’elle unit, il n’en coûte
Ni liberté, ni larme, ni soupir.
Elle sait nous guider toujours vers le plaisir,
Sans nous égarer dans la route
Qui mène droit au repentir.
Quand on la suit, quand on l’écoute,
On se contente de jouir
D’un talent qu’on n’a pas reçu pour l’enfouir,
Et notre âme se livre toute
Au soin de l’exercer, de s’en entretenir.
On s’anime, on se forme, on s’amuse, on se goûte.
Ce mot exprime tout, et je veux m’y tenir.
ISABELLE.
Il est bon, vous avez bien fait de le saisir.
MÉLANIE.
Vous même, en me parlant, n’oubliez pas ce terme.
Il dit ce que je sens, et mon cœur s’y renferme.
Faites-y bien réflexion.
ISABELLE.
Oui, mais votre Danseur vous paroi t bien aimable.
MÉLANIE.
Chacun le trouve tel, c’est sans prévention.
Votre Poète, à vous, vous semble préférable.
ISABELLE.
Mais je lui rends justice, et c’est sans passion.
Du vôtre, avec plaisir, vous voyez la présence,
Et sa jambe brillante a pour vous des appas.
MÉLANIE.
Je ne meurs pas de son absence.
Il est vrai qu’avec lui, plus volontiers, je danse ;
Mais il n’a point fixé ni mon cœur, ni mes pas.
Ainsi tout bien pesé ; tout mis dans la balance,
Je le goûte, ma Sœur, mais je ne l’aime pas.
ISABELLE.
Je n’aime pas non plus, quoiqu’on veuille me plaire ;
J’estime, je fais cas.
LUCINDE.
Et moi, je considère.
Le mot d’aimer dit plus que nous ne ressentons.
MÉLANIE.
Oui, chacune a trouvé son terme convenable.
ISABELLE.
Oh ! les mots sont vraiment d’un secours admirable !
Par leur moyen, aux choses, nous prêtons
Les couleurs que nous souhaitons.
À Mélanie.
Mais sur un point, daignez m’instruire ;
Celui que vous goûtez, a-t-il pris par hasard
La liberté de vous écrire ?
MÉLANIE.
Oui, j’ai reçu tantôt un billet de sa part.
Ce que vous estimez, en a-r-t-il fait de même ?
ISABELLE.
Oui, ce matin.
MÉLANIE.
Du ton que vous le désirez ?
ISABELLE.
Le billet était court et tel que je les aime.
MÉLANIE, à Lucinde.
Celui que vous considérez,
Vous a-t-il honoré d’un semblable message ?
LUCINDE.
Oui.
MÉLANIE.
Vous êtes contente ?
LUCINDE.
On ne peut davantage.
Et je compte le voir dans cet après-midi.
MÉLANIE.
Je compte voir le mien aussi.
ISABELLE.
Et moi, je sois plus avancée ;
Car j’ai vû le mien ce matin.
MÉLANIE.
Bien loin de l’envier, je plains votre destin,
Et vous perdez beaucoup à m’avoir devancée.
La preuve en est claire, ma sœur ;
D’un bien qu’on a goûté la volupté passée
D’un bonheur qu’on attend, ne vaut pas la douceur.
ISABELLE.
Il m’en reste toujours un souvenir flatteur.
D’ailleurs, si j’ai perdu ce bonheur qui s’envole,
En le renouvelant, j’en puis encor jouir ;
Et le plaisir passé, c’est ce qui me console,
Ne détruit pas le plaisir à venir.
MÉLANIE.
Il lui fait bien souvent le tort de l’affaiblir.
Mais donnons-nous ici parole,
Quoiqu’il puisse arriver, de ne pas nous trahir.
Faisons toutes les trois une commune ligue,
Pour empêcher les nœuds où l’on veut nous forcer,
Et pour conduire à bien notre innocente intrigue.
Si chacune de nous ne peut se dispenser
De subir aujourd’hui le joug du mariage :
Pour nous rendre ce joug moins dur et moins sauvage ;
Tâchons du moins d’y lier avec nous
Ceux dont nous faisons cas, et qui flattent nos goûts.
LUCINDE.
Moi, je vous le promets, et ma parole est sûre.
ISABELLE.
Ma chère Mélanie, et moi, je vous le jure,
Oui, je mourrai plutôt que de céder.
MÉLANIE.
Moi, je fais le serment sincère
À toutes deux de vous bien seconder.
ISABELLE.
J’ai cet après-midi des emplettes à faire.
À Mélanie.
Voulez-vous m’accompagner ?
MÉLANIE.
Oui,
Mais dépêchez-vous, je vous prie,
Il faut que je me trouve à cinq heures ici.
LUCINDE, à Isabelle.
Isabelle, je vous supplie,
Ne passez pas quatre heures et demie,
Car nous devons aller ensemble à l’Opéra.
ISABELLE.
C’est à condition que Lucinde viendra
Voir avec moi demain la Comédie.
LUCINDE.
Va.
ISABELLE.
Suivez-vous nos pas ?
LUCINDE.
Non, je ne puis sortir,
Un soin des plus pressants me tient ici liée,
Et vous êtes par moi très humblement priée
De vouloir bien avant que de partir,
Chanter deux vers de votre Cantatille.
ISABELLE.
Tous mes vers sont fort bons.
LUCINDE.
Beaucoup d’esprit y brille ;
Mais de vous, la Musique exige ce plaisir.
ISABELLE.
Soit. Je suis bonne.
MÉLANIE.
Oh, moi, je n’y puis consentir.
ISABELLE.
C’est l’ouvrage d’une seconde ;
Et ma veine est facile autant qu’elle est féconde.
LUCINDE, à Mélanie.
Ayez cette bonté. Nous allons revenir.
MÉLANIE.
Vite. Ne perdez pas de temps à discourir.
Isabelle et Lucinde sortent.
Scène V
MÉLANIE, L’ÉPINE
MÉLANIE.
Qu’à tous égards, il est fâcheux d’attendre.
Mais c’est aujourd’hui mon destin.
L’ÉPINE.
Ah ! paraissons, voilà Lucinde seule enfin.
À Mélanie.
Mademoiselle, ici, mon Maître vase rendre :
À part.
Mais... mais, je suis un sot, je viens de me méprendre.
MÉLANIE.
Il va venir ?... Pourquoi paraître embarrassé ?
L’ÉPINE.
C’est l’effet du respect.
MÉLANIE.
Mais, d’où vient que Léandre.
Vous envoyé à présent ?
L’ÉPINE.
C’est qu’il est empressé.
MÉLANIE.
Il veut donc prévenir l’heure qu’il m’a marquée ?
L’ÉPINE.
Point du tout.
MÉLANIE.
Pourquoi donc m’avez-vous annoncé
Qu’il va se rendre ici ?
L’ÉPINE.
N’en soyez point choquée...
Puisqu’il doit s’y rendre en effet,
Comme il vous l’a mandé tantôt par son billet.
MÉLANIE.
Mais le rendez-vous qu’il demande
N’est que pour cinq heures ?
L’ÉPINE.
Oui dà...
Mais songez bien... qu’il en est trois déjà...
Et de trois... jusqu’à cinq... la distance est peu grande :
Dans deux heures... au plus... cette heure arrivera.
MÉLANIE.
Le plaisant discours que voilà !
L’ÉPINE.
Pour peu que votre esprit le suive,
Il le trouvera concluant.
MÉLANIE.
Mais à force de temps il n’est rien qui n’arrive ;
Et tout ce vain raisonnement
De votre message présent,
Ne m’apprend point le motif ni la cause.
L’ÉPINE.
Elle est facile à concevoir.
Mon Maître doit venir vous voir,
Et comme il a de la prudence,
Il m’envoie ici pour savoir
Si votre rendez-vous tient toujours pour ce soir.
MÉLANIE.
Sans doute, il peut venir en assurance.
Pourquoi ne pas vous expliquer d’abord ?
L’ÉPINE.
Oui, vous avez raison... mais, moi, je n’ai pas tort ;
Je conçois bien... mais je balance...
Sur les mots que je cherche, et qui ne s’offrent pas.
Le don de la parole enfin n’est pas le nôtre.
C’est ce qui fait mon embarras...
Et... que je dis souvent une chose pour l’autre.
MÉLANIE.
Trêve de galimatias ;
Je m’en défie et me rappelle
Que vous m’avez tantôt demandé dans ces lieux,
Si je n’étais pas Isabelle.
L’ÉPINE.
Oui, mais... remarquez... je vous prie...
Que c’était... pour m’instruire mieux...
Si vous n’étiez pas Mélanie.
MÉLANIE.
Hom ! de tout ceci, je ne sais que penser.
Mais ma sœur est longtemps, et je vais la presser.
Scène VI
L’ÉPINE, seul
Le fâcheux interrogatoire,
Morbleu, que je viens de subir !
Ce n’est pas sans effort que je viens d’en sortir,
Encor n’est-elle pas trop portée à me croire.
Mais Lucinde en personne ici porte ses pas.
C’est elle pour le coup, je ne m’y trompe pas.
Scène VII
L’ÉPINE, LUCINDE
L’ÉPINE.
Je viens savoir de la part de mon Maître,
S’il peut, Mademoiselle, en ce moment paraître,
Et jouir du bonheur de vous voir sans témoin.
LUCINDE.
Qui, courez l’avertir.
L’ÉPINE.
J’y vole.
Mais le voici lui-même, il m’épargne de soin.
À part en s’en allant.
Je n’ai plus rien à faire, et j’ai rempli mon rôle.
Scène VIII
LÉANDRE, LUCINDE
LUCINDE.
Je vous attends, Monsieur, le papier à la main.
Secondez mon transport lyrique.
Exécutons ensemble un morceau tout divin,
J’entends parler de la Musique.
Elle est nouvelle, elle est unique.
Vous en serez charmé.
LÉANDRE.
Vous en êtes l’Auteur.
LUCINDE.
Juste, vous venez de le dire.
LÉANDRE.
Sans contredit, d’avance je l’admire.
LUCINDE.
Je ne dis rien des vers, car ils sont de ma Sœur.
Ils sont entre nous deux d’une misère extrême.
LÉANDRE.
Tant mieux, vous savez qu’à présent
On ne prend plus garde au Poème,
Et pour qu’il n’ôte rien à la gloire du Chant,
Il n’est pas mal qu’il soit méchant.
Mais concertons sans tarder davantage.
Je vais goûter un bonheur des plus doux.
Ah ! quel plaisir pour moi de chanter votre ouvrage,
Et de le chanter avec vous !
LUCINDE.
Tenez, voilà votre Partie.
LÉANDRE.
Bon.
LUCINDE.
Le Feu de la Ville est dépeint par mes sons.
Vous, vous êtes Daphnis, et moi, je suis Silvie.
L’un et l’autre enchantés des jeux que nous voyons,
Nous admirons de compagnie.
LÉANDRE.
Nous ne nous quittons pas, et mon âme est ravie.
Allons, m’y voilà, commençons.
Il chante.
Est-ce l’effet de la magie ?
Ou de l’art des Mortels est-ce l’heureux pouvoir ?
Des clartés de la nuit la vue est éblouie,
Et des globes des Cieux je vois l’onde embellie.
Un spectacle plus beau jamais ne se fit voir.
Dieux ! Qu’il est doux pour moi ! j’y suis près de Silvie.
LUCINDE chante.
Fixez, vos yeux sur et Palais charmant,
Et regardez, Daphnis, cette étincelle,
Vous l’allez voir dans un moment,
Y répandre l’éclat d’un vaste embrasement.
LÉANDRE chante.
Ainsi le regard d’une belle
Met tout en feu dans le cœur d’un Amant.
Des jeux d’Amour c’est l’image fidèle.
LUCINDE parle.
Souvent son cœur brûle tout le premier
Des feux que son regard allume,
A le sort de l’Artificier,
Qu’embrase et que consume,
Le salpêtre avec le bitume,
Que ses mains viennent d’employer.
LÉANDRE parle.
De ce péril, à tort, votre esprit tremble.
Lorsque l’amour assortit nos ardeurs,
Et fait jouer sa mine dans nos cœurs,
Il est doux de sauter ensemble.
LUCINDE chante.
Quel prodige nouveau !
Le feu dispute
Les couleurs au pinceau.
Il peint, il exécute,
Il trace en beau
Le plus parfait tableau.
LÉANDRE chante.
L’Amour de mime en notre âme
D’un objet vainqueur,
Avec des traits de flamme
Peint l’éclat flatteur.
LÉANDRE et LUCINDE, ensemble.
Quel vaste globe de lumière
De ses feux répand les amas !
Du Dieu du jour est-ce la sphère
Qui vient de descendre ici-bas ?
De feux quelle source brillante !
Quels jets de flamme étincelante !
De l’Olympe c’est le tableau.
Ah ! Rien n’est si beau !
LÉANDRE parle.
Et vraiment cet Ah me ravit, m’enchante.
Belle Lucinde, qu’il peint bien
La surprise toujours constante,
Et le cri du Parisien !
Il répète avec Lucinde, Ah ! Rien n’est si beau !
LUCINDE chante.
L’Amour semblable
À ce soleil radieux
Répand une lumière aimable,
Et brille d’un feu gracieux.
Sa clarté suprême
Fait trouver les cieux
Dans les yeux
De ce qu’on aime.
LÉANDRE chante.
La gerbe foudroyante
Peint les efforts,
Les transports,
Les fureurs,
Les horreurs,
Qu’éprouvent les cœurs
Que l’Amour enchante
Il est l’image effrayante
Du chagrin noir,
Du désespoir
Que leur bonheur enfante ;
Des combats,
Du fracas,
Et des éclats
Qui naissent de leurs débats.
Mais quelle nuit profonde
Succède au feu qui disparaît !
Le calme règne sur l’onde,
Tout est éteint, tout se tait.
LUCINDE chante.
Amants, voilà la destinée
Du feu qui vous séduit.
Votre flamme, dès qu’elle est née,
Éclate, fait grand bruit.
Mais cette ardeur empressée,
Qui d’abord nous éblouit,
Hélas ! Est bientôt passée.
Tout est éteint dans une nuit.
LÉANDRE et LUCINDE, ensemble.
L’Amour où { mon âme est livrée
{ votre âme
Sera { tout à la fois ardent et délicat.
{ -t-il à la fois
Je jure } que sa durée
Jurez-moi }
Égalera son éclat.
Scène IX
LÉANDRE, LUCINDE, GÉRONTE
GÉRONTE, à Lucinde.
De quelle mélodie insolente,
Ma fille, faites-vous retentir ma maison ?
Vous êtes bien impertinente
D’aller contre mon ordre et contre la raison.
Qui l’ose exécuter avec vous ? C’est Léandre.
Léandre, juste ciel ! Ô meurtre ! Ô trahison !
À cette perfidie aurais-je dû m’attendre ?
LUCINDE, à part.
La surprise et la peur ont glacé tout mes sens.
LÉANDRE, à part.
Je n’avais pas prévu ce contretemps funeste.
GÉRONTE, à Léandre.
Comment donc ? Vous venez céans
Pratiquer l’art maudit d’un Chant que je déteste ?
Vous venez pervertir le goût de mes enfants ?
LÉANDRE.
Monsieur...
GÉRONTE.
Vous me jouez ce tour des plus sanglants.
Vous, que je regardais comme un ami sincère,
Et comme un des grands partisans
De la bonne Musique, elle qui m’est si chère !
LÉANDRE.
Daignez...
GÉRONTE
Vous que j’aimais comme mon fils enfin ?
LÉANDRE.
Mais ayez donc, Monsieur, la bonté de m’entendre.
GÉRONTE.
Vous, que je prétendais faire au plutôt mon gendre ?
Ô Ciel ! Quel était mon dessein !
Par un aveuglement étrange autant que triste,
J’allais chez moi, j’allais mettre un Anti-Lulliste,
C’est à-dire, placer un serpent dans mon sein !
LÉANDRE.
Monsieur, calmez vos sens, et m’écoutez de grâce.
Du bon chemin rien ne peut m’écarter.
Ce que j’en fais est pour mieux exciter
Mademoiselle, à suivre votre trace.
GÉRONTE.
Quoi ! Le morceau qu’ici...
LÉANDRE.
C’est pour l’en dégoûter,
Que je viens de l’exécuter :
Pour lui faire sentir le ridicule extrême
Du goût Italien qu’elle aime.
GÉRONTE.
Serait-il bien possible !
LÉANDRE.
Oui, pour n’en plus douter,
Un moment daignez écouter.
Il chante le morceau de la Gerbe foudroyante, et le charge beaucoup. À Lucinde, après avoir chanté.
Hem ! Vous sentez, Mademoiselle,
Combien cette Musique est perfide et cruelle.
Sous ses accords chargés la nature gémit.
LUCINDE.
Elle a de l’harmonie.
LÉANDRE.
Ah ! Ce n’est qu’un vain bruit.
GÉRONTE.
C’est un charivari, rien n’est plus misérable.
LÉANDRE.
C’est un chaos de sons, dont le grand nombre accable ;
Il étourdit les sens, sans rien peindre à l’esprit.
GÉRONTE.
Oui, ce discours est véritable.
LÉANDRE.
Présentement, Monsieur, jugez si ces accents,
Et la façon dont je les rends,
Doivent vous alarmer, et sont faits pour séduire.
GÉRONTE.
Non, j’avais pris le change, et n’ai plus rien à dire.
Pardonnez, je vous prie, à ma vivacité.
C’est un écart où m’a jeté
Mon zèle ardent pour le Chant que j’admire.
En faveur du motif vous devez l’oublier.
C’est à moi maintenant de vous remercier.
Pour corriger ma fille, on ne peut mieux s’y prendre.
Continuez, mon cher Léandre,
Cultivez le bon goût au sein de ma maison.
Je veux qu’à l’avenir vous y donniez le ton ;
Et que de vos conseils tout le monde y profite.
LÉANDRE.
Courage, et de deux. Passons vite
À notre troisième leçon.
ACTE III
Scène première
ISABELLE, LUCINDE
ISABELLE.
Ce que vous venez de m’apprendre
Me paraît singulier, vraiment.
LUCINDE.
J’ai frémi quand mon père est venu nous surprendre.
ISABELLE.
Votre Amant, de ce pas, s’est tiré joliment.
LUCINDE.
Mon Amant ! Vous usez d’un terme qui me pique,
Et c’est blesser les lois de notre arrangement ;
Dites, plutôt, mon confrère en musique.
ISABELLE.
J’ai tort.
LUCINDE.
Mais dans ce jour, ma sœur,
Admirez avec moi quel est mon sort flatteur !
Celui qui me distingue, et que je considère,
Est l’ami parfait de mon père,
Qui veut par un bonheur, qu’à peine je conçois,
Le choisir pour son gendre, il l’a dit devant moi.
ISABELLE.
Et sans peine, entre nous, votre cœur le préfère ?
Sa figure...
LUCINDE.
Il est vrai qu’elle est faite pour plaire ;
Mais ma raison agit bien plus que mon penchant.
Si par moi dans le fond la chose est souhaitée,
C’est que plus que tout autre il a le goût du chant,
Et qu’étant mariés, l’on est plus à portée
De profiter...
ISABELLE.
Certainement,
Vous raisonnez fort juste, et je vous rends justice.
LUCINDE.
Ce n’est point un mari que je veux...
ISABELLE.
Non, vraiment ;
Vous ne cherchez uniquement
Qu’un jeune habile homme, qui puisse
Fortifier votre talent.
LUCINDE.
C’est ce que je veux justement.
ISABELLE.
De votre heureuse destinée,
Je sens d’autant plus la douceur,
Que je viens, puisqu’il faut vous ouvrir tout mon cœur,
D’éprouver dans cette journée
Le même contretemps et le même bonheur.
LUCINDE.
Avec l’objet de votre estime,
On vous a donc surprise aussi ?
ISABELLE.
Oui, ma sœur, mais loin qu’aujourd’hui
Mon père m’en ait fait un crime,
Il a paru charmé de le trouver chez lui.
L’amitié les unit du nœud le plus intime.
LUCINDE.
Rendons grâce au hasard, il est de nos amis.
Cet heureux incident doit exclure Damis.
ISABELLE.
Ma sœur ; j’ai tout lieu de l’attendre.
Mon père doit, ce soir, m’entretenir
Sur un sujet, dit-il, qui me fera plaisir.
C’est, je n’en doute point, cela qu’il veut m’apprendre.
LUCINDE.
Rien n’est plus fortuné, je m’en réjouis fort,
La pauvre Mélanie, elle seule est à plaindre.
On lui prépare un triste sort ;
Mais comment ferons-nous, si l’on veut la contraindre ?
Nous avons fait serment de prendre son parti.
ISABELLE.
Oh ! dans cette occasion-ci,
Qu’elle tâche, sans nous, de se tirer d’affaire,
N’allons pas sottement indisposer mon père.
Nous sommes bien, tenons-nous y,
Le bon sens nous en fait une loi nécessaire.
On doit sacrifier, cela n’est pas douteux,
Le bonheur d’une seule à l’intérêt de deux.
LUCINDE.
Cette raison me frappe ; elle est victorieuse :
Nous rendrions d’ailleurs notre fort plus fâcheux,
Sans rendre sa fortune heureuse.
Mais il est tard. Partons, il faut nous dépêcher.
L’Opéra sera plein : Nous serons mal placées.
Les paroles, ma sœur ?
ISABELLE.
Ah ! je les ai laissées
Sur ma table tantôt, et je cours les chercher.
Scène II
LUCINDE, L’ÉPINE
LUCINDE.
Vous entrez à propos ; allez dire à Léandre
Que je m’en vais à l’Opéra ;
Qu’il ne manque pas de s’y rendre,
Qu’à coup sûr il m’y trouvera.
Elle part.
Scène III
L’ÉPINE, seul
Je crois qu’elle aura beau l’attendre.
Elle et sa sœur aînée ont eu déjà leur tour,
C’est à présent celui de Mélanie.
Il attend pour venir lui faire ici sa Cour,
Que l’une et l’autre soit sortie.
Je dois m’en informer et puis l’en avertir.
Je suis sûr de Lucinde : À l’égard d’Isabelle,
À l’Opéra la suivra-t-elle,
Je n’en sais, ma foi, rien : reste à m’en éclaircir.
Il faut qu’adroitement j’interroge Lisette.
Bon, la voilà qui vient comme je le souhaite.
Scène IV
L’ÉPINE, LISETTE
L’ÉPINE.
La Vielle à la main ! Elle arrive gaiement.
Chacun dans ce logis exerce son Talent.
Ah ! de grâce, Mademoiselle,
Daignez suspendre un seul moment
Les doux sons de votre Vielle.
Dites-moi seulement...
Lisette joue en l’interrompant.
Là, rien qu’un mot, je vous supplie.
Pour aller voir cet Opéra nouveau,
Isabelle est-elle partie ?
Lisette joue toujours.
Vous me régalez-là d’un fort joli Cadeau,
Et vous en jouez comme un ange.
Mais, Isabelle... Ah ! quelle rage étrange !
Lisette redouble sans dire mot.
Je vais battre des mains pour la faire cesser.
Il bat des mains.
Mes applaudissements la font recommencer.
Pour converser avec une pareille folle,
Je ne vois qu’un parti ; faisons la capriole.
Pour signaler votre art, allons, n’épargnez rien.
Je vais faire briller le mien.
Lisette joue toujours en sautant, et l’Épine la poursuit en dansant.
Scène V
LÉANDRE, L’ÉPINE, LISETTE
LÉANDRE, à l’Épine.
Parle donc, es-tu fou ? Quelle ardeur te transporte ?
L’ÉPINE, dansant.
Les Talents, Monsieur, les Talents.
LÉANDRE.
Comment donc ?
L’ÉPINE, toujours dansant.
C’est l’amour des Talents qui m’emporte.
LÉANDRE.
Mais il te convient bien, maraud, lorsque j’attends,
De danser...
L’ÉPINE, dansant encore.
Comme vous ils entraînent l’Épine,
Surtout dès qu’il entre céans.
LÉANDRE.
Dis, Lucinde...
L’ÉPINE, continuant à danser.
Oui, Monsieur, leur pouvoir me lutine ;
Ils ont percé dans ces lieux séduisants,
Jusques dans l’antichambre où leur fureur domine.
LÉANDRE.
Veux-tu ?...
L’ÉPINE.
Vous voyez bien cette aimable coquine,
Elle en possède d’étonnants.
LÉANDRE.
Veux-tu bien me répondre ?
L’ÉPINE.
Il le faut avouer ;
Ils font rares dans une fille.
Lisette sait danser aussi bien que jouer,
Et jamais elle ne babille.
Daignez un peu, Monsieur, l’interroger, pour voir.
LÉANDRE.
C’est le parti que je vais prendre ;
Mais tu me le paieras ce soir.
À Lisette.
Ayez, ma belle enfant, la bonté de m’apprendre
Si Lucinde n’est pas allée à l’Opéra.
L’ÉPINE.
Ah ! voyez donc comme elle répondra !
Lisette joue et s’en va.
Scène VI
LÉANDRE, L’ÉPINE
LÉANDRE.
Cette fille est vraiment d’un plaisant caractère,
Il faut que...
L’ÉPINE.
Non, jamais votre effort ne fera
Ce que tout le mien n’a pu faire.
Ici, depuis une heure entière,
Monsieur, je l’interroge en vain :
Je n’en ai pu tirer, pour toute répartie,
Que trois airs de Vielle avec un faut badin.
Pour Lucinde, je sais qu’elle est déjà partie.
LÉANDRE.
L’Épine, en es-tu bien certain ?
L’ÉPINE.
Oui, je suis sûr, Monsieur, qu’elle est sortie,
Car elle-même me l’a dit ;
Et qui plus est, elle vous prie
De l’aller trouver.
LÉANDRE.
Il suffit,
Je suis content.
L’ÉPINE.
Mais, Isabelle ?...
LÉANDRE.
Elle est à l’Opéra. J’ai pour garant fidèle,
J’ai ce billet qu’elle m’écrit.
Pour comble de fortune,
Géronte y doit aller aussi.
Comme je crains sa présence importune,
J’attends qu’il ne soit plus ici,
Pour voir en liberté l’aimable Mélanie.
L’ÉPINE.
Par elle vous voulez couronner la partie :
Mais Lucinde, Monsieur, vous parle par ma voix,
De l’aller joindre, elle vous presse.
LÉANDRE.
Sa sœur en fait autant par une lettre expresse,
Mais je ne puis pas, à la fois,
Les contenter toutes les trois.
J’ai, d’une exactitude extrême,
Satisfait Isabelle, à qui j’avais promis.
À Lucinde au moment précis,
L’Épine, j’ai tenu ma parole de même.
J’ai trop d’honneur pour tromper la troisième.
Rien n’égale en ce point ma ponctualité ;
Elle tient même de l’austère.
Un principe que j’ai de tout temps adopté,
Est qu’en Amour comme en affaire,
Il faut de l’ordre et de la probité
L’ÉPINE.
Oh ! selon moi, la vôtre est des plus admirables !
En même temps à trois filles aimables
Vous gardez la fidélité.
Un véritable amant différemment la prouve.
LÉANDRE.
Mais, tu me mets à tort au nombre des amants :
Songe que je ne suis qu’amateur des Talents
Que j’aime à cultiver partout où je les trouve.
L’ÉPINE.
Ce commerce pour vous est des plus amusants :
Mais satisfera-t-il ces trois objets charmants ?
Et croyez-vous, Monsieur, que leur père l’approuve ?
LÉANDRE.
S’il l’approuve, l’Épine ? Oh ! vraiment je le crois.
Il fait plus, il m’en presse, il me le recommande,
Et des mêmes Talents il est plus fou que moi.
Il veut qu’en sa maison ils donnent seuls la loi,
Tant dans son cœur cette fureur est grande.
L’ÉPINE.
Mais le pouvoir de ces Talents maudits,
Fera tourner la tête aux trois quarts de Paris.
À chaque instant, dans toutes les familles,
Dans tous les rangs, et dans tout les états,
Quels ravages ne font-ils pas ?
Que de femmes, Monsieur, et que de pauvres filles
Se laissent prendre à leurs traîtres appas !
Que d’Époux pervertis ! La force enchanteresse,
D’un gosier brillant et flatteur,
Fait préférer le fard au teint de la jeunesse,
Et l’artifice à la candeur ;
Négliger la beauté, dédaigner la sagesse :
Fait triompher le vice, et même la laideur.
LÉANDRE.
On fait des plus beaux dons les plus mauvais usages ;
Et de Talents tu cites les abus.
Mais ces mêmes abus prouvent leurs avantages,
Puisqu’ils ont sur nos sens des charmes absolus,
Même dans des sujets les moins dignes d’estime.
Juge sur nos esprits justement prévenus,
Jusqu’où va leur pouvoir, et leur droit légitime,
Quand ils se trouvent répandus
Sur des objets qu’un vrai mérite anime ?
Négliger leur secours, ou bien le dédaigner,
Est le défaut des plus honnêtes femmes,
Quand ce n’est que par eux qu’elles peuvent régner.
Pour fixer leurs maris, pour captiver leurs âmes,
C’est le seul art, s’il en est un.
Le plus bel œil, sans eux, est bientôt importun :
D’une conduite régulière,
Sans eux, l’Ennui devient le fruit le plus commun,
Dans leur étude nécessaire
Est renfermé le don d’amuser et de plaire :
On leur doit l’agrément de la société ;
Et pour se rendre aimable, il faut suivre leurs traces.
Les mœurs font la vertu, les traits font la beauté.
Et les Talents forment les grâces.
L’ÉPINE.
Souvent aussi, Monsieur, ils forment en détail
Le grand art et le jeu de la minauderie ;
L’exercice de l’Éventail,
Le regard en dessous, modeste agacerie,
La fureur de pincer sa lèvre de corail,
De ses dents pour montrer l’émail,
Le rire plein d’affecterie,
Les airs penchés et.tel autre attirail,
Avant-coureurs certains de la coquetterie.
LÉANDRE.
La beauté que j’attends ici
N’est pas telle ; mais la voici.
Scène VII
LÉANDRE, MÉLANIE
MÉLANIE.
Ah ! nous pouvons enfin nous parler sans obstacle :
Mon père et mes deux sœurs sont allés au spectacle.
Moi, je vous avouerai que je n’y vais jamais,
Que pour y voir danser dans les ballets.
LÉANDRE.
J’adore comme vous la Danse ;
Rien n’égale son éloquence.
Les pas expriment plus cent fois que les discours.
Quand on emprunte leurs secours,
La conversation n’est jamais languissante.
Ah ! ce coulé la relève toujours.
MÉLANIE.
Et ce pas de côté la rend intéressante.
Celle qui parle aux yeux est la plus amusante.
LÉANDRE.
Pour commencer notre entretien flatteur,
En arrivant, d’abord je vous salue,
En brillant et leste Danseur,
Qui fixant avec grâce une amoureuse vue,
Sur tous les mouvements de sa jambe tendue,
Est son premier admirateur.
MÉLANIE.
Et moi, je vous reçois avec l’air de grandeur
Qu’étalent à nos yeux nos Danseuses illustres,
De qui les bras par leur hauteur
Semblent vouloir toucher, et dépendre les Lustres.
LÉANDRE.
Ce développement annonce que mon cœur
Va devant vous dévoiler sa langueur.
MÉLANIE.
Ce mouvement soudain qu’un trouble feint anime,
Prouve au moins que je sais bien jouer la pudeur.
LÉANDRE.
Chassez une injuste frayeur.
Ce pas de Loure vous exprime
La plus parfaite et la plus tendre estime.
MÉLANIE.
Et je réponds à cet aveu discret,
Par quatre pas de menuet.
LÉANDRE.
Vous méprisez ma flamme sérieuse ;
Puisque vous n’aimez pas la Danse langoureuse,
Je vais plus vivement marquer mon feu secret.
Il fait la pirouette et plusieurs jetés-battus.
MÉLANIE.
Je redoute un amour si vif et si coquet.
Adieu, je fuis à tire d’aile,
Et j’imite, en courant, le vol de l’Hirondelle.
LÉANDRE.
Cruelle ! vous fuyez, mais vos efforts sont vains ;
Pour vous punir d’une telle incartade,
Je vous poursuis, je vous atteins,
Et je vous ferme les chemins
Par une gargouillade.
MÉLANIE.
Je ne puis plus marcher. Que vais-je devenir ?
Dans ce danger pressant ne perdons point la tête.
Puisqu’on m’empêche de courir,
Il faut bien, malgré moi, que tout court je m’arrête.
Mais ne restons point sans agir.
Pour voltiger, si je n’ai plus d’espace,
Par mes mines du moins tâchons de le fléchir.
Regardez le contour de ce bras plein de grâce,
Il vous dit tendrement : Est-ce donc par l’audace
Que l’on parvient à se faire chérir ?
LÉANDRE.
Je suis vaincu moi-même, et vous demande grâce :
Par la seule douceur je veux vous attendrir ;
Par mille petits soins j’espère y réussir.
Mes pieds auprès de vous ne tiennent point en place.
Mon cœur est transporté ! Que je baise ce bras.
MÉLANIE.
Le baiser ! Doucement, car ce n’est pas un pas.
LÉANDRE.
C’est une expression, il en faut dans la Danse.
Je puis d’ailleurs le baiser en cadence.
Ah !
Il lui baise le bras en dansant.
MÉLANIE.
Taisez-vous, petit badin,
Mon cœur en est ému, ma vertu s’en offense.
Vous m’avez fait un vrai chagrin.
LÉANDRE.
Votre pudeur a tort, dites-lui de se taire.
MÉLANIE.
Je me fâcherais à la fin :
Respectez mieux la bienséance.
LÉANDRE.
Mes moindres pas sont soumis à son frein ;
Et jusques dans mes sauts je mets de la décence.
MÉLANIE.
Le Danseur qu’elle guide, est le plus séducteur.
LÉANDRE.
Je vais donc employer son coloris flatteur.
MÉLANIE.
De ce pas là j’admire l’élégance.
LÉANDRE.
De celui-ci regardez la douceur.
MÉLANIE.
Qu’il est tendre ! Ah ! je sens qu’il me ravit le cœur !
Je combats vainement sa puissance secrète.
LÉANDRE.
Ô ciel ! Est-il bien vrai ? Suis-je votre vainqueur ?
MÉLANIE.
Cette attitude-là vous marque ma défaite.
LÉANDRE.
Que mon bonheur est doux ! Que ma joie est parfaite !
Et que ma victoire a d’éclat !
Je vais la célébrer par un double entrechat.
MÉLANIE.
Non, modérez plutôt l’ardeur qui vous domine.
Soyez vainqueur modeste, et triomphez sans bruit.
Si l’amour propre où votre cœur incline,
Veut célébrer un bien qui le séduit,
Que ce soit par une sourdine.
LÉANDRE.
Ainsi qu’un Papillon, je vole sans fracas.
Mon essor est rapide, et l’on ne l’entend pas.
MÉLANIE.
Vous imitez par l’inconstance
Ce même Papillon dont le vol est si doux.
LÉANDRE.
Par mes pas seulement j’imite son silence.
Si l’on me voit voler, ce n’est qu’autour de vous.
Il voltige autour d’elle.
MÉLANIE.
Et moi je voltige incertaine...
La raison me retient, et le penchant m’entraîne.
Tantôt je suis mon inclination,
Et je cède tantôt à la réflexion.
L’amour veut triompher, l’effroi vient le combattre.
Il me fait reculer trois pas.
LÉANDRE, lui tendant la main.
Ah ! Dans le même instant, pour en avancer quatre,
L’Amour vous présente mon bras.
MÉLANIE.
J’accepte avec plaisir le secours qu’il m’envoie.
Léandre, enfin vous l’emportez ;
Et cette main que vous me présentez
Me ramène au penchant dont je deviens la proie.
LÉANDRE.
Vous comblez mon ravissement !
Par un doux entrelacement,
Que de notre union nos bras peignent la joie !
Et par nos pas, que nos pieds, tour à tour,
Tracent en l’air divers chiffres d’amour.
Scène VIII
LÉANDRE, MÉLANIE, LUCINDE
LUCINDE.
Vous formez un tableau, dont j’admire la grâce.
L’attitude est parlante, et je viens l’applaudir.
MÉLANIE.
Qui vous oblige donc sitôt à revenir ?
LUCINDE.
Nous n’avons pas trouvé de place.
Pour vous, vous employez fort bien votre repos :
Vous avez vos raisons pour rester solitaire ;
Et la Danse particulière
Vous paraît préférable aux Ballets généraux.
À Léandre.
Pour vous, Monsieur, je dois vous faire une querelle.
Votre temps est bien pris pour danser avec elle ?
LÉANDRE, bas à Lucinde.
Ah ! De grâce, ne dites rien.
LUCINDE.
Rassurez-vous, ma sœur est dans ma confidence,
Ce que j’en fais est pour un bien.
Vous avez tous les deux bientôt fait connaissance ?
MÉLANIE.
Vous même, à ne vous rien nier,
Vous parlez à Monsieur d’un air bien familier ?
LÉANDRE, bas à Mélanie.
Pour votre gloire, ici ne faites rien paraître.
MÉLANIE.
Non, non ; ce point par moi veut être démêlé.
Votre ton me surprend.
LUCINDE.
Il est tel qu’il doit être.
MÉLANIE.
Vous avez donc l’honneur de le connaître ?
LUCINDE.
Oui vraiment, c’est celui dont je vous ai parlé.
MÉLANIE.
Quoi ! Votre Chanteur est Léandre ?
LUCINDE.
Il vous a déjà dit son nom ?
MÉLANIE.
Lucinde, quelle trahison !
Autant qu’elle m’étonne, elle va vous surprendre.
Ce beau Musicien qui vous donne le ton,
Est mon maître à danser, puisqu’il faut vous l’apprendre.
LUCINDE.
Ah, le coquet !
MÉLANIE.
Ah, le fripon !
Scène IX
LÉANDRE, MÉLANIE, LUCINDE, ISABELLE
ISABELLE.
Léandre, je vous cherche, et je suis très ravie
De vous trouver présentement ici.
LUCINDE.
Isabelle le nomme, et le connaît aussi !
ISABELLE.
Je puis parler devant Lucinde et Mélanie,
Elles savent notre secret.
Je sors d’avec mon père, et sur votre sujet,
Il vient de s’expliquer d’une façon charmante.
Son amitié pour vous est surprenante ;
Et pour en resserrer plus fortement les nœuds,
Son âme impatiente
Veut que l’hymen, ce soir, nous unisse tous deux.
MÉLANIE.
Vous comptez être son épouse ?
ISABELLE.
Oui ; vous ne devez pas en paraître jalouse,
C’est le Bel-esprit qui me sert.
MÉLANIE.
Il ne vous sert pas seule, et j’ai droit d’y prétendre,
C’est mon homme du Bal.
LUCINDE.
Et celui du concert.
ISABELLE.
Ce discours me passe à l’entendre,
Je n’ai jamais rien vû de tel !
Mais c’est donc l’homme universel ?
LUCINDE.
Pour moi, je n’y puis rien comprendre.
MÉLANIE.
Vous chantez, vous dansez, et vous faites des Vers ?
C’est réunir, Monsieur, trop de talents divers.
ISABELLE.
Mais quel est donc l’espoir où votre esprit se fonde,
Et quel rôle ici faites-vous ?
LÉANDRE.
Mais, celui d’un homme du monde.
Sans faire des talents une étude profonde,
Il doit prendre la fleur de tous,
Et choisir, pour y faire un progrès convenable,
Et se former un goût qui ne soit pas commun,
Une Maîtresse dans chacun.
LUCINDE.
Mais la méthode est admirable !
Et le voile est charmant pour sa légèreté.
LÉANDRE.
C’est un devoir indispensable,
Dont le monde lui fait une nécessité.
Il faut, pour le former, plus d’un Talent aimable,
Comme pour composer un Bouquet agréable,
Il faut plusieurs sortes de fleurs.
On y doit marier, par un adroit mélange,
Qui fasse sortir les couleurs,
L’Œillet et la Grenade, avec la fleur d’Orange,
Vous rassemblez toutes les trois,
Les différentes fleurs dont mon cœur a fait choix.
MÉLANIE.
Mes Sœurs et moi, nous sommes la Grenade,
La fleur d’Orange, avec l’Œillet,
Dont Monsieur forme son Bouquet
Pour réveiller son goût malade.
C’est beaucoup d’honneur qu’il nous fait !
ISABELLE.
Apprenez qu’en voulant effleurer chaque chose,
Vous prenez un mauvais parti.
Il vaut mieux ignorer, qu’être instruit à demi.
LÉANDRE.
À votre sentiment souffrez que je m’oppose.
Trop de savoir fait un pédant,
Et l’extrême ignorance un sot impertinent,
De qui l’entretien nous assomme.
Un peu de tout est justement
La devise de l’honnête homme.
LUCINDE.
On n’a qu’à l’écouter ; il n’aura jamais tort.
ISABELLE.
Pour moi, je ne sais plus que dire.
MÉLANIE.
Je voudrais contre lui me fâcher et très fort ;
Mais inutilement, il est fait pour séduire.
Scène X
LÉANDRE, MÉLANIE, LUCINDE, ISABELLE, GÉRONTE
GÉRONTE.
Je viens dans ce moment, je viens hâter les nœuds,
Qui vont nous rendre tous heureux.
Mon cher Léandre, en épousant ma fille,
Vous ferez le bonheur de toute ma famille.
LÉANDRE.
L’honneur que je reçois flatte mes plus doux vœux,
Et me voir votre Gendre est un bien où j’aspire :
Mais l’embarras du choix, puisqu’il faut vous le dire,
Tient mes esprits, Monsieur, dans la perplexité.
Pardonnez à l’aveu, plein de sincérité,
Que je suis forcé de vous faire.
Tout m’en fait dans ce jour une loi nécessaire.
Je l’avoue à ma honte, aux traits de la beauté,
J’ai toujours eu le cœur inaccessible.
C’est pour les Talents seuls que je suis né sensible.
Je leur rends tour-à-tour, un hommage assidu.
La Danse, la Musique, avec la Poésie,
Règnent également sur mon âme asservie,
Et tiennent mon goût suspendu.
Chacune de ces Demoiselles
Possède un de ces dons dans un degré divin.
Voilà ce que j’admire en elles,
Et voilà ce qui rend mon esprit incertain.
GÉRONTE.
Mais j’ai choisi pour vous ; Isabelle est l’aînée,
Et ma main vous l’a destinée.
ISABELLE.
Non, je renonce aux droits des ans.
Il n’est pas question de leur prééminence.
Il s’agit aujourd’hui de celle des Talents.
Ils se trouvent en concurrence.
Je ne dispute ici que pour l’honneur du mien.
LUCINDE.
Je ne dois pas céder en rien.
La gloire de mon art s’y trouve intéressée.
MÉLANIE.
Attendez, il me vient une bonne pensée.
De finir la dispute, elle m’offre un moyen,
Qui paraît le plus simple, et même le plus sage.
Pour juger quel Talent doit avoir l’avantage,
Et couronner l’une de nous,
Il faut qu’en lice ils entrent tous.
Si vous vouiez l’approuver l’une et l’autre.
Chacune nous pouvons faire briller le nôtre,
Tout à l’heure dans un Ballet,
Dont j’ai conçu le plan et qui vient au sujet.
Ce sont les trois Muses Rivales,
Différentes de goût, mais en mérite égales.
Celles dont mon art a fait choix,
Sont Melpomène, Erato, Terpsicore,
Qui se disputent à la fois,
L’honneur de soumettre à leurs lois
Un génie agréable et plus léger encore.
À Isabelle.
Vous serez Melpomène, et Lucinde Erato ;
Moi, je serai la muse de la Danse ;
Léandre, le Génie enclin à l’inconstance.
Qui volera tout autour du Trio.
Celle de nous, dont l’art et la puissance,
Près d’elle fixeront ce Silphe favori,
Obtiendra la victoire, et l’aura pour mari.
GÉRONTE.
Je trouve cette idée heureuse,
Et je donne mon agrément
D’avance à la victorieuse.
LUCINDE.
Sans balancer un seul moment,
J’accepte le parti, sûre que la victoire
Va, bientôt, par mes soins, pencher en ma faveur.
ISABELLE.
J’y consens aussi de bon cœur,
Et j’espère y trouver ma gloire.
LÉANDRE.
Moi, je suis sûr d’y trouver mon bonheur.
La Pièce dénoue par une Pantomime, où l’on voit d’abord Melpomène endormie. Plusieurs Songes volent autour d’elle, et veulent empêcher le Génie qui paraît d’approcher du Trône où elle repose. Melpomène se réveille, écarte les Songes, et le Génie lui fait tendrement l’aveu de sa passion, et se jette à ses genoux ; il a le bonheur de la fléchir. Elle l’arme du Poignard tragique, à la saveur duquel il met ensuite les Songes jaloux, et tous deux vont se placer sur le même Trône. On entend une symphonie qui annonce l’arrivée d’Erato. Le Génie inconstant se sent attirer par ces nouveaux sons, et quitte Melpomène pour suivre la Muse de l’Harmonie, qui va s’asseoir avec lui sur un siège de gazon. Les Suivants d’Erato célèbrent sa victoire en dansant au son de la flûte dont le Génie joue. Cette symphonie est interrompue par une beaucoup plus vive, qui caractérise la Muse de la Danse. Terpsicore paraît au milieu de sa Cour en formant une contre-danse. Le Génie ne peut résister à l’ascendant vainqueur du plus séducteur des Talents. Il abandonne Erato, et se livre tout entier aux charmes de Terpsicore, qui triomphe de ses deux sœurs. La Fête finit par un Tambourin dansé par le Génie, et par la Déesse des Entrechats.