Cartouche (Marc-Antoine LEGRAND)

Comédie en un trois actes, en prose.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 11 octobre 1721.

 

Personnages

 

ORONTE, riche Négociant

ISABELLE, fille d’Oronte

VALÈRE, Amant d’Isabelle

PATAUT, Négociant d’Angoulême, promis à Isabelle

GRIPAUT, Clerc de Procureur, et Voleur

CARTOUCHE, Capitaine des Voleurs

LE FRÈRE DE CARTOUCHE, Filou

LA BRANCHE, Lieutenant de Cartouche

HARPIN, Voleur

BELHUMEUR, Voleur

LA RAMÉE, Voleur

LA PINCE, déguisé en Serrurier

TROIS PETITS FILOUS, l’un déguise en Mitron, et les deux autres en Décrotteurs

LA MOUCHE, déguisé en Cuistre

LE MAÎTRE DE LA GINGUETTE

DEUX GARÇONS DE CABARET

MADAME GRIBICHE, Receleuse

JASMIN, Laquais de M. Oronte

UN EXEMPT

LA VALEUR, Archer

RODOMONT, Archer

UN AUTRE EXEMPT

PLEUSIEURS AUTRES ARCHERS

MUSICIENS, DANSEURS, ACTEURS du divertissement

 

La Scène est à Paris.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre représente une Guinguette des environs de Paris.

 

 

Scène première

 

VALÈRE, GRIPAUT

 

VALÈRE.

Hé bien, Monsieur Gripaut, où en sommes-nous ?

GRIPAUT.

Monsieur Pataut votre Rival arrive ce soir à huit ou neuf heures. Je m’en suis informé au Coche d’Angoulême.

VALÈRE.

Et demain il épousera Isabelle ? Me voilà bien !

GRIPAUT.

Hé, là là, doucement ; c’est ce qu’il faudra voir. Monsieur Oronte vous l’a promise, et il ne sera pas quitte pour s’en dédire ainsi.

VALÈRE.

Si tu n’avances pas plus que tu as fait jusqu’à présent, j’en serai la dupe ; car je sais de bonne part que M. Oronte a fait tous les préparatifs nécessaires pour marier demain sa fille. Les Musiciens même sont mandés pour un Concert, dont il veut ce soir régaler mon rival à son arrivée.

GRIPAUT.

Et moi, je vous assure que M. Pataut s’en retournera à Angoulême, sans entendre ce Concert-là.

VALÈRE.

Se peut-il que M. Oronte me veuille ainsi manquer de parole, pour un benêt qu’il n’a jamais vu, et qui n’a d’autre mérite, à ce qu’on m’a dit, que d’être le fils d’un riche Marchand d’Angoulême son ancien ami ?

GRIPAUT.

Et n’est-ce rien que d’être le fils d’un homme riche et libéral ? Il a déjà envoyé à sa Bru un collier superbe, et des boucles d’oreilles magnifiques. Votre père n’en ferait pas autant pour vous. Mais revenons à notre affaire. Je cherche depuis ce matin quelque gens de mains, pour m’aider dans ce que je projette, et je n’ai pu encore trouver personne.

VALÈRE.

Et comment feras-tu donc ?

GRIPAUT.

Je ferai l’affaire moi seul. Si je réussis, j’en aurai plus de gloire. Mais aussi, Monsieur Valère, vous me tiendrez ce que vous m’avez promis.

VALÈRE.

Tu peux t’en assurer. Si j’épouse Isabelle par ton moyen, je te faciliterai celui d’acheter la Charge de mon Père.

GRIPAUT.

Vous voyez, je m’ennuie d’être Clerc ; je ne trouve là que de quoi grappiller ; et je me sens toutes les inclinations qu’il faut pour faire en peu de temps une fortune considérable, quand je travaillerai pour mon compte.

VALÈRE.

Tu n’as pas lieu de te plaindre : depuis que tu es Clerc de mon Père, tu as assez fait valoir le talent.

GRIPAUT.

Je compte tout cela pour rien. Après avoir fait tant de métiers différents dans ma vie pour attraper le bien d’autrui, je veux couronner l’œuvre en devenant Procureur.

VALÈRE.

Il ne tiendra pas à moi que tu ne le sois. Mon Père a beau faire, je me sens trop d’inclination pour le commerce, pour embrasser jamais sa profession. Mais revenons à M. Pataut. Sur le Portrait qu’on t’en a fait, crois-tu pouvoir le reconnaître ?

GRIPAUT.

Oh que oui. On vous mande-que c’est une taille empruntée ? un visage hébété, je sais sa figure par cœur, et je le reconnaîtrais entre cent. Mais j’aperçois un drôle, qui je crois, ne m’est pas inconnu ; Si c’est celui que je m’imagine, il vous sera d’un grand secours. Retirez-vous pour cause, et me laissez l’aborder.

VALÈRE.

Volontiers.

 

 

Scène II

 

GRIPAUT, LA BRANCHE

 

GRIPAUT, à part.

Me trompai-je ? non. C’est lui-même.

LA BRANCHE, à part.

Voilà un homme qui me regarde bien. Ne serait-ce point quelque mouche ?

GRIPAUT.

Est-ce toi, mon pauvre la Branche ?

LA BRANCHE.

Est-ce toi, mon cher Gripaut ? quelle surprise de te voir, à Paris ! On disait que tu étais sur mer.

GRIPAUT.

J’y ai servi trois ans avec un brevet de la Cour du Parlement ; mais ma foi j’ai quitté tout cela.

LA BRANCHE.

Hé pourquoi ?

GRIPAUT.

Ah mon ami, la Marine est bien tombée depuis un temps.

LA BRANCHE.

Et avais-tu quelque emploi considérable.

GRIPAUT.

J’étais Chef...

LA BRANCHE.

D’Escadre ?

GRIPAUT.

Non, de Rame.

LA BRANCHE.

C’est-à-dire Espalier. Je m’étonne que tu aies quitté un si bon poste.

GRIPAUT.

La réforme est venue, il a fallu prendre un parti comme les autres, et je me suis jeté dans la Robe. Je suis clerc de Procureur.

LA BRANCHE.

Clerc de Procureur ? comment tu déroges ainsi ? tu as donc abandonné tout-à-fait la profession ? Je t’ai vu autrefois le plus subtil coupeur de bourses, et le plus hardi arracheur d’épée qu’il y eût à Paris. Je ne me serais jamais imaginé que tu eusses pu quitter ce noble métier.

GRIPAUT.

Je ne l’ai pas quitté pour cela, mais je l’exerce d’une manière plus relevée, et moins dangereuse ; et j’en fais plus à présent en un coup de plume, que je n’en aurais fait autrefois en dix coups de ciseaux.

LA BRANCHE.

Tu as beau dire ; le métier que tu as quitté valait mieux que celui que tu as pris.

GRIPAUT.

Oh ! tu as beau dire toi-même. Il se fait de grands coups dans notre Étude. Mais toi, quel est ton emploi maintenant ?

LA BRANCHE.

Je suis Lieutenant d’une Compagnie franche.

GRIPAUT.

Et où êtes-vous en garnison ?

LA BRANCHE.

Dans Paris.

GRIPAUT.

Et où montez-vous la garde ? je n’ai point encore vu passer votre Compagnie.

LA BRANCHE.

C’est que nous marchons ordinairement de nuit, et sans tambour.

GRIPAUT.

J’entends. Et quel est le nom de votre Capitaine.

LA BRANCHE.

Cartouche.

GRIPAUT.

Ah ! j’en ai entendu parler. N’est-ce pas cet homme imprenable ?

LA BRANCHE.

Justement.

GRIPAUT.

Comment, nous n’avons point d’Officier aujourd’hui qui ait plus de réputation que lui pour les ruses de guerre.

LA BRANCHE.

C’est un Capitaine qui joint l’adresse au courage ; jamais Général n’a fait de si belles retraites.

GRIPAUT.

On dit qu’il fatigue un peu ses Troupes, et qu’il décampe tous les jours assez brusquement.

LA BRANCHE.

Brusquement tant qu’il vous plaira. Il décampe toujours à propos, et c’est le grand art de ceux qui, comme lui, ne commandent qu’un camp volant.

GRIPAUT.

Et votre Compagnie est-elle bien entretenue ?

LA BRANCHE.

Tu le peux croire. Nous campons tous les jours en terre ennemie. Nous avons mis Paris à contribution.

GRIPAUT.

Et où est à présent votre Capitaine ?

LA BRANCHE.

Il est campé près de cette petite Guinguette, où il a mis un sauve-garde, parce que le Maître est de nos amis.

GRIPAUT.

Et que fait-il à présent ?

LA BRANCHE.

Il va tenir Conseil, faire rendre compte à ses gens, des contributions de la nuit dernière, et de ce qu’on a enlevé aux Ennemis.

GRIPAUT.

Morbleu ! j’aurais un bon coup à lui proposer, mais j’en voudrais tirer mon estaffe, car je suis terriblement endetté.

LA BRANCHE.

Hé bien, quand tu voudras, nous payerons toutes tes dettes dans un moment, comme nous ayons fait autrefois à un de nos amis.

GRIPAUT.

Et comment cela ?

LA BRANCHE.

Tu n’auras qu’à faire assembler tous tes créanciers dans un endroit, Cartouche leur comptera leur argent ; et quand tu auras tiré tes Billets, nous les attendrons en bas pour les voler.

GRIPAUT.

Mais vraiment, cela n’est pas mal imaginé.

LA BRANCHE.

Mais il faudrait pour cela que tu t’engageasses dans la Compagnie, et que tu prêtasses serment de fidélité entre ses mains, car il ne se fie point aux Étrangers.

GRIPAUT.

Et ne peux-tu pas répondre de moi ?

LA BRANCHE.

Cela ne servirait de rien.

GRIPAUT.

Mais que diable ! moi qui suis à la veille d’entrer dans le Corps des Procureurs, tu me proposes d’entrer dans celui des voleurs... je n’ai pas plus de scrupule pour l’un, que pour l’autre ; mais enfin...

LA BRANCHE.

Mais enfin, il faut opter, tu ne peux pas être à la fois et de robe et d’épée.

GRIPAUT.

Tu me fais-là une plaisante difficulté. Est-ce que je ne pourrais pas être Procureur le matin, et voleur le soir.

LA BRANCHE.

Si notre Capitaine y consent, je le veux bien. Mais le voici, ne t’éloigne pas. Je te présenterai quand il en sera temps.

 

 

Scène III

 

CARTOUCHE, LA BRANCHE, HARPIN, BEL-HUMEUR, LA RAMÉE, LA PINCE, LE PETIT FRÈRE DE CARTOUCHE, MADAME GRIBICHE, TROIS PETITS FILOUX, UN CABARTIER, DEUX GARÇONS DE CABARET

 

CARTOUCHE.

Chers Compagnons de fortune, généreux défenseurs de votre liberté, à tous présents salut, argent, et bon appétit ; pour de l’honneur, je ne vous en souhaite point, vous vous en passerez bien, et moi aussi. Quand j’examine, mes chers Frères, la vicissitude des choses, je trouve que le proverbe a bien raison, qui dit, Que les jours se suivent, mais qu’ils ne se ressemblent pas. Sur cette mer orageuse où nous voguons, tous les moments de notre vie sont mêlés d’espoir et de crainte, de bonheur et d’infortune ; d’abondance et de disette, de plaisir et de chagrin. Toute la science de notre profession ne consiste qu’en deux choses ; à prendre, et à n’être point pris. Tout le bien d’autrui est à nous, si nous sommes assez adroits pour nous en saisir. Mais aussi nous sommes perdus sans ressource, si nous sommes assez malheureux de tomber entre les mains de nos Ennemis ; et c’est ce qui mérite notre attention plus que jamais. L’expérience nous a fait voir jusqu’ici, qu’ils traitaient fort mal leurs prisonniers de guerre, et qu’ils n’avaient jamais eu la politesse d’en renvoyer aucun sur sa parole. Tout ceci considéré, mes chers Camarades, j’attends vos avis pour décider sur le parti que nous avons à prendre pour notre profit, et pour notre sûreté. Resterons-nous dans Paris ? Irons-nous battre l’antiphe[1] sur le grand trimar ? Parlez, et que chacun dise son sentiment à son tour, selon son rang d’ancienneté.

LA BRANCHE.

Puisqu’il est permis de parier librement, je vous dirai, grand Capitaine, que votre renommée vous fait tort, et que le nombre de vos conquêtes augmente tous les jours celui de vos Ennemis. Dans Paris, depuis un temps on ne se fait plus de compliments, on ne se donne pas seulement le bon jour : on n’a autre chose à se demander, quand on se rencontre : Cartouche est-il pris ? Ah ! quittez cette Ville ingrate, qui vous a vu naître, et qui voudrait vous voir périr. Songez que les antres affreux, les sombres carrières, les montagnes et les bois sont désormais vos seules retraites. Partez donc, et conservez une vie qui nous est si précieuse, et à laquelle est attachée celle de tant d’honnêtes gens qui composent cette illustre assemblée. C’est à quoi je conclus.

HARPIN.

Je ne suis pas de ce sentiment, et je suis persuadé que notre Capitaine ne saurait mieux faire que de rester dans Paris. Tous les passages sont gardés, et toutes les Maréchaussées ont son portrait. Et d’ailleurs, où ferions-nous en Campagne le moindre des coups que nous faisons à Paris ? Mais je suis d’avis que notre Général s’expose un peu moins. On le rencontre partout, aux Gobelins, à l’Opéra, à la Comédie, au bal, aux feux d’artifice, il veut être de toutes les fêtes.

CARTOUCHE.

Et c’est ce qui fait ma sûreté et ma gloire, de dire qu’on me cherche sans cesse, et qu’on me trouve partout, sans oser m’attaquer.

HARPIN.

Restons donc à Paris.

BEL-HUMEUR.

C’est mon avis.

LA RAMÉE.

C’est aussi le mien.

LA PINCE, ôtant son bonnet de Serrurier.

J’opine du bonnet.

CARTOUCHE.

Je passe au plus de voix. Restons donc dans Paris ; et s’il nous y faut périr, périssons du moins les armes à la main. C’est ce que j’attends de votre courage, et ce que vous devez attendre de mon intrépidité. Passons à une autre affaire. Ça, Messieurs, que chacun rapporte à la masse le butin de cette nuit. Qu’est-ce qui a fait la ronde sur le Pont-neuf ?

LA RAMÉE.

Mon Capitaine, c’est l’Éveillé, Sans-rémission, et moi.

CARTOUCHE.

Qu’avez-vous enlevé ?

LA RAMÉE.

Quatre épées, et deux cannes à pommes d’or.

CARTOUCHE.

Où sont-elles ?

LA RAMÉE.

Les voilà.

CARTOUCHE, regardant les épées.

Je vous ai déjà dit que je ne voulais que des épées d’argent. Voilà de belles guenilles que vous m’apportez là. Je ne sais qui me tient que je ne vous les envoie reporter.

LA RAMÉE.

Les poignées sont assez fortes, et il me paraît qu’elles sont assez chenues[2] pour ce qu’elles nous coûtent.

CARTOUCHE.

Allons, passons. Mais une autre fois ayez plus d’attention. Qu’est-ce qui a travaillé dans la rue saint Denis ?

HARPIN.

Sans-quartier, l’Estocade, et moi.

CARTOUCHE.

Qu’avez-vous pincé[3] ?

HARPIN.

Six pièces de toile, et quatre de mousseline.

CARTOUCHE, examinant la toile.

Voyons-les. Comment ? Ce n’est que de la demi-Hollande ; et voilà de la mousseline qui est effroyable.

HARPIN.

Ma foi, Monsieur, on ne trouve plus rien dans les Boutiques, depuis que les Agioteurs ont des Magasins.

CARTOUCHE.

À d’autres. Qu’est-ce qui a trimé[4] dans la rue des Noyers ?

BEL-HUMEUR.

La Fantaisie, Fond-de-cale, et moi.

CARTOUCHE.

Qu’avez-vous trouvé ?

BEL-HUMEUR.

Deux Commis de la Douane ivres, avec deux Marquises du hasard, qui venaient de souper chez Chéret.

CARTOUCHE.

Que leur avez-vous pris ?

BEL-HUMEUR.

Leurs habits et leurs vestes glacées.

CARTOUCHE.

Et quoi encor ?

BEL-HUMEUR.

Rien.

CARTOUCHE.

Comment rien ? Est-ce que les Commis de la Douane n’ont pas à présent des montres et des tabatières d’or ?

BEL-HUMEUR.

Vous avez raison, mais les Marquises les leur voient déjà volées.

CARTOUCHE.

Qu’on aille demain faire tapage chez ces Marquises-là ? je leur apprendrai à frauder ainsi les droits du Bureau : il faut que cela nous revienne. Qu’est-ce qui a campé dans la rue Fromenteau ?

LA PINCE.

Sans-oreille, le Débrideux, et moi.

CARTOUCHE.

Qu’avez-vous rencontré ?

LA PINCE.

Un Abbé en manteau d’écarlate, qui venait de souper en Ville.

CARTOUCHE.

Avait-il de l’argent ?

LA PINCE.

Non ; il n’avait dans sa poche qu’un éventail, et une boîte à mouches.

CARTOUCHE.

Voilà une assez mauvaise récolte. Qu’est-ce qui était de garde au Faubourg St-Germain ?

LA BRANCHE.

Brûle-Moustache, Brise-Mâchoire, et moi.

CARTOUCHE.

Qu’apportez-vous ?

LA BRANCHE.

Nous ne savons encore. Nous avons rencontré un Gascon, qui nous adonné bien de la tablature. Il n’avait pas un sou dans sa poche.

CARTOUCHE.

Cela est étonnant !

LA BRANCHE.

Et il nous a voulu persuader que c’était à nous à lui en donner.

CARTOUCHE.

Et comment cela ?

LA BRANCHE.

Quand j’ai été à lui le pistolet à la main, la bourse ? (et cadedis, mon cher, j’allais vous la demander,) cependant je ne m’en suis pas tenu là, et je lui ai pris ce Portefeuille. Il faut que ce soit quelque chose de considérable, car à peine était-il loin de nous, qu’il, a réveillé tous les voisins, en criant, au Guet, au Voleur, je suis ruiné. Ce Maraud-là a pensé nous faire prendre ; car le Guet était à vingt pas de là.

CARTOUCHE.

Voyons un peu ce que contient ce portefeuille.

Il lit.

Généalogie du Chevalier Castel-Mince. Voilà déjà un bon effet. Par Sentence du Châtelet... Fort bien. Par Sentence des Consuls... Encore ! À la requête de Toussaint Mille-Pièces, Maître Tailleur... Hé, que diable, il n’y a là que des Assignations. Messieurs je ne suis pas content de cela, et il y a ici quelque Fripon qui vole ses camarades.

TOUS ENSEMBLE.

Ah !

LA BRANCHE.

Ah ! mon Capitaine, croyez que vous n’avez affaire qu’à d’honnêtes gens.

CARTOUCHE.

J’en doute. Messieurs, volons, pillons partout où bon nous semblera, mais point de friponneries entre nous autres.

LA BRANCHE.

Je crois qu’il n’y a personne ici qui voulût se déshonorer par de telles actions.

CARTOUCHE, à son frère.

Et vous, petit drôle, n’avez-vous rien bouliné[5] ?

LE PETIT FRÈRE.

Non, mon Frère. On m’a surpris hier au soir la main dans la poche d’une Dame qui sortait de l’Opéra ; on m’a assommé de coups, et j’ai eu toutes les peines du monde à me sauver.

CARTOUCHE.

Hé, le maladroit ! il aura pris une poche pour l’autre. Ce petit Pendard-là ne vaudra jamais rien. Ce n’est pourtant pas manque de bonne éducation.

LE PETIT FRÈRE.

Est-ce ma faute à moi, cette Dame là était chatouilleuse.

CARTOUCHE.

Va, misérable, tu ne vaudras jamais ton frère. Je n’avais pas ton âge, que je crochetais déjà des serrures.

LA BRANCHE.

Il faut se donner patience. Les commencements en tout sont difficiles. Cela se dénouera ; il suffit qu’il soit enfant de la bale.

CARTOUCHE.

Ne parlons plus de cela, Madame Gribiche !

MADAME GRIBICHE.

Plaît-il, Monsieur ?

CARTOUCHE.

Portez toutes ces nippes sous les Halles à Madame de Friponnenville, qu’elle nous ait au plutôt de l’argent, et à quelque prix que ce soit. Entendez-vous ?

MADAME GRIBICHE.

Oui, Monsieur.

CARTOUCHE.

Allez.

Madame Gribiche et les deux Garçons du Cabaret s’en vont.

 

 

Scène IV

 

CARTOUCHE, LA BRANCHE, HARPIN, BEL-HUMEUR, LA RAMÉE, LA PINCE, LE PETIT FRÈRE DE CARTOUCHE, TROIS AUTRES PETITS FILOUS

 

CARTOUCHE.

Vous, Harpin, allez au Pont-Neuf chez notre Fourbisseur ordinaire, qu’il ait soin de déguiser promptement ces épées, et qu’il n’oublie pas de mettre les poignées des unes aux gardes des autres.

HARPIN.

Il ne faut pas lui recommander cela ; non plus qu’à notre Horlogeur de changer les montres de boîtes.

 

 

Scène V

 

CARTOUCHE, LA BRANCHE, BEL-HUMEUR, LA RAMÉE, LA PINCE, GRIPAUT, LE FRÈRE DE CARTOUCHE, TROIS PETITS FILOUS

 

CARTOUCHE.

La Branche, voyez ce que demande cet homme-là.

LA BRANCHE.

Mon Capitaine, c’est un de mes anciens amis ; un honnête garçon, qui cherche à faire une fin, et qui aurait toutes les envies du monde de s’engager dans votre Compagnie.

CARTOUCHE.

Volontiers. Est-ce un homme de bonnes mœurs ?

LA BRANCHE.

Elles ne corrompront point les nôtres.

CARTOUCHE.

Me répondez-vous de sa probité ?

LA BRANCHE.

Comme de la mienne. Je le connais de longue main.

CARTOUCHE, à Gripaut.

Qu’il s’avance. Avez-vous du service mon ami ?

GRIPAUT.

Oui, Monsieur j’ai fait trois campagnes aux Foires de Beaucaire, et j’ai eu l’honneur d’assister en personne à l’attaque du Coche de Lyon.

CARTOUCHE.

Cela est bon.

GRIPAUT.

Et je dirai à mon avantage que dans les combats singuliers, il n’y a guères de vivant plus adroit que moi pour désarmer son homme.

CARTOUCHE.

Quelles preuves nous donnerez-vous de cela ?

GRIPAUT.

Trois ans de galère.

CARTOUCHE.

Avez-vous servi depuis ce temps-là ?

GRIPAUT.

Non pas autrement, Monsieur il y a deux ans que je suis Clerc de Procureur.

CARTOUCHE.

Chez un Procureur ? Ces deux années de service-là vous seront comptées, mon ami ; je suis même d’avis que vous n’en forciez pas sitôt. Vous nous avertirez de tout ce qui se passera au Châtelet. Cependant je vous reçois.

GRIPAUT.

C’est bien de l’honneur que vous me faites. Au reste j’ai une petite affaire à vous communiquer, où vous pourrez trouver votre compte, et en même temps rendre service à un de mes amis.

CARTOUCHE.

Qu’est-ce que cette affaire ?

GRIPAUT.

Le fils d’un riche Négociant d’Angoulême arrive ce soir pour épouser une jeune personne de qui le fils de mon Procureur est amoureux depuis longtemps.

CARTOUCHE.

C’est-à-dire qu’il faut commencer par voler l’Angoumoisin à son arrivée, le houspiller un peu, et le menacer de le jeter dans la rivière, s’il ne reprend sur le champ le chemin d’Angoulême.

GRIPAUT.

C’est à peu-près cela.

CARTOUCHE.

C’est une bagatelle. Vous m’instruirez tantôt plus au long de cette affaire, et nous concerterons ensemble les moyens les plus sûrs pour la faire réussir. La Branche ?

LA BRANCHE.

Monsieur.

CARTOUCHE.

Allez vous informer à cet Hôtel garni, si ce Milord est sur son départ, et s’il a reçu son argent d’Angleterre.

 

 

Scène VI

 

CARTOUCHE, BEL-HUMEUR, LA RAMÉE, LA PINCE, GRIPAUT, LE FRÈRE DE CARTOUCHE, TROIS PETITS FILOUS

 

CARTOUCHE.

Et vous, Bel-humeur, allez-vous-en prendre cent bouteilles de vin de Champagne dans cette cave dont notre Serrurier vous a fait une clef, et les portez à cette Dame qui m’a donné si généreusement asile. Et vous, petits Mions[6], allez travailler à la presse.

 

 

Scène VII

 

CARTOUCHE, LA RAMÉE, LA PINCE, GRIPAUT

 

CARTOUCHE.

Vous autres, retirez-vous, et ayez soin de vous trouver tantôt à l’ordre pour cette grande expédition de la petite rue du Bacq.

LA RAMÉE.

Mais, mon Capitaine, donnez-nous donc le mot du Guet.

CARTOUCHE.

Vous n’avez qu’à demander : Y a-t-il quatre femmes là-haut ?

LA RAMÉE.

 

 

Scène VIII

 

CARTOUCHE, GRIPAUT

 

CARTOUCHE.

Savez-vous bien que ce métier-ci demande de l’application. On a affaire tous les jours à des gens différents. Oh ! c’est un grand détail.

GRIPAUT.

Il n’y a qu’un homme comme vous qui s’en puisse tirer comme vous faites. Mais il me semble que je vois au bout de la rue un drôle que je connais pour être mouche des Archers.

CARTOUCHE.

Vous ne vous trompez pas ; mais c’est un de nos Pensionnaires, qui leur donne à toute heure le change, et nous rapporte fidèlement tout ce qu’ils doivent faire dans la journée. Oh ! nous payons bien nos Espions nous autres.

GRIPAUT.

Et vous avez raison, c’est le moyen d’être toujours bien servi. Cette Mouche-là n’est pas apparemment le drôle qui vous suivait l’autre jour, et à qui vous donnâtes, dit-on, vingt coups de bâton en présence de deux cents Archers.

CARTOUCHE.

Non. Celui-ci est honnête homme.

 

 

Scène IX

 

CARTOUCHE, GRIPAUT, LA MOUCHE déguisé en Abbé

 

CARTOUCHE.

Qu’est-ce qu’il y a, Monsieur le Ratichon[7] ?

LA MOUCHE.

Monsieur, songez à vous, j’ai été surpris, et dans le temps que je conduisais nos Archers où vous avez couché cette nuit, ce coquin en a conduit ici d’autres que je ne connais point ; ils sont une douzaine.

 

 

Scène X

 

CARTOUCHE, GRIPAUT

 

CARTOUCHE.

Avez-vous des pistolets ?

GRIPAUT.

Non ! je n’ai que mon écritoire, mais dans un besoin cela leur pourra faire peur.

CARTOUCHE.

Rentrons un moment pour voir si mes armes sont en bon état.

GRIPAUT.

Mais, Monsieur...

CARTOUCHE.

Ne craignez rien, vous suivez César et sa fortune.

 

 

Scène XI

 

L’EXEMPT, LA VALEUR, Archer, PLUSIEURS AUTRES ARCHERS

 

L’EXEMPT.

Messieurs, c’est pour le coup que Cartouche est pris, il est sûrement dans cette maison. Oh ça, je crois que nous avons tous du cœur.

LA VALEUR.

Comme des Lions.

L’EXEMPT.

Voyons qui entrera le premier.

LA VALEUR.

C’est apparemment vous qui nous commandez.

L’EXEMPT.

Il ne faut pas qu’un Chef de troupe s’expose ainsi, il vaut mieux que ce soit vous, Monsieur de la Valeur.

LA VALEUR.

Monsieur, je ne dois point marcher devant mon rang, et il y en a de plus anciens que moi dans la Compagnie.

L’EXEMPT.

Et qui ?

LA VALEUR.

Hé ! parbleu, Rodomont et la Pogne, Mais ils n’en feront rien, je les connais ; ainsi nous ferons mieux d’attendre ici notre homme de pied ferme.

L’EXEMPT.

S’il pouvait sortir maintenant.

LA VALEUR.

Ah ! le voici.

L’EXEMPT.

Retirons nous.

LA VALEUR.

Vous avez raison ; ils sont deux, et nous ne sommes que douze ; la partie n’est pas égale.

 

 

Scène XII

 

CARTOUCHE, GRIPAUT, L’EXEMPT, LA VALEUR, PLUSIEURS AUTRES ARCHERS

 

CARTOUCHE, à l’Exempt.

Si tu branles, je te brûle le nez comme à un lapin.

Cartouche suivi de Gripaut, passe au milieu des Archers, et tire un coup de pistolet qui les fait tous tomber par terre.

 

 

Scène XIII

 

L’EXEMPT, LA VALEUR, PLUSIEURS AUTRES ARCHERS

 

L’EXEMPT, s’étant relevé ainsi que les autres.

Ne sommes-nous pas blessés ?

LA VALEUR.

Non heureusement.

L’EXEMPT.

Allons, camarades, retirons-nous en bon ordre, il faut céder à la force ; nous avons fait notre devoir ; nous le prendrons une autre fois.

 

 

ACTE II

 

Le Théâtre représente une Place publique.

 

 

Scène première

 

LA BRANCHE, GRIPAUT

 

LA BRANCHE.

Ah ! que m’apprenez-vous-là ? comment ! notre Capitaine est pris ?

GRIPAUT.

S’il ne l’est pas à présent, il le sera bientôt. La maison où j’étais avec lui dans la rue des petits Augustins, est entourée de plus de cent Archers, et le nombre en augmente de moment en moment. Il en a déjà blessé plusieurs ; mais il est impossible qu’il puisse tenir encore longtemps. Les munitions commencent à lui manquer.

LA BRANCHE.

Qu’allons-nous faire désormais ? hélas ! nous pourrons bien dire que nous avons perdu la plus belle rose de notre chapeau.

GRIPAUT.

Pour moi je prendrai le parti de rester chez mon Procureur.

LA BRANCHE.

Et moi, je reprendrai mon métier de Tailleur, que j’exerçais ci-devant. Cela est pourtant bien triste à mon âge : après avoir, pour ainsi dire, passé par toutes les Classes, de me voir réduit à me remettre à l’Alphabet.

GRIPAUT.

Mais après tout, pourquoi nous décourager ? Ne pourrions-nous pas élire un autre Capitaine ?

LA BRANCHE.

Où en trouverons-nous un de son mérite ?

GRIPAUT.

Il s’en trouvera parmi nous qui ne seront pas indignes de lui succéder, et déjà je vous donne ma voix.

LA BRANCHE.

Vous avez trop d’estime de ma personne, c’est à moi de vous donner la mienne. Vous êtes un homme à deux mains, bon pour le Conseil, et bon pour l’Exécution ; et si vous n’avez pas dégénéré de ce que je vous ai vu faire autrefois, nous n’avons point dans notre Corps un aussi grand homme que vous.

GRIPAUT.

Chacun a son mérite ; mais je ne porte pas mon vol si haut, et je rougirais de me voir à la tête de tant d’honnêtes gens.

LA BRANCHE.

J’en devrais rougir bien plus que vous, moi, qui n’ai encore eu jusqu’ici aucune action remarquable sur mon compte, et qui à peine ai mérité de me faire pendre.

GRIPAUT.

Ah ! vous méritez plus que vous ne dites, et vous avez trop de modestie. Cependant il nous faut un Capitaine ; il serait nécessaire d’en élire un au plutôt.

LA BRANCHE.

Que je prévois de factions et de brigues pour cette élection ! nous allons renverser toute notre République.

GRIPAUT.

Hé bien, faisons un Doyen comme les Médecins, qui sera Primus inter pares. Et voyons en trois coups de Dés à qui le sera.

LA BRANCHE.

C’est bien dit. Mais voici Harpin qui nous apprendra des nouvelles.

 

 

Scène II

 

LA BRANCHE, GRIPAUT, HARPIN, BEL-HUMEUR, LA RAMÉE

 

HARPIN.

Messieurs, rassurez-vous, notre Capitaine s’est sauvé.

GRIPAUT.

Ah, quel bonheur et comment a-t-il pu faire ?

HARPIN.

Se voyant réduit à la dernière extrémité, n’ayant plus ni poudre ni plomb, il s’est sauvé en chemise par la cheminée.

LA BRANCHE.

Par la cheminée ?

HARPIN.

Et de toit en toit, il est entré dans une maison où faisant accroire qu’il était poursuivi pour dettes, on lui a donné une Souquenille ; dans cet équipage il a passe au milieu des Archers.

LA BRANCHE.

Il n’y a qu’un Cartouche capable d’un coup comme celui-là. Où est-il ?

HARPIN.

Le voici.

 

 

Scène III

 

CARTOUCHE en souquenille, LA BRANCHE, GRIPAUT, HARPIN, BEL-HUMEUR, LA RAMÉE

 

CARTOUCHE.

Embrassez-moi, mes Enfants, j’ai bien crû ne vous plus revoir de ma vie.

LA BRANCHE.

Ah ! que votre perte nous aurait coûté de larmes !

CARTOUCHE.

Le péril est passé, quand nous aurons bu chacun cinq ou six coups, nous n’y songerons plus. Morbleu ! tout ce qui me fâche, c’est que Sans-quartier et l’Estocade sont pris.

LA BRANCHE.

Ah ! quel chagrin !

CARTOUCHE.

C’est ma foi, une vraie perte, et de pareils sujets sont difficiles à remplacer.

LA BRANCHE.

Il faut des vingt ans d’exercice pour former des hommes comme ceux-là.

HARPIN.

Sans doute. Mais vous êtes fatigué, vous devriez prendre quelque rafraichissement.

CARTOUCHE.

Qu’on me prépare un bouillon d’eau-de-vie.

GRIPAUT.

Ne voulez-vous point vous reposer ?

CARTOUCHE.

Est-ce que je me repose, moi ? il est neuf heures, allons travailler.

HARPIN.

Vous devriez du moins changer d’habit.

CARTOUCHE.

J’en changerai dans un moment ; et je troquerai celui-ci contre le premier homme que je rencontrerai de ma taille.

 

 

Scène IV

 

CARTOUCHE, en souquenille, LA BRANCHE, GRIPAUT, HARPIN, BEL-HUMEUR, LA RAMÉE, LA MOUCHE déguisé en Abbé

 

LA MOUCHE.

Monsieur, cet homme d’Angoulême approche d’ici ; il demande au coin de la rue le logis de Monsieur Oronte.

CARTOUCHE.

Allons nous mettre en embuscade, et concerter entre nous la manière dont nous le volerons, afin de tirer de lui les éclaircissements nécessaires pour aller ensuite voler son beau-père futur. Avez-vous apporté cette Robe de Commissaire ?

GRIPAUT.

Oui, et je m’en servirai quand il faudra.

 

 

Scène V

 

PATAUT, seul

 

Maugrébleu du Fiacre ! à peine ai-je été dedans qu’il a versé ; et il y aune heure que je marche de mon pied sans trouver le logis de Monsieur Oronte. Ah ! que Paris est grand ! À peine est-on au bout d’une rue, qu’on en trouve une autre. Après tout, je suis bienheureux d’être arrivé jusqu’ici sans trouver de Voleurs. Mon père m’avait dit que Paris en était plein. Plusieurs gens pourtant m’ont regardé sous le nez ; mais loin de m’insulter, ils se sont mis à rire. D’ailleurs j’ai chanté tout le long du chemin, pour montrer que je ne craignais rien. Oh ! cela intimide bien ces sortes de gens.

 

 

Scène VI

 

PATAUT, GRIPAUT

 

GRIPAUT.

La bourse ?

PATAUT.

Hé ? Monsieur, je ne vous connais pas.

GRIPAUT.

Il s’agit bien de me connaître. La bourse ?

PATAUT.

Oh ! d’abord que vous le prenez sur ce ton là, la voilà.

GRIPAUT.

Combien y a-t-il dedans ?

PATAUT.

Dix pistoles.

GRIPAUT.

Comment, dix pistoles ! Un homme comme vous n’a que dix pistoles dans sa bourse ?

PATAUT.

Je vous demande pardon, Monsieur, si j’avais cru avoir l’honneur de vous rencontrer, j’y en aurais mis davantage.

GRIPAUT.

Ah, tête ! Ah, ventre ! Ah, mort ! Comment, vous exposez un honnête homme à se faire pendre pour dix pistoles ?

PATAUT.

Il ne tient qu’à vous de me les rendre ; c’est comme s’il n’y avait eu rien de fait.

GRIPAUT

Vous ne savez donc pas que mon temps m’est cher ; et que pendant que j’ai la complaisance de m’amuser à vous voler dix mauvaises pistoles, je manque peut-être l’occasion d’en voler mille à un autre.

PATAUT.

Oh ! de cette façon-là, vous avez raison de vous fâcher.

GRIPAUT.

Qu’avez-vous là au doigt ?

PATAUT.

C’est un Diamant ; mais il n’est pas à moi.

GRIPAUT.

Il n’importe, donnez toujours.

PATAUT.

Mais, Monsieur, vous n’avez demandé que la bourse. Vous serez cause que mon Père me grondera. C’est un présent qu’il envoyé à sa Bru.

GRIPAUT.

Fi donc ? Ce Diamant là n’est pas assez beau pour le présenter. N’avez-vous point d’autres nippes sur vous ?

PATAUT.

Non, Monsieur, je n’ai plus rien.

GRIPAUT.

Adieu, Croyez-moi, retirez-vous chez vous avant qu’il soit plus tard, de crainte des Voleurs.

PATAUT.

Votre conseil est fort bon ; mais il fallait qu’un autre me l’eût donné il y a un quart d’heure.

 

 

Scène VII

 

PATAUT, seul

 

Après tout, je suis bien heureux dans mon malheur, qu’il ne se soit point aperçu de deux cens Louis que mon Père m’a cousus dans les plis de mon juste-au-corps.

 

 

Scène VIII

 

PATAUT, LA BRANCHE

 

LA BRANCHE.

Qui va là ?

PATAUT.

Ami.

LA BRANCHE.

La bourse ?

PATAUT.

Ah ma foi, vous venez trop tard. Je viens de la donner à un autre.

LA BRANCHE.

Parbleu vous êtes bien presse ; vous ne pouviez pas attendre que je fusse arrivé ? N’avez-vous plus rien sur vous ? quelque Diamant ?

PATAUT.

Non, il me l’a pris aussi.

LA BRANCHE.

Ah, le fripon ! il faut que je sois bien malheureux d’être venu si tard.

PATAUT.

Et oui-da, cela est chagrinant.

LA BRANCHE.

Morbleu, je crois qu’il y a de la malice dans votre fait, et que vous vous êtes laissé voler exprès par un autre pour me faire enrager.

PATAUT.

Oh ! non, je vous assure. Je suis même bien fâché de mon Diamant, car il était fort beau.

LA BRANCHE.

Je vous conseille encore de vous plaindre : je perds en ceci plus que vous.

PATAUT.

Comment donc ?

LA BRANCHE.

Ce n’est pas vous que cet homme là a volé, c’est moi.

PATAUT.

Il me semble pourtant que c’est moi qui n’ai plus ni ma Bourse, ni mon Diamant.

LA BRANCHE.

Mais s’il ne vous les avait pas pris, je vous les volerais à présent.

PATAUT.

Je crois, ma foi, que vous avez raison. Crions tous deux : Au voleur, Au voleur.

 

 

Scène IX

 

PATAUT, LA BRANCHE, HARPIN, BEL-HUMEUR

 

HARPIN.

Où sont-ils ces voleurs ? tue, tue.

LA BRANCHES, à Pataut.

Allons, défendons nous, secondez-moi bien.

PATAUT.

Oh ! ma foi, secondez-vous tout seul. Ce voleur-là est plaisant, de vouloir que je me batte contre ceux qui viennent me défendre contre lui.

 

 

Scène X

 

PATAUT, HARPIN, BEL-HUMEUR

 

HARPIN.

Monsieur, nous sommes ravis d’être venus si à propos à votre secours.

PATAUT.

Messieurs, je vous suis bien obligé.

HARPIN.

Ce fripon ne vous a-t-il rien dérobé ?

PATAUT.

Non, parce qu’un autre avait déjà pris les devants.

HARPIN.

Un autre vous avait déjà volé ?

PATAUT.

Oui, mon Diamant et ma bourse.

HARPIN.

Ah ! Monsieur la mienne est à votre service, et je vous prie de l’accepter.

PATAUT.

Monsieur, cela est trop honnête ; mais je n’en ferai rien.

HARPIN.

Vous me refusez ? et pourquoi ?

PATAUT.

C’est qu’entre nous, j’ai deux cens Louis cousus dans les plis de mon juste-au-corps. Oh ! les Voleurs de Paris sont bien fins, mais les honnêtes gens d’Angoulême ne leur en cèdent rien.

BEL-HUMEUR.

Deux cens Louis ?

PATAUT.

Et de plus, une Lettre de Change de deux mille écus, payable à vue, tirée sur Monsieur Oronte, mon beau-père futur.

BEL-HUMEUR.

Mais je vous trouve bien indiscret de nous dire cela, à nous que vous ne connaissez pas. Si nous étions des fripons, par hasard, que sait-on ?

PATAUT.

Oh ! je connais bien mes gens.

BEL-HUMEUR.

Il ne faut pas toujours juger des gens sur la mine, et d’ailleurs, les plus honnêtes gens du monde cessent quelquefois de l’être, quand ils en trouvent l’occasion.

PATAUT.

C’est donc pour cela qu’on dit toujours, que l’occasion fait le larron : mais j’ai meilleure opinion de vous que cela.

HARPIN.

Et vous nous rendez justice. Mais, Monsieur, croyez-moi, vous n’êtes pas encore chez vous ; d’autres Voleurs pourraient vous attaquer, et ne vous trouvant rien, vous tuer.

PATAUT.

J’en serais au désespoir.

HARPIN.

C’est pourquoi, acceptez ma bourse, je vous en conjure.

PATAUT.

Je la prends, puisque vous le voulez. Mais, Messieurs, où vous trouver demain pour vous la rendre.

HARPIN.

Nous nous reverrons plutôt que vous ne pensez ; nous vous donnons le bonsoir.

PATAUT.

Messieurs, jusqu’au revoir.

 

 

Scène XI

 

PATAUT, seul

 

Parbleu ! s’il y a des fripons dans Paris, il faut avouer aussi qu’il y a de bien honnêtes gens.

 

 

Scène XII

 

PATAUT, CARTOUCHE, en souquenille

 

CARTOUCHE.

Au voleur ! au voleur !

PATAUT.

Encore des Voleurs ? Je pense qu’il en pleut.

CARTOUCHE.

Ah, Monsieur, je viens d’être volé.

PATAUT.

Cela est fort drôle. Et moi aussi.

CARTOUCHE.

Comment, et vous aussi ? vous vous moquez de moi. Vous avez sur le corps l’habit qu’on vient de me prendre.

PATAUT.

Moi, j’ai votre habit ?

CARTOUCHE.

Sans doute. Oh, parbleu ! vous me le rendrez, et vous reprendrez le votre.

PATAUT.

Comment le mien ? c’est un habit de toile ! je n’en ai jamais porté de semblable en ma vie.

CARTOUCHE.

Oh ! ventrebleu, nous changerons, ou je ferai beau bruit.

 

 

Scène XIII

 

PATAUT, CARTOUCHE, en souquenille, GRIPAUT, en Commissaire, LA RAMÉE et LA PINCE, en Archers

 

GRIPAUT.

Quel bruit est-ce-là ?

CARTOUCHE.

Ah ! Monsieur le Commissaire, vous venez à propos. Ce fripon vient de me voler mon habit et ma bourse.

PATAUT.

Je vous assure, Monsieur le Commissaire, que je ne connais point cet homme-là ; et que bien loin de l’avoir volé, on vient de me voler moi-même.

GRIPAUT.

Vous vous moquez de moi. Il y a plus d’apparence que cet homme là vient d’être volé que vous. Les Voleurs ne vous auraient pas laissé cet habit là sur le corps.

PATAUT.

Mais, Monsieur...

GRIPAUT.

Taisez-vous. Vous m’avez tout l’air d’un fripon... et Monsieur me paraît un honnête homme. J’ai même, je crois, l’honneur de le connaître.

CARTOUCHE.

Si vous me connaissez, Monsieur ! je suis votre Voisin. Je m’appelle Jean Bourguignon.

GRIPAUT.

C’est ce qu’il me semble aussi. Mais pour faire les choses dans les règles de la Justice, dites-moi qu’est-ce qu’il y avait dans les poches de votre habit ?

CARTOUCHE.

Une bourse verte, Monsieur, qu’il m’a prise.

PATAUT.

Cela n’est pas vrai, Monsieur, on me l’a donnée.

GRIPAUT.

Mais, mon ami, vous savez que les Recéleurs sont punis comme les Voleurs.

PATAUT.

Nous allons bien voir sa menterie. Qu’est-ce qu’il y avait dans la bourse ?

CARTOUCHE.

Dix Louis.

GRIPAUT.

Ah ! cela git en preuve. Comptons... Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Six. Sept. Huit. Neuf et Dix. Cela est juste. Vous voilà convaincu, mon ami. Vous êtes un fripon.

PATAUT.

Le Diable m’emporte si je comprends rien. Mais Monsieur le Commissaire, écoutez-moi. Vous saurez que je suis un honnête homme d’Angoulême, nommé Jacques Pataut, fils de Christophe Pataut...

GRIPAUT.

Tarare, Pati Pataut... Qu’on mène cet homme là chez moi, que j’examine cette affaire à fond.

PATAUT.

Oh ! c’est ce que je demande.

GRIPAUT.

Et vous, notre voisin, suivez-nous, pour reprendre vos habits, lui rendre les siens, et en même temps faire votre plainte.

Les faux Archers emmènent Pataut.

 

 

Scène XIV

 

CARTOUCHE, en souquenille, GRIPAUT, en Commissaire

 

GRIPAUT.

Votre affaire va bien, qu’en dites-vous ?

CARTOUCHE.

Tu as fait ton rôle de Commissaire à merveille. Mais ce n’est pas tout. Il faut garder Monsieur Pataut toute cette nuit, et le bien régaler pour son argent. Demain instruits par les lettres que nous pourrons lui trouver sur lui, j’irai rendre visite au Beau-Père, dont j’espère encore tirer une bonne aubaine.

 

 

ACTE III

 

Le Théâtre représente l’Appartement de M. Oronte.

 

 

Scène première

 

ORONTE, ISABELLE

 

ORONTE.

Je ne sais plus que penser, ma Fille. Monsieur Pataut m’écrit d’Angoulême que son fils arrive. J’envoie au Messager ; on m’assure qu’il est arrivé, d’hier au soir à huit heures, et nous ne l’avons point encore vu. Que dites-vous de cela ?

ISABELLE.

Je dis que cet homme-là n’a guère d’empressement de me voir, et qu’il n’obéit peut-être à son Père qu’à regret.

ORONTE.

Ah ! si j’en étais persuadé, je lui aurais bientôt rendu sa parole.

ISABELLE.

Quelle différence de son procédé à l’amour de Valère ! Quelle manière polie pour moi ! Quels respects et quelles complaisance pour vous !

ORONTE.

Je vous ai déjà dit, ma Fille, que j’étais au désespoir d’avoir manqué à Valère, et que sans le dédit de mille écus, que j’ai avec Monsieur Pataut le Père, il y aurait longtemps que Valère serait mon Gendre ; mais il n’y a plus de remède.

ISABELLE.

Mais, mon Père, Valère s’est offert tant de fois à payer ce dédit.

ORONTE.

Et de quoi ? d’une partie de la dot que je lui donnerais. Son Père est fort riche, mais il n’en est pas moins avare ; et il aurait autant de peine à se défaire de son argent, qu’il a eu de facilité à l’amasser.

ISABELLE.

Enfin, il faudra donc que je sois la victime d’une faute dont vous vous repentez, et que j’épouse un homme que je n’ai jamais vu, et que vous ne connaissez pas vous-même.

 

 

Scène II

 

ORONTE, ISABELLE, JASMIN

 

JASMIN.

Monsieur, voilà un homme qui vous demande. Il dit qu’il s’appelle Monsieur Pataut.

ORONTE.

Ah ! le voici donc à la fin. Faites entrer.

 

 

Scène III

 

ORONTE, ISABELLE, CARTOUCHE, sous la figure de Pataut, LE FRÈRE DE CARTOUCHE, JASMIN

 

CARTOUCHE, à part.

Voyons si sous cet habit je pourrai dégoûter Monsieur Oronte de l’alliance qu’il voulait faire, et en même temps lui arracher quelques plumes. Toi, mon Frère, tâche de te cacher dans quelque endroit de cette maison pour nous en ouvrir la porte cette nuit.

 

 

Scène IV

 

ORONTE, ISABELLE, CARTOUCHE, sous la figure de Pataut, JASMIN

 

CARTOUCHE.

Serviteur, Beau-père. Vous ne m’avez jamais vu, et bien vous me voyez.

ORONTE.

J’en suis ravi, Monsieur, et je mourais d’impatience de vous embrasser.

CARTOUCHE.

Où est donc votre fille ?

ORONTE.

La voilà devant vous.

CARTOUCHE.

Qui ? celle-là. Il me semble qu’elle n’est pas si belle, que mon père me l’avait dit.

ISABELLE.

Le compliment est gracieux.

CARTOUCHE.

Voilà ce que c’est que d’acheter comme cela chat en poche.

ORONTE.

On m’avait bien dit que mon Gendre était un sot, et je ne suis pas déjà trop satisfait de cet abord.

CARTOUCHE.

Nous autres Angoumoisins, nous sommes francs, et je vous dirai sincèrement, Beau-père, que la Dame chez qui j’ai soupé hier, et avec qui j’ai passé la nuit à jouer, est cent piques au-dessus de votre Fille.

ORONTE.

Comment ? vous êtes arrivé d’hier, et vous êtes allé descendre autre part que chez moi ?

CARTOUCHE.

Pourquoi non ? je n’aime point à me contraindre, moi.

ORONTE.

Hé ! quelle est cette Dame chez qui vous avez passé la nuit ?

CARTOUCHE.

Ma foi, je ne la connais pas. Elle m’est venue recevoir au sortir du Carrosse : elle m’a mené dans son logis, où j’ai bien payé mon écot, à la vérité ; car son Cousin, et elle m’ont gagné deux cens Louis, une bague, et deux mille écus sur ma parole.

ISABELLE.

Ah, mon Père !

ORONTE.

Ouais ! Que veut dire ceci ? J’allais m’engager dans une belle affaire.

CARTOUCHE.

Oh ça, parlons un peu d’autre chose, et dépêchons, car je suis pressé. Votre compagnie commence à m’ennuyer.

ORONTE.

Ma foi, la vôtre ne me fait guère plus de plaisir.

CARTOUCHE.

Commencez par me payer cette lettre de change.

ORONTE.

Il est juste, et je vous tenais cet argent tout prêt. Mais...

CARTOUCHE.

Et voilà de plus une lettre de mon Père qui vous mande de ne me laisser manquer de rien. Prêtez-moi un millier de pistoles pour aller regagner mon argent.

ORONTE.

Quel Diable d’homme est-ce ci ? je n’ai point d’argent à vous prêter.

CARTOUCHE.

Comment donc, vilain ladre, à votre Gendre.

ORONTE.

Mon Gendre ? Vous ne le serez jamais ; je ne veux point de joueur dans ma famille.

CARTOUCHE.

Mais vous savez que nous avons un certain dédit.

ORONTE.

Je m’en moque ; et s’il faut plaider, nous plaiderons.

CARTOUCHE.

Oh ! point de procès. Je crains trop de passer par les mains de la Justice. Finissons à l’amiable, Monsieur Oronte ; votre fille n’est point de mon goût, je ne suis point du votre, ni du sien. Commencer par me payer la Lettre de change.

ORONTE.

Je vous ai déjà dit que cela était juste, et voilà deux mille écus en or bien comptés.

CARTOUCHE.

Ce n’est pas tout, il faut à présent me rendre les présents que j’ai faits à votre fille.

ISABELLE.

Ah ! de très grand cœur. Tenez, Monsieur, voilà votre collier et vos boucles.

CARTOUCHE.

Et pour vous montrer que je ne suis pas un chicanier, voilà votre dédit que je vous rends. Donnez-moi le mien, et une centaine de pistoles seulement, pour me dédommager des frais, de mon voyage.

ORONTE, à Isabelle.

Ah ! volontiers. Je n’aurais jamais cru cet homme-là si raisonnable. Tenez, Monsieur, les voilà. Je vous avoue que je ne croyais pas en être quitte à si bon marché.

CARTOUCHE.

Hé ! vous y perdez encore plus que vous ne pensez.

ORONTE.

Ma foi, je gagne trop de n’avoir pas pour Gendre un homme comme vous.

CARTOUCHE.

Adieu, jusqu’au revoir. N’avez-vous rien à mander à mon Père !

ORONTE.

Je lui écrirai moi-même, et de la bonne encre.

CARTOUCHE.

Si vous lui écrivez des nouvelles, mandez-lui que Cartouche n’est pas encore pris.

ORONTE.

Je lui écrirai ce qu’il me plaira.

 

 

Scène V

 

ORONTE, ISABELLE, JASMIN

 

ORONTE.

Parbleu, j’allais faire là un beau coup. Il faut faire avertir au plutôt Valère.

ISABELLE.

Ah ! mon Père, je me charge avec plaisir de ce soin. Jasmin, cours promptement chez Valère, et dis-lui que mon Père l’attend avec impatience. Tu avertiras en même temps le Notaire.

 

 

Scène VI

 

ORONTE, ISABELLE

 

ORONTE.

Je ne puis revenir de mon étonnement. Il faut avouer que nos enfants savent souvent mieux ce qu’il leur faut que nous-mêmes. L’amour t’a fait choisir Valère, et l’intérêt m’avait fait accepter un homme qui nous aurait tous ruinés dans la suite. Mais que nous veut cette figure hétéroclite ?

 

 

Scène VII

 

ORONTE, ISABELLE, PATAUT, en souquenille

 

PATAUT.

À la fin, je me suis sauvé de leurs pattes, et me voici. Serviteur, Monsieur Oronte ; bonjour Mademoiselle Isabelle.

ORONTE.

Que Diable cherche cet homme-là ici ? il a une mauvaise physionomie.

PATAUT.

Vous ne me connaissez pas, je le vois bien.

ORONTE.

Hé ? non vraiment. Qui êtes-vous, mon ami ?

PATAUT.

Je suis le fils de mon père, et vous le connaissez bien.

ORONTE.

Moi, je connais votre père ? Voici assurément quelque fripon.

PATAUT.

J’en ai l’habit toujours.

ISABELLE.

Ah ! mon Père, ne serait-ce point ce Cartouche qui fait tant de bruit ?

ORONTE.

Ah ! ma Fille, il faut que ce soit lui-même. On m’a conté ce matin qu’il s’était sauvé d’une maison en souquenille.

PATAUT.

Cela est vrai, je me suis sauvé dans l’équipage où vous me voyez.

ORONTE.

Ah ! ma Fille, nous sommes perdus.

PATAUT.

Mais avant que de vous conter tout cela, il faut du moins que je vous embrasse.

ISABELLE.

Ah ! je suis morte.

Elle s’enfuit.

 

 

Scène VIII

 

ORONTE, PATAUT

 

ORONTE.

Ah ? Monsieur, sauvez-moi la vie.

PATAUT.

Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce que mon habit vous fait peur ? C’est un habit de Voleur, à la vérité ; mais je n’en puis avoir un autre que vous ne me donniez de l’argent pour en avoir, car ma foi je n’ai pas le sou.

ORONTE.

De l’argent ? Ah ! c’est lui assurément.

PATAUT.

Hé ! oui vraiment, c’est moi-même. Qui vous dit le contraire ? Mais laissez-moi vous conter mon aventure.

ORONTE, en tremblant.

Je la sais, Monsieur, il n’est pas nécessaire de vous donner la peine...

PATAUT.

Oh ! parbleu, écoutez-moi donc.

ORONTE, à part.

Je voudrais déjà qu’il fût bien loin, ou qu’il nous vint du secours.

PATAUT.

Je fus hier attaqué par des marauds.

ORONTE.

Dans la rue des Petits-Augustins, n’est-ce pas ? Nous savons cela.

PATAUT.

Celle-là, ou une autre, il n’importe.

ORONTE.

Vous en blessâtes deux, et vous vous sauvâtes en chemise par une cheminée dans une maison où l’on vous donna cet habit. Nous savons de plus que vous vous êtes sauvé de prison...

PATAUT.

Plaît-il ?

ORONTE.

Quoi ?

PATAUT.

Rêvez-vous ? Quel galimatias me faites-vous-là ? il n’y a pas un mot de tout ce que vous me dites-là.

ORONTE.

Hé ! Monsieur, nous pouvons ne pas bien savoir la chose. Ce qu’il y a de vrai, c’est que vous passez pour un brave homme, et qu’on sait bien qu’il faut que chacun vive de son métier.

PATAUT.

Larrons ou autres, n’est-ce pas ? Parbleu, ceux d’hier auront de quoi vivre longtemps à mes dépens. Ce qui me fâche le plus, c’est que je voudrais avoir ce Diamant.

ORONTE.

Mon Diamant, Monsieur ? Ah ! qu’à cela ne tienne pour vous contenter.

PATAUT.

Que voulez-vous que je fasse de votre Diamant quand j’épouse votre Fille ?

ORONTE.

Comment, vous, épousez ma Fille ?

PATAUT.

Oui, est-ce que je ne viens pas ici pour cela ?

ORONTE.

En voilà bien d’un autre. Je crois que cet homme-là se moque de moi ou extravague, de me venir demander ma Fille en mariage. Parbleu cela me ferait bien de l’honneur dans le monde de devenir le Beau-père de Monsieur Cartouche : en tout cas, ma Fille ferait bientôt veuve.

PATAUT.

Que marmottez-vous là tout bas ? Il semble que vous soyez fâché que je veuille être votre Gendre.

ORONTE.

Hé ! Monsieur, il ne s’agit point de cela maintenant.

PATAUT.

Et de quoi donc ? Parbleu ! je ne crois pas vous faire déshonneur de rechercher votre Fille en mariage.

ORONTE.

Ah ! c’est beaucoup d’honneur pour elle ; mais enfin, vous me permettrez de vous dire que la profession que vous exercez ne s’accorde guère avec la nôtre.

PATAUT.

Comment donc ? Est-ce que nous ne sommes pas tous deux du même métier ?

ORONTE.

Moi, je suis de votre métier ?

PATAUT.

Sans doute. N’êtes-vous pas Négociant comme moi ?

ORONTE.

Ne parlons point de votre négoce ; qui dit Négociant, dit fripon. Voilà apparemment ce que vous voulez me faire entendre ; mais cependant il s’en trouve beaucoup parmi nous qui se feraient un scrupule...

 

 

Scène IX

 

ORONTE, PATAUT, en souquenille, UN EXEMPT, PLUSIEURS ARCHERS

 

L’EXEMPT, le Pistolet à la main, à Pataut.

Si tu remue, je te brûle la cervelle.

ORONTE.

Miséricorde !

L’EXEMPT.

Ah, ah, Monsieur Cartouche, à la fin nous vous tenons.

ORONTE.

Je savais bien que je ne me trompais pas, et que c’était lui-même. Que diriez-vous, Messieurs, de ce pendard qui venait ici me demander effrontément ma Fille en mariage.

L’EXEMPT.

Vraiment, il a fait bien d’autres tours. Parbleu ! voilà un maraud qui nous a coûté bien de la peine à prendre. Victoria !

PATAUT.

Messieurs, vous vous méprenez assurément.

L’EXEMPT.

Oh ! que nenni. Les mouches qui t’ont suivi ne te connaissent que trop, et voilà la même souquenille que tu avais hier quand tu t’es sauvé. N’est-ce pas toi qui as tué ces quatre hommes ces jours passés ?

PATAUT.

Cela est faux. Faites-les venir devant moi, ils n’oseraient me le soutenir.

 

 

Scène X

 

ORONTE, PATAUT, en souquenille, ISABELLE, L’EXEMPT, PLUSIEURS ARCHERS

 

ISABELLE.

Ah ! mon Père, voici bien autre chose. Je viens de trouver un petit drôle qui était caché dans ma chambre, et à mes cris un de ces Messieurs est accouru qui l’a reconnu pour être frère de Cartouche. Le voilà qui nous l’amène ici.

L’EXEMPT.

Il faut les confronter ensemble.

 

 

Scène XI

 

ORONTE, PATAUT, en souquenille, ISABELLE, L’EXEMPT, RODOMONT, Archer, LE FRÈRE DE CARTOUCHE, PLUSIEURS ARCHERS, JASMIN

 

L’EXEMPT, à Rodomont.

Êtes-vous bien sur que ce soit-là le Frère de Cartouche ?

RODOMONT.

Oui, M., nous l’avons déjà pris plusieurs fois.

L’EXEMPT.

Et connaissez-vous Cartouche ?

RODOMONT.

Non, personne de nous autres ne l’a jamais vu.

L’EXEMPT, au Frère de Cartouche.

Parle, n’est-ce pas là ton frère ? Si tu nous dis la vérité, on te laissera aller.

PATAUT.

Qu’il parle, je m’en rapporte à lui.

LE PETIT FRÈRE, feignant que Pataut est son frère.

Ah ! mon cher frère, que je suis fâché de vous voir en cet état.

PATAUT.

En voici bien d’une autre.

LE PETIT FRÈRE.

Et comment avez-vous fait pour vous laisser prendre, vous qui passiez pour la terreur de la Pousse ?

PATAUT.

Voilà un petit pendard bien effronté !

LE PETIT FRÈRE.

Hélas ! que notre Sœur qui est à la Salpêtrière, et notre frère qui est au Châtelet, vont être fâchés de l’affront que vous allez faire à notre famille !

PATAUT.

Je vous assure Messieurs...

L’EXEMPT.

Allons, marche, marche.

LE PETIT FRÈRE, à Oronte lui prenant son diamant.

Hé : Monsieur, ayez pitié de moi, je vous promets que je n’y retournerai plus.

ORONTE.

Va, malheureux, sauve-toi si tu peux.

 

 

Scène XII

 

ORONTE, PATAUT, en souquenille, ISABELLE, L’EXEMPT, RODOMONT, Archer, LE FRÈRE DE CARTOUCHE, PLUSIEURS ARCHERS, VALÈRE, JASMIN

 

VALÈRE.

Arrêtez, Messieurs, que faites-vous ?

L’EXEMPT.

Nous emmenons Cartouche.

VALÈRE.

Hé, Messieurs, vous vous méprenez. Cartouche vient d’être arrêté dans un cabaret à la Courtille ; et cet homme-ci est Monsieur Pataut, le fils d’un Négociant d’Angoulême.

L’EXEMPT.

Quoi ! ce n’est par-là Cartouche ?

VALÈRE.

Vous voyez bien qu’il n’a point de balafre.

L’EXEMPT.

Ah ! cela est vrai, nous l’avions oublié. Mais cependant voilà son frère qui soutient... Ah, ah ! qu’est-il donc devenu ?

ORONTE.

Il m’a fait tant de pitié en me serrant les mains de toute sa force, que je n’ai pu... Mais me voilà bien payé de ma charité. Le petit Maraud m’a escamoté mon diamant, Maugrebleu du sot que je suis.

PATAUT.

Ma foi, j’en suis bien aise, vous méritez bien cela.

L’EXEMPT.

Allons, Camarades, puisque Cartouche est pris, hâtons-nous d’aller au devant de ceux qui l’amènent, pour avoir part à l’honneur de sa prise.

 

 

Scène XIII

 

ORONTE, ISABELLE, PATAUT, VALÈRE, JASMIN

 

ORONTE.

Parbleu, j’ai fait aujourd’hui de belles affaires ; et ce que vous m’apprenez.

VALÈRE.

Je vous dis la vérité, Monsieur. C’est Cartouche qui a volé Monsieur cette nuit.

PATAUT.

Cela est vrai.

VALÈRE.

Et il s’est servi de ses habits et de ses papiers, pour vous attraper de l’argent et des bijoux.

ORONTE.

Et d’où savez-vous cela ?

VALÈRE.

Un Clerc de mon père qui s’était mis de sa clique, m’a tout avoué, et c’est lui qui par mon conseil, pour obtenir sa grâce, vient de le faire prendre.

ORONTE.

Ah ! la belle prise ! Mais cependant il m’en coûte plus de douze mille livres.

VALÈRE.

Ne vous alarmez point : Tout ce qui vous a été pris, aussi bien qu’à Monsieur, vous sera rendu. On me l’a promis.

ORONTE, à Pataut.

Ah ! Monsieur, n’ayant point le bonheur de vous connaître, je vous demande pardon si je vous ai traité...

PATAUT.

Je n’ai que faire de vos excuses. Faites-moi rendre au plutôt ce qui m’a été volé, et je m’en retourne à Angoulême, je n’ai que faire de vous, ni de votre fille.

ORONTE.

Ah ! vous êtes le maître de faire ce que bon vous semblera.

 

 

Scène XIV

 

ORONTE, ISABELLE, VALÈRE, JASMIN

 

ORONTE.

J’ai retiré mon dédit, et j’apprends que Cartouche est pris, je suis trop content. Allons, allons, ne songeons qu’à nous réjouir, et que le Divertissement préparé pour les Noces de Monsieur Pataut, serve de prélude à celles de Valère.

 

 

DIVERTISSEMENT

 

PLUSIEURS MUSICIENS et DANSEURS, et GENS DE LA NOCE

 

UN MUSICIEN.

Un jour l’hymen en embuscade,

Près de ses terres rencontra

Les amours, qui battaient l’estrade,

Il fut d’abord, au qui va là ?

Ami, répondit la brigade,

Rassurez-vous, ne craignez rien ;

Nous n’avons pas, cher Camarade,

Dessein d’enlever votre bien,

Nous ne voulons que la passade.

DEUXIÈME MUSICIEN.

À dérober des fleurettes,

Ne passez pas vos beaux ans,

Jeunes Coquettes,

Employez mieux votre Printemps.

Pour l’avenir, faible ressource

De n’enlever que des désirs,

De ne voler que des soupirs,

Il faut aller droit à la bourse.

Entrée.

Vaudeville.

PREMIER MUSICIEN.

L’Amour est un Voleur,

Qui cherche à vous surprendre :

Beautés, pour vous défendre,

Armez-vous de rigueur.

En vain il vous proteste

Qu’il n’en veut point à votre honneur,

Et zeste, et zeste, et zeste,

Si vous laissez voler le cœur,

Adieu le reste.

DEUXIÈME MUSICIEN.

En vain vous vous flattez,

Gens à bonnes fortunes,

Des Blondes et des Brunes,

D’être seuls écoutés.

En vain un air modeste

Vous empêche d’être jaloux ;

Et zeste, et zeste, et zeste,

Qui peut être faible pour vous,

L’est pour le reste.

TROISIÈME MUSICIEN.

Le Plumet brusquement

Frape au cœur d’une Belle ;

L’Abbé dans la ruelle

L’attaque doucement ;

En vain elle conteste,

Et de l’amour brave les traits ;

Et zeste, et zeste, et zeste,

Un Financier survient après,

Qui fait le reste.

 


[1] Termes d’Argot, pour dire, aller sur le grand chemin.

[2] C’est-à-dire bonnes.

[3] C’est-à-dire volé.

[4] C’est-à-dire marché.

[5] C’est-à-dire volé.

[6] C’est-à-dire Garçons.

[7] C’est-à-dire Abbé.

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