Un Soufflet (Adolphe D'ENNERY - Charles DESNOYERS)
Comédie-vaudeville en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 22 mars 1834.
Personnages
ÉDOUARD
BALIVET, homme d’affaires
MÉLANIE D’HARCOURT, jeune veuve
FRANCIETTE, femme de chambre
Un salon très élégant. Deux portes au fond conduisant à un autre salon richement éclaire. Une porte latérale, à la gauche du public, conduisant au boudoir de Mélanie. Sur le devant de la scène, à droite, an guéridon ; à gauche, une psyché.
Scène première
MÉLANIE, FRANCIETTE
Mélanie se regarde devant une psyché. Franciette est debout auprès d’elle.
Air de la demoiselle à marier.
MÉLANIE.
Ah ! c’est charmant ! (bis.)
Ma toilette
Est parfaite ;
Ah ! c’est charmant !
Oui vraiment
Je ne suis pas mal.
Que de plaisir
Va bientôt m’offrir
Cette fête !
Que de plaisir !
Je serai la reine du bal.
FRANCIETTE.
Ah ! c’est charmant ! (bis.)
J’aime votre toilette,
Ah ! c’est charmant !
Oui vraiment
Vous n’êtes pas mal.
Que de plaisir
Va bientôt offrir
Cette fête !
Que de plaisir !
Vous serez la reine du bal.
MÉLANIE.
Ah ! pour lui seul je veux être jolie :
Il n’en sait rien ! mais je sens en ce jour
Que ce n’est pas de la coquetterie,
J’en ai bien peur, hélas ! c’est de l’amour.
Reprise.
Ah ! c’est charmant ! etc.
Mélanie est debout devant sa toilette et achève d’arranger ses cheveux. De l’autre côté de la scène sur une chaise est un costume d’homme.
MÉLANIE.
Franciette, vous emporterez ces habits d’homme.
FRANCIETTE.
Oui. Madame, à l’instant ; mais permettez-moi de vous faire observée que vous avez eu tort de vous en servir aujourd’hui, monter à cheval, vous fatiguer ainsi un jour où vous recevez, où vous donnez un bal.
MÉLANIE, se levant.
Eh ! mon Dieu ! n’y suis-je pas accoutumée ? tu sais bien, Franciette, que sous le costume de ces messieurs je me sens tout autre qu’avec celui de mon sexe... Tu sais bien que je dédaigne ces plaisirs futiles de luxe et de vanité, qui font toute la vie des autres femmes.
FRANCIETTE.
Oui, Madame, je le sais.
MÉLANIE.
Air : Il faut souscrire à ma loi. (De Zampa.)
Briller est un sert flatteur,
Surtout pour une femme,
Mais ce n’est pas le bonheur
Que pour moi je réclame.
Pourtant la toilette et le bal,
J’en conviens, cela n’est pas ma !...
Briller est un sort flatteur
Pour une pauvre femme,
Je le sais bien, mais mon cœur
Rêve un autre bonheur.
Dès que le jour commence,
Je porte avec aisance
L’habit de cavalier ;
Je cours les bois, la plaine,
Et le bonheur m’entraîne
Au gré de mon coursier.
Puis, j’apprends cher Lepage
À venger un outrage... (bis.)
Oh ! oui, je le voudrais...
Qu’un fat m’insulte en face
Pour punir son audace,
Eh bien ! je me battrais ! (bis.)
Oui, je me vengerais.
Briller est un sort flatteur,
Surtout pour une femme,
Mais ce n’est pas le bonheur
Que pour moi je réclame ;
Pourtant la toilette et le bal
J’en conviens, cela n’est pas mal.
Briller est un sort flatteur
Pour une pauvre femme,
Je le sais bien ; mais mon cœur
Rêve un autre bonheur.
FRANCIETTE.
En effet, je l’ai déjà remarqué, Madame, Vous avez deux caractères bien distincts.
MÉLANIE.
Tu trouves ?
FRANCIETTE.
Et ce n’est pas ce qui enchante vos gens.
MÉLANIE.
Pourquoi cela ?
FRANCIETTE.
Ils disent qu’ils sont entrés chez vous pour servir une dame seule, mais qu’au lieu de cela et grâce au caractère, aux habitudes de Madame, ils servent un ménage complet.
MÉLANIE.
Comment ?
FRANCIETTE.
Qu’il leur faut ici, et pour vous seule, battre un habit et plisser une collerette, cirer des bottes et repasser une robe.
MÉLANIE.
Ah !... Dis-moi, Franciette, on n’est pas venu de chez mon costumier ?
FRANCIETTE.
Dans deux heures, on vous apportera votre habit de marquis ; il sera délicieux.
MÉLANIE.
Deux heures ! c’est bien.
FRANCIETTE.
Mais vous n’y pensez pas... vous allez changer encore une fois dans la soirée de personnage et de costume.
MÉLANIE.
Que veux-tu ? c’est la mode... tout le monde donne des bals travestis, et je veux...
FRANCIETTE.
Faire comme tout le monde ; vous avez raison, Madame.
Air de la famille de l’apothicaire.
Les bals à travestissements
À Paris sont fort à la mode,
Surtout depuis deux ou trois ans ;
Aussi, grâce à cette méthode,
Sous l’habit qui lui va le mieux,
Nous r’trouvons chacun à sa place :
Un diplomate en diabl’ boiteux,
Et plus d’un ministre... en paillasse.
Ainsi, Madame, dans deux heures, vous aurez l’audace, la galanterie, la fatuité d’un petit marquis, et d’ici là les caprices, la coquetterie de...
MÉLANIE.
Eh bien ?...
FRANCIETTE.
Pardon, j’ai bien pu dire les vérités de Monsieur devant Madame ; mais je n’oserai parler de Madame que lorsque vous serez Monsieur.
MÉLANIE.
À t’entendre, il semble que j’aie à la fois les défauts des deux sexes.
FRANCIETTE.
C’est bien assez de ceux du nôtre.
MÉLANIE.
Il est vrai que nous ne valons pas toujours beaucoup mieux que ces messieurs... ils sont inconstants, infidèles... mais trop souvent nous leur donnons l’exemple de la perfidie.
FRANCIETTE.
Oui, Madame, si souvent que j’en rougis pour mon sexe.
MÉLANIE.
Et comme nous abusons de l’empire que nous avons sur eux !
FRANCIETTE.
Oh ! oui, comme nous en abusons, nous pouvons nous en flatter !...
MÉLANIE.
Que de femmes se plaisent... Franciette, achève donc ma1 toilette ; je ne suis pas contente de ma coiffure.
Elle s’assied.
FRANCIETTE.
Vous êtes difficile.
MÉLANIE.
Tiens, cette fleur, ici... que de femmes se plaisent à torturer le cœur de ceux qui les aiment ! quel excès de coquetterie...ah ! c’est affreux, c’est indigne... et si j’étais homme...
FRANCIETTE.
Et moi aussi, si j’étais homme...
MÉLANIE.
Je me vengerais !
FRANCIETTE.
Et moi donc... je suis d’une rancune. Mais puisqu’à présent vous portez une robe, Madame, il est inutile de parler en faveur de ces Messieurs.
MÉLANIE.
Sans doute, mais qu’importe ? aucun d’eux n’est là pour nous entendre, et puis d’ailleurs, quand j’y pense, ils ont avec nous si peu d’indulgence, si peu de bonne foi... enfin, ce titre d’homme dont ils sont si fiers leur donne sur nous tant d’avantage ! Pour eux le courage, la force, les pensées grandes et généreuses ; pour nous au contraire rien que la parure, les chiffons, la toilette... Prends donc garde, ma guirlande est de travers.
FRANCIETTE.
Oui, Madame.
MÉLANIE, se levant.
Et puis si j’eusse été homme, je sens que j’aurais aimé à affronter les dangers, à braver les grandes douleurs... Aie, aie, aie, prenez donc garde, vous me piquez... maladroite, vous m’avez fait un mal affreux.
FRANCIETTE.
Pardon, Madame, c’est que je vous écoutais, Vous parlez si bien... Vous en étiez à votre courage dans les grandes douleurs.
MÉLANIE.
C’est bon, taisez-vous.
On entend une ritournelle.
Mais qu’est-ce que j’entends ? déjà du monde ?
FRANCIETTE.
Oui, Madame, plusieurs personnes de la société... un troubadour, un abbé, un grec... et des paillasses, beaucoup de paillasses... ah ! monsieur Balivet.
MÉLANIE.
Monsieur Balivet, l’homme d’affaires ?
FRANCIETTE.
Il n’est pas déguisé, celui-là, ni son ami non plus.
MÉLANIE.
Son ami ! monsieur Édouard ! Venez donc, Franciette, passez dans ce boudoir... vous n’en finissez pas aujourd’hui.
Elles sortent. Les portes du fond s’ouvrent ; on voit plusieurs hommes en costume, puis Édouard et Balivet en bourgeois.
Scène II
BALIVET, ÉDOUARD, plusieurs JEUNES GENS
Air : Amis, cette partie. (Du Pré aux Clercs.)
BALIVET.
Amis, je dois vous plaire,
Car suivant vos désirs
Moi, je mène une affaire
Au milieu des plaisirs.
Un traité d’importance
Se débrouille bientôt
Avec la contredanse
Et s’achève au galop.
CHŒUR.
Amis, il doit nous plaire,
Car suivant nos désirs,
Il traite chaque affaire
Au milieu des plaisirs.
BALIVET, distribuant des cartes d’adresse à ceux qui l’entourent.
Oui, Messieurs, oui, mes chers amis, voici mon adresse... Charlemagne-Désiré-Sosthène Balivet, homme d’affaires, ami des plaisirs et de la jeunesse, visible tous les jours a son bureau, rue Honoré, 91, depuis huit heures jusqu’à midi inclusivement, et tous les soirs dans le monde ou au foyer de l’Opéra et des Italiens depuis neuf heures jusqu’à minuit exclusivement.
Reprise.
Amis, il doit nous plaire, etc.
Sortie de tous les personnages, excepte Édouard et Balivet.
Scène III
ÉDOUARD, BALIVET
BALIVET.
Eh bien ! mon jeune ami, mon cher client, qu’avez-vous donc ?... pourquoi cet air sombre, mélancolique... en vérité, je ne vous comprends pas.
ÉDOUARD.
Laissez-moi !
BALIVET.
Toujours de mauvaise humeur, et avec moi, votre meilleur ami !... Édouard, vous m’affligez... mais où diable avais-je les yeux, moi, Sosthène Balivet, qui me pique de m’entendre en affaires, lorsque je vous ai avancé mes capitaux... Sosthène, mon ami, tu as fait une bêtise.
ÉDOUARD.
Eh ! mon dieu, on vous paiera, monsieur.
BALIVET.
Je me plais à le croire, mon cher client, mais enfin vous conviendrez qu’en traitant avec vous, j’avais trois garanties : 1° votre signature, 2° monsieur votre père qui jouit d’une excellente réputation, de cinquante mille livres de rentes, et d’une santé très chancelante... 3° votre physique.
ÉDOUARD.
Encore vos mauvaises plaisanteries.
BALIVET.
Je ne plaisante jamais lorsqu’il s’agit d’affaires... oui, jeune homme, vous avez un physique très agréable, peut-être même encore plus séduisant que le mien... ce n’est pas ma faute, mais enfin, la vaccine est un bienfait de la nature, qui ne m’a pas été accordé par la mairie de mon arrondissement... et vous voyez, il m’en est resté un inconvénient physique qui fait le malheur de ma vie.
Air : Moi je flâne.
C’est la grêle
Qui s’en mêle
Qui me nuit
Près d’une belle,
Oui, la grêle
Me harcèle
Et me poursuit
Jour et nuit.
Séducteur de dix-huit ans,
À fille plus jeune encore,
J’osais dire : je t’adore...
Lorsqu’un jour, il était temps !
Voulant qu’elle restât sage,
Le ciel au front me marqua :
Sur ce front gronda l’orage,
Et la grêle me resta.
C’est la grêle, etc.
L’autre jour au bal masqué,
Par une femme charmante,
Pour ma tournure élégante,
Mon cher, je fus remarqué.
Elle excusait mon audace,
Je tombais à ses genoux,
Lorsqu’elle me dit : de grâce,
Mon ami, démasquez-vous.
Parlant.
Je n’étais pas masqué du tout, ma parole d’honneur.
C’est la grêle, etc.
Enfin, il n’y a pas d’avanies, pas de tribulations que ne m’ait fait éprouver auprès des femmes ce fléau dévastateur !... mais revenons à ce que nous disions, mon cher client... donc, je pensais : si mes deux premières garanties viennent à me manquer, il me restera toujours la troisième.
ÉDOUARD.
La troisième !
BALIVET.
Sans doute, le physique, je nu-disais, ça lui fera faire un beau mariage et il me payera.
ÉDOUARD.
Ah ! je comprends.
BALIVET.
Du reste, je ne pense pas que vous ayez à vous plaindre de moi : qui est-ce qui s’est chargé de vous quand votre père vous a abandonné il y a deux mois, qui est-ce qui vous a nourri, logé ?
ÉDOUARD.
Oui, nourri, logé... à Ste-Pélagie.
BALIVET.
C’était dans vitre intérêt : je me suis dit, voilà un malheureux jeune homme d’un caractère très faible, il est capable de signer encore une foule de lettres de change et de dévorer à l’avance tout sou patrimoine, et je vous ai fait enfermer pour vous en empêcher.
ÉDOUARD.
Grand merci !
BALIVET.
Et vous, monsieur, dites, qu’avez-vous fait pour me prouver votre reconnaissance ?... ce qu’il a fait, le malheureux ?... j’apprends un jour que depuis son enfance, monsieur à la monomanie du suicide, et qu’il a voulu se pendre aux barreaux de sa prison ! et cela, sans pitié pour moi, sans songer l’ingrat que sa mort allait ruiner son meilleur ami !... ah ! Édouard, vous vous êtes conduit comme un égoïste, et je ne vous le pardonnerai jamais. Autant valait faire comme a fait dernièrement un jeune homme de la haute société... il a convoqué une assemblée de créanciers, et il leur a offert à tous...
ÉDOUARD.
Combien ?
BALIVET.
Rien pour cent... et voilà, monsieur, voilà aussi ce que vous me forciez d’accepter... si on vous avait laissé faire... c’était inconvenant...
ÉDOUARD.
Eh bien, consolez-vous, je ne suis pas mort.
BALIVET.
À qui la faute ?... c’est encore moi qui vous ai sauvé la vie... donc, voyant que la prison était contraire à votre tempérament, je vous en fais sortir et je ne vous quitte plus... vous m’apprenez que vous aimez madame d’Harcourt qui habite cette maison... moi je me dis : s’il l’aime, il y a gros à parier qu’elle l’aime aussi, ou du moins qu’elle l’aimera... car enfin, il est gentil, de beaux yeux, une jolie tournure... et pas grêlé... vous me dites que toutes vos ressources sont épuisées, qu’il vous est impossible même de vous présenter chez elle et de lui faire la cour ; justement je faisais une vaste entreprise de tailleur, je vous donne... c’est-à-dire, je vous prête... non, je vous vends, toujours sur la garantie de votre physique, un habit à la dernière mode, bleu barbeau, n° 1, pour que vous vous fassiez valoir mutuellement, et l’un portant l’autre, je vous mets dix louis dans une poche cinq cents de mes adresses dans l’autre, et je vous amène ici.
ÉDOUARD.
Ah ! croyez à ma reconnaissance... madame D’arcourt... Mélanie... la voir, lui parler, lui dire que sans elle je ne saurais plus vivre... oui, voilà ce que je veux... ce que je désire depuis si longtemps... mais quand je suis auprès d’elle, tout mon courage m’abandonne, je tremble...je balbutie, et je ne sais que lui dire.
BALIVET.
Eh bien, on parle d’abord de la pluie et de l’obélisque de Luxor, de la chambre des députés et des puces travailleuses. Et puis, tout doucement, tout doucement, on se lance... vous vous lancerez, jeune homme, vous vous lancerez ; je connais beaucoup de jeunes gens qui se sont tirés d’affaires au moyen d’un bon mariage... moi, par exemple... Eh bien, moi, je n’ai jamais pu, c’est vrai, mais c’est bien différent, la grêle !...
ÉDOUARD.
Ah, mon Dieu ! la voilà... je la vois...
BALIVET.
Ma grêle ?
ÉDOUARD.
Madame d’Harcourt.
BALIVET.
Eh bien, ne tremblez donc pas comme ça... tenez vous droit... rabattez un peu le collet de votre habit... là...
Il lui passe la main sur les hanches, et tire les pans de son habit.
Allons, de la prestance, jeune homme, de la prestance, et faites valoir ma troisième garantie.
Scène IV
ÉDOUARD, BALIVET, MÉLANIE
BALIVET.
Madame... j’ai l’honneur...
MÉLANIE.
Ah !... monsieur Balivet... que vous êtes aimable d’être venu...
BALIVET, à part.
Je suis aimable !... hum ! la connaisseuse !
MÉLANIE.
Et de nous avoir amené votre ami... il y a bien longtemps que nous ne l’avons vu, et c’est mal à lui...
ÉDOUARD, très timidement.
Croyez, madame, que pour me priver de ce bonheur, il a fallu des obstacles...enfermé comme je l’étais...
MÉLANIE.
Enfermé !
BALIVET.
Oui, madame, enfermé à la campagne.
MÉLANIE.
Mais auriez-vous été malade, je vous trouve tout changé.
BALIVET, à part.
Ah ! le malheureux ! elle le trouve changé, est-ce quelle ne l’aimerait plus ?...
ÉDOUARD.
C’est le résultat de la tristesse... de l’ennui.
BALIVET.
L’ennui de la campagne.
ÉDOUARD.
Et puis le chagrin, la solitude.
BALIVET.
La solitude de la campagne... il y a des gens qui ne peuvent pas souffrir.
MÉLANIE.
Eh ! bien, monsieur, puisque la solitude vous attriste tant, j’espère que vous viendrez souvent nous voir.
BALIVET, bas.
Souvent !... elle a dit souvent... jeune homme !
ÉDOUARD.
Je ne sais, madame, si j’oserai profiter...
BALIVET, bas.
Qu’est-ce qu’il dit ? ose donc, malheureux, ose donc.
BALIVET, bas.
Allons, dites quelque chose de gentil, de spirituel.
ÉDOUARD.
Madame... vous aurez beaucoup de monde aujourd’hui ?
MÉLANIE.
En effet.
BALIVET.
Oh ! c’est fini...il me ruinera.
Édouard froisse les pans de son habit.
Allons, voilà qu’il dégrade notre habit maintenant.
On entend une ritournelle.
MÉLANIE.
Ah ! déjà la contredanse.
BALIVET.
Invitez-la donc.
ÉDOUARD.
Je n’oserai jamais.
La société entre.
Scène V
ÉDOUARD, BALIVET, MÉLANIE, LA SOCIÉTÉ
CHŒUR.
Allons,
Dansons,
La fête commence,
Oui, le plaisir
À nous vient s’offrir
Allons,
Partons,
De la contredanse
C’est le signal ;
On ouvre le bal
BALIVET.
Quel effroi le glace !
Quoi ! ai peu d’audace !
On prendra sa place
Je dois aujourd’hui
Par prudence extrême
Inviter moi-même
La femme qu’il aime,
Et danser pour lui.
Parlé.
Madame voudra-t-elle me faire l’honneur...
MÉLANIE, bas.
Monsieur Balivet, qu’a donc votre ami ?
BALIVET.
Oh ! rien, de l’amour, une fougueuse passion...
À part.
imbécile, va !...
MÉLANIE, à part.
Pauvre jeune homme !
CHŒUR.
Allons, dansons, etc.
Balivet donne ta main à Mélanie, sortie générale ; Édouard reste seul.
Scène VI
ÉDOUARD, seul
Pendant ce monologue on entend au fond l’air de la contredanse.
Que je suis malheureux !... encore cette maudite timidité que j’ai toujours eue auprès d’elle... ne pas oser même l’inviter a une contredanse, et souffrir que ce misérable Balivet... oh ! je suis furieux contre lui, contre moi, contre ma mauvaise étoile... soyez donc aimable, auprès d’une femme comme elle, entourée des adorateurs les plus élégants et les plus riches, lorsque moi, moi !... l’habit même que je porte ne m’appartient pas... ah ! j’en perdrai la tête.
Regardant au fond.
Mélanie ! la voilà !... comme elle est jolie !...
Air : Trop malheureux Dermoni. (De Maison t vendre.[1])
Récitatif.
Heureuse loin de moi !...
Air :
De tous mes vœux... ah ! je l’appelle.
Et j’espère un tendre retour ;
Mais lorsque je sais auprès d’elle,
Je n’ose lui parler d’amour.
Dans ce bal dont elle est la reine
Chacun s’empresse sur ses pas...
À moi quand le plaisir l’entraîne
Sans doute elle ne songe pas...
Hélas ! elle ignore ma peine,
Et son cœur ne me comprend pas,
Non, son cœur ne me comprend pas.
Et cependant, ma voix l’appelle,
Tout bas, tout bas, ma voix l’appelle,
J’espère encor tendre retour ;
Mais toujours tremblant auprès d’elle,
Je n’ose lui parler d’amour.
Il faut enfin cesser d’être timide,
Dût-elle à l’instant me bannir...
C’en est fait... oui... je me décide,
Il faut parler, c’est trop souffrir !
Reviens, reviens, ma voix t’appelle, (bis.)
J’espère encor tendre retour ;
Mais hélas ! bientôt auprès d’elle
Je n’oserai parler d’amour (ter.)
Toujours tremblant près de ma belle,
Je n’ose lui parler d’amour
Non, je n’ose près de ma belle
Jamais parler d’amour (ter.)
Je n’ose, hélas ! parler d’amour.
La contredanse est finie... Balivet a quitté Mélanie... mais déjà un autre s’approche d’elle pour l’inviter... elle accepte et moi je la regarde de loin... je n’y tiens plus... Balivet ! il revient par ici... je ne suis plus en humeur de l’entendre, je me sauve, je vais m’approcher d’une table d’écarté, et je la verrai du moins si je ne puis danser avec elle.
Il sort par une porte, Balivet entre par l’autre.
Scène VII
BALIVET, puis FRANCIETTE
BALIVET.
Édouard ! monsieur Édouard ! mon client, mon ami intime... où est-il donc ? ah ! bien, le voilà... je l’aperçois, je sais où il est... je suis tranquille... il la regarde... très bien...très bien, Sosthène, tu peux respirer un instant.
Il s’assied et s’essuie le front. Franciette entre portant un plateau et plusieurs verres de punch.
FRANCIETTE, s’approchant de Balivet.
Monsieur Balivet désire-t-il ?...
BALIVET.
Ah ! c’est toi, mon enfant ! non, pas pour le moment.
Franciette va pour sortir.
Mais ça pourra venir, laisse toujours le plateau et causons ensemble.
FRANCIETTE.
Volontiers.
Elle pose le plateau.
BALIVET.
Ah ça ! dis-moi un peu, Franciette, ta maîtresse... lui as-tu parlé quelquefois de mon jeune ami ?
FRANCIETTE.
De votre client ?
BALIVET.
Juste.
FRANCIETTE.
Certainement, je lui en ai parlé.
BALIVET.
Qu’en pense-t-elle ?
FRANCIETTE.
Du bien.
BALIVET.
Vrai ?
FRANCIETTE.
Beaucoup de bien.
BALIVET.
Ah ! ma chère amie !
Il met la main dans sa poche.
FRANCIETTE.
Eh bien ! Monsieur ?...
BALIVET.
Embrasse-moi.
FRANCIETTE.
Ce n’est pas la peine.
BALIVET.
Si fait, ce n’est pas avec de l’or qu’on paie une parole comme celle-là. Elle en pense beaucoup de bien, je m’en doutais... c’est que je lui porte un intérêt à ce cher Édouard...
FRANCIETTE.
Oui, vous êtes très intéressé... à tout ce qui lui arrive.
BALIVET.
Est-il heureux, ce gaillard-là ! une femme charmante... tout à l’heure, en dansant avec moi, quelle grâce ! quelle élégance !
FRANCIETTE.
Oui, à vous deux, vous faisiez un joli couple.
BALIVET.
Flatteuse !... un instant, il m’a semblé en pressant sa taille qu’elle s’abandonnait...ça m’a donné des vertiges.
FRANCIETTE.
En vérité ?
BALIVET.
Parole d’honneur, j’ai cru sentir de l’abandon... oui, il y avait de l’abandon, et j’allais avoir de l’audace, j’allais lui serrer la main... mais par malheur, en dansant je suis passé devant une glace, je me suis vu en face, j’ai envisagé... mon inconvénient physique et je n’ai plus osé.
FRANCIETTE.
C’est dommage ! pauvre monsieur Balivet !
BALIVET.
Et puis d’ailleurs l’amitié avant tout.
FRANCIETTE.
C’est juste. M. Édouard...
BALIVET.
Puisqu’il est aimé.
FRANCIETTE.
Je n’ai pas dit cela, mais...
BALIVET.
Mais...
FRANCIETTE.
Pourquoi est-il si timide ?
BALIVET.
Ah ! voilà... qu’est-ce que je lui dis toute la journée ?... mon ami intime, mon client, pourquoi êtes-vous ?...
FRANCIETTE.
C’est très joli la timidité, ma maîtresse l’aime beaucoup... comme toutes les femmes, mais à la longue, ça devient monotone... du moins c’est l’avis de ma maîtresse.
BALIVET.
Et de toutes les femmes. Ah ! s’il était là pour t’entendre... Mais arrive donc, jeune imprudent, arrive donc.
Édouard entre en scène en courant, il vient sauter au cou de Balivet.
Scène VIII
BALIVET, FRANCIETTE, ÉDOUARD
ÉDOUARD.
Mon ami, mon cher ami ! que je suis heureux !
BALIVET.
Qu’est-ce qu’il a donc ?... Mon client, vous allez m’étouffer.
ÉDOUARD.
Et toi aussi, ma chère Franciette, il faut que je t’embrasse.
FRANCIETTE.
Monsieur !... Mais laissez-moi donc... Si c’est comme ça qu’il est timide !
Elle sort.
Scène IX
ÉDOUARD, BALIVET
BALIVET.
Allons, allons, calmez-vous donc... qu’est-ce que vous avez ?
ÉDOUARD.
Ce que j’ai ?... ce que j’ai ? Mon ami... je m’étais assis à une table d’écarté... seulement pour la voir... mais il y avait en face de moi un gros Anglais qui cherchait un partner... il a mis sur la table quatre pièces d’or.
BALIVET.
Quatre pièces d’or ! de vingt-quatre francs ?
ÉDOUARD.
Ma foi, moi, j’ai voulu avoir l’air d’être aussi riche que lui...
BALIVET.
Ah ! malheureux jeune homme, vous avez joué !
ÉDOUARD.
Et j’ai gagné.
BALIVET.
Alors c’est excusable... Combien ?
ÉDOUARD.
Que sais-je ? il a mis le double, j’ai gagné... le triple, j’ai gagné...
BALIVET.
Le quadruple ?
ÉDOUARD.
J’ai gagné.
BALIVET.
Voyez-vous ça ?
ÉDOUARD.
Et lui, il continuait toujours de jouer et de perdre avec un sang-froid imperturbable.
BALIVET.
Les Anglais ne perdent jamais autrement.
ÉDOUARD.
Enfin, j’ai de l’or dans toutes mes poches.
BALIVET.
Les poches de notre habit... Part à deux !... un petit à-compte.
ÉDOUARD.
Certainement... plus tard nous en causerons... maintenant je suis tout à la joie, au bonheur.
BALIVET.
Et moi donc ?... Cher Édouard, va ! il a de la chance au jeu ; c’est une quatrième garantie sur laquelle je n’avais pas compté... Un verre de punch !...
ÉDOUARD.
Oui, un verre de punch, deux verres de punch... trois verres de punch...
Il boit.
Je suis si heureux aujourd’hui !... À propos de bonheur, je vous dirai aussi que je viens d’apprendre que mon père est à Paris ; il loge dans cette rue, hôtel d’Artois.
BALIVET.
Oui, c’est juste, hôtel d’Artois, dans la rue de ce nom, rue Lafitte. Allons trouver cet homme respectable.
ÉDOUARD.
Non, ce n’est pas le moment... il est furieux contre moi... D’ailleurs, la personne qui m’a donné ces détails le quitte il n’y a qu’un instant, il est à dîner chez un ami, il vient sans doute pour me surveiller, pour contrarier encore mes inclinations ; mais que m’importe ? maintenant j’ai de l’argent, j’en gagnerai davantage encore, et je pourrai m’acquitter envers mes créanciers.
BALIVET.
Très bien, honnête jeune homme, qui paye ses dettes... s’arrondit.
ÉDOUARD.
Et puis à présent je ne serai plus timide, honteux près des femmes...
BALIVET.
Je crois bien... maintenant que vous êtes riche... C’est si affreux de ne pouvoir offrir quelque chose à celle qu’on aime... une limonade, une demi-glace.
ÉDOUARD.
Et pais on est si gêné dans un habit qui ne vous appartient pas.
BALIVET.
Surtout quand il est trop étroit.
ÉDOUARD.
Mais à présent... le bal... le jeu, le punch, tout cela me donne une audace, une intrépidité... Encore un verre de punch.
BALIVET.
Voilà, voilà.
Ils boivent encore.
ÉDOUARD.
Vive le bal ! c’est à lui que je devrai de triompher du cœur de Mélanie.
BALIVET.
Et de me payer mes vingt mille francs.
ÉDOUARD et BALIVET.
Vive le bal !...
ÉDOUARD.
Air : Vive la Lithographie.
C’est le bonheur de la vie,
C’est un plaisir très moral ;
Le bal, c’est la ma folie,
J’aime, j’adore le bal.
On se presse, on s’étourdit,
Et là chacun, grâce au bruit,
Est heureux sans contredit,
Ou du moins chacun le dit.
Mais silence,
Plus de danse
À deux heures du matin,
Le souper !... chacun s’élance...
Allons, pour nous mettre en train,
Le Champagne, quel plaisir !
En bouillonnant va partir !
Un cri s’élève bientôt,
Le galop, vite au galop !
Plus de rang, plus de distance,
Et narguant l’opinion,
Gaiement la doctrine danse
Avec l’opposition.
Ah ! livrons-nous au plaisir...
Trop vite, hélas ! il va fuir,
Tout finit
Avec la nuit,
Et bonsoir,
Jusqu’au revoir.
Tout se replace a merveille,
Et vous retrouve ! enfin,
Dans votre ami de la veille,
L’ennemi du lendemain.
Bonsoir à l’égalité,
Fugitive déité ;
Ton règne, destin fatal,
Dure l’espace d’un bal
Votre bourse est à la baisse,
Votre cerveau tout fêlé.
Avez-vous une maîtresse ?
Son amour vous est volé.
Migraines, oppressions,
Maux de nerfs et fluxions,
Plus d’un rhumatisme aigu
Et plus d’un mari...
Enfin, c’est égal.
Reprise du refrain.
C’est le bonheur de la vie,
C’est un plaisir très moral ;
Le bal, c’est là ma folie,
J’aime, j’adore le bal.
Décidément, quand je serai riche, je donnerai des bals, des bals costumés.
BALIVET.
Et moi aussi, j’en donnerai... par souscription... c’est plus économique... Silence ! madame d’Harcourt !
ÉDOUARD.
Mélanie !... Quel bonheur !
BALIVET.
Du courage !... et si vous êtes embarrassé... je vous soufflerai.
Scène X
ÉDOUARD, BALIVET MÉLANIE
MÉLANIE.
Ah ! c’est vous. Messieurs !
Bas.
Voyons s’il tremblera toujours, et tâchons de l’encourager un peu.
BALIVET, bas.
Allons, une, deux, partez.
ÉDOUARD.
Madame... vous avez donc déserté la danse ?
MÉLANIE.
Mais vous-même, monsieur Édouard, vous n’y avez pas paru.
ÉDOUARD.
Qu’y eussé-je fait, Madame, tous dansiez avec un autre.
BALIVET, bas.
Pas mal... c’est gentil.
MÉLANIE.
Vous auriez pu m’inviter comme un autre, Monsieur, je ne vous aurais point refusé.
ÉDOUARD.
Vous le savez, Madame, je suis si timide !
MÉLANIE.
Peut-être est-ce un tort à votre âge.
BALIVET, à part.
Voilà que ça vient... pas mal.
ÉDOUARD.
Oui, Madame, oui, vous avez raison, j’avais tort, mais, à l’avenir, on ne m’adressera plus ce reproche ; et si celle que j’aime voulait m’encourager un peu.
MÉLANIE.
Celle que vous aimez ?
BALIVET, à part.
Très bien ! Eh, eh, eh ! ça me fait de l’effet.
ÉDOUARD.
Oui, Madame, celle qui m’est plus chère que la vie, qui, d’un mot, peut faire mon bonheur ou me perdre a jamais... Mélanie.
BALIVET, à part.
Bravo !... il va la tutoyer.
MÉLANIE.
Quel langage. Monsieur !
Bas.
Et moi qui voulais l’encourager...
ÉDOUARD.
Mélanie... ce mot, refuserez vous de le prononcer ?
MÉLANIE.
Monsieur, ici, dans un pareil moment !...
BALIVET, bas.
Allons, à genoux, chauffez, chauffer.
ÉDOUARD, à genoux.
Oui, chère Mélanie, vous voyez à vos genoux... l’amant le plus tendre... le plus épris.
BALIVET, bas.
Le plus brûlant... et pas grêlé...
MÉLANIE.
Monsieur, relevez vous donc, que penserait-on de moi, si l’on venait ?
BALIVET.
Ou ne viendra pas, il y a un Dieu pour les amants.
MÉLANIE.
Les amants !... et qui vous a dit monsieur, que j’aimais M. Édouard ?
BALIVET.
Qui me l’a dit ? eh parbleu ; c’est lui...
MÉLANIE.
Vous, monsieur ?
ÉDOUARD, se relevant.
Eh, pourquoi m’en défendre ? mes yeux n’ont-ils pas compris les vôtres ?... Oui, belle Mélanie ; je vous aime, je vous adore... et depuis longtemps vous le saviez, n’est-il pas vrai ? et comme je n’avais d’autre bonheur que de penser à vous, de parler de vous... j’ai dit à cet ami, qui possède tout ma confiance... que sans vous je ne pouvais plus vivre, et que vous partagiez ma tendresse.
BALIVET, applaudissant avec nonchalance.
Brava, brava !
MÉLANIE, à part.
Quelle audace !
Haut.
Ah, monsieur, que je vous avais mal jugé !
BALIVET.
N’est-ce pas, madame ?... et moi aussi je l’avais mal jugé... parce qu’il ne disait jamais rien, qu’il était si gauche si embarrassé, je l’avais pris pour... du tout, au contraire... c’est un jeune homme de beaucoup d’esprit.
Musique.
Ah, le galop !
ÉDOUARD.
Cette fois, belle Mélanie, j’ose espérer...
BALIVET.
C’est cela... à merveille.
MÉLANIE.
Non, monsieur, je refuse.
ÉDOUARD.
Est-il possible !...
BALIVET.
Elle refuse !
MÉLANIE.
Je vous laisse... j’espère, monsieur que vous ne renouvellerez pas à l’avenir une plaisanterie qui m’offense... Vous vous rappellerez que si trop de timidité est blâmable dans un jeune homme, c’est du moins préférable à l’insolence et à la fatuité.
Elle sort.
Scène XI
BALIVET, ÉDOUARD
ÉDOUARD.
Je suis anéanti.
BALIVET.
Je reste inamovible, j’ai la langue clouée au palais et les pieds au parquet.
Il va prendre un verre de punch et en offre un à Édouard qui le refuse. Il les boit tous les deux.
ÉDOUARD.
Suis-je assez malheureux !
BALIVET, buvant.
Et moi donc !
ÉDOUARD.
Une femme que j’aimais.
BALIVET.
Un mariage sur lequel je comptais.
ÉDOUARD.
Oh ! mais je me vengerai.
BALIVET.
Ça ne me pavera pas.
ÉDOUARD.
Encore quelques billets de mille francs et je pourrai payer toutes mes dettes ; alors plus de raisons pour que mon père m’en veuille... et comme je suis en veine aujourd’hui, je gagne, et demain tout est pardonné, je fais la cour à une autre, je l’épouse... sans l’aimer...
BALIVET.
Qu’est-ce que ça fait quand on se venge ?
ÉDOUARD.
Elle me regrettera... elle sera désolée... elle pleurera... moi aussi, je pleurerai.
BALIVET.
Raisons de plus, c’est bien ce qui en fait le charme... oui, nous sommes trop bous avec les femmes... à propos de femmes... et cet à compte que vous vouliez me donner...
ÉDOUARD.
Allez au diable.
BALIVET.
Mauvais cœur !
ÉDOUARD.
Je vais me venger.
BALIVET.
Sur qui donc ?
ÉDOUARD.
Sur mon anglais.
Il sort en courant.
Scène XII
BALIVET, seul
Oh ! c’en est fait... ce garçon là à une étoile malheureuse... et je n’en ferai jamais rien... si j’avais son physique... je parlerais pour moi-même et je réussirais... car enfin, je vaux mieux que lui, grêle à part ; mais j’oubliais, je vais aller me travestir, et avec mon habit de marquis, si je voulais me mêler de faire une déclaration a une femme... oui, belle veuve !... adorable veuve... ah, la voilà !... si je pouvais rapapilloter la chose ! elle rêve, c’est bon signe...
Scène XIII
BALIVET, MÉLANIE
MÉLANIE, s’asseyant et rêvant sur le devant de la scène.
Il était là... impassible, pris d’une table de jeu... après son affreuse conduite, il ne m’a pas même vue quand j’ai passe près de lui... Oh ! maintenant tout est fini entre nous.
BALIVET.
Oh ! madame, ce serait bien cruel pour un pauvre jeune homme qui vous aime... qui vous...
MÉLANIE.
Vous êtes son ami, Monsieur ?
BALIVET.
Oui, madame, je vous assure que dans ce moment-là, c’était le jeu qui...
MÉLANIE, se levant.
Le jeu !... quelle horreur !...
BALIVET.
Non, non, c’était le punch.
MÉLANIE.
Le punch, singulière excuse.
BALIVET.
Eh bien, non, madame... c’était... c’étaient tout les deux... sans cela, madame, vous connaissez sa douceur, sa timidité, certes, ce n’est pas lui qui se permettrait dans son petit ménage... avec sa petite femme... avec sa petite femme.
À part.
Ça doit l’émouvoir ce mot-là.
MÉLANIE.
Quoiqu’il en soit, Monsieur, je vous prie de le prévenir qu’il n’est plus qu’un seul moyeu de ne pas me déplaire.
BALIVET.
Dites-le, madame, nommez ce moyen, et mon ami s’y cramponne,
MÉLANIE.
C’est de ne plus se présenter ici...
BALIVET.
Allons, encore une émotion... madame, quelle rigueur pour lui et pour moi.
MÉLANIE.
Pour vous ?
BALIVET.
C’est sous le couvert de mon ami que je trouvais quelque fois le mien chez vous, et maintenant...
MÉLANIE.
Maintenant, monsieur, j’aurai toujours beaucoup de plaisir à vous voir... à vous envoyer des invitations...
BALIVET.
Ah ! madame, que de reconnaissance, permettez-moi de vous remettre ma carte... je suis flatté de la préférence.
Tirant sa montre et se parlant à lui-même.
Il n’est pas dix heures, je vais faire un coup de ma tête, je vais trouver le père du jeune homme, et puis je reviens... en grand costume.
Haut, en montrant sa carte.
Charlemagne-Désiré-Sosthène Balivet, rue Honoré, 91. J’ai l’honneur... Ne vous dérangez pas, je vous en prie.
Il sort.
Scène XIV
MÉLANIE, puis ÉDOUARD
MÉLANIE.
Enfin, m’en voilà délivrée... non certes, je ne le recevrai plus, je ne lui enverrai pas d’invitation, à lui surtout... c’est lui sans doute qui a perdu M. Édouard par ses conseils... M. Édouard ! oh ! je ne lui pardonnerai jamais... le voici !... je ne veux pas qu’il me voie... je me retire.
Elle marche vers la porte de son boudoir, Édouard entrant vivement et sans la voir.
ÉDOUARD.
Plus rien ! rien, je suis désespéré.
MÉLANIE, s’arrêtant.
Qu’a-t-il donc ? comme il a l’air souffrant ! Elle se cache derrière une psyché et elle écoute.
ÉDOUARD.
J’ai tout perdu... et lui, mon anglais, sans dire un seul mot, toujours avec sa figure immobile, impassible, il reprenait cet or... qui lui appartient après tout, puis mes dix louis, ma seule ma dernière ressource ; puis enfin toujours acharné dans mon malheur, j’ai joué encore sur parole... et j’ai perdu... et il faut que je paie, et je n’ai rien... mon père est furieux contre moi... il m’abandonne... eh bien, c’est juste, je l’ai mérité... et cela devrait être.
MÉLANIE.
Pauvre jeune homme !
ÉDOUARD.
D’ailleurs, quand j’aurais encore tout cet or que le démon du jeu avait jeté dans mes mains ; quand j’aurais une partie de la fortune de mon père, qu’en ferais-je ? à quoi désormais me servirait-elle ? Mélanie, Mélanie !... Elle est irritée contre moi... je viens de perdre à jamais, par ma faute, l’espérance de lui plaire... Ah ! c’en est trop !... Et c’est ce misérable Balivet qui est cause de tout cela !
MÉLANIE, à part.
J’en étais sure.
ÉDOUARD.
Et moi, moi... je n’ai plus qu’un parti à prendre... il le faut... je ne puis, échapper à ma destinée !
MÉLANIE.
Que dit-il ?
ÉDOUARD.
Oui, me voilà revenu où j’en étais il y a quinze jours, lorsque dans ma prison...
MÉLANIE.
Dans sa prison !... Ah ! mon Dieu !
ÉDOUARD.
Allons, sachons supporter les conséquences de mes fautes. Je vais écrire mes adieux à Mélanie et mon testament.
MÉLANIE.
Son testament !
Édouard s’assied devant une table ; Mélanie écoute toujours.
ÉDOUARD.
Air de la Mansarde.
Voici ma volonté dernière,
Puisqu’il faut mourir aujourd’hui :
Je lègue d’abord à mon père
Mes créanciers... c’est près de lui
Qu’ils doivent trouver un appui.
Je ne suis aimé de personne,
Eux seuls redoutaient mon trépas ;
Mais que du moins on me pardonne
Lorsque je vais fuir d’ici-bas.
MÉLANIE.
Non, Monsieur, vous ne mourrez pas ;
Non, vous ne mourrez pas.
Elle va s’approcher de lui.
ÉDOUARD, se levant vivement.
Mourir ainsi !... un suicide... Ah ! plutôt, que ne trouvé-je là quelqu’un qui me provoque, qui m’insulte, avec qui je puisse me battre...
MÉLANIE.
Comment, se battre !... Ah ! si j’étais homme, comme je lui donnerais ce plaisir !
ÉDOUARD.
Même air.
Mais non, car je suis seul coupable,
Et seul je dois être puni ;
Mélanie est inexorable...
Ainsi pour moi tout est fini ;
Non, plus d’espoir, tout est fini.
Il retourne à la table et écrit encore.
Peut-être après ma dernière heure,
Malgré mes torts tu me plaindras.
Toi que j’aime, il faut que je meure
Si tu ne peux m’aimer, hélas !
MÉLANIE.
Non, Monsieur, vous ne mourrez pas ;
Non, vous ne mourrez pas.
ÉDOUARD, après le couplet.
Oui, dans quelques instants elle recevra cette lettre.
Il écrit encore quelques lignes ; Mélanie s’est éloignée de son fauteuil, et se trouve au fond du théâtre ; Franciette entre par une des portes du fond, et Balivet, en costume de marquis, par une porte latérale.
Scène XV
MÉLANIE, ÉDOUARD, FRANCIETTE, BALIVET
BALIVET.
Eh bien, belle dame, connue ut me trouvez-vous ?
FRANCIETTE.
Madame, ou vient d’apporter votre costume de marquis.
BALIVET.
De marquis... tiens ! comme moi... je suis trop heureux, belle dame !...
MÉLANIE.
Air : Chut ! partons plus bas.
Chut ! ne dites rien,
Je vous en prie,
Il y va de sa vie.
Chut ! ne dites rien,
Et grâce à nous pour lui tout ira bien.
BALIVET, à demi-voix.
Comment ! il y va de sa vie ?
MÉLANIE, à Balivet.
Veillez sur lui ; ne le quittez pas... il s’agit de prévenir un grand malheur !... Et toi, Franciette, suis-moi.
Reprise à demi-voix par les trois personnages.
Chut ! ne disons rien,
On nous en prie,
Il y va de sa vie,
Chut ! ne disons rien,
Et grâce à nous pour lui tout ira bien.
Mélanie et Franciette entrent dans le boudoir ; Balivet reste en scène avec Édouard.
Scène XVI
BALIVET, ÉDOUARD
BALIVET.
Si j’y comprends rien, je veux bien...
ÉDOUARD, se levant.
Oui, c’en est fait... et maintenant... Balivet !...
BALIVET.
Mon ami intime...
ÉDOUARD.
Ah ! je vous retrouve enfin ; j’en suis bien aise.
BALIVET.
Moi aussi, je m’accroche à vous, et je ne vous quitte plus... Je viens de me travestir, comme vous voyez, et j’ai été rendre visite à monsieur votre père... en grand costume... j’espère que je n’ai pas été long.
ÉDOUARD.
Vous, malheureux, sans me prévenir !
BALIVET.
Écoutez-moi, jeune emporté... Je lui ai dépeint votre malheur, votre repentir ; j’ai eu de très beaux mouvements, j’ai employé toute mon éloquence pour exciter sa sensibilité, pour le fléchir, l’attendrir, le faire pleurer.
ÉDOUARD.
Eh bien ?
BALIVET.
Eh bien ! il m’a mis a la porte... en grand costume. Il ne veut entendre parler de rien... Heureusement vous avez de l’argent.
ÉDOUARD.
Je n’en ai plus... j’ai tout reperdu.
BALIVET.
Ah ! l’infortuné... au diable ma quatrième garantie !
ÉDOUARD.
Tenez, Balivet, vous remettrez cette lettre à madame d’Harcourt.
BALIVET.
Cette lettre ?
ÉDOUARD.
Adieu, adieu pour la dernière fois !
BALIVET.
Où voulez-vous aller ?
ÉDOUARD.
Me tuer.
BALIVET.
Vous tuer !... Allons, voilà sa monomanie qui le reprend... Mais savez-vous bien, jeune homme, tête romanesque, égarée, renversée, abrutie par l’amour et l’adversité, savez-vous que c’est un grand crime que de se tuer ? un crime que la loi devrait punir... un crime pour lequel on ne trouve aucune espèce de réparation ?... le savez-vous bien, mon ami intime ?... D’ailleurs, vous n’en avez pas le droit.
ÉDOUARD.
Je n’en ai pas le droit ?
BALIVET.
Certainement, le code vous le défend ; vous m’appartenez... j’ai trois prises de corps pour mes vingt mille francs.
ÉDOUARD.
Vous tenteriez en vain de me retenir.
BALIVET.
Édouard, mon cher Édouard ! songez à votre père, songez à moi dont toutes les garanties sont épuisées.
ÉDOUARD.
Laissez-moi, vous dis-je... Adieu.
Il s’échappe de ses mains.
BALIVET.
Non, je ne vous quitte pas.
Le galop s’exécute au fond du théâtre et empêche Balivet de sortir.
Scène XVII
BALIVET, LA SOCIÉTÉ
BALIVET, criant de toute la force.
Laissez-moi donc passer... il faut que je sorte... Maudits danseurs ! ils ne m’écoutent pas.
CHŒUR.
Air : d’Amédée de Beauplan.
Vite au galop, au galop,
Courons, que rien ne nous arrête,
Et que bientôt
Le galop
Nous fasse, amis, perdre la tête.
BALIVET.
De grâce, Messieurs, laissez-moi,
Pour mon client je meurs d’effroi ;
J’en deviendrai fou, je le crois.
Oui, j’aimais le galop dès mes plus jeunes ans,
Mais il va m’en conter hélas ! vingt mille francs.
C’est le galop,
Allons donc, rien ne les arrête...
Ah ! le galop
Va bientôt
Me faire ici perdre la tête ;
Reprise du chœur.
Vite, au galop, etc.
Les danseurs s’éloignent.
ÉDOUARD, à la cantonade.
Misérable ! un soufflet !... tu ne m’échapperas pas.
La danse cesse ; Édouard rentre en scène pâle de colère. Balivet va au-devant de lui.
Scène XVIII
BALIVET, ÉDOUARD, LA SOCIÉTÉ
BALIVET.
Mon ami intime, expliquez-vous.
ÉDOUARD.
J’étais désespéré, je sortais, j’allais en finir, lorsque, dans un corridor, un jeune homme que je ne connais pas, dont j’ai à peine entrevu la figure, mais habillé... Tenez, habillé à peu près comme vous, Balivet, seulement un peu plus petit, prononçait à demi-voix le nom de madame d’Harcourt... J’écoute... il parlait avec insolence des hommages que je lui offrais... Je lui demande raison, il se précipite, me frappe...
BALIVET.
Un soufflet !
À part.
Que Dieu le lui rende... ça retardera du moins son suicide.
ÉDOUARD.
Je veux le saisir, il s’échappe, me jette sa carte, monte en voiture et disparaît. Cette carte, où est-elle donc ? je l ai froissée dans mes mains... Ah ! mon Dieu ! si je l’avais perdue !
Scène XIX
BALIVET, ÉDOUARD
BALIVET.
Un instant, qu’allez-vous faire ?
ÉDOUARD.
Punir l’insolent.
BALIVET.
Vous battre ! D’abord êtes-vous bien sûr que c’était un soufflet ?
ÉDOUARD.
Comment !
BALIVET.
Ce n’était peut-être qu’un coup de poing... un simple coup de poing...La nuit, sans lumière, on peut se tromper, et l’on ne se bat pas pour un coup de poing... Moi, par exemple, il m’est arrivé de recevoir bien des coups de pied... Ah ! ai c’eut été un soufflet, bon... mais un coup de pied, non.
ÉDOUARD.
Vous êtes fou.
BALIVET.
Du tout, un coup de pied est une insulte trop basse pour que je me batte. Je ne m’occupe jamais de ce qui se passe derrière moi.
ÉDOUARD.
Mais qu’ai-je donc fait de celle maudite adresse ?... Dans ma colère... Ah ! la voilà.
BALIVET.
Jeune homme, croyez-moi, ne la lisez pas encore.
Il la lui prend.
ÉDOUARD.
Que prétendez-vous faire ?... Rendez-moi...
BALIVET.
Songez-y, un duel, préjugé barbare, un pistolet qui vous tue sans avoir le temps d’embrasser ses amis, son père, qui arrive de province, d’arranger ses affaires, de payer ses créanciers...
À genoux.
Jeune homme, songez à tout cela, et que la voix de la nature qui vous parle par la mienne...
ÉDOUARD.
Vous tairez-vous, maudit bavard ? me rendrez-vous cette carte ?
BALIVET.
Mon meilleur ami !
ÉDOUARD, furieux.
Pas un mot, cette carte ?
BALIVET, se relevant.
Allons, allons, la... voilà, je vais vous la lire...
Bas.
Je crois que je l’ai un peu calme... j’ai eu de l’éloquence.
ÉDOUARD.
Enfin.
BALIVET.
J’y suis...
Lisant.
« Sos... Sosthènes... Sosthènes Balivet !... » Quelle indécente plaisanterie !
ÉDOUARD, lisant.
« Sosthènes Balivet !... » C’était donc vous, misérable !
BALIVET.
Moà !...
ÉDOUARD.
En effet, dans l’obscurité, je ne pouvais distinguer ses traits, et puis il changeait sa voix, il cherchait même à contrefaire sa taille.
BALIVET.
C’est ça, je me dégrossissais pour avoir l’air d’un jeune homme... Ah ! amère dérision !
ÉDOUARD.
Tenez, la manière même dont vous vous défendez me prouve que mes soupçons étaient justes... Oh ! n’espères pas me donner le change... c’était vous, c’était bien vous.
BALIVET.
Moi, encore ! moi, capable de donner un soufflet à quelqu’un... regardez-moi donc.
ÉDOUARD.
Pourtant c’est bien votre nom, votre adresse, c’est bien vous... Oh ! ne croyez pas m’abuser.
BALIVET.
Désabusez-vous, au contraire, je vous jure que j’étais ici ; il y a alibi.
ÉDOUARD.
C’est une ruse dont je ne suis pas dupe, et je vous demande raison.
BALIVET.
Raison !...depuis que je vous connais, je cherche à vous la rendre, la raison, c’est absolument comme si je chantais une robe légère.
ÉDOUARD.
Oh ! c’en est trop...Vos armes, monsieur, vos armes ?...
BALIVET.
Mes armes !... la persuasion... je n’en veux pas d’autres.
Scène XX
BALIVET, ÉDOUARD, FRANCIETTE
FRANCIETTE.
Monsieur Édouard, voici une lettre qu’on vient d’apporter à l’instant, elle est à votre adresse.
ÉDOUARD.
À mon adresse ?
BALIVET.
Une lettre... elle arrive à point.
FRANCIETTE.
C’est je crois de la part de monsieur votre père.
ÉDOUARD.
De mon père
Il lit.
« Une personne de tes amies est venue me parler en ta faveur. »
BALIVET.
C’est moi, vous savez, tantôt...
ÉDOUARD.
« Grâce à l’intérêt qu’elle m’inspire... »
BALIVET.
Je lui inspire de l’intérêt.
ÉDOUARD.
« Et par égard pour elle, je te pardonne. »
BALIVET.
Par égard pour moi... malicieux vieillard, il m’a mis a la porte... en grand costume.
ÉDOUARD.
« Je paierai monsieur Balivet quand il le voudra.
BALIVET.
Tout de suite.
Il va pour sortir.
ÉDOUARD.
Arrête...tu ne sortiras pas de mes mains.
BALIVET.
De vos mains, qu’est-ce que ça me fait, pourvu que je sorte de la maison.
ÉDOUARD, le tenant au collet et continuant de lire.
« Tu aimes une femme charmante, je le sais, et je consens à ton mariage, si elle te trouve encore digne d’elle... »
BALIVET.
Mon ami, vous m’étranglez !
ÉDOUARD, sautant de joie.
Oh ! quel bonheur !... mon père, mon bon père, ce cher Balivet... et c’est vous qui l’avez attendri.
BALIVET.
Eh ! bien, et vous qui vouliez vous tuer... avouez qu’il a bien fait celui qui vous en a empêché en vous froissant un peu... l’amour propre...
ÉDOUARD.
En effet, je l’oubliais... insensé, je m’abandonnais à des rêves de bonheur et mon affront est encore impuni... Balivet, cette carte qui est la vôtre... si ce n’est vous, vous devez connaître celui qui me l’a remise.
BALIVET.
Allons, il va recommencer.
ÉDOUARD.
Quel qu’il soit, ou sa vie ou la mienne, il faut que je me venge, il faut que je le tue.
Scène XXI
BALIVET, ÉDOUARD, FRANCIETTE, MÉLANIE, en marquis
MÉLANIE.
Eh ! bien, tuez-le donc, monsieur, tuez-le, car le voilà.
ÉDOUARD.
Mélanie !... c’était vous.
BALIVET.
C’était un soufflet de femme ! il n’a pas reconnu ça tout du suite... ce que c’est que de n’avoir pas l’habitude.
ÉDOUARD.
Comment madame, c’était vous ?
MÉLANIE.
Oui, monsieur, moi, qui n’ai trouvé que ce moyen de vous forcer a vivre et de me venger en même temps de votre impertinence de tantôt... si vous exigez une réparation ?
ÉDOUARD.
Ah ! madame !
BALIVET.
Moi, je suis scélérat dans l’âme, si une femme me souffletait... allons donc, jeune homme ; allons donc.
ÉDOUARD, à Mélanie.
Air : Du vaudeville de Préville.
Vous ne pouvez ici me refuser,
Car c’est un droit que de vous je réclame :
Vous le savez, ce droit, c’est un baiser
Pour le prix d’un soufflet donné par une femme ;
Mais le courroux brille encore dans vos yeux
Cette colère à genoux je l’implore
N’hésitez pas... je serais trop heureux
Si vous pouviez me souffleter encore,
À ce prix-là, frappez, frappez encore.
Il lui baise la main.
BALIVET.
Certainement, à ce prix là, je voudrais recevoir une grêle... c’est-à dire non, une foule de soufflets... et maintenant pour compléter la réparation, je na vois qu’un bon mariage. Seulement, un conseil. Aimez-vous toujours bien.
À Mélanie.
Soyez père...
À Édouard.
et mère d’une nombreuse famille, et surtout n’oubliez jamais de faire vacciner vos enfants...
MÉLANIE, au public.
Air d’Yelva.
Sous cet habit parfois j’ai de l’audace.
Mais redoutant votre sévérité,
Pour mes défauts je viens demander grâce ;
Je me reprends... plus de témérité.
Montrant Édouard.
Si ma conduite envers lui fut cruelle,
N’imitez pas tout le mal qui j’ai fait,
Et n’allez pas, me prenant pour modèle,
Aux auteurs donner un soufflet.
Daignez, messieurs, prendre un autre modèle,
À nos auteurs épargner un soufflet.
[1] Ce morceau de chant peut être supprimé à la représentation.