Le Zig-zag (Raymond POISSON)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en juin 1662.

 

Personnages

 

ISABELLE, amoureuse d’Octave

LÉONOR, Mère d’Isabelle

CATIN, servante de Léonor, amoureuse de Crispin

OCTAVE, amant d’Isabelle

CRISPIN, valet d’Octave, amoureux d’Isabelle

 

 

Scène première

 

CATIN

 

Y Alon, y alon, Godeluriau,

Jour de Dieu je le trouvons biau

Ce Crispin, il a de quoi frire,

Et si je l’auron, c’est tout dire.

Qui m’a donné ce sot bastié ?

Diable soit le gallefretié ;

Y croyet par son biau langage

M’avoir peut-être en mariage :

J’aime trop mon pauvre Crispin.

Un jour il me dit, Catin,

Ma mignonne, que je te baise :

Ce pauvre garçon fut plus aise,

Car je le laissai faire un peu ;

J’estiens plus rouge que du feu,

Y disait, découvre ta gorge ;

Non ferai, dis-je, par Saint George,

Je ne la découvrirai pas.

Il se pâmoisi dans mes bras

Dès que je lâchai la parole :

Je pleury, j’étais pire que folle ;

Y tomba tout plat contre moi,

Aussi froid que je ne sais quoi.

Que fis-je ? je pris ma jambette,

Et lui coupai son éguillette,

Il eut crevé dans ses panneaux ;

J’ôty de ses doigts ses anneaux,

Et lui fis boire du vinaigre ;

Par bonheur c’était un jour maigre,

J’en fis cuire du poisson.

D’abord ce malheureux garçon

Se releva plus droit qu’un Cierge,

Et plus blanc que la Cire Vierge,

Enfin tout comme un trépassé.

S’il avait été mon Fiancé,

Comme il le sera, Diable emporte,

On eut murmuré, mais n’importe,

On en eut dit ce qu’on eut dit,

Je l’aurais bouté dans mon lit.

Y vient, y me cherche, je gage,

J’ai seulement vu son visage,

Le sang me trouble partout,

Je l’aime tout de bout en bout,

C’est folie à moi de le taire.

 

 

Scène II

 

CRISPIN, CATIN

 

CRISPIN.

Moi ! j’aime Isabelle, et j’espère

Qu’elle me donnera son cœur !

Il m’en arrivera malheur.

CATIN.

Ce pauvre cœur, qu’il est aimable !

Mais voyez qu’il est agréable !

Mon fanfan, je songeais à toi.

CRISPIN.

Veux-tu m’obliger ? laisse-moi,

J’ai des affaires dans la tête.

CATIN.

Tredame, Crispin, es-tu bête ?

C’est ta Catin qui parle à toi.

CRISPIN.

Mais encore un coup laisse-moi.

CATIN.

Mais qu’as-tu donc, chien de voirie ?

CRISPIN.

Mais rentre chez toi, je te prie.

CATIN.

C’est tout de bon qu’il est fâché :

Sur quelle herbe as-tu donc marché ?

Apprends-le moi, ne te déplaise.

CRISPIN.

C’est sur la bonne ou la mauvaise ;

Mais ne t’enquête pas sur quoi,

Et cherche qui voudra de toi.

CATIN.

Veux-tu rire ? que veux-tu dire ?

CRISPIN.

Non, ma foi, je ne veux pas rire,

Car j’en aime une autre que toi.

CATIN.

Tu me tiens ce discours à moi !

Qui grondais tout à l’heure encore

Va Gentilhomme qui m’adore,

Qui me disait, je te ferais

Damoiselle, si tu voulais

N’aimer plus Crispin. Ce langage

M’a mise en une telle rage

Contre lui, qu’il est assuré.

Que je l’aurais défiguré.

CRISPIN.

Qu’il te cajole, qu’il te baise,

Qu’il t’épouse, j’en suis fort aise.

CATIN.

Merci-Dieu, tu n’es qu’un maraud,

Je suis ta Femme, ou peu s’en faut :

Tu me prends donc pour une Idole ?

M’as-tu pas donné ta parole ?

CRISPIN.

Oui, je te la donnai jadis,

Mais à présent je me dédis.

CATIN.

Quoi ! c’est Lundi nos Accordailles,

Et Dimanche nos Épousailles,

Jour de Dieu, tu te dédiras !

Non feras, ma foi, non feras ;

Car avant que le jour s’écoule,

Nous en ferons péter la goule

Peut-être à Monsieur l’Avocat.

Cent Diables qu’il est délicat !

Elle pleure.

Pourquoi suis-je si malheureuse

De l’aimer ?

CRISPIN.

La laide pleureuse !

Que tu pleures vilainement !

ISABELLE, à la fenêtre.

Catin.

CATIN.

J’y vais dans un moment.

CRISPIN, à Catin.

Va-t’en, j’attends ici mon Maître.

ISABELLE, à la fenêtre.

Catin.

CRISPIN, à Catin.

Va, je le vois paraître.

Isabelle a mon cœur.

 

 

Scène III

 

OCTAVE, CRISPIN

 

OCTAVE.

Sers-moi,

Cher Crispin, j’ai besoin de toi :

Tu connais assez Isabelle ?

CRISPIN.

Que trop, hélas !

OCTAVE.

Je meurs pour elle.

CRISPIN.

Et pour moi, Monsieur, je suis mort.

OCTAVE.

Qu’est-ce qui te surprend si fort ?

CRISPIN.

Une très fâcheuse nouvelle ;

C’est que vous aimez Isabelle ;

Et ce qui fait mon plus grand mal,

Monsieur, vous avez un rival.

OCTAVE.

Oui, je sais qu’un certain Valère,

Inconnu d’elle et de sa Mère,

Arrive ce soir, et demain

Qu’elle lui doit donner la main :

Mais si ce Rival ne succombe...

CRISPIN.

Monsieur, soutenez-moi, je tombe.

OCTAVE.

Ce changement est inouï.

CRISPIN.

Monsieur, je suis évanoui,

Ne me quittez pas, je vous prie.

OCTAVE.

Ce coquin, comme diable il crie !

CRISPIN.

Ah ! je suis mort, soutenez-moi.

OCTAVE.

Je ne te lâcherai, par ma foi.

CRISPIN.

Diable, ne soyez pas si bête,

Vous me feriez casser la tête :

Attendez, je vais revenir.

OCTAVE.

Je ne te peux plus soutenir.

CRISPIN.

Tiens-toi, tu pales comme un Diable.

CRISPIN.

Que vous êtes impitoyable !

Avoir un Maître pour Rival !

OCTAVE.

D’où diable peut venir ton mal ?

CRISPIN.

Monsieur, c’est que je m’intéresse

Pour vous près de votre Maîtresse ;

Ce Rival m’a fort affligé.

OCTAVE.

Ah ! je te suis trop obligé :

Mais sachant qu’Isabelle m’aime

Plus qu’elle ne s’aime elle-même,

Tu peux aisément aujourd’hui

Me servir et passer pour lui.

CRISPIN.

Pour qui pour lui ?

OCTAVE.

Pour ce Valère.

CRISPIN, bas.

Ha ! morbleu, l’admirable affaire !

Feignons... Mais, Monsieur, le moyen ?

Ai-je sa mine ? ai-je son bien ?

Pourquoi moi passer pour Valère ?

OCTAVE.

Afin de dégoûter la Mère ;

On sera fort mal satisfait,

Voyant un Homme si mal fait,

Car ta mine sera fort bonne...

CRISPIN.

Hé ! Monsieur, n’offensons personne ;

Sans votre perruque, ma foi,

Vous seriez aussi laid que moi.

OCTAVE.

Ne te mets donc point en colère,

Et va parler pour ce Valère ;

Habille-toi bizarrement,

Et fais quelque sot compliment.

Tu diras qu’Horace ton Père...

Mais je t’instruirai de l’affaire

Autre part ; songe seulement

À déplaire effroyablement.

CRISPIN, bas.

Quelque sot.

OCTAVE.

Tu ris que je pense ?

CRISPIN.

Non, j’étudie une insolence

Afin de me faire haïr

Bas.

Oui-dà, je m’en vais t’obéir.

Mais comment passer pour Valère,

Si je n’ai des lettres du Père ?

OCTAVE.

Tu diras qu’auprès de Paris

On t’a volé, on t’a tout pris.

La fourbe est bien imaginée.

CRISPIN.

Mais elle sera bien menée.

Bas.

Puis-je souhaiter plus de jour

Pour réussir dans mon amour !

OCTAVE.

Comme le doute que la Mère,

Sans force argent me considère,

Je te veux encore choisir

Pour me faire un petit plaisir,

Car ce n’est qu’une bagatelle :

Il ne te faut rien qu’une échelle,

Une bonne hache, et je crois

Que tu feras parler de toi :

Nous sommes mal avec mon Père,

Mais pour mériter sa colère,

Et pour mieux nous en consoler,

C’est, Crispin, qu’il le faut voler :

Tu feras le coup de la sorte,

La hache enfoncera la porte,

Et puis après le Cabinet,

Qu’il faudra que tu rendes net ;

Mais prends au moins sur toute chose

Un sac où son trésor repose.

CRISPIN.

Monsieur, qu’on me casse les os,

Si je vais troubler son repos :

C’est donc là cette bagatelle ?

Il ne te faut rien qu’une échelle,

Une bonne hache, et je crois

Que tu feras parler de toi.

Voilà justement la peinture

D’une Potence en miniature ;

Ou pour parler tout de bon,

Le grand chemin de Montfaucon,

Quelque fort s’y irait faire pendre ;

Monsieur, pour vous le faire entendre,

Si vous ne l’avez entendu,

Je n’ai jamais été pendu,

Ni n’ai d’empressement pour l’être :

Je sais que vous êtes mon Maître ;

Mais quand il y va du gibet,

Monsieur, je fais votre valet.

OCTAVE.

Hé quoi ! pour me rendre un service

Qui serait tout plein de justice :

Car dis-moi, n’est-ce pas ton bien ?

CRISPIN.

Ma foi je n’y demande rien.

OCTAVE.

Viens, Crispin, pour me satisfaire,

Nous ferons ensemble l’affaire.

CRISPIN.

Ha ! non, vous la ferez sans moi.

OCTAVE.

Tu n’y viendras pas ?

CRISPIN.

Non ma foi ;

Je serais homme à l’entreprendre,

Mais je n’ose me faire pendre,

Ce n’est que cela qui me tient.

OCTAVE.

Que cela ? si le Diable y vient,

Quand tu serais à la potence...

CRISPIN.

Je n’irai pas si haut, je pense.

OCTAVE.

Je t’en tirerais, ma foi ou vif.

CRISPIN.

Parbleu, je vous trouve naïf !

Voyez-vous l’offre d’importance,

De me tirer de la Potence

Après qu’on m’aurait étranglé.

Quel service !

OCTAVE.

Pauvre aveuglé !

Combien sais-je de valets, traître,

Qui voudraient mourir pour leur Maître,

Dessus la roue, ou dans le feu !

CRISPIN.

Par ma foi, j’en connais fort peu.

OCTAVE.

Quoi ? Crispin est si peu sensible ?

Je le prie, il est inflexible ?

Ha ! pourquoi m’y suis-je attendu ?

CRISPIN.

Je ne peux pas être pendu.

OCTAVE.

Mais au moins fais ici paraître

L’amour que tu dois à ton Maître :

Il s’agenouille.

Peux-tu me voir à tes genoux ?

CRISPIN.

Monsieur, Monsieur, que faites-vous ?

Me voilà par mon chien de tendre

Résolu de me faire pendre.

OCTAVE.

Viens donc, je marche devant toi.

CRISPIN.

Je vous suis. Priez Dieu pour moi.

OCTAVE.

Quelqu’un sort, que faisais-tu ? Rentre.

CRISPIN.

Je me mettais du cœur au ventre,

 

 

Scène IV

 

LÉONOR, ISABELLE, CATIN

 

LÉONOR.

Il m’écoute, il a bien raison,

Je lui défendis ma maison ;

Et tu dis qu’il y vient encore ?

ISABELLE.

Oui, pour médire qu’il m’adore,

Qu’il se donne à moi.

LÉONOR.

Le beau don !

ISABELLE.

Mais, Maman, considéré don...

LÉONOR.

Mais j’ai considéré, ma Fille,

Je veux enrichir ma famille,

Car sans le bien, tous les appas

Je ne les considère pas.

Comme tu le vois jeune et brave,

Tu l’estimes fort cet Octave :

Moi, comme je le vois sans bien,

Je l’estime encore moins que rien.

Valère est fort riche, et j’espère,

S’il vient aujourd’hui...

ISABELLE.

Mais ma Mère...

LÉONOR.

Mais, ma Fille, ne dites mot ;

Ce Valère n’est pas un sot,

Et je sais ce que je dois faire.

CATIN.

A-t-il bonne mine, Valère ?

LÉONOR.

Que t’importe comment il soit fait ?

Puisqu’il a du bien, c’est son fait,

Voyez la plaisante Coquine :

Il te faut de la bonne mine !

Un magot, un monstre à présent,

Est fort beau s’il a de l’argent :

Quelle mine avait ton Ivrogne,

Ton chien de Mari, dis Carogne,

Il était laid, et n’avait rien ;

T’a-t-il pas laissé force bien ?

CATIN.

Quoi ! je n’estiens pas à notre aise ?

J’aviesme le faudeuil, la chaise,

Le lit tout garni, les ridiaux,

La paire de chenets fort biaux,

Et le tapis vert sur la table.

LÉONOR.

Qui, toi ?

CATIN.

Rien n’est plus véritable ;

Le chaudron, le gril, le réchaud,

J’estiesme meublés comme il faut,

J’aviesme toujours les Dimanches

Que Dieu fit, l’épaule, on l’éclanche

À souper.

LÉONOR.

Le moindre discours

La va faire parler deux jours.

CATIN.

Je n’engendrins pas de tristesse,

Vêtue comme une Princesse ;

Car j’aviesme toujours sur nous

Cotte dessus, cotte dessous,

Et la robe de florandaine ;

L’Hiver la jupe de ratine,

L’éguille d’or, la perle au bout,

Bref j’estiesme honorée par tout,

Et le seriens sans une somme

Que presti défunt mon pauvre homme,

Ce malheureux prêti vingt francs,

Comme s’il avait prêté trois blancs :

L’emprunteur nous fit banqueroute ;

Dieu sait si tout fut en déroute ;

Depuis notre ménage et nous

Tout ally sans dessus dessous ;

L’aviesme emprunté, fali rendre,

J’aviesme acheté, fali vendre ;

Bref, enfin final, tout fauty ;

Dieu sait si cela nous coûty...

LÉONOR.

Te tairas-tu ?

CATIN.

Mais une Fille,

Comme elle est jeune et gentille,

Vous croyez qu’elle épousera

Un bastié qui lui déplaira,

Qui viendra d’une sale lippe

Lui baiser...

LÉONOR.

Taisez-vous, guenipe.

CATIN.

Mais aussi n’ai-je pas raison ?

LÉONOR.

Mais taisez-vous, Dame Alizon.

CATIN.

Voyez les biaux noms qu’on nous donne !

LÉONOR.

Voyez la petite mignonne !

CATIN.

Tredame, mignonne et mignon.

LÉONOR.

Ma foi, si je prends ton tignon,

Crois que je te ferai bien taire.

Songe à bien recevoir Valère,

À Isabelle.

Non pas un batteur de pavé ;

Je vais voir s’il est arrivé ;

Poudre-toi, mets-toi quelques mouches,

Et loin de faire la farouche,

Tâche à lui plaire, car demain

Il faudra lui donner la main.

 

 

Scène V

 

ISABELLE, CATIN

 

CATIN.

Mais il faut donc que ce Valère

M’ait ensorcelé votre Mère ?

Quoi ! ce soir il arrivera ?

ISABELLE.

Et demain il m’épousera.

CATIN.

Oui, c’est pour lui, on lui fricasse,

Je lui ferais laide grimace.

Quoi ! sans savoir si l’inconnu

Est laid ou beau, gros ou menu ;

Si sa mine est bonne ou mauvaise,

Qu’il vous plaise, ou qu’il vous déplaise,

S’il arrivait dès aujourd’hui,

Vous coucheriez avec lui ?

ISABELLE.

Hélas ! il le faudrait bien faire,

Ou désobéir à ma Mère.

CATIN.

Désobéissez hardiment,

Si vous avez un autre Amant

Que vous aimiez.

ISABELLE.

J’adore Octave,

Il est jeune, galant et brave.

CATIN.

Ha ! Madame, il cherche à vous voir,

Il a passé dix fois ce soir

Coup sur coup sous notre fenêtre,

Il voulait vous parler peut-être.

ISABELLE.

Ha ! Catin, je perds tout espoir,

Il ne peut plus me venir voir,

Ni ne peut en mes mains remettre

Le moindre petit mot de Lettre ;

Car on m’espionne en tous lieux,

L’on observe jusqu’à mes yeux.

Il a cent choses à m’écrire,

Et j’en ai cent mille à lui dire ;

Il a beaucoup pour moi.

Il a mon cœur, il a ma foi ;

Mais hélas ! s’il n’a de l’adresse,

Il n’a rien, il perd sa Maîtresse,

Et demain nous sommes tous deux

Les Amants les plus malheureux...

CATIN.

Madame, je le vois paraître.

ISABELLE.

Allons le voir de la fenêtre.

CATIN.

Votre Mère lui parle aussi.

Ils approchent, sortons d’ici.

 

 

Scène VI

 

LÉONOR, OCTAVE

 

LÉONOR.

Quoi, Monsieur, ma Fille vous aime ?

Pour vous son amour est extrême ?

OCTAVE.

Oui, Madame, elle m’aime bien.

LÉONOR.

Vous le dites, je n’en crois rien,

Ni même je n’en veux rien croire :

Vraiment j’aurais bien de la gloire

De défaire ce que j’ai fait !

Valère est un Homme parfait ;

Qu’il plaise ou déplaise à ma Fille,

Il honorera ma famille,

Il a pour moi beaucoup d’appas.

OCTAVE.

Mais vous ne le connaissez pas.

LÉONOR.

C’est le Fils unique d’Horace ;

Joint qu’il sort d’une noble race.

Son Père dit qu’il est bien fait,

Et qu’on en sera satisfait.

Bref, Monsieur, je suis pour Valère.

OCTAVE.

Devez-vous en croire son Père ?

LÉONOR.

Enfin, Monsieur, j’en ai juré,

Valère sera préféré.

OCTAVE.

C’est que vous ignorez peut-être

Qui je suis.

LÉONOR.

Je vous ai vu naître ;

Et votre Père, que je crois,

Ne vous connaît pas mieux que moi.

OCTAVE.

Madame, je suis Gentilhomme.

LÉONOR.

Oui, mais vous n’êtes pas mon Homme.

Votre Père a beaucoup de bien ;

Mais je sais que vous n’avez rien ;

De plus, ma parole est donnée

À Valère, et cette journée.

Je pense qu’il arrivera,

Et ma Fille l’épousera.

OCTAVE.

Mais...

LÉONOR.

C’est abus, Monsieur Octave ;

Je sais que vous êtes fort brave :

Aussi, soit dit entre nous deux,

Je sais que vous êtes fort gueux,

Fort fourbe.

OCTAVE.

Fourbe !

LÉONOR.

Fourbissime.

OCTAVE.

Vous m’avez en mauvaise estime.

LÉONOR.

Enfin vous êtes indigent,

Mais ce n’est que faute d’argent.

OCTAVE.

Mais au moins laissez-moi vous dire...

LÉONOR.

Vous n’avez pas le mot pour rire,

C’est un abus.

OCTAVE.

C’est un abus !

Regardez tous ces Jacobins.

Vite, ce moment est propice,

Bas.

Mon Zig-Zag fera son office ;

Isabelle à la fenêtre reçoit la Lettre.

Ce mot de Lettre mis au bout

Instruit Isabelle de tout.

LÉONOR, bas.

Qu’ai-je fait ?

OCTAVE, bas.

Que voulez-vous dire ?

N’est-ce pas là le mot pour rire ?

Mais quoi ! vous m’avez en horreur !

LÉONOR.

Moi ! j’ai pour vous toute l’ardeur...

OCTAVE.

Valère n’a point cette forme.

LÉONOR.

Vous êtes un fort honnête Homme,

Vous êtes bien noble, bien fait.

OCTAVE, à part.

Les Jacobins font leur effet.

LÉONOR.

Mais quoi ! j’ai promis à Valère ;

S’il vient, je ne m’en puis défaire :

Allons consulter entre nous

Ce qui se peut faire pour vous.

 

 

Scène VII

 

ISABELLE, seule

 

Je n’aurais osé me promettre :

De recevoir ce mot de Lettre :

Ouvrons-le, son invention

Est digne d’admiration.

Lettre.

Isabelle lit.

Tu peux obéir à ta Mère,
Et fort bien recevoir Valère,
Sans craindre que j’en sois jaloux :
Mon valet fera ce Valère,
Réjouis-toi, c’est un mystère
Qui va faire ton Époux.

Il fera des extravagances
Pour se faire haïr de toi ;
Mais c’est l’ordre qu’il a de moi.
Que toutes ses impertinences
Fassent ton divertissement,

OCTAVE, ton fidèle Amant.

 

 

Scène VIII

 

CATIN, ISABELLE

 

CATIN.

Madame, voici ce Valère,

Il a salué votre Mère.

Jour de Dieu, c’est un laid Matin :

Diable soit le fils de Putain.

J’épouserais plutôt un Monstre,

Que ce visage à cracher contre :

Octave, sans droit ni pouvoir,

Voulait m’empêcher de le voir.

ISABELLE, bas.

Je ne peux me tenir de rire.

CATIN.

Il ne pouvait pas être pire.

ISABELLE.

Parle-t-il ? a de l’esprit ?

CATIN.

Oui-dà, on ne sait ce qu’il dit ;

Il bredouille avec tant de peine.

Mais votre Mère vous l’amène :

Voyez-le un peu, qu’en dites-vous ?

 

 

Scène IX

 

LÉONOR, CRISPIN, CATIN, ISABELLE

 

LÉONOR, à Isabelle.

Entends-tu cet effroyable Époux ?

Qu’en penses-tu ? C’est ce Valère.

ISABELLE.

J’en suis satisfaite, ma Mère.

LÉONOR.

Peut-on voir un plus mal fait ?

CRISPIN, à Isabelle.

Véritablement... en effet...

Il faut avouer... tant de charmes...

Sur mon honneur... je rends les armes,

Et mon Père... effectivement...

Certes...

LÉONOR.

Monsieur, sans compliment.

CRISPIN.

Et pourquoi, puisque j’en sais faire ?

De grâce, ma future Mère,

Nous avons appris à la Cour

Le bel air de faire l’amour.

CATIN.

Mais où diable avez-vous pu prendre

Ce sot homme pour votre Gendre,

Avec ses grotesques appas ?

LÉONOR.

Il ne le fera, ma foi, pas,

Tu n’auras pas un si sot Maître.

Tu vas voir.

Elle rentre.

ISABELLE, à Crispin.

Vous voyant paraître,

J’ai senti de l’émotion.

Crispin, tandis qu’Isabelle le cajole, fait de profondes révérences, et fait semblant de lui répondre en parlant entre ses dents, par un bourdonnement ridicule, sans articuler aucune parole.

ISABELLE continue.

Je suis dans l’admiration

À votre aspect, et tant de charmes

Me font presque rendre les armes ;

Je crains que vous ne m’aimiez pas,

Et que de si faibles appas

Ne me puissent gagner votre âme.

CRISPIN.

Vous vous moquez de moi, Madame.

ISABELLE.

Je souffre de rudes accès,

Car je vous aime avec excès.

Crispin continue ses grimaces, faux bourdonnement, et ses révérences.

Je l’adorais un certain Octave,

Fort bien fait, fort jeune, et fort brave ;

Mais, Valère, pour son malheur,

Vous l’avez chassé de mon cœur.

Oui, vous avez toute ma flamme,

Vous êtes maître de mon âme ;

Si vous ne trouvez des appas,

Pourquoi ne me parlez-vous pas ?

CATIN.

Je crois qu’il s’est mis dans la tête,

Qu’un Galant doit être une Bête.

ISABELLE.

Pourrai-je gagner votre cœur ?

CRISPIN.

Ah ! je suis votre serviteur.

ISABELLE.

Vous avez, je le dis encore,

Un je ne sais quoi que j’adore.

CATIN, le contrefaisant.

Ne diriez-vous pas d’un Pourceau

Qui mange du foin dans de l’eau ?

Dieble soit l’amoureux, j’enrage ;

Mais j’ai vu ce chien de visage

Quelque part, je ne peux dire où ;

Il a l’air d’un certain fou...

Mais non, c’est Crispin, c’est lui-même.

ISABELLE.

Enfin mon amour est extrême.

CRISPIN, lui voulant toucher le sein.

Et le mien est fort violent.

Pour m’assurer donc...

ISABELLE, lui donnant un soufflet.

Insolent.

Pour vous assurer ma personne,

Voilà des erreurs que je donne.

Elle rentre.

CATIN.

Cent dieble ! quel moule de gant !

Jour de Dieu, le plaisant Galant !

Il croit l’épouser le traître.

Feignons de ne le pas connaître.

Monsieur, vous perdez ses appas.

Catin se moquant de lui, imite le bourdonnement et les grimaces qu’il a faites devant Isabelle.

CRISPIN.

Je n’en pleurerai, ma foi, pas.

D’abord tu m’as paru plus belle,

Plus jeune, et plus aimable qu’elle :

Mais dis-moi, m’aimerais-tu bien ?

Mon cœur, tu ne me réponds rien ?

Je t’aime de la bonne sorte,

Ma chère, ou le Diable m’emporte.

Mais réponds-moi donc, mon cher cœur ?

CATIN.

Vous vous moquez de moi, Monsieur.

CRISPIN.

C’est tout de bon que je soupire

Pour toi.

CATIN.

Cela vous plaît à dire.

CRISPIN.

Ne te moques donc pas de moi ;

Tu me contrefais, mais ma foi

Pour toi ma flamme est violente.

CATIN.

Ah ! je suis fort votre servante.

CRISPIN.

Que diable ! parle franchement,

Suis-je pas ton fidèle Amant ?

Ta Maîtresse est allée aux peautres,

Je m’en ris, j’en ai bien vu d’autres.

CATIN chante.

Nous en avons bien vu d’autres,
Colin et mé, Colin et mé ;
Nous en avons bien vu d’autres,
Mé et Colin.

CRISPIN.

Ton diable de chant m’étourdit :

Mais écoute donc ce qu’on dit.

CATIN chante.

On dit que la grosse Marthe,
En revenant de Montmartre,
En allant à Clignancourt,
Elle est tombée à la renverse,
Qu’en dis-tu, Jean de Nivelle,
C’est qu’elle a les talons courts.

CRISPIN.

Je dois être encore ton intime,

Car j’ai pour toi toute l’estime...

CATIN chante.

Et vous ne nous zeste, zeste, et zeste,
Et vous ne nous estimez pas tant.

CRISPIN.

Si tu m’aimais, j’aurais sujet

De charmer, hors toi nul objet...

CATIN chante.

Nul objet ne me retient,
Je prends le temps comme il vient.

CRISPIN.

Je vois qu’à présent tu me railles ;

Mais hier venant de Versailles...

CATIN chante.

Venant de Versailles,
J’ai vu un Berger
Qui tenait une Caille,
Et la faisait chanté,

Catin danse.

Baise-moi Juliane, Jean Julian je ne puis,
L’amour de Juliane me fera mourir.

CRISPIN.

Chante donc tout ton chien de fou,

Je m’en vais, je serais bien fou,

De voir...

CATIN se jette sur Crispin.

Je ne chante plus, traître.

 

 

Scène X

 

OCTAVE, LÉONOR, ISABELLE, CRISPIN, CATIN

 

OCTAVE.

Le Coquin a trahi son Maître,

Assomme, assomme-le, Catin.

CRISPIN, à genoux.

Pardonnez au pauvre Crispin.

OCTAVE.

Non, Coquin, je te ferai pendre.

LÉONOR.

Tu voulais donc être mon Gendre ?

ISABELLE.

Ah ! pardonnez-lui tout, sans lui

Je ne serais pas aujourd’hui

La Femme d’un Homme que j’aime.

OCTAVE, à Crispin.

Lève-toi, ma joie est extrême :

Madame, obtiendrai-je en ce jour

À Léonor.

L’unique objet de mon amour ?

LÉONOR.

Le vol que vous venez de faire,

Vous a rendu l’amour d’un Père ;

Et je veux paraître aujourd’hui

Aussi raisonnable que lui :

Puisque maintenant il vous donne

Tout son bien, et qu’il vous pardonne,

Ma Fille est à vous cette fois,

Valère ne l’aura jamais ;

Et ce sera sa pénitence,

Que mérite sa négligence.

OCTAVE.

Quel plaisir d’être votre Époux !

ISABELLE.

Le Ciel me destinait pour vous.

CATIN.

Et moi, jour de Dieu, que ferai-je ?

Conseillez-moi, me marierai-je !

LÉONOR.

Je l’entends bien ainsi, Catin.

CATIN, à Crispin.

M’aimes-tu, traître de Crispin ?

CRISPIN.

Oui, Catin, de toute mon âme.

CATIN.

Touche donc là, je suis ta Femme.

CRISPIN.

Et je suis ton Mari, Catin.

LE BARON, se levant.

Et moi je paie le Festin :

Mais surtout que je sois auprès de cette Belle

Lorsque nous mangerons, j’ai du tendre pour elle ;

Elle aura cet habit, n’en soyez point jaloux :

Allons, deux jours entiers je vous régale tous.

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