Le Premier prix (Ferdinand DE VILLENEUVE - Charles DUPEUTY)
Sous-titre : les deux artistes
Comédie-vaudeville en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 13 mai 1822.
Personnages
LE COMTE DE RÉZOFF, seigneur Russe décoré d’un ordre étranger
ALFRÉDA, sa fille
ARMAND DERCOURT, jeune peintre d’histoire
COURVILLE, son ami, peintre d’histoire et de genre
TIMOLÉON, DE SAINTE-ROSE, jeune homme à la mode, fat et ridicule
BERNARD, maître d’un hôtel garni
DOMESTIQUES
La Scène se passe à Paris, dans un riche hôtel garni de la rue de la Paix.
Le théâtre représente le salon d’un riche hôtel garni, une table et quelques sièges.
Scène première
BERNARD, seul, assis à la table, et occupé à régler quelques comptes
Dieu merci... voilà tout mon registre rempli ; et je n’ai pas un coin dans mon hôtel qui ne soit occupé. Heureux Bernard !... quelle bonne idée tu as eue là de troquer ton modeste restaurant du Pays Latin, à vingt-deux sous par tête, contre cet hôtel brillant de la rue de la Paix, dont aujourd’hui tu es propriétaire, grâces aux fréquentes visites des étrangers qui abondent en foule dans ce quartier... car, moi, je ne loge pas de Français... ou le moins possible... et le tout par patriotisme.
Air : Pégase.
Il suffit qu’on soit de la France
Pour que je me montre loyal,
Car j’ai beaucoup de conscience,
Et l’esprit très national ;
Aussi les Français, je parie,
Trouvent mes frais toujours légers ;
Mais, par amour pour ma patrie,
J’écorche tous les étrangers.
Prenant son registre, et pointant chaque article.
Nous disons donc le n° 1, habité par un gros milord ; le n° 2. la porte en face, par une jeune chanteuse du Bouffes, qui m’a payé trois mois d’avance en fort belles guinées ; le n° 3, par un jeune colonel allemand ; il fait la cour à ma femme... mais il paie double, et, d’ailleurs, madame Bernard est vertueuse... ça m’est égal... etc., etc. Au premier, mon plus bel appartement occupé par M. le comte de Rézoff, seigneur russe fort distingué... mille francs par mois ; avec lui, mademoiselle Alfréda, sa fille... Il n’y a pas jusqu’à mon petit belvédère du sixième qui ne soit loué... par un jeune artiste... M. Armand, peintre d’histoire, rempli de talent... Il ne voulait pas loger chez moi d’abord, trouvant le quartier trop cher... pourtant je lui ai fait entendre que je serais raisonnable, et il s’est décidé... Va-t-il être étonné, quand je lui dirai que ça ne lui coûtera que cent cinquante francs par mois !... Une pièce superbe pour un artiste !... six pieds carrés... c’est pour rien !... Mais, que diable... faut bien y mettre un peu du sien !... D’abord, moi, faire aller le commerce et protéger les arts, je ne connais que ça... Ce qui me contrarie, c’est que M. de Rézoff quitte mon hôtel, aujourd’hui, pour retourner en Russie... C’est fâcheux... mais je considère le total de son mémoire, et c’est consolant. Ah ! ah ! quelqu’un sort de son appartement, C’est mademoiselle Alfréda, sa fille.
Scène II
ALFRÉDA, BERNARD
ALFRÉDA.
Mon père est-il rentré ?
BERNARD.
Pas encore, Mademoiselle... Vous savez qu’il est allé, ce matin, à l’institut, pour voir, avant son départ, le tableau de M. Armand. C’est aujourd’hui le dernier jour de l’exposition, et ce soir, sans doute, nous saurons s’il a remporté le prix.
ALFRÉDA, à part.
Je suis d’une inquiétude !...
BERNARD.
C’est un bien aimable jeune homme que ce M. Armand ! il est plein de mérite... son tableau est superbe !
ALFRÉDA.
Vous croyez, M. Bernard.
BERNARD.
Oui, Mademoiselle... et, en fait de tableaux, je m’y connais... mon père en vendait.
ALFRÉDA.
Vous pensez donc qu’il remportera le prix ?
BERNARD.
Je n’y mettrais aucun doute, s’il n’avait pas pour concurrent M. Courville, son ami intime, peintre déjà très célèbre... Moi, qui ai toujours aimé les artistes, je ne puis m’empêcher d’admirer le caractère de ces deux Messieurs... l’un, M. Courville, est vif, léger, généreux, plein de facilité, et sacrifierait tout à ses plaisirs... son talent, sa réputation même... c’est au point qu’au lieu de travailler pour la postérité, il a mieux aimé travailler pour les marchands de nouveautés... il a fait des enseignes, des lithographies, des tableaux de genre ; enfin, il a gagné, sans y penser, des trésors qu’il a dépensés de même ; l’autre, M. Armand est sage, réfléchi, rangé... ne connaît que son art, ne songe pas à l’argent, n’ambitionne que la gloire, et ne craint pas de s’imposer les plus grandes privations, pour ne se livrer qu’à ses études d’histoire. Aussi, celui-là deviendra un jour l’honneur de l’école française.
ALFRÉDA.
Ainsi, M. Armand...
BERNARD.
Serait couronné si on lui rendait justice... mais il n’a pas de protecteurs, et son ami en a beaucoup... Au surplus tout cela doit vous être à-peu-près indifférent... Vous allez, dit-on, former avec M. Timoléon de Sainte-Rose, un mariage brillant et qui vous promet les jours les plus heureux.
ALFRÉDA, à part.
Des jours heureux !... Pauvre Armand !
BERNARD.
Mais, j’entends une voiture ; c’est lui, sans doute, qui vient de rentrer avec M. votre père... Je me retire... Adieu, Mademoiselle...
Il sort.
Scène III
TIMOLÉON, LE COMTE, ALFRÉDA
TIMOLÉON, à la cantonade.
Tomy, que mon tilbury m’attende à la porte de l’hôtel... Cher Comte, j’espère que nous avons été bon train. quatre minutes pour venir de l’institut... C’est que, voyezvous, Timoléon de Sainte-Rose ne craint personne, à Paris, pour la manière de tenir ses guides et de lancer le coup de fouet... c’est au point qu’au bois de Boulogne ou à Longchamps, tout le monde me montre au doigt.
ALFRÉDA.
Eh bien ! mon père, quelle nouvelle ?
LE COMTE.
Je ne sais rien encore, ma chère Alfréda... J’ai prié, j’ai sollicité... et si notre cher protégé n’obtient pas la récompense due à son talent, du moins j’aurai tout fait pour lui être utile.
ALFRÉDA.
Que de bonté, mon père, et quelle reconnaissance M. Armand n’aura-t-il pas pour vous ?
TIMOLÉON.
En vérité, Mademoiselle, vous êtes bien bonne de prendre tant d’intérêt à cet... artiste... car, je vous le demande, qu’a-t-il fait de si beau ?
ALFRÉDA.
Ce qu’il a fait, Monsieur, ce que tout le monde n’aurait peut-être pas eu le courage de faire à sa place ; n’a-t-il pas consacré sa jeunesse aux travaux les plus assidus et les plus pénibles ? n’a-t-il pas renoncé à tous les plaisirs, pour servir encore, par les beaux arts, la gloire de son pays ? Oui, Monsieur, et s’il n’obtient pas le premier prix, ce sera une bien grande injustice.
TIMOLÉON.
Eh ! mon Dieu, belle Alfréda, avec quelle chaleur vous prenez sa défense !... Savez-vous que si on était méchant on pourrait croire que... Son tableau m’a paru bien... je ne dis pas le contraire... il est même supérieur à tous les autres... mais, ce n’est pas une raison ça... Moi, d’abord, si l’on veut, je tiens tous les paris pour son concurrent Courville.
LE COMTE.
Je serais désolé qu’il ne réussît pas... car je porte beaucoup d’intérêt à ce jeune homme.
TIMOLÉON.
Vous m’étonnez... Ah çà ! mais, qu’a-t-il donc de si attrayant, votre M. Armand, un jeune homme froid... qui ne se met point à l’anglaise, qui ne joue jamais à l’écarté... qui, dans sa vie, n’a peut-être pas eu un duel... enfin, qui ne se doute pas de ce que c’est que le bon genre.
ALFRÉDA, avec ironie.
Ah ! son arrêt, dans votre bouche, est sa condamnation...
TIMOLÉON.
Comment donc... de l’ironie... Ah çà ! mais, vous ne vous rappelez donc pas qu’au bal de l’ambassadeur, où vous aviez eu la bonté de le présenter... Il est venu en culotte courte... mais, ça ne m’étonne pas... Vous autres, étrangers, vous ne pouvez pas savoir ce qu’on entend par un jeune homme à la mode... Tenez, je vais vous l’apprendre.
Air nouveau de Doche.
Pour devenir l’oracle de la mode,
Pour être enfin cité dans un salon
Écoutez bien, voilà, je crois, le code
Que suit toujours un homme du bouton :
De l’élégance un parfait coryphée,
Jusqu’à midi dormant sous l’édredon,
Passe en sortant des bras du dieu Morphée,
Entre les mains du coiffeur Michalon :
De déjeuner c’est l’instant, il se hâte,
Pour être prêt aussi plus promptement,
Il n’est qu’une heure au nœud de sa cravate,
Qu’avec grand soin il met négligemment ;
Puis s’habillant à la Russe, à l’Anglaise,
De son pays il perd le ton léger ;
Car maintenant pour être à la Française,
Il faut en France avoir l’air étranger ;
Chez Tortoni le bon genre l’appelle.
Il y descend d’un léger tilbury,
En fredonnant la romance nouvelle
De Blangini
Ou de Romagnesi ;
Là, tour-à-tour, parlant de politique,
De ses chevaux
Ou des romans nouveaux,
Il se prétend connaisseur en musique
Et prend parti
Contre ou pour Rossini ;
Puis vers l’Étoile il vole en équipage,
Et sur le siège on le voit se percher,
Car en voiture, à présent c’est l’usage
Le bon ton veut qu’on ait l’air d’un cocher ;
Parfois aussi s’écartant de la foule,
Et chez Le Page un instant s’arrêtant,
Au pistolet il va faire une poule,
Ou bien assaut chez Grisier ou Bertrand.
Mais il est temps de reprendre sa course,
Vite il se rend dans le quartier Feydeau,
Et va manger en allant à la Bourse,
Quelques gâteaux, chez Félix ou Suleau ;
Quand du dîner l’heure se fait entendre,
D’un grand quart d’heure il se trouve en retard,
Car il sait bien qu’il faut se faire attendre,
C’est distingué d’arriver un peu tard ;
Après le thé, sans rien dire il s’esquive,
Et s’en va droit à
L’Opéra Buffa ;
Pendant qu’on chante, avec bruit il arrive,
Et par bon ton
Bâille une heure au balcon ;
Il est minuit, au bal il faut paraître,
De bien danser il s’inquiète peu,
C’est trop commun, aussi va-t-il se mettre
Sitôt qu’il entre, à la table de jeu ;
À l’écarté, suivant la loi commune,
Il gagne ou perd sans jamais dire un mot ;
Et bien souvent y risque sa fortune ;
C’est amusant... et surtout comme il faut.
Le bal finit, on soupé, il se retire,
Un élégant n’a jamais d’appétit,
Avec la nuit pour lui le jour expire,
Et dans son lit,
Du jour il fait la nuit.
Pour devenir l’oracle de la mode,
Pour être enfin cité dans un salon,
Voilà, je crois, oui, voilà bien le code
Que suit toujours un homme du bon ton.
Ainsi vous voyez bien que votre monsieur Armand ne fait rien de tout cela... Ah ! belle Alfréda, si jamais vous êtes madame de Sainte-Rose, je veux que vous soyez à la mode... mais pourquoi donc ce petit air rêveur ?... Vous avez du chagrin, je vois ça... c’est comme moi... au moment de quitter Paris, je suis désolé de me défaire de ma petite jument isabelle... une bête charmante qui faisait le désespoir de tous les coureurs de la capitale... mais j’oublie auprès de vous que j’ai des affaires très essentielles à terminer... il s’agit de la pointe d’un gilet nouveau et des glands d’un manteau que Barbichon doit m’apporter aujourd’hui... c’est que je serais perdu de réputation si j’arrivais sans ça à Saint-Pétersbourg... Adieu, ce sera l’affaire d’un moment, et dans cinq minutes je suis à vous. Il sort en faisant un salut à la mode.
Scène IV
LE COMTE, ALFRÉDA
LE COMTE.
Eh bien ! ma fille... en effet, Timoléon n’avait pas tort de te trouver pensive... D’où vient donc ton chagrin ?
ALFRÉDA.
Mon père...
LE COMTE.
Pourquoi ce trouble et que signifient ces yeux baissés ?
ALFRÉDA.
C’est que... l’injustice que va éprouver monsieur Armand.
LE COMTE.
Achève...
ALFRÉDA.
N’allez pas croire au moins...
LE COMTE.
Non, sans doute, non, je ne crois pas que ton cœur soit pour quelque chose dans l’intérêt que tu lui portes... cependant... j’ai remarqué certaines circonstances qui m’avaient fait soupçonner... Hier, par exemple, au cercle du ministre, on vint à parler de lui, de son tableau... avec quel plaisir tu écoutais tous les éloges qu’on lui adressait... et quelle contrariété tu parus éprouver, lorsqu’on cita le tableau de Courville comme l’un des plus remarquables de l’exposition... Tu pâlis et tu rougis tour à tour... et lorsque tu t’aperçus que je te regardais, tu détournas la tête pour me cacher ton émotion.
ALFRÉDA, troublée.
Ce n’était pas là le motif...
LE COMTE.
Alfréda... tu me caches quelque chose... aurais-je donc perdu ta confiance...
ALFRÉDA.
Mon père, je n’ose...
LE COMTE.
Allons, parle... parle sans crainte... Eh bien !...
ALFRÉDA.
Air de l’Ignorante (de Romagnesi.)
Je rougis, je soupire
Lorsque je l’aperçois ;
À peine je respire
Quand il est près de moi ;
Je reconnais d’avance
Jusqu’au bruit de ses pas ;
Je tremble en sa présence,
Et je crains son absence ;
Pourtant... je n’aime pas. (bis.)
Même air.
Un jour loin, de la France,
S’il faut me marier,
Et par obéissance
Jurer de l’oublier,
Je pourrais sans murmure
Obéir, mais hélas !
Malgré moi, j’en suis sûre,
Je deviendrais parjure ;
Pourtant... je n’aime pas. (bis.)
LE COMTE, à part.
Bon... je sais à quoi m’en tenir.
Scène V
ARMAND, LE COMTE, ALFRÉDA
ARMAND, sans les voir.
C’en est donc fait... je n’aurai pas le premier prix... tout le monde est contre moi... tout le monde... jusqu’à mon professeur lui-même, qui n’a pas craint de me déprécier aux yeux de l’Institut.
ALFRÉDA, bas au Comte.
Comme il a l’air triste ! mon père, essayons de le consoler.
ARMAND.
Ô rêve du bonheur... te voilà donc évanoui ! je ne serai pas couronné... je n’irai pas à Rome... je devais m’y attendre... sans protecteurs, sans amis.
ALFRÉDA, haut.
Monsieur Armand, vous nous avez donc oubliés ?
ARMAND.
Ah ! pardon mademoiselle... Monsieur le Comte, je ne vous voyais pas.
LE COMTE.
Ne perdez pas encore tout espoir.
ARMAND.
Hélas ! il ne m’en reste plus.
ALFRÉDA.
Aussi vous n’avez peut être pas fait assez de démarches... si vous aviez su vaincre votre caractère.
LE COMTE.
Oui, si vous aviez voulu consentir à m’accompagner chez plusieurs membres de l’Institut, sans doute nous aurions pu... vous savez quel est l’intérêt que je vous porte... quelle est mon estime, mon amitié pour vous... et surtout combien il me tarde de m’acquitter de toute la reconnaissance que je vous dois...
ARMAND.
Vous, monsieur le Comte... de la reconnaissance envers moi.
LE COMTE.
Oui, Armand.
Air : Faut l’oublier.
Jadis, au milieu des alarmes,
J’allais périr quand votre bras
Sut à de farouches soldats
Soustraire un ennemi sans armes ;
En ce jour je vous jurai bien
Que contre le sort implacable,
Pour vous, je serais un soutien ;
Et quand le malheur vous accable,
Je m’en souviens. (bis.)
ARMAND.
Même air.
Cet instant pour moi fait renaître
Un souvenir plein de douceur ;
Tous deux alors au champ d’honneur,
Nous apprîmes à nous connaître ;
Ce temps heureux, je le sens bien,
Dut se graver dans ma mémoire,
Et dans un cœur tel que le mien,
Car c’était un jour de victoire,
Je m’en souviens.
LE COMTE.
Du courage, mon ami... tôt ou tard il faudra bien qu’ils rendent justice à votre mérite.
ARMAND.
Je n’y compte plus, et, dès aujourd’hui, je quitte cet hôtel.
ALFRÉDA.
Quoi, avant notre départ ?
ARMAND.
Oui, mademoiselle, la nécessité m’y force...
LE COMTE.
Armand, je vous devine... mais promettez-moi qu’avant de nous quitter, je pourrai vous voir seul ici... j’ai quelque chose à vous proposer.
ALFRÉDA.
Que veut-il lui dire ?
ARMAND, à part.
Il suffit, monsieur le Comte, je m’y trouverai... croyez que je n’oublierai jamais le souvenir de toutes vos bontés.
Trio de Doche.
Loin de ces lieux je vais penser à vous.
LE COMTE et ALFRÉDA.
Pensez, pensez toujours à nous.
ARMAND.
À vous.
Ensemble.
LE COMTE et ALFRÉDA.
À nous.
Conservez toujours l’espérance,
Mon cher } Armand ne vous affligez pas,
Monsieur }
Croyez que malgré l’absence,
Nous ne vous oublierons pas.
ARMAND.
Je perds pour jamais l’espérance,
Et sans retour je vais vous fuir, hélas !
Mais mon cœur le sent d’avance,
Je ne vous oublierai pas.
Le Comte et Alfréda rentrent dans leur appartement.
Scène VI
ARMAND, seul, puis TIMOLÉON
ARMAND.
Que veut-il dire ?... aurait-il deviné que malgré moi j’adore sa fille... Oh ! non, j’ai su cacher à tous les yeux un amour sans espérance... et mademoiselle de Rézoff elle-même ignorera toujours mon fatal secret.
TIMOLÉON, en costume de voyage outré, entrant sans voir Armand.
Ah, là là... j’ai cru que ça n’en finirait pas... il n’y a rien de douloureux comme une séparation, pour peu qu’on ait un peu de sensibilité... des femmes charmantes qui se désespèrent, et des amis... Ah ! dieu, de bons amis qui ne voulaient pas me laisser aller sans que je leur payasse encore un bon déjeuner... vrai... ça fend le cœur... Dieu merci, les larmes sont versées, les malles sont faites, et me voici prêt à partir.
Apercevant Armand.
Ah ! ah ! qu’est-ce que c’est que ça... je crois vraiment que c’est mon prétendu rival... parbleu ! avant de monter en chaise, je ne serai pas fâché de lui dire deux mots.
Haut.
Mon ami,
Armand le regarde sans répondre.
c’est à vous que j’adresse la parole.
ARMAND.
À moi ?
TIMOLÉON.
Oui, monsieur l’artiste...
ARMAND, à part.
Que signifie cet air de mépris ?
TIMOLÉON.
Je sais que vous vous permettez de soupirer en secret pour la belle Alfréda... et je vous prie de me dire sur le champ ce qu’il en est.
ARMAND.
On vous a mal informé ; non, monsieur, non, je ne suis point un rival pour vous.
TIMOLÉON.
Eh bien ! à la bonne heure, parlez donc au moins.
ARMAND.
Devenez son époux... Monsieur, maintenant mon seul désir est qu’elle fasse votre bonheur, et surtout que vous puissiez faire le sien... alors je n’aurai plus de vœux à former.
TIMOLÉON.
Voilà tout ce que je désirais... À présent, le diable m’emporte si je vous en veux... c’est au point que je vous promets ma protection.
ARMAND, à part.
Quel ton insultant !
TIMOLÉON.
Oui, je sais que vous allez vous trouver réduit à faire des portraits, et je vous pousserai un peu... vrai, ça sera un plaisir pour moi.
ARMAND.
Monsieur, auriez-vous réellement l’intention de m’offenser ?
TIMOLÉON.
Moi, du tout, mon cher... je veux vous être utile.
Air : Que d’Établissements nouveaux.
Oui, je vous recommanderai
Près de plus d’un grand personnage,
Et de ma main leur écrirai,
Pour qu’ils vous donnent de l’ouvrage ;
Moi-même, si je ne partais,
Je vous confierais ma figure.
ARMAND.
Ah ! c’en est trop !
Apprenez, Monsieur, que jamais,
Je n’ai fait de caricature. (bis.)
TIMOLÉON, riant.
Ah ! ah ! ah ! ah ! c’est bien ça... vous croyez peut-être me faire de la peine, en m’appelant caricature... mais du tout... vous me faites plaisir... ça me prouve que je suis le nec plus ultrà du bon genre... cependant, mon ami, si vous me disiez ça pour m’insulter, savez-vous que j’aurais le droit de me fâcher...
ARMAND.
Et monsieur, comme il vous plaira, je n’ai pas oublié que j’ai porté l’épée, et si vous l’exigez, sortons...
Il ouvre son habit et laisse voir une croix d’honneur attachée sur une veste militaire.
TIMOLÉON.
Du tout, du tout... diable ! je suis enchanté d’apprendre que vous êtes un brave... il fallait donc me dire ça... moi j’allais vous faire un mauvais parti bien innocemment, je vous jure... la réparation que vous m’avez donnée me suffit, et je suis entièrement satisfait, parce que, voyez vous, moi, si j’ai une mauvaise tête, ce n’est que par bon ton... du reste je ne suis pas méchant.
Air du Vaudeville de M. Guillaume.
On me connaît pour ma bonne méthode,
Je suis cité parmi les plus adroits.
Aussi je vais, pour observer la mode,
Sur le terrain cinq ou six fois par mois. (bis.)
Oui, franchement, partout on me renomme
Et les duels sont mes amusements ;
Car je me bats, non pour tuer mon homme,
Mais pour tuer le temps.
Ainsi donc, sans rancune... nous nous sommes tous deux conduits en homme d’honneur... mais je suis désolé de vous quitter. M. et mademoiselle de Rézoff m’attendent pour partir... je me rends auprès d’eux... Adieu, mon cher monsieur Armand.
ARMAND, froidement.
Je vous salue.
TIMOLÉON, rentrant chez le Comte.
Fallait donc me dire tout de suite que vous étiez un brave.
Scène VII
ARMAND, seul
Et voilà l’homme auquel monsieur de Rézoff confierait le bonheur de sa fille ? Oh ! non, je ne puis le croire ; cependant ils vont partir ensemble. Ah ! je le sens, j’ai eu peine à contenir ma fureur, et si je restais plus longtemps en ces lieux, je me trahirais malgré moi... mais hélas ! comment faire ? Dans l’espoir d’obtenir la seule récompense à laquelle j’aspirais, j’ai épuisé jusqu’à mes derniers moyens d’existence, et je me trouve absolument sans aucune ressource. Me verrai-je donc forcé de négliger mes études, pour vivre du fruit de mon travail, ou bien d’avoir la honte de découvrir ma cruelle position... Que dis-je ? la honte... nos plus grands peintres, Raphaël lui-même n’a-t-il pas été victime des caprices du sort.
Air : Quand la fortune avare de ses dons.
Célèbre par ses longs malheurs,
Et plus célèbre encor par son génie,
S’il fut réduit à broyer des couleurs,
Pour subvenir aux besoins de la vie ;
Par ma détresse, à ce peintre fameux,
De ressembler mon âme est fière.
Malgré ses travaux glorieux,
Si Raphaël fut malheureux,
Dois-je rougir de ma misère. (bis.)
Scène VIII
ARMAND, COURVILLE
COURVILLE, à la cantonade.
Holà ! eh... quelqu’un Bernard, Lapierre, Saint-Jean, qu’on me prépare un appartement.
ARMAND.
Qu’entends-je ? c’est la voix de Courville.
COURVILLE, en entrant, lui serrant la main.
Eh ! bonjour, mon cher Armand, que je suis donc content de te revoir.
ARMAND.
Tu arrives sans doute à l’instant ?
COURVILLE.
Oui, mon ami, des bords de la Tamise où j’avais été pour étudier le genre anglais, et surtout gagner de l’argent, mais je n’ai rien fait de tout ça, va, au contraire.
Air du vaudeville de la Petite Sœur.
Des Walter Scott, des Lord Byron,
Voulant voir la terre classique,
Pour y travailler par pratique,
Je me rendis vite à London :
C’est l’asile du romantique. (bis.)
Mon voyage m’a coûté cher,
Mes dépenses ont été folles ;
Car, au lieu d’études, mon cher,
Moi, je n’ai fait que des écoles. (bis.)
Ah çà, mais, qu’as-tu donc ?... comme te voilà triste ! est-ce que tu serais victime d’une passion malheureuse par hasard ? Je me souviens qu’avant mon départ, la fille du comte de Rézoff, chez lequel nous étions très bien reçus l’un et l’autre...
ARMAND.
Courville, qui peut te faire présumer ?...
COURVILLE.
Eh bien !... comme tu te troubles...
ARMAND.
Qui a pu te dire ?...
COURVILLE.
Parbleu, ce n’est pas toi... tu le caches à tout le monde, et tu n’as jamais voulu en convenir avec moi ; moi, ton meilleur ami... Mais, c’est égal... va... je te connais, et je t’ai deviné tout de suite...
ARMAND.
Eh bien ! oui...oui, mon cher Courville, je l’aime à l’adoration... Mais, je ne le dis qu’à toi, qu’à toi seul ; garde toujours ce secret, au nom de notre amitié ; d’ailleurs, je ne puis être heureux, je ne l’obtiendrai jamais.
COURVILLE.
C’est bien ça... toujours sentimental... c’est comme moi... Tiens, tel que tu me vois, j’ai du chagrin aussi, sans que ça paraisse... j’en maigris à vue d’œil... regarde plutôt... c’est une aventure épouvantable ; une femme charmante, adorable, délicieuse, mon cher, et que j’aimais... Ah !...
ARMAND.
Comment, tu aurais aussi le malheur ?...
COURVILLE.
Mon Dieu, oui.
Air : Vos maris Palestine.
J’adorais une cruelle,
Je devais l’aimer toujours,
Et j’étais déjà, près d’elle, (bis.)
Resté fidèle huit jours.
Ah ! du sort quel coup perfide !
ARMAND.
C’est donc un objet divin,
Sensible et vertueux ?...
COURVILLE.
Heim ?...
C’était une Danaïde
De la Porte Saint-Martin...
Mais, au bout de huit jours, crac elle m’a planté là pour un petit baronnet assez joli garçon... d’un blond un peu hasardé... très foncé en guinées, et c’est ce qui m’a perdu... Mais, ne parlons plus de ça... c’est une indignité... Toi, c’est bien différent, tu aimes, et je gagerais que tu es aimé.
ARMAND.
Non, non... ne crois pas d’ailleurs, quels titres puis-je avoir auprès de M. de Rézoff ; ma famille est honorable, il est vrai, mais presqu’entièrement ruinée, tu le sais.
COURVILLE.
Qu’est-ce que ça fait donc, ça... Tu n’as rien... c’est peu de chose ; mais, tu es artiste, et c’est beaucoup... surtout auprès de M. de Rézoff, qui est enthousiaste des beaux arts, et qui considère particulièrement les gens de notre profession... Il a toujours eu du goût, cet homme-là.
ARMAND.
Si j’avais eu le premier prix, peut-être aurais-je pu espérer...
COURVILLE.
À-propos, tu m’y fais penser, c’est aujourd’hui le dernier jour de l’exposition. J’avais oublié que j’étais revenu à Paris pour ça... Tu sais donc quelle est la décision ?...
ARMAND.
À-peu-près, Courville, c’est toi que l’on désigne.
COURVILLE.
En vérité... c’est singulier... si tu n’avais pas concouru, ça ne m’étonnerait pas, parce que, vois-tu, les autres, je m’en moque ; mais, toi, je reconnais ta supériorité sur moi... avec ça que j’ai fait mon tableau en huit jours, avant de partir... Il faut donc que tu te sois trompé.
ARMAND.
Je ne sais ; mais, tu n’ignores pas combien j’ai de détracteurs... et il est bien certain que j’ai été desservi auprès de nos juges.
COURVILLE.
Parce qu’ils sont tous jaloux, vois-tu.
ARMAND.
Oui ; on ne m’aimé pas, et toi tu as su te faire chérir de tout le monde.
COURVILLE.
Au fait, je me rappelle qu’avant mon départ, j’ai donné de fameux dîners ; ils s’en souviennent sans doute, et ils ont peut-être eu égard à ça... mais alors, que veux-tu faire ?
ARMAND.
Fuir de ces lieux... renoncer, pour jamais, au bonheur.
COURVILLE.
Du tout, il faut prendre patience.
ARMAND.
Hélas, tu ignores que je suis dans une position affreuse.
COURVILLE.
Comment ?...
ARMAND.
J’ai tout sacrifié à mes études ; j’ai persisté à ne pas vouloir faire de portraits, à ne pas donner de leçons, enfin, je n’ai pas même de quoi payer ce que je dois au maître de cet hôtel... sans cela, tu ne m’aurais peut-être plus trouvé ici.
COURVILLE.
En vérité... c’est à ce point-là...
À part.
Pauvre Armand !...
Haut.
Eh bien ! je vais t’en prêter de l’argent.
ARMAND.
Quoi !... tu aurais...
COURVILLE.
Rien... J’avais gagné des trésors à Londres... mais... plus personne... C’est égal, va... je saurai en trouver.
À part.
Est-ce qu’il n’y a pas là les enseignes et les lithographies ?... Je vais en envoyer une en pension chez Martinet... ça ne sera pas la première fois.
ARMAND.
Mon ami, je ne souffrirai pas...
COURVILLE.
Comment... tu ne souffrirais pas... moi, j’ai bien souffert que tu m’obligeasses dans le temps...
À part.
Précisément, en déjeunant au café anglais, j’ai vu une bonne tête, une tête excellente... je l’ai croquée, et c’est mon affaire.
ARMAND.
Que veux-tu dire ?
COURVILLE.
Quant à ça, ça ne te regarde pas... Sais-tu aussi que c’est peut-être un peu de ta faute si tu te trouves dans cette position-là ; tu aurais dû suivre mes conseils... Avant mon départ, par exemple... je voulais te lancer à l’Opéra... tu y aurais eu du succès.
ARMAND.
Mais, tu sais que j’y suis allé quelquefois...
COURVILLE.
Oui, pour voir le spectacle ; mais, ça n’est pas ça... C’est au foyer, dans les coulisses, surtout, qu’on fait de bonnes connaissances... Tiens, à la nouvelle salle, c’est délicieux.
Air : Paris est comme autrefois.
C’est là, mon cher, qu’un artiste
Fait sa réputation,
Et saisit, à l’improviste,
Des traits d’observation :
Dans la salle ou le foyer,
Et même sur l’escalier,
Un tableau,
Toujours nouveau,
Vient s’offrir à son pinceau.
Si je soulève le voile,
Quel aspect s’offre à mes yeux ?
Le derrière de la toile
Est encor plus curieux.
Ici, la reine des bois
Que, dans l’ombre, j’aperçois,
En cerf a changé, dit-on,
Plus d’un moderne Actéon ;
Là, le Dieu qui tient la foudre,
Vient supplier, en ami,
Un rédacteur de la Foudre
De dire du bien de lui.
D’un poste de vétérans,
On fait de fiers Musulmans,
Qui sont, tour-à-tour, Païens,
Arabes, Juifs ou Chrétiens ;
Ou bien l’on forme, sans peine,
Des artisans du quartier,
Une phalange romaine
À trente sous le guerrier.
Un tambour de légion
Fait un noble centurion,
Et même, dans un licteur,
J’ai reconnu mon frotteur.
J’ai vu le dieu de la guerre,
Avec un air sans façon,
Priser dans la tabatière
De Cerbère ou de Pluton.
Un vieux crésus allemand,
Marchandant
Le sentiment,
Met, pour ses plaisirs secrets,
Les vestales au rabais.
D’un lourd banquier britannique,
Minerve obtient le mouchoir ;
Junon parle politique,
Et Psyché lit le Miroir ;
Flore accepte des Bonbons
D’un colonel de dragons,
Et lui jure amour constant,
En faisant un battement ;
Tandis que, brûlant pour elle,
Un gros milord bourgeonné,
Reçoit de la demoiselle
Un coup de pied dans le né...
ARMAND, l’interrompant.
Ami, j’ai vu comme toi
Bien des abus, mais je crois
Qu’au lieu de tout dénigrer,
Nous devons tout admirer...
Aux accords de Polymnie,
Terpsichore unit ses jeux,
Et la Nature embellie
Paraît plus riche à nos yeux.
Ce superbe monument,
Bâti par enchantement,
Vient offrir, de toutes parts,
Un nouveau temple aux beaux arts.
Noble séjour du génie,
Tu dois faire, pour jamais,
L’orgueil de notre patrie,
Et l’honneur du nom français.
Oui, notre grand Opéra,
Qu’en tout temps on admira
Malgré ses nombreux défauts,
Et les faiseurs de bons mots,
Est une école féconde }
Dont les sublimes travaux, } bis ensemble.
Chez tous les peuple du monde, }
N’auront jamais de rivaux. }
COURVILLE.
Armand, console-toi, dans un moment tu n’auras plus d’inquiétude.
ARMAND.
De grâce, explique-toi.
COURVILLE.
Non, te dis-je. Tiens, justement, j’aperçois Bernard ; j’ai besoin de lui parler seul ; laisse-nous ensemble un instant, et ensuite viens me retrouver ici.
ARMAND.
Mais enfin...
COURVILLE.
Je te répète que ça ne te regarde pas ; ainsi, va-t’en.
Il le pousse dehors.
Scène IX
COURVILLE, BERNARD
COURVILLE.
Ah ! te voilà, Bernard. Bon... précisément, j’ai à te parler.
BERNARD.
Eh ! quoi, c’est vous, M. Courville ; déjà de retour de votre voyage... Parbleu, vous arrivez à propos ; tout Paris parle de vous, de votre tableau... On vous cite comme celui que l’institut va couronner.
COURVILLE.
Il se pourrait.
À part
Ah çà, ça serait donc vrai ; Armand ne se serait pas trompé.
Haut.
Et, franchement, que pense-t-on de cette prochaine décision ?
BERNARD.
Ce qu’on en pense ?... Mais, dame, vous allez peut-être vous fâcher.
COURVILLE.
Eh ! non. Voyons, parle ; il m’importe beaucoup de le savoir.
BERNARD.
Eh bien ! Tenez, puisqu’il faut vous le dire, je ne vous cache pas que, moi qui m’y connais, je regarde ça comme une injustice criante qu’on va faire à M. Armand.
COURVILLE.
Tu crois ?
BERNARD.
Oui... j’ai vu les deux tableaux ; le vôtre est très bien, certainement, je ne dis pas le contraire ; mais, le sien est cent fois mieux, et c’était-là l’opinion générale.
COURVILLE, à part.
Ce qu’il dit là pourrait bien être, au moins.
BERNARD.
Et puis si vous saviez que de peines il s’est données, pour réussir aussi bien qu’il l’a fait.
COURVILLE.
Tu penses donc que son tableau ?...
BERNARD.
Est un chef-d’œuvre !
COURVILLE.
Mais, quel est le motif ?...
BERNARD.
Ah ! voilà précisément... Par malheur, avant l’exposition, une innovation du plus grand effet, qu’il avait imaginée, a été blâmée par son professeur. Fier du suffrage de tous ses amis, M. Armand a persisté à la conserver, et, par là, s’est fait un ennemi dont la voix est très influente dans la décision.
COURVILLE.
Alors, je vois ce que c’est ; ce n’est que pour ça qu’on me désigne, moi... Eh bien ! c’est une injustice.
BERNARD.
Comment, c’est même une abomination... car, au fait, monsieur Courville, vous n’avez pas besoin de ça, vous... au lieu que lui, c’est son unique espérance.
COURVILLE, à part, sans l’écouter.
Il faut que je voie son tableau, que je m’assure de la vérité.
BERNARD.
Au surplus, ce que j’en dis, ce n’est certainement pas par animosité contre vous... Vous le savez, j’ai toujours aimé et estimé les artistes... surtout ceux qui sont logés chez moi... mais ce pauvre M. Armand, ça aurait si bien fait ses affaires ; la pension qu’il aurait eue du Gouvernement, l’honneur d’être envoyé à Rome, la réputation que ça lui aurait faite... il aurait été heureux, content...
À part.
Il aurait payé son mémoire.
COURVILLE, de même.
Il me vient une idée... Oui... c’est cela.
Haut.
Bernard, ne parlons plus de ça... mon ami ; il faut que tu me rendes un service... j’ai besoin d’argent.
Il tire de son calepin une feuille sur laquelle est un dessin.
BERNARD.
Ah ! ça ne m’étonne pas ; je vous reconnais bien là, toujours le même.
COURVILLE.
Va vite chez mon marchand, porte-lui ce modèle de lithographie... Tu lui diras que c’est de moi ; d’ailleurs, il le reconnaîtra bien tout de suite ; va.
BERNARD.
J’y cours ; mais, combien en voulez-vous ?
COURVILLE.
Cent écus, pas moins.
BERNARD, examinant le dessin.
C’est que c’est très bien... il n’a jamais mieux réussi... avec ça, le sujet est à succès... si je pouvais...
COURVILLE.
Eh bien ! va donc vite, je suis pressé.
BERNARD.
C’est que je réfléchissais... Tenez, écoulez, monsieur Courville, vous savez que j’ai toujours estimé votre talent d’une manière toute particulière... Eh bien ! si vous y consentez, je vais vous compter moi-même la somme... Hein... qu’en dites-vous ?
COURVILLE.
En vérité, tu voudrais ?...
BERNARD.
Certainement, vous connaissez bien mon système... Faire aller le commerce et protéger les arts, je ne connais que ça,
À part.
d’autant plus que je pourrai peut-être en tirer vingt-cinq louis... Nous disons donc que c’est cent écus qu’il vous faut.
Il fouille dans sa poche.
COURVILLE.
Oui, donne.
BERNARD.
Cent écus... ça se trouve précisément le montant du mémoire de M. Armand ; je l’avais là, par hasard, tout acquitté, dans ma poche.
Il le tire.
COURVILLE, le prenant.
Vraiment... Eh bien ! tiens, changeons.
BERNARD.
Quoi ! en vous donnant ce papier ?...
COURVILLE.
Tu ne me dois plus rien... Surtout, silence avec tout le monde, entends-tu !
BERNARD.
Je vous devine... Quel beau trait !... Me payer mon mémoire ! Ah ! M. Courville, vous êtes bien digne d’être artiste... Cependant...
Air : Il me faudra quitter l’empire.
On va dire encor, je vous jure,
Que trop souvent
Et trop légèrement,
Vous consacrez à la caricature,
Votre temps et votre talent.
COURVILLE.
D’un tel défaut, moi, je m’honore ;
Car, mon cher, jamais, à mes yeux,
D’un artiste même fameux,
Le crayon ne se déshonore,
Lorsqu’il oblige un ami malheureux. (bis.)
BERNARD.
Vous avez raison, mais je vous quitte... je me rends, de ce pas, chez M. le comte de Rézoff ; nous avons à régler ensemble, avant son départ : malheureusement pour moi, c’est aujourd’hui qu’il retourne en Russie, et dans quelques heures, il ne sera plus ici... au revoir, M. Courville.
Il sort.
COURVILLE.
Ah ! diable... M. de Rézoff part aujourd’hui... je n’ai pas de temps à perdre... Bon, voici Armand.
Scène X
ARMAND, COURVILLE
COURVILLE.
Mon ami, tiens, prends vite, voilà ton mémoire, tu ne dois plus rien à Bernard.
ARMAND.
Courville, qu’as-tu fait ?... je ne puis accepter.
COURVILLE.
Ah çà, tu veux donc que je me fâche avec toi... dans le temps, ne m’as-tu pas prêté de l’argent, quand j’en manquais, et ça m’arrivait souvent.
ARMAND.
Je ne m’en souviens plus.
COURVILLE.
Je m’en souviens, moi, et j’espère que tu n’as pas l’intention de m’humilier.
ARMAND.
De grâce, reprends ce papier.
COURVILLE.
Je te dis de me laisser tranquille... je cours à l’Institut, je vais voir ton tableau... et... et je ne te dis que ça.
Air : de Caroline.
Adieu, je m’en vais, le temps presse,
Je dois profiter des instants,
Désormais bannis la tristesse,
Il faut tout espérer du temps. (bis.)
ARMAND.
À ton bon cœur, qui pourrait croire
Que nous nous disputons le prix.
COURVILLE.
Si nous sommes rivaux de gloire
Avant tout, nous sommes amis. (bis.)
Ensemble.
ARMAND.
Je ne puis bannir ma tristesse,
Mais malgré mes cruels tourments,
Sois bien sûr que de ta tendresse
Mon cœur se souviendra longtemps.
COURVILLE.
Adieu, je m’en vais, etc.
Scène XI
ARMAND, seul, puis ALFRÉDA
ARMAND.
Généreux ami, tôt ou tard je saurai bien m’acquitter envers toi... mais maintenant que je suis libre, ayons le courage... Ciel, la voilà.
ALFRÉDA, en entrant, à part.
C’est lui...
Haut.
et quoi, vous me fuyez, monsieur Armand ?
ARMAND.
Pardon, mademoiselle, au moment de votre départ, je craignais que ma présence ne vous fût importune, et je m’éloignais.
ALFRÉDA.
Quoi, sans nous dire adieu ? est-ce donc ainsi qu’on doit se séparer des personnes qui nous aiment... Vous oubliez donc la promesse que vous avez faite à mon père, d’avoir avec lui un entretien secret.
ARMAND.
C’est vrai... le trouble où je suis, le chagrin que j’éprouve...
ALFRÉDA.
Du chagrin ?... vous en avez donc aussi, M. Armand ?
ARMAND.
Oh ! oui... beaucoup...
Se reprenant.
la certitude que j’ai acquise de ne pas obtenir le premier prix...
ALFRÉDA.
Et c’est là tout ce qui vous cause de la peine ?
ARMAND.
Oui, mademoiselle.
ALFRÉDA.
J’avais cru qu’un autre motif... si vous aviez eu un secret, par exemple.
ARMAND.
Un secret ?... Eh bien ! oui... j’ai un secret, mais il est là... et l’on voudrait en vain tenter de me le ravir.
ALFRÉDA.
Que vous êtes heureux de pouvoir ainsi commander à vos sentiments.
ARMAND.
De grâce, ne m’interrogez plus, je dois me taire.
ALFRÉDA.
Pourquoi ?
Air : Ce que j’éprouve en vous voyant (de Romagnesi).
Vous pouvez de votre tourment,
Sans crainte m’apprendre la cause
Car la douleur, je le suppose,
Souvent s’augmente en la cachant,
Et s’oublie en la partageant ;
Si tout bas votre cœur soupire,
Tant qu’en ces lieux je demeurais,
Vous deviez me le cacher... mais
Je crois que l’on peut tout se dire,
Lorsqu’on se quitte pour jamais.
Même air.
Moi-même, peut-être, à mon tour,
Si vous aviez été sincère,
J’aurais pu cesser de me taire,
Et vous avouer sans détour,
Quel est mon secret, en ce jour ;
Mes yeux auraient su vous instruire
De mon trouble, de mes regrets,
Du sentiment que j’éprouvais :
Car je crois qu’on peut tout se dire,
Lorsqu’on se quitte pour jamais.
Scène XII
ARMAND, ALFRÉDA, LE COMTE
LE COMTE, à part, sans se montrer.
Que vois-je ?... écoutons.
ARMAND, à part.
J’ai peine à me contenir... mais non, non, ayons le courage de faire un dernier effort...
Haut.
J’ai su vous comprendre, mademoiselle, et, puisque vous l’exigez, je vais parler.
LE COMTE, à part.
Que va-t-il dire ?
ARMAND.
Indigne de l’honneur de jamais prétendre à votre main je n’ai pas dû élever mes espérances jusqu’à vous ; oui, si tant de grâces, tant d’attraits, si vos yeux doux et si expressifs, si tous vos charmes réunis n’ont pu trouver mon cœur insensible, j’ai dû renfermer en moimême un sentiment qui n’aurait fini qu’avec ma vie... non, mademoiselle, je ne vous aime pas, je ne vous ai jamais aimée.
LE COMTE, se montrant.
Paraissons !
ALFRÉDA.
Ciel !... mon père !
ARMAND.
Monsieur le Comte !
ALFRÉDA, à part.
Du moins, cachons-lui mon trouble...
Haut.
Adieu, monsieur Armand.
ARMAND.
Adieu, mademoiselle.
ALFRÉDA, en sortant.
Je ne le verrai donc plus !
Scène XIII
LE COMTE, ARMAND
ARMAND, à part.
Comment lui cacher l’agitation où je suis ?
LE COMTE, de même.
Il vient de trahir son secret... maintenant je sais tout... Tâchons de profiter de son émotion.
ARMAND, haut.
Monsieur le Comte, il y a quelques instants vous m’avez fait promettre de me trouver ici... seul... je suis prêt à vous écouter.
LE COMTE.
Bien, mon cher Armand... vous me voyez très affligé du malheur qui vous arrive, de l’injustice dont vous allez être la victime, car je ne dois pas vous cacher que les nouveaux renseignements que je viens de recevoir de l’Institut, m’annoncent encore une nouvelle opiniâtreté à vous refuser le prix.
ARMAND.
Je le sais... aussi, quoique pénible, le sacrifice en est déjà fait.
LE COMTE.
Et votre cœur n’est pas indigné de cette décision qui va vous ravir peut-être pour jamais toutes vos espérances ?
ARMAND.
Que puis-je opposer à la voix de mes juges ?
LE COMTE.
Rien... je ne l’ignore pas, et je partage votre douleur... mais pourtant s’il était un moyen de réparer ce malheur.
ARMAND.
Que voulez-vous dire ?
LE COMTE.
Qu’il ne tient qu’à vous d’acquérir une gloire à laquelle il vous était si doux de prétendre.
ARMAND.
Eh quoi !...
LE COMTE.
Oui, si votre patrie est ingrate envers vous... si elle vous refuse la récompense que votre mérite et la justice réclament... écoutez la voix d’un ami qui vous chérit tendrement, qui ne désire que votre bonheur... dans quelques instants, vous le savez, nous allons retourner en Russie... consentez à nous y suivre... consentez à consacrer votre talent à notre pays, et je me charge de votre sort... là, les artistes, moins nombreux, sont plus recherchés... mieux appréciés... la fortune et la gloire vous souriront de toutes parts... votre nom sera bientôt cité de bouche en bouche... enfin, vous obtiendrez en peu de temps une réputation et des honneurs qui sont si dignes de vous...
ARMAND.
Ah ! M. le Comte... que me proposez-vous... moi fuir le pays qui m’a vu naître...
LE COMTE.
Vous le devez... s’il est injuste envers vous.
ARMAND.
Et qui prouve encore que la couronne à laquelle je prétendais m’ait été ravie par injustice... si je me suis permis quelques murmures sur l’arrêt de l’Institut... c’est que sans doute alors j’étais guidé par le premier mouvement d’un faux orgueil, et peut-être me plaignais-je à tort d’un jugement dicté par l’équité seule... d’ailleurs... en fuyant mon pays... n’est-ce pas moi que je punirais.
LE COMTE.
Armand... malgré moi j’admire votre noble caractère, votre désintéressement... mais songez donc au bonheur qui nous attend, si nous partons ensemble... combien il serait doux pour nous de ne plus nous séparer.
ARMAND.
Eh ! quoi, je pourrais rester toujours auprès de vous ?
À part.
Ne jamais la quitter...
LE COMTE.
Oui... et une fois réunis dans notre patrie... la fortune ne sera peut-être pas le seul bien que je vous destine... je connais votre cœur... vous devez m’entendre...
ARMAND.
Ah ! M. le Comte... n’abusez pas de ma crédulité... moi... je pourrais encore entrevoir le bonheur... mais que dis-je... quitter la France, quitter... oh ! non... jamais... je serai malheureux... mais du moins je le serai dans mon pays... j’y veux mourir.
Air : de la Sentinelle.
Vous le savez naguère enfant de Mars,
De mon pays j’embrassai la défense,
Et maintenant élève des beaux-arts,
Je dois encor mes travaux à la France.
LE COMTE.
Fils des climats que vous aurez choisis
Pour y porter votre génie,
Partout vous aurez des amis,
L’artiste est de tous les pays,
Et l’univers est sa patrie.
ARMAND.
Non, je ne puis consentir...
LE COMTE.
Ainsi donc, M. Armand... vous me... refusez... je ne devais pas m’attendre à tant de persévérance de votre part.
ARMAND.
Ah ! croyez que je sais apprécier...
LE COMTE.
On vient... ce sont eux... nous allons partir... nous séparer pour jamais... ne me le reprochez pas... c’est vous qui l’aurez voulu.
Scène XIV
LE COMTE, ARMAND, ALFRÉDA, TIMOLÉON, BERNARD, DOMESTIQUES portant des paquets
TIMOLÉON, sortant de l’appartement et donnant la main à Alfréda.
Air : Noble dame pensez à moi (Nocturne de Blangini.)
Pour moi cessez d’être rebelle,
Bientôt vous recevrez ma foi.
ALFRÉDA, à Armand.
Adieu, monsieur.
ARMAND.
Mademoiselle,
Soyez heureuse loin de moi...
Ensemble.
ALFRÉDA et ARMAND, à part.
Hélas ! pour moi plus de beaux jours ; (bis.)
Il faut { le quitter pour toujours.
{ la
LE COMTE, de même.
Hélas ! pour eux plus de beaux jours ; (bis.)
Ils vont se quitter pour toujours.
TIMOLÉON.
Adieu donc Paris, mes amours ;
Adieu, mais non pas pour toujours.
BERNARD.
Hélas ! malgré mes beaux discours, (bis.)
Je vais les perdre pour toujours.
TOUS.
Adieu, adieu.
Alfréda, avant de s’éloigner, jette un regard de tristesse sur Armand. Timoléon s’en aperçoit et veut l’emmener. Le Comte serre la main d’Armand qui détourne les yeux pour cacher son émotion.
Scène XV
LES MÊMES, COURVILLE
COURVILLE, accourant une couronne à la main.
Eh bien !... qu’est-ce... qui y a-t-il, des chevaux... une chaise de poste... un moment... arrêtez... voilà le premier prix.
ARMAND.
Que veux-tu dire...
COURVILLE.
Écoutez moi... tous.
Air des Comédiens.
En te quittant, pénétré de ta peine,
Et m’accusant, en secret, de tes maux,
À l’institut où le devoir m’entraîne,
Bientôt j’arrive et vois nos deux tableaux.
Devant le tien je m’arrête et j’admire,
Devant le mien je recule honteux ;
Car, j’en conviens, je n’ai jamais fait pire,
Et, par malheur, tu n’as jamais fait mieux.
Soudain je vais, en sortant de la salle,
Chez chaque juge invoquer l’équité,
Pour m’épargner la honte et le scandale
D’avoir un prix qu’un autre a mérité.
Le croirait-on, ils ont encor l’audace
De soutenir que mon ouvrage est bien,
Que j’ai des droits à la première place.
Je leur réponds qu’ils n’y connaissent rien.
Voyant qu’en vain je menace ou je prie,
Qu’à les fléchir il me faut renoncer,
Vite je cours, j’entre à l’académie.
Il était temps, on allait prononcer.
Arrêtez-vous, juges inexorables,
Leur dis-je à tous, enflammé de courroux ;
Vous refusez en vain d’être équitables,
Vous le serez aujourd’hui malgré vous.
Oui, puisqu’ici tel est votre suffrage,
Qu’un de nous deux doit l’emporter, eh bien !
À son tableau donnez donc l’avantage,
Car du concours je retire le mien.
Ces mots enfin vers l’équité sévère,
De l’institut a ramené l’esprit ;
Chacun m’entoure, et l’assemblée entière,
De tous côtés, m’approuve et m’applaudit.
Mais le bruit cesse, on n’entend plus personne.
Alors, au sein d’un silence profond,
Le président élève la couronne,
Et la décerne en prononçant... ton nom.
TOUS.
Est-il possible !
COURVILLE.
Oui, tu l’obtiens cette palme si belle,
Et j’ai couru, mon cher, dans mon ardeur,
Pour t’annoncer cette heureuse nouvelle,
Et, le premier, te presser sur mon cœur.
ARMAND.
Courville... est-ce une illusion...
COURVILLE.
Non, te dis-je... ils ont donné à toi la couronne, et à moi le plaisir de te l’apporter... tiens, la voilà.
ARMAND.
Eh quoi ! tu viens de me sacrifier ce premier prix, qui fait l’ambition de tant d’artistes.
COURVILLE.
Laisse-moi donc... s’ils m’avaient fait l’injustice de me lé donner j’en aurais rougi toute la vie.
LE COMTE.
Je n’y tiens plus... tant de noblesse, de générosité me transporte... Armand, je ne vous propose plus de fuir une patrie qui vient de vous accorder une si belle récompense.
ALFRÉDA.
Eh quoi ! mon père.
LE COMTE.
Oui, mes enfants, venez tous sur mon cœur... je m’établis en France, et désormais ne nous quittons plus.
TIMOLÉON.
D’après tout ça, il’ me paraît clair que je serai forcé de partir sans vous, pour Saint-Pétersbourg ; eh bien ! soit... bah ! c’est assez comme il faut de voyager tout seul.
ARMAND.
Ah ! monsieur le Comte, que de reconnaissance, et toi, Courville, je n’oublierai jamais ton généreux sacrifice.
Vaudeville.
LE COMTE, à Courville.
Air nouveau de Doche.
En dépit des traits de l’envie,
Grâce à vous il a réussi,
Mais s’il obtient de sa patrie
Le prix de peinture aujourd’hui,
Par un dévouement magnanime,
Vous le modèle des amis
De l’amitié la plus sublime,
Vous méritez le Premier Prix.
TIMOLÉON.
On vante chez les Écossaises
La candeur, la fidélité ;
Le sentiment chez les Anglaises,
Et chez les Russes la beauté.
Mais, en France, on sait que les femmes
Ont tous ces charmes réunis,
Et c’est à vous seules, Mesdames,
Qu’on doit donner le Premier Prix.
ARMAND.
Déjà fière de la couronne,
Dont elle avait orné son front,
La France, aux lauriers de Bellonne,
Unit les palmes d’Apollon.
Aux yeux de l’Europe ravie,
Pendant la paix, notre pays,
Des beaux arts et de l’industrie,
Obtient encor le Premier Prix.
BERNARD.
Les mets, les vins de ma patrie
Furent toujours mon seul régal ;
Car j’ai, même en gastronomie,
Beaucoup d’esprit national.
En dépit de la mode anglaise,
Des rosbifs, des macaronis,
Pour moi la cuisine française,
Aura toujours le Premier Prix.
COURVILLE.
Le Tasse illustra l’Italie ;
Et notre rivale Albion,
Pour sa gloire fut la patrie
Et de Shakespeare et de Milton.
De Cervantès l’Espagne est fière ;
Mais, certes, dans tous les pays,
Corneille, Racine et Molière,
Auront toujours le Premier Prix.
ALFRÉDA, au public.
La scène est une académie,
Où, dans l’espoir de réussir,
Tous les élèves de Thalie,
Devant vous viennent concourir.
Heureux nos Auteurs si leur pièce
Obtenait quelques accessits ;
Car ils sentent trop leur faiblesse,
Pour aspirer au Premier Prix.