La Lampe merveilleuse (Pierre CARMOUCHE - Jean-Toussaint MERLE - Joseph-Xavier Boniface SAINTINE)

Pièce féerie burlesque en deux actes, mêlée de couplets et précédée d’un prologue.

Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Panorama Dramatique, le 13 septembre 1822.

 

Personnages

 

LE SULTAN ABABA-PATAPOUF

LA PRINCESSE BADROULBOUDOUR, sa fille

ALADIN, aventurier français, Rat-de-Cave chinois

PATAGON, magicien africain, Vizir du Sultan

LA MÈRE COQUENARD, mère d’Aladin

PHOSPHORE, génie de la Lampe merveilleuse

CRÉANCIERS D’ALADIN

UN CRIEUR PUBLIC

GARDES DU SULTAN

PEUPLE CHINOIS

GÉNIES

SYLPHES

GNOMES

DÉMONS

FURIES

 

La Scène se passe dans la Capitale d’un immense Royaume de la Chine, entre le règne du Calife Aroun Raschild et celui de Louis XV.

 

 

PROLOGUE

 

Le Théâtre représente une Place publique de la Capitale d’un des Royaumes de la Chine.

 

 

Scène première

 

PATAGON, sous le costume d’un charlatan, harangue la populace et vend de la poudre de perlimpinpin, ALADIN est placé du nombre des badauds

 

PATAGON.

Messieurs et dates, quoique vous ayez l’honneur de me voir pour la première fois sur la place publique de Pékin, ne croyez pas cependant avoir affaire à un inconnu. Mon père, qui s’appelait Esprit Patagon, a exercé l’influence de ses bienfaits dans toutes les grandes villes du continent : Londres, Madrid, Berlin, Vienne et Brive-la-Gaillarde. C’est lui qui a guéri un prince d’Allemagne d’un mal aux dents qui ne lui permettait depuis trente ans que douze heures de sommeil par nuit, et la preuve qu’il l’a guéri, c’est que je puis vous montrer sa peau dans un bocal. Moi, qui vous parle, je suis fameux dans l’Univers par la composition des poudres que je vends, et dont le mérite est reconnu pour les rhumes et les catarrhes, pour les engelures et la croissance des cheveux, pour les indigestions et la destruction des rats et des souris, pour chasser la migraine et enlever toutes sortes de taches sur les habits. Mais, me direz-vous, est-ce vous qui avez inventé la poudre que vous nous vendez ? Non, Messieurs, je n’ai point inventé la poudre. Mais ne croyez pas, Messieurs et dames, que je vienne sur la place publique pour faire fortune ; j’y viens purement et simplement pour que des Chinois tels que vous ne soient point privés des avantages de ma poudre... Mais, allez-vous me dire, tu vas nous la faire payer, ta poudre. Non, Chinois, je ne vous la fais pas payer ; car je vous donne avec un paquet de ma poudre de quoi encore aller dîner.

ALADIN, sortant de la foule.

Qui est-ce qui parle de dîner ?

PATAGON.

Eh ! qu’est-ce que c’est ? Un paquet que vous demandez ? Attendez, je vas vous servir...

ALADIN.

Non ; c’est qu’il m’a paru que vous aviez parlé de dîner.

PATAGON.

Comment, vous seriez à jeun ?

ALADIN.

Depuis hier matin, si ça peut vous être agréable.

PATAGON, à part.

À jeun depuis hier matin ! Voilà mon homme. Ah ! par exemple, celui-ci ne m’échappera pas ; il y a trop longtemps que je le cherche...

Haut.

Mon ami, je suis à vous.

Au public.

Messieurs, comme je vous le disais, je veux avec chacun de mes paquets vous donner de quoi aller dîner ; ces paquets, que j’ai vendus partout deux sequins, je veux et je prétends que vous en jouissiez pour la modique somme d’un sequin ; dépêchez vous ; faites-vous servir ; que ceux qui veulent gagner un sequin s’approchent le plus vite possible ; car je n’ai pas de temps à perdre.

            À Aladin.

Mon ami, ne vous en allez pas, nous avons à causer...

ALADIN.

Allez donc avec vos paquets, je ne donne pas là-dedans.

On entend une grande fanfare dans la coulisse ; toute la foule se porte de ce côté ; un crieur public, suivi de quatre gardes, se présente pour faire une annonce.

 

 

Scène II

 

PATAGON, ALADIN, LE CRIEUR PUBLIC, GARDES

 

LE CRIEUR.

Peuple de Pékin, le sultan Ababa-Patapouf, notre très gracieux souverain, rempli de bonté pour ses sujets, leur ordonne, sous peine de cent coups de bâton, de rentrer chez eux pendant le trajet que la princesse Badroulboudour, son auguste fille, va faire pour se rendre à la grande pagode.

ALADIN.

C’est d’un bien bon prince.

Ici les trompettes se font entendre ; les soldats chassent de tous côtés le peuple à grands coups de manches de hallebardes. Aladin se tapit dans un coin, et Patagon ne le perd pas de vue. Le cortège s’avance, traverse le théâtre et disparaît. Dans le fond, on voit la princesse dans un palanquin voile ; les femmes la suivent, et ses eunuques marchent devant elle.

Elle est donc là-dedans, cette petite princesse que j’ai vue en songe, si belle ! si belle ! que j’en suis amoureux comme une bête. De par tous les diables, quand je devrais recevoir la bastonnade, il faut que je la voie.

Il court, Patagon l’arrête.

PATAGON.

Où cours-tu, malheureux ? tu n’as seulement pas dîné.

ALADIN, s’arrêtant.

Ah ! c’est vrai. Est-ce que par hasard ?...

PATAGON.

Je n’ai pas parlé de ça.

ALADIN.

Eh ! que diable me veut-il donc ce marchand d’orviétan ?

PATAGON.

Dis-moi donc... Je t’ai vu à...

ALADIN.

C’est vrai.

PATAGON.

Tu es de...

ALADIN.

J’y suis né.

PATAGON.

Tu as habité...

ALADIN.

Quatre ans...

PATAGON l’embrasse.

C’est ça, tu es mon neveu.

ALADIN.

Un moment, c’est qu’il faudrait pour ça que vous fussiez mon oncle.

PATAGON.

Non, je ne me trompe pas ; c’est bien toi.

ALADIN.

Pour être moi, c’est bien moi.

PATAGON.

Tu es le fils de mon pauvre frère... Eustache Coquenard, qui était perruquier au Bourget.

ALADIN.

C’est ça, la boutique peinte en bleu.

PATAGON.

Trois palettes à la porte. Eh ! mon pauvre Aladin, que fais tu à Pékin ?

ALADIN.

Je venais pour y être dans la douane, et j’y suis dans la misère.

PATAGON.

Comment, la douane ?

ALADIN.

Oui, je voulais y être rat-de-cave, et j’y suis meure de faim.

PATAGON.

Écoute, mon ami ; je veux faire la fortune et celle de ta mère ; je veux te donner plus de trésors que n’en possède le sultan de la Chine.

ALADIN.

Allons donc, je commence à voir que vous êtes un bon farceur.

PATAGON.

Je te jure que je veux faire ta fortune, te combler de trésors ; et pour preuve, tiens, prends ce petit écu à compte.

ALADIN.

Ah ! dame, écoutez donc, vous m’en direz tant... ah ça ! voyons, que faut-il faire ?

PATAGON.

Tu es bien sûr que tu n’as pas déjeuné ? c’est qu’il faut absolument que tu sois à jeun... Tu n’as que trois mois à dire, et je te transporte dans la grotte du Roi des génies, à deux mille quatre cents lieues d’ici.

ALADIN.

Non, je ne puis pas ; j’ai affaire à trois heures et demie, on m’attend à la maison.

PATAGON.

Laisse donc

ALADIN.

Non, vrai, je ne puis pas ; ma mère me ferait un beau train ; avec ça qu’elle grogne toujours contre moi.

PATAGON.

Tu seras ici pour dîner ; allons, ne perdons pas de temps, répète ce que je vais te dire : Abracadabra.

ALADIN.

Laissez donc, je ne pourrai jamais répéter Abracadabra.

PATAGON.

Microcsalem.

ALADIN.

Ah ! par exemple ! si vous me faites jamais dire Microcsalem.

PATAGON.

Astaroth.

ALADIN.

Ah ! ah !... Astaroth, c’est trop fort !

Au même instant où Aladin a prononcé le nom d’Astaroth, un violent coup de tonnerre se fait entendre, les vents grondent avec impétuosité, la foudre sillonne la nue. La place de Pékin disparaît, et Aladin s’engouffre avec Patagon.

Le théâtre change et représente une caverne obscure. Aladin et Patagon y arrivent tout essoufflés.

ALADIN.

Ouf ! le diable emporte votre diligence ! C’est pis qu’une montagne russe... j’ai cru que la respiration allait me manquer.

PATAGON, d’un air triomphant.

Nous voici enfin arrivés ; tu n’as plus que treize marches à descendre pour trouver ce trésor sans prix, qui doit faire ta fortune et la mienne.

ALADIN.

Et ce trésor, qu’est ce que c’est ?

PATAGON.

C’est une lampe...

ALADIN.

Une lampe d’or ?...

PATAGON.

Non, de cuivre rouge.

ALADIN.

Ah ! si vous m’avez amené ici pour me faire aller... il faut me le dire.

PATAGON.

Tenez, sot, incrédule, si vous doutez de ma bonde foi, regardez cette pierre sur laquelle se trouve un anneau de bronze ; levez-la.

ALADIN.

À moi tout seul ; ce ne sera pas trop de nous deux.

PATAGON.

Prononcez le nom de votre père et celui de votre grand-père ; levez, et vous verrez qu’elle viendra.

ALADIN,

C’est une de leurs connaissances, ça... Ignace Coquenard et Roch Dutoupet.

Il lève la pierre qui vient à lui aisément.

Est-ce que c’est le caveau particulier du Roi des génies ?... Quel vin il doit y avoir !

PATAGON.

Quand vous serez au bas des degrés, vous trouverez dans un lieu voûté, une porte ouverte qui vous conduira ensuite dans le beau jardin dont vous voyez une partie : au bout le la grande allée, est une petite niche ; vous y verrez une lampe allumée, vous la prendrez et me l’apporterez sans l’éteindre.

ALADIN.

Et moi, qu’est-ce que j’aurai dans tout cela ?

PATAGON.

Je t’enrichirai à jamais.

ALADIN.

Parole d’honneur ? Laissez-moi prendre au moins de quoi dîner.

PATAGON.

Ne touche à rien ; nous irons dîner ensemble en sortant.

ALADIN.

Allons, ça va.

Aladin descend dans le souterrain, on le voit disparaître. Patagon le regarde avec inquiétude.

PATAGON, seul.

Va, tu n’en sortiras plus. Enfin, il est en ma puissance, ce dangereux étranger que les destins ont signalé comme l’auteur de tous les maux qui doivent m’arriver, qui m’en lèverait cette lampe, l’unique merveille du monde, et la main de la princesse Badroulboudour. Misérable ! tu es venu donner dans le traquenard que je t’avais préparé, et la ruine va faire mon triomphe : cette caverne le servira de tombeau.

Musique sourde.

ALADIN, dans le souterrain.

Mon oncle Patagon, mon oncle Patagon !

PATAGON.

Je l’entends ; voici le moment de ma victoire...

ALADIN.

Je tiens la veilleuse.

PATAGON.

Viens, mon fils, viens.

ALADIN, montrant la tête.

C’est pas grand’chose ; j’en ai vu sur le quai de la ferraille qui valaient mieux que ça.

PATAGON.

Donne, donne.

ALADIN.

Non, non. Laissez-moi sortir avant.

PATAGON, avec impatience.

Donne donc, tu sortiras après.

ALADIN.

Non, je veux sortir avant.

PATAGON.

Quelle obstination !

ALADIN.

Oui, j’ai la tête dure.

PATAGON.

Je t’ordonne de me donner la lampe.

ALADIN.

Non, non, non ; vous ne l’aurez que quand je serai dehors.

PATAGON.

Crains ma colère.

ALADIN.

Laissez donc tranquille.

PATAGON.

Je suis capable de tout pour le punir de la désobéissance.

ALADIN.

Ah ! vous le prenez comme ça ; eh bien ! vous ne l’aurez pas.

PATAGON.

Je ne l’aurai pas, traître !

Patagon furieux le pousse par la tête dans le ca veau ; Aladin se débat, il laisse tomber la lampe qui s’éteint. La foudre gronde, une légende paraît portant ces mots : POUR TOUJOURS ! On entend les cris étouffés d’Aladin ; un griffon se présente à Patagon, il s’élance dessus, en répétant : Pour toujours !

Tableau.

Le rideau tombe.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre représente la Chambre d’Aladin : tout y respire la gêne et la misère.

 

 

Scène première

 

LA MÈRE D’ALADIN, seule, vêtue comme une femme du peuple de Paris

 

Ce petit drôle-là, que peut-il être devenu ? Pas encore rentré ! Voici justement l’heure où ses créanciers ont l’habitude de venir. J’y songe ; en sortant, hier matin, il avait un air singulier... S’il lui était arrivé un malheur... Là, un fatal pressentiment ! mon Dieu ! mon Dieu ! s’il était mort !

On entend donner un grand coup à une porte.

Oh ! je n’ai plus de sang dans les veines...

ALADIN, sous le théâtre.

Ma mère ! ahaie ! ma mère !

LA MÈRE.

C’est sa voix ! c’est sa voix !

Elle court à la porte et ouvre.

Il n’y est pas ; grand Dieu ! plus de doute, il est mort.

 

 

Scène II

 

LA MÈRE, ALADIN

 

ALADIN, entrant par la porte de la cave, pâle, défait, ses habits en désordre.

Ouf !... Je suis mort.

LA MÈRE.

Que vois-je ? quelle mine ? Tu es mort, je ne me suis point trompée, voilà son ombre.

ALADIN.

Ma parole d’honneur la plus sacrée, je ne suis pas mort. Que diable ! je vous le dirais franchement ; je n’ai rien de caché pour vous.

LA MÈRE.

Serait-il possible ? Embrasse-moi donc.

ALADIN.

Non seulement je suis vivant, mais je puis même me flatter d’être le plus riche, le plus puissant, le plus heureux des hommes. Ah ! oh !... je me meurs de faim pourtant.

LA MÈRE

Le plus riche, le plus puissant ! Ah ! mon Dieu ! mon pauvre fils est fou ! D’où sors-tu ?

ALADIN.

Mais je sors de la cave, vous le voyez bien.

LA MÈRE.

Pourquoi, dans l’état misérable où je le vois, te dis-tu le plus puissant des hommes ?

ALADIN.

Le plus puissant ! le plus puissant ! Je ne prétends pas être le plus gros, le plus gras ; mais regardez ça.

Il lui montre la lampe.

LA MÈRE.

Quoi, cette petite vilaine lampe !

ALADIN.

Vilaine ! c’est cependant avec cela que nous paierons tous nos créanciers.

LA MÈRE.

Hélas ! mon pauvre fils... tiens, ta tête... Justement les voilà.

 

 

Scène III

 

LA MÈRE, ALADIN, LES CRÉANCIERS

 

TROIS CRÉANCIERS, arrivant.

Il faut nous payer de suite ; pour six cents pauvres sequins nous faire venir tous les jours.

ALADIN.

Messieurs, je vous salue ; je n’ai qu’une chose à vous dire, c’est que...

TROIS AUTRES CRÉANCIERS.

Il faut nous payer à l’instant.

ALADIN.

Messieurs, un moment, vous allez déjeuner avec moi, n’est-ce pas ?

LA MÈRE, bas à Aladin.

Mais je n’ai rien à leur donner.

ALADIN, montrant la lampe.

Laissez donc, j’ai là de quoi donner à déjeuner à trente mille hommes. Voulez-vous, de mon déjeuner, là, sans cérémonie.

DEUXIÈME CRÉANCIER.

Sachez que j’ai obtenu du cadi l’ordre de vous faire arrêter.

ALADIN.

À table ! à table.

DEUXIÈME CRÉANCIER.

À table ! à table ! où diable voit-il une table ?

PREMIER CRÉANCIER.

Ah ! il se moque de nous... les soldats sont à la porte, nous allons voir.

ALADIN, prenant sa lampe tout doucement, à part.

Vous allez voir ce qu’il va dire aux soldats.

Des soldats entrent el se rangent au fond. Un créancier furieux va vers la porte pour donner ordre aux soldats de saisir Aladin : la voix lui manque, tandis qu’Aladin dit en frottant sa lampe.

Cuisiniers, venez servir le déjeuner !

Les soldats se changent tout à coup en cuisiniers, au moyen d’un encadrement en carton peint qui ne laisse voir que leur figure ; ils sont habillés derrière, et une fois tombé, çà représente le tablier des cuisiniers (comme le changement des duègnes dans LE PIED DE MOUTON). Une table toute servie sort de dessous terre.

TOUS LES CRÉANCIERS.

Que vois-je ?

LA MÈRE.

Ah ! mon fils est ensorcelé !...

ALADIN, à table.

Vous vouliez donc me mettre en prison ? est-ce que c’est possible ?

LES CRÉANCIERS.

Oh ! non !... Mais est-ce à vous, ce qu’on voit ici, est-ce à vous ?

ALADIN.

Oui !

UN CRÉANCIER, buvant.

Alors, écoutez ; vous ne pouvez pas rester garçon... Voulez-vous épouser ma fille ?

ALADIN.

Non, merci, j’ai mieux que ça.

LA MÈRE, qui s’approche en tremblant de la table.

Comment, mon fils, tu vas te marier ?

ALADIN, à haute voix.

Je vais épouser la fille du sultan.

TOUS, s’écriant.

La fille du sultan !... Silence, malheureux ! Ah ! mon Dieu, il a perdu l’esprit !

PREMIER CRÉANCIER.

Tu n’as qu’à te dépêcher pour l’épouser ; car elle se marie aujourd’hui même au grand-vizir.

ALADIN.

Raison de plus pour ne pas perdre de temps. Ma mère, vous allez me faire le plaisir d’aller la demander de suite à son papa : dites que c’est de ma part, entendez-vous ?

LA MÈRE.

Mais tu n’y penses pas ?

ALADIN.

Allez, et annoncez-moi. Je vous rejoins bientôt avec mon cortège.

LA MÈRE.

Quel cortège !

ALADIN, montrant les cuisiniers.

Ces braves amis que voilà.

Montrant ses créanciers.

Et ces Messieurs, que j’exhausse jusqu’au grade...

Les créanciers saluent avec un air satisfait.

jusqu’au grade d’eunuques. Mais hâtez vous, ma mère, puisque ma future doit épouser le grand-vizir aujourd’hui. Allez.

Tout le monde sort.

Marche.

Le théâtre change et représente la chambre à coucher de la Princesse.

 

 

Scène IV

 

LE PETIT SULTAN, sur un sofa et fumant une pipe de six pieds de longueur

 

Enfin, l’instant approche où doit cesser l’enchantement fatal que la fée Nabote jeta sur ma fille le jour de sa naissance. Esclaves ! que l’on fasse venir le vizir, mon gendre... Ce brave Patagon ! quel service il m’a rendu ! Je puis bien dire qu’il m’a délivré de mes plus cruels ennemis. La chose que je hais le plus au monde... c’est... une souris. Je ne peux pas souffrir ces sortes d’animaux ; c’est plus fort que moi ! ! Mon palais en était rempli : par bonheur, dans ce temps, Mahomet me donna pour vizir cet homme admirable, qui, non content de régir mes États, y introduisit aussi la sublime institution des souricières et de la mort aux rats ; enfin, grâces à lui, j’en suis débarrassé, et ma fille est la seule récompense digne de lui. Le voici.

 

 

Scène V

 

LE SULTAN, LE VIZIR PATAGON

 

Il n’est plus en costume de charlatan.

LE VIZIR.

Que votre hautesse, que votre grandeur...

LE SULTAN.

Ne parlons pas de ma grandeur, je vous en prie ; brisons là-dessus...

LE VIZIR.

Me voilà donc introduit dans l’appartement de votre auguste fille, de mon auguste fiancée !

LE SULTAN.

Oui, mon auguste gendre, je suis venu moi-même en personne, pour vous y donner ma bénédiction paternelle, ainsi qu’à ma fille, qui se prépare en ce moment à vous recevoir. Vous savez qu’un enchantement cruel l’empêche de prendre l’accroissement ordinaire à son âge, jusqu’au lendemain de ses noces.

LE VIZIR.

Et c’est dans cet heureux jour que va luire cette nuit tant désirée !

LE SULTAN.

Songez, mon gendre, que, grâce à vous, je dois la retrouver demain la plus belle femme du monde.

Musique.

 

 

Scène VI

 

LE SULTAN, LE VIZIR, LA PETITE PRINCESSE

 

LE SULTAN.

Approchez-vous, ma fille... Pour la première fois, levez votre voile devant un autre homme que votre père ; voilà votre futur époux.

LA FILLE, levant son voile.

Ah ! papa, qu’il est laid !

LE SULTAN, à demi-voix.

Chut ! on ne se dit pas de ces choses-là un premier jour de noces. Ne semble-t-il pas que vous êtes accoutumée à en voir de plus beaux ?

LA FILLE.

Non, papa, je n’ai jamais vu que vous... Mais vous êtes encore plus... Vous êtes encore moins...

LE SULTAN.

Songez donc qu’il n’est que vizir, et que je suis sultan.

LE VIZIR.

Qu’elle est belle ! qu’elle est bien l’abrégé de toutes les perfections de son sexe !

LE SULTAN.

Approchez, mes enfants, que je vous donne ma bénédiction. Vizir, baissez vous donc plus que cela ; je n’ai pas les bras d’une longueur...

UN ESCLAVE, entrant.

Une femme du peuple demande à être présentée à sa hautesse. On ignore comment elle a pu parvenir jusqu’à cet appartement.

LE SULTAN.

Dites que je suis en train de donner ma bénédiction, et que je n’y suis pour personne.

L’ESCLAVE.

Il est trop tard ; la voici.

 

 

Scène VII

 

LES MÊMES, LA MÈRE

 

L’esclave va lui dire qu’elle ne peut entrer, elle lui donne un soufflet.

LE SULTAN.

De quel droit osez-vous pénétrer ici ?

LA MÈRE.

Pardon, excuse, M. le Sultan. Je viens de la part de mon fils.

LE SULTAN.

Et qu’est-ce que votre fils ?

LA MÈRE.

C’est Aladin, sauf votre respect.

LE VIZIR, à part.

Aladin ! le traître vit encore !

LE SULTAN.

Comment, on ne pourra rester tranquille chez soi !

LE VIZIR, à part.

Je brûle de savoir comment il a pu s’échapper des souterrains...

Haut.

Que sa hautesse daigne entendre cette femme.

LE SULTAN.

Vous croyez ? Eh bien ! brave femme, parlez et parlez vite.

LA MÈRE, avec beaucoup de volubilité.

Hier, ce fils, qui se nomme Aladin, était bien le plus pauvre de tous les hommes ; je ne sais comment cela se fait, mais aujourd’hui il est riche et puissant à souhait !

LE SULTAN.

Ah ça ! il n’a cependant pas fait banqueroute ? 

LE VIZIR, à part.

Plus de doute, il possède la lampe.

LA MÈRE.

Mais mon fils ne s’est-il pas mis en tête de devenir amoureux de mamzelle votre fille, et il m’a chargée de venir vous la demander en mariage.

LE VIZIR.

Quelle audace !...

LE SULTAN, riant.

Ah ! ah ! ah ! Quoi ! votre fils Aladin me demande ma fille en mariage ?...

LA MÈRE.

Un peu, mon neveu.

LE SULTAN.

Il ne se gêne pas !... Mais elle se marie en ce moment même, et lorsque vous êtes venue nous interrompre, j’avais déjà commencé la bénédiction paternelle, que nous allons reprendre de suite.

LA MÈRE.

Ah ! mon pauvre Aladin, il va être désolé !

LE VIZIR.

Sortez, femme présomptueuse ! Mais que veut tout ce pompeux cortège ? Ah ! c’est sans doute un présent que nous fait sa hautesse !

LE SULTAN.

Moi ? Je ne sais ce que c’est.

On entend crier : Vive ALADIN !

 

 

Scène VIII

 

LES MÊMES, ALADIN

 

Un cortège brillant précède Aladin, qui arrive enfin vêtu d’un riche habit français, et porté par ses créanciers, esclaves.

CHŒUR.

Air de la Trajan.

Regardez, habitants de Pékin,
Regardez sur ce beau palanquin,
Derrière ce baldaquin,
Soudain,
Vous verrez le prince Aladin.

LE SULTAN.

Quel train ! quel train !... (bis.)
On fait dans mon royaume
 

Quel train ! quel train ! (bis.)
C’est pire qu’au lutrin.

CHŒUR.

Regardez, habitants de Pékin, etc.

LE SULTAN.

Il paraît que cet Aladin est quelque grand prince ?

LE VIZIR.

Quelqu’aventurier. Il était pauvre hier, il est riche aujourd’hui.

À part.

Quelle magnificence ! j’étouffe de fureur !...

ALADIN, s’avançant.

Second soleil de l’univers, très haut, très grand, très magnanime Sultan, as-tu vu quand soufflait le vent dévastateur du désert, la plante desséchée, veuve des brises embaumées du matin, se pencher sur sa tige à demi-flétrie, et attendre les douces émanations d’un nouvel atmosphère pour relever sa tête pesante, et sourire encore de fraîcheur et d’amour aux rayons vivifiants de l’astre qui nous éclaire ?

LE SULTAN.

Hein ?... Plaît-il ?

ALADIN.

Je suis la plante á demi flétrie ; tu es cet astre vivifiant, père d’un autre astre encore plus doux, et dont l’influence magique peut seule, pour ainsi dire, en exorcisant mes ennuis, me rendre le repos, le calme, le bien-être et le bon heur sans lequel il n’y a pas de véritable félicité.

LE SULTAN.

C’est clair ; mais je ne peux pas.

ALADIN.

Qu’est-ce que vous ne pouvez pas ?

LE SULTAN.

Faire ce que vous me demandez.

ALADIN.

Eh bien ! qu’est ce que je vous demande ?

LE SULTAN, embarrassé.

Que je vivifie par les douces, émanations des vents dévastateurs cet astre plus doux qui exorcise le bonheur... sans lequel il n’y a pas de véritable félicité.

ALADIN.

Du tout ; vous ne m’avez pas compris, ou plutôt je me suis peut-être mal expliqué. J’ai voulu tout simplement vous dire que j’étais amoureux de votre fille et que je désirerais l’épouser.

LE SULTAN.

Voilà ce qui est absolument impossible pour l’instant. Tout ce que je puis vous dire, c’est que vous vous mettrez sur les rangs aussitôt qu’elle sera veuve.

LE VIZIR.

Veuve ?... J’aurai l’honneur de vous faire observer...

LE SULTAN.

Pas d’observations ; ma parole est donnée ainsi...

ALADIN.

Oui, mais, veuve, je n’aime pas tant cela que...

LE SULTAN.

Je la marie aujourd’hui même à mon vizir ; ainsi, il n’y a pas de ressource.

ALADIN, avec éclat.

Quel trait de lumière ! Il y en a une g seigneur, et je puis vous l’indiquer.

LE SULTAN.

Une ressource ? voyons.

TOUS.

Écoutons...

ALADIN.

Ôtez-la au vizir et donnez-la moi.

LE SULTAN.

En effet !... Mais non, non, impossible !

ALADIN.

Êtes-vous bien sûr ?...

LE VIZIR.

Insolent !...

ALADIN.

Ma foi, je ne conçois pas pourquoi vous ne me préférez pas !...

LE SULTAN.

Vous ne vous apercevez point que vous êtes ici dans la chambre nuptiale, et que les époux doivent avoir à se parler.

Air : Bonsoir la compagnie.

Allez vous promener,
Sans lanterner.

ALADIN.

Ah ! je t’implore,
Cruel mahométan,
Sois bon papa, sultan.

LE VIZIR.

Va-t’en !

LE SULTAN, en fureur.

Laissez-nous donc la paix.

ALADIN.

Eh bien ! oui, je m’en vais.
Adieu, père féroce,
Tu n’es pas à la noce
Je puis au désespoir,
Vous dire encor... bonsoir !

 

 

Scène IX

 

LE SULTAN, LE VIZIR, LA PRINCESSE

 

LE VIZIR.

Nous en voilà donc débarrassés. Dieu en soit loué jusques dans le septième ciel.

La nuit baisse.

LE SULTAN.

Allons, mes enfants, je vous laisse : j’ai été dérangé... Nous remettrons la bénédiction nuptiale à demain. Vizir, vous savez ce que vous avez à dire à votre femme. Bonsoir, ma fille ; bonsoir, mon gendre.

LA PRINCESSE.

Quoi, mon papa, me voilà donc mariée.

LE SULTAN.

Ça ne peut pas tarder au moins. Adieu.

 

 

Scène X

 

LE VIZIR, LA PRINCESSE, ALADIN, sortant de dessous le parquet, sa lampe à la main

 

Musique sourde.

ALADIN.

Voyons ce que devient mon rival.

Il se tapit dans un coin.

LE VIZIR.

Il s’agit maintenant de dire des douceurs à la fiancée ; approchons-nous.

LA PRINCESSE.

Je suis donc mariée ! Que je suis malheureuse. Il vient ; que me veut-il ?

ALADIN, à part.

Oui, oui, conte-lui des douceurs.

Il frotte sa lampe.

LE VIZIR.

Charmante princesse, mon amour. Ah !

Il ne peut achever et bâille.

LA PRINCESSE.

Eh bien ?

LE VIZIR.

Qu’est-ce que j’ai donc. Croyez que... Ah !

Il baille en étendant les bras.

LA PRINCESSE.

Voilà un joli mari. Il ne peut me dire un mot ?

Le Vizir veut lui peindre son amour, et bâille tous jours ; enfin, il tombe dans un fauteuil et s’en dort sur l’air : Do, do, l’enfant do.

Comme cela est poli ! Je ne sais si j’ai raison, mais il me semble qu’il ne doit pas en être ainsi, et qu’un vizir est un être détestable.

Une musique se fait entendre. Deux petits amours traversent le théâtre, tenant un transparent sur le quel est écrit : TU NE DOIS AIMER QU’ALADIN.

Que vois-je ! je ne dois aimer qu’Aladin ! Aladin ! C’est, je crois, le nom de ce jeune étranger qui est venu me demander, en mariage.

ALADIN.

Charmante petite amie ; il veille sur toi.

L’orchestre joue Tandis que tout sommeille, en en sourdine.

LA PRINCESSE, pendant l’air.

Qui a parlé ? Quelle douce mélodie vient enchanter mes sens. Aladin, si tu veilles sur moi, protège mon sommeil et donne-moi d’heureux songes.

PHOSPHORE, le Génie de la Lampe, paraît et chante à mi-voix.

Air : Dormez donc, mes chères amours.

Puissant dieu du sommeil, accours,
Prête-moi ton divin secours ;
Fais que l’hymen ronfle toujours
Lorsque tout bas l’amour soupire,
Et qu’à sa belle il puisse dire :
Princesse, goûte un doux sommeil,
L’amour se charge du réveil.

Ensemble.

LA PRINCESSE.

Quel magique et tendre sommeil,
Ah ! que sera donc le réveil !

LE MAGICIEN.

Jamais je n’eus autant sommeil,
Je veux dormir jusqu’au soleil.

ALADIN.

Princesse, goûte un doux sommeil,
L’amour se charge du réveil.

Musique.

Elle s’assied et s’endort sur le lit de parade qui est au fond. Les rideaux se referment. Un forté à l’orchestre.

LE VIZIR, s’éveillant.

Eh bien ! qu’est-ce que je fais donc là ? où suis-je ici ? Est-ce que mon mariage n’était qu’un rêve ?... Non ; plus je me rappelle !... mais je ne me trompe pas... c’est ici la chambre nuptiale. La princesse m’attend sans doute... je suis en retard... Allons... Elle sommeille ! ô heureux avenir !

Aladin frotte sa lampe ; aussitôt le lit de la princesse est enlevé. Le vizir veut s’élancer pour arrêter l’ascension du lit. Des diables paraissent et chantent à mi-voix.

Air : Du Témoin (Patapan.)

À tâtons
Pelotons,
Emportons,
Ballottons,
Qu’on le berne,
Et puis qu’on le berne ;
À tâtons
Pelotons,
Emportons,
Ballottons
Ce tonton
Pour monsieur Pluton.

Après ce chœur, ils s’élancent sur lui en secouant des torches, il pousse des cris de frayeur ; le sultan accourt tout éperdu : il est en pet-en-l’air, et tient un bougeoir à la main. Les diables reprennent le chœur avec force, l’orchestre joue le refrain : On va lui percer le flanc ; Aladin frotte toujours sa lampe, le lit s’enlève et le vizir est englouti.

Tableau.

La toile tombe.

 

 

ACTE II

 

Le Théâtre représente l’intérieur des Jardins d’Aladin. Au fond on aperçoit une partie du palais enchanté.

 

 

Scène première

 

JARDINIERS, GENIES, au milieu desquels se trouve PHOSPHORE, qui chante

 

Air du Président (Jean de Paris).

Courage, amis,
Soyons soumis
Aux ordres de ce nouveau maître :
Fleurs, ouvrez-vous ;
Soufflez sur nous,
Tendres zéphyra, il va paraître.

PHOSPHORE.

Dans ce jardin
Pour Aladin
Naissez, naissez, amours volages,
Coulez, ruisseaux,
Chantez, oiseaux,
Parfumez-vous, riants bocages.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, ALADIN

 

PHOSPHORE.

Eh bien ! Aladin... tes veux sont-ils satisfaits ?

ALADIN.

Oui, mon bon génie, je suis assez content.

PHOSPHORE.

Garde-toi de te laisser aller à trop d’ambition... elle te perdrait.

ALADIN.

On s’y conformera.

PHOSPHORE.

Sujets du Roi des génies, songez qu’Aladin est l’heureux possesseur de la lampe dont nous sommes les esclaves. Continuez donc à exécuter ses moindres volontés.

TOUS, reprenant.

Courage, amis, etc.

Ils sortent.

 

 

Scène III

 

ALADIN, seul

 

Qu’est-ce qui se serait douté qu’un jour j’aurais tant de génies... à mon service ? Mais je pense à une chose... pourrais je plaire à ma future, elle qui est d’une beauté ravissante ! Je suis bien pour un simple mortel... mais je n’ai n pas encore ce beau idéal !... et je ne voudrais pas dépareiller le couple dont je ferai partie : puisque j’en ai le pouvoir, n’y aurait-il pas moyen de devenir joli ! joli ! joli ! ça serait peut-être difficile... D’abord parlons du nez... mais il s’agit de prononcer entre l’aquilin et le camus... faudrait peut-être lui donner un air plus chinois... les camus sont estimés ici. D’un autre côté, l’aquilin est plus noble... cependant j’ai toujours pensé que les nez devaient tenir un juste milieu... Pour mes yeux, je n’y vois rien à reprendre ; mais il y a tant de goûts contraires ; les uns aiment les bleus, les autres les noirs... peut-être qu’en partageant le différent... l’un noir, l’autre... je n’ose rien décider... Quant aux jambes, il n’y a rien à ôter. Ah ! ma foi non, je resterai comme je suis ; parce qu’ensuite maman n’aurait qu’à ne pas me reconnaître, et peut-être le sultan me refuserait sa fille... non, non. Aussi c’est cette maudite lampe qui me donne des tentations comme ça... Je ne devrais pas toujours l’avoir dans ma poche... Où vais-je la serrer ? Je ne connais pas une seule armoire ici ; et puis le concierge a peut être des double clefs.

Il semble chercher partout.

Si je la mettais sous ce vase... oh non ! Si je la cachais dans ce feuillage... eh bien ?... oh ! oh ! quelle idée... je vais la mettre sur cette table, personne ne se doutera qu’elle est cachée là, par conséquent on ne l’y cherchera pas ; si on ne l’y cherche pas, on ne l’y trouvera pas. Excellente idée ! mettons-la là : mais qui vient donc m’interrompre ?

 

 

Scène IV

 

ALADIN, UN ESCLAVE

 

L’ESCLAVE.

Seigneur, un petit bonhomme qui se dit le sultan, veut vous voir.

ALADIN.

Le sultan, qui me rend visite ? quel honneur ! Dis-lui qu’il m’attende ; non : dis-lui qu’il ne m’attende pas... Attends... qu’il vienne... non, non ; réflexion faite, je vais y aller.

Il sort.

 

 

Scène V

 

PATAGON paraît sur son griffon

 

Traitre Aladin, ne crois pas encore triompher, je saurai me venger... Voici donc les jardins merveilleux que la lampe lui a procurés ; ô lampe magique, lampe merveilleuse, je te raurai ; je sens là ton feu qui m’anime. Tremble, vil aventurier ; Patagon t’apprendra comment on souffle une lampe. Cachons-nous dans ces bosquets, et attendons le moment de nous montrer.

 

 

Scène VI

 

ALADIN, LE SULTAN et LEUR SUITE

 

LE SULTAN.

Ma fille ; je veux ma fille, qu’on me la rende à l’instant.

ALADIN.

Ne pleurez donc pas tant.

LE SULTAN.

Voulez-vous me rendre ma fille, oui ou non ?

ALADIN.

Donnez vous la peine de vous asseoir, j’aurai l’honneur de vous faire visiter mon parc, mes jardins, mon palais, auprès duquel le vôtre n’est que de la Saint-Jean.

LE SULTAN.

Tout ça, c’est des bêtises ; depuis que vous êtes venu me voir, il ne m’arrive que des catastrophes. Je me moque de vos jardins, et je ne suis pas satisfait de vos cascades ; enfin, je suis sultan ou je ne le suis pas.

ALADIN.

Votre fille m’aime, votre gendre est à tous les diables, mon pouvoir est immense, il ne me manque plus que votre consentement pour être heureux.

LE SULTAN.

Donnez-moi au moins le temps de réfléchir... Je vous demande un mois.

ALADIN.

Un mois ? Tant qu’il vous plaira ; je ne suis pas pressé : en attendant, faites-moi le plaisir d’accepter en présent une pipe de Hongrie avec laquelle a fumé Ali Pacha de Janina.

Des esclaves apportent une énorme pipe ; le sultan s’approche : le couvercle se lève, et la Princesse en sort.

LE SULTAN.

Ma fille, ô merveille !... Dès ce jour elle est à toi.

LA PRINCESSE.

Quel bonheur !... mon petit papa !...

ALADIN.

Allons, que rien ne soit épargné : danses, jeux, festins, que tout respire la joie et célèbre mon illustre mariage.

LE SULTAN.

Attendez, attendez ; et ma bénédiction ?

ALADIN.

Après le bal, si ça vous est égal.

Les groupes se forment, et ici commence un Ballet de petits bons hommes à grosses têtes.

Ballet.

ALADIN, se levant.

Beau-père, si votre hautesse veut me suivre, nous allons au palais, dresser le contrat, et nous entendre sur les petits détails de la dot.

LA PRINCESSE.

Et moi, que vais-je faire ici ?

ALADIN.

Cher ange, ceci ne vous regarde pas, ce sont des termes de finance que vous ne connaissez pas : je vous quitte pour être à vous pour toujours... Quand vous voudrez, papa.

Ils sortent.

 

 

Scène VII

 

LA PRINCESSE, seule, avec dignité, et sur une ritournelle : « Oui, s’en est fait, je me marie »

 

Ah ! que c’est donc amusant d’avoir un amoureux, comme Aladin, surtout... c’est bien le plus bel homme que j’aye jamais vu !

 

 

Scène VIII

 

LA PRINCESSE, DEUX FEMMES D’HONNEUR

 

UNE FEMME D’HONNEUR, apportant des cartons.

Princesse, voici vos robes de noces... que votre fiancé, le grand Aladin...

Elle les lui montre.

LA PRINCESSE, à la Femme d’honneur, qui va pour poser les robes sur la table.

Mais prenez donc garde à ce que vous faites, vous allez les tacher... les mettre là-dessus !... Ah dieu ! quelle vilaine petite lampe ! par quel hasard, dans un si beau palais, se trouve-t-il de pareils meubles ! qu’on jette cela dans la rue.

On entend dans la coulisse un baragouin allemand.

Marchand té lampes... Qu’est-ce qui veut changer des vieilles lampes contre tes nèfes.

LA PRINCESSE, arrêtant ses femmes.

Attendez ! quand on va se marier, il faut être économe : que dit cet homme ?

PATAGON, en dehors.

Qu’est-ce qui veut des lampes nèfes pour des fieilles !...

LA PRINCESSE.

Est-il possible ? des lampes neuves pour des vieilles ! faites entrer.

Une femme sort.

 

 

Scène IX

 

LES MÊMES, PATAGON, en marchand juif, tenant sous son bras un panier plein de lampes de toute espèce

 

LA PRINCESSE.

Si je vous ai bien entendu, bonhomme, vous êtes fou.

PATAGON, entrant.

Qu’est-ce qu’il y afre pour vot serfice ? Changez des fieilles lampes !

LA PRINCESSE.

Ne criez donc pas tant ! Nous allons peut-être faire marché.

PATAGON, déposant son panier.

Choisissez, pelle demoiselle.

À part.

C’est la princesse ! Elle est seule ! et l’instant de sa métamorphose n’est pas encore venu. Ô bonheur !

LA PRINCESSE.

Ah ! Que celle-ci est jolie !

PATAGON.

Ça être du moiré métallique ; avec du gaz hydraulique... Vous afre une fielle lampe ?

LA PRINCESSE.

Oui... Mais... Oh ! celle-ci est encore mieux !

PATAGON.

Oh ! pienne cholie ! et ponne marchandise. C’est pas du plaqué : y faut pas croire que ce soit de liargent doré, du faux or ou du vermeil. C’est pien du pon et du frai chrysocal. Fous donner la fieille lampe à moi ?

LA PRINCESSE.

Oh ! très volontiers... Tenez. Elle n’est pas belle...

PATAGON, vivement.

Donnez, donnez.

LA PRINCESSE.

Oui, mais donnant, donnant.

PATAGON, à part.

C’est elle, c’est la lampe merveilleuse !

Haut.

Prenez, prenez.

Tenant la lampe et souriant.

Nix, pas être cholie ; il ne falloir qu’une lampe comme celle-là pour gâter on palais tel que le vôtre.

LA PRINCESSE.

Je choisis celle-là.

Elle lui donne la lampe merveilleuse. Pendant que les femmes examinent celles qu’elles viennent de choisir, Patagon frotte la sienne et disparaît sous le théâtre.

Elle est jolie, mais... J’aime mieux l’autre cependant... Eh bien ! qu’est-il donc devenu ?

Appelant.

Marchand de lampes ! Marchand de lampes !

Le Sultan et Aladin paraissant suivis.

 

 

Scène X

 

LA PRINCESSE, ALADIN, LE SULTAN

 

ALADIN.

Arrêtez, belle princesse. Il y a deux heures que nous vous cherchons avec ces mamamouchis... Mais que parliez-vous de lampe ?

LA PRINCESSE, à part.

Il ne faut rien lui dire, pour le surprendre.

LE SULTAN.

Il ne s’agit pas de cela : allons vite au fait. Magdelaine-Algouquine Badroulboudour, consentez-vous à prendre pour légitime époux ?

À Aladin

Comment vous nommez vous ?

ALADIN.

Nicolas-Polycarpe Aladin, fils aîné de la veuve Coquenard, et son unique enfant ; aujourd’hui prince chinois, et autre fois rat-de-cave...

LE SULTAN.

Comment, rat ! Un rat dans ma famille ! Pas de mauvaises plaisanteries.

ALADIN.

Je vous dis rat-de-cave.

LE SULTAN, reculant.

Je vous dis de cesser cet impertinent propos.

LA PRINCESSE.

Oh ! papa, c’est pour rire.

LE SULTAN.

Ma fille, vous consentez donc à prendre le susnommé pour époux !

LA PRINCESSE.

Oui, papa !... j’en suis enchantée.

LE SULTAN, murmurant à demi-voix.

Un rat-de-cave !

ALADIN.

Il ne veut pas comprendre qu’un rat-de-cave... Mais, en parlant de çà... Et ma lampe ?...

Il va vers la table.

Dieux ! aurait-on découvert ma cachette ! ma pauvre lampe !

LE SULTAN.

Puisque vous avez trouvé le chemin du cœur de ma fille...

ALADIN, cherchant la lampe des yeux.

L’aurais-je perdue !

LE SULTAN.

Je ne dis pas çà. Je vous dis que la tendresse de ma fille...

ALADIN, toujours inquiet.

Un autre la posséderait-il ? Brûlerait-elle pour un autre !

LE SULTAN.

Comment, seriez-vous jaloux ? Croyez que ma fille !...

ALADIN.

J’aurais dû la tenir sous clé.

LE SULTAN.

Que dites-vous ?

ALADIN.

Ou plutôt la garder dans ma poche.

LE SULTAN.

Malhonnête !... Je sais que ma fille est petite pour son âge ; mais...

ALADIN.

Que je la rattrape ! et sur-le-champ je l’attache à la muraille avec une chaine de bronze.

LE SULTAN, avec colère.

Je ne le souffrirai pas ! Insolent !

ALADIN.

Eh bien ! qu’est-ce que vous avez donc ?

LE SULTAN.

Avec une chaîne de bronze !

ALADIN.

C’est le plus sûr moyen de la fixer.

LE SULTAN.

Eh bien ! elle n’est plus à vous ; je la garde.

ALADIN, menaçant à son tour.

Ah ! c’est donc vous qui l’avez ? Voulez-vous bien me la rendre, dites donc ? Pas de farces !...

LA PRINCESSE.

Eh bien ! qu’est-ce qu’ils ont tous les deux.

ALADIN, au Sultan.

Rendez-la-moi, rendez-moi ma lampe !

LE SULTAN.

Comment, ce n’est pas de ma fille ?

ALADIN.

Il s’agit bien de votre fille !

LA PRINCESSE.

Comment, Monsieur, tout ce bruit, c’est pour cette petite vieille lampe ? Tenez, la voilà.

Elle lui montre celle qu’elle a achetée.

ALADIN.

Çà !!!... Mais, parlez ; qu’est devenue cette petite vieille lampe ?

LA PRINCESSE, tremblante.

Eh bien ! je l’ai chan...

ALADIN, furieux, l’arrêtant.

Vous... l’a... vez... chan... Quoi ? Ô désespoir ! ô misère ! ô vexation ! plus de doute. Mon malheur est certain. Quelle bêtise à moi d’avoir pris une femme !

LA PRINCESSE.

C’est honnête !

LE SULTAN.

Est-ce que vous ne voulez plus de ma fille, maintenant ?

ALADIN, troublé.

De votre fille ?... Si fait, si fait ; il le faut bien.

À part.

c’est ma dernière ressource.

LE SULTAN.

Alors, passons à la bénédiction.

ALADIN, cherchant toujours.

Oui, c’est bien ; mais dépêchez-vous.

LE SULTAN, chantant, les bras en l’air.

Air : Vestale.

Venez, venez, ma noble fille.

En parlant à Aladin, qui s’écarte de lui pour chercher.

Eh bien !

ALADIN.

Me voilà !

LE SULTAN.

Air : De ces lieux, prêtresse adultère. (La Vestale.)

Venez, venez, ma noble fille.
Je veux bénir votre noble union,
En donnant à ma noble famille
Ma noble bénédiction.

Un bruit affreux se fait entendre.

CHŒURS SOUTERRAINS.

Disparais, palais fantastique ;
Détruisons ces lambris, ce trésor imposteur.
Ainsi de la lampe magique
Le veut le puissant protecteur.

Ils entrent sur le théâtre et s’y répandent de tous côtés.

Reprise du CHŒUR.

Disparais, palais fantastique, etc.

Musique effroyable. Des anges infernaux paraissent tout-à-coup dans les airs, qui s’obscurcissent. Le Sultan s’est sauvé en criant. Des vautours et des corbeaux volent de tous côtés. On entend un grand bruit ; c’est la démolition du palais.

ALADIN, dans le désespoir, à la Princesse.

Voilà votre ouvrage, Madame !

On voit un ange noir traverser le théâtre, avec des corbeaux, qui emportent des colonnes à leur bec.

Dieu ! et la bande noire qui s’en mêle !... C’est fini...

Pendant ce tumulte, la jeune Princesse a disparu. Aladin la cherche, et levant la tête, il est censé la voir s’envoler dans les airs.

ALADIN.

Ma future, ô ciel !

Dans le délire.

Est-ce un rêve, ai- je la berlue ? Mon palais ! ma lampe ! ma femme !

 

 

Scène XI

 

ALADIN, LE SULTAN, revenant à la tête d’une troupe d’hommes armés

 

ALADIN, allant au-devant de lui.

Ah ! vous voilà.

LE SULTAN.

Qu’on s’empare de cet homme !

ALADIN.

Eh bien ! quoi donc ?

LE SULTAN.

Vil imposteur !... Tu te faisais donc passer pour un riche propriétaire, afin seulement d’épouser ma fille ?

ALADIN.

Je sais que cette malheureuse princesse...

LE SULTAN.

Air : Si Dorilas.

Vit-on jamais aventures pareilles ?
Une Princesse, un palais s’égarer !!!
La perte de ces deux merveilles
Pour moi ne peu ! se réparer ;
Non, je ne saurais comment faire
Pour les remplacer ici bas ;
Car, des palais, je n’en fais guère,
Et des filles, je n’en fais pas.

ALADIN.

Ô ! ma chère Badroulboudour !

LE SULTAN.

Où est ton palais ?

ALADIN.

Eh ! laissez-moi donc avec mon palais !ne croyez-vous pas que je l’ai avalé, mon palais ?

LE SULTAN.

Où est-il !

ALADIN.

Il est disparu, envolé, perdu ; mais ce n’est pas ma faute.

LE SULTAN.

Ce n’est pas ta faute ! ce n’est pas ta faute ! astucieux personnage ! ne pouvais tu pas le faire assurer... Où est-il ?

ALADIN.

Eh bien ! vous le voulez, vous l’exigez ; je cesse de vous le cacher...

LE SULTAN.

Si tu cesses de le cacher, montre-le donc.

ALADIN.

Oh ! si nous allons dire des bêtises !...

LE SULTAN.

Misérable !... Qu’on lui tranche la tête !

Les soldats s’avancent.

ALADIN, épouvanté.

Voulez-vous me laisser tranquille, à la fin ; je ne plaisante plus.

LE SULTAN.

Tranchez !...

ALADIN.

J’en deviendrai fou !

LE SULTAN.

Non pas ; mais tu en perdras la tête. Cependant je te donne, la montre à la main, dix minutes pour retrouver ton palais. Gardes ! qu’on le charge de fers.

On l’enchaîne.

Un palais a été enlevé ; qu’on fasse des recherches, en promettant une récompense honnête ; et le premier chez qui on le trouvera... pendu !

ALADIN.

Ah ! mais, je vous en prie, pendu à une hauteur...

LE SULTAN.

Songe que tu n’as que dix minutes pour le retrouver...

ALADIN.

Ah çà ! mais dites-moi donc, comment voulez-vous que je coure après, ayant les fers aux pieds et aux mains ?

LE SULTAN.

Ça te regarde... Qu’on les sépare.

Pantomime. Les soldats et le Sultan sortent.

 

 

Scène XII

 

ALADIN, seul

 

Me voilà joli garçon ! garrotté comme cela, il veut que j’aille retrouver mon palais ; il faudrait au contraire que ce fût mon palais qui revînt me trouver. Hélas !... je n’ai d’autres ressources que dans l’invocation ; voyons.

Air : Ô des infortunés, déesse tutélaire. (La Vestale.)

De ce palais architecte invisible,
Phosphore ! à mes vœux sois sensible !
Et toi, soleil ! lampe des cieux,
Suspendue au plafond du monde,
Éclaire tout à la ronde,
Afin que mon palais vienne frapper mes yeux !

Une musique douce se fait entendre, Phosphore paraît.

 

 

Scène XIII

 

ALADIN, PHOSPHORE

 

ALADIN.

Ah ! mon bon génie, vous arrivez fort à propos, sauvez-moi la vie.

PHOSPHORE.

Aladin, je le vois, tu ressembles à tous les hommes.

Air : En amour comme en amitié.

Pour le bonheur qu’il ne possède pas
L’homme se tourmente sans cesse ;
Mais s’offre-t-il, au-devant de ses pas,
Ce bonheur qu’il voulait, bientôt il le délaisse.
Mettez vos soins, mortels, à le trouver,
Mais fixez-le dans sa course légère :
C’est une fleur brillante, passagère,
Et qu’il faut savoir cultiver.

ALADIN.

Vous avez bien raison, mais comme nous n’avons plus que quatre minutes à nous, vous auriez dû me chanter ça plus vite, et non pas sur un air de romance. Voyons, qu’allons-nous faire ?

PHOSPHORE.

Tu n’es plus possesseur de la lampe ; tu pourras peut-être la retrouver, si la princesse ton épouse consent à accorder une faveur à ton ennemi l’enchanteur... tout son pouvoir sera perdu...

ALADIN.

Comment, il faut que je prie ma femme de... n’auriez vous pas un autre moyen...

PHOSPHORE.

Tout ce que je puis faire pour toi, c’est de te transporter en Afrique, dans la demeure de Patagon.

ALADIN.

En Afrique ? c’est bien loin ; mais comme le sultan veut m’envoyer dans l’autre monde, j’aime encore mieux l’Afrique.

PHOSPHORE.

De plus, je vais mettre à ta disposition plusieurs petits génies de mes amis, qui t’aideront à vaincre le perfide Patagon.

Elle fait une espèce de conjuration ; musique guerrière, On voit paraître une troupe de petits amours grenadiers avec armes et bagages ; ils exécutent une marche.

ALADIN.

Comment ! vous croyez que je pourrai le vaincre avec ces petits marmots.

PHOSPHORE.

Ces petits enfants deviendront grands, et quelque jour peut-être on parlera de leur gloire.

Ils exécutent des évolutions, comme l’armée d’Aladin de l’Opéra, et défilent, conduite par Phosphore el Aladin.

Musique.

Le théâtre change et représente une caverne ; on y voit un trépied, des instruments et des figures bizarres de chiromancie et de divination. Un gros singe, un livre à la main, est assis tranquillement près d’une petite porte en fer, pratiquée dans un rocher.

 

 

Scène XIV

 

PATAGON, LA PRINCESSE

 

LA PRINCESSE, qu’il poursuit.

Laissez-moi, Monsieur.

PATAGON.

Adorable princesse, arrêtez ; songez que vous êtes sous mon empire ; donnez votre consentement à notre mariage, et de suite, par mon pouvoir souverain, je fais venir votre père pour nous donner sa bénédiction.

Air : Hier encor j’aimais Adèle.

Daignez, daignez, grande princesse,
Me nommer votre heureux vainqueur ;
Faut-il que le sultan paraisse ?
Allons, donnez-moi votre cœur !

LA PRINCESSE.

À vos désirs, moi, que je cède ?
Non ; n’attendez que des refus.
Mon cœur, Aladin le possède ;
Peut-on donner ce qu’on n’a plus ?

PATAGON.

Même air.

Songez, songez, grande princesse,
Que tout en vous est enchanté !
Et que je puis, par ma tendresse,
Vous donner l’esprit, la beauté.

LA PRINCESSE.

Oui ! vous ? Voilà qui m’embarrasse...
Vous, me donner de l’esprit, des appas ?...
Peut-on donner ce qu’on n’a pas ?

PATAGON.

Voilà qui est fort malhonnête. Au surplus, je vous laisse libre ; mais songez que je veux dire obéi. Et vous m’épouserez ; car si vous y aviez bien regardé, vous auriez vu que je suis aimable : mais vous ferez des réflexions.

LA PRINCESSE.

Ça n’est pas sûr.

PATAGON.

Eh bien ! vous n’en ferez pas.

LA PRINCESSE.

C’est possible.

PATAGON.

Enfin, vous ferez ce que vous voudrez.

LA PRINCESSE.

Je ferai ce que je voudrai, si je veux.

Patagon sort sur les airs : Faut attendre avec patience, et Comme il y viendra.

 

 

Scène XV

 

LA PRINCESSE, seule un instant, puis ALADIN

 

Pantomime sur l’air : SI L’UNIVERS ENTIER N’OUBLIE. Elle tombe dans une profonde rêverie.

On sonne å la petite porte. Le Singe, qui lisait toujours, fait une marque à son livre et va ouvrir. Aladin paraît, et semble d’abord intimide.

ALADIN.

Est-ce ici que demeure un nommé Patagon ?

LE SINGE.

Qu’est-ce qu’il fait ?

ALADIN.

Il est sorcier.

LE SINGE.

C’est ici... Montez au second.

ALADIN, apercevant la Princesse.

Ne m’abusez-vous point, mes yeux ? c’est ma Princesse.

LA PRINCESSE.

Aladin... Ah !

Ils s’embrassent sur l’air : BONJOUR, MON AMIVINCENT ; LA SANTÉ, COMMENT VA-T-ELLE ?

ALADIN.

Trêve au sentiment. Il faut que je raye ma lampe.

LA PRINCESSE.

Comment faire ?...

ALADIN.

Écoutez. Il va venir, cet infâme escamoteur, sans doute, vous conter des fariboles.

LA PRINCESSE.

Oui, bien sûr.

ALADIN.

Bien sûr. Bon.

LA PRINCESSE.

Mais je ne l’écouterai pas.

ALADIN.

Gardez-vous bien de faire la sourde-oreille... Il faudra au contraire.

LA PRINCESSE.

Qui ?... moi... la fille d’un sultan et l’épouse d’un prince, écouter un séducteur ?

ALADIN.

Ne pas l’écouter, mais entendre seulement...

À part.

Je ne sais comment la mettre au fait.

Haut.

Patagon n’est pas très séducteur, et puis je serai là... Alors, vous aurez l’air de lui sourire... En riant un peu... Dieu ! que c’est dur pour un mari jaloux.

LA PRINCESSE.

Que me proposez-vous ?

ALADIN.

Quelle éducation elle a reçue ! Vous aurez la ressource de faire comme ça.

Signe des traitres qui dissimulent.

Ensuite, vous semblerez vouloir lui parler... Et vous lui direz que vous ne pensez pas plus à moi qu’au grand-turc.

LA PRINCESSE, avec dignité.

Ah ! cessez, cessez !... Vous êtes un monstre, je vous déteste !...

ALADIN.

Il faut tâcher d’oublier votre passion pour moi... Et dire que vous ne le trouvez pas mal.

LA PRINCESSE.

Quelle horreur !... Qui ? moi ? vous tromper, vous trahir... vous...

ALADIN.

Puisque je vous en donne la permission... C’est peut-être à cause de ça.

LA PRINCESSE.

Traiter ainsi une grande princesse... Oublier un mari que j’ai depuis ce matin ?

ALADIN.

Il n’y a pas assez longtemps, c’est vrai.

LA PRINCESSE, pleurant.

Rien ne pourra vous excuser.

ALADIN, se mettant à genoux.

Mon Dieu, ma petite femme, pardon : mais il y va de mon honneur... Et ce que je te demande, c’est par égard pour ma tête !

LA PRINCESSE.

Vraiment ?

ALADIN.

Ton père ne m’avait donné que dix minutes pour le retrouver, ainsi que mon palais... Et il y a de ça une grande demi-heure.

LA PRINCESSE.

Allons, relevez-vous, je suis bonne... Je consens à tout...

ALADIN.

Allons donc... Suffit qu’on le veuille...

LA PRINCESSE.

Voyons, expliquez-moi bien.

ALADIN.

Air : Nous nous marierons.

Il s’approchera,
Il vous parlera,
Vous dira : Je t’aime !...

LA PRINCESSE.

Ensuite ?

ALADIN.

Vous lui répondrez
Ce que vous vous voudrez,
Mais d’un ton aimable...

LA PRINCESSE.

Ensuite ?

ALADIN.

Vous souperez,
Soupirerez...

LA PRINCESSE.

Ensuite ?

ALADIN.

Et puis alors,
Quand ses transports...

LA PRINCESSE.

Ensuite ?

ALADIN.

Et bien, alors, vous...

Musique annonçant le sorcier.

LA PRINCESSE.

Va, fuis, cher époux !
Je me charge de la suite.

Aladin se cache.

 

 

Scène XVI

 

LA PRINCESSE, ALADIN, PETITS DIABLES, PATAGON

 

Les petits Diables portent des instruments de musique ; d’autres approchent une petite table servie avec élégance, La Princesse fait des signes à Aladin, et s’emparant du voile d’un des petits Diablotins, elle se met à danser un pas de châle, sur l’air : À QUOI BON LA RICHESSE, À QUOI BON LA GRANDEUR ?

Patagon arrive ; il est enchanté de la voir aussi gaie. Pendant qu’il est occupé, ainsi que les Diables, à le regarder, Aladin s’approche de la table, et jette une certaine poudre dans la coupe du Magicien, en disant avec une petite voix : C’EST FAIT !

La Princesse, qui l’a entendu, enlace Patagon de guirlandes, et le conduit vers la table... Il est au comble de la joie, la sert, la caresse sur l’air : C’EST L’AMOUR, L’AMOUR. En fin, au moment où il l’embrasse, elle saisit la lampe, et par derrière lui, la passe à Aladin, qui se dépêche de la frotter. Aussitôt sa petite troupe d’amours-grenadiers s’introduit dans la caverne ; Patagon se voyant surpris donne l’alarme, ses satellites accourent. Grand combat, dans lequel ces derniers ont le désavantage. Patagon est terrasse ; le petit Génie lui met le pied sur la poitrine, en lui criant : MISÉRABLE ! RENDS-TOI, OU TU ES MORT ! Pendant la mêlée, Aladin et la Princesse ont disparu. Patagon et les siens, vaincus, sont emmenés prisonniers.

Le Théâtre change et représente une salle du palais enchanté ; elle est à pilastres légers, construits en émeraudes et en argent, et laisse voir dans la seconde moitié du Théâtre les cascades du jardin. Il est illuminé, et une grande quantité de naïades font jaillir des nappes d’une eau pure, dans laquelle se réfléchissent les lumières resplendissantes. Des amours, des colombes et des paons voltigent dans les airs. Ce tableau doit offrir tout le prestige de la plus riante féerie. Au plafond du palais, on voit Patagon représenté en fureur ; il est attaché par le milieu du corps, et tient la lampe merveilleuse, qui brûle du plus vif éclat.

 

 

Scène XVII

 

ALADIN, SA MÈRE, LA PRINCESSE, LE SULTAN, ESCLAVES, NYMPHES, LA PETITE ARMÉE DES AMOURS GRENADIERS

 

CHŒUR.

Air.

Mes amis,
Plus d’ennuis,
Plus de larmes,
Plus d’alarmes,
Rendons grâce aux secours
Des amours.

PHOSPHORE.

L’hymen couronne votre ardeur.
Adieu donc, l’Amour se retire.
Pour éclairer votre bonheur,
Une lampe ici doit suffire.
L’Amour, dont le charme est si beau,
Fuit devant l’hymen qui l’appelle,
Et dit en soufflant son flambeau,
Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

CHŒUR.

Nos ennuis, etc.

LE SULTAN.

Je fais éclairer chaque soir,
Aux quinquets, au gaz, au phosphore,
Tout mon sérail, pour mieux y voir
Les trois cents femmes que j’adore ;
Pour briller près de mes houris,
C’est toujours dépense nouvelle :
Mais entre nous, je vous le dis,
Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

CHŒUR.

Nos ennuis, etc.

LA PRINCESSE, au Public.

Pour que notre lampe brillât
Aux yeux de l’assemblée entière,
Nous avons joint le double éclat
Des décors et de la lumière.
Pourtant nous craignons un faux pas ;
Mais encouragez notre zèle,
Et des Acteurs ne dites pas :
Le jeu n’en vaut pas la chandelle !

CHŒUR.

Mes amis, etc.

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