Zénobie, reine de Palmire (Jean MAGNON)
Tragédie en cinq actes et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Petit-Bourbon, le 12 décembre 1659.
Personnages
AURÉLIAN, Empereur de Rome
ZÉNOBIE, Reine des Palmyréniens
ODÉNIE, Fille de Zénobie
RUTILE, Lieutenant Général d’Aurélian
MARTIAN, Lieutenant Général d’Aurélian
ZABAS, Lieutenant Général de Zénobie
TIMAGÈNE, Lieutenant Général de Zénobie
ILIONE, suivante
DIORÉE, suivante
GARDES
La Scène est à Palmyre dans le Palais Royal.
SONNET À MADAME ROYALE
CHRISTINE Incomparable, et vraiment Héroïne,
Que peux-tu désirer ? Le Ciel t’a tout donné,
C’est lui dont la faveur à l’imiter t’incline,
Ou lui par qui ton cœur s’y sent déterminé.
Ah ! que ne tiens-tu pas d’une telle origine,
Tu tiens du Ciel un cœur que lui seul a borné ;
Si ton sang est royal, ton humeur est divine,
Et ton moindre avantage est un front couronné.
Mille est mille Vertus qui forment ton partage
Doivent forcer l’envie, à te rendre un hommage ;
En effet sous tes pieds ce monstre est abattu.
Rien ne saurait choquer ton repos ni ta gloire ;
Et si le Ciel devrait un trône à ta vertu,
Il ne peut moins devoir qu’un Temple à ta mémoire.
À TRÈS HAUTE ET TRÈS PUISSANTE PRINCESSE, MADAME CHRISTINE DE FRANCE, DUCHESSE DE SAVOIE
MADAME,
L’illustre Zénobie, qui a été la merveille du passé, et devait être l’admiration de l’avenir se pouvait vanter d’être l’Incomparable de son sexe, si pour humilier sa gloire, le Ciel n’eut fait naître douze cent ans après elle l’unique Christine de France Duchesse Souveraine de Savoie. Ce n’est pas que Zénobie se plaigne au Ciel de vous avoir donnée à la terre ; bien éloignée de ce sentiment, elle vient vous protester par ma voix, qu’elle est moins glorieuse d’avoir été l’objet de la vénération de son temps, que d’avoir servi de première idée à la Nature pour se former tout se qui compose Votre ALTESSE ROYALE. Je veux ire cette perfection consommée qui vous rendant par préférence à tout autre l’Héroïne de votre sexe, force Zénobie de venir jusques dans la Capitale de vos États pour avouer qu’elle n’est plus de votre ombre, et me porte à vous rendre un hommage que votre mérite extraordinaire exige de tout le monde. Non, MADAME, personne n’en est dispensé, toute la terre vous le doit, non parce que vous êtes Fille d’Henri le Grand, Sœur de Louis le Juste, et Tante de Louis Dieu-Donné, mais parce que vous êtes Vous-même, et que vous seriez plus digne de commander à toutes les Nations par un mérite qui vous est propre, que par des considérations naturelle. Qui donc a jamais mieux mérité que votre ALTESSE ROYALE l’Empire du Monde ; ce ne sont ni les Sémiramis, ni les Tomiris, elles ont eu mille défaut, et vous êtes accomplie, si bien que vous ne pouvez permettre à l’imagination humaine de se rien figurer qui vous approche que la fameuse Zénobie. Elle est sortie, MADAME, du sang des Ptolémées, vous êtes sortie du Sang de Bourbon ; Elle a été femme du grand Odenat, Vous avez été celle du grand Victor Amédée, et Vous avez eu toutes deux la gloire d’avoir épousé des Souverains, qui selon les vertus réglant leurs prétentions, n’ont jamais mesuré leurs États que par l’étendue de leur courages. Que n’auraient-ils pas fait tous deux, si leur mort n’eut borné leur victoire ; mais ne m’avouerez-vous point, que sans leur trépas votre ALTESSE ROYALE, ni Zénobie, n’auriez pas fait connaître à toute la Terre votre courage et votre prudence, et que votre Sexe est aussi capable que le nôtre d’entreprendre hardiment et d’exécuter plus glorieusement. On vous a vues, MADAME, l’une et l’autre dans votre veuvage solenniser par mille actions éclatantes la mémoire de vos illustres Époux, et quand la fortune a voulu vous exercer, on vous a vues dans vos Régences soutenir avec un zèle infatigable contre l’invasion des vos Ennemis l’héritage des vos illustres Enfants. C’est ici que je puis dire à Votre ALTESSE ROYALE que l’incomparable Comte d’Harcourt vous a dignement servie, et que cependant, il ne s’agira jamais de travailler pour votre gloire, que cet insigne Faiseur de miracles en matière de victoires ne prodigue toujours cette même vie qu’il a si souvent exposée pour votre service. Ne doit-il pas, aussi MADAME, me confesser que jamais Trône n’a porté une Souveraine plus digne d’être servie que vous l’êtes ; vous attirez tous les cœurs à vous, vous les gagnés, vous les conservez, et j’ajoute que si le Ciel eut voulu qu’on eut aussitôt assujetti les hommes par le cœur que par le bras, vous pourriez être dès longtemps la seule Maîtresse du Monde. Il serait juste que vous la fussiez ; Vous avez tout ce qu’il faut pour être digne de l’être ; Vous avez la naissance et la générosité, vous avez la douceur et la majesté, Vous avez l’intelligence et la prudence, et je tiens dans l’idée que je me fais qu’un parfait gouvernement, que le monde serait très heureux d’être gouverné par votre ALTESSE ROYALE. Toutefois, MADAME, le Ciel pour la disgrâce de la terre vous a simplement soumis à la Savoie ; mais au défaut d’un Empire, ne vous a-t-il pas fait présent d’un cœur qui est incomparablement plus grand que tout le monde, et qui le tiendra toujours plus digne de ses mépris, qu’Alexandre ne le crut digne de son ambition. En effet quel usage ne faite vous pas des grandeurs, Vous en être la Maîtresse, pendant que tant d’autres Souverains en sont les esclaves. Ah ! qu’il est beau d’entendre dire à toute l’Europe, que jamais la Nature n’a produit un cœur si généreux que celui de votre ALTESSE ROYALE et que quant à la fermeté de l’âme, les plus rudes revers de la Fortune ne pourraient ébranler votre courage. On l’a vu, MADAME, dans les plus grands périls avec une extrême constance ; il est vrai que votre prudence était de la partie, et que si l’infortunée Zénobie est eu autant de conduite que vous, elle eut conservé ses États comme vous avez conservé les vôtres, et les eut remis aussi bien que vous, à ses Enfants, moins comme une succession de leur Père, que comme une nouvelle acquisition faite à force de prudence et de valeur. Quelle gloire pour Votre ALTESSE ROYALE, d’avoir remis au Prince Votre Fils des États si bien conservés, et par votre admirable conduite, et par celle de votre excellent Ministre si florissants, qu’il n’est point de Souverain qui ne les dût regarder avec envie, si ce n’est que le Prince votre Fils qui les possède trouve infiniment plus en Soi que dans sa Souveraineté de quoi leur donner une perpétuelle jalousie. Vous avez encore Madame la Princesse Votre Fille, qui peut bien empêcher tous ces Souverains d’avoir de l’envie pour les états du Prince son Frère. Ils n’ont que trop de la passion qu’Elle leur donne. L’amour qu’Elle fait naître dans leurs âmes y surmonte l’ambition, et n’y laisse que ce profond respect qui les plus grand Rois de l’Europe ne peuvent que lui protester que les plus hautes alliances sont encore au dessous de son mérite. Enfin, MADAME, vous devez vous glorifier d’être la Souveraine, et la Mère la plus satisfaite du monde. Pour moi qui viens avec Zénobie admirer cette rare et légitime félicité, s’il m’est permis d’y désirer quelque chose, je souhaite qu’elle soit aussi longue qu’elle est grande, et qu’elle est juste, et vous conjure tout ensemble de souffrir que rien ne manquant à tous vos vœux, je remplisse tous les miens à vouloir être encore avec toutes sortes de respects,
MADAME,
DE VOTRE ALTESSE ROYALE,
Le très humble, le très obéissant et le très soumis serviteur.
DE MAGNON.
MON CHER LECTEUR
Tu peux croire sur mon rapport, qu’ayant été à Turin pour y dédier Zénobie et Tite à leurs Altesses Royales ; j’ai trouvé dans la Mère et dans le Fils tout ce qui fait la véritable Souveraine et le véritable Souverain ; Tu dois croire encore que les Princesses Louis-Marie, et Marguerite, sont les Princesses très accomplies ; sur toute choses Elles ont une admirable bonté, et la Princesse Louise-Marie a des yeux qui portent l’intelligence dans les âmes : Tu peux voir le Sonnet que j’ai fait pour Elle : J’en ai fait un pour Monsieur le Marquis de Pianesse, premier Ministre de l’État de Savoie, c’est un Homme extraordinaire : je t’en entretiendrai plus particulièrement au Traité des Hommes Illustres, entre lesquels et des premiers ; je prétends mettre Monsieur le Duc de Noailles plus par justice que par reconnaissance des faveurs qu’il m’a faites à Turin ; c’est l’Homme le plus dangereux qui vive, et l’un des mieux faits, des plus sages, et des plus vaillants Hommes qui furent jamais : Lis le Sonnet que j’ai fait pour lui. Au reste le temps approche que je veux tenir parole au Public, il aura bientôt mon premier volume des la Science Universelle, Tu y trouveras sans doute des Vers incomparablement plus fort que ceux de ma Zénobie ; si toutefois elle est plus à moi, qu’au fameux Monsieur L’Abbé d’Aubignac, qui l’ayant autrefois mise en Prose avec un si beau succès, ne peut voir qu’avec confusion que j’en aie altéré les principales beautés.
À MADAME LA PRINCESSE LOUISE-MARIE DE SAVOIE
Nous appelons les yeux des Soleils animés,
Mais, PRINCESSES, les tiens jettent tant de lumière,
Qu’on ne peut présumer qu’ils aient été formés
Que d’une pénétrante, et divine matière.
Les Célestes Esprits, y tremblent enfermés
Parlons mieux, leur vigueur y paraît toute entière,
Et l’on dirait de l’air qu’ils y ont enflammés
Que leur intelligence est dessous ta paupière.
En effet la science est comme dans tes yeux
Elle y brille, elle y brûle en tous temps, et tous lieux
Telle est donc leur clarté, leur chaleur, et leur flamme.
Qu’ils en font plus sentir, qu’on n’en peut exprimer,
Et qu’en un seul moment ils sont entrés dans l’âme
Une nécessité de savoir et d’aimer.
À MONSEIGNEUR LE MARQUIS DE PIANESSE
Illustre de Pianesse apprends que ta naissance
Fait ton moindre mérite, et tes plus communs droits ;
Que ne peux-tu prétendre avec cette prudence
Qui te fait admirer des Princes, et des Rois.
Ils vantent à l’envi ta haute intelligence
Tout le monde avec eux confond ici sa voix,
Et ne peut qu’avouer à CHRISTINE de France ;
Que son profond Esprit éclata dans ton choix.
Ah ; si Platon vivait il verrait dans notre âge
Un Ministre d’État vaillant, savant, et sage,
C’est toi qui nous fais voir ce Ministre parfait.
Ton âme par la gloire est sans cesse guidée
Et tu te peux vanter de réduire à l’effet
Ce qu’un divin Platon n’avait eu qu’en Idée.
À MONSEIGNEUR LE DUC DE NAVAILLE
Du Grand de RICHELIEU très digne Nourriture,
Que n’as tu point reçu d’un art tel que le sien ?
Mais que n’avais-tu pas de ta propre nature ?
Si l’un donna beaucoup, l’autre n’épargna rien.
Tu tenais d’Elle une Âme, et grand, et forte, et pure,
Elle trempa ton cœur dans l’essence du bien,
Et rien ne te manquait, qu’une vive teinture,
Dont un esprit divin dût éclairer le tien.
Avec ce double Éclat, tu parus comme un homme,
Qui tenait des Héros d’Athènes, et de Rome.
Si bien qu’étant parfait par nature, et par art.
JULES qui t’employa nous donne lieu de croire,
Que ne suivant pour toit ni faveur, ni hasard.
Autant qu’à ta grandeur il travaille à sa gloire.
ACTE I
Scène première
ZABAS, TIMAGÈNE et ODÉNIE
ZABAS.
Je soutiens mon emploi, soutenez bien le vôtre.
ODÉNIE.
N’êtes vous point rivaux, et jaloux l’un de l’autre.
TIMAGÈNE.
La gloire nous rend tels.
ODÉNIE.
Princes, dites l’amour.
ZABAS.
T’aime en ces lieux Princesse.
TIMAGÈNE.
Et j’aime en cette Cour.
ODÉNIE.
Peut être en même endroit.
TIMAGÈNE.
C’est enfin ma pensée.
ZABAS.
Notre longue amitié s’en verrait offensée.
TIMAGÈNE.
Que m’importe, Zabas, si vous m’êtes fatal.
Je ne vous traite plus que comme mon Rival.
En vain mille effets la vertu nous assemble ;
L’amour et l’amitié ne peuvent vivre ensemble.
ZABAS.
Timagène, on peut être en quelque évènement,
Aussi parfait ami qu’on est parfait amant.
ODÉNIE.
Ne pouvons nous savoir où votre amour s’adresse ?
ZABAS, bas.
Hélas, j’aime la Reine.
TIMAGÈNE, bas.
Ah ! j’aime la Princesse.
ODÉNIE.
Quoi, vous ne dites rien ?
ZABAS.
Et quoi parlerions-nous,
Où notre plus grand mal n’est pas d’être jaloux.
Nos communs intérêts nous obligent feindre,
Avant que le rival la maitresse est à craindre.
TIMAGÈNE.
Ah Prince ! ce que j’aime a beau frapper mes yeux,
Je l’adore en secret aussi bien que nos Dieux.
ODÉNIE, bas.
Ah ! s’il pouvait m’aimer,
Haut.
nommez-nous Timagène.
ZABAS.
Princesse, voudriez-vous qu’il vous nommât la Reine ?
TIMAGÈNE.
De crainte que la Cour ne connut mes désirs,
Dès le fonds de mon cœur je changeai mes soupirs.
Ils partaient de l’amour, c’en étaient là la source ;
Ma douleur les surpris comme ils faisaient leur course,
Et de leur violence arrêtant la moitié,
Ne les fit plus passer qu’au nom de la piété.
En effet leur donnant une si douce géhenne,
Je semble leur offrir aux malheurs de la Reine.
ZABAS.
Votre compassion ne les peut mettre au jour,
Que comme des enfants qu’elle vole à l’amour.
C’est un doux artifice à surprendre une femme ;
L’amour par la pitié se glisse dans son âme,
Et son cœur attiré par des secrets appas
Prend goût à des douceurs qu’elle ne connaît pas.
ODÉNIE.
La pitié, Timagène, en vain cache la chose,
On peut forcer l’effet, et non jamais la cause.
J’en sais qui comme vous veulent cacher leurs feux,
Mais qui vont par leurs yeux au delà de leurs vœux ;
Ils en découvrent plus qu’ils ne pensent en dire.
C’est assez, comme vous ils souffrent le martyre,
Et se donnant entiers à de vaines douleurs,
Si vous sentez vos maux ils ressentent les leurs.
TIMAGÈNE.
Souffrons donc, vous Zabas, qui me donnez la géhenne,
Nuirais-je à votre amour quand j’aimerais la Reine,
Le grand Aurélian étant notre rival
Qui de nous deux à l’autre aurait été fatal :
Quel mal nous serions-nous, nous de qui l’impuissance
Ne voir que dans nos vœux une entière licence.
En vain donc votre amour veut découvrir le mien ;
Nous osons, nous parlons, et nous ne pouvons rien.
ODÉNIE.
Aimerait-il la Reine, où lui-même en personne
Le combat, le défait, la poursuit, l’environne,
Et la réduit au point de n’avoir en ces lieux
Ou que votre assistance, ou le secours des Dieux.
ZABAS.
Ne vous y trompez pas, le dépit nous entraîne,
Et l’amour prend parfois le chemin de la haine ;
Du moins Aurélian se rendant son Vainqueur,
Comme dans ses États entrera dans son cœur,
Il l’aime à la Romaine, et par droit de conquête,
Il veut avoir son cœur en menaçant sa tête,
Ou si son âme manque à ses derniers efforts,
Se rendre malgré nous le tyran de son corps.
Ah ! donnons la bataille ; allons jusqu’en sa tente,
Finir avec sa vie une si lâche attente,
Et troublant les progrès d’un si fier conquérant,
Par son sang ou le nôtre en borner le torrent.
ODÉNIE.
Vous donc, les protecteurs d’une Reine assiégée,
Vous les Amants secrets d’une Reine affligée,
Vous enfin, Timagène, et vous aussi Zabas,
Suspendez votre amour au milieu des combats,
Seriez-vous jaloux d’elle, et jaloux l’un de l’autre,
Dans un temps où son trouble égale bien le vôtre ?
Non, non, servez la Reine, et par votre retour
Contentez votre gloire avant que votre amour.
ZABAS.
Ah ! quand je l’aimerais, j’aurais lieu de vous dire
Qu’en vain pour Zénobie on endure, on soupire ;
Et comme elle a le cœur plus grand que l’Univers,
Qu’à peine un Empereur est digne de ses fers ;
En vain donc mon amour redoublerait mon zèle,
L’Empereur qui l’assiège est le plus digne d’elle.
Un Prince comme moi son naturel Vassal
D’un grand Aurélian est l’indigne Rival.
ODÉNIE.
Je dois vous avertir de la part de la Reine,
Qu’elle a pour ce vainqueur moins d’amour que de haine.
Et qu’ayant autrefois méprisé son ardeur,
Elle en dédaigne encor jusques à la grandeur.
ZABAS.
Et c’est de Timagène animer l’espérance.
TIMAGÈNE.
De tous mes ennemis, je crains peu la puissance.
ZABAS.
Nous verrons si César ne peut pas plus que vous.
ODÉNIE.
En généreux Rivaux cessez d’être jaloux.
ZABAS.
Vous qui nous retenez de la part de la Reine,
Dites-nous ; elle sort, quel air de Souveraine,
Jamais Minerve et Mars n’eurent tant de fierté.
Scène II
ZÉNOBIE, ILIONE, DIORÉE, ODÉNIE, ZABAS et TIMAGÈNE
ZÉNOBIE.
Princes, le sort me traite avec indignité,
Ma fille de ma part aura pu vous apprendre,
Que je perdrai la vie avant que de ma rendre ;
Et quoi qu’Aurélian soit venu m’assiéger,
Que mon cœur tel qu’il est ne peut jamais changer.
En vain je suis réduite aux seuls murs de Palmyre ;
Mais, quoi, mes Généraux, chacun de vous soupire.
C’est trop, votre courage étant comme abattu,
Vos mutuels soupirs font honte à ma vertu.
ZABAS.
Qui ne s’affligerait d’une telle infortune.
ZÉNOBIE.
Mon cœur n’est pas commun, ni mon âme commune,
Vous donc, sans différent mes fameux défenseurs,
Apprenez que la gloire a ses propres douceurs.
Cependant si le sort m’a ravi ma couronne,
Jusqu’au dernier soupir défendez ma personne,
Et comme votre zèle a servi ma grandeur,
Ayez pour mon salut une pareille ardeur.
Qui l’eut cru ? ma grandeur n’a plus rien que de sombre ;
D’un si grand corps d’États, je n’ai presque que l’ombre ;
Parlons mieux, d’un Empire aussi grand que nouveau.
À peine, il m’est resté de quoi faire un tombeau.
ZABAS.
Vous avez une armée à l’entour des murailles.
ZÉNOBIE.
Contre un Aurélian j’ai perdu cinq batailles,
De l’un des tiers du Monde ayant tous les États,
J’ai pu donner des lois à mille Potentats.
J’ai vu toute l’Asie à mes ordres soumise,
Rien n’y régnait en paix que ma seule franchise,
Et par un effroyable et peu juste revers,
Je suis presque réduite à la honte des fers.
Ah ! de mon cher Époux éclatante mémoire,
J’ai pour venger ta mort anéanti ta gloire,
Ou dans l’empressement d’achever des progrès,
J’ai changé tes lauriers en autant de Cyprès.
Vous les chers compagnons de toutes mes conquêtes,
Mes exploits n’ont été que de courtes tempêtes,
Et toutes mes grandeurs qu’un vain amas d’éclairs
Que la foudre entr’ouvrant dissipe dans les airs.
Tel est l’État Romain dans sa vaste étendu
Ma puissance aujourd’hui s’y trouve confondue,
De l’air dont mes grandeurs s’y viennent d’abimer,
Ce n’était qu’un torrent qui roulait dans la Mer.
Hé bien ! écoulement de ma grandeur passée,
Vous affligez mes yeux, et non pas ma pensée.
Fortune, mes États te sont enfin rendus ;
Je les avais conquis, si je les ai perdus
Du moins si je les perds, Fortune c’est ta faute ;
Ma vertu les conquit, ton crime me les ôte,
Et ton Aurélian ne prend que par bonheur
Des biens que Zénobie acquit avec honneur.
ODÉNIE.
Peut-être Aurélian les ravit pour les rendre.
ZÉNOBIE.
Quoi lui me redonner ce qu’il a pu me prendre ;
Que vous connaissez mal ce superbe Vainqueur ;
Il en veut à ma gloire et non plus à mon cœur.
ZABAS.
Son Envoyé, Madame, a-t-il votre réponse ?
ZÉNOBIE.
Vous entendrez bientôt les malheurs qu’il m’annonce.
UN GARDE.
Rutile est là, Madame.
ZÉNOBIE.
Il peut entrer ici,
Demeurez, Timagène, et vous Zabas, aussi.
Scène III
ZÉNOBIE, ODÉNIE, ILIONE, DIORÉE, ZABAS, TIMAGÈNE et RUTILE
ZÉNOBIE.
Hé bien, Rutile ; hé bien, dois-je craindre ton maître.
RUTILE.
Après tant de malheurs vous vous devez soumettre,
C’est à vous maintenant d’implorer sa pitié.
ZÉNOBIE.
Que peut-il m’arriver de son intimité.
Tout l’Univers a su par quel insigne outrage,
Ne m’ayant jamais vue il tenta son veuvage,
Et que n’étant encor que simple Gouverneur,
Il sut que je tenais sa flamme à déshonneur.
En effet je trouvai sa recherche inégale,
Et soutins contre lui la Majesté Royale.
Depuis, ses Légions l’ayant fait Empereur
Il croit me détrônant me montrer mon erreur.
Déjà son espérance avide et dévorante
Croit me tenir captive au milieu de sa tente,
Et d’un œil altier voyant le mien confus,
À force de dédains punir tous mes refus.
Mais quoi que sa fierté surpasse la Romaine,
J’ai bravé son amour ; je brave encor sa haine,
Et ne regarde en lui malgré leur double effort
Que le honteux ouvrage et du crime et du sort.
RUTILE.
Ne l’ayant jamais vu vous ne voulez rien croire
De ce qui peut servir son amour et sa gloire.
Ne vous étonnez pas s’il recherche à son tour
Le plaisir de venger sa gloire et son amour ;
Toutefois sa bonté vous offre votre grâce.
ZÉNOBIE.
Mais encor, à quel prix ?
RUTILE.
En quittant votre audace.
ZABAS.
Insolent, taisez-vous.
ZÉNOBIE.
Non laissez-le parler,
Par ma propre vertu je puis m’en consoler.
Elle me met autant au dessus des outrages
Que l’est l’Astre du jour au dessus des nuages.
RUTILE.
Vos Généraux, Madame, ont un peu trop d’ardeur.
TIMAGÈNE.
Rutile, de ton maître on connaît la grandeur.
RUTILE.
Si vous la connaissez, osez-vous vous défendre :
C’est à lui d’ordonner comme à vous de vous rendre.
ZABAS.
Est-ce, là ton emploi de nous le commander.
RUTILE.
Princes, c’est trop de faste, il faut encore céder.
Vous, Madame, il est temps d’assurer votre vie.
ZÉNOBIE.
Est-ce de ton César la promesse et l’envie.
RUTILE.
Si vous vous rendez tous il vous laisse le jour.
ZÉNOBIE.
Sa faveur marque encor un beau reste d’amour.
RUTILE.
Si vous n’obéissez n’attendez point de grâce.
ODÉNIE.
Ah ! de ton Empereur insupportable audace.
RUTILE, sortant.
Vous vous allez tous perdre.
ZÉNOBIE.
Au moins avez éclat.
Dis à ton Empereur que j’attends le combat.
En effet hasardons, prévenons son envie ;
Si j’ai perdu le sceptre, il faut perdre la vie,
Non que je craigne ici de voir de mon trône à bas
Tant que le soutiendront Timagène et Zabas.
C’est vous qui secondant le cœur de Zénobie,
M’aidâtes à gagner l’Egypte et l’Arabie ;
C’est vous dont la valeur m’eut conquis l’Univers
Si le Démon Romain n’eut dû la mettre aux fers.
C’était sa destinée, et c’est encor la mienne,
De voir mon infortune enchérir sur la sienne.
Ce lâche et nouveau sort qui me suit en tous lieux
A ligué contre moi les hommes te les Dieux.
Éprouvons si ce sort qui cherche à me détruire,
Si je cessais d’agir cesserait de ma nuire ;
Ou si me témoignant un éternel courroux,
L’horreur qu’il a pour moi passerait jusqu’à vous.
Vous généreux Zabas, allez à mon armée,
Par votre ordre au combat par avance animée ;
Et songez quelquefois en choquant les Romains,
Que toutes mes grandeurs sont comme entre vos mains.
Vous, zélé Timagène, au lieu d’une couronne,
Défendez avec moi la ville et ma personne,
Et signalant tous deux votre fidélité,
Faites-en un exemple à la postérité.
Voilà, mes Généraux, comme je vous partage ;
L’un remplira son zèle, et l’autre son courage.
Allez donc vrais héros à la honte des Cieux,
Soutenir un parti qu’abandonnent les Dieux.
ZABAS.
C’est à nous d’accomplir ce que l’on nous ordonne.
ZÉNOBIE.
Voilà mon dernier ordre, hé quoi je vous étonne,
Non, non, Princes régnez, donnez ici vos lois,
S’il me faut obéir je veux choisir mes Rois ;
Allez donc l’un et l’autre où l’honneur vous appelle.
Mais voyez en partant le prix de votre zèle :
Et considérez bien sans en être surpris,
Si du combat ma fille est un indigne prix.
Qui donc d’Aurélian m’apportera la tête,
Fera du trône et d’elle une double conquête.
TIMAGÈNE.
Ah ! Madame, ces dons feraient trop de jaloux.
ZABAS.
Nous n’agissons ici que pour l’amour de vous,
Vous dont le bel emploi ne me fait point envie,
Si j’ai soin de sa gloire, ayez soin de sa vie,
Je vous la recommande, adieu, Madame, adieu.
TIMAGÈNE.
Madame, mon emploi me retient en ce lieu,
Je vais donc donner ordre au salut de la ville ;
Vous Madame, restez dans un état tranquille ;
Vous Princesse, songez que pour vous acquérir,
Tout autre que Zabas pourrait vaincre ou mourir.
Scène IV
ZÉNOBIE, ODÉNIE, ILIONE et DIORÉE
ZÉNOBIE.
Depuis dix ans entiers ces Princes m’ont servie ;
Je leur dois mon Royaume et ma gloire et ma vie.
Ainsi par leurs bienfaits étant poussée à bout.
Ne leur rendrai-je rien lorsque je leur dois tout.
Ô vous qui pour le moins me devez la naissance,
Travaillez pour vous même à ma reconnaissance
ODÉNIE.
Madame votre esprit connaît si mal leurs feux,
Que contre leur dessein vous expliquez leurs vœux.
Non leur secret désir n’est point égal au vôtre ;
Comment m’aimeraient-ils s’ils en aiment une autre ?
Considérez, de grâce, où vous me réduisez ;
Les cœurs qui sont offerts sont souvent méprisés.
ZÉNOBIE.
Princesse assurément, c’est vous seule qu’on aime.
ODÉNIE.
Détrompez-vous, Madame, ils aiment que vous-même,
Nous les connaissons moins à ce qu’ils sont pour vous
Pour fidèles Sujets que pour Amants jaloux.
Voyez leurs actions, épiez leur conduite,
Et vous découvrirez leur secrète poursuite.
Leurs fréquents démêlés ont dû vous faire voir,
Si c’est l’ambition ou pur zèle, ou devoir.
J’ai moi-même cent fois apaisé leur querelle ;
Mais rien que leur amour ne la rend immortelle ;
Le dernier entretien que j’avais avec eux
Ne m’a que trop fait voir qu’ils vous aiment tous deux.
ZÉNOBIE.
Qu’on les rappelle donc, ah cruelle fortune,
Que ta faveur m’est dire, et ta grâce importune,
Quoi n’ont-ils pu sous moi m’acquérir tant d’États,
Que pour changer les vœux en autant d’attentats.
Vous lâches dont l’amour ma fait honte et m’outrage,
Ne m’avez-vous pu voir que comme votre ouvrage ;
Et ne fus-je par vous élevée aux grandeurs,
Que pour être immolée à vos propres ardeurs ?
Non, c’est à mon Époux que je dois ma puissance,
Comme c’est à cent Rois que je dois ma naissance ;
En vain votre valeur a servi mes projets,
Avant tous vos exploits vous étiez mes Sujets ;
J’étais Reine sans vous, que m’avez vous donc faite ?
Quoi de vos passions l’objet et la sujette,
Ainsi faisant valoir votre manque de foi,
Avez-vous prétendu de triompher de moi.
ODÉNIE.
Ils garderont peut-être un éternel silence.
ZÉNOBIE.
Qu’importe que leur feu se mette en évidence ;
Ah, vous m’en dites trop, et vous m’ouvrez les yeux,
Qu’ils montrent donc leur flamme aux hommes comme aux Dieux,
En vain leurs cœurs cachés leurs servent de refuges,
Il leur faut des témoins, aussi bien que des Juges ;
Mais quand un tel secret ne serait su que d’eux,
Ils seraient criminels jusqu’au fond de leurs vœux.
Dès qu’une passion doit être illégitime,
La former c’est faiblesse, et la dire c’est crime.
Ils devaient d’opposer à leurs premiers désirs,
Où jusques dans leur source étouffer leurs soupirs.
ODÉNIE.
Ces malheureux Amants n’auront pu s’en défendre,
Votre œil en un moment les força de se rendre.
Ainsi quand l’Âme es prise, et prise en un moment,
Son désordre prévaut sur son raisonnement.
ZÉNOBIE.
Que n’y songeaient-ils mieux, leur honte fuit leur gloire.
S’ils manquent de respect, je manque de mémoire.
Vous, Princesse songez qu’il me faut obéir,
Et m’ôter les moyens de les longtemps haïr.
ACTE II
Scène première
ODÉNIE, RUTILE
ODÉNIE.
Rutile encore ici, quand le combat se donne.
RUTILE.
Ayant eu mon congé mon délai vous étonne.
Mais me croyant fidèle aussi bien qu’imprudent
Dans un simple envoyé voyez un confident.
Je le suis de César, et n’ai plus qu’à vous dire
Qu’il vous offre son cœur, sa gloire et son Empire,
Et que tout ce qu’il a de puissance et d’ardeurs,
N’est destiné par lui qu’à faire vos grandeurs.
ODÉNIE.
Vous m’étonnez Rutile, et j’ai peine à comprendre,
Comme votre césar revit tout pour tout rendre,
Et qu’ayant à la Reine enlevé tant d’États,
Il me rende l’objet de tous ses attentats ;
Quoi moi sa récompense, et par sa propre estime,
La cause, le moyen et le prix de son crime ;
Allez Rutile ; allez, je n’ai que de l’horreur
Pour un si traître amant, et plus lâche Empereur.
RUTILE.
Madame, il eut raison d’abandonner la Reine.
ODÉNIE.
Une infidèle amour me donne de la haine.
RUTILE.
Qui servit autrefois doit régner à son tour.
ODÉNIE.
Et son intimité fuit-elle son amour ?
RUTILE.
Les mépris de la Reine ont rebuté son âme.
ODÉNIE.
Quoi ? son cœur quand il veut conserve et perd sa flamme,
C’est de ses passions se rendre le vainqueur.
RUTILE.
Ah ! plus que de la fierté la douceur gagne un cœur.
ODÉNIE.
Comment peut-il m’aimer, il ne m’a jamais vue.
RUTILE.
Sur le renom une âme est bien souvent émue,
S’il vous voyait vous-même il verrait dans vos yeux
De quoi vaincre le monde, et le sort et les Dieux.
ODÉNIE.
Dites plutôt, flatteur, qu’en l’état où nous sommes,
Je me vois en opprobre à ces Dieux comme aux hommes,
Et que vote César, si j’avais des appas,
À travers mille horreurs ne m’adorerais pas.
Tous ses agents et lui reconnaissants mes charmes
Parleraient peu d’amour au milieu des alarmes,
Et malgré leurs motifs jugeraient à propos
De ne point altérer ma gloire, et mon repos,
S’il se peut toutefois que d’une âme tranquille
Je puisse voir en trouble, et l’armée et la ville,
Et que je puise ouïr qu’on me parle d’amour,
Où le sort de la Reine émeut toute la Cour ;
Non de votre César confident téméraire,
Dites lui qu’un tyran ne peut jamais me plaire,
Et que mon naturel qui penche à la douceur
Ne veut dans un État qu’un juste possesseur.
Votre maître est venu comme vont les tempêtes,
Mais les cœurs ne sont pas au rang de ses conquêtes :
Du sort, et de l’amour, des deux divers vainqueurs
L’un donne les États, l’autre donne les cœurs,
Le mien est pris, Rutile, et vous devez connaître
Que c’est par d’autres soins que ceux de votre maître ;
Il le devait gagner par ces soins différents,
Et tout autre moyen que celui des tyrans ;
Mais quel est ce grand bruit ? quoi la Reine contente.
Scène II
ODÉNIE, ILIONE, DIORÉE, RUTILE et ZÉNOBIE
ZÉNOBIE.
Je retourne, Princesse, et reviens triomphante ;
Mais Rutile en ces lieux, que faites-vous ici ?
RUTILE.
Madame, mon abord vous donne du souci ;
J’ai dû me retirer, mais vous devez apprendre
Ce qu’un second emploi m’aura fait entreprendre.
ZÉNOBIE.
Quoi qu’il en soit, Princesse, apprenez un combat
Où le sort m’a rendu ma gloire et mon État ;
Mon cœur contre Zabas et contre Timagène,
Ne respirait qu’horreur, que colère et que haine,
Quand pour ne rien devoir à ces faux généreux,
J’ai voulu par mon bras remplir mes propres vœux,
Je me suis donc armée, et sortant de la ville
J’ai cru que mon dépit me rendrait tout facile ;
Je me suis d’abord mise à la tête des miens,
Et le Tyran s’est mis comme au milieu des siens ;
Le signal s’est donné, mais Dieux ! nos deux armées
Ont été moins par lui que par nous animées :
Nos regards et nos voix ont causé plus de bruit,
Que deux mers par leur choc n’en ont jamais produit ;
La valeur de leur Chef leur a versé dans l’âme,
Cette bouillante ardeur dont le Soldat s’enflamme ;
Et cette soif de gloire altérant tout leur sang
On eut pensé que Mars allait de rang en rang ;
Ainsi que prévalant de cette ardeur guerrière
Contre mes ennemis j’ai marché la première,
Eux d’abord s’ébranlant, et marchand sans effroi
Sont venus pas à pas comme au devant de moi ;
Leur fierté m’a surprise et ne m’a point troublée,
Si ce n’est quand la terre en parut ébranlée,
Ce prodige m’a mise en quelque étonnement,
Cependant à bon heur j’ai pris ce tremblement ;
Les Romains de leur part l’imputant à nos charmes,
En ont pris sur le champ de fatales alarmes,
Mais ils n’ont pas laissé de combattre à nos yeux
Comme si de leur démon eut dû vaincre les Dieux ;
Nous ! de notre côté comme des Dieux visibles,
Nous avons fait des coups à tout autre impossibles,
Et l’on m’a vu combattre avec autant d’effort
Que si mon seul génie eut dû vaincre le sort ;
En effet j’ai vaincu, j’ai traîné la victoire,
Et de deux champs d’horreur n’en ai fait qu’un de gloire ;
Tout m’a cédé, Princesses, et de ma propre main,
J’ai fait un prisonnier d’un Empereur Romain.
RUTILE.
Aurélian, Madame, est en votre puissance ?
ZÉNOBIE.
Oui, j’ai pris ton César malgré sa résistance,
Ah ! Reine, m’a-t-il dit, je te cède à mon tour
Comme ton prisonnier et de guerre et d’amour.
J’ai d’abord ordonné sans lui faire réponse,
Qu’on le remit sur l’heure au pouvoir de Léonce,
Et que par Timagène étant ici conduit
Il y fut amené sans désordre et sans bruit ;
J’ai dû l’y précéder pour lui faire connaître
De quel air Zénobie y doit voir un tel maître ;
Mais pour ne laisser mes travaux imparfaits,
Zabas poursuit encor tout ceux que j’ai défaits ;
Tu sais, tu sais, Rutile, où montait son audace,
Tu venais de sa part me présenter sa grâce,
Et tu vas bientôt voir ce superbe dompté,
Les deux genoux en terre implorer sa bonté.
RUTILE.
Non, à moins que le voir je ne le saurais croire.
ZÉNOBIE.
La fortune devait ce miracle à ma gloire ;
Après ce coup fameux je n’ai rien à vouloir.
RUTILE.
J’en serais convaincu si je pouvais le voir.
ZÉNOBIE.
Tu peux le voir, il entre avecque Timagène.
RUTILE, bas.
Dieux, qu’elle est abusée !
Scène III
ZÉNOBIE, ODÉNIE, ILIONE, DIORÉE, TIMAGÈNE, RUTILE et MARTIAN qui est un faux Aurélian
TIMAGÈNE.
Enfin je vous l’amène :
Malgré tout son orgueil cet Empereur dompté
Ne se repose plus que sur votre bonté.
Sa prison l’a défait de son humeur hautaine.
Vous le voyez soumis.
TIMAGÈNE.
Auguste et grande Reine.
ZÉNOBIE.
Ah ! malgré ma victoire et nos inimités,
J’ai honte, Aurélian, de vous voir à mes pieds.
De grâce, levez-vous, et faites-moi connaître
Ce qu’est un Empereur, ou ce qu’il devrait être,
Quoi la maître du monde encore à mes genoux ?
Ah ! Certes mon plaisir modère mon courroux.
Quelque fureur dont Rome ait irrité mon âme
J’aime à la voir en vous aux genoux d’une femme.
Qu’il est beau, mon captif, quand par de fiers regards
On voit ramper sous soi tout l’orgueil des Césars !
Levez-vous cependant, Rome étant ma Rivale,
Je ne veux plus souffrir qu’un des siens la ravale,
Ni que le nom Romain étant comme abattu,
La fortune à mes pieds réduise la vertu.
Vous qui par un César conservez trop de l’homme,
Dans un si grand revers, souvenez-vous de Rome,
Et loin que d’un Reine elle prenne des lois,
Que ses moindres arrêts font, et défont les Rois.
MARTIAN.
Un César devant vous ne se peut connaître.
ZÉNOBIE.
Non, non, vous n’avez rien qui sente ici le maître.
Je plains donc ma victoire et telle est sa rigueur,
Que plus que tu vaincu j’ai pitié du vainqueur.
On m’avait dit cent fois que vous étiez un homme,
Dont l’orgueil naturel enchérissait sur Rome,
Et loin de voir en vous le premier des Romains,
J’y trouve en l’y cherchant le dernier des humains.
Aussi vous n’avez eu qu’une basse naissance ;
Rarement la vertu vient avec la puissance,
Et la grandeur suprême avec tous ses appas
Contraint le naturel et ne le détruit pas.
Parlez, parlez Rutile, est-ce là votre maître ?
RUTILE, bas.
Je suis aussi troublé que je le pouvais être.
Dieux ! quelle s’est trompée, achevons son erreur.
Haut.
Quoi Seigneur !
MARTIAN.
Dans ces lieux tu vois ton Empereur.
RUTILE.
Mais dites-moi Saigneur, comme on a pu vous prendre.
MARTIAN.
Ah ! le moindre des siens le pouvait entreprendre ;
Mes armes, mon bouclier, mes ordres et ma voix
Les assureraient de tout ce que j’étais.
Toutefois mon destin a modéré sa haine,
En me faisant captif par les mains de la Reine.
ZÉNOBIE.
Et par ce même sort mon cœur est abusé
Si je crois triompher d’un César supposé,
Est-ce vous dont le nom plus craint que le tonnerre ?
A mis dans l’Univers tous les trônes parterre.
Vous qui vous élevant sur tous les Potentats
Avez choqué ma gloire et détruit mes États ;
Si ce peut-être vous que j’en sois convaincue,
Je fus digne cinq fois d’être par vous vaincue,
Vous perdant votre honte, ou quittant votre effroi
Soyez digne une fois d’être vaincu par moi.
MARTIAN.
Vous traitez votre maître avecque trop d’outrage.
ZÉNOBIE.
Quoi donc Aurélian reprend enfin courage,
Et d’un ton orgueilleux condamnant mon erreur,
Qui commence en captif finit en Empereur.
Mais ne saurez vous pas, vous qui faites mon maître,
Qu’il faut pour être tel, être digne de l’être,
Et qu’en vain la valeur vous élève à ce rang,
S’il n’ pas tout l’éclat que lui donne un beau sang.
Le sang de Cléopâtre est encore dans mes veines ;
Je veux sceptre pour sceptre, et des Rois pour des Reines.
Mais des Rois qui soient nés ce qu’ils sont en effet,
Et tels qu’après le sang le mérite les fait.
Vous donc qui n’avez rien ni de l’un ni de l’autre,
Dites-moi quel orgueil est comparable au vôtre ;
Vous mon maître ! ah les Dieux seraient trop en courroux.
S’ils m’osaient présenter un tel maître que vous.
MARTIAN.
Je le suis de l’Empire.
ZÉNOBIE.
Ah ! rebut de la terre,
T’oses-tu prévaloir des fureurs de la guerre,
Va lâche tes pareils, et de tels conquérants
Ne sont au fond du cœur que d’infâmes tyrans,
Maintenant que l’Empire est donné comme en proie
Le moindre survenant le déchire avec joie,
Quand d’un de ses lambeaux s’étant tout revêtu
Le crime par sa main dépouille la vertu.
Vous donc des vrais Césars trop indignes images,
Vous faites de l’Empire un vrai champ de carnages,
Et des titres d’Auguste, et d’Empereur Romain
Des noms de destructeur de tout le genre humain.
MARTIAN.
Madame votre audace est ici sans égale.
ZÉNOBIE.
Lâche persécuteur de la grandeur Royale
Tu crois que Zénobie il ne soit pas permis
D’enrichir de bien haut sur les Sémiramis.
Je vais bien au delà de ces illustres femmes
Dont la gloire animait et les coups et les âmes ;
Et qu’on vit par l’ardeur des cœurs qu’elles ont eux,
De femmes par leur sexe, hommes par leurs vertus.
Enfin, Sémiramis avait conquis l’Asie,
Moi j’aurais tout conquis sans votre jalousie,
Et de tout l’Univers ; mais ! Vous voici Zabas ;
Et bien notre victoire a mis l’Empire à bas :
De moins sous mon pouvoir vous en voyez le maître.
Scène IV
ZÉNOBIE, ODÉNIE, ILIONE, DIORÉE, ZABAS, TIMAGÈNE, RUTILE, MARTIAN et GARDES
ZABAS.
Nous sommes tous trompés, vous ne tenez qu’un traître ;
Celui que vous prenez pour être Aurélian
En est le Lieutenant et nommé Martian.
ZÉNOBIE.
Mais dit-il vrai perfide ?
ZABAS.
En vain il se déguise.
ZÉNOBIE.
Et vous Rutile aussi, vous m’avez donc surprise.
ZABAS.
Nous crûmes comme vous que c’était l’Empereur,
Mais peu de temps après nous vînmes note erreur.
Vous étiez de retour avecque votre proie,
Quand le Ciel en tristesse a changé notre joie,
Et qu’un gros d’ennemis caché dans les vallons
A fait de tous côtés couler des bataillons.
Ces amples défilés s’épandant dans la plaine,
J’ai dès l’abord jugé notre perte certaine ;
Mais je n’ai pas laissé que de fondre sur eux,
Comme si la fortune eut dû suivre mes vœux.
J’ai fait ce que j’ai pu, mais effort inutile
J’ai perdu la bataille, et hasardé la Ville,
À peine accompagné de deux mille chevaux,
Je me viens rendre ici.
ZÉNOBIE.
Dieux, est-ce assez de maux,
Ah ! que vous m’éprouvez, mais grâce à mon courage,
Mon sort sur ma vertu n’a pas tout l’avantage ;
À quelques soupirs près qu’arrache ma douleur
La force de mon âme égale mon malheur.
ZABAS.
Aurélian a crû.
ZÉNOBIE.
Je vois son stratagème,
Il a crû que j’airais et combattrais moi-même,
Et qu’offrant Martian au cours de ma valeur
Une prompte victoire en vaincrait la chaleur ;
Comme il pensait encor qu’étant trop animée,
J’irais me l’immoler au cœur de son armée,
Il voulut à sa tête immoler l’un des siens,
Et par un vain triomphe ôter le cœur aux miens.
Vous qu’il a pu choisir pour être son semblable
Ce dangereux emploi vous rend considérable,
Et ses armes enfin qu’il vous a fait porter
Vous font digne à mes yeux de la représenter ;
Non, non, ce vain objet n’a plus pour moi de charmes,
J’admire votre zèle et ne vois plus ses armes,
Et l’admiration l’emportant sur l’erreur
Ne me permet pour vous ni mépris ni fureur.
MARTIAN.
Puis donc que de mon maître on découvre la ruse
Je n’ai plus qu’à vous dire.
ZÉNOBIE.
Ah ! je me désabuse,
Vos armes m’ont trompée, outre que mon erreur
Vient de n’avoir point vu vous lâche Empereur.
Adieu, quoi que je trouve une vengeance aisée,
Je ne vous punis point de m’avoir abusée,
Et m’avoir tantôt dit, je te cède à mon tour
Comme ton prisonnier et de guerre et d’amour.
C’est là de votre maître un indigne artifice,
Et vous ne m’en semblez qu’un innocent complice.
Je vous loue et le plains, dites-lui cependant
Que malgré lui mon cœur se trouve indépendant.
Adieu, sortez tous deux ; Nous, défendons la Ville ;
Qu’elle soit mon tombeau comme elle est mon asile,
Et que malgré du sort l’impitoyable loi
Ne pouvant vivre ailleurs, je meure au moins chez moi.
ZABAS.
En vain vous essuyez de nouvelles traverses,
Nous attendons encor l’assistance des Perses.
TIMAGÈNE.
Nous sommes en état de tenir quelques jours
Et de nos Alliés recevoir le secours,
Il est déjà tout prêt sur les bords de l’Euphrate.
ZÉNOBIE.
C’est là l’unique espoir dont ma gloire se flatte,
Allons mes Généraux jusques sur nos remparts
Faire arborer partout nos derniers étendards.
Allons, ma fille, allons, Odénat fut ton père,
Et pour surcroît d’honneur Zénobie est ta mère.
Suis-moi si je la suis.
ODÉNIE.
Mon âme est toute à vous.
ZÉNOBIE.
Bravons donc du Tyran la grâce et le courroux.
Sa haine ou son amour n’est fort indifférente
Si tu veux m’imiter réponds à mon attente,
Et montre par toi-même à de pareils vainqueurs
Qu’on peut plutôt gagner nos États que nos cœurs.
ACTE III
Scène première
ZÉNOBIE, ODÉNIE, ILIONE, DIORÉE, ZABAS, TIMAGÈNE et GARDES
ZÉNOBIE.
Mon peuple se veut rendre, et par cette faiblesse
Veut livrer aux Romains sa Reine et sa Princesse,
De haut de nos remparts il me vient d’enlever,
Sous le prétexte feint de me vouloir sauver.
Quoi, grands Dieux ! les Romains deviendraient-ils mes Maîtres ?
ZABAS.
Palmyre est tout rempli de blessés et de traîtres.
ZÉNOBIE.
Parlez mieux, Adamas en est le Gouverneur,
Il a de la valeur comme il a de l’honneur ;
Je reconnais sa foi, son zèle, et son courage.
ZABAS.
Qui pourrait résister contre un si grand orage ?
Malgré tous ses efforts il pourra entraîner.
ZÉNOBIE.
Je vois bien ce que c’est, on veut m’abandonner ;
Mais pourquoi m’alarmer, ô la faiblesse extrême,
Je n’ai par tout perdu, si pour moi j’ai moi-même,
Confesse-moi destin, si ma vie est à toi,
Que l’instant de ma mort ne peut être qu’à moi.
En vain de ta grandeur le monde a tant de marques,
La mort comme le sort sait faire des Monarques,
Et quand une grande âme est lasse de souffrir,
C’est être tout-puissant que de pouvoir mourir.
ZABAS.
Fuyez, nous vous suivrons, ayant donné cent marques.
ZÉNOBIE.
Mes visibles sujets sont sujets sont mes secrets Monarques,
Dites tout, mes tyrans, m’aimant dont tour à tour,
Vous faites de mon cœur un trophée à l’amour,
Vous à qui je fiais les restes de ma gloire,
Perdez-vous la raison, perdez-vous la mémoire ;
Vous êtes mes sujets, vous m’avez tout promis,
Et vous m’opprimez plus que tous mes ennemis.
ODÉNIE, bas.
Il faut qu’il se déclare, en vain il se déguise.
ZABAS.
Soit avis, ou soupçon mon âme en est surprise ;
Mais Madame, en un mot quel que soit mon amour,
Il est plus pur cent fois que la source du jour.
TIMAGÈNE.
Ah ! Madame, il faut fuir, la bataille est perdue ;
La Ville malgré nous sera bientôt rendue,
Et si vous ne fuyez de ces barbares lieux,
Le dernier des malheurs va paraître à vos yeux ;
L’on vous attend à Rome.
ZÉNOBIE.
Effroyable menace,
Mon honneur me retient, et ma crainte me chasse.
Allons puisqu’il le faut, tel est enfin mon sort
Qu’il faut fuir mon vainqueur, sans éviter la mort ;
Mais avez qui de vous doit aller votre Reine.
TIMAGÈNE.
C’est avecque Zabas.
ZABAS.
C’est avec Timagène.
TIMAGÈNE.
Consultons en Ami notre premier emploi,
Vous avez eu l’armée, et la Ville est à moi ;
Laissez-moi la défendre.
ZABAS.
Au point qu’on me surmonte,
Donnez-moi les moyens de réparer ma honte.
TIMAGÈNE.
Nous l’imputons au Sort plus qu’à votre Valeur.
ZABAS.
Si ce n’est pas mon crime, au moins c’est mon malheur.
ZÉNOBIE.
Quel étrange combat, quel dessein est le vôtre ?
Quoi me servant tous deux, me céder l’un à l’autre,
Ah ! qu’un pareil spectacle a de quoi m’étonner
Si c’est une Vertu que de m’abandonner.
ZABAS.
Je vous défendrais mal, mais l’heureux Timagène.
TIMAGÈNE.
Je puis garder ici des restes de la Reine.
ZÉNOBIE.
Et bien sans intérêt, et sans autorité,
Je prétends vous juger par la seule équité.
Zabas m’accompagnera dans ma première fuite,
Timagène à son tour doit prendre ma conduite,
Et penser toutefois quand tels seraient ses vœux,
Que qui suivra mon sort n’est pas le plus heureux.
ZABAS.
Ayez soin de la Reine.
TIMAGÈNE.
Et vous de la Princesse.
ODÉNIE.
Adieu Prince ; Ah ! Madame, est-ce ainsi qu’on me laisse ?
ZÉNOBIE.
Reste ici, ta présence est utile en ces lieux.
Adamas ou césar respectera tes yeux ;
Le traître, ou le vainqueur ne peut qu’en ta présence
Rompre sa trahison, ou forcer sa puissance.
ZABAS.
Je vais voir Adamas, et changeant ses desseins,
Le faire renoncer aux offres des Romains.
ZÉNOBIE.
Allons donc voir la Perse, et chercher une armée,
Que le bruit de mon nom doit avoir animée,
Nous reviendrons bientôt.
ODÉNIE.
Je vous suivrai du moins.
ZÉNOBIE.
Demeure, nous craignons la suite, et les témoins,
Je m’en vais déguiser, et m’étant travestie
Cacher aux yeux de tous ma honte et ma sortie,
Toi, commande à la Ville, et d’un cœur résolu
Vois tout ce que de nous le sort aura conclu,
Adieu, ma fille adieu, quelle faiblesse indigne,
Et ne peut supporter que les larmes aux yeux,
Tu donne par ton deuil quelque avantage aux Dieux,
S’ils nous traitent sans grâce, endurons sans murmure,
Soyons aussi forts qu’eux en souffrant leur injure ;
Ou par notre constance enchérissant sur eux.
Par eux infortunés soyons par nous heureux.
Scène II
ODÉNIE, DIORÉE
ODÉNIE.
Ah, depuis que le Sort fait des coups de sa haine
Il n’a jamais produit une si triste scène.
Non, jamais la Fortune aux yeux de l’Univers
N’étala par fureur un si fameux revers ;
Après tant de grandeurs Zénobie est en fuite,
Mais quoi, sa vertu propre en a pris la conduite,
Elle n’est pas à plaindre, et c’est moi qui la suis,
Je sens tous mes malheurs, Je ne veux ni ne puis.
Cette âme que les Dieux ne firent pas commune
Dompte tout à la fois amour, sang et fortune,
Et moi sur qui le sens peut régner à son tour,
Je souffre du destin, du sang et de l’amour,
Faut-il en ce moment que tous les trois m’oppressent ?
Mes dignités, ma Mère, et mon Amant me laissent,
Et pour peu que les Dieux aident à leur effort
Je ne vois plus pour moi que moi seule, ou la mort ;
N’importe, le trépas est moins épouvantable
Que d’un Palais désert le désordre effroyable,
Dieux, quelle solitude, horribles ornements,
Lamentable silence, affreux pressentiments,
Holà, Gardes, à moi.
DIORÉE.
Vous n’avez plus personne.
ODÉNIE.
Infortunés, voilà comme on vous abandonne,
Le bonheur fait la foule, on le suit en tous lieux,
Et les Romains l’ont mis au nombre de leurs Dieux.
Vous lâches courtisans, suivez ce doux mobile,
Nous avons mis bon ordre à nous faire un Asile ;
Mais Zabas, qu’est-ceci, faut-il enfin mourir ?
Scène III
ODÉNIE, ZABAS, DIORÉE
ZABAS.
Rien contre Aurélian ne vous peut secourir,
Le perfide Adamas commandant nos cohortes,
À de la Ville aux siens ouvert l’une des portes.
Les Romains sont entrés, tout le peuple en fureur
Se fait tailler en pièce aux yeux de l’Empereur.
ODÉNIE.
Nos tristes fugitifs sont ils hors de la Ville ?
ZABAS.
Je ne sais, s’ils y sont, ils y sont sans asile.
ODÉNIE.
Où courir maintenant ?
ZABAS.
Vos soins sont superflus,
Qui les rechercherais ne les trouverait plus ;
C’est à vous à remplir la place de la Reine,
Soutenez comme il faut l’arrogance Romaine.
Et faites qu’en bravant l’audace des Césars,
Ce qu’a manqué mon bras soit fait par vos regards.
ODÉNIE.
Quoi l’épée à la main, venez vous de combattre ?
ZABAS.
Aux portes du Palais le nombre a pu m’abattre,
De moins en combattant contre un gros des Romains,
Ce fer, ce fer ingrat s’est brisé dans mes mains,
Cependant c’est ici que je me viens défendre,
Ou qu’il faut que ma mort m’empêche de ma rendre.
ODÉNIE.
Que pouvez-vous tenter ?
ZABAS.
Je ne veux que périr ;
Mais ne puis-je, destin, ni vivre ni mourir.
J’ai perdu malgré moi la bataille et la ville,
Quoi ! vivre malgré moi m’est-il plus difficile,
Ô Dieux ! dont l’injustice aime à me voir souffrir,
Faut-il vivre pour vaincre, et vaincre pour mourir.
Je combats pour ma mort avec la même envie
Qu’un téméraire heureux combattrait pour sa vie,
Et par trop d’infortune il ne m’est pas permis,
De mourir ni par moi, ni par les ennemis.
ODÉNIE.
Votre épée est rompue.
ZABAS.
Ah ! qu’on apprenne à Rome
Que toute se grandeur n’a pu vaincre un seul homme.
Et que tant que Zabas eut l’épée à la main,
Il eut de quoi braver tout l’Empire Romain.
Celle dont la valeur ne fut jamais commune
Eut besoin contre moi de toute ma fortune,
Et j’eusse sans les Dieux quelle arme à son secours
Tôt ou tard de sa gloire interrompu le cours.
Mais hélas ! est-il dit qu’étant hors de défense,
Il faille pour mourir implorer sa clémence,
Et qu’à mon impuissance étant abandonné,
On me refuse un bien que j’ai cent fois donné.
Ô ! De mon sort ingrate et cruelle complice,
Faut-il que ma valeur me serve de supplice ?
Et qu’une même épée en signalant ma foi
Fasse tout pour autrui n ne fasse rien pour moi.
Ô d’un tronçon d’épée image trop funeste,
J’en avais trop du tout, j’en ai trop peu du reste ;
Trop du tout, pour mourir par les bras des Romains,
Et du reste, trop peu pour mourir de mes mains.
ODÉNIE.
Je puis vous empêcher.
ZABAS.
Inutile tendresse ;
Mais vous lâches Romains, je vois votre faiblesse,
Si j’en avais trop peu pour vous faire périr,
Il m’en restait assez pour vous faire frémir.
Vous n’oseriez monter ; quoi ! par ma seule audace
Ayant senti mes coups, vous craignez ma menace ;
Mais la force ma manque et ma vois s’affaiblit.
ODÉNIE.
Quoi, votre sang se perd, et votre front pâlit.
ZABAS.
Ah ! mon bras est percé, je le sens bien, Madame,
Ma force me venait du côté de ma flamme,
Et l’amour à mon zèle unissant son effort
Contestait à l’envi ce triomphe à ma mort ;
Mais l’ardeur du combat, mon amour et mon zèle,
Quelques feux qu’ils aient eux feront toujours moins qu’elle.
Quoi mon cœur tu te rends ?
ODÉNIE.
Ah ! courons au secours.
ZABAS.
Cherchez vous des Romains pour prolonger mes jours ;
Laissez moi mourir libre et selon mon envie
Consommer par ma mort la gloire de ma vie.
Laissez moi donc de grâce un bienheureux moment,
Où le sujet mourant peut mourir en amant.
ODÉNIE.
Quoi donc mon assistance !
ZABAS.
Elle est injuste et vaine
Je la refuserais de la main de la Reine,
Vous qui vouliez tantôt connaître mes désirs,
Découvrez mon ardeur dans mes derniers soupirs.
J’aime, j’aime la Reine et l’ai toujours aimée,
C’est ce feu dont mon âme est encore animée,
Tant je sens dans mon cœur par un divin retour
Que l’amour y sert d’âme et l’âme y sert d’amour.
Ainsi dans cette ardeur qu’ils avaient de ma suivre,
Je vivais pour l’aimer, et je l’aimais pour vivre ;
Et cependant la mort que rien ne peut charmer
Ma fait cesser de vivre aussi bien que d’aimer.
ODÉNIE.
Ah ! voici les Romains.
ZABAS.
Ne craignez rien, Madame,
Un beau reste de gloire anime encore mon âme.
Scène IV
ODÉNIE, ZABAS, AURÉLIAN et SES GARDES
AURÉLIAN.
Madame, pourquoi fuir, que craignez vous de nous !
Rentrez soldats, vous Zabas, rendez vous.
ZABAS.
En effet rendons nous, je ne m’en puis défendre ;
Mais c’est à la nature à qui je dois me rendre,
Et sans être vainqueur, ni vaincu à demi.
Je cède à ma faiblesse et non à l’ennemi ;
Je n’en puis plus, je tombe.
AURÉLIAN.
Allez, qu’on la soutienne ;
Ayez soin de sa vie autant que de la mienne,
Elle importe à ma gloire.
ZABAS, sortant.
Ah ! triomphe trop vain.
AURÉLIAN.
Ce Prince méritait d’avoir été Romain.
Scène V
AURÉLIAN, ODÉNIE et suite
AURÉLIAN.
Je suis Vainqueur, Madame, et telle est ma victoire
Qu’il faut que tout le cède au courant de ma gloire.
Oui l’Univers entier relève de mes lois,
Et j’ordonne à mon gré de la tête des Rois.
ODÉNIE.
Est-ce là d’un César la naturel langage ?
AURÉLIAN.
Princesse, si c’est vous, je vous rends mon hommage ;
Je sais ce que je dois à mes divins attraits,
De qui la renommée a fait tant de portraits,
Mais de quelques appas qu’elle vous ait pourvue,
Ce qu’elle en fait pense le cède à votre vue.
Cent bouches que pour vous elle emploie en tous lieux
N’en ont jamais tant dit qu’en découvrent mes yeux.
ODÉNIE.
Quittez ces faux respects, agissez en barbare.
AURÉLIAN.
Peut-on l’être en voyant une douceur si rare.
ODÉNIE.
Tyran, si ma douceur avait quelque appas
Votre fier naturel ne l’irriterait pas.
AURÉLIAN.
Et ne voyez vous pas qu’à l’objet de vos charmes,
Mes Soldats par mon ordre ont tous mis bas les armes.
Et que toute ma grandeur attend en soupirant
Ce que vous ordonnez du cœur d’un conquérant.
ODÉNIE.
Ah ! qu’un tyran feint mal, pourquoi cet artifice ?
Pensez-vous m’éblouir au bord du précipice.
AURÉLIAN.
Rutile vous a dit qu’elle était mon ardeur.
ODÉNIE.
Vous n’en eûtes jamais que pour vitre grandeur ;
Veillez ici pour elle, on peut vous y surprendre.
AURÉLIAN.
Vous cour de sa part ne peut rien entreprendre.
ODÉNIE.
Faut-il s’en étonner, c’est pas la trahison,
Qu’Adamas vous conduit jusques dans ma maison.
AURÉLIAN.
Je vous y trouve seule, Ah ! c’est trop de disgrâce.
ODÉNIE.
Sachant votre venue, on vous quitte la place.
AURÉLIAN.
Le prudent suit toujours le parti du plus fort.
ODÉNIE.
La vertu quelquefois enchérit sur le sort.
AURÉLIAN.
Cependant tout vous quitte.
ODÉNIE.
Et c’est par tyrannie ;
Il suffit que mon cœur me tienne compagnie.
AURÉLIAN.
C’est un mauvais suivant qu’un cœur trop généreux.
ODÉNIE.
Je tiens pour les constants.
AURÉLIAN.
Et moi pour les heureux.
ODÉNIE.
Vous ne le ferez pas s’il faut que j’en ordonne.
AURÉLIAN.
Votre malheur m’afflige, et votre cœur m’étonne.
ODÉNIE.
Je suis à Zénobie, en êtes vous surpris.
AURÉLIAN.
N’étant que gouverneur j’ai souffert ses mépris.
ODÉNIE.
Quand on devient César, en est-on plus à craindre ?
AURÉLIAN.
En voyant mon pouvoir vous vous devriez contraindre.
ODÉNIE.
Sans vous considérer je vois ce que je suis.
AURÉLIAN.
Et quand vous l’ignorez je sais ce que je puis.
ODÉNIE.
La Reine vous connaît, je pourrai vous connaître.
AURÉLIAN.
Elle tarde longtemps à recevoir son maître.
ODÉNIE.
Son maître, c’est trop dire, elle n’en eut jamais.
AURÉLIAN.
Je commande pourtant dans son propre palais.
ODÉNIE.
La fortune en fureur, vous a mis sur son trône.
AURÉLIAN.
Je la voudrais bien voir cette illustre Amazone.
ODÉNIE.
Et pour ne vous point voir elle a suis de ces lieux.
AURÉLIAN.
Aussi bien qu’à mon bras, se soustraire à mes yeux ;
Ah ! destin considère où ma gloire est réduite ;
Cette Reine fuyant, ma fortune est en fuite.
Quoi n’ai-je souffert si surmonté de maux ?
Que pour perdre en un jour le prix de mes travaux.
Fortune, encore un coup, que tu m’es inhumaine ;
Tu perds également mon amour et ma haine ;
Et m’aidant également à me mettre au nombre des héros ;
Tu fais tout pour ma gloire, et rien pour mon repos ;
Mais d’où vient ce grand bruit ?
UN GARDE.
Seigneur, voici la Reine,
Qu’avecque Diorée un soldat vous amène ;
Elle se retirait dans le fond d’une tour,
Qu’à peine pénétrait la lumière du jour.
Scène VI
ODÉNIE, AURÉLIAN et sa suite, DIORÉE, ILIONE, qui est une fausse Zénobie
AURÉLIAN.
Ouvre mes yeux, Madame, et quittez les ténèbres.
ILIONE.
Je ne revois partout que des couleurs funèbres ;
Ma Cour et mon palais n’offrent à mes regards
Que l’indigne appareil du plus vain des Césars.
AURÉLIAN.
Jusqu’ici votre audace a pris trop de licence.
ILIONE.
La colère des Dieux m’a mise en ta puissance ?
Garde d’en abuser trop superbe Empereur,
Et cesse, si tu peux, d’irriter leur fureur.
Vous, ma fille, apprenez que l’amour d’un tel homme
Sent l’orgueil d’un tyran et l’audace de Rome,
Et qu’il faut traiter avecque moins d’honneur,
Que je n’ai dû souffrir l’amour d’un Gouverneur.
ODÉNIE, bas.
Il s’abuse à son tour, aidons à l’artifice.
Haut.
Quoi, Madame, les Dieux souffrent cette injustice.
ILIONE.
Vous me voyez, ma fille, au pouvoir des Romains.
AURÉLIAN.
En effet, elle et vous, vous tombez dans mes mains.
ILIONE.
Cesse de m’alarmer par ta toute puissance.
ODÉNIE.
C’est d’un usurpateur la dernière licence.
AURÉLIAN.
Elle me montre en vain ces superbes regards,
Donc elle a vu ramper tout l’orgueil des Césars.
Est-ce vous ; dont l’audace a nulle autre seconde,
A crû voir à ses pieds la seul maitre du monde ;
Et qui dans Martian, croyant parler à moi,
M’avez cent fois blâmé de bassesse et d’effroi ;
C’est maintenant à moi d’abattre votre audace.
ILIONE.
D’un lâche Martian je ne tiens pas la place ;
Je veux remplir la mienne, et te faire avouer
Que loin de m’en blâmer, il faudra m’en louer.
AURÉLIAN.
Rutile ! qu’est ceci ?
RUTILE, rentrant.
La Reine est échappée.
AURÉLIAN.
Quoi vous ne l’êtes pas ?
ILIONE.
Ton attente est trompée.
RUTILE.
Ce n’est que sa suivante ; et qui vous avait dit
Que c’était Zénobie ?
AURÉLIAN.
Ah ! je suis interdit.
RUTILE.
La Reine s’est sauvée avecque Timagène ;
Je viens de le savoir.
AURÉLIAN.
Ma victoire est donc vaine.
RUTILE.
Toutefois Martian court encore après eux.
AURÉLIAN.
Zénobie est en furie, ah ! vainqueur malheureux.
Vous qui dans ce dessein l’avez favorisée,
Du moins avouez-moi qu’elle s’est déguisée ;
Autrement de Palmyre elle n’eut pu sortir.
ILIONE.
Elle est dans ce palais.
AURÉLIAN.
Qu’on la fasse investir ;
Que rien d’ici n’échappe, et qu’on mette à la géhenne
Quiconque a pu savoir le départ de la Reine.
ILIONE.
Pour le moins Ilione égale Martian,
L’un trompe Zénobie, et l’autre Aurélian.
J’ai donc pu de ma Raine en dépit de ta suite ;
Et malgré tous tes soins faciliter la fuite,
Et lui donnant le temps de se pouvoir sauver,
La remettre en état de te venir braver.
Juge donc qui de nous montre plus de courage,
Et qui vous imitant fait mieux son personnage.
AURÉLIAN.
Qu’on l’ôte de mes yeux.
ILIONE.
Qu’on me mène à la mort.
AURÉLIAN.
Qu’on attende à loisir je règlerai son sort.
ODÉNIE.
C’est là de Zénobie une digne peinture.
AURÉLIAN.
Que trouvez-vous de grand dans sa lâche imposture ?
ODÉNIE.
Et que remarquez-vous d’illustre et de parfait
En celui dont la peut vous a mal contrefait.
AURÉLIAN.
Qui méconnait la Reine.
ODÉNIE.
On la devait connaître.
AURÉLIAN.
On est plus obligé de connaître son maître.
ODÉNIE.
Dès longtemps il court d’elle, et cent et cent tableaux ;
Mais, à n’en point mentir, les vôtres sont nouveaux.
Depuis si peu de temps vous régissez l’Empire
Qu’on en voit point encor dans la cour de Palmyre ;
Outre qu’à mieux parler nous voulons des portraits
Dont la seule vertu compose tous les traits ;
Non pas de ces tableaux qui sentent le carnage.
Où le crime paraît jusques sur le visage,
Et qui tous détrempés et de sang et de pleurs
Forment par leur objet les communes douleurs.
Avez-vous donc pensé ? qu’au terme où nous sommes
Nous eussions le portrait du plus cruel des hommes.
N’était-ce pas assez que l’on sut vos rigueurs,
Sans effrayer les yeux aussi bien que les cœurs.
RUTILE.
Seigneur, votre bonté s’attire cet ouvrage.
AURÉLIAN.
Que veux-tu, mon amour anéantit ma rage.
Orgueilleux rentrez dans votre appartement ;
Et là vos apprendrez quel est mon sentiment.
ODÉNIE.
Je suis toujours le mien.
AURÉLIAN.
Allons chercher la Reine,
Avant que mon amour, satisfaisons ma haine,
Et comme aux yeux du monde, aux yeux de cette cour,
Couronnons à l’envi ma haine et mon amour.
ACTE IV
Scène première
AURÉLIAN, GARDES et RUTILE
AURÉLIAN.
Conquêtes imaginaire, et victoire inutile.
RUTILE.
Nous avons parcouru la Palais et la Ville,
Mille hommes en campagne ont suivi Martian.
AURÉLIAN.
Qu’est ce que tu peux prétends superbe Aurélian ?
Zénobie est sauvée, et tu vois la Princesse
Triompher à tes yeux de toutes sa faiblesse ;
Zabas même, dit-on prêt à perdre le jour
Condamne insolemment ma gloire et mon amour.
RUTILE.
Zabas se porte mieux, et dans cette aventure
Il semble que l’amour ranime la nature ;
Son bras percé de coups en prend de la vigueur,
Et semble se sentir des forces de son cœur.
Je vous dirai bien plus, la colère l’enflamme,
Et répand dans ses yeux le trouble de son âme ;
Rutile, m’a-t-il dit, dis à ton Empereur
Qu’en maltraitant ma Reine, il craigne ma fureur ;
Là-dessus se levant et marchant plein de rage
Il nous a fait trembler avec son seul courage,
Et nous a fait paraître en un pareil transport
Que quelquefois l’amour est plus fort que la mort.
AURÉLIAN.
Faut-il donc que l’amour ? Qui me veut seul poursuivre,
L’empêchant de mourir, m’empêche ici de vivre ;
Qu’ai-je fait à l’amour pour être ainsi traité !
Ah ! j’en vois la raison dans ma félicité ;
On est malaisément par une loi commune
Fortuné par amour, comme heureux par fortune ;
Et tel est des faveurs le partage inégal
Qu’il n’est ni mal sans bien, ni bien aussi sans mal.
RUTILE.
N’être vous pas content, vous le Dieu de la terre.
AURÉLIAN.
Pour tout autre que moi j’ai terminé la guerre,
Quelle douleur mêlée aux plaisirs d’un vainqueur,
Qui gagne l’Univers ne peut gagner un cœur ;
Ne me vante donc plus tout ce qui n’est que pompe,
Sous des noms d’Empereurs la fortune nous trompe,
Et par son vain spectacle et ses coups éclatants
Elle fait les Césars, et non pas les contents ;
J’en suis un grand exemple, et tu peux reconnaître
Que le sort qui m’a fait à l’amour pour son maître,
Et que ce même amour sur moi seul se ressent
De ce que son sujet m’a rendu si puissant ;
Es-tu content d’amour ? tu m’as fait un esclave,
Je bravais tout l’Empire, une fille me brave.
Enfin malgré cet air dont j’ai toujours vécu
J’ai vaincu tout le monde, et l’amour m’a vaincu.
RUTILE.
Quoi Seigneur, Zénobie étant hors de vitre âme.
AURÉLIAN.
Changeant de qualités, j’ai dû changer de flamme ;
En effet par un prompt et secret différent
L’amour naissant en moi détruit détruit l’amour mourant ;
Je ne sais qu’elle ardeur qui vient de ma colère,
Me fait aimer la fille ayant aimé la mère ;
Et pas un changement dont je suis si surpris,
Donner haine pour haine, et mépris pour mépris ;
Zénobie autrefois dédaigna ma poursuite,
Ma fortune aujourd’hui condamne la conduite,
Et ma toute puissance irritée à son tour
Me venge de l’affront qu’en reçut mon amour ;
Mais ce qui me surprend dans mon ardeur nouvelle,
Est de voir la Princesse aussi fière que belle,
Et mêlant le dédain avec les appas
Me donner un amour qu’elle ne reçoit pas ;
L’ingrate doit venir, la voici l’insensible.
Scène II
AURÉLIAN, RUTILE et ODÉNIE
AURÉLIAN.
Votre audace, Madame, est donc toujours visible ?
L’Empereur des Romains devant vous n’est-il rien ?
ODÉNIE.
Je vous rends, par votre ordre, un second entretien ;
Je viens savoir de vous ce que j’en dois attendre.
AURÉLIAN.
Princesse, mon aveu ne vous doit plus surprendre.
Vous avez vu ma flamme, et tel est mon amour
Que sans peine et sans honte il s’est pu mettre au jour.
Rien ne s’oppose au feu que je vous fais paraître,
La force et la beauté l’ont voulu faire naître,
Si pour justifier un amour si pressant,
Vous êtes toute aimable, et je suis tout puissant.
ODÉNIE.
Quel amour ? qui se montre au milieu des alarmes ?
AURÉLIAN.
L’amour se déclarant a toujours quelque charmes.
ODÉNIE.
Ah ! par une douceur que pratiquent les Dieux,
Qui veut gagner les cœurs se doit gagner les yeux.
AURÉLIAN.
Ne vous y trompez pas, je hais qui me dédaigne,
Ne pouvant être aimé, je veux que l’on me craigne ;
Qui vous parle en Amant vous peut faire périr.
ODÉNIE.
Si vous savez régner, nous saurons bien mourir.
AURÉLIAN.
Quoi la mort plus que moi vous est elle agréable ?
ODÉNIE.
Un tyran amoureux est rarement aimable.
AURÉLIAN.
Mon crime n’est vraiment qu’un innocent forfait,
Et je ne suis tyran qu’autant qu’on me le fait,
L’audace de la mère irrita mon courage,
Le mépris de la fille en ce moment m’outrage,
Et par le prompt excès de mon ressentiment
Vous fait un ennemi dans le cœur d’un amant.
ODÉNIE.
Tel est le digne effort de la fierté Romaine,
L’amour chez vos pareils est semblable à la haine,
Et je ne saurais faire un jugement certain
D’un ennemi mortel et d’un amant Romain.
AURÉLIAN.
Orgueilleuse, est-il dit ? que votre âme inhumaine
N’ait jamais éprouvé ni l’amour ni la haine,
Et qu’étant sans tendresse et sans inimitié,
Je n’obtienne de vous ni peine, ni pitié.
ODÉNIE.
Pour de l’amour pour vous je m’en trouve incapable ;
Et n’ai de la pitié que pour un misérable.
AURÉLIAN.
Cruelle, je le suis, si je ne suis aimé ;
Qu’importe à mon repos de me voir renommé.
Les héros après tout ne sont que des idoles ;
L’amour a des effets, la gloire a des paroles ;
Si par un sentiment découvert ou caché
On est flatté par l’un, ou par l’autre touché.
Ce n’est pas que l’esprit n’ait de la peine à croire
La gloire sans l’amour, ou l’amour sans la gloire !
Tous les deux à l’envi se servent d’ornement,
Et confondent en eux le vainqueur et l’amant ;
Je suis et l’un et l’autre, et je veux être aimable :
Cependant mes désirs me rendent haïssable,
Et plus je puis aimer et prétends être aimé,
Moins pour moi votre cœur se rencontre enflammé.
De grâce ne ma faveur animés mieux votre âme ;
Vous allumez mes feux, prenez part à ma flamme,
Et ne permettez pas qu’en une même loi
La froideur soit en vous quand l’ardeur est en moi.
UN GARDE.
Seigneur vous triomphez, enfin voici la Reine
Que Martian conduit avecque Timagène.
AURÉLIAN.
Hé quoi, Dieux ! dans un temps que j’y songeais le moins.
Scène III
ODÉNIE, AURÉLIAN, GARDES, RUTILE, MARTIAN, TIMAGÈNE et ZÉNOBIE
MARTIAN.
À la fin la fortune a secondé mes soins.
AURÉLIAN.
Songez à vous Princesse, on va cesser de feindre.
ODÉNIE.
Je sais bien qu’un tyran ne se saurait contraindre.
AURÉLIAN.
Que ne de dois-je point, généreux Martian.
MARTIAN.
Seigneur, je suis encore une autre Aurélian,
J’ai surpris hors des murs Timagène et la Reine ;
Elle était travestie.
AURÉLIAN.
Ah ! quelle Souveraine.
ZÉNOBIE.
Trop indigne Empereur, vrai tyran des humains,
Que n’aurais-je pas fait pour sortir de tes mains.
TIMAGÈNE.
César, regarde-moi, ce spectacle est indigne.
AURÉLIAN.
Comme votre valeur, votre audace est indigne,
Il ne vous sied pas mal d’être chargé de fers.
TIMAGÈNE.
J’ai donc cet avantage avec tout l’univers ;
Tout le monde par toi gémissant sous la chaîne,
Comme par compagnie y doit voir Timagène ;
Mais hélas ! par un coup dont je suis abattu,
Dans une Zénobie il y voit la vertu.
Scène IV
AURÉLIAN, ZÉNOBIE, ODÉNIE et SUIVANTS
AURÉLIAN.
Madame, votre erreur s’est-elle dissipée ?
ZÉNOBIE.
Qui m’était inconnu me peut avoir trompée.
AURÉLIAN.
Vous vous connaissiez mal en Empereur Romain.
ZÉNOBIE.
Et vous en Zénobie.
AURÉLIAN.
On plaint un cœur si vain,
Je suis maître du monde.
ZÉNOBIE.
Et je suis ma maîtresse.
AURÉLIAN.
Témoin, témoin vos fers.
ZÉNOBIE.
C’est par votre faiblesse,
Je serais libre ici si l’on ne m’y craignait.
AURÉLIAN.
Autrefois dans l’orgueil Zénobie y régnait.
ZÉNOBIE.
Elle y commande encor par un droit légitime,
Et tel que la vertu peut l’avoir sur le crime.
AURÉLIAN.
Vous me regardez donc comme un usurpateur.
ZÉNOBIE.
Qu’êtes-vous en effet que mon persécuteur ?
AURÉLIAN.
Je suis votre Empereur par le droit de la guerre.
ZÉNOBIE.
Et par le même droit le tyran de la terre,
Mais ce n’est pas assez d’envahir tant d’États
Si l’infidélité n’est jointe aux attentats.
Oui, le lâche Adamas sachant mon entreprise
Dedans une embuscade a trahi ma franchise,
Et par lui Martian apprenant nos desseins,
Et surpris et vivants nous met entre vos mains :
Voilà de mon tyran le superbe avantage.
AURÉLIAN.
Condamnant vos projets je plain votre courage.
ZÉNOBIE.
J’eus toujours des desseins aussi justes que grands.
AURÉLIAN.
Jugeons par le succès de tous nos différends.
ZÉNOBIE.
Quoi par l’événement, c’est un mauvais arbitre.
AURÉLIAN.
Quoi que vous en pensez le bonheur est un titre.
ZÉNOBIE.
Il l’est chez les Romains.
AURÉLIAN.
Je m’en suis bien servi.
ZÉNOBIE.
Tout selon cette loi se voir par eux ravi,
Ceux dont leur tyrannie opprime la puissance
En perdant leurs états perdent leur innocence.
AURÉLIAN.
Ce n’est pas au vaincus à blâmer les vainqueurs.
ZÉNOBIE.
Ni ce n’est pas au sort à triompher des cœurs.
AURÉLIAN.
Vous seriez en état de louer la fortune,
Si, quand je vous aimai.
ZÉNOBIE.
Ce seul mot m’importune,
Apprenez qu’un amant ne peut plaire à mes yeux
Qu’autant que ses vertus le font pareil aux Dieux.
AURÉLIAN.
Toutefois votre époux ne fut qu’un téméraire.
ZÉNOBIE.
Comme à vous la fortune eut dessein de lui plaire,
Et si son prompt trépas n’eut trahi ses projets,
Vous, Romains, mes vainqueurs, vous seriez sujets.
AURÉLIAN.
Il entreprenait trop, il se devait connaître.
ZÉNOBIE.
Odénat était né pour être votre maître.
Tout homme qui nait prince a ce droit de son sang
Qu’il peut jusqu’à sa mort enchérir sur son rang ;
Il trouve avec éclat dans son indépendance
Un titre suffisant pour la toute puissance ;
Il se sent de sa source, et les droits du berceau
Ne sont jamais bornés que par ceux du tombeau.
Vous donc qui d’Odénat condamnés les conquêtes,
En voyant ce qu’il fut, voyez ce que vous êtes.
AURÉLIAN.
Sachez que vous et lui conquîtes trop d’états.
ZÉNOBIE.
Ne nous accusez-vous que par ces attentats,
Si conquérir l’Asie était un si grand crime,
Conquérir tout le monde est-il plus légitime ?
Et pourquoi nos exploits étant désavoués
Condamnez-vous en nous ce qu’en vous vous louez.
Un soldat le Censeur du Prince de Palmyre ;
Vous blâmez Odénat, et moi je vous admire,
Et j’aime à voir en vous qu’un fils de laboureur
Soit venu par degrés jusqu’au rang d’Empereur.
AURÉLIAN.
Ma valeur répara ce défaut de naissance.
ZÉNOBIE.
La vertu d’Odénat fit valoir sa puissance.
AURÉLIAN.
Le courage qu’il eut la rendit plus hautain.
ZÉNOBIE.
Il fut moins orgueilleux que le moindre Romain.
AURÉLIAN.
Il prit insolemment le grand surnom d’Auguste.
ZÉNOBIE.
Quelqu’autre le prenant ma parut injuste,
La vertu d’Odénat l’avait fait adorer,
Et vingt de vos Césars l’ont fait déshonorer.
AURÉLIAN.
Tel est le jugement d’une illustre personne.
ZÉNOBIE.
Est-ce qu’à votre sens ma gloire s’abandonne ?
AURÉLIAN.
Zénobie en s’armant a trahi sa vertu.
ZÉNOBIE.
Vingt fois avec honneur je vous ai combattu.
AURÉLIAN.
Le fer sied mal au sexe, et le métier des armes
Est comme incompatible, avecque tant de charmes ;
Vos yeux qui sont toujours nos naturels vainqueurs
Ne devraient s’employer qu’à conquérir des cœurs.
ZÉNOBIE.
Ne raillons point, le Ciel qui les y fit capables
Arma comme les yeux les bras de nos semblables,
Et nous communiqua cette même valeur
De qui l’usage en nous vous fait tant de douleur ;
La gloire est de tout sexe, et j’ose encor vous dire
Que malgré vous, le mien était né pour l’Empire,
Et que tous ces respects que vous lui faites voir
Sont moins de votre amour que de votre devoir.
AURÉLIAN.
Vous vous deviez tenir dans les bornes du vôtre.
ZÉNOBIE.
Cent hommes en échange ont passé dans le nôtre.
AURÉLIAN.
Vous travestir sans cesse, ah ! cette lâche ardeur
Vous fait de votre sexe outrager la pudeur,
Rome en est offensée et ma propre victoire.
ZÉNOBIE.
Ah ! tyran de mon sexe, ennemi de ma gloire
Est-ce un grand crime aux yeux de mes persécuteurs ?
De les avoir défaits de trente usurpateurs.
Claude, un de vos Césars me laissa dans l’Asie
Comme un objet de gloire et non de jalousie,
Et les Orientaux m’étant ainsi soumis
J’y fus comme un vainqueur un rempart contre vos ennemis.
AURÉLIAN.
Vous avez abusé de cette confiance.
ZÉNOBIE.
Ingrat et faux César, quelle reconnaissance.
AURÉLIAN.
Rome en jugera mieux.
ZÉNOBIE.
Ah ! quittez votre erreur.
AURÉLIAN.
Votre captivité vaincra vitre fureur ;
Ces fers que je vous laisse assurent votre vie.
ZÉNOBIE.
Hors des fers, dans les fers, je brave votre envie.
AURÉLIAN.
Qu’elle entre là-dedans, vous, cependant, Romains,
Observez là de près, épiez ses desseins.
ZÉNOBIE.
Adieu lâche tyran d’une illustre famille.
AURÉLIAN.
Je tiens sous mon pouvoir et la mère et la fille.
ZÉNOBIE, en sortant.
Princesse, nous verrons si vous êtes à moi.
ODÉNIE.
Seigneur, ce traitement me donne de l’effroi,
Je me jette à vos pieds et là je vous conjure.
AURÉLIAN.
La voix de la grandeur fait taire la nature.
TIMAGÈNE.
Que prétends-tu, tyran, que l’on fasse de moi.
AURÉLIAN.
Je veux qu’un prompt trépas récompense ta foi.
ODÉNIE.
Ah ! Seigneur, arrêtez, je regarde se grâce.
AURÉLIAN.
Même dans la prière aurez-vous de l’audace ?
Vous voulez des faveurs et vous n’en faites pas,
N’importe, en votre nom j’empêche mon trépas.
ODÉNIE.
Délivrez donc Zabas, Timagène, et la Reine.
AURÉLIAN.
Quoi Zabas à mes yeux !
Scène V
ODÉNIE, AURÉLIAN, RUTILE, MARTIAN, ZABAS et TIMAGÈNE
ZABAS.
J’y viens braver ta haine,
La Reine est dans les fers, tyran, puis-je parler ?
AURÉLIAN.
Votre indigne valeur a pu se signaler,
Les Dieux qui l’admiraient n’ont pas voulu permettre
Que Rome ni la mort, aient pu se la soumettre :
Ils s’en font un spectacle et d’un plus digne effort
Ils vous font triompher de Rome et de la mort ;
Triomphez de vous même et dans cette aventure
Étonnez la fortune autant que la nature,
Et sans injurier, ni braver un vainqueur,
Au défaut d’un État possédez votre cœur.
ZABAS.
Dans le trouble où je suis me le puis-je promettre !
Si le sort et l’amour me font tous deux un maître,
Tous deux m’ayant ôté du rang des Potentats
L’un m’enleva mon cœur et l’autre mes États.
Il ne me restait plus qu’une funeste vie,
Que les Dieux m’ont rendue aussitôt que ravie,
Ou plutôt que l’amour dont je suis le martyr
Ne me veut redonner que pour me voir partir.
Vous voyez donc, Seigneur, qu’animé par lui-même
Mon cœur plein de soupirs ne vit qu’autant qu’il aime,
Et que par moi les Dieux ont fait voir en ce jour
Que le corps cède à l’âme et la mort à l’amour
Mais que me servirait mon retour à la vie
Si dans le Reine même elle m’était ravie,
Sauvons-la donc de grâce, ou faites moi mourir,
Ou me faciliter les moyens de périr,
Mes mains m’ont refusé ce pitoyable office,
Ma douleur me dénie un semblable service,
Et peut être en l’état où mon amour m’a mis
Je ne l’obtiendrai pas de tous mes ennemis.
Cependant c’est à vous que mon malheur s’adresse,
Accordez-moi la mort, par haine, ou par tendresse ;
Que vous sert cet objet de deux bras abattus ?
Il peint votre fortune et non pas vos vertus.
AURÉLIAN.
Je fais grâce à tous deux, Prince je romps vos chaînes,
Vous, illustre Zabas, je veux finir vos peines,
Zénobie est à vous, je la cède à vos vœux
Et mets toute ma gloire à faire un bienheureux,
Princesse, vous voyez comme on tâche à vous plaire,
Votre amour à ce prix.
ODÉNIE.
L’amour est volontaire.
AURÉLIAN.
Il est en moi forcé, cessez de m’irriter,
Non, non, ma passion ne vous peut plus flatter,
Que l’on mène à la mort Zabas et Timagène
Et qu’à ses propres yeux l’on poignarde le Raine.
ODÉNIE.
Arrêtez, si je puis.
AURÉLIAN.
C’est assez m’abuser.
Si vous aimez la Reine il me faut épouser,
Êtes-vous résolue ?
ODÉNIE.
Ah ! Seigneur qui diffère
De sauver à ce prix deux Princes et sa mère.
AURÉLIAN.
Je vous attends au temple.
Scène VI
ODÉNIE, ZABAS et TIMAGÈNE
TIMAGÈNE.
Ah ! quel consentement,
Dieux ? rien n’est comparable à mon étonnement.
ODÉNIE.
Un tel ordre me gehenne et dans cette contrainte
Je souffre pour amour et je souffre par crainte,
Et par leurs mouvements tout mon cœur combattu
Plus que de tous les deux souffre de sa vertu.
TIMAGÈNE.
Si l’on m’eut consulté.
ODÉNIE.
Quelle était votre envie ?
TIMAGÈNE.
De vous avoir, Princesse, ou de perdre la vie.
ODÉNIE, sortant.
Prince je vous entends, de grâce entendez-moi,
J’ai fait ce que j’ai pu, je fais ce que je dois,
Disons tout, mon devoir à conserver la Reine,
Mon amitié Zabas, mon amour Timagène,
Et le dernier peut-être étant plus hasardeux
A fait plus dans mon cœur que tous les autres deux.
ZABAS.
Prince, si vous l’aimez, quel produire un amour
DE voir que son aveu peut prévenir le vôtre.
TIMAGÈNE.
Ah ! qu’il est bien aisé de produire un amour
Quand on le fait mourir en le mettant au jour.
ZABAS.
Vous aimez la Princesse, et moi j’aime la Reine.
TIMAGÈNE.
Ainsi par votre ma jalousie est vaine,
Mais hélas ! cher ami, qu’il m’eut être plus doux
De n’avoir en aimant qu’à combattre que vous.
Adieu, j’ai trop à dire, et plus encore à faire.
ZABAS.
Moi, Je n’ai dans mes travaux qu’à souffrir et me taire,
Et malgré leurs combats par un illustre effort
Accommoder la gloire et l’amour et la mort.
ACTE V
Scène première
ZÉNOBIE, ILIONE, DIORÉE
ZÉNOBIE.
Ah ! ma chère Ilione et ma parfaite Image
On a vu ta constance égaler ton courage,
Et le tyran ravi de ta fidélité
Malgré tous ses transports te rend ta liberté.
ILIONE.
Ma vie était à vous.
ZÉNOBIE.
Va, je t’en remercie ;
Mais quoi ! mon aventure est bien mal éclaircie ;
Que prétend-on de moi ? l’on m’amène en ces lieux,
Et rien que mes suivants ne s’offrent à mes yeux.
ILIONE.
Je ne sais, tout le monde accourt à notre temple.
ZÉNOBIE.
Quelque soit mon destin, c’est moi que je contemple ;
Je m’admire moi-même en ce fameux revers,
Ce n’est pas que mes yeux ne souffrent de mes fers ;
Mon cœur même gémit quand rien en moi ne marque
Que je suis sœur et fille et veuve de Monarque ?
Que le mal est cuisant quand on l’oppose au bien,
Et qu’ayant tout été l’on ne se voit plus rien,
Et voici la Princesse, hé bien ! votre puissance.
Scène II
ZÉNOBIE, ILIONE, DIORÉE et ODÉNIE
ODÉNIE.
Je viens de travailler à votre délivrance
L’Empereur vous rend libre.
ZÉNOBIE.
Hé ! par quel mouvement,
Était-il assuré de mon consentement,
Quel amour excessif qu’on ait pour la franchise,
Il faut selon mon sens que l’honneur l’autorise,
Et que votre vertu par un insigne effort
Nous arrache à des fers où nous a mis le sort.
ODÉNIE.
Ah ! Madame, une Reine a toujours de la honte
De se voir dans les fers.
ZÉNOBIE.
La faveur nous surmonte
Mes fers pesaient beaucoup, mais sachez qu’en effet
Ils pesaient beaucoup moins que ne pèse un bienfait,
Et surtout quand il part d’une main ennemie,
Plus il a de grandeur, plus il a d’infamie ;
Le cœur gémit sous lui, notre gloire en pâtit
Et l’âme avec horreur sous lui s’assujettit.
ILIONE.
Si le don d’un tyran n’est qu’un parfait ouvrage,
De votre liberté faites un noble usage,
Confondez ce barbare, et ne lui devant rien,
Montrez lui qu’un méchant ne peut faire du bien.
ZÉNOBIE.
Ce n’est pas là mon sens, vous, ôtez moi de doute,
Qu’est ce qu’en ce moment ma liberté me coûte ?
Parlez, sans me soumettre à quelque indigne loi
Me rend on mes États en ma laissant à moi.
ODÉNIE.
César prétend de vous que Zabas vous épouse.
ZÉNOBIE.
Ah ! que d’un tel amant l’âme fut peu jalouse,
Quoi ! l’Empereur me donne, et dépens-je de lui ?
Vous Zabas, quel amour vous aveugle aujourd’hui ?
Ah ! cruel généreux, votre bienfait m’offense,
L’amour doit-il venir par la reconnaissance ;
Ou faut-il qu’une simple et commune bonté
Incline à vous aimer toute ma volonté :
Non, non quoi qu’indulgente, ou quoi que généreuse,
Je suis Reine vaincue, et vue malheureuse,
Un lien éternel m’attache à mon époux,
Et n’étant plus à moi, je ne puis être à vous,
Qu’on me rende que mes fers, ma liberté me gehenne,
Est-ce en ma captivant qu’on délivre sa Reine ?
Qui prétend m’affranchir est pis que mon vainqueur ;
Rome en veut à mes bras, et Zabas à mon cœur.
ODÉNIE.
Ce n’est pas tout, César me veut avoir pour femme,
C’est le prix de vos fers.
ZÉNOBIE.
Quelle nouvelle flamme,
Ah ! que je me trompai quand je crus n’avait rien,
Si le prix de mes fers est encor de mon bien,
S’il en est, prétend-il ? Que mon cœur le lui cède,
Ma fille est-elle un bien qu’il faille qu’il possède ?
Et ce cruel amant pire qu’un ennemi,
Prétendra-t-il par vous de me vaincre à demi ?
Non, qu’il n’espère pas, soit qu’il règne ou qu’il aime
De mettre en son pouvoir la moitié de moi-même,
Ni mon cœur ni mon sang ne suivront bien sa loi,
Je serai libre en vous, autant que libre en moi,
Je suis et mère et Reine, et quoi une prisonnière,
J’ai sur mon propre bien une puissance entière,
La nature et les Dieux sont plus forts que le sort,
En tout cas, tous les trois le sont moins que la mort.
ODÉNIE.
César m’attend au temple.
ZÉNOBIE.
Apprenez à connaître
Ce qu’est la passion d’un Romain et d’un maître,
Comme il n’a que l’objet de son contentement,
Un César amoureux n’est qu’un volage amant ;
L’inconstance dans Rome est même si commune
Qu’on y voit en public adorer la fortune ;
Comment y maintenir son amour et son choix ?
Si le divorce même est permis par les lois.
Scène III
ZÉNOBIE, ODÉNIE, ILIONE et RUTILE
ZÉNOBIE.
Mais Rutile paraît, qu’avez-vous à me dire ?
RUTILE.
Votre gloire m’est plus que l’honneur de l’Empire,
Vous aurez su le prix de votre liberté.
ZÉNOBIE.
Quoi que ce soit un bien, je l’ai trop acheté.
RUTILE.
C’est à vous d’en prévoir la triste conséquence.
ZÉNOBIE.
J’ai pour tous vos avis de la reconnaissance.
RUTILE.
J’ai pitié de vos maux.
ZÉNOBIE.
Vous êtes généreux.
RUTILE.
Savez vous que César vous trompe toutes deux,
Bas.
Sauvons en les trompant la gloire de mon maître.
ZÉNOBIE.
La passion qu’il a s’est assez fait connaître.
RUTILE.
Il vous attend au temple, au reste son ardeur
Le cèdera bientôt au cours de sa grandeur,
Nous vous verrons bientôt, vous, Princesses, et vous Reine,
Servir de passe-temps à la fierté Romaine,
Cléopâtre, Madame, eut plus de cœur que vous.
ZÉNOBIE.
Pourquoi dois-je mourir si le sort m’est plus doux,
Bas.
Cachons nos sentiments.
RUTILE.
La mort étant un aide.
ZÉNOBIE.
C’est le dernier des maux, en ferai-je un remède ?
RUTILE.
Vous l’avez recherchée au milieu des combats.
ZÉNOBIE.
Des mains d’un ennemi je ne le craignais pas.
RUTILE.
Quand la mort est un mal, recevons-la des autres,
Mais quand elle est un bien, recevons-la des nôtres,
Si dans le pas de gloire où le sort nous a mis
Le coup nous en est dû plus qu’à nos ennemis.
ZÉNOBIE.
Quand la vie est un mal qui veut qu’on s’en délivre,
Il faut moins de vertus pour mourir que pour vivre.
RUTILE.
Non, non, songez à vous ; adieu, ne souffrez pas
Que quelqu’autre que vous vous donne le trépas.
Scène IV
ZÉNOBIE, ODÉNIE, ILIONE et DIORÉE
ZÉNOBIE.
Il épiait mon cœur de la part de son maître,
Mais malgré ses détours il n’a pu me connaître ;
Toi vertu qui connaît mes secrets sentiments
Prévalons-nous par toi de mes déguisements,
Que si je t’ai surprise, au moins tu t’en consoles,
En ce que mes desseins démentent mes paroles,
Voici l’heure, ma fille, où mourant sans effroi
J’ôte à mon sort l’honneur de triompher de moi ;
C’est par là que mon cœur triomphe de lui-même,
Si je n’ai la grandeur j’ai la gloire suprême,
Pendant qu’aux pieds du sort mon trône est abattu.
Si je sers par malheur, je règne par vertu,
En cela la fortune heureusement trompée
M’élève éminemment sur César et Pompée,
L’un et l’autre autrefois périrent par autrui,
Et de ma propre main je péris aujourd’hui,
Je me vais mettre au rang de ces divines femmes,
Qui de leurs corps captifs affranchirent leurs âmes,
Et qui par les poignards et les charbons ardents
Surent braver la mort en bravant les tyrans.
ODÉNIE.
Que pensez-vous, Madame, avec tant de faiblesse ?
ZÉNOBIE.
Nous devons tout quitter au point que tous nous laisse,
Ainsi, par le pouvoir que vous avez ici
Délivrez ma vertu d’un étrange souci,
Elle est toute inquiète et souffre moins de peine
À se voir sans grandeur, qu’à se revoir sans chaîne,
Tant qu’elle est dans les fers je ne puis l’accuser,
Mais je sais hors de là comme elle en doit user ;
Être libre un moment et selon mon envie,
Ne finir pas ma honte aussi bien que ma vie.
Ah ! lâche Zénobie, ou crédule, veux-tu
Que ta vertu te trompe ou trahir ta vertu ;
Non, mon honneur, mourons, plus de délais ma gloire,
Je souffre par raison et souffre par mémoire ;
Tous mes maux à l’envi venant s’entretenir
Environnent ma vue, ou mon ressouvenir ;
Mais comme de mon sort la mort est la complice
Elle fuit à dessein d’allonger mon supplice,
Sans perdre en moi le droit qu’elle a sur les humains
Elle me laisse encore du pouvoir des Romains ;
Ainsi me soumettant à souffrir leur outrage,
Elle veut par avance abattre mon courage,
Et d’un double triomphe étonnant ma valeur
Faciliter le sien en permettant le leur.
ODÉNIE.
Madame, votre espoir ne vous peut rien permettre.
ZÉNOBIE.
Il est beau de jouir d’un bien dont on est maître ;
La vie étant aux Dieux, et le grandeur au sort,
J’ai du moins le pouvoir de me donner la mort ;
Mais, hélas ! quelle étrange et fatale licence,
Si le moyen m’en manque en ayant la puissance,
Et si de quelque part que je porte mes pas
Je la cherche sans cesse et ne la trouve pas ;
Quoi, Dieux ! ni le poison, ni le fer, ni la flamme,
Quoi ! rien de la prison n’affranchira mon âme,
Ah ! faites qu’à vous seule obligée à mon tour
Je doive mon trépas à qui me doit le jour.
ODÉNIE.
Je périrais cent fois avant qu’à cette envie.
ZÉNOBIE.
Je n’ai qu’à me priver des soutiens de la vie ;
Mais, Dieux ! quand je mourais à faute d’aliment,
Quoi que ce soit mourir, c’est mourir lentement ;
Ces jours que j’emploierais dans un effort si rude
Paraîtraient à mes yeux des jours de servitude ;
Durant tous ces moments mon superbe vainqueur
Jouirait en repos du trouble de mon cœur,
Ma langueur lui plairait, et d’une âme contente
Il pourrait triompher d’une Reine mourante ;
Ne puis-je donc mourir ? Ô ! trépas que j’attends,
Sans que pour mon honneur je vive trop longtemps ;
J’en rencontre un moyen qui marque du courage,
J’en ai fait d’aujourd’hui l’illustre apprentissage,
Si du haut de mon trône on m’a bien fait tomber,
Sous son propre débris cherchons à succomber ;
Faisons chute sur chute, et périssant par l’une,
Trébuchons par courage, en tombant par fortune,
Et me précipitant du haut de mon Palais,
Montrons que la vertu ne s’étonne jamais.
Scène V
ZÉNOBIE, ODÉNIE, ILIONE et TIMAGÈNE
ZÉNOBIE.
Mais que veut Timagène avec tant de furie ?
TIMAGÈNE.
J’ai vengé mon amour, ma gloire et ma patrie,
J’étais dans notre temple auprès de l’Empereur
De qui l’impatience irritait ma fureur ;
Comme il vous attendait on eut dit que son âme
Portait dans ses regards quelque éclat de sa flamme ;
Il observait partout si vous ne veniez pas,
Lorsque j’ai pris le temps de hâter son trépas ;
Comme devers la porte il tournait le visage,
En tirant un poignard j’ai fait valoir ma rage,
De trois coups, l’un sur l’autre, ayant ouvert son sein,
J’ai sans être aperçu poursuivi mon dessein ;
Il est vrai qu’à l’abord il me semblait entendre,
César, prends garde à toi l’on vient de te surprendre,
L’Empereur se tournant tout blessé qu’il était
Est aussitôt tombé des coups qu’on lui portait.
Moi jetant mon poignard et coulant dans la presse,
Je m’en suis dégagé par force, et par adresse ;
La foule étant si grande et le bruit était tel
Qu’on ne sait point l’auteur d’un complot si mortel :
Pour n’être point connu parmi ses capitaines
J’avais exprès paru sous des armes Romaines,
Je viens de les quitter, et reviens en ces lieux
Pour s’il y faut mourir y mourir à vos yeux.
ZÉNOBIE.
Je vous avais bien dit d’épouser ma querelle,
Mais faut-il par un crime autoriser son zèle ?
Avez-vous dû penser que de vos attentats ?
Je voulusse tenir ma gloire et mes États ;
Il n’appartient qu’à lui de régner par le crime,
Quoi moins en lui qu’en vous paraît-il légitime !
Pourquoi par cet endroit l’avez vous combattu ?
Il était fait au crime, et vous à la vertu,
Vous, aimiez-vous mieux être au terme où nous en sommes ?
Le tyran d’un tyran, que lui tyran des hommes,
Ou vous appropriant les communs différents
Être comme les Dieux le juge des tyrans.
TIMAGÈNE.
Ah ! c’est trop vous cacher une ardeur qui m’anime,
Princesse, c’est à vous à juger de mon crime,
C’est vous qui l’avez fait, ou pour le moins causé,
Si j’avais moins aimé, j’aurais bien moins osé ;
Puis donc que j’ai tant fait, consommons mon audace,
Faisons que mon aveu soit indigne de grâce ;
Faisons que mon aveu, Madame, armer votre courroux,
L’amour était pour elle, et le devoir pour vous.
Pendant donc qu’un Zabas servait si bien sa Reine,
La Princesse à son tour avait ton Timagène ;
Quand vos deux lieutenants de toutes deux épris
Regardaient moins en vous leur gloire que leur prix :
Si donc l’Aurélian je vous offrais la tête,
Ne ferais-je point d’elle une digne conquête ?
Quoi ! devais-je à ce prix laisser vivre un rival
Dont l’absolu pouvoir nous était si fatal.
Un hymen si forcé m’étant comme un supplice,
L’empêcher c’est me rendre un signalé service.
Scène VI
ODÉNIE, ZÉNOBIE, ZABAS et TIMAGÈNE
ZABAS.
Madame, savez-vous que César n’est point mort ?
TIMAGÈNE.
Hé, quel démon visible aurait fait cet effort ?
ZABAS.
J’étais dans notre temple, où sans se reconnaître
J’ai vu César surpris et frappé par un traître,
Quand ému tout ensemble et de honte et d’effroi,
Je me suis écrié, César, prend garde à toi ;
César à cet avis se tournant de vitesse
A surpris d’un faux pas sa force et son adresse ;
On la vu chanceler tout ferme qu’il semblait,
Et tomber aussitôt des coups qu’on redoublait ;
Tout le monde à sa chute a mis la main aux armes,
Il s’est fait un mélange et de sang et de larmes,
On s’est entretué sans bien savoir le fait,
Cependant l’assassin jouit de son forfait ;
Il a fendu la foule avec tant de vitesse
Qu’on eut dit qu’un éclair l’y précédait sans cesse ;
Enfin il a tant fait qu’on ne la point connu
Et qu’on ignore encor ce qu’il est devenu.
Pour l’Empereur, au point qu’on le croyait sans vie,
Tous les Dieux, a-t-il dit, ont trompé son envie,
Quelque soit l’assassin, son effort a manqué,
Alors levant sa veste, il s’est mieux expliqué,
Il était tout armé ; par cette défiance
Il venait dans le temple avec plus d’assurance,
Un tyran craint toujours, mais pour moi, la poison
Du fer et de mes maux m’a déjà fait raison.
ZÉNOBIE.
Quoi ! malheureux Zabas.
ZABAS.
Ce malheureux, Madame,
Ni vivant, ni mourant ne peut fléchir votre âme,
S’il n’a pu vous toucher vivant infortuné,
Il vous touchera moins mourant empoisonné ;
Madame, je le suis, et le suis par moi-même,
Je sais que j’étais moins à moi qu’à ce que j’aime ;
Mais voyant vos rigueurs et votre trône à bas,
Ni pour vous, ni pour lui qu’eût pu faire Zabas ?
Il fit tout ce qu’il dût et tout ce qu’il pût faire,
Il alla plus autant s’il osa vous déplaire,
Et si par un extrême et surprenant malheur
Son amour détruisit ce que fit sa valeur.
Faut-il donc ? qu’un amour que j’ai crû légitime ?
Loué comme vertu soit puni contre crime,
Et qu’en m’attribuant votre propre rigueur
Le poison à son tour me dévore le cœur.
ZÉNOBIE.
Vous feriez plus heureux s’il m’eut été possible,
Mais voici l’Empereur, sa fureur est visible.
Scène VII
ZÉNOBIE, ODÉNIE, ZABAS, TIMAGÈNE, MARTIAN, AURÉLIAN, SUIVANTS et SUIVANTES
AURÉLIAN.
En dépit du danger où le sort m’avait mis
Je me revois vivant parmi mes ennemis,
Tremblez à votre tour mes mortels adversaires.
TIMAGÈNE.
Les alarmes chez nous ne sont pas ordinaires,
Aucun de nous ne craint, ni m’aime les tyrans.
ZABAS.
Moins que tout autre encor les malheureux mourants,
Qui s’est empoisonné n’a pas lieu de ta craindre.
AURÉLIAN.
Ah ! qui te doit louer a sujet de te plaindre.
ZABAS.
Si je t’ai conservé je ne m’en repends pas,
Du moins fais-moi valoir ta vie et mon trépas,
Rend ma Reine contente, adieu Reine adorable,
Détestant un amant, plaignez un misérable,
La vertu peut souffrir ce que je veux de vous.
ZÉNOBIE.
Zabas à tous les vœux que n’eut pas mon époux.
ZABAS.
C’est peu pour mon amour.
ZÉNOBIE.
Et c’est trop pour ma gloire.
ZABAS, sortant.
Adieu, d’un malheureux ayez quelque mémoire,
Songez que dans Zabas qui va perdre le jour
Le fer et le poison ont moins fait que l’amour.
RUTILE, entrant.
Seigneur écoutez-moi, Timagène est un traître.
TIMAGÈNE.
J’ai mérité ce nom ayant manqué ton maître.
RUTILE.
On me vient d’avertir qu’il est votre Rival,
Et par là son amour vous peut être fatal.
AURÉLIAN.
Gardes que l’on l’arrête.
TIMAGÈNE.
Ah ! telle est mon envie
Qu’il faut que votre garde achète ici ma vie.
AURÉLIAN.
Qu’on le prenne vivant.
TIMAGÈNE.
Non, il ne se peut pas.
ZÉNOBIE, bas.
Ah ! servons-nous de lui pour causer mon trépas !
Quoi ! Prince, en ma présence osez-vous vous défendre ?
Perdez-vous le respect !
TIMAGÈNE.
Est-ce trop entreprendre ?
AURÉLIAN.
Rendez-vous donc perfide.
TIMAGÈNE.
À qui, tyran ?
AURÉLIAN.
À moi.
TIMAGÈNE.
De Rome, ni de vous je ne prends point la loi ;
Vous, Madame, c’est vous, qu’en servant ma Princesse,
De mon peu de valeur j’avais fait la maîtresse,
Comme de mon épée ordonnez de mon bras.
ZÉNOBIE, prenant l’épée et se sauvant.
Heureuse Zénobie à la fin tu mourras.
AURÉLIAN.
Rutile, sauvez-là, faut-il que ma victoire.
ODÉNIE.
Ah ! lâche Conquérant, tu déplores ta gloire,
Déplore mon malheur, c’est toi qui l’as causé.
AURÉLIAN.
C’est vous, de qui l’amour n’avait que trop osé,
Couple ingrat et perfide, à la fin ma vengeance
Vous veut abandonner à ma toute puissance,
N’ayant pu vous fléchir par offre, ni bienfait
Je prétends vous dompter par un contraire effet,
Rome vous pourra voir.
TIMAGÈNE.
Je n’y suis pas encore.
RUTILE, rentrant.
Seigneur Zabas est mort.
AURÉLIAN.
C’est lui que je déplore.
RUTILE.
Comme il sortait d’ici, le poison qu’il a pris
Tout lent qu’il le croyait l’a sur l’heure surpris,
Il est tombé sans vie au moment que la Reine
A rendu ma poursuite aussi triste que vaine ;
Malgré ma diligence évitant son vainqueur
D’un premier et seul coup elle a percé son cœur ;
Elle n’a point parlé, mais on voit son visage
D’une vive couleur retracer son courage,
La joie est dans ses yeux, comme ne voulant pas
Qu’aucun des assistants déplorât son trépas.
AURÉLIAN.
Qu’un même monument ait Zabas et la Reine,
Vous gardez la Princesse, et vous son Timagène ;
Je veux ne triompher, et comme leur vainqueur,
Triompher de leurs bras au défaut de leur cœur ;
Qu’on les charge de fers, vous, allons voir les Perses,
Essuyons pour mon nom de nouvelles traverses,
Et bravant de l’amour la fière et vaine ardeur,
Ne nous travaillons plus que pour notre grandeur.