Une Aimable lingère (Tristan BERNARD)
Sous-titre : chaque âge a ses plaisirs
Proverbe du château.
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre des Mathurins, le 26 janvier 1899.
Personnages
LE VIEUX BARON
LE COMTE, gendre du précédent
LE VICOMTE GASTON, neveu du comte
NOËL, vieux domestique
LA COMTESSE
CLARA
La scène représente un petit salon très élégant dans un château. Fenêtre au fond. Table à ouvrage devant la fenêtre. Le vieux baron, le comte, la comtesse, le vicomte sont en train de prendre le café.
Scène première
LE COMTE, GASTON, LA COMTESSE, LE VIEUX BARON, puis NOËL
LE COMTE, d’un ton de mauvaise humeur.
Encore un déjeuner de terminé... C’est une sensation désagréable, à la campagne, définir un déjeuner... On n’a plus faim... Et comme on n’a guère d’autre distraction que d’avoir faim... Et puis, on n’est pas à son aise, parce qu’on a mangé un peu plus qu’à sa faim, par désœuvrement...
GASTON, tristement.
Oui, le déjeuner, c’est le but de toute la matinée. Si l’on n’avait pas la perspective du déjeuner, qu’est-ce qu’on ferait de l’avant midi ? Autant vaudrait se narcotiser avec du chloroforme.
LE COMTE.
Que va-t-on faire de cet après-midi ?
LA COMTESSE.
Espérez le dîner.
LE COMTE.
Oui, mais je ne commencerai à l’espérer que vers cinq heures, quand mon appétit sera revenu.
GASTON.
Où irez-vous cet après-midi, mon oncle ?
LE COMTE.
J’irai en break jusqu’au château d’Aigrigny. D’Aigrigny a reçu deux chevaux hollandais. Il m’a prié de les venir voir. Vous m’accompagnerez, Gaston ?
GASTON.
Non, mon oncle. Excusez-moi. Je ferai un tour à cheval jusqu’à la forêt... où mon grand-père ira sans doute herboriser, selon sa coutume.
LE VIEUX BARON.
Hé oui ! Avec mon fidèle Firmin !
LE COMTESSE.
C’est une passion !
LA VIEUX BARON.
Passion est un mot un peu fort, ma fille... Dites passe-temps, tout au plus. J’ai longtemps hésité entre les timbres-poste et la botanique. J’ai fini par herboriser, parce que ça donne un peu plus d’exercice.
LA COMTESSE.
Mais enfin, ne pourriez-vous pas rester un après-midi au château ?
Au comte.
Vous avez votre bibliothèque, Ogier ?
LE COMTE, avec horreur.
Oh ! les livres ! les livres !
GASTON, de même.
Huit mille volumes, ma tante !
LA COMTESSE.
Quand nous sommes à Paris, vous vous écriez tous avec désespoir que vous n’avez pas le temps de lire...
LE COMTE.
Eh bien, oui ! Mais la lecture ne semble agréable que lorsqu’on n’a pas le temps.
LA COMTESSE.
Alors vous allez me laisser ici toute seule ?
LE COMTE.
Que ne m’accompagnez-vous au château d’Aigrigny ?
LA COMTESSE.
Je vous remercie. Moi, j’ai affaire au château... J ‘attends précisément une lingère de la ville.
Au domestique qui entre.
Noël, savez-vous si cette jeune fille est arrivée ?
NOËL.
Elle est dans l’antichambre, madame la comtesse.
LA COMTESSE.
Faites-la entrer ici, que nous la voyions un peu.
Exit Noël.
C’est une fille dont on me dit le plus grand bien. J’ai l’intention, si elle me convient, de la faire venir au château deux fois la semaine... Nous avons à la lingerie tant de travaux en retard !
Entre Clara. Elle se tient debout près de la porte. Les trois hommes la regardent.
Scène II
LE COMTE, GASTON, LA COMTESSE, LE VIEUX BARON, CLARA
CLARA.
Madame, messieurs...
LES TROIS HOMMES, se levant.
Mademoiselle !
LA COMTESSE.
Mademoiselle, c’est ici que vous vous installerez pour travailler. Le jour de la lingerie n’est pas bon à ces heures-ci. La fenêtre de cette pièce est la mieux exposée. Il n’y a pas de soleil et l’on y voit très clair... Vous pouvez retirer votre veste et votre chapeau.
Clara va dans le fond enlever son chapeau et sa veste.
LA COMTESSE, à mi-voix.
Cette fille me paraît bien.
LE COMTE, d’un air indifférent.
Oui.
LE VIEUX BARON, de même.
Oui, fort convenable.
GASTON, de même.
Très bien.
LA COMTESSE.
Elle me semble pourtant... un peu...
LE COMTE, vivement.
Si elle fait bien son service, c’est l’important.
GASTON, de même.
Bien sûr.
LE VIEUX BARON, de même.
Certainement.
LA COMTESSE.
Vous savez bien ourler, mon enfant ?
CLARA.
Oh madame ! J’ai passé deux ans dans un ouvroir !
LA COMTESSE.
J’ai préparé des mouchoirs à ourler. Quand vous aurez terminé ce travail, on vous appellera dans la lingerie. Il y a quelques réfections à faire à des nappes qui seraient un peu lourdes à transporter ici.
Elles vont vers la fenêtre du fond, auprès de la table à ouvrage.
Scène III
LE COMTE, GASTON, LA COMTESSE, LE VIEUX BARON, CLARA, NOËL
NOËL, entrant, à Gaston.
Le piqueur m’envoie demander quel cheval on doit seller pour monsieur le vicomte.
GASTON, hésitant.
Je le lui dirai tout à l’heure.
NOËL, allant au comte.
Monsieur le comte désire-t-il qu’on attelle le break immédiatement ?
LE COMTE.
Je donnerai des ordres en descendant aux écuries.
NOËL, allant au baron.
Firmin attend monsieur le baron avec la boite à herboriser.
LE VIEUX BARON.
Qu’il attende. Je suis un peu fatigué. Et je ne sais pas encore à quelle heure je pourrai sortir.
Exit Noël.
LE COMTE, à la comtesse.
Vous ne sortirez pas cet après-midi ? Vous ne ferez pas mal, quand vous aurez donné quelque ouvrage à cette fille, d’aller voir notre tante d’Elscamp... Elle n’était pas trop bien, aux dernières nouvelles. D’ici aux Hêtres, et le retour, vous n’en aurez que pour une heure avec le phaéton.
LA COMTESSE.
Vous croyez ?
LE COMTE.
Je vous le conseille fortement.
LA COMTESSE.
Vous partez maintenant ?
LE COMTE, un peu gêné.
Oui, oui... Dans quelques instants.
LA COMTESSE, au baron.
Au revoir, mon père...
Le baron hésite et sort.
GASTON.
...Au revoir, ma tante...
Il sort par la gauche, le comte par la droite.
LA COMTESSE, à Clara.
C’est entendu, mademoiselle. Vous ourlerez ces mouchoirs. Ma femme de chambre, qui prépare le reste de l’ouvrage dans la lingerie, vous fera chercher, le moment venu. Au revoir, mon enfant !
CLARA.
Au revoir, madame la comtesse.
Sort la comtesse, Clara s’installe et commence à travailler. Gaston, l’instant d’après, entre par la droite.
Scène IV
CLARA, GASTON
GASTON, troublé.
J’avais oublié un livre par là... Pardon, mademoiselle, vous n’auriez pas vu un livre ?
CLARA.
Non, monsieur.
GASTON, embarrassé.
Un gros livre... assez gros, ou plutôt, non... assez petit. Il a dû glisser de ma poche sans que je m’en sois aperçu. Peut-être l’aurai-je laissé dans ma chambre ?... Ou dans la forêt ?... Ou simplement dans la bibliothèque.
Un temps.
Allons ! je m’en vais. Au revoir, mademoiselle.
CLARA.
Au revoir, monsieur.
GASTON.
Au revoir, mademoiselle. Vous habitez la ville voisine ?
CLARA, continuant à coudre.
Oui, monsieur.
GASTON, troublé.
Une ville aimable... bien mouvementée... Vous habitez sans doute près de la grande place ?
CLARA.
Non, monsieur... Rue des Marteaux.
GASTON.
Ah !... Rue des Marteaux ! Rue agréable... Numéro ? Quelque chose sans doute dans les 17, ou 32 ?
CLARA.
14.
GASTON.
C’est très bien ! C’est très bien ! Je disais 32 ou 17. Mais 14 est tout aussi bien.
D’une voix pénétrée.
14, rue des Marteaux.
CLARA.
Oui, monsieur.
GASTON.
Oui, mademoiselle... Et vous habitez... dans le même appartement... qu’un père sans doute... ou qu’une maman à vous ?
CLARA.
Non monsieur, je suis orpheline !
GASTON.
Ah ! très bien, très bien !
Changeant de ton.
Oh ! pauvre fille !
Silence.
Je vois d’ici le 14, entre le 12 et le 16.
CLARA.
Non, entre le 12 et le 14 bis.
GASTON, d’un air très intéressé.
Ah ! ah !... La maison est jolie ?
CLARA.
Pas vilaine. Mais le propriétaire n’est guère endurant.
GASTON.
Oh ! voyez-vous ça ? Pas endurant !
CLARA.
Oh ! non. Sous prétexte que je lui dois trois termes, il veut me mettre à la porte.
GASTON.
Voyez-vous ça ?... Et trois termes de loyer, c’est combien ?
CLARA.
Deux cent quarante francs.
GASTON.
C’est 14, rue des Marteaux, dites-vous ?
Avec recueillement.
Bien, bien.
Il se penche vers elle et l’embrasse dans le cou.
14, rue des Marteaux.
CLARA, l’écartant d’un geste faible.
Laissez, monsieur. Je vais me fâcher.
GASTON.
Ne vous fâchez pas. C’est vilain de se fâcher...
Il l’embrasse.
14, rue des Marteaux.
Il l’embrasse plus fort. Avec tendresse.
Elle habite rue des Marteaux, la petite chérie... On vient...
Il se relève.
Scène V
CLARA, GASTON, LE COMTE
LE COMTE, entrant. Il paraît très gêné en apercevant son neveu.
Tiens, Gaston ! Je venais chercher quelque chose... je ne sais plus quoi... Ça vous étonne un peu que je ne sois pas sorti. Il fait gris, il fait un peu gris.
GASTON, très gêné.
Je ne suis pas sorti non plus... pour la même raison. Parce qu’il fait un peu gris... Le cheval n’est pas agréable par ce temps-là. On peut recevoir une ondée.
LE COMTE.
C’est comme en break. On peut aussi recevoir une ondée.
GASTON.
Alors c’est la pleurésie.
LE COMTE.
Il vaut mieux ne pas risquer ça.
GASTON.
Oh ! certainement !
Scène VI
CLARA, GASTON, LE COMTE, LE VIEUX BARON entre par la gauche
LE COMTE.
Tiens, voilà votre grand-père !
GASTON, avec une déférence empressée.
Bonjour, mon grand-père !
LE VIEUX BARON, gêné.
Bonjour, mes amis, bonjour, mes amis. Non, non, je ne suis pas sorti... Que voulez-vous ? Ce n’est pas un temps à herboriser...
GASTON.
Ni à sortir à cheval.
LE COMTE.
Ni à aller en break.
GASTON.
Il est certain qu’il peut pleuvoir d’un instant à l’autre.
Silence.
LE VIEUX BARON, brusquement.
Allons, allons... Au revoir, mes amis.
GASTON.
Je m’en vais aussi.
LE COMTE.
Et moi donc ! Je n’ai rien à faire ici, absolument rien... Je m’en vais dans la bibliothèque.
Ils sortent par la gauche. Le comte sort à droite. Clara continue à travailler. Le comte rentre peu après.
Scène VII
CLARA, LE COMTE, puis NOËL
LE COMTE.
Je ne fais que passer rapidement et je m ‘en vais.
Il traverse et s’arrête à la porte de gauche.
Je ne fais que passer rapidement et je m’en vais... Car pour rien au monde je ne voudrais vous déranger dans votre travail... Je m’en vais... Je vais au château d’Aigrigny... Mais j’y songe.
Il s’approche d’elle.
Je pourrai à l’occasion indiquer votre nom pour des journées... Dans la conversation, ça se trouve. Et l’on peut rendre facilement des services à quelqu’un, surtout si la personne est digne d’intérêt... Il faudrait que j’aie... quelque chose... quelque chose comme une adresse de vous.
CLARA.
14, rue des Marteaux.
LE COMTE.
Très bien. Cela suffit. Cela suffit amplement. La rue des Marteaux se trouve entre la rue Bouchère et la rue Sérizier... Oui... Parce que si j’ai une réponse aujourd’hui au château... relativement à vous... je pourrais, au lieu de vous écrire, passer tout simplement chez vous... vous donner la réponse... C’est mon chemin, quand je vais à la ville. Je passe... le plus souvent... rue des Marteaux... C’est en somme ce qu’il y a de plus simple... Je passerai un matin sans façons.
CLARA.
C’est que je n’y serai peut-être plus très longtemps.
LE COMTE.
Vous allez déménager ?
CLARA.
C’est mon propriétaire qui me fait des misères. Je lui dois trois termes... deux cent quarante francs.
LE COMTE.
Je vais justement à la ville demain. J’irai vous voir vers onze heures.
Il lui caresse les cheveux.
Vous avez des cheveux d’une douceur extraordinaire. Je suis grand amateur de cheveux. Et ce qu’il y a de très bien, c’est que la peau de votre cou est aussi douce que vos cheveux. C’est extrêmement doux. J’ai d’ailleurs une particularité assez sérieuse, la moustache très douce aussi. On ne m’a l’a jamais rasée.
Il l’embrasse dans le cou.
CLARA.
Voici quelqu’un.
NOËL, entrant.
On demande mademoiselle dans la lingerie.
LE COMTE.
Ah ! Noël, je vous cherchais... J’avais perdu...
NOËL.
Qu’est-ce que monsieur le comte avait perdu ?
LE COMTE, troublé.
Je ne sais plus...
S’emportant.
C’est extraordinaire que tout s’égare ainsi !
Sort Clara par la porte de droite, premier plan.
NOËL.
Je vais chercher, monsieur le comte.
LE COMTE, sèchement.
Non, c’est bon. Laissez-moi.
Sort Noël.
LE COMTE, seul.
Allons ! Allons ! Deux cent quarante francs ! C’est une bagatelle !
Regardant la fenêtre.
Ç’a toujours été pour moi un grave problème... de savoir... si du bâtiment en face... on pouvait voir à travers ces rideaux.
Entre Gaston.
Scène VIII
LE COMTE, GASTON
LE COMTE, gêné.
Oui, oui, je suis encore là. Le temps s’est un peu remis, me direz-vous... Mais il ne faut pas s ‘y fier !
GASTON.
Oh ! non ! Oh ! non ! Il ne faut pas s’y fier !... C’est ce que je me suis dit.
LE COMTE.
Je viens lire mon journal ici
Insistant.
pendant que l’ouvrière n’y est pas.
GASTON.
Oui, moi aussi, je venais lire ici... parce que le jour est meilleur... et parce que je pensais bien que l’ouvrière n’y était plus.
LE COMTE.
Oui, oui.
Silence.
GASTON.
Mon bon oncle, j’ai un aveu à vous faire. Hier... figurez-vous que j’ai joué à l’écarté avec le petit d’Aigremont ?... La partie s’est animée... Et j’ai perdu... une somme que je voudrais lui rendre.
LE COMTE.
Quelle somme ?
GASTON, après un moment d’hésitation.
Deux cent quarante francs.
LE COMTE, surpris.
Ah !
GASTON.
Vous trouvez que c’est beaucoup ?
LE COMTE, un peu songeur.
Non, non. Ce sont folies de jeunesse.
Tirant de sa poche des billets et de l’or.
Voilà deux cents... et quarante francs.
GASTON, à part.
Il est très facile aujourd’hui. J’aurais dû demander davantage. Mais il n’est pas digne d’un gentilhomme de mentir au delà du nécessaire.
Haut.
Merci mille fois, mon bon oncle.
Scène IX
LE COMTE, GASTON, LE VIEUX BARON
LE VIEUX BARON, entrant par la porte de droite premier plan.
C’est vous que je cherche, mon gendre. J’aurais un mot à vous dire. Je vous ai remis l’autre jour de l’argent en dépôt. Et je n’ai rien gardé pour moi. Or je viens de recevoir une lettre d’un fermier... à qui je dois envoyer... deux cent quarante francs.
LE COMTE, surpris.
Ah !
LE VIEUX BARON.
Oui, je vais vous expliquer. C’est pour l’achat d’une machine aratoire, une herse nouvelle...
LE COMTE.
Mais, mon beau-père, je ne vous demande aucune explication. Cet argent est à vous...
LE VIEUX BARON.
Oui... je sais... mais je tiens à vous dire... Mon fermier de Sérifontaine a besoin pour la culture d’un pré... Alors... n’est-ce pas ?
LE COMTE.
Oui, oui. C’est une petite affaire.
LE VIEUX BARON.
Les machines agricoles rendent de si grands services !
LE COMTE.
Oui, et puis deux cent quarante francs, ce n’est pas une somme considérable.
LE VIEUX BARON.
N’est-ce pas ? C’est une somme très raisonnable...
LE COMTE.
C’est une bagatelle. Faut-il que je fasse envoyer la somme directement à votre fermier par mon homme d’affaires ?
LE VIEUX BARON.
...Non... non... je ferai moi-même cette expédition en allant à la ville. Je vais précisément demain à la ville... À propos... c’est pour une commission pour un ami... croyez-vous que j’y trouverai des caleçons en soie bleu ciel ?
LE COMTE.
Je ne pourrais pas vous dire.
GASTON, à la fenêtre.
Voilà ma tante qui revient. Elle descend de voiture.
Très ennuyé.
Oh ! oh ! Elle va être étonnée de me trouver ici.
Il sort par la gauche.
LE VIEUX BARON, de même.
J’avais dit que j’irais herboriser.
Il sort par la gauche.
LE COMTE, de même.
Non, non. Sa grande surprise, c’est que je sois resté ici... J’avais dit que j’irais en break.
Il sort par la gauche. La comtesse entre par la droite premier plan avec Noël.
Scène X
LA COMTESSE, NOËL
LA COMTESSE, à mi-voix, à Noël.
Vous direz à la femme de chambre qu’elle donne son dû à cette lingère et qu’elle la mette tout de suite à la porte... Je viens de la trouver dans la lingerie en train d’embrasser le groom dans le cou. C’est un scandale épouvantable... Où sont donc ces messieurs ?
NOËL, ouvrant la porte à gauche, et regardant, à la cantonade.
Ces messieurs sont là, dans la galerie, à regarder les tableaux.
LA COMTESSE.
Quel goût subit pour la peinture !... Ils ne les regardent jamais d’ordinaire. Dites-leur devenir ici.
Noël sort par la gauche. La comtesse marche avec agitation.
Scène XI
LA COMTESSE, LE VIEUX BARON, LE COMTE, GASTON
LE VIEUX BARON, rentrant.
Non, non. Je ne suis pas sorti.
LE COMTE, rentrant.
Je ne suis pas sorti.
GASTON, rentrant.
Je ne suis pas sorti.
LA COMTESSE.
Je le vois bien... Eh bien, j’en ai appris de belles ! Il s’est passé de jolies choses en mon absence avec cette lingère.
Le vieux baron s’affaisse sur un fauteuil.
Qu’est-ce que vous avez, mon père ?
LE VIEUX BARON.
Mes douleurs de reins... Je ne sais pas ce que j’ai aujourd’hui... Ma tête se brouille un peu... Et quand ma tête se brouille, je fais sans m’en douter toutes sortes d’excentricités sans m’en rendre compte. J’ai peut-être fait aujourd’hui... certaines de ces excentricités. Il ne faudrait pas m’en vouloir.
LA COMTESSE.
Que dites-vous là, mon père ? On vous sait incapable de commettre aucune excentricité. On vous sait digne de tous les respects. Aussi ne vous étonnez pas si je fais respecter le toit où vous habitez. Je crois qu’Ogier pensera de même.
LE COMTE, embarrassé.
Allons ! Allons ! madame ! n’exagérons rien ! Nos pères n’attachaient pas une grande importance à ces gaillardises. Une fille que l’on cajole !
Confidentiellement.
Et croyez-vous qu’il soit bon, à l’heure où la noblesse est tant attaquée, de faire éclat de ces peccadilles ?
LA COMTESSE.
Est-ce vous, Ogier, qui tenez un pareil langage ? Vous si austère, si rigoureux de principes ? Étonnement du comte qui prend un air très digne.
GASTON, s’approchant humblement.
Ma tante, j’ai vingt-deux ans.
LA COMTESSE.
Je le sais.
GASTON.
J’ai vingt-deux ans. Un jeune homme à la campagne a toutes les excuses. Et ce n’est pas impunément, quand se présente une aimable fille...
LA COMTESSE.
Non, Gaston, ne contraignez pas votre âme, que je sais si pudique, à tolérer de pareils écarts. N’essayez pas de disculper ce domestique. Il quittera la maison.
TOUS.
Ce domestique !
LA COMTESSE.
Mais au fait, je ne vous ai rien raconté.
TOUS, vivement.
Mais non, vous n’avez rien raconté.
LA COMTESSE.
Eh bien, j’ai surpris cette lingère en train d’embrasser le groom dans le cou !
LE COMTE et GASTON.
Ah ! Ah !
LE VIEUX BARON.
Voyez-vous ça !
LA COMTESSE.
Je n’ai pas besoin de vous dire que j’ai renvoyé cette fille immédiatement... Ah ! Ogier ! J’oubliais ! Votre ami d’Aigrigny est à la porte du parc. Il vous attend pour vous montrer ses deux chevaux hollandais.
Scène XII
LA COMTESSE, LE VIEUX BARON, LE COMTE, GASTON, NOËL
NOËL, entrant.
Un de ces messieurs a sonné ?
GASTON.
C’est moi. Vous direz qu’on aère un peu la salle d’armes.
Avec rage.
Je vais descendre plastronner pendant trois heures.
LE VIEUX BARON, éperdument.
Je vais herboriser jusqu’à la nuit.
LE COMTE, tristement.
Je m’en vais jusqu’à la porte du parc voir les chevaux de monsieur d’Aigrigny.
NOËL.
Que monsieur le comte ne se dérange pas. Monsieur d’Aigrigny n’est plus à la porte du parc.
LE COMTE, surpris.
Il n’y est plus ?
NOËL.
Il y était tout à l’heure... au moment où la lingère est sortie. Monsieur d’Aigrigny l’a regardée, lui a dit quelques mots. Elle est montée sur le siège. Et tous deux sont partis rapidement sur le chemin de la ville.
LE COMTE, LE VIEUX BARON et GASTON, hochant tristement la tête.
14, rue des Marteaux...