Un Petit-fils de Mascarille (Henri MEILHAC)

Comédie en cinq actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 8 octobre 1859.

 

Personnages

 

RONCERAY

CLAVAROT, commerçant retiré

MAUROY, manufacturier

GEORGES, fils de Clavarot

FRASQUIN

JEAN, domestique de Philiberte

BAPTISTE, domestique de Clavarot

VALENTINE, femme de Clavarot

GABRIELLE, fille de Clavarot

PHILIBERTE

MADAME BOQUET, portière

 

La scène se passe à Paris, de nos jours.

 

 

ACTE I

 

Un salon richement meublé. Portes à gauche, cheminée et porte à droite, trois fenêtres au fond, canapé à droite, table à gauche.

 

 

Scène première

 

VALENTINE, GEORGES

 

GEORGES, entrebâillant la première porte de gauche en y passant sa tête.

Chut ! c’est moi.

VALENTINE.

C’est toi qui prends toutes ces précautions pour entrer ?

GEORGES.

Oui, petite maman, j’ai su que tu étais arrivée hier soir avec ma sœur. Je n’ai pas pu y tenir, j’ai voulu vous embrasser toutes les deux et je suis venu en cachette.

VALENTINE, en l’embrassant.

Ce que l’on m’a dit est donc vrai. Tu l’es querellé avec ton père et tu as quitté la maison.

GEORGES.

Oui, je l’ai quittée huit jours après votre départ ; depuis, je n’y ai pas remis les pieds.

VALENTINE.

À propos de quoi, cette querelle ?

GEORGES.

Papa n’est pas raisonnable ; il ne comprend pas la jeunesse, et il veut m’empêcher de jeter ma sève.

VALENTINE, riant.

Qu’est-ce que c’est que ça ? et que fais-tu maintenant ?

GEORGES.

Je fais de la littérature.

VALENTINE.

De la littérature ?

GEORGES.

Oui.

VALENTINE.

Il me semblait que pour écrire il fallait des études spéciales... Je ne veux pas te dire de choses désobligeantes ; mais au collège tu étais assez régulièrement dans les dix derniers, et il l’a fallu de la patience pour être reçu bachelier.

GEORGES.

Cela seul prouve que je puis devenir un homme remarquable. Jamais les forts en thème ne sont arrivés à rien. Il est démontré aujourd’hui qu’il suffit de ne rien avoir étudié quand on était enfant pour tout savoir quand on est homme.

VALENTINE.

Je ne l’aurais pas cru ; mais où écris-tu donc ? je n’ai vu ton nom nulle part.

GEORGES.

Oh ! j’ai pris un pseudonyme. Mes articles sont signés vicomte de la Renardière... Cela fait très bien.

VALENTINE.

Vicomte de la Renardière... je ne connais pas.

GEORGES.

C’est un nom qui commence à devenir célèbre dans un certain monde.

VALENTINE.

Et tu gagnes de l’argent, sans doute ?

GEORGES.

Oh ! beaucoup !

VALENTINE.

Et moi qui avais pris un billet de cinq cents francs pour te le donner. Il paraît que c’est inutile.

GEORGES.

Oh ! donne toujours ; je m’occupe maintenant d’un ouvrage de longue haleine, et ces cinq cents francs me permettront de le terminer sans être obligé de demander des avances à mes éditeurs.

VALENTINE.

Tenez, monsieur l’homme célèbre.

Elle lui donne le billet.

GEORGES.

Merci.

VALENTINE.

Ce qui m’inquiète le plus pour toi, c’est le monde que tu as, sans doute, pris l’habitude de voir. Promets-moi de ne jamais avoir recours à de certains expédients, et ne crains pas de l’adresser à ta belle-mère, si tes éditeurs te font trop attendre.

GEORGES.

Je te le promets.

VALENTINE.

Est-ce que la sœur ne sait pas que tu es ici ?

GEORGES.

Si fait, j’ai dit à Baptiste de la prévenir.

Entre Gabrielle par la droite.

 

 

Scène II

 

VALENTINE, GEORGES, GABRIELLE

 

GABRIELLE.

Georges !

GEORGES.

Gabrielle !

Ils s’embrassent.

GABRIELLE.

Que tu es gentil d’être venu nous voir tout de suite.

GEORGES.

Chère petite sœur ! hum... j’entends du bruit, papa ne viendra pas nous surprendre, au moins ?

GABRIELLE.

Non, Baptiste s’est mis à la fenêtre, il t’avertira dès qu’il l’a percevra. Notre père est donc fâché contre toi ?

GEORGES.

Il y a des points sur lesquels nous ne nous entendons pas.

GABRIELLE.

Il te pardonnera.

GEORGES.

Oh ! oh ! me pardonner !

VALENTINE.

Il n’y a pas de oh ! il faudra que tu reviennes ici ; si tu n’y revenais pas, on dirait que je suis une belle-mère comme il y en a beaucoup, et que c’est à cause de moi que tu as quitté la maison de ton père.

GEORGES.

Celui qui dirait ça...

GABRIELLE, à Valentine.

Peux-tu avoir de parcelles idées ? Ne sais-tu pas que nous t’aimons autant que nous pourrions aimer notre mère, si elle était encore pris de nous ?

GEORGES.

Certes !

VALENTINE.

Je le sais, Georges ! aussi j’espère que tu ne refuseras pas de revenir, puisque je te dis que cela me sera agréable.

GEORGES.

Eh bien ! je reviendrai quand j’aurai fait un chef-d’œuvre, mon père sera bien forcé alors d’avouer qu’il m’a méconnu.

VALENTINE.

Ce délai me paraîtrait assez inquiétant ; heureusement il se prépare une circonstance qui nécessitera une réconciliation.

GEORGES.

Comment ?

Entre Baptiste de la droite ; il sort par la première porte à gauche.

LE DOMESTIQUE.

Monsieur Georges, voilà monsieur votre père !

GEORGES.

Ah ! je me sauve. Adieu, adieu, Gabrielle !

GABRIELLE.

À bientôt !

GEORGES.

Oui, oui... à bientôt !

Il se sauve par la gauche.

 

 

Scène III

 

VALENTINE, GABRIELLE

 

VALENTINE.

Ton frère est bien le plus grand écervelé...

GABRIELLE.

De quelle circonstance veux-tu donc parler ? tu viens de dire qu’il se préparait une circonstance...

VALENTINE.

Voilà de la belle et bonne hypocrisie ; tu sais aussi bien que moi de quoi il s’agit.

GABRIELLE.

C’est donc de mon mariage ?

VALENTINE.

Oui, le père de Lucien viendra aujourd’hui en parler à ton père. Cela te fait sourire... tu l’aimes donc bien ? Tu as raison, Lucien est un charmant garçon et il l’aime beaucoup, lui aussi...

GABRIELLE.

Tu en es sûre, n’est-ce pas ?

VALENTINE.

J’en suis sûre... Pourquoi donc, tout à l’heure, n’es-tu pas venue plus vite embrasser ton frère ?

GABRIELLE.

J’avais, ce matin, chargé Ursule de savoir ce qu’était devenue cette vieille dame qui vit avec sa fille et qui est si malheureuse, tu sais, madame Duvernois. Ursule était justement en train de me rendre réponse, quand Baptiste est venu me prévenir.

VALENTINE.

Et quelle était cette réponse ?

GABRIELLE.

Le plaisir de voyager m’a fait oublier mes pauvres. J’ai eu tort, ces deux dames sont plus malheureuses que jamais ; elles ont été forcées de quitter le misérable appartement qu’elles occupaient, maintenant elles logent dans une mansarde. Madame Duvernois est toujours malade, sa fille la soigne, mais elles manquent de tout.

VALENTINE.

Pauvres gens !

GABRIELLE.

Si tu étais bonne, tu me permettrais de sortir avec Ursule et de leur porter quelques secours.

VALENTINE.

Mais, certainement, chère enfant.

Entre Clavarot par la gauche, deuxième porte.

 

 

Scène IV

 

VALENTINE, CLAVAROT, GABRIELLE

 

CLAVAROT.

Je ne me suis pardieu pas trompé, c’est ce vaurien de Georges qui sort d’ici.

VALENTINE.

Oui, mon ami.

CLAVAROT.

Vous vous liguez avec lui contre moi, vous le recevez en cachette.

VALENTINE.

Georges a voulu embrasser sa sœur.

CLAVAROT.

Il a bien fait de ne pas m’attendre.

GABRIELLE.

Voyons, père, je ne veux pas que tu grondes le jour de notre retour.

CLAVAROT.

Toi, tu es une bonne fille, mais ton frère est un drôle.

À Valentine.

Je suis sûr que tu lui as donné de l’argent.

VALENTINE.

Sans doute.

CLAVAROT.

Tu as eu tort, il faut le réduire par la famine.

VALENTINE.

Avant d’être réduit par la famine, il fera des dettes, et c’est ce qu’il faut éviter.

CLAVAROT.

Je parierais qu’il va jeter cet argent... Il se porte bien au moins ?

VALENTINE.

Il se porte très bien.

CLAVAROT.

Quel garnement ! Heureusement si j’ai un fils qui ne vaut pas le diable, j’ai une fille

En riant.

qui ne vaut guère mieux. Là, venez donc toutes les deux... C’est tout au plus si j’ai eu le temps de vous embrasser hier soir. Vous tombiez de fatigue et j’ai voulu vous laisser dormir.

VALENTINE.

Mon ami...

CLAVAROT.

As-tu été contente d’elle pendant le voyage, s’est-elle amusée ?

GABRIELLE.

Ah ! beaucoup, père, surtout en revenant.

VALENTINE.

Monsieur Mauroy nous a conduites près de l’endroit où travaille son fils.

CLAVAROT.

Ah ! oui, je sais. Est-ce que vous êtes restées longtemps à Anzin ?

VALENTINE.

Nous y sommes restées trois jours.

CLAVAROT.

Trois jours seulement ?

VALENTINE.

Oui. Nous y serions restées plus longtemps si tu ne nous avais pas écrit de revenir ; je t’avoue que ta lettre m’a fort intriguée et que je n’y ai pas compris grand chose.

CLAVAROT.

Je vais t’expliquer maintenant ce que je n’ai pas pu le dire dans ma lettre... Laisse-nous, Gabrielle, tes excellents parents ont à causer de choses graves, laisse-nous.

VALENTINE.

Va, mon enfant.

Gabrielle sort par la droite.

 

 

Scène V

 

VALENTINE. CLAVAROT

 

CLAVAROT, adossé à la cheminée.

Ainsi le fils de Mauroy ne vous a guère quittées perdant cos trois jours que vous avez passés à Anzin ?

VALENTINE, assise sur le canapé.

Il nous a donné tout le temps dont il pouvait disposer.

CLAVAROT.

Et Gabrielle avait du plaisir à l’écouter ?

VALENTINE.

Beaucoup de plaisir, je crois.

CLAVAROT.

Il est probable que Mauroy voyant cela t’aura dit certaines choses, aura risqué certaines allusions.

VALENTINE.

Mais des allusions très transparentes, mon ami, les projets dont il me parlait ne sont-ils pas des projets arrêtés depuis longtemps ?

CLAVAROT.

Si fait... si fait...

VALENTINE, en souriant.

Tu n’as pas, je suppose, l’intention de revenir sur ce qui est convenu ?

CLAVAROT.

Hum !...

VALENTINE.

Tu ne réponds pas ?...

CLAVAROT.

Décidément j’ai eu tort, quand vous avez eu envie de faire ce voyage, de prier Mauroy de vous accompagner, mais je ne pouvais pas prévoir ce qui est arrivé.

VALENTINE.

Il est donc arrivé quelque chose ?

CLAVAROT.

Un événement immense, ma bonne amie, un événement du quel peut dépendre ma fortune politique.

Il s’assied sur le canapé.

VALENTINE.

Comment, ta fortune politique !

CLAVAROT.

Eh ! oui, tu n’ignores pas que j’ai de l’ambition et que je ne veux pas que tu sois la femme d’un homme ordinaire.

VALENTINE.

À mon départ, tu m’avais promis de renoncer...

CLAVAROT.

Ne me gronde pas. C’est pour être libre et pour faire des démarches tout à mon aise que j’ai jugé à propos de rester à Paris pendant que vous alliez avec Mauroy vous promener sur les bords du Rhin. J’avoue que dans les premiers temps ces démarches n’ont pas été fort heureuses. Il m’a quelquefois été difficile de ne pas m’apercevoir qu’on se moquait de moi.

VALENTINE.

Mon pauvre ami...

CLAVAROT.

J’allais perdre patience et tout donner au diable quand un heureux hasard me fit faire la connaissance de

Avec importance.

monsieur Ronceray.

VALENTINE.

Monsieur Ronceray ?

CLAVAROT.

Oui, Ronceray ! Est-ce que tu ne le rappelles pas ce nom-là ?

VALENTINE.

Moi ? pas du tout.

CLAVAROT.

Il croit te connaître pourtant et être connu de toi.

VALENTINE.

Quel homme est-ce que ce monsieur Ronceray ?

CLAVAROT.

C’est un homme qui a la plus heureuse physionomie que j’aie jamais rencontrée. Il sourit à tout le monde et tout le monde lui sourit.

VALENTINE.

Comment l’as-tu connu ?

CLAVAROT.

En lui prêtant ma lorgnette.

Ils se lèvent et descendent.

VALENTINE.

Hein !...

CLAVAROT.

Je l’ai aperçu pour la première fois à l’Opéra dans un entr’acte ; c’était quelques jours après la scène que ce brigand de Georges... Ronceray se tenait debout dans le couloir de l’orchestre. Je fus tout d’abord frappé du nombre prodigieux de poignées de main qu’il donna et reçut. Je reconnus des gens très haut placés qui, en passant près de lui, lui parlèrent avec beaucoup de familiarité. Assurément, me disais-je, mon affaire serait en bon chemin si je pouvais me lier avec un pareil personnage. Juge de ma surprise, de ma joie, quand l’entr’acte fini, Ronceray vint justement s’asseoir dans la stalle qui était près de la mienne. Je lui prêtai ma lorgnette et la conversation s’engagea. Il est fort amusant, je l’amenai adroitement sur le chapitre des connaissances illustres qu’il paraissait avoir. Il me répondit que ce que j’avais vu n’était rien et qu’il n’y avait pas un homme puissant en France dont il ne fût l’ami intime. À la fin de la pièce, nous étions liés. Nous sortîmes de l’Opéra ensemble et il me reconduisit chez moi dans sa voiture.

VALENTINE.

Il est riche ?...

CLAVAROT.

Non, mais c’est un homme qui a des idées prodigieuses et qui sera riche le jour où il le voudra bien. Le lendemain, je lui parlai tout doucement de mon affaire, je lui dis quelle était mon ambition ; il m’arrêta tout net, me déclarant que cela pré sentait de grandes difficultés. Les autres m’avaient affirmé que rien n’était plus simple et que la chose irait toute seule. Tu vois déjà ce que cela prouve.

VALENTINE.

Qu’est-ce que cela prouve ?

CLAVAROT.

Pardieu ! cela prouve que les autres étaient des intrigants, tandis que Ronceray est un honnête homme.

VALENTINE.

Ah !

CLAVAROT.

Pourtant, il ajouta qu’il ne fallait pas désespérer... Il connaissait justement le duc d’Amfreville, qui est ministre et de qui la chose dépend ; de plus, le neveu de Son Excellence était son meilleur ami... Il me promit de leur parler de moi. Il s’engagea à me tenir au courant de toutes les conversations qu’il aurait en haut lieu et dans lesquelles il serait question de moi. Il m’a tenu parole et j’ai pris l’habitude de le voir tous les jours.

VALENTINE.

Tous les jours ?

CLAVAROT.

Oui, nous ne pouvons pas nous passer l’un de l’autre. Peu à peu, il se familiarisa, il me parla de lui à son tour ; il ne me cacha pas que sa situation présente était plus brillante que solide. Sans me faire une confession générale, il m’avoua que son passé avait été orageux. Cette irrégularité de sa position venait surtout de l’irrégularité de sa famille qui, disait-il, était faite de pièces et de morceaux.

VALENTINE.

Oh ! mon ami !

CLAVAROT.

Il s’exprime très bien, tu l’entendras du reste, et, quand tu l’auras entendu, tu me diras ce que tu penses de lui.

VALENTINE.

Ce que je puis te dire tout de suite, c’est que je trouve que tu t’es lié un peu vite avec cet homme, il me semble que tu le connais bien superficiellement.

CLAVAROT.

J’ai eu le temps de l’étudier.

VALENTINE.

Il t’aura demandé quelque service sans doute ? ne me dis pas non... Je suis sûre qu’il t’a demandé...

CLAVAROT.

Dame, tu comprends bien, un homme qui va me faire obtenir... il est tout naturel...

VALENTINE.

Il faut prendre garde. Tu es fort riche et tu n’es guère occupé... Cela suffit pour que tout ce qu’il y a d’aventuriers à Paris...

CLAVAROT.

Un aventurier, lui ! Je l’ai parlé de ses relations... le moyen d’admettre que des gens si haut placés honoreraient de leur estime, de leur amitié, un homme qui n’en serait pas digne ?

VALENTINE.

C’est justement de cette amitié, de cette estime, qu’il faudrait avoir des preuves certaines. Tu m’as avoué que tu avais été trompé plusieurs fois. Il importe de savoir si tu n’as pas tout bonnement affaire à un intrigant plus habile que les autres. Tout ce que tu sais de son crédit, c’est par lui que tu le sais. Ce duc, ce ministre, tu ne l’as jamais vu, tu ne lui as jamais parlé.

CLAVAROT.

Non, mais je suis bien sûr...

VALENTINE.

Si vraiment monsieur Ronceray est son ami intime, il te donnera très facilement une preuve de cette intimité, soit en te faisant obtenir une audience, soit autrement, je ne sais pas moi.

CLAVAROT.

Ma conviction est absolue ; cependant, pour l’être agréable, je lui demanderai cette preuve.

VALENTINE.

Tu feras bien.

CLAVAROT.

Je suis sûr qu’il me la donnera tout de suite.

VALENTINE.

C’est ce que nous verrons. Maintenant, occupons-nous un peu de Gabrielle.

CLAVAROT.

De Gabrielle ?

VALENTINE.

Oui, monsieur Mauroy viendra ici tout à l’heure.

CLAVAROT.

Je serai enchanté de le voir.

VALENTINE.

Il te parlera sans doute du mariage.

CLAVAROT, ne répondant pas.

Comment là... tu ne te rappelles pas ?... Ronceray ?... Il ne te rappelles pas ce nom-là ?

VALENTINE.

Moi, pas du tout...

CLAVAROT.

Cherche bien !

VALENTINE.

Mais... j’ai beau chercher...

CLAVAROT.

C’est singulier... d’autant plus singulier que, comme je te l’ai dit, il croit te connaître... et même te connaître assez pour t’a dresser une demande et pour être sûr...

VALENTINE.

Une demande ?

CLAVAROT.

Oui, et une demande fort sérieuse, ma foi...

VALENTINE.

J’avoue que tu m’intrigues singulièrement.

LE DOMESTIQUE.

Monsieur Ronceray.

CLAVAROT.

Le voici justement, j’ai tenu à te le présenter tout de suite et nous allons savoir...

 

 

Scène VI

 

RONCERAY, CLAVAROT, VALENTINE

 

RONCERAY.

Bonjour, cher ami !...

VALENTINE, à part.

Mon Dieu !

CLAVAROT.

Valentine, monsieur Ronceray.

RONCERAY.

Madame.

VALENTINE, à part.

Lui ! c’est bien lui !

RONCERAY.

J’ai appris votre retour par monsieur Clavarot, madame, et je n’ai pas voulu perdre un moment pour vous être présenté.

VALENTINE.

Monsieur.

CLAVAROT.

Eh bien ! te rappelles-tu, maintenant ?

VALENTINE, très émue.

Oui, je me rappelle avoir connu monsieur, autrefois...

RONCERAY.

Vous devez me trouver un peu changé, madame, et changé en bien, car vous m’avez connu fort malheureux ; ma position s’est améliorée, je dois cela, moins à mon mérite qu’à la bonté de plusieurs personnages puissants qui ont bien voulu s’intéresser à moi.

CLAVAROT.

Tu entends ?

VALENTINE, à part.

Lui ici !

Haut.

Vous me pardonnerez, monsieur, mais je suis arrivée hier seulement et je suis encore accablée de fa ligue.

CLAVAROT.

En effet, tu es d’une pâleur !

VALENTINE.

Ce n’est rien, mon ami ; monsieur...

RONCERAY.

Madame...

Valentine sort par la droite.

 

 

Scène VII

 

CLAVAROT, RONCERAY

 

CLAVAROT.

Quand avez-vous connu ma femme ?

RONCERAY, il met son chapeau sur le canapé.

Il y a une dizaine d’années, je l’ai connue chez sa mère.

Ils s’asseyent à droite sur des sièges.

CLAVAROT.

Une femme bien imprudente que la mère et qui a été cause que de méchants bruits ont couru sur la fille.

RONCERAY.

Des bruits absurdes, mon cher monsieur, et tout à fait faux.

CLAVAROT.

Valentine n’a pas besoin d’être défendue ; quand je l’ai épousée, je savais bien ce que je faisais. Il y a sept ans qu’elle est ma femme, il ne s’est pas, depuis sept ans, passé un jour où je ne me sois félicité de l’avoir choisie.

RONCERAY.

En rendant spontanément justice à madame Clavarot, je n’ai certes pas eu l’intention...

CLAVAROT.

Je ne vous en veux pas. Ah çà ! dites donc, il paraît que lorsque Valentine vous a connu, vous ne vous trouviez pas dans une situation très florissante.

RONCERAY.

Je vous suis fort obligé de vous servir de cette expression adoucie. Vous pourriez dire que je me trouvais dans une situation tout à fait misérable.

CLAVAROT.

Vraiment ?

RONCERAY.

La misère est un vice ou une vertu. Elle n’a pas été un vice pour moi, j’ai été aussi malheureux qu’on peut l’être, je n’en rougis pas, je ne m’en plains pas non plus, il faut cela pour parvenir.

CLAVAROT.

Par exemple !

RONCERAY.

Sans doute ; il n’y a rien de tel que des bottes qui prennent l’eau pour vous donner envie d’avoir une voiture. Je vous citerai des gens qui sont arrivés à une position très élevée et qui n’eussent jamais songé à être ambitieux si ça ne les avait ennuyés de ne pas avoir de feu au mois de janvier... L’ambition est fille de la nécessité... César qui était né riche, l’a si bien compris qu’il a commencé par se ruiner radicalement afin d’être forcé de devenir quelque chose.

CLAVAROT.

Vous prétendez que pour arriver il est nécessaire de...

RONCERAY.

De ne rien avoir du tout... certainement.

CLAVAROT, se levant.

Je regrette bien alors que mon père m’ait laissé quelque chose autrefois. Si j’étais parti de rien, peut-être me serais-je élevé plus haut.

RONCERAY.

Oh ! vous irez loin, vous. Qui sait où vous vous arrêterez ? Son Excellence me parlait encore de vous hier aux Italiens.

Il s’est levé.

CLAVAROT.

Son Excellence a daigné...

RONCERAY.

Je lui ai annoncé que vous faisiez revenir votre fille à Paris. Je n’ai pas caché la joie que me causait son retour.

CLAVAROT.

Son Excellence sait que vous connaissez ma fille ?

RONCERAY.

Que j’ai eu le plaisir de la rencontrer dans plusieurs soirées, et que je la trouve charmante. Est-ce que vous avez parlé à madame Clavarot ?

CLAVAROT.

Du mariage ?

RONCERAY.

Oui.

CLAVAROT.

Je ne lui en ai pas parlé, puisqu’il était convenu que vous lui en parleriez vous-même. Je lui ai demandé si elle se rappelait votre nom ; peut-être si elle m’avait répondu oui me serais-je décidé, mais...

RONCERAY.

Elle vous a répondu qu’elle ne se le rappelait pas du tout.

CLAVAROT.

Justement.

RONCERAY.

Après dix ans, cela s’explique... Soyez tranquille, je ferai ma demande moi-même.

CLAVAROT.

Oh ! j’ai peur que la chose ne marche pas toute seule ; vous savez que j’avais presque donné ma parole à un de mes amis, monsieur Mauroy ; ma fille était promise à son fils Lucien.

RONCERAY.

Un charmant garçon ; je l’ai connu.

CLAVAROT.

Un charmant garçon, qui a fait des bêtises !

RONCERAY.

Eh ! mon Dieu ! qui est-ce qui n’a pas dans sa jeunesse... Moi-même, allez...

CLAVAROT.

Valentine aime beaucoup Lucien, et je crains qu’elle ne renonce pas facilement.

RONCERAY.

J’espère pourtant la décider.

CLAVAROT.

Quant à moi, vous savez ce que je vous ai dit : je juge la position d’un coup d’œil, et je serai enchanté d’avoir pour gendre un homme tel que vous.

RONCERAY.

Moi, de mon côté, je serai ravi d’entrer dans votre famille ; seul, je ne puis rien, mais une fois appuyé sur la famille, sur la vraie, sur la seule famille, sur la famille bourgeoise, Dieu sait où j’arriverai.

CLAVAROT.

À tout.

RONCERAY.

C’est justement ce que me disait le ministre hier aux Italiens, au moment où je lui annonçais que votre intention était de hâter mon mariage.

CLAVAROT.

En effet.

RONCERAY.

« Tant mieux ! » a répondu Son Excellence, « que nous ayons vite l’occasion d’accorder à monsieur Clavarot la faveur qu’il demande. »

CLAVAROT.

Et à laquelle j’ai peut-être quelques droits ; vous lui avez dit... ?

RONCERAY.

Je n’ai pas laissé ignorer au ministre que vous aviez été parfumeur, et que vous vous étiez retiré avec une grande for tune. « Cela se trouve à merveille, » a-t-il dit, « nous avons besoin d’hommes capables. »

CLAVAROT.

Le ministre a dit cela ?

RONCERAY.

Cela et bien d’autres choses encore. Il vous tient en haute estime et se réserve du reste le plaisir de vous dire lui-même ce qu’il pense de vous une fois que je serai votre gendre.

CLAVAROT.

Ah ! une fois que vous serez...

RONCERAY.

Naturellement !

CLAVAROT.

C’est que je voulais justement vous demander... j’avais envie... Est-ce que vous ne pourriez pas un de ces jours me mettre en présence du ministre ?

RONCERAY.

Avant le mariage ?

CLAVAROT.

Oui... avant le...

RONCERAY.

Et pourquoi faire ?...

CLAVAROT.

Mais je voudrais lui parler de ma demande.

RONCERAY.

Il en a la tête rebattue de votre demande. Je lui en parle tous les jours.

CLAVAROT.

Cela ne fait rien, je voudrais lui en parler un peu moi même.

RONCERAY.

Vous vous défiez du zèle que je mets à vous servir ?

CLAVAROT.

Moi, pas du tout ; mais, me trouver en face d’un ministre, cela ne vous fait rien à vous, mais à moi... Parler à une Excellence, m’entendre dire par une Excellence le quart de ce que vous venez de me répéter ! Oh ! ce serait un bonheur à me rendre fou !

RONCERAY.

Eh bien ! c’est une affaire entendue !

CLAVAROT.

Je verrai le ministre ?

RONCERAY.

Non, vous ne le verrez pas.

CLAVAROT.

Comment ?

RONCERAY.

Son Excellence n’a pas une minute à donner... Voyons... vous, monsieur Clavarot, est-ce que si vous étiez ministre vous riez comme cela, pour faire plaisir au premier venu ?... Allons donc, il faut être raisonnable ; vous ne verrez pas le ministre, mais vous verrez son neveu.

CLAVAROT.

Son neveu ?

RONCERAY.

Oui, son neveu, le comte de Tersac, un jeune homme du plus grand mérite. Je vous ai souvent parlé de lui ; il occupe une position très importante, et n’a rien à me refuser.

CLAVAROT.

Je verrai le neveu de Son Excellence.

RONCERAY.

Êtes-vous content ?

CLAVAROT.

Et je pourrai lui parler de mon affaire ?

RONCERAY.

Tant qu’il vous plaira.

CLAVAROT.

Ah ! mon ami ! et quand le verrai-je ?

RONCERAY.

Mais dans deux heures, si vous voulez.

CLAVAROT.

Sitôt !

RONCERAY.

Vous étiez si pressé tout à l’heure.

CLAVAROT.

C’est que je n’ai jamais parlé au neveu d’une Excellence, et que comme cela... à l’improviste... je serai peut-être un peu embarrassé.

RONCERAY.

Ne craignez rien... vous allez vous habiller.

CLAVAROT.

Je vais me faire superbe.

RONCERAY.

Tout à l’heure, je viendrai vous prendre, nous irons d’abord chez moi, et là, je vous donnerai quelques conseils... Nous préparerons quelques phrases... Est-ce entendu ?

CLAVAROT.

C’est entendu ; j’ai envie d’emporter deux ou trois pétitions que j’ai là, toutes prêles, et un mémoire que j’ai rédigé.

RONCERAY.

Emportez tout ce que vous voudrez.

CLAVAROT.

Ah ! mon ami, vous êtes un homme charmant, et jamais je ne me pardonnerais d’avoir eu contre vous un instant de défiance.

RONCERAY.

Cela vous est arrivé, cependant.

CLAVAROT.

À moi ! pas du tout.

RONCERAY.

Voyons, entre nous, avouez que madame Clavarot n’était pas très bien disposée pour moi ?

CLAVAROT.

Mon Dieu ! elle ne m’a rien dit de positif.

RONCERAY, allant prendre son chapeau.

Mais elle vous a dit quelque chose. Cela n’a rien d’étonnant, après tout, puisqu’elle ne se souvenait pas de moi. Maintenant elle sait qui je suis ; elle changera d’avis certainement ; j’espère, avec deux mots, me faire d’elle une alliée.

CLAVAROT.

Vous lui ferez cette demande ?

RONCERAY.

Aujourd’hui même...

CLAVAROT.

Et vous la déciderez ?

RONCERAY.

Je la déciderai...

CLAVAROT.

Quel homme vous êtes ! vous ne doutez de rien.

RONCERAY.

Je vous le promets ; à tout à l’heure.

CLAVAROT.

À tout à l’heure, mon cher ami.

Ronceray sort par la gauche.

 

 

Scène VIII

 

CLAVAROT

 

Le neveu de Son Excellence ! Je vais voir le neveu de Son Excellence ! Ah ! ah ! messieurs les mauvais plaisants, qui souteniez que je ne pourrais jamais obtenir...

Entre Mauroy par la droite.

 

 

Scène IX

 

CLAVAROT, MAUROY

 

MAUROY.

Bonjour, Clavarot.

CLAVAROT.

Ah ! c’est toi, Mauroy, bonjour, ça va bien ?

MAUROY.

Parfaitement, mon ami. Eh bien ! j’ai ramené à bon port ta femme et ta fille.

CLAVAROT.

Je te remercie, et je le suis fort obligé de leur avoir fait faire ce petit voyage. Tu as vu ton fils à Anzin ?

MAUROY.

Oui.

CLAVAROT.

Il travaille beaucoup, là-bas ?

MAUROY.

Oui, beaucoup. Je suis très content de lui ; il avait pourtant assez mal débuté, mais j’ai tranché dans le vif ; je l’ai remis un peu brutalement dans la bonne voie, et grâce au ciel il y est resté.

CLAVAROT.

Il ira loin, je l’ai toujours dit, ce n’est pas comme ce sacripant de Georges.

MAUROY.

Je le suis très reconnaissant de cette bonne opinion que tu as de mon fils, et je tiens justement à te parler...

CLAVAROT.

Oh ! je te demande pardon, je suis obligé de sortir tout de suite.

MAUROY.

Avec monsieur Ronceray, peut-être ?

CLAVAROT.

Ah ! tu sais...

MAUROY.

Oui, je viens de causer avec Valentine, je l’ai trouvée fort émue ; ton nouvel ami la bouleverse complètement ; j’ai cru qu’elle allait s’évanouir quand elle m’a annoncé de quelle subite affection tu t’étais pris pour ce monsieur Ronceray.

CLAVAROT.

Comment ?

MAUROY.

Oh ! ne crains rien, je l’ai rassurée, je lui ai dit que l’homme n’était pas inquiétant et que nous en serions vite débarrassés.

CLAVAROT, froissé.

Ah ! tu as dit cela...

MAUROY.

Parfaitement... Je le connais un peu, ton Ronceray.

CLAVAROT.

Belle merveille ; tout Paris le connait.

MAUROY.

Mon fils, au temps de ses fredaines, n’avait pas manqué de se lier avec lui.

CLAVAROT.

Il me l’a dit.

MAUROY.

Et j’ai eu occasion d’en apprendre de belles sur son compte.

CLAVAROT.

Qu’as-tu appris ? qu’il avait été très misérable, après ? La misère est un vice ou une vertu, César...

MAUROY.

Peste... tu t’exprimes bien depuis que tu le connais.

CLAVAROT.

Tu ne l’aimes pas, cela est fâcheux assurément, mais c’est un malheur dont des amitiés illustres peuvent le consoler.

MAUROY.

Des amitiés illustres... Ah ! j’y suis, pardieu ! c’est par là qu’il se sera emparé de toi... Il t’aura promis de le faire obtenir...

CLAVAROT, goguenard.

Il ne m’a rien promis du tout.

MAUROY.

Qu’il se dépêche au moins... sais-tu qu’il n’y a pas mal de temps que tu espères.

CLAVAROT.

L’ambition bien plus que le génie est une longue patience... César...

MAUROY.

Je parie que voilà encore une phrase qui est de lui ?

CLAVAROT.

Tu ne veux pas que je sois l’ami d’un homme qui m’est dévoué et qui peut m’être utile, fort bien ; mais dis-moi un peu ayant d’aller plus loin, que penses-tu de Valentine ?

MAUROY.

Ah çà ! à quel propos ?

CLAVAROT.

Réponds-moi, que penses-tu de Valentine ?

MAUROY.

C’est la meilleure des femmes.

CLAVAROT.

Je suis heureux avec elle.

MAUROY.

Tu dois l’être.

CLAVAROT.

Et j’ai bien fait de l’épouser.

MAUROY.

Sans doute.

CLAVAROT.

Eh bien, mon ami, quand il y a sept ans je voulus donner à mes enfants une seconde mère et que je jetai les yeux sur cette jeune fille qui, à cette époque, admise presque par charité, donnait des leçons à Gabrielle, il vint à moi un homme qui me fit des objections du reste très sensées. La mère avait été une intrigante fieffée, il était probable que la fille hériterait des heureuses dispositions de la mère. Sa conduite déjà n’était pas nette. Il avait couru sur elle de singuliers bruits. Enfin, elle n’était pas d’un monde où je dusse aller chercher ma femme. L’homme qui me disait cela, tu te le rappelles... c’était...

MAUROY.

C’était moi, d’où tu conclus ?

CLAVAROT.

D’où je conclus que je suis heureux en ayant fait tout le contraire de ce que tu me conseillais. Ce qui est arrivé une première fois peut arriver une seconde.

MAUROY.

Parlez-moi d’une mauvaise cause pour donner de l’imagination aux gens ! Jamais tu n’aurais trouvé un argument de cette force là si tu avais eu à soutenir quelque chose de raisonnable.

Entre Valentine.

 

 

Scène X

 

MAUROY, CLAVAROT, VALENTINE

 

CLAVAROT, allant à Valentine.

Que me dit donc Mauroy ? que tout à l’heure, en parlant de Ronceray, tu étais tellement émue...

VALENTINE.

Mais non, mon ami...

CLAVAROT.

À la bonne heure, tu aurais tort... Je la lui ai demandée, cette preuve, et il a tout de suite offert de me la donner. Je suis fâché de te quitter, Mauroy, mais monsieur Ronceray va venir me prendre, nous allons ensemble chez le neveu de Son Excellence, je n’ai que le temps de m’habiller.

VALENTINE.

Comment, il te présente...

CLAVAROT.

Au neveu de Son Excellence, oui, Valentine, tu vois que tu avais tort de le soupçonner !... Mauroy, je le demande pardon.

Il entre chez lui, deuxième porte à gauche.

 

 

Scène XI

 

MAUROY, VALENTINE

 

MAUROY.

Cela m’étonne furieusement que ce Ronceray puisse présenter quelqu’un.

VALENTINE, très effrayée.

Qu’est-ce que cela va devenir ?

MAUROY.

Oh ! oh ! il ne faut pas prendre les choses si au tragique.

VALENTINE.

Cet homme !...

MAUROY.

Cet homme tient bien Clavarot, voilà qui est certain !

VALENTINE.

Comment a-t-il pu s’emparer ainsi ?...

MAUROY.

Comment Mascarille et Scapin s’emparaient-ils d’Orgon ou du bonhomme Chrysale ? la comédie n’a guère varié, seulement les personnages ont changé de nom et ont renoncé à la souquenille traditionnelle ! Frontin et Lisette ont pardieu tenu parole ! ils ont fait souche d’honnêtes gens et, dis ces honnêtes gens, nous en sommes infestés !... Souples, fertiles en expédients, prompts à se relever quand on les croit abattus, les descendants de tous les illustres fourbes de l’ancien théâtre sont dignes de leurs aïeux ; ils ont même fait un progrès car, au lieu de mettre sottement leur imagination au service de Léandre et de Valère, ils s’en servent pour eux-mêmes. Ronceray-Mascarille est un personnage dangereux, d’autant plus dangereux qu’il a tout à fait les allures d’un galant homme et qu’il saurait au besoin merveilleusement jouer la comédie de la vertu. Nous aurons du bonheur si Clavarot se tire de ses griffes sans y laisser quelques plumes.

VALENTINE.

Je prévois je ne sais quel malheur...

MAUROY.

Voyons, rassurez-vous, vous êtes sûre, n’est-ce pas, que Gabrielle aime mon fils ?

VALENTINE.

Si elle l’aime !...

MAUROY.

Ce mariage doit se faire...

VALENTINE.

Sans doute...

MAUROY.

J’ai bien le droit de me considérer comme étant de la famille et d’essayer de la défendre contre l’ennemi commun...

VALENTINE.

Certes...

MAUROY.

Alors rien n’est désespéré, nous lutterons, mordieu, et nous prouverons que si l’intrigue a de bonnes dents pour attaquer, les honnêtes gens ont bec et ongles pour se défendre. Soyez tranquille, nous nous défendrons.

VALENTINE.

Que voulez-vous faire ?...

MAUROY.

Dans les affaires on est exposé à rencontrer des particuliers de toute espèce. Je connais un certain Ganneran qui sait son Mascarille, son Ronceray par cœur. Ce Ganneran s’est trouvé et se trouve encore en relation avec tout ce que Paris a de mieux... en coquins un peu distingués. Il est impossible qu’il n’y ait pas dans le passé de Ronceray quelque peccadille dont on pourrait se procurer la preuve. Vous comprenez qu’avec une pareille arme, il serait facile...

VALENTINE.

Et cette preuve, vous espérez...

MAUROY.

Si cette preuve existe, et elle doit exister, Ganneran saura la trouver et il me la donnera. Je cours chez lui... à bientôt.

VALENTINE.

Je compte sur vous, revenez vite !...

Mauroy sort par la droite.

 

 

Scène XII

 

VALENTINE

 

Ainsi, il a reparu... Je le retrouve après dix ans et dans quelles circonstances !

Entre Ronceray.

 

 

Scène XIII

 

RONCERAY, VALENTINE

 

RONCERAY.

Madame.

VALENTINE.

Vous, monsieur... encore vous... vous voulez me perdre...

RONCERAY.

Moi... pas du tout, je désire tout bonnement causer avec vous, j’ai à vous parler de choses assez importantes.

VALENTINE.

Vous avez osé...

RONCERAY.

Oh ! ce n’est pas ici que nous causerons ; je vous attendrai aujourd’hui, à quatre heures, 72, rue de Sèvres...

VALENTINE.

Rue de... ?

RONCERAY.

Vous vous rappelez l’adresse !

VALENTINE.

Vous vous êtes trompé, je n’irai pas...

Entre Clavarot, magnifiquement vêtu.

RONCERAY, bas.

Votre mari !...

 

 

Scène XIV

 

CLAVAROT, RONCERAY, VALENTINE

 

CLAVAROT.

Eh bien, vous êtes en train de faire la paix ?

Il va à la glace.

RONCERAY.

Oh ! la paix est faite. Je vous l’avais bien dit ; il suffisait de deux mots ; maintenant, nous sommes d’accord, n’est-il pas vrai, madame !

VALENTINE, avec effroi.

C’est vrai !

CLAVAROT.

Tant mieux !

Bas à Ronceray.

Est-ce que vous lui avez parlé de... ?

RONCERAY, bas.

Pas encore ; mais je lui en parlerai.

CLAVAROT, bas.

Et vous êtes toujours sûr ?...

RONCERAY, bas.

De plus en plus sûr.

CLAVAROT.

J’en suis bien aise. Suis-je bien ainsi pour aller voir le neveu de Son Excellence ?

RONCERAY.

Vous êtes magnifique... Partons...

En saluant, bas à Valentine.

Aujourd’hui, à quatre heures.

VALENTINE, abattue.

J’y serai.

 

 

ACTE II

 

Chez Philiberte. Un boudoir magnifique. Portes dans les pans coupé si droite et à gauche. Une table sur le premier plan, à droite. Cheminée au fond avec des chinoiseries dessus, etc. Canapé à gauche, porte d’entrée à droite.

 

 

Scène première

 

JEAN, FRASQUIN

 

FRASQUIN.

Madame n’est pas chez elle ?...

JEAN. Il était assis sur le canapé et lisait un journal ; il se lève.

Non, monsieur ! Monsieur Ronceray est venu ici, il y a une demi-heure. Madame est sortie presque aussitôt, mais je crois qu’elle ne tardera pas à rentrer.

FRASQUIN.

Dites donc, Jean, est-ce que le père Protêt n’est pas venu parler à madame, aujourd’hui ?

JEAN.

Si fait ! il est venu ce matin.

FRASQUIN.

Ah ! je vous remercie, j’attendrai Philiberte.

Jean sort à droite.

 

 

Scène II

 

FRASQUIN, seul

 

Voyons un peu ce que m’écrit ma femme... Que me veut-elle encore ?... Croit-elle donc que je n’ai qu’à m’occuper ?...

Lisant.

« Mon ami, ma mère ne va pas mieux, et nous sommes absolument sans ressources ; je suis bien obligée de m’adresser à vous. Apportez-nous ce que vous pourrez ! si peu que ce soit, vous nous aurez sauvées. Savez-vous que l’on nous a renvoyées du logement que nous occupions ?... Vous nous trouverez rue de Sèvres, 72, au cinquième. Votre HORTENSE. » Allons, il faudra que j’aille rue de Sèvres et que je monte au cinquième.

 

 

Scène III

 

FRASQUIN, PHILIBERTE

 

PHILIBERTE, venant du dehors.

Qu’est-ce que vous lisez là ?...

FRASQUIN.

Moi ? rien...

Il met la lettre dans sa poche.

PHILIBERTE.

Une lettre de femme ?...

FRASQUIN.

Non ! une lettre de créancier.

PHILIBERTE, s’asseyant sur le canapé.

Cela peut être la même chose.

FRASQUIN.

C’est une affaire dont je ne serais pas fâché de me débarrasser... Vous avez vu le père Protêt ?...

PHILIBERTE.

Oui.

FRASQUIN.

Eh bien ?...

PHILIBERTE.

Je pourrais m’amuser à vous faire attendre la réponse, mais je suis bonne personne. Le père Protêt a pris vos papiers timbrés et a laissé huit cents francs pour vous.

Elle lui indique un meuble au fond à gauche.

FRASQUIN, prenant des billets.

Huit cents francs ?

PHILIBERTE.

Il n’a voulu donner que cela.

FRASQUIN.

Diable ! huit cents francs ! et il faut que j’achète des boucles d’oreilles.

PHILIBERTE.

Pour votre créancier ?...

FRASQUIN.

Ah ! vous ne laissez rien passer !... Vous êtes sortie de bonne heure, aujourd’hui ?

PHILIBERTE.

Oui, pour faire plaisir à Ronceray. Il m’avait chargée d’une mission dans laquelle j’ai complètement échoué, du reste...

Frasquin sourit.

Cela n’a pas l’air de vous affliger beaucoup ?

FRASQUIN.

Moi ? si fait ! si fait !

PHILIBERTE.

Vous ne vous adorez pas tous les deux !

FRASQUIN.

Jamais il ne me pardonnera de connaître son histoire.

PHILIBERTE.

Vous la connaissez ?

FRASQUIN.

Est-ce que vous ne la savez pas, vous ?...

PHILIBERTE.

Mettons que je ne la sache pas ; je suis sûre qu’il ne vous sera pas désagréable de me la raconter.

FRASQUIN, s’asseyant près d’elle sur une chaise.

Ronceray n’est pas son nom ; il en a usé deux ou trois avant de porter celui-là. Il est le fils de la Mariani, Mariani la danseuse ; vous en avez entendu parler ?...

PHILIBERTE.

Très souvent ! c’est une femme excessivement jolie.

FRASQUIN.

Et excessivement lancée. C’est d’elle que l’on disait qu’il était diablement plus facile d’aller à Corinthe que d’aller chez la Mariani. Le fait est qu’elle ne recevait pas tout le monde. Elle n’aura pas manqué de donner pour père à son fils un duc ou au moins un marquis, afin de le consoler de lui donner pour mère... Tout Ronceray est là, grand seigneur d’un côté, Mariani de l’autre ! Malheureusement, c’est toujours le côté Mariani qui finit par l’emporter.

PHILIBERTE.

Il a reçu une très belle éducation, je crois.

FRASQUIN.

L’éducation d’un homme destiné à avoir cent mille livres de rente... et la Mariani s’est avisée de mourir à trente-cinq ans, en plein éclat, en laissant deux cent mille francs de dettes... Du jour au lendemain, Ronceray s’est trouvé sur le pavé, sans un sou, avec sa magnifique éducation ; il avait vingt ans... Ici, on place un petit roman ; il aurait rencontré une jeune fille, et sous l’influence de cette jeune fille, il aurait travaillé, voulu de venir un homme de talent... Voilà ce qu’on m’a conté... je n’en suis pas sûr. Ce dont je suis sûr, c’est qu’un beau malin, le sang de la Mariani a reparu... et que, depuis ce jour, Mariani fils a mené une existence étonnante... semée des plus singulières anecdotes... Parmi ces anecdotes, il y en a deux ou trois qui m’ont paru plus originales que les autres...

PHILIBERTE.

Et vous vous êtes dépêché de les faire courir ?...

FRASQUIN.

Dame ! on a une réputation de couleur agréable... et pour ne pas la perdre... vous comprenez ?...

PHILIBERTE.

Parfaitement ! Ronceray, de son côté, vous accuse d’avoir quelque part, dans une mansarde, une femme que vous laissez mourir de faim.

FRASQUIN.

Après avoir mangé la dot, sans doute ?

PHILIBERTE.

Eh ! eh ! vous êtes très faible, mon cher ami. Je sais bien que ce n’est pas la même chose que d’être mauvais... mais c’est plus dangereux !

FRASQUIN.

Ah ! Ronceray dit cela !

PHILIBERTE.

C’est faux ! n’est-ce pas ?...

FRASQUIN.

Tout ce qu’il y a de plus faux ! je ne suis pas marié... et je ne songe guère au mariage.

PHILIBERTE.

Ce n’est pas comme moi, j’y songe très souvent.

FRASQUIN.

Comment ! vous ?

PHILIBERTE.

Pourquoi n’y songerais-je pas ? Je sais bien que j’ai un passé... mais qui est-ce qui n’a pas de passé ? les enfants au berceau... et encore, ils ont celui de leurs parents ! D’ailleurs, Paris est une ville très spirituelle, le repentir et une grande fortune y effacent bien des fautes... J’ai quinze mille livres de rentes.

FRASQUIN.

Oh ! alors...

PHILIBERTE.

Et puis, vous admettez bien que le galant homme qui m’épousera commencera par me faire la cour.

FRASQUIN.

Certainement !

PHILIBERTE.

Eh bien, pendant qu’il me fera la cour, j’aurai tout le temps de lui prouver que j’ai été calomniée, et je le lui prouverai.

FRASQUIN.

Vous le lui prouverez ?...

PHILIBERTE.

Sans doute !

FRASQUIN.

Après tout, cela est possible ! Vous êtes très jolie, Philiberte, et le mensonge est diablement fort, quand il peut prendre le costume de la vérité.

Il se lève.

PHILIBERTE.

Voilà un mot que vous n’auriez pas trouvé tout à l’heure.

FRASQUIN.

Et pourquoi ?

PHILIBERTE.

Parce que vous n’avez pas d’argent sur vous.

FRASQUIN.

C’est égal ! Ronceray a eu tort de vous dire que j’étais marié... Je vous donne ma parole que je la lui ferai payer cher, si mais je trouve une occasion.

Entre Ronceray.

 

 

Scène IV

 

FRASQUIN, PHILIBERTE, RONCERAY

 

FRASQUIN.

Eh bonjour, mon cher ami !

RONCERAY.

Bonjour, mon cher.

FRASQUIN.

Il y a longtemps que l’on ne vous a vu.

RONCERAY.

En effet, il y a très longtemps, et je suis fort aise de vous rencontrer par hasard... Cela va-t-il un peu, les affaires ?...

FRASQUIN.

Pas trop ! Voilà quinze jours que je passe tout mon temps à essayer de prendre cent sous à mon voisin de gauche, et à tâcher de ne pas les laisser prendre par mon voisin de droite... Si ça devait continuer, ce serait à donner envie de gagner sa vie en travaillant ; mais ça ne continuera pas.

PHILIBERTE.

Il faut l’espérer.

RONCERAY.

Adieu, bon !

Il lui serre la main.

FRASQUIN.

Ah ! prenez garde ! c’est à ce bras-là que vous m’avez donne un coup d’épée.

RONCERAY.

Ah ! pardonnez-moi !

Frasquin sort.

 

 

Scène V

 

PHILIBERTE, RONCERAY

 

PHILIBERTE.

Vous lui avez donné un coup d’épée ?...

RONCERAY.

Parfaitement !

PHILIBERTE.

À propos de quoi ?...

RONCERAY, s’asseyant.

Il y a longtemps que je cherchais un prétexte. Dernièrement, il a eu l’imprudence de parler assez lestement devant moi de certaine dette qu’avait contractée le petit Lucien Mauroy, et que la fureur paternelle l’avait empêché de payer ; j’ai vite profite de l’occasion. Au fond, je me souciais de ce petit bonhomme comme d’une vieille paire de gants ; mais ça ne fait rien. J’ai prétendu que Frasquin calomniait un ami à moi... et...

PHILIBERTE.

Est-ce qu’en effet monsieur Lucien n’avait pas payé ?

RONCERAY.

Il payera ! je connais l’affaire mieux que personne, c’est moi qui ai prêté la somme.

PHILIBERTE.

Vous ?...

RONCERAY.

Moi... Vous savez bien que j’ai été banquier... rue Lafitte... ce petit entresol... J’ai prêté vingt mille francs à Lucien, sur parole, sans garantie, sans intérêts... c’est une de mes plus jolies spéculations.

PHILIBERTE.

Je ne comprends pas.

RONCERAY, s’asseyant sur le canapé.

Vous allez comprendre. Lucien avait besoin d’argent, il lui en fallait dans les vingt-quatre heures, il vint chez moi ! Je m’y attendais... je jouai l’homme désolé de n’avoir pas un sou en caisse.

PHILIBERTE.

Pas un sou ?...

RONCERAY.

Si ce n’est une somme à laquelle il m’était interdit de toucher, un dépôt confié par l’intermédiaire de Ganneran.

PHILIBERTE.

Ça m’aurait étonnée que Ganneran ne fût pas fourré là-de dans !

RONCERAY.

C’est lui qui avait fourni le dépôt. Seulement la personne était censée voyager... elle pouvait tarder à revenir, alors on aurait le temps de remettre la somme qui manquait. Je donnai vingt mille francs à Lucien... deux jours après, la personne était revenue.

PHILIBERTE.

Naturellement.

RONCERAY.

La comédie continua : Ganneran réclama l’argent, toujours au nom de la personne. Il fit semblant de se mettre en colère, je fis, moi, semblant de m’excuser... Lucien, arraché de Paris par son père, fut forcé de partir... Il m’écrivit !... Il était désolé : le pauvre garçon n’avait pas un sou ; mais avec sa signature on pouvait battre monnaie ! Il eût signé pour cent mille francs, je me contentai de quarante mille... Lucien s’exécuta au plus vite ; de plus, en m’envoyant les lettres de change, il me remercia. Je m’étais sacrifié pour lui... je l’avais sauvé en risquant de me perdre... j’étais un héros, un dieu, et j’avais gagné cent pour cent... Comprenez-vous, maintenant ?...

PHILIBERTE.

Parfaitement.

RONCERAY.

Ces lettres de change, je les ai là. Ganneran vient de me faire dire que cela serait sans doute payé aujourd’hui.

PHILIBERTE.

Vous êtes un grand homme. Je croyais que vous deviez venir avec quelqu’un ?

RONCERAY.

J’ai laissé le Clavarot chez moi. Il est en train de suer à grosses gouttes sur un discours. Il fait des ratures...

PHILIBERTE.

Ratures inutiles... ce discours ne sera pas prononcé.

RONCERAY.

Comment ! Est-ce que vous n’avez pas vu de Tersac ?...

PHILIBERTE.

Si fait ! je viens de chez lui ! je lui ai dit quel service vous attendiez de lui, que vous aviez un brave bourgeois à enjôler, et que vous le priiez de vouloir bien vous aider un peu.

RONCERAY.

Et il a répondu ?

PHILIBERTE.

Il s’est mis à rire comme un bienheureux, et il a répondu que vous aviez perdu la tête.

RONCERAY, se levant.

Par exemple !

PHILIBERTE.

Qu’il voulait bien, à la rigueur, faire semblant d’ignorer vos tripotages ; mais qu’il fallait que vous fussiez fou absolument fou, pour vous être imaginé un instant qu’il consentirait à y tremper les mains.

RONCERAY.

Mais il se dit mon ami.

PHILIBERTE.

Mais oui... il m’a parlé de vous en fort bons termes. Il paraît que vous avez été à mourir de rire, l’autre jour aux Provençaux. À propos, il m’a priée de vous rappeler qu’il y a demain un grand souper ! il compte sur vous.

RONCERAY.

Il me refuse un service et il m’invite à souper ?

PHILIBERTE.

C’est une compensation !

RONCERAY.

Et moi qui ai dit à Clavarot de venir me trouver ici... j’étais si loin de m’attendre...

PHILIBERTE.

Vous lui direz que le neveu de Son Excellence n’est pas visible.

RONCERAY.

C’est impossible ! tout serait perdu. Cette demande qu’il m’a faite, c’est un commencement de défiance... et si maintenant...

PHILIBERTE.

Je ne vois pas, quant à moi, le moyen...

RONCERAY.

C’est une idée qu’il faudrait !...

Il s’assied au fond et met sa tête dans ses mains.

Une idée, une idée ?...

JEAN.

Monsieur le vicomte de la Renardière...

 

 

Scène VI

 

PHILIBERTE, RONCERAY, GEORGES

 

GEORGES.

Eh ! bonjour, divine.

Il lui baise la main.

PHILIBERTE.

Bonjour, vicomte.

GEORGES.

Vous allez bien, Ronceray ?...

RONCERAY.

Oui ! pas mal, vicomte ! merci !

GEORGES.

Oh ! oh ! quel air préoccupé !

RONCERAY.

C’est que je cherche quelque chose... et que je ne trouve pas.

GEORGES.

Si vous voulez, nous chercherons ensemble ?

RONCERAY, allant s’asseoir à droite.

Non... je préfère chercher seul... Une idée ! une idée !

PHILIBERTE.

Comme vous devenez rare, vicomte. Il y a des siècles qu’on ne vous a aperçu... Vous ne sortez pas de Clichy, au moins ?

GEORGES, s’asseyant.

Moi ! pas du tout... Je sors de chez moi où je reste enfermé pour terminer mon grand ouvrage.

PHILIBERTE.

Un ouvrage qui fera du bruit !

GEORGES.

L’ouvrage du siècle. Aujourd’hui, je suis allé faire un tour chez mon éditeur et j’y ai pris quelque argent.

PHILIBERTE.

À propos, vicomte, il y a une chose que j’ai toujours eu envie de vous demander.

GEORGES.

Quoi donc ?...

PHILIBERTE.

Dans quel magasin de curiosités montre-t-on l’éditeur qui doit vous éditer ! Je donnerais beaucoup pour le voir.

GEORGES.

Voilà qui est méchant !

RONCERAY, se levant brusquement.

Ah !

PHILIBERTE, se levant ainsi que Georges.

Qu’est-ce que c’est, mon Dieu ?

RONCERAY.

Je tiens mon idée !... Aimez-vous les comédies, vicomte j’en ai une dans la tête...

GEORGES.

Une comédie à faire ?...

RONCERAY.

Non ! une comédie à jouer ! vous pouvez me rendre un grand service.

GEORGES.

Je suis tout à fait à votre disposition.

RONCERAY.

Il s’agit de...

Entre Jean.

JEAN.

Monsieur... Il y a là une personne qui dit que vous lui avez donné rendez-vous ici, à trois heures.

RONCERAY.

Oui, je sais... Ma foi, il était temps que l’idée me vînt. Sauvez-vous tous les deux, j’irai vous retrouver tout à l’heure, et je vous dirai ce qu’il faut faire.

PHILIBERTE.

Je crois que je devine ! cela sera amusant !

GEORGES.

Si ça doit être amusant et exubérant, j’en prendrai volontiers ma part... je ne demande qu’à jeter ma sève.

RONCERAY.

Allez-vous-en vite !...

Il les pousse dehors, porte de l’angle à droite.

 

 

Scène VII

 

RONCERAY, JEAN

 

RONCERAY.

Maintenant, dis à cette personne d’entrer.

JEAN.

Oui, monsieur.

Il sort.

RONCERAY.

Allons, vive l’habileté ! Me voilà tiré d’affaire. Quant à vous, mon cher ami, qui m’invitez à souper et qui refusez de dire un mot qui me ferait riche du jour au lendemain, je vous revaudrai cela ; chaque chose viendra en son temps.

JEAN, ouvrant la porte de droite.

Par ici, monsieur.

Entre Clavarot.

 

 

Scène VIII

 

RONCERAY, CLAVAROT

 

RONCERAY.

Entrez donc, cher ami, entrez donc !

CLAVAROT.

Ah çà ! où suis-je ici !

RONCERAY.

Chut ?

CLAVAROT.

Comment ?

RONCERAY.

Chut donc ! Vous êtes dans un endroit terrible, formidable !... Vous êtes dans le boudoir d’une femme à la mode.

CLAVAROT.

Et pourquoi m’y avez-vous amené, dans ce boudoir ?...

RONCERAY.

Mais pour y voir le neveu du ministre.

CLAVAROT.

Comment ! c’est ici ?...

RONCERAY.

Sans doute !

CLAVAROT.

Je ne m’y attendais pas... Puisqu’il occupe une position importante, il me semblait... Je croyais le voir dans son cabinet.

RONCERAY.

Dans son cabinet, il n’eût pu vous donner que cinq minutes... ici, vous pourrez lui parler tout à votre aise.

CLAVAROT.

C’est dans le boudoir d’une jolie femme que je vais lui parler de...

RONCERAY.

Entre nous, arrangez-vous de façon à ce que cette jolie femme s’y intéresse... à... Le succès dépend d’elle.

CLAVAROT.

Comment ! le succès dépend...

RONCERAY.

Certes... il est impossible qu’un homme comme vous, qu’un homme qui a envie de jouer un rôle... car vous avez envie de jouer un rôle...

CLAVAROT.

Assurément !

RONCERAY.

Il est impossible qu’un homme comme vous ignore l’énorme influence des femmes. Celui qui les a pour lui a tout, celui qui a tout, excepté elles, n’a rien !... Dernièrement encore, un jeune homme est arrivé, bien qu’il eût beaucoup de talent, mais il avait les femmes pour lui !

CLAVAROT.

Ah ! le gaillard !

RONCERAY.

Je parierais écrire l’histoire du monde, et au fond de chaque événement montrer une femme... Notez qu’une femme, toute petite, suffit souvent à un événement énorme... Voulez-vous un exemple, tenez. Si vous aviez vécu il y a une centaine d’années, et que vous fussiez allé vous promener du côté des halles, peut-être auriez-vous rencontré une modiste beaucoup plus occupée du bonnet qu’elle portait que de ceux qu’elle ne confectionnait guère pour ses pratiques. Voilà une jolie fille, auriez vous dit... et vous auriez passé... vous auriez passé sans vous douter qu’un jour... parce que cette modiste s’amuserait à faire sauter des oranges, des millions d’hommes cesseraient d’être libres et une nation serait rayée de la carte.

CLAVAROT.

Une nation !...

À part.

Cet homme-là m’abrutit.

RONCERAY.

Oui. Une nation. La modiste devait s’appeler un jour la comtesse Dubarry. En faisant sauter des oranges, elle renversait Choiseul, et la Pologne tombait avec Choiseul.

CLAVAROT.

Je savais bien que ces mœurs-là avaient existé... mais il me semblait que nous avions démoli tout cela...

RONCERAY.

Sans doute ! sans doute !... nous avons démoli tout cela ; mais il en est resté des morceaux.

CLAVAROT.

Ah ! je croyais...

RONCERAY.

On ne sait jamais quels événements, quelles calamités une jolie femme qui passe porte dans sa... tête. Aussi, moi, quand j’en rencontre une, suis-je tout d’abord pris d’un vif sentiment de frayeur...

CLAVAROT.

Eh bien, moi, jusqu’à présent, quand je passais près d’une jolie femme... je n’avais pas peur ; je vous avouerai même...

RONCERAY.

Vous aviez tort, monsieur Clavarot ; une jolie femme, c’est une machine infernale qui peut tout à coup éclater, brûler, anéantir... Donc, ne parlez pas trop haut, ici, soyez humble, soyez modeste. Ne touchez à rien... N’allez pas vous heurter aux meubles, ils vous briseraient. Tout ici est une puissance... ne l’oubliez pas : le domestique et la femme de chambre, le chien et le perroquet ; et croyez bien que si, avec des platitudes, on savait pouvoir gagner la bienveillance de ces deux magots qui sont sur la cheminée, ces deux magots ne manqueraient pas de flatteurs... Sur ce, je vous laisse.

CLAVAROT.

Seul !...

RONCERAY.

Bon ! Vous n’avez rien à craindre, puisque vous êtes prévenu. D’ailleurs, vous ne resterez pas longtemps seul. Je vais faire savoir au neveu de Son Excellence que vous êtes arrivé.

CLAVAROT.

Oh ! je vous en prie, qu’il ne se dérange pas. S’il y avait la moindre indiscrétion, j’aimerais mieux...

RONCERAY.

Chose promise, chose due, monsieur Clavarot. Le neveu de Son Excellence a promis de venir, il viendra, et il sera enchanté de causer avec vous. À tout à l’heure.

Il sort par la droite.

 

 

Scène IX

 

CLAVAROT, seul

 

Qu’est-ce qu’il m’a dit ?... Une modiste ! des oranges ! une nation rayée de la carte... tout se fait par les femmes... le succès de ma demande dépend de... et l’on me donne audience dans un boudoir. Quels mystères !... Voilà le monde ! et je ne m’en doutais pas. Ah ! qu’il y a loin des connaissances nécessaires pour faire un bon parfumeur à une science complète de la vie... Je ne sais où j’en suis... je roule dans un abime...

Il se heurte contre un fauteuil.

Oh ! il m’a bien recommandé de ne pas me heurter aux meubles... Que je me sens petit !... Je me tiens à quatre pour ne pas faire la révérence à ces deux magots.

 

 

Scène X

 

CLAVAROT, JEAN

 

JEAN, entrant du pan coupé à droite.

Madame prie monsieur de lui pardonner ; elle ne tardera pas à venir, Si monsieur veut des cigares...

CLAVAROT.

Non, merci !

JEAN.

Vous avez tort. Ils sont excellents. Moi-même, je n’en fume pas d’autres.

CLAVAROT, à part.

Le domestique ! diable, c’est une puissance, il ne faut pas...

Haut.

Monsieur, si je n’accepte pas vos cigares, c’est tout simplement parce que... mais je n’ai pas l’intention de vous désobliger.

JEAN.

Je veux le croire, monsieur.

CLAVAROT.

Je n’ai pas d’idées étroites, moi, et ce n’est pas parce que vous êtes domestique...

JEAN.

Je ne l’ai pas toujours été.

CLAVAROT.

Ah !

JEAN.

Non ! j’ai été baron... quand ce n’était pas défendu.

CLAVAROT.

Pardieu ! monsieur le baron, je suis enchanté. Et puisque je vous rencontre, il faut absolument que je vous demande un conseil.

JEAN.

Demandez.

CLAVAROT.

Je désirerais que votre maîtresse s’intéressât à une petite affaire que j’ai en tête... Comment pensez-vous que je doive m’y prendre pour la décider ?...

JEAN.

Hum ! c’est délicat.

CLAVAROT.

J’avais songé à lui faire quelque cadeau.

JEAN.

Bonne idée !

CLAVAROT.

Vous trouvez ?...

JEAN.

Excellente idée ! mais savez-vous donner ?...

CLAVAROT.

Si je sais donner ?

JEAN.

Oui, c’est très important !

CLAVAROT.

Mais il me semble que ce n’est pas difficile.

JEAN.

Oh ! que vous vous trompez ! Nous allons bien voir, du reste. Comment feriez-vous pour me donner vingt francs, à moi ?

CLAVAROT.

Vingt francs ?

JEAN.

Oui, vingt francs, ou quarante, ou soixante...

CLAVAROT.

Commençons par vingt, ce sera plus facile...

JEAN.

Soit ! comment feriez-vous ?...

CLAVAROT.

Mon Dieu ! je prendrais vingt francs dans ma bourse... et je vous dirais... Comment vous appelez-vous ?

JEAN.

Jean.

CLAVAROT.

Je vous dirais : Tenez, Jean...

JEAN.

Oh ! ce n’est pas cela, monsieur.

CLAVAROT.

Comment ce n’est pas cela ?... Si, c’est un louis.

JEAN.

Non ! je dis : ce n’est pas cela. Monsieur ne sait pas donner.

CLAVAROT.

Montrez-moi un peu, alors...

JEAN.

Il est très difficile de donner convenablement. Prêtez-moi votre bourse ?...

CLAVAROT.

Comment ?

JEAN.

Pour que je vous montre bien comment vous devez faire ; il faut, pendant un instant, que vous soyez moi et que je sois vous. Prêtez-moi votre bourse ?...

CLAVAROT.

Voyons ? la voici !

JEAN.

Là ! regardez-moi bien, monsieur... Approche, drôle, approche, faquin, approche, imbécile... C’est à moi que je parle, monsieur... voici pour toi !

Il jette un louis à Clavarot.

Ah ! monsieur, vous n’auriez pas dû le laisser tomber par terre.

CLAVAROT.

Ça ne fait rien !

Il le ramasse.

JEAN.

Quand vous m’avez jeté le louis, vous remettez tranquillement la bourse dans votre poche et vous vous en allez...

Il met la bourse dans sa poche et s’en va par la droite.

CLAVAROT, à part.

Ce n’est pas plus difficile... c’est une autre manière.

Haut.

Eh ! mais... la bourse... dites donc... la bourse ?

Il se précipite. Entre Philiberte par le pan coupé à droite.

 

 

Scène XI

 

CLAVAROT, PHILIBERTE

 

PHILIBERTE.

Monsieur !

CLAVAROT.

Ah ! madame, pardonnez-moi !

PHILIBERTE, passant devant lui.

Mais vous avez l’air tout bouleversé, monsieur.

Elle va s’asseoir sur le canapé.

CLAVAROT.

Oh ! ce n’est rien, madame, ce n’est rien !

À part.

Brigand, va !

Il boutonne son habit.

PHILIBERTE.

Asseyez-vous, monsieur, plus près, je vous en prie. Vous désirez parler au comte de Tersac, vous me permettrez de vous tenir compagnie en attendant qu’il vienne. Il ne saurait tarder maintenant.

CLAVAROT, il est assis près d’elle sur un siège.

Tant pis, ma foi.

PHILIBERTE.

Oh ! monsieur !

CLAVAROT, à part.

Quelle femme ! il fallait cela pour m’achever !

PHILIBERTE.

Vous avez, je crois, quelque chose à demander au comte ?

CLAVAROT.

Ah ! oui... une faveur qui me rendrait le plus heureux...

PHILIBERTE.

Mais vous avez des chances, à ce que m’a dit Ronceray,

CLAVAROT.

J’en aurais peut-être, madame, si vous vouliez dire deux mots pour moi... Deux mois de votre bouche...

PHILIBERTE.

Oh ! vous pouvez mettre en avant des titres plus sérieux. Vous avez été commerçant, n’est-ce pas ?...

CLAVAROT.

Oui, madame.

PHILIBERTE.

Parfumeur, on m’a dit ?

CLAVAROT.

Oui, en gros.

PHILIBERTE.

Ah ! très bien... et vous avez fait une fortune ?...

CLAVAROT.

Une grosse fortune. Oui, madame !... maintenant, j’ai cédé mon fonds ; et comme je ne sais que faire et que je m’ennuie, je ne serais pas fâché de devenir un personnage politique.

PHILIBERTE.

Mais c’est une noble ambition.

CLAVAROT.

Je vous serai obligé de dire cela au neveu de Son Excellence, et de lui faire entendre que le parfumeur n’a été chez moi, que la préface de l’homme intelligent.

PHILIBERTE.

Je lui répéterai la phrase, sans en changer un mot.

CLAVAROT.

Croyez que ma reconnaissance...

PHILIBERTE.

Ne parlons pas de reconnaissance ; c’est moi qui suis en chantée de pouvoir être agréable à un homme tel que vous !

CLAVAROT.

Ah ! madame...

PHILIBERTE.

Vous m’avez plu tout de suite, et j’espère bien que j’aurai, plus d’une fois, le plaisir de vous revoir chez moi.

CLAVAROT.

Je vous le promets.

PHILIBERTE, lui tendant la main.

Bien sûr, n’est-ce pas, vous viendrez ?

CLAVAROT, prenant la main.

Ah ! madame !

PHILIBERTE.

Qu’avez-vous donc ?

CLAVAROT.

Je ne sais... l’air qu’on respire ici... ces rideaux à moitié fermés. Ah ! madame, je commence à croire qu’il y a énormément de gens qui meurent très vieux sans s’être douté un instant de ce que c’est qu’une femme...

Il embrasse la main de Philiberte.

PHILIBERTE.

Doucement, monsieur Clavarot, doucement.

Ronceray entre sur le baiser qui doit durer longtemps.

 

 

Scène XII

 

CLAVAROT, PHILIBERTE, RONCERAY

 

RONCERAY.

Fi ! monsieur Clavarot, fil... vous ne serez jamais un homme sérieux,

CLAVAROT, se levant.

Pourquoi ?... est-ce que les hommes sérieux ne rendent pas hommage à la beauté ?...

RONCERAY.

Si fait !... mais ils ferment la porte.

PHILIBERTE, se levant, à Ronceray.

Vous avez vu le comte ?...

RONCERAY.

Qui ! il vient derrière moi.

CLAVAROT.

Mon Dieu ! il vient !... et ce petit discours que j’avais préparé... je ne me rappelle pas un mot !

PHILIBERTE.

La mémoire vous reviendra.

CLAVAROT.

Ah ! madame, je vous en prie... si vous voulez qu’elle me revienne, ne vous tenez pas devant moi.

PHILIBERTE.

Monsieur Clavarot est d’une galanterie charmante.

CLAVAROT.

Si je pouvais me recueillir un moment.

RONCERAY.

C’est très facile.

Lui montrant la gauche.

Entrez là, dans un instant j’irai vous chercher.

CLAVAROT.

Ah ! merci... je vais repasser un peu... et une fois maître de mon geste.

RONCERAY.

Vous avez bien fait de boutonner votre habit. Cela vous donne un air plus digne.

CLAVAROT.

J’ai boutonné mon habit parce que l’on m’a pris ma bourse, et que je ne voudrais pas que l’on me prit ma montre qui est en or.

Il entre à gauche.

 

 

Scène XIII

 

RONCERAY, PHILIBERTE

 

RONCERAY.

Qu’est-ce qu’il veut dire avec sa bourse ?

PHILIBERTE.

Je ne sais pas.

JEAN.

Monsieur le comte de Tersac.

Entre Georges.

 

 

Scène XIV

 

RONCERAY, PHILIBERTE, GEORGES

 

GEORGES.

Qu’en dites-vous ? ai-je bien la tournure du neveu de Son Excellence ?...

PHILIBERTE.

C’est parfait !

GEORGES.

Qu’aurai-je à faire, maintenant ?...

RONCERAY.

Presque rien !... vous aurez à dire : « Nous nous occuperons de cela... » et à sourire...

GEORGES.

Voilà tout ?...

RONCERAY.

Oui ! souriez... mieux que ça ! vous n’avez donc jamais vu sourire une danseuse ?...

GEORGES.

Si fait !

RONCERAY.

Eh bien ! tâchez de vous rappeler !... C’est absolument la même chose... Là ! à la bonne heure !... installez-vous maintenant. Y êtes-vous ?...

GEORGES, assis à droite de la table.

Oui.

RONCERAY.

Je vais chercher notre homme.

 

 

Scène XV

 

PHILIBERTE, GEORGES

 

GEORGES.

Dites donc, s’il allait se douter de quelque chose ?

PHILIBERTE, s’asseyant au fond.

Il n’y a pas de danger ! on aurait pu, au besoin, lui faire croire que vous êtes le Grand Turc !

GEORGES.

Nous allons diablement nous amuser alors.

 

 

Scène XVI

 

PHILIBERTE, GEORGES, RONCERAY, CLAVAROT

 

RONCERAY, à Clavarot.

Entrez, monsieur !

Bas.

Ne tremblez pas ainsi, que diable.

Haut.

Monsieur le comte, voici la personne dont je vous ai parlé.

GEORGES.

Sapristi ! c’est papa !

CLAVAROT.

Monseigneur...

RONCERAY.

Beau début !

Clavarot lisant son discours dans son chapeau, fait un pas vers Georges. Celui-ci se détourne, cachant sa figure avec un journal, Clavarot passe à droite derrière la table, Georges se détourne vivement et fait tomber des brochures.

CLAVAROT.

Monseigneur, s’il est vrai qu’il y ait au monde une chose que les honnêtes gens doivent mettre au-dessus de tout... au dessus de tout... même de la fortune !... Ah çà ! qu’a donc monseigneur ?...

Il ramasse les brochures devant la table.

RONCERAY, regardant Georges.

Il perd la tête !

PHILIBERTE, se levant.

Qu’est-ce que cela veut dire ?...

CLAVAROT.

Même au-dessus de la fortune... Cette chose est assurément...

GEORGES, se relevant.

Sortons d’ici, mon père.

CLAVAROT.

Toi ?...

GEORGES.

Sortons d’ici...

CLAVAROT.

Toi ! coquin ! c’est toi ?...

PHILIBERTE.

Comment, le vicomte est le fils... Ah !

RONCERAY.

Quelle tuile !

CLAVAROT.

C’est toi !... drôle !... que je trouve ici !

GEORGES.

Mon père, vous me direz tout ce que vous aurez à me dire ; mais d’abord, sortons d’ici.

PHILIBERTE.

Ah ! ah !

CLAVAROT.

J’étouffe !... Et vous, madame... et vous, monsieur ! avec votre ami le ministre !

RONCERAY.

Monsieur...

GEORGES.

C’est à moi que vous parlerez, monsieur Ronceray ; mais autre part !... Venez, mon père, je vous en prie ?

CLAVAROT.

Quand à toi... je... te...

GEORGES.

Je vous en supplie, mon père, venez !

Il l’entraine, ils sortent tous deux.

 

 

ACTE III

           

Une mansarde, quelques meubles en très mauvais état. Au fond, une porte À gauche, une table.

 

 

Scène première

 

MADAME BOQUET

 

Elle est en train d’essuyer les meubles, d’arranger, etc.

Là, je crois que tout est bien arrangé comme l’a demandé monsieur Ronceray. Les meubles sont comme il les a laissés ; il pourra se figuier que c’est seulement hier qu’il a quitté son logement.

Entre Ronceray.

 

 

Scène II

 

MADAME BOQUET, RONCERAY

 

RONCERAY.

Scélérat de vicomte !

MADAME BOQUET.

Ah ! c’est vous, monsieur !

RONCERAY.

Oui ! il n’est venu personne ?...

MADAME BOQUET.

Non, monsieur.

RONCERAY.

Il n’est pas encore l’heure.

Il regarde autour de lui.

MADAME BOQUET.

Eh bien, monsieur, êtes-vous content ?... Vous reconnaissez-vous ?...

RONCERAY.

Parfaitement ! c’est effrayant de vérité !... Il me semble que je suis encore affamé et misérable, comme autrefois... brrr., il fait froid ici !...

MADAME BOQUET.

Si vous voulez, je ferai du feu ?...

RONCERAY.

Non pas ! il faut que cela ressemble à ce que c’était, il y a dix ans... S’il y avait du feu, ça ne ressemblerait plus...

MADAME BOQUET.

Je descends, alors.

RONCERAY.

Ah ! Tout à l’heure, vous recevrez une lettre pour moi ; cette lettre, vous me l’apporterez, dès que la personne que j’attends, et qui va venir, sera partie.

MADAME BOQUET.

Bien, monsieur.

RONCERAY, montrant la gauche.

Qu’est-ce qu’il y a là ?...

MADAME BOQUET.

Là, monsieur ? vous ne vous rappelez donc pas !... c’est la chambre dans laquelle vous couchiez, on l’a louée séparément. Si vous l’exigez, il sera facile de faire condamner la porte.

RONCERAY.

Et est-elle habitée maintenant, cette chambre ?

MADAME BOQUET.

Oui, monsieur, par deux pauvres femmes, la mère et la fille. La mère, qui est malade, est couchée, la fille est sortie.

RONCERAY.

Ah !

MADAME BOQUET.

Elles sont bien à plaindre, monsieur ; mais j’espère qu’il leur arrivera bientôt quelque chose d’heureux. Elles étaient antre fois secourues par une belle demoiselle qui est très riche. La bonne de cette demoiselle est venue ici, ce matin ; elle n’a dit que sa maîtresse viendrait sans doute aujourd’hui voir ses deux protégées.

RONCERAY, donnant de l’argent.

Tenez, elles ajouteront ceci à ce que leur apportera cette jeune fille.

MADAME BOQUET.

Vous êtes bon, monsieur.

RONCERAY.

Je ne suis pas méchant... N’oubliez pas ma lettre.

MADAME BOQUET.

Soyez tranquille.

Elle sort.

 

 

Scène III

 

RONCERAY, seul

 

Ma lettre !... Qu’est-ce que Philiberte me dira dans cette lettre ?... quelle scène ! Au moment où je me croyais sûr de réussir !... patatras !... tout se brise dans ma main !...

Il regarde sa montre.

Philiberte, à qui j’ai dit de retourner chez de Tersac, doit être chez lui maintenant ! réussira-t-elle ?... Ah ! si de Tersac voulait ! s’il consentait à parler à son oncle, s’il le décidait à écrire à Clavarot trois lignes, trois lignes seulement dans lesquelles le ministre affirmerait qu’il me connaît... voilà tout !... Avec cela, je serais sûr... je trouverais un moyen d’expliquer la sottise que m’a fait faire cet abominable vicomte... et alors... Oui, mais après avoir refusé, de Tersac consentira-t-il ?... Tout est perdu, s’il refuse une seconde fois... Voyons ! voyons ! il ne s’agit pas de se laisser abattre... de Tersac peut consentir, après tout ! et alors, il ne faut pas qu’un nouvel obstacle... Valentino va venir... je saurai bien la décider... il n’y a pas de milieu... si je ne réussis pas, il faut que je retombe... où ?... ici, peut-être ?... ici !... C’est donc de la que je suis parti... quelle misère !... quel délabrement !... et quels rêves je faisais au milieu de tout cela, quelles espérances ! quels transports !... Elle ne vient pas... l’heure est passée, cependant.

On frappe.

Ah ! c’est elle !...

Il va ouvrir.

 

 

Scène IV

 

RONCERAY, VALENTINE

 

RONCERAY.

Entrez, madame, entrez ! C’est bien ici.

VALENTINE.

Ici !...

Elle hésite pendant quelques instants, puis entre.

Je suis venue, monsieur, qu’avez-vous à me dire ?...

RONCERAY.

Avant tout, pardonnez-moi de ne pas vous avoir épargné, ce matin, l’émotion d’une reconnaissance un peu brusque et tout à fait imprévue. Pardonnez-moi de vous avoir forcée de revenir dans un endroit trop plein peut-être de souvenirs... car c’est ici...

VALENTINE.

C’est ici qu’il y a dix ans vous m’avez attirée, en me parlant de votre isolement ; c’est ici qu’après m’avoir abusée, séduite par des promesses... par des serments...

RONCERAY, suppliant.

Madame...

VALENTINE.

Comment avez-vous eu la cruauté de me faire revenir ici ?... Et d’abord, comment avez-vous osé vous présenter dans une maison où vous étiez sûr de me retrouver ?...

RONCERAY.

Oh ! je vous en supplie, madame, ne voyez pas en moi un autre homme que celui qu’il y a véritablement. Le ciel m’est témoin que je ne vous cherchais pas ; le hasard seul nous a ramenés l’un en face de l’autre. Quand j’ai su que cette femme, qui était en voyage et qui allait revenir, c’était vous, il était trop tard pour reculer ; la partie était engagée, une partie à laquelle je ne puis pas, à laquelle je ne veux pas renoncer.

VALENTINE.

Ah ! je sais ! vous avez, m’a-t-on dit, une demande à m’adresser. C’est donc quelque chose de bien odieux, pour qu’il vous ait paru nécessaire de m’effrayer ?...

RONCERAY.

Je ne veux pas vous effrayer ; je ne suis pas un traitre de mélodrame qui torture une femme ; je suis un homme qui lutte depuis dix ans et qui a assez de la lutte ; je ne cherche pas à vous faire souffrir, je suis seulement décidé, bien décidé à ne pas laisser échapper l’occasion qui s’est offerte d’en finir avec la ridicule et misérable existence que je mène.

VALENTINE.

Comment ?... mais ce matin, vous m’avez dit...

RONCERAY.

Je vous ai dit que ma position s’était améliorée... c’est vrai ! Il faut bien avouer que le lendemain du jour où votre mère nous a séparés, je me suis trouvé un peu seul, un peu abattu... Et puis, je me suis mis à travailler comme un furieux... Vous savez... la lutte, la fortune, la réputation... beaucoup d’efforts... et au bout de ces efforts, très peu de résultats... Pourtant, une fois, j’ai eu du bonheur et j’ai réussi. J’étais allé chez je ne sais plus quelle femme qui était très influente. Elle me fit attendre une bonne heure, je crois, et là, seul, rouge de honte, je me mis à penser à ma jeunesse brisée, à mes espérances perdues ; j’y pensai tellement que les larmes me vinrent aux yeux... En ce moment, cette femme entra... elle me vit pleurer... et comme elle venait de perdre un singe qu’elle aimait beaucoup... elle s’imagina que je pleurais sur la mort de cet intéressant animal. Elle se jeta dans mes bras, mêla ses larmes aux miennes et me promit de parler pour moi... Elle tint parole... et ce jour-là, comme je vous l’ai dit, je réussis pour la première fois.

VALENTINE.

Quel langage !

RONCERAY.

Depuis, j’ai pleuré bien des singes ! Eh ! mon Dieu ! ce n’est pas une profession désagréable. On a des envieux, par exemple, des ennemis : tous ceux qui n’ont pas la larme facile, ou qui ne savent pas pleurer à propos, vous en veulent mortellement. Mais on a des amis aussi, d’excellents amis, qui vous tutoient et vous refusent des services.

VALENTINE.

Un jour, on vous a proposé une autre existence... et vous ayez refusé.

RONCERAY.

Oh ! oui ; le jour où votre mère... après avoir surpris notre secret, est venue ici et m’a demandé si je voulais vous épouser ?...

VALENTINE.

J’étais avec elle, mes regards étaient attachés sur les vôtres ; je vous suppliais de consentir... vous avez refusé.

RONCERAY.

Et vous avouerez que j’ai bien fait. Où en serions-nous, si j’avais cédé à l’affection que j’avais pour vous ; car je vous ai mais, et si j’avais consenti ; cette chambre serait encore notre logement, sans doute... et nous devrions plusieurs termes.

VALENTINE.

Vous auriez travaillé.

RONCERAY.

Peuh ! j’ai bien fait de refuser ; vous n’avez pas, il me semble, sujet de vous en plaindre. Vous êtes heureuse, riche ; vous ne le seriez certainement pas, si je vous avais épousée.

VALENTINE.

Ne parlons pas de moi... Cette demande ?...

RONCERAY.

J’y arrive justement. Si je vous avais épousée, il me serait tout à fait impossible de mettre à profit la bonne volonté que me témoigne monsieur Clavarot en n’offrant la main de sa fille.

VALENTINE.

Vous avez dit ?...

RONCERAY.

J’ai sa parole... mais je sais que ce mariage dépend surtout de vous... et j’espère...

VALENTINE.

À vous ! la main de Gabrielle ?...

RONCERAY.

Sans doute, à moi !

VALENTINE.

À vous... à vous, qui... en vérité, je ne peux pas me figurer que j’ai bien entendu !

RONCERAY.

Eh ! madame, que voyez-vous ?

VALENTINE.

C’est pour m’imposer cela que vous m’avez fait venir ici ?...

RONCERAY.

Je n’impose pas, je supplie...

VALENTINE.

Ainsi, cette demande que vous aviez à me faire... c’était...

RONCERAY.

Mais que pensiez-vous donc ?

VALENTINE.

Eh ! que sais-je, moi ?... Certes, je m’attendais à quelque honteux marché ; mon mari est riche... je croyais...

RONCERAY.

Madame !...

VALENTINE.

Mais la main de Gabrielle ! la main de Gabrielle !... adieu, monsieur...

Elle remonte.

RONCERAY.

C’est là votre réponse ?

VALENTINE.

Vous avez pu en espérer une autre ?

RONCERAY.

J’espère encore que vous changerez d’avis. Ce matin, quand je vous ai dit que je vous attendrais ici, vous avez d’abord dit : je n’irai pas. Cependant, vous avez fini par dire : J’irai. Tout à l’heure, quand je vous ai ouvert cette porte, vous aviez bonne envie de ne pas entrer... de partir... cependant, vous êtes entrée. Deux fois déjà, vous avez obéi à un sentiment plus fort que votre volonté. J’espère que ce sentiment, quel qu’il soit, suffira pour vous faire revenir sur la réponse, un peu dure, que vous venez de me faire.

VALENTINE, descendant.

Ah ! vous me menacez !

RONCERAY.

Ah çà ! quel langage parlons-nous ?... où voyez-vous des menaces ?... ne sommes-nous pas des gens d’esprit ?... ne savons-nous pas nous comprendre à demi-mot, et sous-entendre ce qui doit être sous-entendu.

VALENTINE.

Oh ! oui, je vous comprends ! je suis dans votre main, je dois faire ce que vous exigez ?... et si je refuse, si je résiste... Vous parlerez sans doute, vous donnerez des preuves, vous montrerez des lettres, vous me perdrez ?... C’est bien cela que vous voulez dire.

RONCERAY.

Je serais de très mauvais goût, si je disais des choses pareilles. Je dis tout bonnement ce qui est. Je me suis, par hasard, lié avec monsieur Clavarot ; monsieur Clavarot m’a pris en si grande amitié qu’il a fini par m’offrir la main de sa fille, avec huit cent mille francs... huit cent mille francs, à une époque où tout le monde a des revenus, et où personne n’a de capital ! Avouez que beaucoup d’honnêtes gens seraient, tout aussi bien que moi, séduits par la splendeur du chiffre. Mettez la première personne venue dans la position où je me trouve, il y a cent à parier contre un que cette personne ne se ‘conduira pas autrement que moi.

VALENTINE.

Mais, c’est une...

RONCERAY.

C’est une chose fort simple ; je me heurte ici à une exagération que je ne m’attendais pas à rencontrer chez vous.

VALENTINE.

Vous avez raison ; des scrupules excessifs me conviennent peu, à moi qui, sans en être digue, ai trouvé moyen de me glisser dans une famille...

RONCERAY.

Voilà encore de ces choses que je suis incapable de dire...

VALENTINE.

Ce que je prétends vous empêcher de faire, je l’ai fait moi même, vous le croyez, vous devez le croire... et cependant le ciel m’est témoin que je n’ai pas été complice de ce mensonge.

RONCERAY.

Comment ?...

VALENTINE.

Mon Dieu, je ne voudrais pas accuser ma mère, mais combien de fois je la suppliai d’avouer, de tout dire... elle ne le voulut pas, alors, moi, j’écrivis...

RONCERAY, effrayé.

Comment votre mari sait... ?

VALENTINE.

Rassurez-vous, monsieur, il ne sait rien. Ma mère ne me quittait pas. Elle épiait toutes mes démarches. La lettre que j’écrivis fut sans doute interceptée par elle. Le mariage se fit. Quand je demandai à mon mari s’il n’avait pas reçu une lettre, il me répondit : Non. Et à sa figure, je vis bien en effet qu’il n’avait rien reçu.

RONCERAY.

Votre mère était une femme de bon sens.

VALENTINE.

Je conviens que la force me manqua pour avouer de vive voix ce que j’avais écrit ; mais combien de fois je me suis repentie ! Mon mari n’a jamais su ce qu’il y avait d’humilité dans l’amour dont je l’ai entouré ; il me semblait toujours que je ne l’aimais, pas assez, et je tâchais de l’aimer davantage... J’ai réussi, et plus d’une fois, j’ai cru voir qu’il était ému de cette tendresse, de cette adoration.

Elle s’assied en pleurant près de la table.

RONCERAY.

Vous ne vous êtes pas trompée ! il un beau côté, ce parfumeur ! Quand on parle de vous, il est fier, il est grand, il vous aime.

VALENTINE.

Oui, il m’aime, je le sais ; et si vous parliez...

RONCERAY.

Pourquoi parlerais-je ? Nous ne sommes pas ennemis, je suppose ?

VALENTINE.

Et Gabrielle !... ma Gabrielle bien-aimée. Pendant longtemps j’ai eu peur de ses caresses... je n’osais pas la nommer ma fille... et quand, en me faisant violence, elle se jeta dans mes bras pour la première fois, quand elle m’embrassa malgré moi, et m’appela sa mère, je crus que c’était Dieu qui me disait que ma faute était expiée et que le baiser de cette enfant, c’était le pardon !

RONCERAY, à part.

Oh ! il faut que j’aie une terrible envie d’en finir !

VALENTINE.

Que deviendra-t-elle ?... À quoi pourra-t-elle croire, quand on lui aura dit que moi qu’elle aime, qu’elle respecte... je ne mérite pas ?... car vous direz ma faute, n’est-ce pas... mais vous ne direz pas que c’est vous...

RONCERAY.

Je pense que je ne dirai rien du tout ! Vous vous alarmez à tort. Pour que l’avenir, pour que le bonheur de toutes ces per sonnes qui vous sont chères fût sérieusement menacé, il faudrait un scandale... un scandale que je ne ferai pas... parce que je n’aurai aucune raison de le faire. Clavarot vous aime et continuera de vous aimer. Mademoiselle Gabrielle ne sera pas per due, parce qu’elle sera ma femme.

Il remonte.

VALENTINE, se levant.

Votre femme ? Mais elle ne vous aime pas.

RONCERAY.

Je ne saurais lui en faire un crime ; je n’ai pas encore eu l’honneur de lui être présenté... il serait difficile...

VALENTINE.

Elle on aime un autre.

RONCERAY.

Oui, je sais : Lucien Mauroy ! Cela n’est pas dangereux. Quelle est la jeune fille qui, avant son mariage, n’a pas aimé plus ou moins un autre homme que son mari ?... Toutes ont eu leur rêve ! Toutes, avant d’entrer dans la vie, se sont promenées dans ce jardin charmant que tout le monde traverse ; mais dans lequel, assez généralement, personne ne s’arrête.

VALENTINE.

Elle aime Lucien, vous dis-je ! elle l’aime, et elle mourra, s’il faut qu’elle renonce.

RONCERAY.

Rassurez-vous ! On ne meurt pas. Vous êtes-vous amusée quelquefois à regarder les gens dans une salle de spectacle ? Croyez-vous qu’ils soient tous casés selon leur goût, selon leur humeur ? Non, assurément. Madame une telle, qui est là avec son mari, ne demanderait pas mieux que d’aller dans une baignoire avec le comte de trois étoiles qui est à l’orchestre. De son côté, monsieur un tel déserterait volontiers la loge conjugale et s’en irait demander une toute petite place à cette danseuse qui est à l’avant-scène. La danseuse, enfermée avec un gros monsieur qui l’ennuie, voudrait bien aller autre part. Certes, si l’on disait à tous ces gens : Ouvrez les portes de vos loges et placez-vous comme cela vous sera le plus agréable, il y aurait un beau remue-ménage. Il n’en est rien cependant. La pièce se joue, s’achève, tant bien que mal, et personne ne bouge de sa place. Eh bien, chère madame, c’est absolument la même chose dans la vie. Votre fille restera bien tranquillement dans ma loge... elle lorgnera Lucien, qui sera dans la loge à côté, et ne mourra pas. On se fait à tout, croyez-le bien.

VALENTINE.

Mais vous devez bien comprendre pourtant que ce mariage est impossible... Gabrielle ne peut pas...

RONCERAY.

Eh ! mon Dieu ! la voilà bien malheureuse, quelle idée avez vous donc de moi ? Je crois, moi, qu’une fois marié, je serai le meilleur des hommes et qu’elle finira par m’adorer ! Voyons, n’êtes-vous pas entrée, vous, dans ce monde de la même façon que je prétends y entrer ? cela vous empêche-t-il d’aimer votre mari, vos enfants, et d’être aimée par eux ? Qui vous dit que si je tiens à ce mariage, ce n’est pas pour goûter à mon tour ces joies de l’intérieur, dont vous craignez de voir votre fille privée on m’épousant ?... Ne savez-vous pas que c’est pour nous surtout, qui en sommes exclus, que la famille est une chose belle et désirable ? Entrer dans la famille, je n’ai pas d’autre ambition ; j’y entrerai à quelque prix que ce soit, par la violence, s’il le faut, pou m’importe ! Tant mieux pour ceux qui ont trouvé dans leur berceau le bonheur dont j’ai envie, et pour qui la vertu n’a pas été une conquête.

VALENTINE.

Ah ! monsieur ! monsieur !

RONCERAY.

Mais pardon ! je me laisse emporter, moi... et je vous dis là une foule de choses qu’il est tout à fait inutile... Il fait un froid de tous les diables ici, et je vous demande pardon de vous y avoir fait rester si longtemps.

VALENTINE.

Quoi que vous disiez, monsieur, ma résolution ne peut pas changer, il est impossible...

RONCERAY.

Ah ! je vous en prie, madame, ne me répondez pas maintenant. Les réponses faites d’enthousiasme sont généralement imprudentes ; attendez que vous ayez réfléchi.

VALENTINE.

Monsieur...

RONCERAY.

Je vous préviens, madame, que je ne considérerai pas comme une réponse ce que vous pourrez me dire maintenant ; nous ne tarderons pas à nous revoir. Je sais le prix du temps, et j’espère être chez monsieur Clavarot peu d’instants après vous.

VALENTINE, près de la porte.

Je m’opposerai à ce mariage, monsieur, quoi qu’il puisse arriver, je m’y opposerai ! J’avoue qu’un instant j’ai eu peur... j’ai tremblé devant vous... mais maintenant je suis sûre de moi !

Elle sort.

 

 

Scène V

 

RONCERAY, seul

 

Il reste étonné un instant. Bon, après l’héroïsme, la réflexion !... Elle réfléchira... et elle cédera ! Si j’étais aussi sûr du consentement de de Tersac que je suis sûr... Cette lettre ! cette lettre l... Philiberte a en le temps de me répondre...

Entre madame Boquet.

Ma lettre ?...

 

 

Scène VI

 

RONCERAY, MADAME BOQUET

 

MADAME BOQUET.

La voici, monsieur. Elle est arrivée il y a à peu près dix minutes.

RONCERAY.

Ah ! donnez ?... « Cher ami, vous avez plus de bonheur que vous n’en méritez. Le comte de Tersac, le vrai, s’est exécuté avec une facilité qui, je l’avoue, m’a un peu étonnée. Il fera écrire une lettre par son oncle ; cette lettre arrivera ayant une heure chez le père de la jeune personne. Soyez donc heureux, puisque vous vous obstinez à chercher le bonheur loin de votre PHILIBERTE. » Pour le coup, je crois que je puis aller commander les violons.

MADAME BOQUET.

Vous êtes content, monsieur ?

RONCERAY.

Très content ! et mes voisines, sont-elles contentes aussi ? leur bon ange est-il venu les voir ?

MADAME BOQUET.

Oui, monsieur. Cette jeune demoiselle est là, près de la malade.

RONCERAY.

Ces deux femmes n’ont donc aucun parent ?

MADAME BOQUET.

Je me suis laissé dire que la fille était mariée, que son mari était toujours tout flambant neuf, et qu’il vivait avec des péronnelles !

RONCERAY.

Ah bah ! est-ce que par hasard je serais en pays de connaissance ?

Frasquin pousse la porte et entre.

 

 

Scène VII

 

RONCERAY, MADAME BOQUET, FRASQUIN

 

FRASQUIN.

Pardon ! ce n’est pas ici.

RONCERAY.

Non, Frasquin, la personne que vous venez voir demeure à côté.

FRASQUIN.

Ronceray !

RONCERAY.

Il paraît que vous ne connaissez pas bien la porte.

FRASQUIN.

Mais vous vous trompez... je ne viens pas...

RONCERAY.

Je vous ai quelquefois entendu accuser de ne pas être un mari modèle... je vois bien maintenant que c’est pure calomnie !

FRASQUIN.

Je ne m’en défends plus. Je viens ici pour faire une bonne action ; il me serait désagréable que cela fût publié. Je compte sur votre discrétion.

RONCERAY.

Vous faites bien.

FRASQUIN.

J’y compte d’autant plus que si vous vous avisiez de raconter mes bonnes œuvres, je me verrais forcé, moi, de raconter vos bonnes fortunes !

RONCERAY.

Vous dites ?

FRASQUIN.

Oui ! je dirais que je vous ai trouvé ici, et que j’ai rencontré dans l’escalier une femme voilée... Vous comprenez qu’à la veille de votre mariage...

RONCERAY, un peu troublé.

Vous vous trompez... je ne viens pas ici...

FRASQUIN.

Bon ! voilà que vous me prenez mes phrases.

RONCERAY.

Vous faites le plaisant, Frasquin !

FRASQUIN.

Quelquefois. La porte à côté, n’est-ce pas ? Adieu, Ronceray.

Il sort.

RONCERAY.

Des menaces ! décidément, j’ai eu tort de ne pas le tuer.

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

MADAME BOQUET, GABRIELLE

 

MADAME BOQUET.

Qu’est-ce que cela veut dire ?... Est-ce que ce petit monsieur qui ricane serait le mari en question ?

La porte de côté s’ouvre. Gabrielle entre pâle, abattue, elle s’arrête près de la porte et s’appuie contre un meuble.

GABRIELLE.

Oh ! ma mère ! ma pauvre mère !

MADAME BOQUET.

Eh ! mademoiselle, qu’avez-vous ? comme vous êtes pâle !

GABRIELLE.

Silence !

 

 

ACTE IV

 

Décor du premier acte.

 

 

Scène première

 

GEORGES, CLAVAROT, MAUROY

 

CLAVAROT, assis sur le canapé, il se lève.

Voilà donc où je le retrouve, dans un monde où l’on se moque de moi, et où l’on me vole ma bourse...

GEORGES.

J’ai eu tort, mon père.

CLAVAROT.

As-tu pu te prêter à une aussi coupable mystification !...

GEORGES.

Si j’avais réfléchi, j’aurais refusé. Je con viens que j’ai eu tort de ne pas réfléchir.

CLAVAROT.

Te faire passer, toi, pour le neveu d’une Excellence.

GEORGES.

Mon père, j’ai eu tort...

CLAVAROT.

Eh ! j’ai eu tort, j’ai eu tort... Penses-tu donc avoir répondu à tout, en disant : J’ai eu tort.

MAUROY, allant à Clavarot.

C’est ce qu’il a de mieux à dire. Tu ne ferais pas mal, toi, de suivre l’exemple qu’il te donne et de reconnaître à ton tour...

CLAVAROT.

Ah ! fais-moi grâce...

MAUROY.

T’imagines-tu que dans ce boudoir, tu faisais meilleure figure avec tes cinquante-cinq ans que lui avec ses vingt-deux ? Penses-tu qu’un fou à cheveux gris soit plus respectable qu’un écervelé à moustaches blondes, et ne sens-tu pas que si le respect ne lui fermait la bouche il pourrait le répondre : Je conçois, mon père, que vous n’ayez pas été satisfait de me trouver dans un pareil endroit, mais avouez que moi, j’ai dû être furieusement surpris de vous y rencontrer.

CLAVAROT.

Ce n’est pas le moment de sermonner...

MAUROY.

C’est mon avis, mais alors laisse-le tranquille.

Entre Valentine, de la droite. 

 

 

Scène II

 

GEORGES, CLAVAROT, MAUROY, VALENTINE

 

VALENTINE.

Georges est revenu ?

CLAVAROT.

Oui, il est revenu...

VALENTINE.

De quel ton tu dis cela ?

CLAVAROT.

Le neveu du ministre... Voilà ce qu’ils m’ont donné comme étant le neveu du ministre.

Il remonte.

VALENTINE.

Qu’est-il donc arrivé ?

MAUROY.

On vous le racontera... Somme toute, c’est un assez petit mal pour un grand bien, puisque cette aventure ramène ici le fils de la maison et nous délivre enfin des griffes d’un intrigant...

VALENTINE.

En sommes-nous délivrés ?

MAUROY.

Je ne pense pas qu’il ose revenir ici après ce qui s’est passé... cela serait d’une trop baute impudence...

Entre le domestique.

LE DOMESTIQUE.

Monsieur Ronceray fait demander si monsieur Clavarot peut le recevoir.

CLAVAROT.

Moi, par exemple.

LE DOMESTIQUE.

Il rapporte, dit-il, certains papiers qui lui ont été confiés par monsieur, et qu’il ne peut remettre qu’à monsieur.

GEORGES.

C’est moi qui le recevrai.

MAUROY, lui prenant le bras.

Toi, fais-moi l’amitié de le tenir tranquille.

À Clavarot, sans lâcher Georges.

Qu’est-ce que c’est que ces papiers ?

CLAVAROT.

Mais... des pétitions... des mémoires... Toutes choses assez délicates qu’il est inutile de lui laisser. Je vais le recevoir et le traiter comme il le mérite.

GEORGES.

Non. C’est à moi.

MAUROY.

Si vous voulez être raisonnables, vous allez me faire le plaisir de rentrer tous les deux ; je vais lui parler, moi qui suis de sang-froid, et je vous promets d’en débarrasser la maison...

CLAVAROT.

Je crois qu’il vaut mieux...

MAUROY.

Eh ! n’aie pas peur, je le donne ma parole, que je te les rendrai sans les lire, tes mémoires et les pétitions.

CLAVAROT.

Et puis j’aurais aimé à lui dire son fait.

MAUROY.

Je lui dirai ce qu’il faut lui dire. Rentre chez toi, et va-t’en avec ton père, Georges, je n’ai pas du tout besoin de toi.

GEORGES, à part.

Bon, je trouverai bien un moment.

Il sort avec son père par la deuxième porte à gauche.

 

 

Scène III

 

LE DOMESTIQUE, MAUROY, VALENTINE

 

VALENTINE.

Eh bien, cette preuve que vous êtes allé chercher.

MAUROY.

On me l’a donnée ; j’ai dans les mains l’arme que je voulais avoir, et je vous promets qu’entre monsieur Ronceray et moi la conversation ne sera pas longue.

VALENTINE.

Vous pouvez le contraindre à renoncer ?...

MAUROY.

Oui... et très vite, encore.

VALENTINE.

Ah ! puissiez-vous dire vrai.

À Baptiste.

Mademoiselle est dans sa chambre ?

LE DOMESTIQUE.

Non, madame, mademoiselle est sortie.

VALENTINE.

Comment, sortie...

LE DOMESTIQUE.

Oui, avec Ursule ; avant de sortir, elle a écrit sur un papier l’adresse de la personne qu’elle allait voir... Elle a dit que vous sauriez...

Montrant un papier sur la table.

Le papier est là, je crois.

VALENTINE.

C’est vrai, elle m’a prévenue, je ne sais où j’ai la tête...

À Mauroy.

Vous êtes sûr de réussir, n’est-ce pas ?

MAUROY.

Tout à fait sûr.

Au domestique.

Dites à monsieur Ronceray qu’il peut entrer.

 

 

Scène IV

 

MAUROY

 

Voilà un homme qui ne quitte pas facilement la partie, c’est une justice à lui rendre. Sur quoi peut-il encore compter ?

 

 

Scène V

 

RONCERAY, MAUROY

 

RONCERAY, à part.

On a mis du temps à se décider...

Haut.

Tiens, c’est vous, monsieur ?

MAUROY.

Oui, monsieur, c’est moi.

RONCERAY.

Eh bien, vous ne croirez si vous voulez... mais je me doutais un peu que j’allais avoir l’honneur de me trouver en face de vous... j’ai comme cela des pressentiments.

MAUROY.

Et peut-on vous demander qui vous faisait supposer ?

RONCERAY.

Mais vous êtes l’ami intime de la maison. Vous êtes le père de Lucien, de celui qui épousera, si je n’épouse pas. Il était assez naturel de présumer que ce serait vous qui seriez, à ce double titre, chargé de me mettre définitivement à la porte.

MAUROY.

Ce qui me plaît avec vous, monsieur, c’est que l’on est, dès le premier mot, amené à dire les choses tout uniment, sans périphrases et sans restrictions ; cela donne du piquant à la conversation et beaucoup de netteté au dialogue.

RONCERAY.

Je ne suis pas ennemi de la franchise, monsieur, et vous me voyez disposé à dialoguer avec toute la netteté imaginable.

MAUROY.

C’est très bien ; vous avez, dites-vous, certains papiers à remettre à Clavarot ?

RONCERAY.

Oui.

MAUROY.

Voulez-vous me les remettre à moi ?

RONCERAY.

Non.

MAUROY.

Ah !

RONCERAY.

Ce n’est pas que je veuille rien faire de ces papiers qui sont en eux-mêmes assez peu importants. Mais, je suis venu ici avec l’intention de les remettre à monsieur Clavarot, et, comme j’ai assez l’habitude de faire ce que j’ai résolu, je ne les remettrai qu’à monsieur Clavarot.

MAUROY.

Vous avez tort, monsieur, de vous entêter dans une partie perdue.

RONCERAY.

Partie perdue ? Prenez garde, voilà que vous vous écartez de cette netteté que vous m’avez promise.

MAUROY.

Je ne plaisante pas, monsieur.

RONCERAY.

Ni moi non plus, je vous jure.

MAUROY.

Certaines gens dont la réputation n’est pas irréprochable ont un avantage, c’est que tout en les accusant d’une foule do légèretés dont personne ne doute, il est généralement assez difficile de rien prouver sur leur compte... cet avantage, monsieur, vous ne l’avez pas ; avec vous, rien de plus facile que de préciser... et de prouver...

RONCERAY.

Oh ! oh ! voilà que nous revenons à la franchise, il paraît.

MAUROY.

Vous plaît-il que je continue ?

RONCERAY.

Mais sans doute, vous avez parlé de préciser, précisons ; vous avez parlé de prouver, prouvons.

MAUROY.

Soit, il y a deux ou trois ans... vous aviez alors installé dans un entresol de la rue Laffitte je ne sais quels bureaux ; une personne avec qui vous étiez en relation d’affaires, qui prenait vos conseils pour la direction de ses intérêts eut à faire un voyage, elle vous confia à titre de dépôt une somme importante, en actions industrielles, en obligations... Des obligations, des actions industrielles, quand on a cela dans la main, il est tout aussi facile de s’en servir que de se servir de billets de banque ou de pièces de cinq francs... nul n’y peut rien voir...

RONCERAY.

C’est très exact, ce que vous dites-là.

MAUROY.

Est-ce cette trop grande facilité qui vous tenta ? toujours est-il que lorsque cette personne revint, il manquait au dépôt une somme de vingt mille francs.

RONCERAY.

Vous savez ?

MAUROY.

Je sais. Comment vous êtes-vous tiré de là ? avez-vous fait des promesses ? pris des engagements ? je l’ignore... mais ce que je sais bien, c’est que le détournement a eu lieu, ce que je sais aussi, c’est qu’il existe une preuve de ce détournement... vous avez écrit à la personne !

RONCERAY.

Ah ! j’ai eu tort.

MAUROY.

Une lettre fort pathétique, du reste, où vous avouez, où vous vous rejetez sur un moment d’entraînement... où vous vous repentez, où vous vous engagez à restituer...

RONCERAY.

Et cette lettre ?

MAUROY.

Je l’ai.

RONCERAY.

Et Ganneran se dit mon ami !... Croyez donc à l’amitié.

MAUROY.

La voici... cette lettre.

RONCERAY.

Diable ! diable... je commence à croire que j’ai commis une grande imprudence en écrivant, et vous me paraissez homme à me faire repentir de cette imprudence.

MAUROY.

Vous comprenez bien cependant que ceci est un avertissement beaucoup plus qu’une menace, et je n’ai pas besoin de vous dire que vous avez un moyen très simple de me fermer la bouche et d’empêcher cette lettre de sortir de mon portefeuille !

RONCERAY.

Quel moyen ?

MAUROY.

De vous retirer de cette maison où la position n’est plus tenable pour vous.

RONCERAY.

Ah ! permettez, me retirer sans me défendre ? sans essayer de répondre.

MAUROY.

Que répondrez-vous ?

RONCERAY.

La vérité. Cet argent, ce n’est pas moi qui m’en suis servi, j’ai cédé à l’affection que j’avais pour un de mes amis, j’ai eu l’imprudence de croire à des promesses.

MAUROY.

Est-ce là ce que vous direz ?... C’est faible...

RONCERAY.

Vous trouvez ?

MAUROY.

Ma foi, oui... Vous savez que nous sommes convenus de supprimer toute périphrase...

RONCERAY.

Je pourrais, moi aussi, montrer une lettre.

Il en prend une dans son portefeuille.

MAUROY.

Je crois qu’elle ne vaudrait pas le mienne.

RONCERAY.

Rien qu’en voyant la signature, parions que vous changerez d’avis...

MAUROY.

J’en doute.

RONCERAY.

En vérité ; vous me poussez trop, et je tiens à vous con vaincre...

Il lui donne la lettre.

MAUROY.

Mon fils !...

RONCERAY.

Lisez, monsieur, lisez...

MAUROY.

Mon fils, il vous demande pardon de vous avoir mis dans un tel embarras, il vous remercie d’avoir payé ; il s’engage à vous rendre cela quand ma colère sera passée... c’est lui qui a dépensé cet argent.

RONCERAY.

J’ai eu tort de le lui donner, j’en conviens, mais il était si amoureux, et d’une très jolie fille, ma foi, c’est là une raison qui vous aurait peu touché sans doute, mais moi, que voulez vous, je suis plein d’indulgence pour les faiblesses humaines et je n’ai pas pu résister...

MAUROY.

Vous avez payé !

RONCERAY.

Le plus vite que j’ai pu, pas assez vite malheureusement pour empêcher certain bavard de bavarder... Le nom de Lucien a été prononcé... mais un coup d’épée que j’ai donné à propos.

MAUROY.

Vous vous êtes battu pour mon fils !

RONCERAY.

Vous n’en revenez pas !... Ah ! décidément, monsieur, la vertu est une belle chose, mais il est fâcheux qu’elle soit le plus souvent doublée d’une parfaite ignorance de la vie. Eh ! oui, monsieur votre fils était mon ami et je me suis battu pour lui... Cela n’a rien d’extraordinaire, quand nos amis ne sont pas là, nous les défendons, c’est une qualité que nous avons... Nous en avons quelques autres dont vous ne vous doutez guère et qui sans doute, si vous les aviez connues, vous auraient engagé à mettre un peu plus de mesure dans vos sarcasmes... Peut-être, en tout cas, n’auriez-vous pas dû oublier que la première vertu de la vertu voit être l’indulgence.

MAUROY.

C’est mon fils qui a emprunté cet argent... et vous n’avez rien dit, et vous vous êtes laissé accuser !...

RONCERAY.

N’était-ce pas tout naturel ? votre fils tient à la famille, lui !... La famille l’enveloppe, le défend, le protège, le chérit... le monde l’appelle et lui sourit. Il fallait se garder de compromettre cet avenir, de détruire toutes ces espérances... Mais moi, qu’importait que je misse entre le monde et moi un obstacle de plus ?... Innocent ou coupable, ne savais-je pas que toutes ces portes qui, devant Lucien, s’ouvrent à deux battants, se fermeraient devant moi ? Innocent ou coupable, ne savais-je pas que si je faisais mine de vouloir rentrer dans ce monde où votre fils est reçut à bras ouverts, un homme vertueux, irréprochable, comme vous, monsieur, ne manquerait pas de se dresser contre moi, et de m’en interdire solennellement l’entrée ?...

MAUROY.

Et votre intention, sans doute, est de vous servir de cette lettre ?

RONCERAY.

Si telle avait été mon intention, je ne m’en serais pas dessaisi, et puis, monsieur, permettez-moi de vous dire qu’il y a un quart d’heure encore je n’aurais pas cru qu’un homme pût sérieusement songer à en intimider un autre en le menaçant de divulguer une lettre... je croyais ce vieux moyen relégué au fond des romans de troisième ordre. Il paraît que cela se fait encore, je vous remercie de me l’apprendre, mais vous trouverez bon, malgré l’estime profonde que j’ai pour vous, que je ne vous imite pas en cette circonstance. !

MAUROY.

Monsieur...

RONCERAY.

Permettez-moi de conserver mes avantages. Il y a ici deux hommes, l’un est un honnête homme... l’autre... ah ! l’autre est un aventurier, un intrigant... Sont-ce bien les mots dont on se sert, je me traite peut-être trop doucement... Eh bien, il se trouve que c’est l’aventurier qui a payé les dettes de l’honnête homme, que c’est l’intrigant qui s’est battu pour conserver intacte la réputation de l’honnête homme... Vous avouerez que cela est original et que ma situation est trop belle pour que j’y veuille rien changer... Non, monsieur, non, mon intention n’est pas de me servir de cette lettre, et je vous prie de la garder... de garder aussi la mienne, et, pendant que nous y sommes, prenez encore ces lettres de change que j’ai acquittées. Tout y est-il ?... Oui, maintenant je n’ai plus d’armes, il vous en reste une dans la main, foudroyez-moi...

MAUROY.

Monsieur, je suis parfaitement battu, voilà tout ce que je puis vous répondre pour le moment. Je m’étais en effet engagé, un peu légèrement, à obtenir de vous ces papiers que vous désirez ne remettre qu’à Clavarot. Il ne me reste qu’à aller confesser ma défaite, et à le prier de venir vous parler lui-même.

RONCERAY, à part.

Allons donc !...

MAUROY.

Je n’ai pas besoin de vous dire que les sommes pour les quelles mon fils s’est engagé vont vous être immédiatement remises.

RONCERAY.

Ah ! monsieur, ne parlons pas de cela, je vous prie, je lui ai rendu ce service avec infiniment de plaisir et je regrette beaucoup que, dans la situation présente, mes intérêts se trouvent directement opposés aux siens.

MAUROY.

Je vais dire à Clavarot que vous l’attendez.

RONCERAY.

Monsieur.

 

 

Scène VI

 

RONCERAY

 

À Clavarot, maintenant... Oh ! quant à lui... dans une heure la lettre du ministre, me dit Philiberte, cette bienheureuse lettre tombera juste au milieu de notre conversation.

Entre Georges, deuxième porte à gauche.

 

 

Scène VII

 

GEORGES, RONCERAY

 

GEORGES.

Il est seul, très bien.

RONCERAY.

Eh ! eh | c’est vous, vicomte...

GEORGES.

Oui, monsieur, c’est moi.

RONCERAY.

Avouez que la situation n’a pas manqué d’une certaine gaieté ; si jamais vous vous décidez à planter là vos éditeurs et à travailler pour le théâtre, je vous engage à vous la rappeler.

GEORGES.

Fort bien, monsieur ; mais je sais un excellent moyen de sortir de cette situation.

RONCERAY.

Et quel est ce moyen ?

GEORGES.

C’est de venir tout bonnement vous trouver et de vous dire : Monsieur, j’ai sans doute beaucoup de ridicules ; mais à côté de ces ridicules, j’ai une qualité : j’aime énormément mon père ; or, comme vous vous êtes moqué de lui, comme vous l’avez bafoué, vous trouverez bon que je vous emmène avec moi quel que paré, afin de voir si l’argent donné par mon père à mon professeur d’escrime n’a pas été un argent complètement perdu.

RONCERAY.

Vrai, vous venez me demander ?...

GEORGES.

Parole d’honneur...

RONCERAY.

Eh bien, Georges, vous êtes un gentil garçon, et cette provocation, bien que faite en termes un peu emphatiques, me plaît infiniment ; quoi que l’on puisse dire, il y aura toujours une différence notable entre l’homme qui file doux et celui qui est prêt à payer de sa personne. Cela seul vous distingue de pas mal de petits jeunes gens qui eussent très gentiment empoché ce camouflet, et n’eussent pas sourcillé.

GEORGES.

Quand nous battons-nous ?

RONCERAY.

Nous battre !

GEORGES.

Eh ! oui.

RONCERAY.

Pardieu, nous ne nous battons pas. Je vous l’ai dit : Je suis enchanté de voir que vous êtes un garçon de cœur, je n’ai pas autre chose à vous répondre.

GEORGES.

Eh ! monsieur.

RONCERAY.

Voyons, vous me connaissez, vous savez que je ne suis pas assez bête pour être un poltron, donc, si je refuse de me battre avec vous, c’est qu’il est impossible... Vous ne tarderez pas à savoir pourquoi...

GEORGES.

Je vous forcerai bien...

RONCERAY.

Doucement, il ne faut pas m’y forcer ; si j’y étais forcé, je me battrais peut-être, et cela gâterait tout.

 

 

Scène VIII

 

GEORGES, RONCERAY, CLAVAROT

 

CLAVAROT.

Qu’est-ce que c’est encore ?

RONCERAY.

Vous arrivez à merveille, monsieur Clavarot ; faites donc finir votre fils, qui veut se battre avec moi.

GEORGES.

Certes, et je vous...

CLAVAROT.

Se battre, qu’est-ce que c’est que ça, se battre ? Est-ce que je l’ai laissé pendant dix ans dans un collège pour faire de toi un gladiateur ?

RONCERAY, à Georges.

Là... voilà ce que vous vous attirez...

CLAVAROT.

Laisse-nous... je n’ai besoin de personne pour m’expliquer avec monsieur, et pour lui dire...

GEORGES, à Ronceray.

Je vous retrouverai.

RONCERAY.

Cela ne vous sera pas difficile, mais je vous donne ma parole qu’à notre première rencontre vous me sauterez au cou.

CLAVAROT.

T’en iras-tu !

GEORGES.

Je m’en vais, mon père, je m’en vais !

Il sort.

 

 

Scène IX

 

CLAVAROT, RONCERAY

 

RONCERAY.

Il est charmant !

CLAVAROT.

Oui, je l’ai rembarré, mais ça n’empêche pas que je trouve qu’il avait raison.

RONCERAY.

Moi aussi, je trouve qu’il avait raison, je le lui ai dit, mais quand il saura la vérité.

CLAVAROT.

Oh ! oh ! la vérité...

RONCERAY.

Mon Dieu oui, la vérité...

CLAVAROT.

Espérez-vous, avec de belles paroles, venir à bout de moi comme vous êtes venu à bout de ce nigaud de Mauroy.

RONCERAY.

Ah ! il paraît que monsieur Mauroy...

CLAVAROT.

Quels contes avez-vous pu lui faire ?... Je crois, le diable m’emporte, qu’il m’a parlé de voire délicatesse.

RONGERAY.

Il est fort honnête.

CLAVAROT.

Allez, allez... Je vous connais maintenant, et vous ne m’enjôlerez pas.

RONCERAY.

Je puis vous affirmer que je n’en ai aucune envie.

CLAVAROT.

D’abord, vous me diriez les choses du monde les plus convaincantes que je ne vous croirais pas. Je me suis mis en tête que vous ne pouviez pas avoir raison, et je n’en démordrais pas, quand même vous auriez raison véritablement.

RONCERAY.

Je vous reconnais bien là.

CLAVAROT.

Vous avez des papiers à me donner.

RONCERAY.

Oui, les voici...

Il les lui donne.

Oh ! vous pouvez regarder, il n’y manque rien, il y a là tout ce que vous m’avez confié.

CLAVAROT.

Bien, mais qu’est-ce que c’est que ça... ce n’est pas mon écriture.

RONCERAY.

Non, c’est la mienne.

CLAVAROT.

La vôtre ! Pourquoi la vôtre ?

RONCERAY.

Mon Dieu, ces pétitions étaient sans doute rédigées d’une façon très ingénieuse... mais il y a dans l’administration certaines formules dont vous n’aviez pas pu vous servir, ne les connaissant pas, et qui sont très importantes ; et puis, vous n’aviez pas assez insisté sur les services que vous avez rendus au commerce, sur le nombre de personnes que vous avez fait travailler et qui vous ont dû leur bien-être... vous devez vous rappeler que vous m’aviez prié de revoir un peu votre prose et de faire les corrections que je jugerais nécessaires. Je l’ai fait, et, ce que vous tenez là, ce sont sans doute mos brouillons qui seront restés attachés...

CLAVAROT.

En effet, ces phrases là valent beaucoup mieux que les miennes.

RONCERAY.

Vous êtes trop bon.

CLAVAROT.

Non, je ne suis pas bon, je suis juste. Comme c’est bien dit, comme c’est bien expliqué !... Il est impossible qu’après avoir lu cela on hésite... Je ne croyais pas moi-même avoir tant de titres.

RONCERAY.

Je n’ai fait que répéter ce que vous aviez écrit, mais je l’ai répété en d’autres termes, et, vous savez, la forme...

CLAVAROT.

Ah ! si vous étiez assez bon...

RONCERAY.

Pour quoi faire, cher monsieur Clavarot ?

CLAVAROT.

Mais pour me laisser ces brouillons...

RONCERAY.

Comment donc ! avec le plus grand plaisir, je n’ai jamais eu l’intention de vous les redemander.

CLAVAROT.

Je vais prendre une belle feuille de papier ministre, et je suis bien sûr...

RONCERAY.

Maintenant, adieu !...

CLAVAROT.

Vous partez ?...

RONCERAY.

Mais je ne suis venu ici que pour vous rapporter ces papiers !...

CLAVAROT.

Ah ! c’est vrai ! Quel style ! quelle facilité ! et comme c’est dommage... Ah çà ! qu’est-ce que vous avez donc pu raconter à Mauroy pour le faire changer ?

RONCERAY.

Il ne vous l’a pas dit ?

CLAVAROT.

Non ; il m’a parlé vaguement d’une affaire qui avait besoin d’être examinée de près, mais dans laquelle, après tout, vous aviez le beau rôle...

RONCERAY.

Je continuerai à garder ce beau rôle en ne vous disant rien, puisque monsieur Mauroy a jugé à propos de ne rien vous dire.

CLAVAROT.

Ah ! si quelqu’un se chargeait de présenter... Mais enfin, vous ?... Je me rappelle notre première rencontre à l’Opéra ; il est évident que vous connaissiez des gens très bien placés, j’en ai vu qui se promenaient avec vous.

RONCERAY.

Qu’est-ce que cela prouve ? À l’Opéra, l’on se promène avec le premier venu.

CLAVAROT.

Il y en a un qui vous a tutoyé, je l’ai entendu.

RONCERAY.

Aujourd’hui on tutoie des gens dont on ne sait pas le nom.

CLAVAROT.

Vous avez beau dire, il est impossible qu’un homme répandu comme vous l’êtes n’ait pas assez de crédit pour...

RONCERAY, en riant.

Allons, adieu !...

CLAVAROT.

Voyons, vous me cachez quelque chose, vous êtes là à me regarder en riant... Pourquoi vous êtes-vous ainsi moqué de moi ?...

RONCERAY.

Cela vous paraît inexplicable ?

CLAVAROT.

Dame ! avouez qu’à ma place...

RONCERAY.

Bientôt vous verrez que c’est la chose la plus simple.

CLAVAROT.

Comment, bientôt ?

RONCERAY.

Oui, quand vous aurez reçu la lettre.

CLAVAROT.

Quelle lettre ?

RONCERAY.

La lettre que quelqu’un doit vous écrire...

CLAVAROT.

Quelqu’un qui ça, quelqu’un ?

RONCERAY.

Son Excellence le duc d’Anfreville. ?

CLAVAROT.

Le ministre ?

RONCERAY.

Oui...

CLAVAROT.

Le ministre doit m’écrire, à moi ?

RONCERAY.

Je l’en ai prié.

CLAVAROT.

Et cette lettre arrivera... quand ?

RONCERAY.

Dans dix minutes, si on me tient parole ; dans une demi-heure, si on me fait attendre.

CLAVAROT.

Mais vous ne m’avez donc pas trompé ?... le ministre est voire ami ?

RONCERAY.

Intime...

CLAVAROT.

Et son neveu, le comte ?...

RONCERAY.

Le comte de Tersac est.mon camarade d’enfance, je vous l’ai dit cent fois...

CLAVAROT.

Je sais bien que vous me l’avez dit... mais alors il y a une chose que je ne comprends pas du tout. Cette scène chez cette femme, cette comédie... ce rôle que vous m’avez fait jouer... pourquoi ?

RONCERAY.

Pourquoi ? je vais vous le dire, puisque nous avons dix minutes devant nous.

CLAVAROT.

Avant que la lettre arrive ?

RONCERAY.

Justement...

CLAVAROT.

Je vous écoute... je suis, ma foi, curieux...

RONCERAY.

Qu’est-ce que je vous ai dit, le jour où il a été convenu que je serais votre gendre ?

CLAVAROT.

Vous m’avez dit que le ministre serait enchanté d’accorder à votre beau-frère la faveur que...

RONCERAY.

Oui, mais avec cela ?...

CLAVAROT.

Vous m’avez dit que vous n’aviez pas la moindre fortune, mais que votre avenir était superbe.

RONCERAY.

Bien... bien... mais encore ?...

CLAVAROT.

Vous m’avez dit que César...

RONCERAY.

Non, non...

CLAVAROT.

Dame ! vous m’avez dit tant de choses !

RONCERAY.

Je vous ai dit que ce qui me séduisait le plus dans ce mariage, c’est qu’il me ferait entrer dans une famille sérieuse, unie, compacte.

CLAVAROT.

Compacte ; en effet, je me rappelle.

RONCERAY.

Or, remarquez que, si unie, si compacte que fût votre famille, il était cependant vrai qu’au moment même où je vous disais cela, le fils de la maison était en train de courir la pretantaine.

CLAVAROT.

Ça c’est vrai.

RONCERAY.

De quoi fallait-il donc s’occuper avant tout ? N’était-il pas nécessaire de resserrer le faisceau qui menaçait de se priser, de ramener ici l’enfant prodigue, comment ? par des paroles, par des conseils ? Ah ! montrez-moi un homme, un seul, que des conseils aient sérieusement corrigé. Ce n’étaient pas des paroles qu’il fallait, il fallait quelque chose de frappant ; un fait dont le souvenir restât, une scène saisissante, la scène que j’ai imaginée.

CLAVAROT.

Comment, c’est pour arriver...

RONCERAY.

Voyez le magnifique résultat. Votre fils perdait sa jeunesse, compromettait son avenir... Vous entrez, il vous reconnait, le coup est porté, tout ce qu’il y a de bon en lui reparaît. Sa vertu se ranime et brille d’un éclat merveilleux, il est guéri, il est sauvé. Comprenez-vous, maintenant !... Étudiez et méditez, monsieur Clavarot, ce sont là les combinaisons de la politique...

CLAVAROT.

Que je suis loin encore de cette profondeur !...

RONCERAY.

Voilà pour votre fils. Maintenant, passons à vous. Vous aussi, vous aviez un défaut.

CLAVAROT.

Moi ?

RONCERAY.

Un défaut très grave, qui était de vous figurer que les intrigants peuvent avoir du crédit et de courir après la protection du premier venu.

CLAVAROT.

Par exemple !

RONCERAY.

Ne niez pas, je sais à quelles personnes vous vous êtes adressé avant de vous adresse : à moi... Et aujourd’hui encore, chez Philiberte, quand je songe qu’avec ce domestique...

CLAVAROT.

Il m’a volé ma bourse...

RONCERAY.

Il a bien fait et vous auriez mérité de recevoir une leçon plus sévère. Quelles idées avez-vous donc ? Pensez-vous que pour s’élever, un homme n’ait qu’à se débarrasser de son honorabilité, comme un ballon se débarrasse de son lest ? Non, monsieur, il n’y a pour arriver à une position élevée qu’un seul chemin, la ligne droite, le mérite personnel est le seul titre que l’on puisse faire valoir, et l’on ne cède aujourd’hui à aucune recommandation, si ce n’est à celle, bien entendu, que portent avec elles les grandes vertus et les belles actions.

CLAVAROT, d’un air dégagé.

Il y a bien aussi l’influence : des femmes.

RONCERAY, sévère.

Les femmes n’ont aucune influence.

CLAVAROT.

Oh ! aucune !

RONCERAY.

Aucune, monsieur.

CLAVAROT.

Allons donc, et la modiste, vous savez bien la modiste, oranges.

RONCERAY.

Qu’est-ce que vous me racontez-là ?

CLAVAROT.

Eh ! c’est vous qui m’avez dit...

RONCERAY.

Je vous ai dit tout cela pour vous éprouver, et je vous ai mené chez Philiberte pour vous apprendre que lorsqu’un honnête homme a envie d’obtenir une faveur, il ne doit point aller la solliciter dans un boudoir...

CLAVAROT.

Comment, c’était là votre intention ?

RONCERAY.

Sans doute.

CLAVAROT.

Ma foi, vous avez bien fait de me l’expliquer. Le diable m’emporte si je m’en serais douté.

Entre le domestique.

LE DOMESTIQUE.

Monsieur, voici une lettre que l’on apporte pour vous.

CLAVAROT.

Une lettre.

RONCERAY, à part.

Ô Tersac, je te pardonne.

CLAVAROT.

Du ministère. C’est du ministère !...

RONCERAY.

Je le sais bien, puisque je vous l’ai annoncée.

CLAVAROT.

Vite... vite... ma femme... ma fille... est-ce qu’elle est rentrée ?

LE DOMESTIQUE.

Oui, monsieur.

CLAVAROT.

Qu’elles viennent toutes les deux. Dites aussi à mon fils... Je veux que tout le monde soit là... Ah ! donnez ceci à l’homme qui a apporté la lettre, donnez-lui à boire s’il a soif, à manger s’il a faim !

LE DOMESTIQUE.

C’est bien, monsieur.

Il sort par la deuxième porte à gauche.

CLAVAROT.

Je veux lire cette lettre devant tout le monde, en cérémonie. Comme je suis content d’être resté en habit noir.

 

 

Scène X

 

GEORGES, CLAVAROT, RONCERAY

 

CLAVAROT.

Ah ! ah ! monsieur mon fils, il ne s’agit plus de s’entr’égorger maintenant.

GEORGES, à Ronceray,

Monsieur, je suis allé chez monsieur Mauroy pour le prier d’être mon témoin, il m’a répondu que cela était impossible, que vous vous étiez battu pour défendre son fils.

RONCERAY.

C’est la vérité, Georges...

CLAVAROT.

Cela ne m’étonne pas, il a toutes les vertus, il est sublime ! Son Excellence vient de m’écrire.

 

 

Scène XI

 

GEORGES, CLAVAROT, RONCERAY, VALENTINE, GABRIELLE

 

CLAVAROT.

Là, venez ici, ma fille !

Il ouvre la lettre.

La signature du ministre !... c’est bien la signature du ministre.

À Georges.

Ne perds pas l’enveloppe. Gabrielle... 

GABRIELLE.

Mon père !

CLAVAROT.

Je sais mieux que personne ce qui convient à ton bonheur, et je crois que tu seras heureuse en épousant monsieur Ronceray qui est l’ami du ministre et qui a un avenir superbe.

VALENTINE.

Que dis-tu là, mon ami ? tu sais bien...

RONCERAY.

Ah ! madame...

GABRIELLE, vivement.

Vos volontés sont les miennes, mon père, et je serai heureuse, de faire ce qui vous sera agréable.

VALENTINE.

Comment !

RONCERAY, à Gabrielle.

Je vous remercie, mademoiselle, de vouloir bien prendre en considération l’amour que vous m’avez inspiré depuis longtemps.

CLAVAROT.

Et maintenant... attention, voici la lettre de Son Excellence... C’est bien à moi, voyez : « À monsieur Clavarot. »

Il lit.

« Monsieur, mon neveu me prie de vous écrire moi-même, pour vous édifier sur le compte d’un monsieur Ronceray qu’il connait parfaitement, et que moi je ne connais pas du tout. Je suis enchanté de vous rendre ce petit service, et je vous engage sérieusement à vous défier de cet homme, qui est à ce qu’il paraît un aventurier fort habile, et très peu scrupuleux. » Ouf !

GEORGES.

Cela est bien dit... et je ne suis pas fâché !

RONCERAY, cherchant à se remettre.

Ma foi, même de la part d’un ami intime, la plaisanterie me paraît un peu forte.

CLAVAROT, allant à lui.

En effet, je trouve que la plaisanterie... c’est écrit et signé...

RONCERAY, menaçant.

Heureusement que madame sait...

VALENTINE, avec indignation.

Je sais...

GABRIELLE, lui coupant la parole et passant devant elle.

Tu sais... que monsieur m’aime depuis longtemps. Il l’a dit tout à l’heure.

À Ronceray.

Vous avez raison, monsieur, c’est là votre meilleur titre, et vous avez eu tort de ne pas vous en contenter ! Il fallait aller trouver mon père et lui dire : J’aime votre fille ; peut-être ai-je jusqu’ici vécu d’une façon assez peu régulière, mais je vous jure qu’une fois marié, je romprai avec les désordres de mon existence passée...

VALENTINE.

Mais qu’est-ce qu’elle dit ?

GABRIELLE.

Il fallait tout bonnement dire cela, et mon père alors vous eût accordé ma main.

Entre Baptiste.

CLAVAROT.

Moi, pas du tout !...

À Baptiste.

Qu’est-ce que c’est encore ?

Il va à lui.

LE DOMESTIQUE, près de la porte à gauche.

Monsieur, il y a là une personne qui demande à vous parler... voici sa carte.

CLAVAROT.

Frasquin ?... Qu’est-ce que c’est que ça, Frasquin ?

GABRIELLE, à Ronceray.

Revenez dans une heure, monsieur, j’aurai parlé à mon père.

RONCERAY.

Ah ! mademoiselle, je vous jure...

VALENTINE, près de la table.

Quel peut être le motif ?...

Voyant un papier sur la table.

Madame Duvernois, 72, rue de Sèvres... Elle était là !...

 

 

ACTE V

 

Même décoration que l’acte précédent.

 

 

Scène première

 

GABRIELLE, VALENTINE

 

VALENTINE, sortant de chez elle, à droite.

Tu viens de parler à ton père ?

GABRIELLE, sortant de chez son père, à gauche.

Oui !

VALENTINE.

Et tu lui as demandé de consentir à ce mariage ?

GABRIELLE.

Oui ! il ne m’a pas répondu ; mais je le prierai tant qu’il finira par céder... Ce mariage se fera... si tu ne t’y opposes pas.

VALENTINE.

Ah ! et tu viens me prier, moi aussi ?

GABRIELLE.

Je désire être la femme de monsieur Ronceray. Tu m’aimes... tu ne m’empêcheras pas...

VALENTINE.

Et Lucien ?

GABRIELLE.

Lucien ?

VALENTINE.

Ce matin encore, quand je t’ai demandé...

GABRIELLE.

Lucien m’oubliera... il est jeune... je suis sûre que ce projet rompu ne brise pas son existence... tandis que...

VALENTINE.

Tandis que...

GABRIELLE.

Je ne puis pas te dire autre chose, je crois que je serai heureuse avec monsieur Ronceray.

VALENTINE.

Pauvre enfant ! penses-tu que je te laisserai te sacrifier ?

GABRIELLE.

Que dis-tu ?

VALENTINE.

Je dis que le hasard t’a conduite aujourd’hui dans la même maison...

GABRIELLE.

Tu sais ?

VALENTINE.

Je sais que tu étais là... que tu as entendu... Dieu me punit cruellement ! il ne pouvait pas m’infliger un châtiment plus terrible que celui-là !

GABRIELLE.

Oui ! j’ai entendu, je sais que sept années de repentir et de dévouement ont expié une faute qui n’était pas la tienne. Je l’aime ! ma mère, je t’aime !

Elle se jette dans les bras de Valentine.

VALENTINE.

Gabrielle ! mais tu comprends bien maintenant que ce mariage ne se fera pas.

GABRIELLE.

Il le faut, cependant !

VALENTINE.

Comment, il le faut ?

GABRIELLE.

Si ce mariage ne se fait pas, cet homme parlera.

VALENTINE.

Ah ! que m’importe !

GABRIELLE.

Ah ! tu ne sais donc pas à quel point tu es aimée par mon père ?

VALENTINE.

Ton père ?

GABRIELLE.

Il m’avait fait promettre de ne pas te le dire... mais combien de fois il me prenait près de lui. Aime bien Valentine, me disait-il tout bas ! aime-la bien ! il n’y a pas au monde une femme meilleure... Remercie-moi de te l’avoir donnée pour mère, il n’y en a pas une qui soit plus digne de remplacer celle que nous avons perdue...

VALENTINE.

Il te disait cela !

GABRIELLE.

Oui ! et moi je lui promettais de t’aimer, il m’embrassait alors, et quelquefois il versait des larmes... des larmes de joie, de reconnaissance... il me défendait de te dire qu’il avait pleuré.

VALENTINE.

Mon Dieu ! mon Dieu !...

GABRIELLE.

Tu es son bonheur, tu es sa vie... Que cet homme parle... mon père ne t’accusera pas ; mais il mourra...

VALENTINE.

Et cependant, je ne peux pas...

GABRIELLE.

Tu ne veux pas qu’il meure, n’est-ce pas ! tu l’aimes, toi aussi ?

VALENTINE.

Mais toi ! toi ! que deviendras-tu ?

GABRIELLE.

Moi ! je ne sais pas ce que me garde l’avenir... je ne sais qu’une chose. J’ai maintenant un devoir à remplir... je le remplirai !

VALENTINE.

Mais il est impossible...

GABRIELLE.

Ne pensons qu’à mon père ! N’est-ce pas à nous de l’aimer, de le défendre, d’écarter de lui tout ce qui peut menacer son bonheur... sa vie ?... Pendant sept ans, tu as suffi à cette lâche ; aujourd’hui, le fardeau est trop lourd pour toi seule, je viens en prendre ma part.

Entre Mauroy sortant de chez Clavarot.

 

 

Scène II

 

GABRIELLE, VALENTINE, MAUROY

 

MAUROY, à Gabrielle.

Clavarot vient de me dire qu’il avait dû céder à vos prières, à vos larmes... que cet homme... c’est vous-même qui demandiez...

GABRIELLE.

C’est la vérité, monsieur.

MAUROY.

Vous, Gabrielle ! c’est vous !...

GABRIELLE.

Accusez-moi, monsieur, condamnez-moi...

Elle fait quelques pas pour sortir. Valentine la suit en la soutenant.

Mon père ! pense seulement à mon père.

Elle sort par la droite.

 

 

Scène III

 

MAUROY, VALENTINE

 

VALENTINE.

Vous avez renoncé, vous aussi, vous avez renoncé... ainsi, la lutte est impossible. Ce que vous disiez n’est pas vrai, et devant l’intrigue, les honnêtes gens restent sans armes.

MAUROY.

Avant de rien entreprendre, je vous ai demandé si vous étiez sûre que Gabrielle aimât mon fils ?

VALENTINE.

Oui, eh bien ?...

MAUROY.

Vous avouerez que je puis en douter. C’est Gabrielle qui demande ce mariage... Vous de votre côté, vous ne vous y opposez pas. Vous le souhaitez même.

VALENTINE.

Qui dit cela ?...

MAUROY.

Ronceray ! et il paraît sûr de ce qu’il dit.

VALENTINE.

Vous avez écrit à Lucien ?

MAUROY.

Pas encore ; mais je vais rentrer chez moi et lui écrire que tout est fini, qu’il ne faut plus compter sur rien.

Ils remontent tous deux.

VALENTINE.

Je vous en prie, n’écrivez pas... attendez ! monsieur Ronceray va venir... attendez que je lui aie parlé.

MAUROY.

Qu’avez-vous ?... que voulez-vous dire ?...

VALENTINE.

Attendez !

Entre un domestique.

LE DOMESTIQUE.

Monsieur Ronceray.

 

 

Scène IV

 

MAUROY, VALENTINE, RONCERAY

 

RONCERAY.

Madame !

À Mauroy.

Vous n’avez pas perdu de temps, mon sieur ; j’ai été remboursé au bout d’une heure... il était inutile de tant vous presser.

MAUROY.

Il vaut mieux que cela soit terminé.

Ronceray passe sur un signe de Valentine.

VALENTINE, bas à Mauroy.

Vous attendrez, n’est-ce pas ?...

MAUROY.

Sans doute ! puisque vous me le demandez.

Il entre chez Clavarot.

 

 

Scène V

 

VALENTINE, RONCERAY, ils s’asseyent à la table

 

VALENTINE.

Est-ce qu’il y a une heure, ici, après la lecture de cette lettre, vous n’avez pas été surpris des paroles que Gabrielle a dites à son père ?

RONCERAY.

J’en ai été un peu surpris... je l’avoue, et tout à fait enchanté.

VALENTINE.

Et vous ne vous êtes pas demandé quel pouvait être le motif d’une si singulière déclaration ?...

RONCERAY.

Dame ! j’ai pensé que vous, qui êtes une femme raisonnable, aviez tout doucement décidé Gabrielle...

VALENTINE.

Vous avez cru que j’avais cédé à vos menaces.

Ronceray fait un mouvement.

Vous vous êtes trompé. Dans la chambre qui est à côté de celle où vous m’avez fait venir, il y avait une vieille femme malade.

RONCERAY.

Je le sais.

VALENTINE.

Gabrielle était allée aujourd’hui porter des secours à cette pauvre femme.

RONCERAY.

Comment ! c’était elle ?...

VALENTINE.

Oui ! elle était là... elle était là, en même temps que moi !... Comprenez-vous ?

RONCERAY.

Parfaitement ! Une cloison trop mince ! L’émotion vous aura fait parler un peu haut l... elle aura entendu.

VALENTINE.

Oui ! elle a entendu... et pour épargner à son père une honte qui le tuerait... elle n’a pas hésité !

RONCERAY.

Je trouve cela très beau ! Mais je ne suis pas surpris.

VALENTINE.

Vous ne vous indignez pas contre vous-même !... vous n’avez pas honte !... vous ne comprenez pas qu’il faut que vous renonciez...

RONCERAY.

Renoncer ! Quand la partie est gagnée, et qu’il n’y a plus qu’à ramasser les enjeux.

Ils se lèvent.

VALENTINE.

Je crois vous connaître cependant... vous n’aimez pas à faire du mal !...

RONCERAY.

Je n’aime pas à faire du mal... Mais quand je me suis fixé un but, j’y marche.

VALENTINE.

Mais puisque, pour arriver à ce but, il faut...

RONCERAY.

Ah !... Il est inutile d’insister... je suis décidé...

VALENTINE.

Non !... Il est impossible ! Autrefois, je me rappelle... vous parliez de travail... vous vouliez arriver... pour moi... disiez vous... C’était pour racheter... c’était bon cela ! c’était grand ! Je vous en prie... au nom de vos rêves d’autrefois... au nom de tout ce qu’il y a en vous de vertu, de jeunesse... renoncez à ce mariage ?...

RONCERAY.

Cela ne se peut pas.

VALENTINE.

Écoutez-moi ! Vous m’avez perdue !... C’est ma faute ! C’est un crime ! vous ne l’avez pas oublié... je le sais... je le vois... Eh bien ! renoncez à ce mariage... et ce que j’ai souffert !... ce que je souffre encore... je vous le pardonnerai... je vous le jure !...

RONCERAY.

Faites attention ! on peut venir ! 1

VALENTINE.

Renoncez à ce mariage ! Quittez cette maison... et je vous promets, quand votre souvenir se présentera à mon esprit, de ne plus le chasser... de ne plus rougir... Renoncez à ce mariage et je n’aurai plus pour vous que des pensées de reconnaissance.

RONCERAY.

Encore une fois...

VALENTINE, presque à genoux.

Je vous en supplie !...

RONCERAY, la relevant.

Vous avez des façons de parler qui dénaturent complètement les choses. À vous entendre, on me prendrait pour un homme odieux ; je suis tout bonnement un homme qui n’a qu’à étendre la main pour saisir une fortune et à qui vous conseillez de garder sa main dans sa poche.

Entre Clavarot.

 

 

Scène VI

 

VALENTINE, RONCERAY, CLAVAROT

 

CLAVAROT, à Ronceray.

J’ai consenti, monsieur, j’ai consenti parce que ma fille a répondu de vous.

RONCERAY.

Je prouverai à tout le monde qu’elle a eu raison, monsieur.

CLAVAROT.

J’ai consenti parce qu’elle m’a dit que vous l’aimiez... et que j’ai pensé que cet amour pouvait en effet, s’il était vrai, faire de vous un autre homme.

RONCERAY.

Cet amour est vrai, monsieur. J’aime mademoiselle Gabrielle.

CLAVAROT.

Depuis longtemps ?

RONCERAY.

Oui, monsieur, depuis longtemps.

CLAVAROT.

Ah ! comment se fait-il alors qu’aujourd’hui, à quatre heures, une femme soit allée vous trouver dans une chambre... de la rue de Sèvres ?...

VALENTINE, à part.

Je suis perdue !

RONCERAY.

Moi ! monsieur ?...

CLAVAROT.

Ne niez pas ! j’en suis sûr.

RONCERAY, à part.

Est-ce que ce damné Frasquin aurait osé ?...

CLAVAROT.

Vous ne répondez pas...

RONCERAY.

Mais, monsieur...

CLAVAROT.

Il faut que cela soit bien embarrassant pour que vous, qui d’ordinaire n’êtes guère embarrassé... vous hésitiez à répondre.

RONCERAY.

Mais si j’hésite, monsieur, c’est que...

CLAVAROT.

C’est que ?...

RONCERAY, à part.

Ma foi !... il n’y a pas d’autre moyen !

Haut.

Vous allez comprendre...

CLAVAROT.

Voyons, parlez ?...

RONCERAY.

Puisque mon mariage est convenu, je ne vois pas pourquoi je ne vous avouerais pas que mademoiselle Gabrielle...

VALENTINE, avec éclat.

Oh ! je ne vous laisserai pas dire cela !...

CLAVAROT.

Comment ?

VALENTINE.

Gabrielle !... Vous osez accuser ?... Non, ce n’était pas Gabrielle qui était avec vous dans cette chambre... c’était moi... moi ! que vous avez forcée à y venir ; moi ! à qui vous vouliez arracher un consentement on me menaçant de dire...

CLAVAROT.

Valentine !

Silence. Il la prend dans ses bras.

Je savais bien que tu avais été séduite par un misérable, puisque tu me l’avais écrit ; mais je n’aurais jamais supposé que cet homme osât reparaître devant toi.

RONCERAY.

Il le savait ! Décidément, je ne suis pas de force avec les honnêtes gens !

Il remonte vers la porte de gauche. Entrent Mauroy, Georges et Gabrielle.

CLAVAROT, à Valentine.

Embrasse la fille et rassure-la, car elle a bien pour !

À Mauroy.

Écris à ton fils de venir, Mauroy, nous n’attendons plus que lui.

RONCERAY, ouvrant la porte.

Allons ! j’épouserai Philiberte.

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