Sport et turf (CLAIRVILLE - Paul SIRAUDIN)

Sous-titre : les courses de Chantilly

Gentilhommerie en deux actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 10 juillet 1846.

 

Personnages

 

MACASSAR, coiffeur sportman

ARTHUR DE SAINT-LÉGER, jeune homme de cinquante-cinq ans

LORD BOXE-PILE

JOHN, son domestique

LOULOU

TÉOBALD, jeune lion

MADAME DE REMBERT, jeune veuve

MADEMOISELLE GRAIN-D’OR

SUAVITA

UNE ANGLAISE

PREMIÈRE DAME

DEUXIÈME DAME

PREMIER JOCKEY

DEUXIÈME JOCKEY

 

 

ACTE I

 

Une salle d’auberge à Chantilly. Au fond, à droite, un grand lit, sur lequel sont couchés quatre ou cinq jeunes gens, dont on ne voit que les têtes, coiffées de bonnets de coton (Gravure de l’Illustration). D’autres sont endormis sur des tables, des chaises, des bancs. Sur le devant, est une rangée de paires de bottes ; à l’extrémité de la ligne, se trouve une paire de brodequins. Il est cinq heures de la nuit. Le théâtre est éclairé par une chandelle.

 

 

Scène première

 

MACASSAR, SES AMIS

 

Au lever du rideau, on entend un ronflement général. Un des jeunes gens couchés s’éveille, se met sur son séant, bâille et étend les bras : c’est Macassar.

MACASSAR, comme s’il faisait une annonce.

Le théâtre représente l’intérieur d’une auberge de Chantilly, la veille des courses... personnages : Chéri Macassar, coiffeur pour dames, Vivienne-Street... messieurs Drouillard, Vacossin, Guimbol, Patrouillon et Chenillard, ses amis... jeunes sportmen, gentlemen-riders, membres du gentilhomme-club, Quincampoix-Square... dont je suis le président...

Le ronflement redouble.

Lâches ! fainéants !... ils ronflent... quand déjà peut-être toute la fashion envahit le turf !... Vite ! à ma toilette !...

Il saute en bas du lit ; il est en caleçon et en pet-en-l’air.

Mes bottes !... où sont mes... Que vois-je ! des brodequins d’un autre sexe mêlés à nos bottes ! Est-ce qu’un tendron se serait glissé parmi nous ?... ma qualité de président m’autorise à éclaircir le fait...

Il se rapproche du lit. On frappe à la porte.

Peut-on entrer ?... Il y a quelqu’un !

 

 

Scène II

 

MACASSAR, SUAVITA

 

SUAVITA, en dehors.

Pardon, monsieur.

MACASSAR.

Il y a quelqu'un !

SUAVITA.

Peut-on entrer ?...

MACASSAR.

Mais c’est une voix de femme ! voilà...

Allant fermer les rideaux.

Diable ! dérobons-lui le coup d’œil gracieux.

Il prend toutes les bottes qu’il jette dans l’alcôve, et allant ouvrir.

Entrez donc, madame, entrez, je vous en prie.

SUAVITA entrant, enveloppée d’un grand châle.

Merci bien, monsieur... ma demande va peut-être vous paraître indiscrète... N’auriez-vous point, par hasard, chipé une paire de brodequins à moi appartenant ?...

MACASSAR, les lui présentant.

Comment ! ils seraient à vous, belle dame ?... J’envie leur sort.

SUAVITA.

C’est sans doute la servante de l’auberge qui s’est fourvoyée... et qui a mis à la place de mes brodequins cette paire de bottes, presque à la cuiller, dont j’ai dû me revêtir provisoirement.

Elle montre les bottes dont elle est chaussée.

MACASSAR.

Tiens ! ce sont les bottes à Loulou !... je les reconnais à cette solution de continuité.

SUAVITA.

Qu’est-ce que Loulou ?

MACASSAR.

C’est un sportman de mes amis... qui dort en ce moment... avec les autres membres du gentilhomme-club Quincampoix-Square.

SUAVITA, regardant.

Ah ! ciel ! je suis tombée dans une chambre où il y a des Loulou qui dorment !

MACASSAR, galamment.

Hélas ! belle dame...

Se reprenant vivement.

Puisqu’ils sommeillent, pas de danger pour vous... et s’ils ouvraient les yeux, tout le danger serait pour eux.

SUAVITA, enchantée.

Ah !...

À part.

Ce jeune me paraît aimable...

MACASSAR, à part.

Cette forte femme est piquante.

SUAVITA.

Monsieur... je suis enchantée d’avoir fait votre connaissance... je me retire, emportant, avec mes brodequins, le souvenir de cette agréable conversation.

MACASSAR.

Ah ! madame... ne me quittez pas ainsi... sans m’avoir accordé...

SUAVITA.

Monsieur, monsieur !

MACASSAR.

Sans m’avoir donné...

SUAVITA.

Grand fat !... un baiser, sans doute !...

MACASSAR.

Non, madame... les bottes à Loulou, qu’habitent vos jolis pieds.

SUAVITA.

À la bonne heure, jeune homme... j’aime cette retenue... mais vous n’espérez pas que j’aurai l’inconvenance de me débotter devant vous... Je vais les renvoyer à M. Loulou.

MACASSAR.

Très bien, madame... J’aurai sans doute le plaisir de vous revoir... Êtes-vous à la course ?...

SUAVITA, fièrement.

Me prenez-vous pour un fiacre ?...

MACASSAR.

Je vous demande si vous assisterez aux courses de Chantilly ?...

SUAVITA, riant.

Ah ! bien... ah ! fort bien... ah ! parfait... c’était un mot à double détente... Oui, monsieur, oui, je suis une habituée... je je cours les courses.

MACASSAR.

Ravissant !...

À part.

C’est une grosse lionne.

SUAVITA, à part.

C’est un de nos beaux... ah ! pour un beau, voilà un beau beau.

Haut.

Monsieur...

MACASSAR.

Madame...

Elle salue et sort. À peine Suavita est-elle sortie qu’on entend un grand bruit derrière les rideaux du fond.

 

 

Scène III

 

MACASSAR, SES AMIS

 

MACASSAR.

Cette femme est agaçante... je la cultiverai... Ah ! ça, mais il il se fait tard... hé ! les autres !... allons ! allons !... Assez dormi, ma belle !...

Il ouvre les rideaux.

TOUS.

Voilà ! voilà !

MACASSAR.

Debout, Gentilhomme-Club, debout !

TOUS, sautant à bas du lit et complétant leur toilette.

Air : Nous chanterons, arroserons. (L’Almanach des 25 000 adresses.

Allons, allons,
Et dépêchons !
Vite, il faut qu’on s’apprête !
À notre toilette !

Par notre mise et nos façons,
Éclipsons,
Enfonçons
Dandys et lions !

MACASSAR.

Jeunes sportmen !... Ce jour est un grand jour... C’est la première fois que le gentilhomme-club se montrera sur le turf, et se trouvera en face de l’ancien jockey-club, qu’il est question d’enfoncer... Il s’agit d’avoir une tenue chouettarde, et des gants d’une entière blancheur... Jeunes sportmen !... à vos gants !

Ils tirent tous de leur poche un morceau de gomme et se mettent à frotter leurs gants blancs.

LOULOU, passant sa tête par un œil de bœuf, au fond.

Eh ! Macassar... passe-moi mes bottes.

MACASSAR.

Monsieur Loulou... vos bottes sont sorties... quand elles rentreront, on vous en fera part...

La tête disparaît.

Jeunes sportmen !... il ne suffit pas d’être ganté blanc et botté verni... il serait avantageux de ne pas proférer de bêtises, et surtout de parler le moins français possible...

TOUS.

Ah ! bah !

MACASSAR.

C’est indispensable... La langue anglaise est de rigueur pour tout dandy, amateur du turf, qui paraît sur le derby ou assiste au Steeple chase... Songez que vous allez vous trouver dans un vrai raout de sportmen et de gentlemen-riders... la fleur de la fashion... Revêtez votre plus élégant tweed, prenez à la main un stick, et regrettez que votre budget ne vous permette pas le groom, et le Brougham attelé de very steper... Connaissez bien tous les race-horse inscrits au stud-book, et pariez à tous les handicap... Vous êtes libres de manger un beef-teak et de boire un verre de grog, de brandy, ou de bishop, ou de gin ; mais si vous rencontrez dans un square une lady suivie de son King-Charles, adressez-lui un aimable speach, et vous aurez l’air d’un gentleman arrivé par le rail-way ou débarqué du steam-boat... Voilà comme on fait son puff !

TOUS.

Bravo, Macassar !

MACASSAR.

Air De Julie.

Pour quelques-uns quel bon vocabulaire !...
La grammaire anglaise, dit-on,
Leur est beaucoup plus familière
Que celle de monsieur Lhomond.
Je les approuve alors, sur ma parole,
Mieux vaut encor, dans un club de jockeys,
Parler français comme un cheval anglais,
Que comme une vache espagnole.
Mieux vaut parler comme un cheval anglais
Que comme une vache espagnole.

LOULOU, montrant encore sa tête.

Ah ! ça, je veux mes bottes, à la fin !

MACASSAR.

On vous dit qu’elles sont en ville... à c’te niche !

La tête disparaît.

Au surplus, messieurs, vous avez pour vous guider mon journal de coiffure, dont vous aurez soin de répandre le spécimen... La Casquette de loutre ; journal du grand monde, courrier des boudoirs... 13 fr. 50 par an... Ceux qui s’abonneront pour trois mois recevront le journal, et, pour prime, un pot de pommade et les œuvres complètes de M. Alexis Gingembre, le plus fécond de nos romanciers... Ceux qui s’abonneront pour six mois, recevront le journal, deux pois de pommade, un bâton de cosmétique et les œuvres complètes de M. Ernest Boulingrin, le plus fécond de nos romanciers... Ceux qui s’abonneront pour un an... ne recevront pas le journal... mais ils auront le droit de recevoir des invitations aux soirées de madame Octavie Tétard, le plus fécond de nos romanciers.

TOUS.

Vive Macassar !

MACASSAR, leur distribuant ses prospectus.

Prenez, prenez... et distribuez.

SAINT-LÉGER, en dehors.

Je vous dis, saprelotte, que je veux une autre chambre pour cette nuit !

MACASSAR.

Tiens ! c’est le gros vicomte !... je reconnais sa crécelle ; et comme je crains de votre part quelques pataqu’est-ce englichmann, allez fumer le panatellas en attendant l’heure du déjeuner.

TOUS.

Vivat !

REPRISE DU CHŒUR, à partir de ce vers.

Par notre mise et nos façons, etc.

 

 

Scène IV

 

MACASSAR, ARTHUR DE SAINT-LÉGER, suivi d’un homme vêtu de noir

 

MACASSAR.

Eh ! quelle bonne fortune !... le vicomte de Saint-Léger !

SAINT-LÉGER.

Arthur de Saint-Léger... lui-même... mais, je ne me trompe pas, c’est Macassar !... Bonjour, Macassar, bonjour.

Bas à l’homme qui le suit.

C’est Macassar, mon ancien coiffeur.

MACASSAR.

Vous, à Chantilly !... c’est charmant... mais, en entrant, vous aviez l’air... vexé...

SAINT-LÉGER.

Je le suis !... cette auberge est une gargote !

MACASSAR.

On vous aurait gargoté ?...

SAINT-LÉGER.

Jugez-en, Macassar !... Je descends hier au soir dans cette posada... je demande une chambre... elles étaient toutes occupées... On me propose une place dans un lit où il y avait déjà quatre personnes... Quatre et moi, ça aurait fait...

MACASSAR.

Huit.

SAINT-LÉGER.

Comment ! huit ?... quatre et moi... cinq.

MACASSAR.

Ah ! c’est juste...

À part.

huit.

SAINT-LÉGER.

Je refuse de m’associer à cette compagnie... alors, on m’offre un cabinet... à moi seul... D’abord, l’endroit me paraît suspect... cependant, j’y entre... et je m’y installe !

MACASSAR.

Vous vous couchez ?...

SAINT-LÉGER.

Pas de lit, mon cher !... un siège... rien qu’un siège... Où diable m’avait-on mis, Macassar ?...

MACASSAR.

Je cherche... ah !...

SAINT-LÉGER.

Ah !...

Air : On dit que je suis sans malice.

C’est un abus de confiance !
Ces aubergistes ont, je pense,
Profité de ce que chez eux,
Je ne pouvais pas trouver mieux.
Puis, ils m’ont fait, pour ma nuit d’insomnie,
Payer vingt francs !...

MACASSAR.

Vingt francs !... quelle infamie !...
C’est un logement qu’entre nous
Vous auriez dû payer trois sous.
C’est un prix fait, ça vaut trois sous.

SAINT-LÉGER.

Ça m’aurait bien été... C’était tout ce qui me restait.

MACASSAR.

Ah !... ah !... monsieur le vicomte, vous badinez... un gros millionnaire comme vous !

SAINT-LÉGER.

Je suis un gros millionnaire... J’ai quatre-vingt mille livres de rente... mais je n’ai plus que trois sous...

MACASSAR.

Ceci est pour moi du sanscrit !

SAINT-LÉGER.

Vous ne savez donc pas, Macassar ?... on m’a interdit... je suis interdit, pour cause de prodigalité... Je suis redevenu mineur... je retourne à vingt ans... et on m’a nommé un conseil judiciaire !...

Présentant l’homme noir.

Je vous présente mon conseil judiciaire !...

MACASSAR, bas.

Ah ! c’est un conseil judiciaire, ceci ?... Je ne connaissais pas cette classe de la Zoologie.

SAINT-LÉGER.

Monsieur me suit partout... quand j’ai besoin d’argent... il m’en donne rarement... et peu à la fois... Conseil, vingt francs pour déjeuner, s’il vous plaît ?...

Le conseil lui donne une pièce de cinq francs et en prend note sur un petit portefeuille.

Cinq francs !... tout ça !...

MACASSAR.

Ah ! bien ! votre déjeuner se réduira à une botte de radis... Voici le tarif à Chantilly... un beefsteak, quarante-deux francs... un petit pain d’un sou, dix sous... un déjeuner complet, cent écus... et ceux qui regardent manger les autres payent dix francs par tête.

ARTHUR.

C’est cher... pour des gens qui déjeunent à l’œil.

MACASSAR, remontant

Ah ! joli, joli, joli !... Ah ! ça, mais, vicomte, et les amours ?... votre débine judiciaire ne doit pas faire leur compte...

SAINT-LÉGER.

Que voulez-vous, Macassar ?... Je n’ai plus maintenant, pour me faire adorer, que mes seuls avantages personnels...

MACASSAR.

Ah ! bigre !... c’est inquiétant.

SAINT-LÉGER

Tenez, aujourd’hui, par exemple... je viens à Chantilly pour une femme charmante... que je crible d’hommages... Je lui aurais offert ma fortune, quand je pouvais m’en servir... pristi ! je ferais pour lui plaire des extravagances !... Je danserais sur la tête !...

MACASSAR.

Croyez-vous que ça lui plairait ?... Ce ne serait peut-être pas aussi joli que vous l’espérez.

SAINT-LÉGER.

Bref, j’en suis toqué... je veux lui plaire, je lui plairai... ou le diable m’emportera.

MACASSAR.

Alors, vous lui plairez... car je défie bien le diable de vous emporter.

SAINT-LÉGER.

Ah ! joli, joli, joli !

GRAIN-D’OR, en dehors.

Mais venez donc, milord, venez donc.

SAINT-LÉGER.

Une femme ! une femme qui peut me surprendre dans un pareil négligé. Suivez-moi, mon conseil judiciaire ; ou ne me suivez pas ça, m’est égal.

Il sort en courant, le conseil court après lui.

 

 

Scène V

 

MACASSAR, LORD BOXE-PILE, donnant le bras à MADEMOISELLE GRAIN-D’OR

 

GRAIN-D’OR.

Je vous assure, milord, que... ce doit être ici...

BOXE-PILE.

Laissez-moâ parler.

Haut.

Monsieur... voulez-vous permettre à moâ de... de...

À Grain-d’Or.

Dites ce que je vôlais dire.

GRAIN-D’OR, passant.

Pardon, monsieur, milord désire...

MACASSAR.

Ah ! bah ! mademoiselle Grain-d’Or !... une de mes clientes !

GRAIN-D’OR.

Macassar !...

Bas.

Chut !... ici, je suis veuve d’un avocat général.

MACASSAR, de même.

Ici, je suis un baron allemand.

ENSEMBLE.

Motus !

BOXE-PILE, s’approchant.

Qu’est-ce que vôs disez à ce grande girafe ?

MACASSAR.

Girafe !

GRAIN-D’OR.

J’expliquais à monsieur le but de votre visite...

Aux autres.

Milord désire...

BOXE-PILE, passant

Laissez-moâ parler...

Haut.

Je nommé moâ lord Boxe-Pile.

MACASSAR.

Boxe-Pile ?... Je connais la boxe de réputation... et la pile... plus intimement.

BOXE-PILE.

Et je venais demander à vôs à entrer dans le... le chose... le...

À Grain-d’Or.

Dites ce que je vôlais dire.

GRAIN-D’OR, passant.

Milord croyait rencontrer ici les membres du jockey-club, et voudrait se faire admettre dans...

BOXE-PILE, passant.

Laissez-moâ parler.

Haut.

Faire admettre moâ... dans leur...... estomac...

MACASSAR.

Dans leur estomac ?... Ça sera difficile à obtenir de leur obligeance.

GRAIN-D’OR.

Dans leur sein...

BOX-PILE.

Hui ! hui !... vôs avez dit ce que je vôlais dire.

GRAIN-D’OR.

Mais milord s’est trompé, et nous nous retirons.

Fausse sortie.

MACASSAR.

Pardon... pardon, belle dame... vous êtes tombée juste au milieu des membres du gentilhomme-club.

GRAIN-D’OR.

Plaît-il ?...

MACASSAR, bas.

Empaumons l’englishman !...

Se présentant.

Le baron de Macassar, président du gentilhomme-club, Quincampoix-Square.

BOX-PILE.

Macassar ?... Je connaissais beaucoup l’huile de Macassar.

MACASSAR.

J’en descends en droite ligne... Soyez le bien venu, milord... Nous vous admettons dans notre estomac... ainsi que milady.

BOX-PILE.

No !... pas milady du tout !... Madame est...

À Grain-d’Or.

Dites ce que je vôlais dire.

GRAIN-D’OR.

Milord a eu la bonté de me servir de chevalier... J’ai rencontré milord à la campagne... dans un château...

BOXE-PILE.

Hui... au Château-Rouge.

MACASSAR.

Bon !

GRAIN-D’OR, piquée.

Qu’importe la couleur ?... Milord me fait la cour... mais il a des intentions légitimes.

BOXE-PILE.

Oh ! no !... pas légitimes ! moâ épouser en mariage une autre femme... moâ courtiser vous en attendant pour distraire moâ.

GRAIN-D’OR.

Mais ce que vous dites-là est très impertinent.

BOXE-PILE.

Moâ être très impertinent, moâ être très grossier avec les femmes des châteaux rouges.

GRAIN-D’OR.

Ah ! si c’est dans vos habitudes...

BOXE-PILE.

Moâ réserver mon amabilité pour la petite veuve que je épouser.

GRAIN-D’OR.

Comment !... épouser une autre femme ?

BOXE-PILE.

Laissez-moâ, laissez-moâ... Oui, je épouser mistriss de Rembert.

MACASSAR.

Madame de Rembert !... encore une de mes pratiques !

BOXE-PILE.

Vos dites ?...

MACASSAR.

Je dis madame de Rembert... une beauté angélique...

BOXE-PILE.

Ah ! hui... de l’angélique... des petits morceaux de céleri confits... je aimer beaucoup... En attendant, je venais à Chantilly, pour faire courir une jument à moâ... la fameuse Suavita...

MACASSAR.

Suavita ?... Ah ! joli, joli, joli !...

BOXE-PILE.

Et je accompagne mademoiselle pour faire des farces et pour rire l’été, et je ne riais pas du tout...

GRAIN-D’OR.

Mais je ne riais pas beaucoup non plus...

MACASSAR.

Tant mieux !... nous rirons !... Milord loge dans cet hôtel... ainsi que madame ?

BOXE-PILE.

Madame hui, mais moâ jamais dans les hôtels... je défiez moâ des petits insectes qui piquent... vôs savez... des... des...

À Grain-d’Or.

Dites ce que je vôlais dire.

GRAIN-D’OR, fièrement.

Connais pas.

BOXE-PILE.

Moâ avoir pris, à Paris, un fiacre à l’heure... que je gardé depuis deux jours, pour manger, pour dormir, pour habiller moâ...

MACASSAR.

Vous logez dans un fiacre ?

BOXE-PILE.

Hui... n° 360. Compagnie Générale, le plus charmante voiture de tout voiture de place...

MACASSAR.

360 ?

Air : Du Verre.

J’irai vous voir... vous permettez ?...

BOXE-PILE.

Ah ! monsieur, vous êtes bien bonne.

MACASSAR.

C’est au premier ?...

BOXE-PILE.

Chez moi montez,
Sans vous adresser à personne.
Point de portier dans la maison,
Pour indiquer les locataires.

MACASSAR.

Un portier !... vraiment, à quoi bon,
Puisque vous avez deux portières ?
Pourquoi donc avoir un portier,
Puisque vous avez deux portières.

BOXE-PILE.

Oh ! joli !... c’est un calembour... g.

MACASSAR.

Oui, milord... ainsi, c’est convenu, vous êtes des nôtres... Ah ! mais je dois vous faire part d’une formalité d’usage...

GRAIN-D’OR.

Quoi donc ?...

MACASSAR, à part.

Je vas lui tirer une carotte...

Haut.

Oui, milord, il est d’usage, quand on est reçu dans notre club, de régaler la société... de payer un dîner... oh ! mais un dîner... là... à manger partout.

BOXE-PILE.

Oh ! bien !... oh ! très bien !... je affectionne beaucoup les dîners... tous hommes... pas de femmes.

GRAIN-D’OR.

Eh bien !... et moi ?...

BOXE-PILE.

Les femmes, à table... ce être très désagréable à l’œil.

MACASSAR.

Oh ! que je trouve milord dur !...

GRAIN-D’OR, à part.

Plus souvent qu’on t’adorera, toi !

MACASSAR, de même.

Les Anglais ne sont guère chevaliers français...

Haut.

Eh bien ! milord, quand vous voudrez commander le dîner... mes amis et moi, nous sommes prêts...

BOXE-PILE.

To de suite, to de suite.

MACASSAR.

To de suite... allons faire le devis du festin.

À part.

La carotte est tirée.

CHŒUR.

Air : Puisque c’est convenu

Puisqu’à { mes } frais on dîne,
               { vos  }
Allons } à la cuisine
Allez   }
Pour commander le menu.

Macassar et Boxe-Pile sortent par la gauche.

 

 

Scène VI

 

GRAIN-D’OR, puis THÉOBALD

 

GRAIN-D’OR.

Et on classe ça dans les nations européennes !... Mais, pour la galanterie, j’aimerais mieux un Bédouin... à la rigueur, je prendrais Abd-el-Kader.

THÉOBALD, entrant sans la voir, le lorgnon collé sur l’œil, le stick à la main et le cigare à la bouche, en dehors.

Je suis à vous tout à l’heure.

Air : Du Renard et le Corbeau.

Ah ! que la vie est belle, avec cent mille écus !...
Manger son capital avant ses revenus,
S’amuser nuit et jour,
Et chanter tour à tour
Les femmes, les chevaux, le cigare et l’amour,
Sur l’air du tra la la !
Voilà
Comment on mène ça,
Tra la la.

GRAIN-D’OR.

Eh ! mais... c’est mon petit jeune homme !... c’est M. Théobald !

THÉOBALD, avec élan.

Grain-d’Or ! ma ravissante Grain-d’Or, que je poursuis depuis quinze jours !... que j’ai cherchée à l’Hippodrome, au Cirque, au Château-Rouge, au Jardin d’Hiver !... je te retrouve enfin !...

GRAIN-D’OR, se défendant.

Mais, monsieur !... mais, jeune homme !... je vous connais infiniment peu.

THÉOBALD.

Allons donc !... nous sommes des vieux...

Même Air.

Un soir, au bal Mabille ; ah ! je m’en souviens bien,
Tu pinçais devant moi le quadrille égyptien ;
À travers ce lorgnon mon œil te remarqua,
Et je t’offris mon cœur, en dansant la polka,
Sur l’air du tra la la la,
etc.

Il l’embrasse, et lui envoie une bouffée de tabac.

GRAIN-D’OR.

Il est gentil !

THÉOBALD.

Écoute, Grain-d’Or... Je suis un fils de famille qui se ruine pour la troisième fois.

GRAIN-D’OR.

À votre âge !

THÉOBALD.

J’ai commencé très jeune... J’ai déjà dévoré un oncle et deux tantes, et je suis en train de croquer un cousin-germain, dont le trépas m’a mis à la tête de cent mille écus. Ce n’est pas grand chose, mais je t’offre tout ce que j’ai de monnaie ; c’est à prendre ou à laisser... Tu prends... tope-là, Grain-d’Or.

GRAIN-D’OR.

Mais, petit, vous êtes fou.

THÉOBALD.

De toi, je le proclame.

GRAIN-D’OR, avec pruderie.

Au surplus, je ne dois pas, je ne puis pas vous écouter... Je suis venue à Chantilly avec un Anglais.

THÉOBALD.

Un Anglais ?... je le supprime.

GRAIN-D’OR.

Permettez... lord Boxe-Pile...

THÉOBALD, vivement.

Boxe-Pile ?... celui qui fait courir Suavita ?... mon rival deux fois !

GRAIN-D’OR.

Comment ?...

THÉOBALD.

Je fais courir aussi un alezan de quatre ans, que j’ai acheté aux courses d’Epsom... La dernière lutte de demain, la course de haies aura lieu précisément entre Suavita, à milord, et Gentil-Bernard, à moi.

GRAIN-D’OR.

Ah ! votre alezan s’appelle Gentil-Bernard ?... au fait, c’est le nom d’un coureur.

THÉOBALD.

Et, non content de me disputer le prix de la course, l’Anglais veut me ravir ma Grain-d’Or... Oh ! je le tuerais plutôt !... parole d’honneur, j’aimerais mieux le tuer.

GRAIN-D’OR.

Allons... soyez sage.

THÉOBALD.

Non, Grain-d’Or, non, tu rompras l’alliance anglaise... tu resteras fidèle à ta patrie, que je représente...

Très pressant.

Voyons, faut-il que je me jette à tes genoux, comme au théâtre ?... Tiens, au fait, ce sera drôle...

À genoux.

Grain-d’Or, mon cœur, mon sang, ma vie à... Quel est ton petit nom ?

 

 

Scène VII

 

GRAIN-D’OR, THÉOBALD, BOXE-PILE

 

BOXE-PILE, les voyant.

Goddam !

GRAIN-D’OR.

Mon Anglais !

THÉOBALD, resté à genoux.

Je le crois contrarié.

BOXE-PILE, allant à lui, furieux.

Qu’est-ce que vous faisiez là, petite jeune-homme ?...

GRAIN-D’OR.

Milord !...

BOXE-PILE.

Fichez-moâ la paix, vôs.

À Théobald.

Qu’est-ce que vôs faisiez là, petite jeune homme...

THÉOBALD, tranquillement, en s’essuyant le genou.

Est-ce que vous ne vous êtes jamais mis aux pieds de mademoiselle, vous ?

BOXE-PILE.

Si fait, moâ, plusieurs fois !

THÉOBALD.

Qu’est-ce que vous y faisiez ?

BOXE-PILE.

Je la courtisais, moâ.

THÉOBALD.

Eh bien ?...

BOXE-PILE.

Je lui disais que je l’aimais, moâ.

THÉOBALD.

Eh bien !... voilà... je remplissais absolument les mêmes fonctions. BOXE-PILE.

Vous aimez elle ?

THÉOBALD.

J’aime elle et je vous la disputerai.

BOXE-PILE.

Comment ?...

THÉOBALD.

Comme vous voudrez... à l’épée...

BOXE-PILE.

No !... malsain, l’épée, malsain.

THÉOBALD.

Au pistolet, alors.

BOXE-PILE.

Mon médecin il me l’a défendu.

THÉOBALD.

Quelles sont donc vos armes ?...

BOXE-PILE, avec un cri de joie.

Oh ! it will be the pleasantest adventure. I ever met with in my life ; oh ! oh ! oh ! To lay a woman at stake on the turf. Tis amusing excentrick and chicardini as french lions says. Oh ! oh ! this makes me glad at the heart.

THÉOBALD.

Je demande la traduction.

BOXE-PILE, vivement.

Petite jeune homme ?... vôs serez aux courses de demain ?...

THÉOBALD.

Parbleu ! puisque je fais courir Gentil-Bernard.

BOXE-PILE, enchanté.

Vraiment ?... et moi, Suavita... Petite jeune homme !... je propose à vous de parier le cœur de mademoiselle à la course.

GRAIN-D’OR.

Hein ?... plaît-il ?...

BOXE-PILE.

Fichez-moi la paix, vôs...

À Théobald.

Vôlez-vous ?... celui des deux qui gagnera aura le droit de se jeter toute la journée aux pieds de mademoiselle.

GRAIN-D’OR.

Mais, milord...

BOXE-PILE, riant beaucoup.

Oh ! ce être une idée bien jolie, bien jolie !... vôlez-vous ?

THÉOBALD.

Parbleu ! il ne sera pas dit que j’aurai reculé devant le défi d’un Anglais... j’accepte.

GRAIN-D’OR.

Lui aussi !

THÉOBALD.

Au vainqueur, la belle !

GRAIN-D’OR.

Oui, mais moi, je déclare !...

BOXE-PILE.

Fichez-moâ la paix... vôs, pas amuser moâ beaucoup.

THÉOBALD et BOXE-PILE.

Ensemble.

Air : Rondeau des Sept-Châteaux.

Nous le jurons ici,
La belle que voici,
D’un combat à cheval,
Sera le prix original !

GRAIN-D’OR, à part.

Maudit goddam !... Ah ! tu connaîtras celle
Qu’impunément jamais on n’insulta !...

THÉOBALD.

Gentil-Bernard doit enlever la belle !

BOXE-PILE.

Non, non, le prix est pour Suavita !

SUAVITA, entrant tout à coup.

Qui m’appelle ?

BOXE-PILE.

Pas moâ.

SUAVITA.

Vous avez dit : Suavita !...

BOXE-PILE.

Je ne vous connais pas, grosse femme... je parlais de ma jument.

SUAVITA, indignée.

Sa jument !...

Reprise de l’ENSEMBLE.

Nous le jurons ici, etc.

Théobald et Boxe-Pile sortent.

 

 

Scène VIII

 

GRAIN-D’OR, SUAVITA

 

SUAVITA.

Sa jument !

GRAIN-D’OR.

Jouer mon cœur à la course !

SUAVITA.

Prêter mon nom à une pouliche !

GRAIN-D’OR.

Ah ! si j’étais seulement une des dames colonels...

SUAVITA.

Si sa jument était un simple caniche...

GRAIN-D’OR.

J’irais le provoquer !...

SUAVITA.

Je lui insinuerais la plus malsaine des boulettes !

GRAIN-D’OR.

Indigne Boxe-Pile !

SUAVITA.

Pardon, madame, vous dites...

GRAIN-D’OR.

Indigne Boxe-Pile !

SUAVITA.

Quoi ! cet Anglais se nomme...

GRAIN-D’OR.

Boxe-Pile !

SUAVITA.

Ah ! que j’aimerais à lui administrer la dernière partie de son nom !...

GRAIN-D’OR.

Madame aurait aussi à se plaindre de ses procédés ?

SUAVITA.

Ne m’en parlez pas, je geins.

GRAIN-D’OR.

Vous dites...

SUAVITA.

Je dis que je geins.

GRAIN-D’OR.

Ah ! bon ! vous engeignez.

SUAVITA.

Mais vous, madame, sans doute cet affreux milord vous a fait aussi quelque bêtise ?

GRAIN-D’OR.

Une bêtise !... Ah ! bien, oui... est-ce que dans mon quartier on se fâche pour une bêtise ?...

SUAVITA.

Madame habite...

GRAIN-D’OR.

La rue Geoffroy-Marie.

SUAVITA.

Connais... connais...

GRAIN-D’OR.

Et vous ?...

SUAVITA.

À la Boule-Rouge...

GRAIN-D’OR.

Figurez-vous, ma petite...

SUAVITA.

Vous êtes bien bonne.

GRAIN-D’OR.

Figurez-vous qu’un de mes soupirants, M. Théobald...

SUAVITA.

Tiens ! je croyais que dans votre arrondissement il ne poussait que des Arthur !

GRAIN-D’OR.

Oh ! maintenant les Arthur sont bien usés.

SUAVITA.

Continuez.

GRAIN-D’OR.

Je vous disais donc que le jeune Théobald se trouvait tout à l’heure à mes pieds.

SUAVITA.

Vous aviez cassé vos cordons ?

GRAIN-D’OR.

Ça, ou autre chose... Milord entre tout à coup...

SUAVITA.

Sans se faire annoncer ?...

Avec mépris.

Sauvage !

GRAIN-D’OR.

L’Angleterre se fâche... la France lui rit au nez... et alors...

SUAVITA.

J’y suis !... un duel.

GRAIN-D’OR.

Un duel ?... Ah ! bien oui... le petit n’eût pas mieux demandé... mais l’Anglais, qui est un tory... très conservateur... de sa personne... a proposé un moyen plus équestre, et je dois demain être disputée à la course.

SUAVITA.

Ah ! faut-il que les hommes soient... Franconi !

GRAIN-D’OR.

Et madame a sans doute aussi quelques griefs contre milord ?

SUAVITA.

Non-seulement j’ai des grief ; mais, à la rigueur, j’aurais même des griffes contre lui... chiper mon nom pour en orner sa pouliche !...

GRAIN-D’OR.

Quoi ! vous vous nommez ?...

SUAVITA.

Suavita... comme cet animal... moi, artiste, engagée au théâtre Foulon, pour jouer Madame de Blaguefort dans Monte-Fiasco !...

GRAIN-D’OR.

Ah ! que c’est désagréable !...

SUAVITA.

Vous n’avez pas idée, chère amie, de tous les polissons de quiproquos occasionnés par ce nom !... On ne parle partout que de la belle robe de Suavita, des jolies jambes de Suavita, de la légèreté de Suavita, et après les dernières courses du champ de Mars, ne v’là-t-il pas ma portière qui vient me réveiller avec un bouquet, parce qu’elle avait entendu dire que la belle Suavita avait remporté le prix !...

Air : Et voilà, oui, voilà tout ce que j’ai fait.

Un jour, jugez de ma surprise,
J’entends nommer Suavita :
Comme elle est pimpante et bien prise !
Heureux qui la possédera !
C’était un lion qui disait ça ;
J’allais répondre : trop honnête,
Quant il reprit, les mains dans son gilet,
Ah ! c’est une bien belle bête !

GRAIN-D’OR.

Quoi c’était...

SUAVITA.

Oui, c’était de la jument qu’il parlait.
Ce monsieur me semblait honnête,
Mais c’était de la jument qu’il parlait.

GRAIND’OR.

C’est affreux !

SUAVITA.

C’est plus qu’affreux... c’est laid.

 

 

Scène IX

 

GRAIN-D’OR, LAURE DE REMBERT, SUAVITA

 

LAURE, entrant et regardant de tous côtés.

Je ne le vois pas... on m’avait pourtant assuré...

GRAIN-D’OR.

Madame cherche quelqu’un ?

LAURE.

Pardon, mesdames... séparée des personnes de ma société par la foule qui se porte aux courses, on m’avait dit que je trouverais dans cette auberge un jeune étranger, lord Boxe-Pile.

SUAVITA.

Ce Chinois ?

LAURE.

Ce n’est pas un Chinois, c’est un Anglais.

GRAIN-D’OR.

Vous le connaissez ?

LAURE.

Il me rend des soins.

GRAIN-D’OR.

Ah ! ça, il rend donc des soins à tout le monde ?

LAURE.

Que dites-vous, madame ?

GRAIN-D’OR.

Air : De Turenne.

Ici, je dois tout vous apprendre...
Non, non, ne le ménageons plus...
Tous les soins qu’il pourra vous rendre,
Il me les a déjà rendus.

LAURE.

Qu’entends-je !

SUAVITA.

Ces gueux d’Anglais sont bien connus.

GRAIN-D’OR.

Voilà trois mois que l’hypocrite
M’offre son cœur, sa fortune, sa foi,
Et que l’Angleterre chez moi
Abuse du droit de visite.

LAURE.

Oh !... c’est indigne !...Je le détestais déjà bien cordialement ; mais après ce que je viens d’apprendre...

GRAIN-D’OR.

Et vous ne savez pas tout ; il m’a mise en jeu.

LAURE.

Que signifie...

SUAVITA.

Ça signifie que l’insulaire, jaloux d’un petit qui fait la cour à madame, vient de lui proposer de jouer le cœur de madame à la course.

LAURE.

Quelle infamie !...

SUAVITA.

Une femme se trouver dans la position d’une timbale !... C’est humiliant, foi de Suavita !

LAURE.

De...

SUAVITA.

Suavita, c’est mon nom.

GRAIN-D’OR.

Oh ! quelle idée !... nous avons un égal intérêt à nous venger du goddam... Si nous le faisions perdre !...

LAURE et SUAVITA.

Comment ?

GRAIN D’OR.

En empêchant Suavita de gagner .

LAURE, très surprise.

Est-ce que madame...

SUAVITA.

Pas moi, l’autre... Il y a deux Suavita... Suavita femme, et Suavita jument... C’est la jument qu’il faut faire perdre.

ENSEMBLE.

Oui ! Oui !

Air : De Charles VI.

Guerre aux Anglais !... jamais aux courses,
Jamais l’Anglais ne gagnera.

 

 

Scène X

 

GRAIN-D’OR, MACASSAR, LAURE, SUAVITA

 

MACASSAR, accourant.

Est-ce qu’il y a une émeute ici ?... Tiens ! ce sont des dames.

GRAIN-D’OR.

Macassar !

LAURE.

Mon coiffeur !

SUAVITA.

Mon chipeur de bottines !

LAURE et GRAIN-D’OR.

Que dit-elle ?

MACASSAR.

Ah ! permettez, permettez !... C’est à une circonstance fortuite que je dois le plaisir de m’être rencontré avec vos brodequins.

GRAIN-D’OR.

Eh ! il s’agit bien de ça !... Et notre vengeance !

SUAVITA.

Oh ! je la veux atroce !...

GRAIN-D’OR.

Mais qu’imaginer ?...

LAURE.

Trois femmes ne pas trouver une vengeance !... cela ne s’est jamais vu.

GRAIN-D’OR.

Voyons, Macassar, aidez-nous donc !...

MACASSAR.

De quoi s’agit-il ?...

GRAIN-D’OR.

D’empêcher le cheval d’un Anglais de gagner la course.

MACASSAR.

Une conspiration contre Albion !... ça me sourit.

TOUTES TROIS.

Mais que faire ?...

MACASSAR.

Si on endormait le cheval ?

TOUTES.

Oui, mais comment ?

MACASSAR.

Je propose de lui chanter le Roi David.

SUAVITA.

Il faudrait avoir ce narcotique sous la main.

Vivement.

Ah !!!

TOUS, vivement.

Vous avez trouvé quelque chose ?...

SUAVITA.

Moi ?... rien du tout.

MACASSAR.

Ah !!!

LES TROIS FEMMES.

Et vous ?...

MACASSAR.

Si on introduisait trois cents kilogrammes dans la poche du jockey... sans qu’il s’en aperçoive ?...

SUAVITA.

Parfait ! sublime !

GRAIN-D’OR.

Mon cher... vous êtes bête.

SUAVITA.

Vous êtes stupide, mon cher.

LAURE, vivement.

Si...

GRAIN-D’OR, de même.

Si...

SUAVITA, de même.

Si...

MACASSAR, de même.

Si...

TOUS, ensemble.

Attendez !...

Moment de silence.

SAINT-LÉGER, en dehors.

Mon conseil, vous êtes monotone.

MACASSAR, tout à coup.

Oh ! quelle idée !... quelle grosse idée !... voilà notre affaire !

LAURE.

Le vicomte de Saint-Léger ?...

MACASSAR.

Vous le connaissez ?... vivat !...

LAURE.

Comment donc ! c’est un de mes soupirants.

MACASSAR.

Que demandez-vous ?... quelque chose qui empêche le cheval de courir ?...

 

 

Scène XI

 

LE CONSEIL, MACASSAR, SAINT-LÉGER, LAURE, GRAIN-D’OR, SUAVITA

 

MACASSAR.

Voilà l’objet !

LAURE.

En effet !...

SAINT-LÉGER, apercevant Laure.

Ô joie !... Madame de Rembert !...

S’extasiant.

Ah ! je suis un heureux drôle !

SUAVITA.

Gros papillon, va !

SAINT-LÉGER.

Dites un mot, madame, et je mets à vos pieds ma fortune, mes trésors !...

Le conseil judiciaire lui fait un signe de la main.

Non, pas ça, autre chose... mon sang, ma vie !...

Il regarde le conseil, qui fait un signe d’assentiment.

Ah ! le tribunal le veut bien.

LAURE.

Et si je vous prenais au mot ?

SAINT-LÉGER.

Prenez-y moi.

LAURE.

Si je vous demandais une grande preuve de dévouement ?

SAINT-LÉGER.

Parlez, je ferais l’impossible.

LAURE.

Il faudrait courir...

SAINT-LÉGER.

Elle a trouvé l’impossible.

LAURE.

Courir à cheval.

SAINT-LÉGER.

Ce sera bien fatigant...

MACASSAR.

Pour le cheval... oh ! oui.

LAURE.

Air.

Ah ! risquez cet essai,
Et pour que l’on vous aime,
Ce soir courez vous-même,
En veste de jockey.

SAINT-LÉGER.

Cela doit me sourire,
Qu’importe le danger ?
Demain, de Saint-Léger,
Tous vous entendrez dire :
Il eut à Chantilly,
Un cheval tué sous lui.

TOUS.

Il eut à Chantilly,
Un cheval tué sous lui.

SUAVITA.

Mais comment substituer ce monument au coureur de Boxe-Pile ?...

GRAIN-D’OR.

Rien de plus simple... milord attend de Londres un jockey fameux, qu’il ne connaît pas et qui s’appelle Robinson... le tout est d’empêcher que ce Robinson arrive.

MACASSAR.

Robinson n’arrivera pas !... un coureur anglais, c’est facile à reconnaître... je guette son passage, je gagne son amitié en l’abreuvant de boissons fortes, je le grise, et je le fais disparaître dans le premier traquenard venu.

TOUTES.

Très bien !

SAINT-LÉGER.

Encore une folie !... je serai donc toujours un petit mauvais sujet !

SUAVITA.

Enfant que tu es... mais si vous vous cassez le cou, petit !...

Le conseil fait signe que cela lui est indifférent...

SAINT-LÉGER.

Le tribunal le veut bien... merci, tribunal.

GRAIN-D’OR, joyeuse.

Ah ! maintenant je suis sûre que c’est M. Théobald qui me gagnera !

LAURE, vivement.

M. Théobald !...

GRAIN-D’OR.

Oui, M. Théobald... un bon petit jeune homme, le concurrent de Boxe-Pile.

LAURE, troublée.

Il vous fait la cour ?...

GRAIN-D’OR.

Oui... est-ce que vous le connaissez ?

LAURE, se remettant.

Non !... j’avais cru... je me suis trompée...

MACASSAR.

Je vais guetter Robinson.

SAINT-LÉGER, le rappelant.

Et une toque ?... et une casaque ?...

GRAIN-D’OR.

Nous nous en chargeons... venez, Suavita.

CHŒUR.

Air : Du Comte Ory.

Allons ! il faut d’avance
Assurer nos projets.
À demain la vengeance !
À demain le succès !
(ter.)

Tous sortent, excepté Laure.

 

 

Scène XII

 

LAURE, puis THÉOBALD

 

LAURE.

Théobald ?... il serait ici, si près de moi !... c’est impossible... son père connaît trop les dangers de Paris pour avoir autorisé... et d’ailleurs, à dix-neuf ans... Ce que cette dame racontait... le pauvre garçon en est incapable... lui, qui m’adore depuis l’enfance... et un amoureux de province c’est fidèle, c’est sincère... une ressemblance de nom, voilà tout.

THÉOBALD, à la cantonade.

Sois tranquille, Grain-d’Or, je te gagnerai.

LAURE.

Cette voix !... c’est lui !...

THÉOBALD, en haut.

Gagner une jolie femme !... à la bonne heure !... si on donnait de ces prix-là au collège, j’aurais toujours été le premier.

LAURE.

C’est un petit lion, Dieu me pardonne !

THÉOBALD, regardant de loin.

Oh ! la rude tournure !... Si ce pouvait être un accessit ?...

S’approchant et saluant.

Madame...

LAURE.

Eh bien ! Théobald ?...

THÉOBALD.

Que vois-je !... ma cousine !...

LAURE.

Eh quoi ! monsieur... vous que je croyais encore dans le Bourbonnais !... vous êtes à Paris, et vous n’êtes pas venu me voir !... vous m’avez oubliée !...

THÉOBALD, ému.

Oh ! que dites-vous là !... oublie-t-on quand on aime ?

LAURE.

Vous aimez ?... le charmant prix de la course, sans doute ?

THÉOBALD.

Ô ciel !... vous savez...

LAURE.

Que l’on se forme vite à Paris, et que mon petit cousin Théobald, qui jurait de n’aimer jamais que sa cousine...

THÉOBALD.

Oh ! croyez que les circonstances... le tourbillon... qui vous entraîne malgré vous... Oh ! mais je perdrai !... je vous donne ma parole d’honneur que je perdrai !

LAURE.

Non, monsieur, vous gagnerez.

THÉOBALD.

Oh ! pour cela, par exemple !...

LAURE.

J’ai moi-même préparé votre triomphe.

THÉOBALD.

Et moi, je veux perdre... Je vous ai revue, ma cousine, veuve libre, et cent fois plus belle !... Il m’est permis de vous adresser aujourd’hui les aveux que je vous écrivais autrefois, et il me serait si doux de vous entendre me dire ce que je vous faisais me répondre !... Ma cousine ! ma cousine !... c’est à vos genoux...

 

 

Scène XIII

 

LAURE, THÉOBALD, BOXE-PILE

 

BOXE-PILE.

Goddam !

LAURE, se sauvant.

Ah !

BOXE-PILE.

Ah çà, je trôverais donc vôs à tous les genoux possibles !...

THÉOBALD.

Imbécile !... qui la fait fuir au plus beau moment !

BOXE-PILE.

Du tout !... le moment être très vilain pour moâ.

THÉOBALD.

Est-ce qu’on tombe ainsi dans une déclaration...

BOXE-PILE.

Une déclarachionne !...

THÉOBALD.

Il eût peut-être fallu vous demander la permichionne ?

BOXE-PILE.

Oh ! hui... je volais qu’on demande la permission... pour ne pas le donner.

THÉOBALD.

Mais cette dame est ma cousine.

BOXE-PILE.

Oh ! tant pis...

THÉOBALD.

Comment tant pis ?

BOXE-PILE.

J’aimai pas les petits cosins, et je défendais à vôs d’être le petite cosin de mon future.

THÉOBALD.

Votre future, madame Rembert ?

BOXE-PILE.

Hui !... pour tout de bon je devais l’épouser.

THÉOBALD.

Oh ! pas tant que j’existerai !

BOXE-PILE.

Petite jeune homme !... ne mettez pas moâ en couleur.

THÉOBALD.

Eh ! monsieur, tous ces discours sont inutiles... vos armes !

BOXE-PILE.

Petite jeune homme, demain matin... mon cheval il ira s’entendre avec le vôtre.

THÉOBALD.

Votre cheval ?

BOXE-PILE.

Hui... je préférais faire battre nos chevaux.

THÉOBALD.

Est-ce une plaisanterie, milord ?

BOXE-PILE.

Ce n’était plus le petite château rouge que nous jouons à la course de demain... ce était la cousine à vôs.

THÉOBALD.

Jouer ma cousine !...

BOXE-PILE.

Hui... contre ma future.

THÉOBALD, à part.

Air : De votre bonté généreuse.

Eh ! mais, si j’ai bonne mémoire,
Elle m’a promis du bonheur ;
Elle a préparé ma victoire,
Dépêchons-nous d’être vainqueur.
Allons, preux chevalier, aux armes !
Viens à mon aide, ô mon vaillant cheval !...
Gagner, par toi, tant d’attraits et de charmes,
Ah ! ce sera gagner un prix royal !

BOXE-PILE.

Vôs acceptez... le propositionne ?

THÉOBALD.

Yes, j’accepte le propositionne...

 

 

Scène XIV

 

LAURE, THÉOBALD, BOXE-PILE, MACASSAR, puis GRAIN-D’OR, LAURE, ensuite SUAVITA

 

MACASSAR, accourant avec des papiers à la main.

Victoire ! victoire !

Apercevant Boxe-Pile.

Bigre ! l’Anglais !...

À part.

C’est égal, j’ai saisi son jockey au passage... je voulais le griser... mais il s’en était chargé lui-même... Enfin, voilà ses papiers...

Regardant Boxe-Pile.

Pauvre goddem !... il attend un coureur, et c’est un hippopotame qu’on va lui servir !

SUAVITA, en dehors.

C’est affreux !... c’est épouvantable !...

GRAIN-D’OR, entrant, et riant aux éclats.

Ah ! ah ! ah ! c’est trop drôle, c’est trop amusant !... cette pauvre madame Suavita !...

MACASSAR, riant encore plus fort.

Ah ! ah ! ah !...

GRAIN-D’OR, à Macassar.

De quoi riez vous ?

MACASSAR.

De ce que vous allez dire... je ris de confiance.

SUAVITA, entrant.

C’est une infamie ! c’est une ignominie ! c’est une vilenie !

MACASSAR.

Qu’avez-vous, chère amie ?

SUAVITA.

Je demande qu’on me dénomme, ou qu’on dénomme la bête à monsieur.

THÉOBALD.

Qu’y a-t-il donc ?

SUAVITA.

Figurez-vous, jeune homme, que le garçon d’écurie ayant demandé où l’on devait panser Suavita, l’aubergiste lui indiqua mon rez-de-chaussée... et savez-vous ce que je viens de trouver chez moi ?... un cheval !...

Air : Adieu, je vous fuis, bois charmant.

Vous avouerez que c’est trop fort !
J’entre, et je vois dans l’antichambre,
La Suavita de mylord
Qui se prélassait dans ma chambre.
Mais ce n’est pas encore tout :
Mon homonyme, fort canaille,
Était à table jusqu’au cou,
Et mangeait mon chapeau de paille !

Elle montre un chapeau à demi rongé.

BOXE-PILE.

De la paille d’Italie !... gourmande !

SUAVITA, allant à Boxe-Pile.

Vous me le payerez, milord.

BOXE-PILE.

Je payerai rien du tout ! fichez-moâ le paix !...

On entend une cloche.

 

 

Scène XV

 

LES MÊMES, TOUS LES PERSONNAGES, moins SAINT-LÉGER et SON CONSEIL

 

CHŒUR.

Air.

Mes amis, la cloche vient de sonner,
Elle annonce l’heure du dîner,
Et nous allons, le verre à la main,
Nous donner des forces pour demain.

L’AUBERGISTE, entrant.

Le repas est servi.

TOUS.

À table !

THÉOBALD, voyant Boxe-Pile prendre la main de Laure.

Avec lui !...
Je vais me mettre en face.

SUAVITA.

J’espère, mes amis,
Que l’on n’a pas mis
Le cheval à ma place.

LOULOU, paraissant à l’œil-de-bœuf.

Sapristi ! Macassar, je demande mes bottes !

Macassar lui lance une valise à la tête. Il disparaît.

Reprise.

Mes amis, la cloche, etc.

 

 

ACTE II

 

L’Hippodrome de Chantilly. Sur l’avant-scène, à gauche, un fiacre, dont les chevaux sont dételés. De l’autre côté, une calèche. À droite, au premier plan, une grande balance.

 

 

Scène première

 

JOHN, puis BOXE-PILE, dans le fiacre, PROMENEURS

 

CHŒUR.

Air : Nouveau.

Ah ! quelle charmante journée !
En ce jour plein d’avenir,
De plaisir,
Mes amis, il faut nous réunir.
Attendons l’heure fortunée,
Où les coursiers, pleins de cœur
Et d’ardeur,
Donnerons le prix du vainqueur.
Mes amis buvons,
Vidons
Les flacons ;
Rions, déjeunons,
Par terre mangeons ;
Sous table buvons,
Et répétons,
Ah ! quelle charmante,
etc.

LOULOU.

Allons, messieurs, puisque le déjeuner est fini, je propose une promenade aux étangs.

TOUS.

Aux étangs !

Reprise du CHŒUR.

Ah ! quelle charmante journée !

JOHN, endormi sur le siège du fiacre, s’éveillant tout à coup en grelottant.

Brrrr !... je gèle... sapristi ! qu’il fait frisquet ! satané milord, qui passe un bail avec un cocher de fiacre sans faire attention que la chambre de domestique n’a pas de toit !... Brrrr !... j’ai amassé cette nuit des rhumatismes pour ma vieillesse. Brrr !... ah ! je m’en souviendrai des courses de Chantilly !

On entend le son d’un timbre.

Ah ! voilà milord qui me sonne...

Nouveau bruit.

Voilà, voilà.

Du siège John passe sur l’impériale et se penche à la portière du côté du public.

Milord a sonné ?

BOXE-PILE, passant sa tête à la portière. Il a un madras.

Hui... quelle heure il était ?

JOHN.

Dix heures et demie, milord.

BOXE-PILE.

Oh ! god ! je étais bien en retard. John, faites le barbe à moâ.

JOHN.

Tout est prêt, milord. J’ai là votre trousse de voyage, dans l’antichambre.

Il prend la trousse qui est sur le siège, et prépare les rasoirs.

BOXE-PILE, lui passant un verre plein de savon en mousse.

Tenez... je ennuyais moâ cette nuit, et je avais fait mousser le savonne pour me dissiper. Rasez le barbe à moâ.

JOHN.

Oui, milord.

John, agenouillé sur l’impériale, rase Boxe-Pile, resté dans la voiture, et dont il renverse la tête.

BOXE-PILE.

Faites donc attentionne !... vos savonnez l’œil à moâ... je n’avais pas dit à vos de raser les sourcils.

JOHN.

Pardon, milord, c’est que je ne suis pas très à mon aise.

BOXE-PILE.

Et moâ donc ! vos flanquez à moâ un gros... un... Dites ce que je volais dire.

JOHN.

Un gros quoi ?

BOXE-PILE.

Ah !... un gros torticolis.

Tout à coup.

Ah ! pouah !

JOHN.

Qu’est-ce qui vous prend encore ?

BOXE-PILE.

Vous fourrez du savon dans la bouche à moâ.

JOHN.

Dame, milord, vous parlez toujours.

BOXE-PILE.

Je volais parler sans savonne... Tâchez maintenant de ne pas couper nez à moâ, j’y tiens beaucoup.

JOHN.

C’est bien, je l’épargnerai.

BOXE-PILE.

Ne coupez pas non plus les petits... les petits... Dites ce que je volais dire.

JOHN.

Les petits quoi ?... Dites quoi, et je vous le dirai.

BOXE-PILE.

Ah !... les petits courtisans.

JOHN.

Les courtisans ?

BOXE-PILE.

Yes... que je avais des deux côtés de la figure.

JOHN.

Les favoris, milord.

BOXE-PILE.

Je disais courtisans... je étais le maître... je payais vos pour dire comme moâ.

JOHN.

Là, voilà qui est fait.

À part.

Animal !

BOXE-PILE.

Merci... je vais faire la toilette à moâ... John, si on vient me demander, je n’y étais pour personne.

JOHN, d’un air malin.

Pas même pour les dames !...

BOXE-PILE.

Quand je m’habillé ?... Vos êtes un... Comment nommez-vôs cet oiseau que l’on metté dans les pâtés ?...

JOHN.

Mais, milord, si c’est quelque chose de désagréable pour moi...

BOXE-PILE.

De très désagréable... Ah ! je tenais l’oiseau... Vos êtes une oie.

Il rentre dans le fiacre.

JOHN, se remettant sur le siège.

Hier, j’étais un serin, et avant-hier une grue... cet étranger affectionne l’histoire naturelle.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, THÉOBALD

 

THÉOBALD, en culotte de peau blanche, bottes à revers, mais ayant un paletot par-dessus son costume.

Le fiacre n° 360 !... Ah ! c’est celui-ci...

À John.

Lord Boxe-Pile, s’il vous plaît ?...

JOHN, sans se déranger.

Adressez-vous à la portière.

THÉOBALD.

À la portière ?...

Comprenant.

Ah !

Allant à la portière.

Milord !...

BOXE-PILE, se montrant.

Ah ! ce été vôs ?... Entrez.

THÉOBALD.

C’est inutile.

BOXE-PILE.

Vous ne vôlez pas monter ?... alors je descendrai... Attendez-moâ.

THÉOBALD.

En voilà un excentrique !... mais, avec Suavita, c’est un adversaire dangereux... et il s’agit de lui disputer ma charmante cousine...

BOXE-PILE, qui est descendu en robe de chambre.

Qu’est-ce que vôs vôlez à moâ ?

THÉOBALD.

Notre pari tient toujours ?

BOXE-PILE, riant.

Tôjours... Oh ! ce être une bien jolie idée !... oh ! oh ! oh ! oh !

JOHN, riant aussi.

Hi ! hit hi !

BOXE-PILE, se retournant.

Je défendai à vôs de rire, quand je ris !...

John bâille et s’endort.

À la bonne heure !...

THÉOBALD.

Eh bien ! milord... je viens vous annoncer, qu’attachant le plus grand prix à la victoire, je ne confierai mon cheval à personne, et que je courrai moi-même... en gentleman-rider.

BOXE-PILE.

Courez, petite jeune homme, courez.

THÉOBALD.

Et vous, milord ?

BOXE-PILE.

Jamais dans les hippodromes... moâ cours seulement dans les steeple-chase... pour casser le cou, casser les bras, casser le nez, et plonger le figure dans le crotte... je ne trouvai que cela d’agréable. Ah ! ah ! ah ! ah !

JOHN, riant de nouveau.

Ah ! ah ! ah !...

BOXE-PILE, à John.

Pourquoi riez-vôs quand je le avais défendu à vôs...

John bâille.

À la bonne heure !...

THÉOBALD.

Mais vous avez sans doute un célèbre jockey ?...

BOXE-PILE.

Oh ! yes, yes... un jockey qui avait triomphé à Epson, à Ascott... et maigre comme une asperge... le petite Robinsonne.

THÉOBALD.

Ah ! diable !... c’est un rude jouteur... mais, n’importe !... dût Gentil-Bernard expirer sous moi, il arrivera premier, et Suavita sera distancée !

Air : De Don Pasquale.

Vous aurez de mes nouvelles ;
Le ciel me protégera,
Et je compte sur les ailes
Que l’amour me prêtera.

BOXE-PILE.

Les ailes que l’amour prête,
Vous serviraient assez mal ;
Tâchez plutôt qu’il en mette
Aux pieds de votre cheval.

Ensemble.

THÉOBALD.

Vous aurez de mes nouvelles, etc.

BOXE-PILE.

J’attendrai de vos nouvelles ;
Mais pour vaincre Suavita,
Ne comptez pas sur les ailes
Que l’amour vous prêtera.

Théobald sort.

 

 

Scène III

 

BOXE-PILE, JOHN

 

BOXE-PILE.

Allons achever mon toilette... Ah ! à propos... je ne avais pas encore vu Robinsonne... mais on m’a prévenu qu’il arrivait tôjours au dernier moment... et nôs avons encore une heure... John !

JOHN.

Milord !

BOXE-PILE.

Où été mon redeguingotte ?

JOHN.

Sous la banquette, milord.

BOXE-PILE.

On disai dans le armoire ! vous êtes un... Comment appelez-vôs ces petites légumes qui habitaient le vinaigre... Ah ! je tenais le légume... vôs êtes un cornichon !

Il remonte dans le fiacre.

JOHN.

Bon !... je passe du règne animal dans le règne bocal.

S’endormant sur le siège.

Ça m’est bien égal.

 

 

Scène IV

 

JOHN, MACASSAR et tout le ROQUET-CLUB, puis BOXE-PILE

 

CHŒUR.

Air : Par ici, mesdemoiselles.

La magnifique journée !
Puissions-nous, comme aujourd’hui,
Nous retrouver chaque année
Aux courses de Chantilly !

MACASSAR.

Qu’au steeple-chas’, ventre à terre,
Notre club s’illustre encor !
Gentleman, vous devez faire
Sur le turf briller le sport !

TOUS.

La magnifique journée, etc.

MACASSAR, déployant un programme.

Jeunes sportmen !... voici le programme des courses ; troisième journée... première course-handicap, sont engagés : Trois Mousquetaires issus de feuilletons et de primes ; Centre gauche, issu de scrutin et d’interruptions à droite ; Château-Rouge, issu de Mabille et de la Grande-Chaumière ; Relâche, issu de coups de soleil et d’indispositions. Deuxième course... course de haies... Deux tours et une seule épreuve... sont engagés : Gentil-Bernard, poulain de trois ans, à M. de Cernay, monté par lui-même... toque noire et casaque bleue... Suavita, pouliche de quatre ans, montée par Robinson... toque blanche et casaque rose...

Pliant le programme.

Ah çà, jeunes sportmen, n’oubliez pas les conventions du Gentilhomme-club... pour les paris... Il est bien entendu que mille francs, ça veut dire cinq sous... deux mille francs, cinquante centimes.

TOUS.

Oui, oui.

MACASSAR.

Fichtre !... c’est qu’une erreur me serait néfaste... non que je donnasse les mille francs... j’en suis impossible.

BOXE-PILE, descendant de fiacre.

Voilà le toilette à moâ confectionnée.

MACASSAR, collant son lorgnon sur son œil, ce que fait à l’instant tout le Roquet-Club.

Eh ! palsembleu ! c’est ce cher lord !... I dow you dow, my dear.

BOXE-PILE.

Good morning, sir.

MACASSAR.

Good morning, je le veux bien.

Ici, l’orchestre commence piano un galop, qui continue jusqu’à l’air suivant.

BOXE-PILE, regardant la cantonade.

Oh ! god ! god !... les jolies petites femmes !

MACASSAR, à part.

Bigre !... toutes mes pratiques.

BOXE-PILE.

Vôs connaissez ces petites... tendrons ?

MACASSAR, avec fatuité.

Est-ce que je ne les connais pas toutes ?

 

 

Scène V

 

LES MÊMES, GRAIN-D’OR, SUAVITA, plusieurs LORETTES, ayant toutes des ombrelles ouvertes

 

La musique continue, sous le dialogue.

GRAIN-D’OR.

Tenez, mesdames, je crois que nous serons parfaitement ici.

SUAVITA, entrant, un tabouret à la main, et bousculant tout le monde.

Place ! place !... place donc !

BOXE-PILE.

Mais, gros femme, vôs bousculez moâ !

SUAVITA.

Oui, moâ bousculer vôs, parce que vôs empêchir de passer moâ...

Courant dans tous les sens.

Où vais-je mettre mon tabouret ?... Ah ! là...

Elle place son tabouret.

BOXE-PILE, remarquant deux jeunes femmes.

Oh ! jolies !... very weel ! very weel !...

À Macassar.

Vôs connaissez ?...

MACASSAR, bas.

Vous ne voyez donc pas qu’elles me font des signes ?...

BOXE-PILE.

Ah ! god ! ce était vrai.

MACASSAR, allant saluer en dandy les deux dames qui semblaient l’appeler.

Mesdames...

PREMIÈRE DAME, en passant.

Demain matin, à neuf heures.

MACASSAR.

Il suffit.

BOXE-PILE.

Oh ! ce était un rendez-vôs ! Elle était bien jolie... elle avait le nez en l’air ?

DEUXIÈME DAME, s’approchant.

Après demain matin, à huit heures.

BOXE-PILE, donnant un coup de poing à Macassar.

C’est encore un rendez-vôs... c’est une belle brune... elle avait le nez en bas... Vôs il était bien heureux.

MACASSAR.

Ah ! mais ! vôs embêtez moâ !

GRAIN-D’OR, qui se promenait au fond.

Venez donc, Macassar.

Voyant Boxe-Pile.

Ah ! vous voilà, gros monstre !... Macassar, voyez donc si mon bandeau ne se défait pas.

MACASSAR.

Comment donc !...

Prenant un petit jockey dans ses bras.

Bredidi, coiffez madame...

Bas à Grain-d’Or.

Ne trahissez pas mon incognito.

GRAIN-D’OR.

Compris.

BOXE-PILE.

C’est votre domestique ?...

MACASSAR.

C’est un vieux serviteur à moi qui coiffe très bien les dames.

Une Anglaise s’approche de Boxe-Pile et lui parle anglais.

BOXE-PILE.

Une compatriote !...

L’ANGLAISE.

Yes !...

BOXE-PILE, brusquement.

Fichez-moâ la paix !...

GRAIN-D’OR, à Boxe-Pile.

Je ne sais si vous gagnerez, milord... mais je sais bien que je ne serai pas le prix de la course.

BOXE-PILE.

Non... car j’en jouai une autre, à présent.

GRAIN-D’OR.

Une autre femme ?...

BOXE-PILE.

Hui !... vôs pas valoir l’autre.

GRAIN-D’OR.

Ah ! moi pas valoir !... Eh bien ! vous recevoir.

Elle lui donne un soufflet.

Attrape !

BOXE-PILE.

God !

JOHN, réveillé en sursaut.

Milord a sonné ?...

BOXE-PILE.

Vôs êtes une cruche !

JOHN.

Bon ! me voilà dans la faïence !

Il se rendort. Madame de Rembert, accompagnée d’une dame, monte dans la calèche.

GRAIN-D’OR, la voyant.

Ah ! madame de Rembert dans sa calèche !... Nous sommes en force.

MACASSAR.

Les jockeys !... on demande les jockeys !...

Il tape du pied en cadence.

TOUS.

Les voilà !... les voilà !...

GRAIN-D’OR.

Air : Quand on est bon chrétien.

Place aux coureurs !
Nos grands seigneurs
Ont choisi parmi les meilleurs.
Ici, nous serons mieux qu’ailleurs,
Pour voir quels seront les vainqueurs.
C’est charmant !
(Bis.)
Voyez ce régiment,
Vraiment,
Il est charmant !

 

 

Scène VI

 

LES MÊMES, THÉOBALD, en jockey, CINQ AUTRES JOCKEYS, DES FEMMES

 

CHŒUR.

Eh ! hopp ! Eh ! hopp !
Quelle belle armée !
Eh ! hopp !
Comme ils sont coquets !
Eh ! hopp !
(Bis.)
C’est la renommée !
Eh ! hopp !
(Bis.)
La fleur des jockeys !

GRAIN-D’OR, à part.

Monsieur Théobald est charmant !
À son triomphe maintenant,
J’ai du plaisir à croire.
En le voyant, foi de Grain-d’Or,
Ici je voudrais être encor
Le prix de la victoire.
(Bis.)

CHŒUR.

Place aux coureurs ! etc.

THÉOBALD.

Mes amis, il s’agit de battre les chevaux anglais !...

PREMIER JOCKEY.

Oh ! je suis sûr de moi et de mon cheval.

DEUXIÈME JOCKEY.

Et moi aussi.

PREMIER JOCKEY.

Je n’ai pas voulu confier le gain de la course à mon jockey... allons donc, un cheval de douze mille francs dans les mains d’un domestique, fi donc !...

THÉOBALD.

C’est comme moi.

DEUXIÈME JOCKEY.

Et comme moi.

 

 

Scène VII

 

MACASSAR, SUAVITA, LAURE DE REMBERT, GRAIN-D’OR, BOXE-PILE, TOUS LES PARIEURS avec LEURS JOCKEYS

 

BOXE-PILE, regardant à sa montre et frappant du pied.

Goddam ! l’heure de la course qui arrivai, et Robinson qui ne arrivai pas !...

MACASSAR.

Rassurez-vous, milord... on ne l’aura pas mangé... l’autorité ne tolère de sauvages à Chantilly, que les jours de foire... et ceux-là : Ne pas manger bons blancs.

BOXE-PILE.

Mais ce était aujourd’hui dimanche... et Robinson devait arriver il y a deux jours.

MACASSAR.

Ah ! oui, je comprends, vous attendiez Robinson avant Vendredi.

BOXE-PILE.

Oh ! c’était un jus de mot... un calembour.

SUAVITA.

Eh ! mais regardez donc là-bas !... cette grosse boule qu’on entoure !...

TOUS LES PARIEURS.

Le voilà ! le voilà !

SAINT-LÉGER, à la cantonade.

Place à Robinson !

TOUS.

Robinson !

 

 

Scène VIII

 

LES MÊMES, SAINT-LÉGER, en jockey, toque blanche et casaque rose

 

CHŒUR.

Air : Ah ! le bel oiseau, maman.

Non, ce n’est pas un jockey !
C’est une boule
Qui roule !
Non ce n’est pas un jockey,
Il est trop gros et trop laid !

BOXE-PILE, désolé.

Vos étiez Robinson ?...

SAINT-LÉGER.

Yes !...

BOXE-PILE.

Goddam !... comment ! ce être vous qui étais le petit coureur que je avais demandé ?

MACASSAR.

Eh ! mais oui, c’est lui, c’est le fameux, l’illustre, le seul et véritable Robinson.

BOXE-PILE.

Vôs connaissez ?

MACASSAR.

Intimement !

SAINT-LÉGER, baragouinant.

Oui, milord, ce être moi, et voici mes papiers... mes certificats... Robinson !

BOXE-PILE.

Robinsone, Robinsone... je ne en avais pas demandé tant que ça, de Robinsone.

MACASSAR.

Que son physique ne vous alarme pas, il est très fort...

BOXE-PILE.

Je le vois bien, qu’il était fort !... il était beaucoup trop fort !

MACASSAR.

Ah ! si vous l’aviez vu courir dans Blague-Street !...

BOXE-PILE.

Blague-Street ?

MACASSAR.

Une nouvelle rue de Londres, près de Je t’enfonce square.

BOXE-PILE.

Je exigeai qu’on pèse le adversaire à moâ, et le coureur à moâ.

THÉOBALD.

Mais, milord, on m’a déjà pesé.

BOXE-PILE.

Ce était égal, moâ vouluar qu’on pèse Robinsone.

TOUS.

Au pesage ! au pesage !

Pendant le chœur qui suit, tous les acteurs se groupent près des balances de manière à faire tableau.

CHŒUR.

Air : La guerre.

Et vite ! (Bis.)
Pesons les concurrents du jour,
Et suivant leur mérite,
Jugeons-les tour à tour.

SAINT-LÉGER, avant de monter.

Dites-moi, êtes-vous bien sûr de vos cordes ?...

MACASSAR.

Montez toujours.

TOUS.

Montez... Mais, montez donc !

SAINT-LÉGER.

Vous le voulez ?... je ne réponds pas des cordes.

BOXE-PILE.

Robinsonne... faites-vôs petite... je le ordonne à vôs...

SAINT-LÉGER.

Oui, milord, je vais me pelotonner.

BOXE-PILE.

Pelotonne-toâ, pelotonne-toâ.

MACASSAR, plaçant des poids.

Cent... deux cents...

BOXE-PILE !

Oh ! god !

MACASSAR, plaçant un autre poids.

Deux cent cinquante...

BOXE-PILE.

God, god, god !...

MACASSAR.

Passez-moi des poids...

UN JOCKEY.

Il n’y en a plus !...

MACASSAR.

Bigre !... mais il faudrait pourtant, pour faire l’appoint, quelque chose de lourd.

À Suavita.

Si madame voulait ?...

SUAVITA.

Me prendre pour un kilo !... Ah ! c’est garder bien peu de mesure !

MACASSAR.

Eh bien ! un jockey !

Au premier jockey.

Si monsieur voulait avoir l’obligeance...

Le jockey monte.

C’est que ça ne bouge pas !... Un autre jockey !

Un deuxième jockey monte dans la balance.

BOXE-PILE.

Ah ! ce être humiliant !

MACASSAR.

Un troisième jockey !...

La balance fait un petit mouvement.

SAINT-LÉGER.

Eh bien ! ça y est-il ?...

MACASSAR.

Ne vous impatientez pas... Un quatrième jockey !...

Il place un petit jockey, enfant de trois ans. Saint-Léger est enlevé.

Allons donc ! voilà que nous y v’là ! Vous voyez bien... il ne fallait qu’un petit poids...justement celui-ci est né dans l’Écosse...

BOXE-PILE, à Macassar.

Combienne ?...

SAINT-LÉGER.

Oui, je tiens à savoir...

MACASSAR.

Tenez-vous tranquille, j’additionne...

SAINT-LÉGER.

Air : Le Luth galant.

Mon poids !... mon poids !... dites sans embarras.

MACASSAR

Je le veux bien... mais ne vous fâchez pas.

SAINT-LÉGER.

Mon poids !

MACASSAR.

Par votre ampleur, par votre énorme buste,
Vous rappelez, hélas ! un animal auguste,
Car vous pesez, mon cher, trois cents kilos... tout juste
La moitié du bœuf gras.

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah !...

BOXE-PILE, à Saint-Léger.

C’est égal... je causerai des chagrins à vôs.

SAINT-LÉGER.

Ah bah !...

BOXE-PILE.

Je accablerai vôs de mauvais traitements.

SAINT-LÉGER.

Et pourquoi donc ça ?...

BOXE-PILE.

Pour faire maigrir vôs, je nourrirai vôs à coups de cravache...

SAINT-LÉGER, à part.

Bien obligé !

Un grand mouvement a lieu dans la scène. Deux heures sonnent.

GRAIN-D’OR.

Deux heures !... la première course va commencer.

THÉOBALD.

Allons, messieurs, à cheval !

TOUS.

À cheval !...

CHŒUR.

Air.

Allez,
Volez !
Notre estime,
Notre prime,
À l’écuyer
Qui parviendra le premier.
Qu’on soit
Adroit,
La gloire,
Après la victoire,
Attend ici
Le vainqueur de Chantilly !

LES JOCKEYS.

Allons,
Volons !
Grande estime,
Forte prime,
Pour l’écuyer,
etc.

Les jockeys sortent.

MACASSAR, à un groupe de parieurs.

Ah çà, vous autres, les paris vont s’engager... N’oubliez pas que, pour nous, mille francs signifient cinq sous.

Très haut.

Je parie mille francs pour les Trois Mousquetaires !

TOUS.

Mille francs !...

BOXE-PILE.

Mille francs !... je les tenai pour Beefsteak.

MACASSAR, à part.

Diable ! il n’est pas dans la confidence !

Haut.

Milord, je vous prie de croire qu’il ne manque pas ici de personnes qui voudraient les tenir, vos mille francs... mais...

LOULOU.

On va donner le signal.

BOXE-PILE, à Macassar.

Allons, monsieur, mille francs pour Beefsteak.

MACASSAR, à part.

Au fait, puisque c’est convenu...

Aux parieurs.

car c’est bien convenu, n’est-ce pas ?

TOUS.

Oui, oui...

MACASSAR, à part.

Qu’est-ce que je risque ?... de gagner mille francs ou de perdre cinq sous.

Haut.

Je me risque !... Mille francs pour les Trois Mousquetaires !

BOXE-PILE.

Mille francs pour Beefsteak !

PREMIER LION.

Dix louis !

DEUXIÈME LION.

Dix louis pour Mousquetaire !

TROISIÈME LION.

Tenus !

DEUXIÈME LION.

Qui pour Beefsteak ?

QUATRIÈME LION.

Moi, moi... douze louis !

CINQUIÈME LION.

Quinze louis.

DEUXIÈME LION.

Douze, quinze louis pour Beefsteak.

TOUS.

Tenus, tenus, tenus !...

Cloche.

MACASSAR.

Allons bon, voilà qu’il pleut.

BOXE-PILE.

Yes !... il va pleuvoir beaucoup...

GRAIN-D’OR.

Ah ! mon Dieu !... ma toilette, et je n’ai qu’une ombrelle...

Ici l’on voit s’ouvrir beaucoup de parapluies.

TOUS.

La course !... la course !... à bas les parapluies... à bas les parapluies !...

MACASSAR.

Bravo ! bravo ! Oh ! le superbe départ ! Milord, mes mille francs sont partis avant les vôtres.

BOXE-PILE.

Yes !... Mais les miens tiennent la corde.

TOUS.

Les voilà ! les voilà !...

Cris. L’on voit passer tous les jockeys sur le premier plan.

SUAVITA.

Fichtre ! la belle course !...

GRAIN-D’OR.

Beefsteak prend la tête.

MACASSAR.

Mais non, ce n’est pas ça !... plus vite donc !... le malheureux dort sur son cheval !

SUAVITA.

M. Macassar, vous êtes distancé...

TOUS.

Ils arrivent, ils arrivent !...

On voit, en effet, tous les jockeys repasser dans le fond. Le coursier de Boxe-Pile a devancé celui de Macassar.

TOUS.

Bravo ! bravo !

BOXE-PILE.

J’ai gagné !

MACASSAR, à part.

Rincé de mes vingt-cinq centimes !

BOXE-PILE.

Vous devez à moâ mille francs.

MACASSAR.

C’est juste, voilà !

Il lui donne cinq sous.

BOXE-PILE.

Air : Connu.

Monsieur, que me donnez-vous ?

MACASSAR.

Un petit sou, deux décimes :
Voilà vos vingt-cinq centimes...
Mill’francs, ça veut dire chez nous,
Cinq sous
(Bis.)

BOXE-PILE, furieux.

Gardez vos vingt-cinq centimes !

MACASSAR.

Cinq sous (Bis.)
Je n’veux rien avoir à vous.

On entend le son de la cloche.

GRAIN-D’OR.

Messieurs, messieurs, le signal !

BOXE-PILE.

Oh ! god ! ce être la course des haies... mon jockey Robinson va courir !

LAURE, à part.

Je suis d’une impatience... d’une inquiétude !... Perdra-t-il ?... tiendra-t-il sa parole ?...

BOXE-PILE.

Mille francs pour Suavita.

SUAVITA, accourant.

Mille francs pour moi ?...

BOXE-PILE.

Fichez-moâ la paix !...

SUAVITA.

Crapaud !

LAURE, à part.

Il m’a promis de perdre... Ah ! je vais savoir s’il m’aime !...

GRAIN-D’OR.

La seconde course va commencer... Robinson à la corde !

LAURE, à part.

Je tremble !

BOXE-PILE.

Mon cœur il palpitait !

MACASSAR.

Dieu ! que Suavita a l’air contrarié !

TOUS.

Les voilà ! les voilà !...

On voit passer rapidement Théobald qui est censé fouetter son cheval. Saint- Léger paraît enfin, mais au petit trot. Tout le monde rit.

BOXE-PILE.

God ! god !... ce n’est pas ça Robinson... Il était poussif !

MACASSAR.

Il se ménage, je le connais, il se ménage...

BOXE-PILE.

Mais il se ménage trop !

Nouveaux rires. Les deux jokers disparaissent.

LAURE.

Que vois-je !... il s’élance, il fouette son cheval !... Voilà donc comme il tient sa promesse !...

TOUS, jetant un cri.

Ah !

BOXE-PILE.

Qu’y a-t-il ?

GRAIN-D’OR.

Robinson vient de tomber !

BOXE-PILE.

Goddam !

GRAIN-D’OR.

Là-bas, là-bas !... regardez !...

On voit paraître, dans le lointain, la tête de Théobald censé à cheval ; il est suivi de Suavita sans cavalier. Tout le monde applaudit.

CHŒUR.

La course est finie !
Que partout on crie :
Honneur
(Bis.)

Au cheval du vainqueur !

TOUS.

Ah ! voilà les jockeys...

Applaudissant.

Bravo !... bravo !...

 

 

Scène IX

 

LES MÊMES, THÉOBALD

 

THÉOBALD.

Victoire ! victoire !

Apercevant Laure.

Ah ! ma cousine, que je suis heureux !

LAURE, avec dépit.

Permettez-moi de vous féliciter, monsieur... La victoire que vous avez remportée...

THÉOBALD.

Elle m’est bien chère.

LAURE, bas.

Air : Du château perdu.

Vous aviez fait une gageure infâme !

De la Grain-d’Or soyez l’amant chéri,
Elle est à vous...

THÉOBALD.

Vous vous trompez, madame,
Nous avions fait un plus noble pari.

LAURE.

Lequel, monsieur ?...

THÉOBALD.

C’était une folie !
Je suis heureux si vous la pardonnez...
J’ai contre lui gagné la plus jolie ;
Vous voyez bien que vous m’appartenez.

 

 

Scène X

 

LES MÊMES, SAINT-LÉGER

 

SAINT-LÉGER, boitant.

Me voilà ! me voilà !

Rire général.

GRAIN-D’OR.

Ah ! ce pauvre homme !... vous êtes-vous fait mal ?

SAINT-LÉGER.

Non, non, je suis tombé... sur...

MACASSAR.

Sur quoi ?

SAINT-LÉGER.

Sur le turf.

SUAVITA.

Le ?...

SAINT-LÉGER.

Turf.

SUAVITA.

Je ne savais pas que ça se nommait comme ça.

MACASSAR, à Saint-Léger.

Vous prendrez votre revanche l’année prochaine...

SAINT-LÉGER.

Du tout, je ne veux plus courir.

MACASSAR.

Vous ne voulez plus courir ? vous ne savez pas ce que vous refusez.

Vaudeville final.

Air : Les Gueuz.

MACASSAR.

Courir, (Bis.)
Voilà le plaisir ;
Chacun veut courir
Vers l’avenir.

TOUS.

Courir, (Bis.)
Voilà, etc.

UN JOCKEY.

De ces beautés si connues,
On ne peut s’éloigner trop...
Les femmes les plus courues
Ne sont pas celles qu’il faut
Courir.
(Bis.)
Gare au repentir !
Il faut, pour choisir,
Bien réfléchir.

TOUS.

Courir. (Bis.)
Gare, etc.

THÉOBALD.

À revenir chez leurs dames
Les maris sont toujours longs ;
Mais quand ils quittent leurs femmes,
Ah ! comme nous les voyons
Courir,
(Bis.)
Et sans ressentir
Le moindre désir
De revenir.

CHŒUR.

Courir, (Bis.)
Et sans, etc.

JOHN.

Les ch’mins d’fer font d’bonn’s affaires.
Quelle foule !... À moins pourtant
Que ce n’soit les actionnaires
Qu’on voie après leur argent
Courir,
(Bis.)
Le voir toujours fuir ;
Pourront-ils finir
Par le tenir ?

CHŒUR.

Courir. (Bis.)
Le voir, etc.

GRAIN-D’OR.

À cheval, me tenant ferme,
Lorette, je cours au bois ;
Ce n’est jamais que mon terme
Qu’avec désespoir je vois
Courir.
(Bis.)
Ah ! quel déplaisir ;
Pour m’en affranchir,
Je f’rai bâtir.

CHŒUR.

Courir. (Bis.)

Ah ! etc.

MACASSAR.

Je puis dev’nir gentilhomme,
Mon raisonn’
ment est subtil ;
D’abord, je crois que j’suis homme

Parlé.

Et je me suis laissé dire par les femmes

Que j’étais assez gentil.
Je veux courir
Après le plaisir,
Et j’pourrai finir
Par m’anoblir.

CHŒUR.

Courir
Après,
etc.

SAINT-LÉGER.

Contre une embûche traîtresse
Mes efforts sont impuissants,
Mes créanciers, ma maîtresse
Peuvent bien m’attraper sans
Courir,
(Bis.)
Avant de grossir
J’étais sans mentir
Un vrai zéphyr.

CHŒUR.

Courir
Avant,
etc.

SUAVITA.

Ma vertu sera, je pense,
Célèbre au quartier d’Antin ;
Mais, après mon innocence,
J’ai vu plus d’un galopin
Courir,
(Bis.)
Mais, m’laisser fléchir,
M’laisser attendrir,
Plutôt m’périr.
Mais,
etc.

TOUS.

Courir, etc.

BOXE-PILE.

D’un chester je fis emplette,
Le lendemain à vu’ d’œil
Il avait changé d’assiette,
Et je le voyais tout seul
Courir,
(Bis.)
À faire frémir,
J’n’ai pu parvenir
À le r’tenir.

CHŒUR.

Courir, (Bis.)
À faire, etc.

LAURE, au public.

Messieurs, malgré sa faiblesse
Et ses excentricités,
Puisse longtemps, notre pièce,
Vous faire, aux Variétés,
Courir.
(Bis.)
C’est notre désir,
À vous le plaisir
De l’applaudir.

TOUS.

Courir. (Bis.)
C’est, etc.

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