Prologue et divertissements nouveaux pour Circé (DANCOURT)

Tragédie en machines en un acte.

Représentée pour la première fois, le 6 août 1705.

 

Personnages du Prologue

 

MARS

LA FORTUNE

LA GLOIRE

LA RENOMMÉE

TROUPES de Peuples différents

 

Le Théâtre représente un Temple élevé par la Vertu à la gloire du Roi : l’ordre est Ionique, les Colonnes sont de marbre blanc, les bases, les chapiteaux, les ornements des frises et des corniches sont d’or, aussi bien que les bas reliefs dont sont enrichis des piédestaux ; entre les Colonnes sont plusieurs Statues de même métal, au milieu desquelles est celle du Roi, ayant à ses côtés la Victoire et la Gloire. Mars descend dans ce Temple du plus haut des nues, au bruit des Timbales et des Trompettes ; son Char est orné de tout ce qui convient au Dieu de la Guerre, il trouve la Fortune arrivée dans le Temple avant lui. Ils commencent ensemble le Prologue.

 

 

 

AU ROI

 

Sage Roi, que forma la main du Tout-puissant

Pour être des Rois le modèle,

Tu te vis Roi presque en naissant,

Et dans le plus long cours d’un Règne florissant

Que bénit ton peuple fidèle,

Ta gloire ira toujours croissant.

Ainsi l’a résolu la Sagesse éternelle,

Afin qu’aux Souverains tu puisses seul marquer

Les vertus qu’en tout âge il leur faut pratiquer.

Dans le cœur des Maîtres du monde,

Dieu met de ces vertus la semence féconde,

Il les en remplit tous : mais ce précieux bien

Ne germe pas en tous, comme il fit dans le tien.

C’est Toi qu’il faut que chacun d’eux contemple :

Que chacun d’eux cherche à te ressembler.

Pour suivre en tout un si parfait exemple,

Que de vertus il faudra rassembler !

De tes bontés, de ta sagesse,

Aux plus lointaines Régions,

Que le bruit s’étende sans cesse,

Pour le bonheur des Nations,

Chez les Peuples les plus sauvages,

Le récit de tes actions,

Rend leurs Princes prudents et sages.

Par toi de l’Éternel ils connaissent le nom,

Et révèrent en toi, charmés de ton renom,

Le plus parfait de ses ouvrages.

Pour moi qu’au rang de tes moindres Sujets,

Les ordres du Ciel ont fait naître,

J’adore ses sages Décrets,

Et me tiens plus heureux, que d’être

Un de ces Princes aveuglés,

Que contre toi l’envie a rassemblés.

Ils noircissent leurs noms d’une honte éternelle

En faisant contre toi des efforts superflus :

Et je m’assure une gloire immortelle,

Quand je rends dans mes vers hommage à tes vertus.

Dans ce noble projet si mon Maître m’avoue,

Que de hauts faits, ô ma Muse, à chanter !

Ils n’ont pas besoin qu’on les loue,

Tu n’auras qu’à les réciter.

Quand tu peindras de sa jeunesse

Les moins remarquables moments,

On trouvera dans ses amusements

Des présages de sa sagesse.

Puis, quand formé par de savantes mains,

Il prend les Rênes de l’Empire,

Sans rien exagérer, Muse, tu n’as qu’à dire

Comment dès lors le plus grand des humains,

Avec quelle noblesse on le vit se conduire,

Quand lui-même il dictait ses ordres souverains

À ses Ministres assez vains

Pour présumer encor qu’ils avoient à l’instruire.

Peins-les saisis d’étonnement,

Et déjà pénétrés des hautes destinées

De ce jeune Héros, sur qui dans un moment

Le Ciel versait abondamment

Des lumières, chez eux le fruit de tant d’années ;

Pleins de respect et de ravissement,

Ils se payaient avidement

Des leçons qu’ils avoient données.

Aussi bientôt de l’Univers

Sur un règne naissant sous ces heureux auspices

Déjà tous les yeux sont ouverts,

Et ces favorables prémices

Font attendre en tous lieux mille succès divers.

Muse, il est temps, peins-nous ce Prince redoutable,

Vengeurs de ses droits usurpés,

Quoique vainqueur, Juge équitable,

Rendant aux ennemis de ses armes frappés,

Une paix à jamais durable,

Si le Batave ingrat n’avait pas mérité

De ressentir le poids de son bras irrité.

Sa bonté toutefois suspendit sa colère ;

Par l’exemple du Ciel instruit à pardonner,

Il craint de se venger, il consulte, il diffère,

Et se plaît même à leur donner

Tous les moyens de détourner

Les châtiments qu’il est forcé de faire,

Il cède enfin à la nécessité

De punir leur témérité.

Il part, chez eux tout fuit, tout s’épouvante,

Tout cède à ses efforts ; leur orgueil se confond,

Le châtiment est aussi prompt

Que la justice parut lente :

Mais content de les voir soumis,

Il résiste au plaisir de pouvoir vaincre encore,

Et sa clémence qu’on implore

Les lui fait recevoir au rang de ses amis.

Il triomphe ainsi de lui-même,

Et vient au sein de ses États,

Remplir avec un soin extrême

Les plus parfaits devoirs des Potentats.

Chéris de ses Sujets, qui sentent qu’il les aime,

Il leur choisit de dignes Magistrats,

Élève la vertu, protège l’innocence,

Punit le crime avec sévérité,

Des Princes qu’on opprime entreprend la défense,

Des lois maintient l’autorité.

Aimé, craint en tous lieux, en tous lieux respecté,

Dans une sainte confiance

Il goûte avec tranquillité,

Les biens que Dieu par sa bonté

Sur ses Peuples heureux répand en abondance,

Et tâche par sa piété

D’en marquer sa reconnaissance.

Un monstre, l’ennemi des saintes vérités,

Que tant de Rois en vain tâchèrent de réduire,

Exhalait un venin, dont souvent infectés

Des Grands même de son empire

Contre Dieu s’étaient révoltés ;

Il entreprend de le détruire,

Il l’attaque, il l’abat à coups précipités,

Et par les mains de Dieu ces coups semblent portés :

Il est vainqueur, le monstre expire.

Muse, arrête, et laisse en ce lieu

Chanter, même aux Dieux de la fable,

Un Roi par ses vertus plus qu’eux recommandable ;

Et selon le cœur du vrai Dieu.

 

 

PROLOGUE DE CIRCÉ

 

 

Scène première

 

MARS, LA FORTUNE

 

MARS.

Quoi la Fortune dans ces lieux ?

En vous voyant ici ma surprise est extrême,

Dans un Temple à l’honneur du Favori des Dieux,

Élevé par la vertu même,

Avec elle aujourd’hui d’accord,

À ce Héros venez-vous rendre hommage ?

Ou tenter quelque vain effort

Pour détruire un si bel ouvrage ?

LA FORTUNE.

J’en ai jeté les fondements,

Et le Dieu Mars pourrait en rendre témoignage

MARS.

Vous n’avez pas seule tout l’avantage

De ces heureux commencements.

LA FORTUNE.

De ce Héros les premières années

Ont eu besoin de mes attachements ;

C’est moi qui préparai ces belles destinées,

Qui de toute sa vie ont marqué les moments

La Victoire, la Gloire à son Char enchaînées,

Ont été les témoins de mes empressements,

Et pour prix de mes soins, pour tout fruit de mon zèles

J’entends publier même à la Troupe immortelle,

Que cet éclat pompeux dont il est revêtu,

Il ne le doit qu’à la Vertu.

MARS.

Ne tentez pas d’empêcher de le croire,

Vous y feriez des efforts superflus :

Les hommes et les Dieux pour ce Roi plein de gloire ;

Sont également prévenus,

Et l’avenir un jour le doit être encore plus.

Pour tout autre mortel les Destins immuables,

Sont pour lui seul sujets aux changements.

Les plus tristes événements

De vos coups les plus redoutables,

Par les sages arrangements

De ses vertus incomparables,

Changent de face en peu de temps,

Et par des retours éclatants,

Servent à sa grandeur, et lui sont favorables.

LA FORTUNE.

Oui, de ses envieux à lui nuire impuissants,

Dont depuis si longtemps une foule importune

Sur mes Autels fait fumer tant d’encens,

J’ai voulu seconder les efforts menaçants ;

De mille fois, je les favorise une :

Mais contre ce Héros que leur sert mon appui !

Quand ils ont pour eux la Fortune,

Tous les autres Dieux sont pour lui.

MARS.

À le protéger tous, Jupiter nous engage,

De ce Dieu tout puissant il est ici l’image.

Jupiter est maître des Cieux,

Et pour rendre LOUIS le Maître de la terre,

Jupiter en ses mains contre ses envieux

Remettra le même tonnerre

Qui des Titans audacieux,

Termina la sanglante guerre,

Et Mars suivra par tout ce Héros glorieux

LA FORTUNE.

Est-ce donc le Dieu de la Thrace

Qui parle ainsi du plus grand des Mortels,

Et qui peut-être un jour, occupera sa place ?

Voyez ces superbes Autels,

Où la foule a déjà l’audace

De venir rendre à ses vertus

Les hommages qui vous sont dus.

MARS.

C’est moi qui prétends qu’on le fasse.

Au rang des Dieux ce Héros peut monter,

Aux honneurs immortels il a droit de prétendre :

Mais content de les mériter,

Il n’a point pour objet de se les faire rendre.

Enfin de ces honneurs je ne suis point jaloux,

Et du faîte des Cieux nous voyons sans courroux,

Que les plus grands d’entre les hommes,

Dignes d’être ce que nous sommes,

Partagent les Autels et l’encens avec nous.

LA FORTUNE.

La complaisance est grande.

MARS.

Et n’est pas sans exemples,

César, Auguste ont eu des Temples.

LA FORTUNE.

Il est vrai : mais jamais monuments si pompeux,

Jamais Temples si beaux élevés à leur gloire,

De leurs faits les plus glorieux

À leurs neveux n’ont transmis la mémoire.

MARS.

Ce Héros est au-dessus d’eux.

De ses hauts faits, qui dans l’Histoire

Paraîtront un jour fabuleux,

Puisqu’en les voyant même on a peine à les croire,

Il faut que la postérité

Contre le doute rassurée,

Dans ce beau moment d’éternelle durée,

Sur le marbre et l’airain lise la vérité.

D’aucun terme flatteur elle n’est altérée,

Voyez, examinez.

LA FORTUNE.

Mon nom n’est point ici,

Je vois briller partout celui de la Sagesse.

MARS.

Tâchez de mériter, Déesse,

Que votre nom y soit aussi.

Dans tous ces ornements que vous voyez paraître,

Il est encore des places à remplir.

Prenez soin de les embellir

Des succès que vous ferez naître :

Mais à la grandeur de LOUIS,

Ainsi que moi la Gloire s’intéresse,

Et tous les yeux sont éblouis

De l’éclat qu’en ces lieux elle répand sans cesse,

Elle vient, je la vois.

 

 

Scène II

 

MARS, LA FORTUNE, LA GLOIRE

 

LA GLOIRE.

Pourquoi, Dieu des Combats,.

De la Fortune excitez-vous le zèle

En faveur d’un Héros qui n’a pas besoin d’elle,

Puisque la Gloire et Mars accompagnent ses pas ?

Que vagabonde elle aille où le hasard l’appelle,

Que contre la Sagesse elle ose encore lutter,

Mars, la Sagesse et moi, nous triompherons d’elle.

LA FORTUNE.

À triompher de moi vous aurez peu d’honneur.

Oui, je vous livre une victoire aisée,

Et vous me voyez disposée

À suivre les conseils du Dieu de la Valeur.

MARS.

Suivez-les donc sans inconstance,

N’exercez plus votre faible puissance

À vouloir pour un temps suspendre le bonheur

D’un Héros que le Ciel sur les traces d’Alcide

Veut élever d’un vol rapide

Au plus haut point de la grandeur

Au cours de ses destins vainement on s’oppose,

Tôt ou tard ils seront remplis ;

Et le Ciel protecteur du Monarque des Lis,

De l’Empire du monde en sa faveur dispose.

Quand vous osez flatter ses ennemis,

De vos bienfaits que faut-il qu’ils espèrent ?

C’est leur bonheur, c’est la paix qu’ils différent,

En différant d’être soumis.

Qu’à nos désirs votre zèle réponde,

Que ceux de qui l’espoir sur vos faveurs se fonde ;

De leurs projets sentent la vanité,

Et qu’aux pieds de LOUIS leur orgueil se confonde.

Son Trône des temps respecté,

Ne peut être sujet à l’instabilité.

Par une faveur sans seconde,

Dans leurs conseils les Dieux l’ont arrêté.

Au milieu d’une paix profonde,

Son heureuse postérité

Dominera la terre et l’onde ;

Et sa tige en Héros féconde,

Comme un bel arbre aux bords d’un clair ruisseau planté,

De ses rameaux un jour couvrira tout le monde.

Quel bruit se répand dans les airs ?

LA GLOIRE.

C’est la Renommée.

LA FORTUNE.

Oui, c’est elle.

 

 

Scène III

 

MARS, LA FORTUNE, LA GLOIRE, LA RENOMMÉE

 

LA RENOMMÉE.

Je viens des bouts de l’Univers,

Publier de LOUIS la grandeur immortelle,

Et rendre compte à cent peuples divers

Du haut degré de gloire où la vertu l’appelle.

Ce temple à ce Héros par ses soins élevé,

À peine est encore achevé,

Et des plus reculés rivages,

Déjà les Habitants sur ces bords fortunés,

Par l’ardeur de le voir, de lui plaire entraînés,

Viennent lui rendre leurs hommages.

De tant d’éclats leurs yeux sont étonnés,

Et leurs cœurs enivrés de l’heureuse assurance,

Que les Dieux les ont destinés

À vivre un jour sous sa puissance.

LA GLOIRE.

Venez vous unir avec eux,

Tranquilles Habitants des rives de la Seine.

Par les plus doux concerts, les plus aimables jeux,

Les spectacles les plus pompeux

Qu’on ait jamais étalés sur la Scène,

Que le reste du monde apprenne,

Combien dans ces climats les peuples sont heureux.

 

 

Divertissement du Prologue

 

Les Nations les plus éloignées viennent au Temple que la Vertu a fait élever à la gloire du Roi.

MONSIEUR SALLÉ, Indien, chante.

Peu, venir admirer le plus grand Roi du monde,
Nous avons traversé les mers.
Contre nous vainement les fiers tyrans des airs,
Ont ému le courroux de l’onde ;
Thétis a nommé ce Héros,
Son nom seul a calmé les flots.

MARS.

Unissez-vous avec Mars et la Gloire,
Chantez ce Héros glorieux,
La Vertu lui consacre un Temple dans ces lieux
Pour éterniser sa mémoire.

DUO.

Unissons-nous avec Mars et la Gloire,
Chantons ce Héros glorieux.
Jamais règne plus heureux
N’aura part dans l’histoire.

MARS.

Il faut de ses exploits fameux
Être les témoins pour les croire.

DUO.

Il faut de ses exploits fameux, etc.
Chantons, unissons-nous, etc.

MARS.

Ici toujours dans l’abondance,
Parmi les jeux et les plaisirs,
Rendez grâce au Héros dont l’auguste puissance
Vous assure d’heureux loisirs.

MADEMOISELLE SALLÉ, Indienne.

Pour cet Empire
Tous les astres aiment à luire.
Quel air on respire :
Dans cette charmante Cour !
Le Dieu brillant qui nous éclaire,
Dans le cours de sa carrière,
Répand également le jour :
Mais de sa plus vive lumière,
Il brille dans ce beau séjour.

DUO.

Chantons ce Héros glorieux.
Jamais, etc.

 

 

DIVERTISSEMENTS DE CIRCÉ

 

 

Décoration du premier Acte

 

Elle représente une Plaine, où diverses ruines marquent les restes de quelques Palais démolis. Au bout de cette Plaine paraît une Montagne fort haute, elle est fertile dans le bas en Plantes et en Fleurs bâtardes ; c’est en ce lieu que Circé vient ordinairement chercher les Herbes dont les sucs servent à ses enchantements. Pendant qu’elle est occupée à les choisir, trois de ses Nymphes sont surprises par des Satyres, qui leur chantent les paroles suivantes.

PREMIER SATYRE.

Vous êtes faite pour l’amour,
Et je suis fait pour la bouteille.
Je vous aimerai tout un jour,
Et nous passerons l’autre ensemble sous la treille.
Avec un ivrogne parfait
On est sûre du secret,
Et ses chaînes sont éternelles.
Le vin le rend et fidèle et discret,
Il oublie en buvant les plaisirs qu’on lui fait,
Et les faveurs du même objet,
Lui paraissent toujours nouvelles.

DEUXIÈME SATYRE.

De la Bergère
La plus fière,
L’Amour est toujours vainqueur.
Quand un cœur
Longtemps diffère
Le bonheur
D’un tendre Amant qui sait plaire,
C’est la peur
Qu’il n’en fasse pas mystère.
Pour nous qui savons nous taire,
D’ordinaire
L’on n’a guère
De rigueur.
De l’Amour en assurance,
Avec nous on suit les lois,
Nous sommes les dieux des Bois,
Et les Bois sont le séjour du silence.

D’autres Satyres surviennent encore ; Circé arrive, et pour les punir de leur insolence, elle les fait tous enlever dans les airs de tous les côtés du Théâtre, ce qui forme un spectacle surprenant, et à la vue et à l’imagination même.

 

 

Décoration du second Acte

 

Le Théâtre représente un des plus beaux endroits des Jardins de Circé ; c’est une Allée de palissades, ornée de Statues de Faunes de marbre blanc : elles portent sur leurs épaules des Consoles qui servent d’entablement, et sur chacune des Consoles il y a des vases de bronze doré, dans lesquels sont des Orangers. Cette Allée se termine à une Terrasse, aux deux côtés de laquelle sont des escaliers de marbre blanc qui conduisent à un bâtiment léger, aussi de marbre blanc, d’ordre Corinthien. La Terrasse est soutenue par des Statues de Faunes, comme celles qui sont aux deux côtés de l’Allée, et du haut tombent plusieurs nappes, dans des bassins enrichis de Statues de bronze doré. C’est là que Circé attend Glaucus, qu’elle ne connaît que sous le nom du Prince de Thrace, pour tâcher de s’en faire aimer. À peine est-il arrivé, que pour augmenter la beauté de ce magnifique Jardin, elle y fait naître des Berceaux, soutenus par dix figures de bronze. Glaucus ne répond pas à la tendresse de Circé comme elle le souhaite, et pour avoir le temps de modérer et de cacher son dépit, elle fait chanter le Dialogue suivant.

 

 

Scène première

 

DAPHNÉ, seule

 

Lieux charmants, arbres toujours verts,
Jardins respectés des hivers,
Qu’en ces rochers inaccessibles,
L’art de Circé fit naître au milieu des déserts,
À mes peines soyez sensibles,
Et dans vos retraites paisibles,
Cachez la honte de mes fers.

Coridon paraît sans être vu de Daphné.

Pour un Amant qu’une autre engage,
Un Dieu cruel me fait brûler,
Est-il un plus sensible outrage ?
À mes malheurs rien ne peut s’égaler.
Ai-je si peu de charmes en partage,
Qu’ils ne puissent le dégager ?
Qu’il m’aime un jour, dût-il après changer,
Il n’est qu’ingrat, je le voudrais volage,
Il vient ; cachons-lui mon tourment,
Et que du moins il n’ait pas l’avantage,
De voir tout mon amour dans mon ressentiment.

 

 

Scène II

 

DAPHNÉ, CORIDON

 

DAPHNÉ.

Seul en ces lieux, quel dessein vous attire.

CORIDON.

Je vous y trouve seule aussi,
Mêmes raisons peuvent nous y conduire.

DAPHNÉ.

Je me plais à rêver ici.

CORIDON.

La solitude
Est le remède le meilleur
De l’amoureuse inquiétude.
Quand l’amour règne dans un cœur,
On se fait de rêver une douce habitude,
Et l’on cherche avec soin pour cacher sa langueur,
La solitude.

DAPHNÉ.

Aux cœurs vainement enflammés,
La solitude a de quoi plaire :
Mais les Amants ne l’aiment guère,
Sitôt qu’ils sont sûrs d’être aimés.

CORIDON.

Qu’elle me sera toujours chère ?

DAPHNÉ.

N’êtes-vous pas content de l’objet de vos veux ?
Cloris vous fait un sort heureux.

CORIDON.

Vous seule avez droit de le faire.

DAPHNÉ.

Moi ?

CORIDON.

Vous. N’affectez point une vaine colère,
J’ai lu dans vos soupçons jaloux,
Le destin qu’il faut que j’espère.
J’abandonne mon cœur aux transports les plus doux :
Vous me croyez ingrat, et je suis téméraire.
Vous m’aimez, belle Nymphe, et je brûle pour vous

DAPHNÉ.

À vos regards, Cloris a paru belle,
Et vous avez été sensible à ses attraits.

CORIDON.

D’un cœur à l’amour rebelle,
Vous seule avez troublé la paix,
Je sens pour vous ses premiers traits,
Vous me vouliez infidèle,
Je ne le serai jamais.

ENSEMBLE.

Brûlons tous deux d’une ardeur éternelle.
Quelle autre pourrait m’enflammer ?
Quand vous cesseriez de m’aimer,
Je ne cesserais point de vous être fidèle.

Glaucus continue de ne pas répondre à l’amour de Circé : elle fait paraître devant lui plusieurs de ses amans, que pour de moindres offenses elle a transformés en animaux ; elle leur commande de la venger de Glaucus, qui d’un seul mot les fait disparaître. Les dix Statues de bronze qui soutiennent les berceaux que Circé vient de faire naître, s’animent à sa voix, et semblent se disposer à prendre pour elle vengeance du mépris de Glaucus. Il leur commande de se perdre dans les airs, et toutes sont enlevées et disparaissent dans le moment. C’est, de l’aveu de tout le monde, une des plus belles Machines qui ait jamais paru sur aucun Théâtre.

 

 

Décoration du troisième Acte

 

C’est un magnifique Palais, d’ordre Corinthien, dont les Colonnes sont torses, entourées de lauriers d’or, et les piédestaux de marbre rouge composé avec des bas reliefs de bronze doré, représentants des jeux d’enfants ; il se termine par trois grands Portiques, avec de semblables Colonnes. La Corniche et l’Architrave sont ornés de Modillons d’or ; autour règne une Balustrade, qui sert d’Attique, et qui porte d’espace en espace des vases dorés remplis de fleurs. Glaucus surprend Sylla dans ce Palais avec Circé, qui pour dérober sa Rivale aux yeux de son Amant, rassemble en l’air plusieurs nuages qui les enveloppent l’une et l’autre, et qui se dissipant ensuite, laissent Glaucus dans le désespoir. Il implore le secours de Vénus, et pendant qu’elle descend du Ciel, on chante les paroles suivantes.

Al bel lume
Del tuo Nume,
Vagha Dea, il Ciel più bel si fa,
E nel cuore
Il Dio d’amore
Volando va.

Vaghe piante,
Herbette liete,
Deh godete ;
Ogni fronda
Sia gioconda.

Al bel lume, etc.

Vénus ordonne à plusieurs Amours de sa suite, de chercher avec soin Sylla dans tous les lieux des environs. Ils se détachent de la Machine, et vont les uns d’un côté, les autres d’un autre, exécuter les ordres de la Déesse.

 

 

Décoration du quatrième Acte

 

Il se passe dans le lieu le plus sombre d’un Bois, que des arbres très grands, et un ombrage très épais rendent presqu’impénétrable aux rayons du Soleil. Circé y amène Sylla comme dans un asile assuré contre les persécutions de Glaucus ; et pour lui rendre cette retraite plus agréable, plusieurs Nymphes et Pâtres viennent y célébrer les noces d’une Bergère des environs.

AMINTE.

Quand à l’hymen on s’engage,
Faut-il rompre avec l’amour ?

DAMON.

C’est la loi de ce bocage.

AMINTE.

Quittons-en donc le séjour.
Quand, etc.

 

Je porte un cœur trop volage
Pour n’y pas manquer un jour.
Quand, etc.

DAMON.

Cette loi n’est point d’usage
Dans tous les lieux d’alentour.
Quand, etc.

AMINTE.

La plus belle de nos compagnes
À l’hymen vient de s’engager,
Je ne crains plus que mon berger
Trouve d’objet dans ces campagnes
Qui puisse le faire changer.
La plus, etc.

Pour elle cette fête est belle,
Elle l’est encor plus pour nous ;
Dans l’espoir d’être son époux,
Aucun Berger n’était fidèle,
À présent ils le seront tous.
Pour, etc.

DAMON.

De l’hymen, jeunes bergères,
Ne craignez point l’engagement,
Ses lois sévères
Ne le sont guères
Quand l’époux est toujours Amant,

Deuxième Couplet.

Sous d’autres lois s’il se range,
Il est aisé d’en faire autant.
C’est par le change
Que l’on se venge
D’un époux qui n’est pas constance

AMINTE.

Dans ces doux asiles
Nous vivons tranquilles,
Avec les amours
Nous passons nos jours :
Ni soins, ni tristesse,
Ni trop de sagesse
N’en troublent le cours.

DAMON.

La paix, l’innocence,
Et s’indépendance
Font notre trésor.
Nous vivons encor
Parmi l’abondance
Sans magnificence,
Comme au siècle d’or.

On vient avertir Circé, que par l’ordre de Vénus, les Amours ont découvert à Glaucus la retraite de Sylla. Circé la fait enlever par plusieurs Génies ; et quand ils sont au milieu de l’air, quatre Amours les surprennent, les combattent, les obligent à prendre la fuite, et ils enlèvent Sylla dans le Palais de Vénus. Circé surprise et irritée de cet événement, a recours aux Enfers. Les Furies paraissent suivies des plus terribles Divinités ; et après avoir répondu aux divers mouvements du cœur de Circé par des actions différentes, et les lui font enfin connaître que le Ciel les met dans l’impuissance de la venger.

 

 

Décoration du cinquième Acte

 

Le lieu solitaire, qui a paru dans l’Acte précédent, fait place à un très beau Salon du Palais de Circé. Ce Salon est orné de Colonnes de Lapis et de Statues d’or ; il est ouvert par un seul Portique, qui laisse découvrir dans l’enfoncement un fort beau morceau de jardinage d’un côté, et le rivage de la Mer de l’autre ; et lorsque Circé quitte Glaucus pour ne le plus revoir, le Salon disparaît, et Glaucus se trouve sur les bords de la Mer, où Neptune paraît avec plusieurs Tritons. Il promet à Glaucus, que si Jupiter y consent, il recevra Sylla au rang des Néréides. Jupiter, du plus haut des nues, donne son aveu au dessein de Neptune, et les Divinités de la Mer en témoignent leur joie par des danses et par les chansons qui suivent.

UNE NÉRÉÏDE.

Que Glaucus est heureux !
D’une Néréide nouvelle
Autant aimé qu’amoureux,
Rien n’éteindra jamais une flamme si belle :
Les Dieux ne l’ont fait immortelle,
Que pour éterniser leurs feux.

UN TRITON.

Jeunes beautés, goutez bien les douceurs
D’un calme heureux qui succède aux orages.
Régnez toujours sur nos rivages,
Vous y verrez moins de naufrages
Que vous n’embraserez de cœurs.

LA NÉRÉÏDE.

Dans nos grottes profondes
L’Amour brûle nos cœurs,
Et la froideur des ondes
N’éteint point ses ardeurs.
L’Amour ne quitte guère
Cet aimable séjour,
Il fut le berceau de sa mère,
Il se plaît d’y tenir sa cour.

LE TRITON.

Sur la plaine liquide,
Craint-on de s’engager ?
Pour les cœurs qu’Amour guide,
Il n’est point de danger.
Quand on vogue à Cythère,
Au printemps de ses jours,
Le voyage est facile à faire,
Et jamais il n’est de long cours.

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