Prologue de l’Ambitieux (DESTOUCHES)
Comédie en vers.
Personnages
LA COMTESSE
LA PRÉSIDENTE
LE MARQUIS, frère de la Comtesse
DORIMONT, ami du Marquis
MONSIEUR MÉLAMPLE, auteur tragique
MADEMOISELLE QUINAULT
UN LAQUAIS
La scène est à Paris.
HUITIÈME LETTRE À MADAME LA COMTESSE DE C**
Vous savez, Madame, que les représentations de mon AMBITIEUX ont été suspendues par l’indisposition d’un des principaux acteurs. Quoiqu’il ait eu un succès assez heureux pour me contenter, j’en présume peu pour l’avenir. Ma pièce est arrêtée ; et tout succès interrompu est presque toujours un succès manqué. J’avais fait un prologue pour cette pièce : et les acteurs qui devaient y jouer se disposaient à l’apprendre, quand il fallut, par des raisons que je vous dirai, qu’ils se hâtassent de représenter ma comédie, après tant de délais sur délais, qui l’ont retardée pendant plus de deux ans. J’ai quelque regret que ce prologue n’ait pu être exécuté : car nous en augurions tous assez bien. Mais je ne veux pas le perdre tout-à-fait, et je vais vous le copier ici. Les personnages sont :
LA COMTESSE
LA PRÉSIDENTE
LE MARQUIS, frère de la Comtesse
DORIMONT, ami du Marquis
MONSIEUR MÉLAMPLE, auteur tragique
MADEMOISELLE QUINAULT
Imaginez-vous, Madame, que c’est vous qui êtes la Comtesse ; que madame de***, votre amie intime, est la Présidente ; et que monsieur votre frère est le Marquis : car je vous ai peints tous trois au naturel. À l’égard du Poète, c’est un personnage qui n’existe que dans mon imagination, et vous en chercheriez très inutilement l’original. Pour ce qui concerne Dorimont, c’est votre sage cousin monsieur des B***, qu’il vous sera fort aisé de reconnaître à son langage, et à la tendre amitié dont il m’honore depuis longtemps.
Scène première
LA COMTESSE, LA PRÉSIDENTE
LA COMTESSE.
C’est vous, ma chère Présidente ?
Vous venez à propos, car je suis seule ici,
Et je m’ennuyais fort.
LA PRÉSIDENTE.
Je m’ennuyais aussi.
Quand je suis loin de vous je ne suis point contente.
LA COMTESSE.
Vous êtes toujours obligeante.
LA PRÉSIDENTE.
Oh çà ! que ferons-nous ce soir ?
Pour prendre votre avis sur cette grande affaire,
Je suis venue exprès vous voir.
LA COMTESSE.
Elle est grande en effet. Quand on n’a rien à faire,
Le temps est un pesant fardeau.
LA PRÉSIDENTE.
Je l’éprouve. Il fait assez beau :
Si nous faisions tantôt un tour de promenade ?
LA COMTESSE.
À Paris, selon moi, c’est un plaisir bien fade.
Au milieu d’un public peut-on se promener ?
À chaque pas qu’on fait on trouve quelque obstacle ;
Et c’est se donner en spectacle,
Pour donner aux oisifs matière à raisonner.
Qu’entend-on à vos Tuileries ?
Souvent des propos peu décents,
De mauvaises plaisanteries,
Ou bien des nouvelles du temps ;
Le tout assaisonné d’une horrible poussière,
D’une cohue énorme, et d’un bruit, d’un fracas,
Qui vous étourdit de manière
Que la tête vous tourne, et qu’on ne s’entend pas.
Pour moi, je tiens qu’à la campagne
La promenade est un plaisir :
J’y respire un air pur ; un gracieux zéphyr
Partout où je vais m’accompagne.
Je marche, je m’arrête au gré de mon désir :
À rêver, à parler, lui seul me détermine ;
L’aimable liberté préside à mon loisir.
J’y goûte un bonheur si tranquille,
Que les jours y sont des moments.
Lasse de ces plaisirs je reviens à la ville ;
Mais c’est pour y chercher d’autres amusements.
LA PRÉSIDENTE.
Il faut vous en procurer d’autres.
Parlez, et sur vos goûts nous réglerons les nôtres.
Trois sortes de plaisirs peuvent vous être offerts :
Les visites, le jeu, les spectacles.
LA COMTESSE.
Je perds
Tout autant de fois que je joue.
Le jeu m’amuse, je l’avoue ;
J’en ferais volontiers mon plaisir favori :
Mais j’en suis un peu dégoûtée ;
C’est un ingrat que j’ai chéri,
Et qui m’a toujours maltraitée.
Pour les visites, à mon sens,
C’est le plus ennuyeux de tous les passe-temps.
Aller courir de porte en porte
Se faire écrire chez les gens
Pour qui nous ressentons la haine la plus forte,
Ou qui nous sont indifférents,
Ou que nous méprisons ; car de ces trois espèces
Sont, à nos amis près, ceux que nous visitons.
S’ils veulent être vus, nous nous complimentons ;
Ensuite, nous mettons en pièces
Tous les gens que nous connaissons.
Les fausses amitiés, les fines médisances,
Sont la matière des discours.
C’est ainsi qu’à Paris on passe tous ses jours,
En visitant ses connaissances ;
Car la véritable amitié
Des sociétés est bannie.
Visites d’intérêt, ou de cérémonie,
Voilà par quels motifs on est associé.
LA PRÉSIDENTE, en riant.
Ce discours frise un peu la prude.
Je vous trouve aujourd’hui d’assez mauvaise humeur ;
Et je vois bien que l’habitude
De vivre dans la solitude
Contre le genre humain vous donne de l’aigreur.
LA COMTESSE.
Comme vous vivez dans le monde,
Vous êtes encor dans l’erreur.
L’éclat et le tumulte empêchent qu’on ne sonde
Les replis et le fond du cœur.
Pour moi, de temps en temps je deviens solitaire ;
Par les réflexions mon esprit épuré,
Les trouve un remède assuré
Contre le préjugé vulgaire.
Cent défauts que jamais je n’avais aperçus,
En foule frappent mon idée :
Et moins par le fracas je me trouve obsédée,
Plus ma raison prend le dessus.
J’étais folle autrefois autant qu’on puisse l’être ;
Le monde avait pour moi d’invincibles appas,
Mais je ne le connaissais pas :
On ne peut le souffrir dès qu’on sait le connaître.
LA PRÉSIDENTE.
Enfin, vous renoncez aux visites, au jeu.
La solitude en vous a bien fait des miracles !
Venons maintenant aux spectacles.
Les aimez-vous toujours ?
LA COMTESSE.
Plus que jamais. L’aveu
Vous surprend : c’est mon goût.
LA PRÉSIDENTE.
Le mien doit s’y soumettre.
LA COMTESSE.
Eh ! comment peut-on mieux occuper son loisir ?
Non, de tous les plaisirs que l’on peut se permettre,
Il n’est point, à mon gré, de plus charmant plaisir.
LA PRÉSIDENTE.
En spectacles Paris abonde.
Je vous suivrai partout, vous n’avez qu’à choisir.
LA COMTESSE.
Le spectacle me plaît quand j’y trouve du monde.
LA PRÉSIDENTE.
Nous aurons aujourd’hui de quoi nous contenter.
Allons à la pièce nouvelle
Que les Français doivent représenter.
L’assemblée, à coup sûr, sera nombreuse et belle.
LA COMTESSE.
À ce plaisir j’allais vous inviter,
Et j’ai fait, pour nous deux, retenir une loge.
Mon frère et Dorimont nous accompagneront.
LA PRÉSIDENTE.
Leurs critiques nous troubleront.
LA COMTESSE.
De l’ouvrage nouveau tous deux m’ont fait l’éloge ;
Je réponds qu’ils applaudiront.
L’auteur est notre ami ; preuve très convaincante
Que sa pièce est bonne, excellente.
LA PRÉSIDENTE.
D’accord ; mais le public n’est pas toujours d’humeur
À croire bonnement les amis de l’auteur.
Loin d’imiter leur complaisance,
Rarement avec eux il est d’intelligence.
Le parterre surtout veut jouir de ses droits :
Tandis qu’avec ardeur les amis applaudissent
Et de la main et de la voix,
Du bruit de ses sifflets les voûtes retentissent.
LA COMTESSE.
Pour notre ami j’augure un meilleur sort ;
Peut-être en sa faveur il mettra tout d’accord.
LA PRÉSIDENTE.
Je le souhaite et je l’espère ;
Et, s’il ne tient qu’à moi... Quelqu’un vient.
LA COMTESSE.
C’est mon frère.
Scène II
LE MARQUIS, LA COMTESSE, LA PRÉSIDENTE
LE MARQUIS, entrant brusquement.
Eh bien ! ma sœur, dînerons-nous ?
LA PRÉSIDENTE.
La question me plaît.
LE MARQUIS.
Dépêchons, je vous prie.
LA COMTESSE, en souriant.
Vous débutez toujours par quelque étourderie.
Et Madame, la croyez-vous
Indigne d’une révérence ?
LE MARQUIS.
J’allais au plus pressé. Grande est la différence
Entre l’impolitesse et la distraction.
Daignez-y faire attention,
Madame, et pardonnez à mon impatience
Une faute excusable en cette occasion.
Quelquefois l’amitié (j’en fais l’expérience)
A le feu d’une passion.
Ce soir on nous donne une pièce
Pour laquelle je m’intéresse
Comme si j’en étais l’auteur.
Il se fait tard, l’heure nous presse,
Et je me sens déjà des battements de cœur.
Voyez pour notre ami jusqu’où va ma tendresse.
LA PRÉSIDENTE.
Mais si l’ouvrage est bon, pourquoi vous alarmer ?
LE MARQTTIS.
S’il est bon, dites-vous ? Je le trouve admirable,
Et d’un goût qui doit tout charmer.
Quand je vous dis cela, vous devez présumer
Que c’est un fait indubitable.
LA PRÉSIDENTE, en souriant.
Oh ! je n’en doute nullement.
Le parterre est bon juge, il est juge équitable,
Il se rendra sans doute à votre sentiment.
LE MARQUIS.
Pour l’en informer hautement,
Je m’en vais faire un bruit de diable.
Si quelqu’un est assez hardi
Pour être d’un avis contraire,
Nous aurons tous deux une affaire,
Et je ferai, morbleu, quelque coup d’étourdi.
LA PRÉSIDENTE.
Ah ! monsieur le Marquis, vous m’effrayez d’avance.
LE MARQUIS.
Dans ces occasions faut-il être endormi ?
LA PRÉSIDENTE.
Non ; mais par un prudent silence
Vous servirez mieux votre ami,
Que par tous les écarts de votre pétulance.
Croyez-moi, venez avec nous
Écouter la pièce nouvelle.
Si le public la trouve belle,
S’il applaudit, signalez-vous ;
Et, pour le seconder, déployez votre zèle.
Que s’il fronde l’ouvrage, ou ne l’applaudit pas,
Soyez-en bien fâché, mais soyez-le tout bas.
LE MARQUIS.
Je vous trouve aujourd’hui, ma belle Présidente,
Dans un accès d’humeur prudente.
Ma sœur, à force de raison,
Fera bientôt de vous une prude engourdie.
La sagesse à votre âge est une maladie,
Et je veux travailler à votre guérison.
LA COMTESSE.
Eh ! laissez-nous plutôt travailler à la vôtre.
Je vous conseille fort de ne nous point quitter.
LE MARQUIS.
Dans une loge, moi, vous voulez m’arrêter ?
Oh ! vous me prenez pour un autre.
Je vais être partout, et, d’un œil surveillant,
Relancer les frondeurs, les forcer à se taire.
On m’appelle le Sémillant,
Et je veux aujourd’hui remplir mon caractère.
LA COMTESSE.
Mon frère, en vérité...
LE MARQUIS.
Ma sœur, point de sermon ;
C’est de l’éloquence perdue.
Voici le grave Dorimont,
Il ne vous perdra point de vue.
Scène III
DORIMONT, LA COMTESSE, LA PRÉSIDENTE, LE MARQUIS
LA COMTESSE, à Dorimont.
Eh quoi ! vous venez seul ? Vous deviez prendre soin
D’amener notre auteur.
DORIMONT.
Il est déjà bien loin.
LA COMTESSE.
Il donne une pièce nouvelle,
Et n’en veut pas voir le succès ?
DORIMONT.
Non. Il est timide à l’excès :
Le parterre lui cause une frayeur mortelle.
Malgré le favorable accueil,
Et le grand nombre de suffrages
Dont on a quelquefois honoré ses ouvrages,
Il est bien éloigné d’en avoir de l’orgueil.
Son trouble, son inquiétude,
L’ont fait veiller toute la nuit ;
Et ce matin, à petit bruit,
Il a gagné sa solitude.
LE MARQUIS.
Le poltron !
DORIMONT.
Ce billet, qu’il a laissé pour moi,
Vous prouve encor mieux son effroi.
Il lit.
« Malgré la flatteuse espérance
« Que vous et nos amis m’avez fait concevoir,
« La crainte emporte la balance.
« Cher ami, bonjour et bonsoir.
« Je m’esquive, ne vous déplaise ;
« Mais dites de ma part au parterre discret,
« S’il trouve ma pièce mauvaise,
« Que je le prie au moins de garder le secret. »
LE MARQUIS, faisant un grand éclat de rire.
Il n’y manquera pas ; c’est à quoi je l’engage.
Pauvre disciple d’Apollon !
Par ma foi, le sacré vallon
Forme des gens d’un grand courage !
LA COMTESSE.
Vous le croyez poltron, et moi je le crois sage.
N’augurez jamais bien d’un auteur suffisant ;
Son intrépidité n’est pas un bon garant
De la bonté de son ouvrage.
La confiance est le partage
Et du fat et de l’ignorant.
LE MARQUIS.
Mais, à propos de suffisance,
Voici monsieur Mélample ; il vient fort à propos.
Et ce tragique auteur entre comme un héros.
Admirez toutes deux cette noble assurance.
Scène IV
MÉLAMPLE, LA COMTESSE, LA PRÉSIDENTE, LE MARQUIS, DORIMONT
LA COMTESSE, à Mélample.
Ah ! c’est donc vous, Monsieur ?
MÉLAMPLE.
J’entre ici sans façon.
Mesdames, trouverez-vous bon
Qu’à dîner avec vous aujourd’hui je m’invite ?
LA COMTESSE.
Un homme de votre mérite
Peut s’en flatter avec raison.
MÉLAMPLE, d’un ton précieux.
Vous avez de l’esprit, je vous en félicite ;
Les connaisseurs me l’avaient dit :
À venir librement, c’est ce qui m’enhardit.
Je crains les sots, je les évite,
Et cours partout après l’esprit ;
J’en suis fou, j’en suis idolâtre.
LA COMTESSE.
Vous pouviez vous adresser mieux.
MÉLAMPLE, prenant du tabac.
Madame, j’ai du goût aussi-bien que des yeux.
Au Marquis.
Et je sais... Vous voilà, mon aimable folâtre !
Vous viendrez à l’Ambitieux,
Et je vous attends au théâtre.
LE MARQUIS, prenant l’air et le ton tragique.
Au théâtre, Seigneur ? oui, oui, vous m’y verrez ;
Et j’ose me flatter que vous applaudirez.
Ah ! si je m’aperçois que vous fassiez des mines
Pour aigrir le parterre et pour le soulever,
De mon ressentiment rien ne peut vous sauver ;
Et le retour, Seigneur, vaudra mieux que matines.
MÉLAMPLE, sur le même ton.
Vos prières, Seigneur, sont un commandement.
J’applaudirai, Marquis, n’en doutez nullement.
On ne peut menacer d’un ton plus pathétique ;
Et votre voix, Seigneur, étouffe la critique.
LE MARQUIS.
Seigneur...
LA COMTESSE.
De grâce, finissez,
Messieurs ; trêve de seigneurie.
À Mélample.
Vous entendez bien qu’on vous prie
De vous contraindre, et c’est assez.
Car d’exiger votre suffrage,
Ce serait vous pousser plus loin que de raison :
Et vous ne pouvez pas applaudir un ouvrage
Qui n’est pas de votre façon.
MÉLAMPLE.
Ai-je tort ? Tous tant que vous êtes,
Malgré la mine que vous faites,
Vous pensez comme moi ; si ce n’est volontiers,
Du moins c’est malgré vous : et j’ose ainsi le croire.
LE MARQUIS.
Rayez cela de vos papiers,
Beau sire, et rabattez un peu de votre gloire.
DORIMONT.
Vous avez du mérite, on l’avoue aisément ;
Mais vous le savez trop, et c’est ce qui vous gâte :
D’ailleurs, vous travaillez un peu trop à la hâte
Pour travailler solidement.
De grâce, moins d’esprit et plus de jugement.
MÉLAMPLE.
Voilà le langage ordinaire
Des auteurs que ma gloire aigrit.
Pour moi, de votre ami je dis tout le contraire ;
Et je lui trouve d’ordinaire
Plus de jugement que d’esprit.
DORIMONT.
Vous nous dites cela du ton d’un apophthème ;
Mais vous ne lui faites point tort.
Le jugement, c’est l’esprit même ;
Convenez de ce point, et nous sommes d’accord.
Ce qu’on appelle esprit, n’en est que l’apparence.
Cet esprit prétendu n’est souvent que l’essor
D’une brillante extravagance :
C’est un feu qui voltige, et s’éclipse d’abord.
Avouez-le, monsieur Mélample,
Vos écrits en offrent l’exemple.
Sans vous embarrasser du soin de raisonner,
Que vous abandonnez à des esprits vulgaires,
Par vos écarts hardis et téméraires
Vous cherchez à nous fasciner ;
Et, vous bornant à ce qui brille,
Le solide, le vrai vous semble une vétille.
Notre ami, dites-vous, n’a que du jugement ;
Par là vous l’élevez, bien loin de le détruire.
Il cherche à plaire, assurément ;
Mais son grand objet est d’instruire :
Par quel moyen ? par le vrai seulement.
Lorsque l’esprit a propos se présente,
À la bonne heure, il est le bienvenu ;
Mais sur toute saillie hardie et séduisante
Il est modeste et retenu.
La vérité n’est pas toujours brillante ;
C’est une beauté simple, ingénue et touchante.
D’un MÉDISANT, d’un GLORIEUX,
Notre auteur a fait la peinture ;
Et maintenant il poursuit la nature
Dans le cœur d’un Ambitieux.
L’entreprise est grande et hardie,
Car son sujet est grave et sérieux ;
C’est une tragi-comédie.
LA PRÉSIDENTE.
Eh ! quel en est le plan ?
LE MARQUIS.
Personne ne peut mieux
Vous le dire que moi. Voici toute l’histoire :
Écoutez-moi bien, s’il vous plaît.
Ce plan donc... Mais, morbleu, je n’ai point de mémoire,
Et je ne sais plus ce que c’est.
LA PRÉSIDENTE.
Mais encore ?
LE MARQUIS.
Oh ! ma foi, vous êtes trop pressante.
C’est... c’est l’Ambition que l’auteur représente.
LA PRÉSIDENTE.
Mais de quelle façon traite-t-il son sujet ?
LE MARQUIS.
La pièce... pour vous mettre au fait,
Est souvent sérieuse, et quelquefois plaisante.
Vous y verrez un roi, dont je suis très content ;
Un ministre sage et prudent,
Dont la femme est très imprudente.
Vous y verrez de plus une jeune innocente...
Que l’on croit telle, au moins ; mais qui ne l’est pas tant
Que se l’imagine sa sante.
Ensuite paraîtra le favori du roi ;
(C’est notre Ambitieux) cet homme, selon moi,
Remplira fort bien votre attente :
Et, brochant sur le tout, vous verrez une infante...
Qui n’est pas sotte, en vérité,
Et qui, sous un nom emprunté,
Rend la pièce très vive et très intéressante.
LA PRÉSIDENTE.
Une infante ? À ce que je vois
La scène est en Espagne.
LE MARQUIS.
En Espagne ? oui, je crois.
Eh ! oui, vraiment, c’est en Castille.
C’est par là que la pièce brille.
Les actrices auront l’ample vertugadin,
Et messieurs les acteurs la fraise et la gonille ;
Ce qui leur donne un air (tant la mode est gentille)
Moitié grave et moitié badin.
MÉLAMPLE.
On nous ramène donc aux tragi-comédies ?
Au temps des Scudérys, des Rotrous, des Duryers,
Où, grâce au mauvais goût de ces vieux romanciers,
Tant de fadaises applaudies
Firent l’amusement de nos bons devanciers ?
DORIMONT.
Respectez, ingrat que vous êtes,
La gloire de ces vieux poètes,
Car vous les pillez volontiers.
Ils n’étaient ni sots, ni grossiers ;
S’ils vivaient ils vous feraient taire :
Et le seul reproche à leur faire,
C’est d’être venus les premiers.
Mais, sans défendre ici leur cause,
Parlons de notre auteur, et voyons son dessein.
Bien loin de suivre leur chemin,
Une route nouvelle est ce qu’il se propose.
Comme en traitant l’Ambitieux
Il traite un sujet noble, élevé, sérieux,
Il doit prendre le ton que sa matière indique ;
Mais pour n’être pas ennuyeux
Il tâche d’égayer le sublime tragique,
Non par des traits facétieux,
Suivant la manière italique
Que des acteurs bouffons ont transmise en ces lieux,
Mais par ceux d’un noble comique.
Tel est son plan en peu de mots ;
Et sa pièce est vraiment nouvelle :
Je ne garantis pas qu’elle soit sans défauts ;
Mais du moins au public elle prouve le zèle
D’un auteur dont tous les travaux,
Et les innocentes malices,
Ont pour objet de plaire en corrigeant les vices.
Scène V
LA COMTESSE, LA PRÉSIDENTE, LE MARQUIS, DORIMONT, MÉLAMPLE, UN LAQUAIS
LE LAQUAIS, à la Comtesse.
Une Dame est ici, qui demande à vous voir.
LE MARQUIS.
Une Dame, dit-il ? il faut la recevoir
Sur-le-champ, c’est à quoi j’opine.
À Mélample.
Allons, gai, notre ami, soyez vif et dispos.
LA COMTESSE, au Laquais.
Faites entrer.
Scène VI
LA COMTESSE, LA PRÉSIDENTE, LE MARQUIS, DORIMONT, MÉLAMPLE, MADEMOISELLE QUINAULT, LE LAQUAIS
LE MARQUIS, courant au-devant d’elle.
Eh ! c’est notre aimable voisine !
Vous ne pouviez jamais venir plus à propos,
Au Laquais.
Mademoiselle. Enfant, dis là-bas que j’ordonne
Qu’on nous serve tout au plus tôt.
LA PRÉSIDENTE, bas.
Marquis, quelle est cette personne ?
LE MARQUIS.
C’est mademoiselle Quinault.
LA PRÉSIDENTE.
Ah ! je la reconnais. Eh ! vraiment oui, c’est elle.
MADEMOISELLE QUINAULT, à la Comtesse.
Madame, pardonnez si je viens librement...
LA COMTESSE.
Point de façons, Mademoiselle ;
Vous m’obligez infiniment.
Nous parlions de l’auteur de la pièce nouvelle.
MADEMOISELLE QUINAULT.
Je vous avouerai franchement
Que je le cherche ici. J’ai deux mots à lui dire.
Il prétend qu’au public je fasse un compliment
Qu’il s’avisa hier de m’écrire :
Cette commission me donne un tremblement
Qui pour moi devient un martyre.
Je joue un rôle hardiment ;
Mais, parler en public, ou bien au public même,
C’est une différence extrême.
Je sens trop bien en ce moment
Que très mal à propos je me suis engagée ;
Et je veux à l’auteur remettre prudemment
Le discours dont il m’a chargée.
DORIMONT.
Mais il n’est pas long ce discours ;
Et notre auteur a pris la fuite.
MADEMOISELLE QUINAULT.
Oh ! voilà comme il fait toujours.
LA COMTESSE.
Malgré vous, vous voilà réduite
À suivre son intention.
Il faut vous signaler en cette occasion.
Armez-vous d’un noble courage :
Deux mots que vous direz avec affection
Peuvent prévenir quelque orage,
Et procurer l’attention
Du public équitable et sage,
Qui juge sans prévention,
Quand il n’est point troublé par des frondeurs à gage,
Qui font naître le bruit et la confusion,
Pour faire périr un ouvrage.
MADEMOISELLE QUINAULT.
Allons, puisqu’il le faut, je dirai de mon mieux.
LA PRÉSIDENTE.
Jouez-vous dans l’Ambitieux ?
MADEMOISELLE QUINAULT.
Oui, vraiment ; et mon personnage
N’est ni grave, ni sérieux.
D’un ministre pourtant j’ai l’honneur d’être femme.
LA PRÉSIDENTE.
Quel est le caractère ?
MADEMOISELLE QUINAULT, faisant la révérence.
Une folle, Madame ;
Mais d’un goût tout particulier.
Attendez... De peur d’oublier
Le compliment de mon poète,
Il faut que je vous le répète ;
Peut-être qu’il vous ennuiera,
Mais cet essai m’enhardira.
LA COMTESSE.
Parlez, nous vous prêtons silence.
MADEMOISELLE QUINAULT.
Vous êtes le parterre, et je suis l’orateur
Qui veut capter la bienveillance
Du malévole spectateur.
MESSIEURS, vous allez voir une nouvelle pièce...
D’un auteur qui n’est pas nouveau.
L’ouvrage est singulier : vous dire qu’il est beau,
Ce serait un peu loin pousser la hardiesse.
Décider avant vous c’est hâter le danger.
Nous efforcer à si bien faire,
Que l’ouvrage puisse vous plaire,
Voilà notre seul droit ; le vôtre est de juger.
En juges souverains, faites qu’on vous respecte.
L’Envie est aux aguets, la Cabale la suit.
Loin d’avoir le bon goût, leur cohorte suspecte
Lui fait la guerre et le détruit.
Jusques au dernier vers imposez-lui silence :
C’est l’unique faveur que nous vous demandons.
Nous plaidons devant vous : tandis que nous plaidons,
Daignez nous écouter, et tenir la balance.
Si notre pièce a du succès,
Pour vous, comme pour moi, j’en serai très ravie ;
Et mon plus grand plaisir sera de voir l’Envie
Perdre, avec dépens, son procès.
Elle tremble déjà ; mais, s’il faut tout vous dire,
En vérité, je tremble aussi.
Puisse votre équité la bannir loin d’ici !
Plus elle pleurera, plus je vous ferai rire.
Permettez à l’Ambition
De vous étaler sa manie.
L’auteur a mis tout son génie
À vous en faire voir toute l’illusion.
C’est, dit-on, le défaut des plus grands personnages ;
Et je vous avouerai sans fard
Que notre auteur lui-même en a sa bonne part ;
Car son ambition est d’avoir vos suffrages.
LE MARQUIS, à mademoiselle Quinault.
Vous vous en tirerez. Pour nous, sans compliment,
Allons vite nous mettre à table.
Je veux dîner en poste, et souper lentement,
Si le succès est favorable.
MADEMOISELLE QUINAULT, à la Comtesse.
Je n’ai point d’appétit, et je vais m’échapper.
Vous me le pardonnez ?
LA COMTESSE.
Oui, je vous le pardonne.
Les Acteurs sortent.
MÉLAMPLE, seule.
Morbleu !... si le public trouve la pièce bonne,
J’irai me coucher sans souper.
Par ma foi, Madame, je suis si las de copier, que je n’ai plus la force d’ajouter une parole, si ce n’est pour vous supplier humblement de me mander, avec votre extrême sincérité, si ce petit ouvrage aura eu le bonheur de vous plaire. Pour moi, je ne sais si je me flatte, mais il me semble qu’il n’aurait pas ennuyé le public. C’est une espèce de petite comédie avant la grande pièce ; et j’aurais eu, du moins en cela, le mérite de la nouveauté. J’ai l’honneur de vous assurer de mon respect.