Phalante (Gautier de Costes, sieur de LA CALPRENÈDE)
Tragédie en cinq actes et en vers.
Représentée pour la première fois en 1640.
Personnages
HÉLÈNE, reine de Corinthe
PHALANTE, prince étranger
PHILOXÈNE, prince de Corinthe
TIMANDRE, père de Philoxène
CLÉOMÈDE, seigneur de Corinthe
ARATE, seigneur de Corinthe
ARBANTE, confident de Phalante
CLÉONE, demoiselle de la Reine
AMINTE, demoiselle de la Reine
ACTE I
Scène première
PHILOXÈNE, HÉLÈNE dans sa chambre.
PHILOXÈNE.
Ces regards enflammés que lancent vos beaux yeux,
Ne sont que des éclairs pour cet audacieux,
Et sa présomption a mérité la foudre,
Dont ils s’arment déjà pour le réduire en poudre.
Oui, Madame, il est juste, et votre Majesté
Me doit enfin punir de ma témérité ;
J’abuse insolemment des bontés de ma Reine,
Du respect qu’un vassal doit à sa Souveraine,
Et dans ma passion je ne reconnais pas,
Et combien elle est haute, et combien je suis bas.
Mon audace a rendu ma faute irrémissible,
Ma flamme est criminelle en tant qu’elle est visible,
Aussi n’ai-je péché qu’en vous la découvrant,
Et je devais mourir, et me taire en mourant :
Mais quelque passion qui rompe mon silence,
Ne m’en accusez point, on me fait violence,
Et ce Tyran des Dieux, d’un insolent pouvoir,
Dans mon aveuglement étouffe mon devoir,
Ma passion l’emporte avec trop d’avantage,
Et ceux à qui vos yeux laissent encor l’usage,
Et de la connaissance et du raisonnement,
Quelques prudents qu’ils soient, manquent de jugement,
Si l’on brûlait pour vous d’une flamme commune.
HÉLÈNE.
Philoxène il suffit, ce discours m’importune,
Lassez-vous à la fin de me persécuter,
Comme ma patience est lasse d’écouter.
PHILOXÈNE.
Si pour vous adorer j’ai pu commettre un crime,
J’ai failli...
HÉLÈNE.
Ce n’est pas que je ne vous estime
Philoxène je sais ce que vous mérités
Et pour votre naissance et pour vos qualités,
Mais quelques sentiments que l’estime me donne
Votre amour me déplaît plus que votre personne,
Et je vous redirai puisque vous m’y forcez,
Que vous devez guérir si vous vous connaissez.
PHILOXÈNE.
Je me connais Madame, et cette amour extrême,
Qui m’a presque en naissant détaché de moi-même,
Ne m’aveugle pas tant, que pour comble d’ennuis
Je ne puisse juger qui j’aime et qui je suis,
Si de vous adorer la gloire est interdite,
À ceux que la grandeur, le sang et le mérite,
Ne rendent point égaux à votre Majesté,
Qui se pourra vanter de l’avoir mérité ?
Mais si par les ardeurs d’une flamme éternelle
Par un profond respect, par un feu plein de zèle,
Par des preuves d’amour, de constance et de foi,
On le peut espérer, qui le doit mieux que moi ?
Toujours vos volontés ont fait mes destinées,
Je vous ai dédié mes premières années.
Naissant je vous servis, et les Dieux sont témoins
Que le Sceptre à vos lois m’assujettit le moins,
Que mon cœur asservi du plus bas de mon âge,
Sans contrainte à vos pieds rendit un double hommage,
Et ne mêla jamais dans ses saintes ardeurs,
À l’intérêt d’amour l’intérêt des grandeurs :
Je fus deux fois sujet, vous deux fois Souveraine,
Et vivant avec gloire, esclave de ma Reine,
J’eus dès vos jeunes ans, élevé près de vous,
Et des bonheurs plus grands, et des moments plus doux.
Vous excusiez pour lors ma passion naissante,
Qui vous entretenait d’un amour innocente,
Votre esprit jeune encor différait mon trépas,
Et me plaignait d’un mal qu’il ne connaissait pas.
Mais hélas ! que le Ciel a mis de différence
À la suite d’un bien si grand dans sa naissance ?
Mon cœur ne changea point, mais le vôtre changea,
Sitôt que sous vos lois Corinthe se rangea :
Quand votre dignité s’accrut avec votre âge,
Et que la majesté qui brille en ce visage,
Reçut d’une couronne un éclat tout nouveau,
Toute mon espérance entra dans le tombeau,
Vous ne connûtes plus le pauvre Philoxène,
Son amour seulement fit naître votre haine,
Et ce ressentiment qui vous peut animer
Ne vous le fait haïr que pour vous trop aimer.
HÉLÈNE.
Si je vous haïssais autant que vous le dites,
Je me garantirais de toutes vos visites.
Et ne préférant point votre repos au mien,
Je me délivrerais d’un fâcheux entretien,
Suffit que je vous souffre et que trop indulgente.
Scène II
CLÉONE, HÉLÈNE, PHILOXÈNE, UN HUISSIER
CLÉONE.
Madame, quelqu’un vient.
UN HUISSIER.
C’est le Prince Phalante.
HÉLÈNE.
Qu’il entre, le cruel revient pour m’affliger,
Mais non pas pour me plaindre ou pour me soulager,
Ah ! l’ingrat, le voici, cache un peu ta faiblesse.
PHILOXÈNE.
Qu’il arrive à propos, cher ami je vous laisse,
Ma vie est en vos mains et j’attends tout de vous.
Scène III
HÉLÈNE, PHALANTE
HÉLÈNE.
Depuis que vos malheurs sont des bonheurs pour nous,
Et que nous bénissons le succès de ces guerres,
Qui pour nous visiter vous font quitter vos terres,
Trouvez-vous parmi nous un divertissement
Qui puisse soulager votre bannissement,
Car après les grandeurs qu’il eut dans sa province,
Ma Cour est un exil pour un si brave Prince.
Mais pourtant un exil qui peut être adouci,
Par l’absolu pouvoir que vous avez ici.
PHALANTE.
Madame, vos bontés sont pour moi sans limites
Et m’ayant honoré par dessus mes mérites,
Vos faveurs m’ont fait tort, m’ayant mis en état,
Ou de mourir pour vous, ou de mourir ingrat,
Que peut un malheureux que les Dieux et la guerre,
Font errer fugitif de sa natale terre ?
Et qui devait périr si votre Majesté
N’eut soulagé sa perte avec tant de bonté.
Certes de tous les maux dont le Ciel persécute
Celui que son courroux semble avoir pris en butte.
La plus vive douleur qu’il pouvait recevoir,
C’est de vous devoir tant et de ne rien pouvoir :
Vous avez relevé ma dignité penchante,
Recueilli les débris de ma fortune errante.
Et par mille faveurs et par mille bienfaits
Vous m’avez mis plus haut que je ne fus jamais,
Aussi de quelque aigreur dont la fortune averse
Dans mes plus beaux desseins sans cesse me traverse,
Je la voudrais bénir et tous mes ennemis,
De l’état glorieux où leur rage m’a mis.
Si de tant de bonheur dont vous êtes la source,
Un sensible regret ne traversait la course,
Un regret qui me tue, et qui fera périr,
Ce qu’en vain vos bontés ont daigné secourir ;
Pardonnez un discours que la douleur arrache.
HÉLÈNE.
Ce n’est pas tout Phalante, il faut que je le sache,
Et si par mon crédit il se peut soulager,
Je ne refuse rien qui vous puisse obliger,
Souffrez ma confidence, et recevez mon aide.
PHALANTE.
De vous seule dépend le mal et le remède
Et votre charité du tombeau tirera
Et l’ami qui se meurt, et l’ami qui mourra.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que ma bouche importune
Regrette à vos genoux sa mauvaise fortune,
Et qu’affligé d’un mal que je souffre à demi,
Je demande à vos pieds le salut d’un ami.
Certes si la pitié peut attendrir une âme,
Et si quelque rayon de la plus belle flamme,
Dont le cœur d’un amant fut jamais embrasé,
Peut toucher de son mal celle qui l’a causé,
Vous êtes obligée à soulager la peine
Qu’on voit souffrir pour vous au pauvre Philoxène.
Jamais cœur ne brûla dans un si grand respect,
Et bien que l’amitié me peut rendre suspect,
J’atteste des grands Dieux la puissance suprême
Que jamais un mortel n’aima comme il vous aime :
C’est de cette pitié que naissent tous mes soins,
Et cet étroit lien dont nos esprits sont joints.
Quelque bien, quelque mal, quelque honneur qu’on me fasse
M’a rendu malheureux dans sa seule disgrâce.
HÉLÈNE.
Belle et digne amitié d’un cœur si généreux,
Que dans tous les malheurs Philoxène est heureux,
D’avoir fait un ami dont la vertu trop haute,
Compatit à ses maux, et souffre pour sa faute.
Mais puisqu’une si forte et si rare amitié,
Vous a pour son malheur donné quelque pitié,
Et que vous ressentez la peine qu’il mérite,
Pour son ambition trop douce et trop petite,
Donnez-lui désormais le conseil de guérir,
Puisque ce cœur ingrat ne le peut secourir.
C’est, quoi que son erreur lui fasse encor prétendre,
L’office le meilleur que vous lui puissiez rendre ;
Il vous croira sans doute, et par raisonnement
Il se retirera de son aveuglement :
Employez-y vos soins.
PHALANTE.
Ô ciel ! est-il possible
Qu’à tant de passion votre cœur insensible
À cet Amant fidèle ordonne le trépas,
Puisque sans ce remède il ne guérira pas ?
Ceux qui peuvent sentir les atteintes mortelles
Dont vos yeux ont blessé les âmes les plus belles,
Quoique fassent pour eux le temps et la raison,
Dans la mort seulement trouvent leur guérison :
Certes si vous pouviez sans mépris ou sans haine
Considérer les maux du pauvre Philoxène.
Et voir le triste état où vous l’avez réduit
Depuis qu’il vous adore avec si peu de fruit,
Vous verriez qu’un conseil d’une telle nature,
Au lieu de l’adoucir aigrirait sa blessure.
Hélas combien de fois pâle et sans mouvement,
Ses yeux devers le ciel élevés lentement,
Ses yeux à qui des pleurs la course continue,
Aurait presque ravi l’usage de la vue,
L’ai-je vu demander pour un dernier secours
La fin de vos rigueurs dans la fin de ses jours ?
Il est vrai, ses douleurs faisaient naître les miennes,
Mes larmes, je l’avoue, accompagnaient les siennes,
Mon âme par pitié blâmait votre rigueur,
Et ses ardents soupirs me touchaient jusqu’au cœur.
Ce fut cette pitié qui me fit téméraire,
Et bien que le respect m’obligeât à me taire,
Cette compassion me le fit violer,
Et pour le secourir me força de parler,
Mais Dieux ! que mes discours ont eu peu d’efficace,
Mes importunités augmentent sa disgrâce,
Et redoublent le mal qui l’accable aujourd’hui,
Parce qu’un malheureux intercède pour lui.
HÉLÈNE.
Faut-il que ce discours si vivement me touche,
Et que pour Philoxène il sorte de sa bouche :
Ô Dieux ! qui l’écoutez, puisqu’il s’adresse à moi,
Que ne permettez-vous qu’il le fasse pour soi ?
Mais c’est trop endurer, hâte ta destinée,
Force ce dur silence où tu t’es condamnée,
Et puisque ton brasier ne se peut plus cacher
Éprouve la bonté d’un ennemi si cher,
Il n’est point insensible, et ce visage aimable
N’est point sorti des flancs d’une ourse impitoyable,
S’il n’est plus endurci qu’un tronc ou qu’un rocher :
Tes yeux ont des attraits qui le pourront toucher,
Force cette pudeur qui te fait violence.
Ah ! pardon, ma vertu...
PHALANTE.
La princesse balance,
Sans doute mes discours auront fait quelque fruit.
Ah ! cruauté du ciel où m’avez-vous réduit ?
Faut-il que je poursuive avecque tant d’envie,
Dans le bien d’un ami la perte de ma vie ?
Que je donne vainqueur ma vie à l’amitié,
Ou que n’obtenant rien je meure de pitié ?
HÉLÈNE.
Ma vertu, ma pudeur, mon action vous blesse,
Mais à ma passion pardonnez ma faiblesse,
Ma flamme est innocente et n’a point de penser,
Pure et chaste qu’elle est, qui vous puisse offenser,
Je pêche seulement contre la bienséance,
Et ne vous choque point qu’en forçant le silence.
Phalante, pardonnez mon incivilité
Aux mouvements divers d’un esprit agité ;
Mon âme dans l’état où vous l’avez réduite,
Par les puissants efforts d’une ardente poursuite,
Faisait réflexion à tant de qualités,
Et d’actes de vertu dont vous nous enchantez :
Et certes Philoxène a bien plus d’avantage
Ayant reçu du ciel ce glorieux partage,
D’un ami vertueux et brave comme vous,
Que je n’en ai d’un Sceptre, et d’un règne assez doux.
Aussi votre mérite et ce que je défère,
Au vouloir d’un ami dont la vertu m’est chère,
Produiraient dans mon cœur de plus puissants effets,
Que son affection n’en produira jamais :
Si mon âme déjà n’était préoccupée,
Et si le coup mortel dont je la sens frappée,
Me laissait de mon cœur disposer un moment,
Afin de satisfaire un ami si charmant ;
Hélas ! j’en ai trop dit, et vous pouvez connaître,
Ce que ma passion malgré moi fait paraître,
Épargnez à ma honte une confession,
Que je ne vous ferai qu’à ma confusion :
Car bien que mon esprit soit sans tache et sans crime,
Cette vive couleur que la pudeur imprime
Sur mon front innocent, m’a déjà reproché,
Qu’il en fallait rougir ainsi que d’un péché :
Enfin Phalante, j’aime, ô Dieu ! ce mot me tue.
PHALANTE.
Doncques pour mon ami l’espérance est perdue
Quoi vous aimez Madame, et son zèle et sa foi.
HÉLÈNE.
Croyez que son repos ne dépend plus de moi,
Et confessez aussi qu’en cette confidence,
Philoxène témoigne une haute imprudence :
Pour gagner sur mon cœur beaucoup plus qu’il n’a fait,
Il se devait passer d’un ami si parfait,
Raisonner dans ce choix s’il en était capable,
Juger qui de vous deux était le plus aimable,
Et pour donner l’emploi qu’il vous donne aujourd’hui,
Prendre un intercesseur qui le fut moins que lui.
Ô Dieux ! ma honte ici n’est que trop manifeste,
Phalante j’en dis trop, dispensez moi du reste,
Et ne me forcez point contre ce que je dois,
À vous faire un aveu trop indigne de moi :
Lisez-le dans mes yeux et dessus mon visage,
Ils ne parlent que trop à mon désavantage :
Ils sont assez changés par la honte qu’ils ont,
Et paraissent confus de l’office qu’ils font.
PHALANTE.
Ô Dieux ! que deviendrai-je ? ah ! Madame.
HÉLÈNE.
De grâce,
De quoi que mon destin me flatte ou me menace,
Faites réflexion encore un peu de temps,
Avant que prononcer l’arrêt que j’en attends.
Et que pour mon repos votre bonté permette,
Qu’après ce grand effort mon âme se remette :
Elle est toute troublée en cette extrémité,
Adieu pardonnez-moi cette incivilité.
Scène IV
HÉLÈNE, AMINTE
HÉLÈNE.
Restes d’une pudeur lâchement offensée,
Dignité de mon Sceptre indignement blessée,
Mânes de mes parents, noble suite d’aïeux,
De qui l’illustre sang sortit du sang des Dieux,
Vous que j’offense tous d’une mortelle injure,
Pardonnez-moi ma faute, amour vous en conjure,
Et cet impérieux par son autorité
La veut rendre excusable à la postérité.
J’ai péché par contrainte, et mon âme éperdue,
Avant que de céder s’est longtemps défendue.
Ma vertu mille fois m’a mis devant les yeux,
Le soin de mon honneur, mon rang et mes aïeux,
M’a cent fois remontré le tort irréparable
Que mon sang recevait d’un feu si condamnable,
Que ma faute outrageait les vivants et les morts,
Et contre ce Tyran a fait de vains efforts.
Ô prétexte honteux dont mon âme s’abuse,
J’ai failli, j’ai failli, mon front même m’accuse.
Si je n’étais coupable, il ne rougirait point,
Vous, que ma passion outrage au dernier point,
Honneur, couronne, aïeux, n’excusez plus ma faute,
Je devais maintenir cette Majesté haute,
Conserver l’assurance à ce front couronné,
Et mourir dans le rang que vous m’avez donné,
Je devais étouffer une naissante flamme,
Et si le ciel jaloux ne me pourvut d’une âme
Digne de ma naissance et du rang que je tiens,
Pour refuser un joug et d’indignes liens,
Je devais pour le moins me faire violence,
Cacher un feu honteux, mourir dans mon silence,
Et m’arracher plutôt ce vil et lâche cœur,
Qu’implorer la merci d’un insolent vainqueur :
Que sais-je si déjà cette étrange ouverture
Aura fait à ma gloire une mortelle injure ?
Si l’ingrat l’a reçue avecque du mépris,
Et si sans le combat il dédaigne le prix,
Peut être que déjà tes flammes importunes
Passent dans son esprit pour ses moindres fortunes,
Et qu’il conte une Reine entre mille beautés,
De qui la passion flatte ses vanités :
Ah ! si tu soupirais pour un mal volontaire,
Hélène tu devais ou mourir ou le taire :
Éteindre pour jamais, ou cacher ton flambeau,
Et ne le pouvant plus l’étouffer au tombeau.
Ô protecteur des Rois et Démon tutélaire,
Et vous grand Dieu des mers que Corinthe révère,
Vous qui lui fîtes voie, et vîtes ses vaisseaux
Errants et vagabonds sur le front de vos eaux,
Pourquoi pour le salut de cette infortunée,
N’avez-vous de nos bords détourné cet Énée,
Qui déjà dans mon âme à ma confusion,
Allume un plus grand feu que celui d’Ilion.
Si je devais brûler pourquoi dedans son âme
N’allumiez-vous de même.
AMINTE.
Espérez-le Madame,
Bannissez cette crainte, et reconnaissez mieux,
Cet amour qui triomphe et brille dans vos yeux :
Si l’on n’en doit juger que selon l’apparence.
HÉLÈNE.
Dans cette affection j’ai bien peu d’espérance :
Et j’ai d’un mal prochain cent présages mauvais :
Cent tristes visions, cent songes que j’ai faits,
Menacent cet amour d’une funeste issue,
Grands Dieux si dans ma peur je ne suis point déçue,
Et si vous haïssez un feu qui me fait tort,
Envoyez-moi bientôt le remède ou la mort.
ACTE II
Scène première
TIMANDRE, PHALANTE, PHILOXÈNE
TIMANDRE.
Nous serions trop ingrats à tant de bons offices,
Dont vous avez déjà prévenu nos services,
Si nous ne vous pressions pour apprendre de vous
La cause d’un chagrin qui nous afflige tous,
Vous êtes tout changé d’humeur et de visage,
Et je connais trop bien ce généreux courage,
Qui s’est toujours muni d’une haute vertu,
Et que tant de revers ont en vain combattu,
Pour craindre que des maux de si peu d’importance,
En puissent ébranler l’invincible constance :
Si des rebellions ont troublé votre État,
Si vous avez perdu votre premier état,
Et s’il vous faut céder au malheur d’une guerre,
Qui vous fait éloigner de votre ingrate terre :
Pour le moins votre sort me paraît assez doux
Dans le port assuré qu’il vous offre chez nous
Ici tout vous adore et jamais autre prince,
Ne fut plus révéré dans sa propre province,
Votre vertu d’abord a produit mille effets,
Vous a gagné des cœurs, vous a fait des sujets
Vous a fait surmonter et l’envie et la haine,
Et vous a si bien mis dans l’esprit de la Reine,
Que pour cette bonté qui les oblige tous,
Les Princes du pays n’ont plus recours qu’à vous ;
Mêmes vos intérêts l’ont si fort animée,
Qu’elle rompt l’alliance, et forme un corps d’armée :
Vous donnant le secours qu’elle vous a promis,
Pour vous aller servir contre vos ennemis.
Phalante ces raisons me font assez connaître,
Que ce nouveau chagrin que vos yeux font paraître :
Et la vive douleur qui vous change à ce point,
Ont quelque autre sujet que nous ne savons point.
Si l’amitié jurée, et quelque expérience,
Ont mérité l’honneur de votre confidence,
Ne dissimulez plus à des amis discrets,
Vos soins plus importants, et vos maux plus secrets.
PHILOXÈNE.
Quelques vaines raisons que sa froideur m’oppose,
Si Phalante pouvait me cacher quelque chose,
J’aurais sujet de plainte, et croirais désormais,
N’en étant plus aimé qu’il ne m’aima jamais.
Je vous conjure donc par toute la franchise,
Et toute l’amitié que vous m’avez promise,
De ne me cacher plus ce qui me fait mourir,
Et pour vous soulager s’il ne faut que périr,
S’il ne faut prodiguer que mon sang et ma vie,
Soyez très assuré que j’en brûle d’envie,
Et que pour vous servir j’embrasserai la mort.
PHALANTE.
C’est assez, cher ami, ce penser me fait tort :
Et vous avez blessé l’amitié qui nous lie
En souffrant ce soupçon de ma mélancolie,
Mon cœur vous est ouvert les Dieux m’en sont témoins :
Mais c’est votre malheur qui causera mes soins,
Votre seul déplaisir fait naître ma tristesse,
Et dans vos passions mon âme s’intéresse,
Et ressent vos ennuis avec tant de douleur
Que vos moindres soucis me touchent jusqu’au cœur,
Je meurs du déplaisir de vous être inutile,
De prier vainement un esprit indocile ;
Et de voir qu’en l’état où vous êtes réduit
J’intercède pour vous avec si peu de fruit ;
Si la Reine agréait vos fidèles services,
Mon âme en vous servant goûterait ses délices,
Et préférant ainsi vos intérêts aux miens,
Elle oublierait ses maux pour ressentir vos biens :
De tous mes déplaisirs voilà la seule cause,
Pour m’affliger si fort mes maux sont peu de chose,
Et je n’ai ressenti que des coups bien légers,
En perdant des honneurs et des biens passagers :
Quoi qu’ait fait contre moi la fortune outrageuse
La mienne auprès de vous est trop avantageuse,
J’aime trop Philoxène et l’amitié des siens
Pour regretter encor la perte de mes biens :
Ce lien qui nous joint d’une amitié parfaite
À de tant de bonheur honoré ma retraite,
Que je croirais mon sort plus heureux que jamais,
Si pour vous le bonheur secondait mes souhaits,
Et si de vos malheurs mon âme combattue,
Ne ressentait pour vous.
PHILOXÈNE.
Ah ! ce discours me tue :
Juste ciel fallait-il pour comble de douleur,
Qu’un innocent ami partageât mon malheur,
Et que n’ayant qu’un cœur et qu’une âme commune,
Nous ne dussions avoir qu’une même fortune ?
Certes, de tous les coups de mon sort rigoureux
C’est là le plus sensible et le plus douloureux,
Et mon mal ne pouvait venir au point extrême,
Qu’en se communiquant à cet autre moi-même.
Malheureux Philoxène, amant infortuné,
Regarde à quelle fin le ciel t’a destiné,
Vois de quelle rigueur sa colère t’accable,
Il fait de ta misère un autre misérable :
Et punit de ta faute un innocent ami,
Pour voir périr un tout qui souffrait à demi.
Ah ! Phalante, c’est trop, et je hais trop ma vie,
Dans les maux éternels dont je la vois suivie,
Pour souhaiter encor qu’elle dure à ce prix,
Laissons, laissons Hélène avecque ses mépris :
S’ils ne m’ont pu guérir que la mort m’en délivre,
Mon amour l’importune et je suis las de vivre.
Philoxène au tombeau n’importunera plus
La Reine et son ami par des soins superflus,
Et le profond repos qu’il goûtera lui-même,
Dans un même repos mettra tout ce qu’il aime.
TIMANDRE.
La Reine le méprise avec peu de raison,
Elle doit mieux traiter une illustre maison :
Et juger quelque rang qu’un changement nous donne,
Qu’autrefois nos aïeux ont porté sa couronne,
Je suis sujet, mais Prince, et son père en mourant
Fit de notre maison un cas bien différent,
Et mettant en mes mains son sceptre et sa famille,
Il me nomma Régent et Tuteur de sa fille :
Quelque faîte d’honneur où je fusse monté,
Je n’abusai jamais de cette autorité.
Je pouvais au dépens d’une faible jeunesse,
Agrandir ma maison des biens que je lui laisse :
Et me rendre si grand qu’elle eut bien souhaité,
Celui qu’elle rejette avec indignité,
Mais le ciel m’est témoin qu’en ma charge importune,
Je ne considérai ni moi ni ma fortune :
Et quoique ce pays dût beaucoup à mes soins,
Que de tous mes voisins j’y profitai le moins,
Certes sa Majesté le devrait mieux connaître
Que par ce grand mépris qu’elle nous fait paraître
Et mieux considérer le mérite et le sang,
De ceux qui dans l’État tiennent le premier rang.
PHALANTE.
Il m’est encor resté quelque peu d’espérance,
Qu’on l’a pourra gagner par la persévérance ;
Et je crois qu’à la fin son âme se rendra,
Du moins pour vous servir Phalante se perdra :
Et quand pour ce dessein il donnerait sa vie,
Il la croira toujours heureusement ravie,
Si le ciel lui permet de la perdre pour vous.
PHILOXÈNE.
Ô Dieu ! qu’en mes malheurs ce souvenir m’est doux,
Et que j’ai de bonheur parmi tant de disgrâce,
D’avoir fait un ami.
PHALANTE.
Souffrez que je vous chasse :
Adieu laissez-moi seul y rêver un moment,
Vous trouverez la Reine en son appartement.
Scène II
ARBANTE, PHALANTE
ARBANTE.
Seigneur de quelque soin que votre âme agitée,
Déguise la douleur dont elle est tourmentée,
Je vois bien au travers de ce déguisement,
Ce qu’à ma passion vous cachez vainement.
Pardonnez-moi Seigneur, si je vous importune,
Mais vous n’aurez jamais de mauvaise fortune :
Que mon affection ne ressente avec vous,
Si pour s’en décharger un mal devient plus doux,
Et si vous conservez encor quelque mémoire,
D’une fidélité qui fut toute ma gloire,
Récompensez Seigneur, ces preuves de ma foi.
PHALANTE.
Je n’ai rien à te dire, Arbante laisse-moi.
Scène III
PHALANTE, seul
Enfin je reste seul, et cette ingrate flamme,
Qui sans aucun espoir tyrannise mon âme,
Peut enfin éclater à la clarté des cieux.
Chers témoins de mon mal, tristes et sombres lieux,
Vous que j’ai seuls jugés capables d’un silence,
Digne de mon secret et de ma confidence :
Puisqu’à vous seulement j’évente mes regrets,
De grâce en ma faveur soyez toujours secrets ;
Et ne parlez jamais de ce malheur extrême,
Que mon âme a regret d’avouer à soi-même.
Ciel qui pénétrez seul mes plus cachés ennuis,
Vis-tu jamais un homme en l’état où je suis ?
Et toi, dont les rayons éclairent tout le monde,
Connais-tu de fortune à la mienne seconde ?
Dans l’état déplorable où mon destin m’a mis,
Je suis le plus cruel de tous mes ennemis.
J’aime, et je suis aimé, mais mon malheur extrême
Me vient de mon amour, me vient de ce qu’on m’aime,
Et je ne serais pas malheureux à ce point
Si l’on ne m’aimait pas et si je n’aimais point.
L’amitié m’a réduit à ce point de misère,
Que dans ma passion j’ai plus que je n’espère :
Mais me sacrifiant pour le salut d’autrui,
J’ai ce que je souhaite, et j’ai ce que je fuis :
Cet amour qui déjà tient mon âme captive,
Si je ne suis aimé ne veut pas que je vive.
On m’aime, et dans ce bien qui me doit conserver
Je rencontre la mort au lieu de me sauver.
Ces soins où je m’attache avecque tant d’envie,
Servent moins mon ami qu’ils n’attaquent ma vie,
Et faisant sur mon âme un pitoyable effort,
En cherchant son salut je demande ma mort.
Ah ! Phalante, ennemi du salut de Phalante,
Laisse, laisse en repos ton âme languissante,
Et devenant plus doux ne persécute plus
Phalante que tu perds par tes soins superflus.
Ce que ton amitié pour Philoxène essaye,
Ne sert point ton ami, mais rengrège ta plaie,
Et t’animant toi-même à te persécuter,
Tu le rends odieux au lieu de l’assister.
Les intérêts d’autrui défendent-ils les nôtres,
Et se doit-on haïr pour bien aimer les autres ?
Ton ami satisfait des preuves de ta foi,
Ne peux-tu pas avoir quelque amitié pour toi ?
Puisque tous ses devoirs ne touchent point la Reine,
Et que pour son repos ton assistance est vaine,
Pourquoi ton amitié s’obstine désormais
Sans fruit et sans espoir de le servir jamais ?
Crains-tu que ton ami lui-même ne t’excuse,
Qu’il ne te cède point un bien qu’on lui refuse,
Et qu’il ne soit content de te voir posséder
Ce que ton amitié ne lui peut accorder.
Ah ! pardon, amitié mortellement blessée,
Une si criminelle et si lâche pensée,
Quoique ma passion pour elle ait combattu,
Est indigne d’un Prince et dément ma vertu :
Lâcheté qui me tue et qui me déshonore,
Quoi tu pourras trahir un ami qui t’adore,
Et sans considérer ta vie et ton honneur,
Tu pourras sur sa perte établir ton bonheur ?
Donc ce fidèle ami n’aura dans ta retraite,
Honoré ton abord d’une amitié parfaite,
Et sans autre intérêt que de l’affection,
N’aura pris tant de part dans ton affliction,
Doncques dans ton malheur et le fils et le père,
N’auront de tous leurs biens assisté ta misère,
T’honorant comme un Dieu dans leur propre maison,
Que pour se voir payez par une trahison :
Ô de tant de bienfaits indigne récompense !
Beaux effets de tes soins et de ton assistance,
C’est ce qu’il attendait de tes nobles desseins,
Lorsqu’il mit l’innocent, sa vie entre tes mains,
Et qu’il t’ouvrit son âme avec tant de franchise,
Sur l’espoir décevant d’une amitié promise,
Il reste seulement que de ta propre main,
Sans aucune pitié tu lui perces le sein,
Et portes dans son cœur mille atteintes mortelles,
Pour suivre en liberté tes flammes criminelles.
C’est le plus doux pour lui, car enfin n’attends pas
Qu’il en puisse être quitte à moins que du trépas ;
Que se voyant trahi par un autre soi-même,
Que voyant à ses yeux enlever ce qu’il aime :
Quoique sa vertu fasse avec tous ses efforts,
Ce malheureux amant ne souffre mille morts.
Ah ! ne revenez plus lâche, lâche pensée,
Fuyez d’une vertu que vous avez blessée :
L’amour et Philoxène ont partagé mon cœur,
Mais l’amour est vaincu, Philoxène vainqueur,
L’amour seul est trop faible, et quoi qu’il me prépare,
Enfin pour mon ami ma vertu se déclare :
Il est assez puissant l’ayant de son parti,
Ce que ma passion peut contre mon ami,
Malgré sa violence, et son pouvoir suprême,
Ma vertu qui le sert le fait contre elle-même :
Philoxène reviens, ami tu m’as vaincu,
Et si pour ton repos j’ai déjà trop vécu,
Si ma présence nuit à ta bonne fortune,
Je saurai retrancher une vie importune,
Avant que mon amour t’oblige à me haïr,
Et que ce même amour me force à te trahir.
Mais j’aperçois la Reine, ô rencontre cruelle !
Que dois-je devenir, dois-je m’éloigner d’elle ?
Évite son abord, fuis misérable fuis.
Scène IV
HÉLÈNE, CLÉONE, PHALANTE
HÉLÈNE.
Ne vois-je pas Phalante ?
CLÉONE.
Oui Madame, c’est lui.
PHALANTE.
Mais je suis découvert, ah ! défends-toi, mon âme,
Arme-toi de vertu, cache, cache ta flamme,
Et ne relâche point de tes premiers desseins.
HÉLÈNE.
Quoi tu trembles mon cœur ! Quoi mon âme tu crains !
Et sembles redouter la mortelle sentence :
Mais le voici l’ingrat, arme toi de constance.
PHALANTE.
Je craignais d’approcher de votre Majesté,
Et m’allais retirer dans ce bois écarté,
Pour n’interrompre point vos secrètes pensées.
HÉLÈNE.
Ah ! Phalante, à vous seul elles sont adressées,
Et si la solitude a pour moi rien de doux,
Je l’aime seulement pour mieux songer à vous.
Depuis que pour vous seul mon esprit est malade,
Je goûte des douceurs dans cette promenade,
Qui me font oublier le soin de mes états,
Pour trouver du repos loin de tant d’embarras,
C’est ici que je cherche à rêver et me plaindre,
Et ce n’est que pour vous, il n’est plus temps de feindre.
J’ai tout franchi Phalante, et je vous ai fait voir,
Malgré l’honneur du sexe, et malgré mon devoir,
Forçant mon naturel, mon silence et ma crainte,
De quelle passion mon âme était atteinte :
Je n’en ai que trop dit, et quelque affection
Qui puisse autoriser une indigne action,
Je devais conserver ce pouvoir sur mon âme,
De souffrir sans parler, ou de mourir sans blâme :
J’ai fait une bassesse indigne de mon rang,
Qui blesse ma beauté, mon courage et mon sang,
Et vous donne sans doute une injuste croyance,
D’une facilité dont ma vertu s’offense.
Mais si vous le pouvez après l’impression
Qu’aura fait sur votre âme une telle action,
Ne souffrez point de grâce un penser qui m’outrage,
Et ne soupçonnez rien à mon désavantage,
Je vous aime, et mon mal vous est assez connu :
Mais à quelque degré qu’il soit déjà venu,
Quelque transport étrange, et quelque violence,
Qui contre mon devoir ait rompu mon silence,
La plus haute vertu ne se peut offenser,
De mon plus criminel et plus lâche penser,
Et je puis espérer sans reproche et sans blâme,
Le remède du mal, et le repos de l’âme :
Étant si bien instruit de mon intention,
Que ne répondez-vous à mon affection,
Que ne m’apprenez-vous ce que j’en puis attendre,
Votre silence, ô Dieux ! me le fait trop comprendre,
Vous en êtes confus, vous rougissez pour moi,
Et ce discours muet m’apprend ce que je dois.
PHALANTE.
Que votre Majesté ne trouve point étrange,
Si par un tel discours mon visage se change,
Et si je fais paraître en cette occasion,
Et mon étonnement et ma confusion.
Je suis surpris, Madame, il faut que je l’avoue,
Et celui dont le Sort incessamment se joue,
En le précipitant dans les adversités,
Dont il est soulagé par vos seules bontés,
Quoi qu’il reçut de vous des grâces très insignes,
N’attendait pas un bien dont les Dieux sont indignes.
Cet honneur m’éblouit, et je ne le reçois,
Indigne que j’en suis que comme je le dois.
Un Dieu rechercherait cette bonne fortune.
CLÉONE.
Arate et Cléomède.
HÉLÈNE.
Ô surprise importune,
Ces gardes ont failli, je l’avais défendu.
PHALANTE.
Hélas ! Sans ce secours Phalante était perdu.
Scène V
HÉLÈNE, CLÉOMÈDE
HÉLÈNE.
Phalante une autre fois vous me direz le reste,
J’en attends le succès favorable ou funeste.
CLÉOMÈDE.
Madame pardonnez notre importunité,
On n’attend au conseil que votre Majesté,
Et l’affaire qu’on traite est assez importante
Pour divertir un peu.
HÉLÈNE.
Vous en serez, Phalante.
PHALANTE.
Vous me comblez d’honneur.
HÉLÈNE.
Venez donc avec nous.
Je ne veux rien ouïr ni résoudre sans vous.
ACTE III
Scène première
PHILOXÈNE, CLÉONE
PHILOXÈNE.
La Reine aime Phalante.
CLÉONE.
Oui Seigneur.
PHILOXÈNE.
Ah ! Cléone,
Regarde la douleur que ce discours me donne,
Et si ton amitié ne me peut secourir,
Du moins n’invente rien qui me fasse mourir :
Tu lances sur ma vie une mortelle foudre.
CLÉONE.
Assurez-vous, Seigneur, qu’avant que m’y résoudre,
Je n’ai point épargné ma peine ni mes soins,
J’ai tout osé pour vous, les Dieux m’en sont témoins :
Et que pour détourner le coup qui vous menace,
Je n’ai point redouté d’encourir sa disgrâce,
J’ai forcé le respect et la discrétion
Pour condamner cent fois sa folle passion :
Et cent fois m’opposant à cette amour naissante,
Contre mes sentiments j’ai médit de Phalante.
PHILOXÈNE.
Tu m’offensais Cléone, et quoi que mon salut.
CLÉONE.
Croyez qu’en mes discours j’avais un autre but,
Et que je travaillais à forcer son caprice,
Qui le lui rend aimable à votre préjudice.
Je voulais qu’à ses yeux il parût moins parfait,
Et lui représentant le tort qu’elle se fait,
D’aimer un étranger, et rechercher un Prince,
Dépouillé de ses biens, chassé de sa province :
À qui pour tout recours il ne restait plus rien,
Qu’un refuge chez elle, et d’appui que le sien.
Je lui représentais vos fidèles services,
Le rang que vous tenez, et mille bons offices,
Que dans ses jeunes ans sa faiblesse reçut,
Des soins de votre père en la charge qu’il eut :
Mais Seigneur ces discours ont redoublé sa flamme,
Et cette résistance ayant piqué son âme,
Elle s’est obstinée avec trop de mépris,
Et contre la raison, et contre mes avis.
PHILOXÈNE.
Et Phalante.
CLÉONE.
Je crois qu’il n’est pas insensible,
Et que s’il n’est formé de nature impassible,
S’il n’a les duretés d’un arbre ou d’un rocher,
La Reine a des appas qui le doivent toucher.
PHILOXÈNE.
C’est assez, juste ciel !
CLÉONE.
Gardez-moi le silence,
Vous me perdriez, Seigneur.
PHILOXÈNE.
Vis dans cette assurance,
Et préviens cet esprit de tes bonnes leçons,
Mais entrons, je veux mieux éclaircir mes soupçons.
Scène II
PHALANTE, HÉLÈNE dans sa chambre
PHALANTE.
Les Dieux me sont témoins que mon âme troublée,
De ces excès d’honneur dont vous l’avez comblée,
N’a pas si fort perdu tout son raisonnement,
Qu’il ne lui reste encore assez de jugement :
Pour connaître en ce point où sa gloire s’achève,
À quel faîte d’honneur votre bonté l’élève,
Aussi le recevant ainsi que je le dois,
Ce n’est pas comme un bien trop relevé pour moi :
Mais comme une faveur dont les grandeurs suprêmes,
Dont les Dieux immortels sont indignes eux-mêmes,
C’est là mon infortune, et c’est là que je vois
Que la haine du ciel éclate contre moi,
Me donnant d’un bonheur dont il m’offre la vue,
Une espérance éteinte aussitôt que conçue,
Sa rigueur me l’offrant me défend d’en jouir,
Et ne me le montrant qu’afin de m’éblouir,
Par la grandeur du prix il m’en ôte l’envie,
Puisqu’il faut l’acheter par une chère vie :
Car enfin ce trésor ne peut être pour moi,
Qu’en blessant ma vertu, qu’en violant ma foi :
Qu’en noyant l’amitié dans une lâche haine,
Et portant mille morts au sein de Philoxène.
Dure condition qu’il met à mon bonheur,
N’en pouvais-je jouir sans me perdre d’honneur ?
Sans faire un parricide et souiller ma mémoire,
Par une lâcheté si sanglante et si noire,
Qu’ont fait contre le ciel deux fidèles amis :
Et pourquoi maintenant ne m’est-il pas permis,
De payer les bontés d’une si grande Reine,
Au prix de tout mon sang, et sauver Philoxène ?
Ah ! Madame, mon front exprime ma douleur,
Et vous pouvez juger que je parle du cœur ;
Je vous l’ouvre, Madame, et dessus mon visage,
Vos yeux en peuvent voir la véritable image :
Je ne suis point ingrat à vos rares bontés,
Je n’ai point l’œil mauvais ni les sens hébétés,
Et de tous les côté je vois bien l’avantage,
Dont m’accordant la vue on me défend l’usage,
Mais Dieux ! à quoi me sert cet insigne bonheur,
S’il m’ôte le repos, et la vie et l’honneur ?
S’il faut qu’un ami meure avant que j’en jouisse,
Et que pour m’élever Philoxène périsse ?
Ah ! Madame, plutôt par excès de bonté,
Honorez-en celui qui l’a mieux mérité,
Et puisque son repos établit mes délices,
Donnez-le à ma prière autant qu’à ses services :
C’est le plus grand effet de bonne volonté
Que je puisse espérer de votre Majesté,
Et si votre pitié s’accorde à mon envie,
En sauvant mon ami vous me sauvez la vie.
HÉLÈNE.
Ingrat, ce mot échappe à cette vive ardeur,
Que vous reconnaissez avec tant de froideur.
Ingrat, pouvez-vous bien vous obstiner encore
À me persécuter pour celui que j’abhorre,
Et traiter une reine avec tant de mépris,
En dédaignant un cœur que vous seul avez pris.
Quoi mon affection est donc si peu de chose,
Qu’en faveur d’un ami votre soin en dispose :
Et que vous rejetez comme indigne de vous,
Un plus digne sujet, d’un traitement plus doux,
Vous croyez m’honorer, m’offrant à Philoxène,
Ah ! j’en connais la cause, et souffre cette peine,
Comme le juste prix d’une facilité,
Que vous devez traiter avec indignité,
Votre cœur méprisant une gloire flétrie,
Dédaignant justement une amante qui prie,
Et par ce traitement m’enseignant mon devoir,
À la honte pour moi que je devais avoir
J’ai failli, je l’avoue, et puisque ma faiblesse
N’avait peu résister à ce coup qui me blesse,
Et qu’un Dieu trop puissant me contraignit d’aimer,
Ma flamme pour le moins me devait consommer.
Oui je devais sans doute ou mourir ou me taire :
Mais puisque mon malheur fut un mal nécessaire,
Et que malgré mon rang, mon sexe, et mon honneur
Ma passion parut en trahissant mon cœur.
Je saurai bien lever cette honteuse tache,
Qui par mon imprudence à ma gloire s’attache,
Et punir ce cœur bas de l’avoir entrepris,
Et par sa lâcheté mérité vos mépris.
PHALANTE.
Ah ! Madame cessez un discours qui me tue,
Plût à Dieu vissiez-vous mon âme toute nue,
Et vous feriez sans doute un jugement plus doux,
Des nobles sentiments qu’elle eut toujours pour vous :
Si de quelque amitié votre bonté m’honore,
Loin de la mépriser, Madame je l’adore,
Et mon ressentiment la voudrait mériter,
Par le plus noble prix qui la puisse acheter :
Mais si votre bonté me donne la licence
De redire à vos pieds deux mots en ma défense,
Considérez Madame en l’état où je suis,
Et tout ce que je dois, et tout ce que je puis.
Suis-je privé du sens, et croyez-vous qu’un prince
Réfugié chez vous, chassé de sa province,
Sans bien et sans appui, que vos seules bontés,
Pût refuser l’honneur que vous lui présentez ?
Si pour servir d’obstacle à sa bonne fortune,
Il n’avait de raison qu’une raison commune,
Et pouvait parvenir à ce dernier bonheur,
Sans perdre Philoxène et se perdre d’honneur,
Considérez un peu le nœud qui nous assemble,
Que par un même coup nous périrons ensemble,
Et qu’une inviolable et parfaite amitié,
N’en a formé qu’un tout, dont il est la moitié.
Outre ce beau lien qui joignit nos deux âmes,
À moi seul il fia le secret de ses flammes,
Et ce parfait ami commit tout à ma foi,
N’attendant son salut que de vous et de moi.
Jugez si vous pourriez me conseiller vous même,
De violer ma foi, trahir celui qui m’aime,
Et contre ma parole, et contre l’amitié,
Massacrer mon ami sans honte et sans pitié.
Ah ! Madame après tout, vous aimez trop la gloire
Pour approuver vous-même une action si noire :
Et pour m’aimer encor si j’avais mérité
L’honneur que vous m’offrez par une lâcheté ;
Certes pour être aimé d’une si grande Reine,
Il faut être sans tache, et tel que Philoxène,
Lui seul a mérité l’honneur de vous servir,
Lui seul mérite un bien qu’on ne lui peut ravir,
Et vous ne pouvez plus sans faire une injustice,
Lui refuser le prix qu’on doit à son service.
Sa vertu, son amour.
HÉLÈNE.
Ces discours superflus
M’aigrissent contre lui, bien, bien, n’en parlons plus,
Déportez-vous d’un soin qui n’est plus nécessaire,
Cet importun me nuit, je saurai m’en défaire,
Et le chasser si loin qu’avant que me revoir,
Peut-être on le verra rentré dans son devoir.
PHALANTE.
Ah ! Madame, songez.
HÉLÈNE.
Songez plutôt vous-même.
PHALANTE.
Que Philoxène meurt.
HÉLÈNE.
Et qu’Hélène vous aime.
PHALANTE.
Le laisserez-vous périr ?
HÉLÈNE.
Verrez-vous mon trépas ?
PHALANTE.
Pouvez-vous l’oublier ?
HÉLÈNE.
Ne m’oublierez-vous pas ?
PHALANTE.
Prierai-je sans espoir ?
HÉLÈNE.
Prierez-vous pour un autre ?
PHALANTE.
L’intérêt que j’y prends.
HÉLÈNE.
Éteindra-il le vôtre ?
PHALANTE.
Celui de mon ami sera toujours le mien,
Le bien qu’on lui fera sera mon propre bien,
Et si vous l’honorez d’une amour parfaite,
Vous me rendez heureux au point que je souhaite :
C’est moi qui sentirai l’effet de vos bontés,
L’empêchant de mourir vous me ressuscitez,
Et l’élevant au point de sa gloire suprême,
À ce dernier bonheur vous m’élevez moi-même.
HÉLÈNE.
Déportez-vous enfin de ce cruel dessein,
Ou me portez vous-même un poignard dans le sein.
Ce traitement de vous sera plus supportable
Que l’outrageux mépris dont vous êtes coupable,
À cause qu’il me nuit vos soins officieux
À ce cœur irrité le rendent odieux,
Autrefois je l’ai vu sans mépris et sans haine,
Maintenant je méprise, et je hais Philoxène,
Et si cet insolent m’en vient entretenir,
De sa présomption je le saurai punir,
Et lui faire connaître.
PHALANTE.
Ah ! Madame.
HÉLÈNE.
Ah ! Phalante.
PHALANTE.
Doit-on pas secourir ?
HÉLÈNE.
Une Reine mourante.
PHALANTE.
Je fais ce que je dois.
HÉLÈNE.
Je fais ce que je puis.
PHALANTE.
Jugez de mon devoir.
HÉLÈNE.
Et voyez qui je suis.
PHALANTE.
Vous êtes en mérite en beauté, grande Reine,
Un chef-d’œuvre du ciel, mais j’aime Philoxène,
Et par ma propre mort je le dois secourir,
Sauvez-le par pitié.
HÉLÈNE.
Je ne puis sans mourir,
Et sans m’assassiner vous ne pouvez encore
M’entretenir de lui.
PHALANTE.
Madame il vous adore.
HÉLÈNE.
Et j’adore Phalante.
PHALANTE.
Il meurt.
HÉLÈNE.
Je meurs aussi.
PHALANTE.
Que fais-tu misérable ! éloigne-toi d’ici,
Ne persécute plus une Reine qui t’aime,
Ne perds point ton ami, ne te perds point toi-même.
Amant infortuné, malheureux confident,
Et sauve ta vertu d’un naufrage évident.
Elle rend les abois.
HÉLÈNE.
Enfin l’ingrat balance,
Amour en ma faveur témoigne ta puissance :
Fais grand Dieu quelque effort sur ce cœur endurci.
PHALANTE.
Je prends congé, Madame, et m’éloigne d’ici,
Pour regretter ailleurs ma mauvaise fortune,
Qui vous rend mon discours et ma vue importune.
Scène III
HÉLÈNE
Va cruel, va plus loin signaler ta rigueur,
Et sors de ma présence ainsi que de mon cœur,
Je ne veux plus aimer un ingrat qui me tue,
Contre ma passion ma vertu s’évertue,
Et me tirant enfin de mon aveuglement,
Fait céder mon amour à mon ressentiment,
Tes mépris insolents ont attiré ma haine,
J’ai vécu, je veux vivre, et veux mourir en Reine,
Et reprendre l’éclat de cette dignité
Que je déshonorais par une lâcheté.
Ce n’est qu’en ta faveur que je me suis trahie,
Parce que je t’aimais cruel, tu m’as haïe,
Recevant un amour avecque du mépris,
Qui de mille travaux devait être le prix :
Cent Princes mes voisins, dont la haute puissance
À cent peuples soumis sous leur obéissance,
Plus relevés que toi de mérite et de rang,
La voudraient acheter au prix de tout leur sang.
Je n’aimais rien que toi, tu m’as seul méprisée,
Je te donnais mon âme, et tu l’as refusée,
Estimant peu le bien qu’on t’avait présenté,
Parce qu’on te l’offrait sans l’avoir mérité :
Mais ne t’abuse plus monstre d’ingratitude,
J’ai brisé cette lâche et vile servitude,
Un moment m’a guérie, et mon cœur satisfait,
Pour réparer sa faute, abhorre qui le hait.
C’est par aveuglement que je fus embrasée,
Je te trouvais aimable, et j’étais abusée.
Ma raison qui revient fait voir à mon esprit,
Lui montrant tes défauts, l’erreur qui le surprit.
La connaissance enfin de mon âme t’efface,
L’aveuglement t’y mit, et la raison t’en chasse,
Te rendant odieux à cet esprit remis
Plus que le plus cruel de tous mes ennemis.
Faibles raisonnements dont je me fortifie,
Retirez-vous de moi, l’insolent m’en défie,
En vain votre secours me le rend odieux,
Et sitôt que l’ingrat revient devant mes yeux,
Quelque ressentiment dont je sois animée,
Faibles raisonnements vous allez en fumée.
Pardonne, cher Phalante, à ma témérité,
Crois que je me repens de l’avoir attenté,
Et si dans mon transport j’ai fait quelque blasphème,
Que mon ressentiment l’a fait contre moi-même.
Je t’aime tout cruel et tout méconnaissant,
Et cette vive ardeur que mon âme ressent,
Quelque excès de malheur dont elle soit suivie,
Ne trouvera de fin qu’en celle de ma vie.
En vain de ces dédains tu t’armes contre moi,
Ce cœur si maltraité n’a brûlé que pour toi,
Rien ne peut partager une âme toute entière,
Et sa première ardeur doit être la dernière.
Hélène, pauvre Hélène, à quoi te résous-tu ?
Songe à ce que tu fais, rappelle ta vertu,
Et par des actions fatales à ta gloire
Ne déshonore point une illustre mémoire,
Reviens à ton devoir, songe à ce que tu fus,
Ah ! raison, ah ! devoir, ne m’importunez plus,
De vos faibles conseils mon âme est incapable,
Et pour vous écouter Phalante est trop aimable.
Je l’aime, ma raison, et je le veux aimer,
Enfin c’est un bûcher qui me doit consommer :
C’est un feu qui me plaît, et je serais marrie
Si du mal qu’il me fait mon âme était guérie.
Scène IV
PHILOXÈNE, AMINTE, HÉLÈNE
PHILOXÈNE.
Que fait la Reine, Aminte ?
AMINTE.
Elle est triste.
PHILOXÈNE.
Et de quoi.
HÉLÈNE.
Ah ! que mal à propos l’importun vient à moi,
Je lui montrerai bien qu’il déplaît à la Reine,
Et du mal qu’il me fait il portera la peine.
PHILOXÈNE.
Puis-je bien approcher de votre Majesté,
Et divertir ses soins sans importunité ?
Quelque nouveau chagrin paraît sur son visage,
Plût aux Dieux que je pusse en tirer avantage,
Et que cette douleur dont je sens la moitié,
Fut dans votre belle âme un effet de pitié.
HÉLÈNE.
C’est plutôt un effet de colère et de haine,
Souvenez vous enfin que je suis votre Reine,
Et que vous déportant de vos soins superflus,
Vous devez vous connaître, et ne me fâcher plus.
PHILOXÈNE.
Bien que je me connaisse, et que dans votre estime
Ma passion aveugle ait passé pour un crime,
Je ne suis pas sorti des termes du devoir,
Et si votre bonté m’en donne le pouvoir,
Je vous dirai Madame avec quelque licence,
Que cette passion ne vous fait point d’offense.
Bien que je sois sujet, on sait assez mon rang,
Que parmi vos vassaux je suis prince du sang.
Qu’autrefois mes aïeux ont porté la couronne,
Et qu’en me regardant je ne connais personne
De ceux que la naissance a mis sous votre loi,
Qui de sang et de biens ne soit plus bas que moi.
Mais ce n’est point par là que mon cœur se propose
De pouvoir près de vous mériter quelque chose,
Mon amour seulement m’a donné cet espoir,
Et depuis que je sers par un double devoir,
Dans une passion si sainte et si fidèle,
Je vous ai témoigné tant d’ardeur et de zèle.
Et sans en murmurer j’ai tant souffert pour vous,
Que j’ai cru mériter un traitement plus doux,
Accordez-le, Madame, à ma persévérance :
Et donnez par pitié.
HÉLÈNE.
Perdez-en l’espérance.
Et si par mes bontés vous en avez conçu,
Croyez que jusqu’ici vous vous êtes déçu,
Si c’est par des devoirs que votre amour espère,
Sachez qu’il n’a rien fait que vous ne dussiez faire,
Que je souffre vos soins, mais que je les reçois,
Non pas comme il vous plaît, mais comme je le dois :
Ne parlez donc jamais d’une amour qui m’offense,
Et si vous osez plus enfreindre ma défense,
Soyez très assuré que je vous ferai voir
Et quelle est votre faute, et quel est mon pouvoir.
PHILOXÈNE.
Votre pouvoir est grand, et ma faute est plus grande ;
Mais si pour l’expier, c’est mon sang qu’on demande,
J’épargnerai la peine à votre Majesté,
De me faire punir de ma témérité.
Cent fois en vous servant on me l’a vu répandre,
Et puisque cet arrêt me le fait trop comprendre,
Et que dans vos discours je vois votre désir,
Mon âme obéissante y court avec plaisir,
Je quitte sans regret une vie importune,
Ma perte seulement établit ma fortune,
Et je meurs trop heureux puisque dans mon trépas
Je vous rends un devoir qui ne vous déplaît pas :
Pour le moins ce bonheur dont ma mort est suivie,
M’est plus avantageux que tous ceux de ma vie,
Vivant je vous déplus, je vous plais en mourant,
Et je vous rends encore un service assez grand,
Puisque par mon trépas j’assure les délices,
De celui qui reçoit le prix de mes services :
Je porte le respect dans une extrémité,
Où par vos traitements je suis précipité,
Et mon ressentiment me force de vous dire
Qu’un autre plus heureux a ce que je désire :
Et malgré mon amour, ma constance et ma foi,
Emporte le beau prix qui n’était dû qu’à moi.
HÉLÈNE.
Osez-vous me parler avec tant d’insolence ?
Sortez audacieux, sortez de ma présence,
Et n’importunez plus un esprit irrité,
Qui punirait enfin votre témérité :
Mais sachez pour borner votre inutile attente,
Que vos soupçons sont vrais, que j’adore Phalante,
Et que vous auriez eu des traitements plus doux,
En me parlant pour lui comme il parle pour vous.
PHILOXÈNE.
Phalante, ah ! le perfide.
HÉLÈNE.
Évitez ma colère,
Et si votre fureur vous porte à lui déplaire,
Sachez que je l’appuie, et que j’ai le pouvoir
De punir un sujet qui sort de son devoir.
ACTE IV
Scène première
CLÉOMÈDE, ARATE, TIMANDRE, HÉLÈNE
CLÉOMÈDE.
Enfin ce sont les vœux de toute la province,
Vos fidèles sujets vous demandent un prince,
Et d’un commun accord vous prient par ma voix,
De faire vivre en vous la race de nos Rois.
Ce n’est pas qu’en effet le peuple et la noblesse
Trouvent en votre règne aucun trait de faiblesse,
Et que l’on n’y remarque avec étonnement
Les plus heureux succès d’un bon gouvernement :
On ne régna jamais avec plus de justice,
Et jamais Souverain ne maintint sa police
Avec plus de prudence, et plus d’autorité,
Qu’on la voit maintenir à votre Majesté :
Depuis le bon succès de nos dernières guerres,
Vous avez établi le repos dans vos terres,
Et par une honorable et glorieuse paix,
Vous leur avez donné le calme pour jamais.
Tout le monde l’admire en ce sexe, en cet âge,
Et toutes ces raisons m’animent davantage,
À vous importuner et vous prier pour tous
De nous donner un jour des rois sortis de vous.
ARATE.
De vos prédécesseurs la récente mémoire
Vit encor dans nos cœurs avecque tant de gloire,
Et laisse dans Corinthe un si beau souvenir,
Que la suite des ans ne le saurait bannir :
Le feu Roi votre père, et tous vos bons ancêtres,
Que ce Royaume illustre a connu pour ses Maîtres,
Bien qu’ils soient morts pour nous ont laissé désormais
Un amour parmi nous qui ne mourra jamais.
Ce sacré souvenir, Madame, vous oblige
À conserver en vous le reste d’une tige,
De qui le sang illustre à la postérité
À régné parmi nous avec tant de bonté.
Considérez les vœux d’un peuple qui désire,
Qu’à jamais votre sang gouverne cet Empire,
Et qui ne verra point sans mourir mille fois,
Au trône héréditaire élever d’autres Rois.
TIMANDRE.
Lorsque par un mari vous serez soulagée,
De ce pesant fardeau, votre âme dégagée,
Dans un calme profond goûtera le repos,
Qu’un soin continuel lui trouble à tout propos,
D’un peuple satisfait vous serez révérée,
Et d’un prince obligé vous serez adorée :
Qui trouvant à vos pieds un empire plus doux,
Y mettra le bandeau qu’il recevra de vous.
Vous donnerez un Roi de qui vous serez Reine,
Il vous reconnaîtra comme sa Souveraine :
Et conservant le rang et l’état d’aujourd’hui,
Plus que sur vos sujets vous régnerez sur lui.
HÉLÈNE.
J’approuve vos souhaits, et vous veux satisfaire,
Mais assez d’importance est jointe à cette affaire,
Pour vouloir qu’on y songe encore un peu de temps,
Adieu, dans peu de jours je vous rendrai contents.
TIMANDRE.
Dieux ! rendez son dessein tel que je le désire.
Scène II
HÉLÈNE, TIMANDRE
HÉLÈNE.
Timandre demeurez, j’ai deux mots à vous dire.
TIMANDRE.
Quel espoir pour mon fils cache tes sentiments,
Voulez-vous m’honorer de vos commandements ?
HÉLÈNE.
Je vous veux avertir de la haute insolence
De votre Philoxène.
TIMANDRE.
Ô Dieux !
HÉLÈNE.
Son imprudence
N’a pas craint aujourd’hui de me désobliger :
Mais sans votre respect je m’en saurais venger.
C’est vous seul que j’estime et que je considère,
Et la faute du fils je la pardonne au père,
Sans crainte et sans respect, l’insolent à mes yeux
À menacé Phalante, a fait le furieux,
Et m’a fait, l’imprudent, un reproche à moi-même,
Que j’ai souffert de lui parce que je vous aime.
TIMANDRE.
Il a tort de déplaire à votre Majesté,
Mais dans le désespoir où vous l’avez jeté,
Par les cruels effets d’une rigueur extrême,
Il ne reconnaît plus son devoir ni soi-même :
L’aveuglé dans l’état où vous l’avez réduit,
Recevra mes leçons avec fort peu de fruit :
Et ne recouvrera sa sagesse première
Qu’au funeste moment qu’il perdra la lumière.
Hélas ! qu’ai-je commis dans un gouvernement,
Où j’ai considéré votre bien seulement ?
Qu’ai-je fait contre vous pour plonger ma vieillesse
Dans une si sensible et mortelle tristesse,
Pour me priver d’un fils dont l’appui m’est si doux,
Et de qui tout le crime est de mourir pour vous ?
Un feu plein de respect le rend-il si coupable ?
Pèche-t-il d’adorer un sujet adorable ?
Et sa condition le met-elle si bas,
Que sa présomption soit digne du trépas ?
Ah ! vous connaissez mieux son rang et sa naissance,
L’amour d’un tel sujet ne vous fait point d’offense.
Et même le feu Roi dans votre âge plus bas,
En vis les fondements qu’il ne condamna pas.
On ne peut mépriser son sang ni sa personne,
Et son défaut enfin n’est que d’une couronne.
HÉLÈNE.
Timandre c’est assez, ce discours me déplaît,
Et je le hais tout Prince et tout brave qu’il est :
Sa dernière action, et sa haute insolence,
M’ont assez témoigné qu’il perd la connaissance :
Mais s’il ne se remet dans son premier devoir,
Quelque Prince qu’il soit, il verra mon pouvoir.
Devant moi l’orgueilleux a menacé Phalante,
Vous savez son caprice et son humeur bouillante,
Gardez qu’il ne s’attaque à ce Prince étranger
Puisque je le protège, et le saurai venger.
Scène III
PHILOXÈNE
Reste d’une amitié, que le traître a blessée,
Vains restes d’amitié, sortez de ma pensée,
Et ne tourmentez point, souvenirs superflus,
Un cœur désespéré qui ne vous connaît plus.
Malheureuse amitié dans nos âmes éteintes,
Va retrouver Phalante, et lui faire ta plainte,
Ce traître le premier a violé sa foi,
Et je suis le dernier qui pèche contre toi,
Quitte donc pour jamais une âme désolée,
Et ne l’accuse point de t’avoir violée,
Cet esprit innocent ne se sent point touché
Par le moindre remords d’un semblable péché,
Et pour te témoigner comme il te fut fidèle,
Amitié violée il prendra ta querelle :
Il perdra la lumière, ou punira l’ingrat,
Qui de tes saintes lois a fait si peu d’état,
Et sans craindre l’horreur dont sa faute est suivie,
T’a le premier enfreinte aux dépens de ma vie.
Monstre d’ingratitude et d’infidélité,
Regarde en quel état tu m’as précipité ?
Regarde déloyal de combien de supplices
Ou de combien de morts tu payes mes services ?
Mais ne te vante pas, monstre de cruauté,
De m’arracher la vie avec impunité :
Perfide en quelque endroit que le Soleil t’éclaire,
Rien ne te peut ravir à ma juste colère :
Cherche pour ton salut cent asiles divers,
Ou monte dans les cieux, ou descends aux enfers.
Le ciel, ni les enfers, ni la terre, ni l’onde,
Te dussent-ils cacher aux yeux de tout le monde,
Ne te sauraient cacher à mon juste courroux ;
J’arracherai ce cœur percé de mille coups,
Et goûtant dans sa vue une dernière joie,
Je mourrai satisfait, pourvu que je le voie.
Que je puisse à ce cœur noirci de lâchetés,
Reprocher en mourant ses infidélités.
Et laver dans ton sang la faute que j’ai faite,
D’honorer un ingrat d’une amitié parfaite.
Scène IV
PHALANTE, ARBANTE, PHILOXÈNE
PHALANTE.
Laissez-moi seul, Arbante !
PHILOXÈNE.
Ô grands Dieux je le vois.
ARBANTE.
Je vous suivrai, Seigneur.
PHALANTE.
Arbante laisse-moi.
PHILOXÈNE.
Il faut mourir perfide.
PHALANTE.
Ô Dieux !
PHILOXÈNE.
Défends-toi traître,
Cette confusion que tu me fais paraître,
Est un effet léger du remords que tu sens,
Mais il en faut mourir.
PHALANTE.
Êtes-vous hors du sens
Ami ?
PHILOXÈNE.
Quitte ce nom que ton crime viole,
Homme sans cœur, sans foi, sans honneur, sans parole,
Ce nom ne t’est plus dû.
PHALANTE.
Bons Dieux ! je suis confus,
Philoxène, deux mots, ne me connais-tu plus ?
PHILOXÈNE.
Oui je te connais trop, et cette connaissance
Arme ce bras vengeur.
PHALANTE.
Contre mon innocence.
PHILOXÈNE.
Ton innocence traître, ah ! c’est être innocent,
De violer sa foi, de trahir un absent,
Et d’ôter lâchement par haine ou par envie,
À son meilleur ami le repos et la vie ;
C’est là ton innocence, et c’est trop discourir,
Résous-toi déloyal à tuer ou mourir.
PHALANTE.
À mourir je suis prêt, mais ce danger extrême
Ne m’armera jamais contre un autre moi-même,
Et tu verras ce fer se tourner contre moi,
Plutôt que ton ami s’en serve contre toi.
Mon amitié persiste inviolable et sainte,
Bien que ton action ne l’ait que trop enfreinte,
Et que ce traitement soit bien rude pour moi,
Mais souffrant d’un ami je fais ce que je dois :
Et puisque de mon sang ton âme est altérée,
Ta vengeance déjà n’est que trop différée.
Et tu peux sans obstacle achever ton dessein,
Puisque pour t’y servir je te tendrai le sein.
Frappe cet estomac, perce ce cœur perfide,
Crois que mon amitié t’absout d’un parricide,
Et que malgré l’erreur qui te rend inhumain,
Je ne mourrai jamais d’une plus chère main :
Mais avant qu’en ma mort ton cœur se satisfasse,
Accorde pour le moins cette dernière grâce
Au souvenir d’un bien de ton âme effacé,
De ne me cacher plus en quoi t’ai-je offensé,
Et si c’est quelque erreur où ton âme demeure.
PHILOXÈNE.
Oui, perfide il est juste, et devant que je meure,
Je te veux reprocher une infidélité
Qui te rend détestable à la postérité,
Je t’avais donc fié le secret de ma flamme,
À toi seul, déloyal, j’avais ouvert mon âme,
Pour trahir ma franchise, et rechercher pour toi
Un bien que tu feignais de souhaiter pour moi :
C’était donc l’amitié que tu m’avais promise,
C’est ce que ta bonté rendait à ma franchise,
Et ce que tu devais à toute ma maison,
Se devait donc payer par cette trahison ?
Tu t’acquittais, ingrat, en m’enlevant Hélène,
Et portant mille morts.
PHALANTE.
C’est assez Philoxène,
Je t’entends, mais les Dieux, juges de tous mes soins,
Sont de mon procéder véritables témoins :
Que leur courroux éclate, et que d’un coup de foudre
À cette heure à tes yeux ils me mettent en poudre,
Si je ne t’ai servi dans cette occasion
Avec plus de franchise et plus d’affection
Que jamais un ami.
PHILOXÈNE.
Je n’en suis plus en doute,
Cherche pour t’excuser un autre qui t’écoute,
Défends-toi seulement : quoi tu manques de cœur ?
Ah ! lâche défends-toi, je te perdrai d’honneur,
Et faisant à ta gloire une éternelle tache,
Je publierai partout.
PHALANTE.
Ah ! je ne suis point lâche,
Tu le sais Philoxène, et tu m’as vu souvent
Dans de plus grands périls engagé trop avant,
Pour conserver de moi cette indigne créance.
Si d’autres me faisaient une semblable offense
Je la repousserais au lieu de m’excuser,
Tu le devrais connaître au lieu d’en abuser,
Et dans un procéder qui te doit satisfaire,
Voir que je fais pour toi plus que je ne dois faire.
PHILOXÈNE.
Tu dois mourir perfide, ah ! c’est trop écouter,
Après des trahisons dont je ne puis douter :
J’en suis trop bien instruit, mets toi donc en défense,
Et témoigne à ta mort un peu de résistance,
Bien que ma main résiste et s’arme contre toi,
Sache que tous les coups s’adresseront à moi :
Et que tu me contraints de tirer une épée
Que dans mon propre sang j’eusse plutôt trempée.
PHALANTE.
Les Dieux me sont témoins que j’ai souffert de toi
Plus que tu n’espérais et plus que je ne dois,
Et que sans ressentir une douleur extrême
Je ne puis me porter contre un homme que j’aime :
Mais puis qu’il faut venir à cette extrémité,
Cherchons pour t’assouvir un lieu plus écarté,
On nous peut découvrir du quartier de la Reine,
Ce bois est plus commode, entrons-y Philoxène.
Scène V
TIMANDRE, ARBANTE, CLÉOMÈDE
TIMANDRE.
Dieux ! que mon fils est prompt, et que sa folle humeur
À ses meilleurs amis va causer de douleur !
Dans les bouillants transports d’une aveugle colère,
Il n’écoute raison, ni conseil, ni prière.
Et suit de sa fureur l’aveugle mouvement :
Ô jeune homme insensé !
CLÉOMÈDE.
Courons-y promptement,
Ici la diligence est assez importante,
Arbante en quel endroit as-tu laissé Phalante ?
ARBANTE.
Presque en ce même lieu, mais à mon grand regret,
Lisant dans son visage un déplaisir secret,
Que ses yeux et son teint ne font que trop paraître,
J’ai bien vu Philoxène approcher de mon maître.
CLÉOMÈDE.
N’as-tu rien entendu ?
ARBANTE.
J’étais trop éloigné,
Et mon maître en partant ne m’a rien témoigné
Qui me fit redouter de les laisser ensemble,
Étant si bons amis, je croyais.
TIMANDRE.
Dieux je tremble !
Courons, ah ! que je crains que ce ne soit trop tard,
Grands Dieux ! guidez mes pas.
CLÉOMÈDE.
Courez d’une autre part.
Scène VI
PHILOXÈNE, PHALANTE
PHILOXÈNE, blessé à mort et tombant.
La justice des Dieux en ta faveur éclate,
Et leur courroux enfin punit une âme ingrate.
PHALANTE.
Philoxène.
PHILOXÈNE.
Je meurs, et ma témérité
Reçoit enfin le prix qu’elle avait mérité ;
Je meurs, mais d’une mort qui n’est pas assez rude
Pour punir cet ingrat de son ingratitude.
PHALANTE.
Hélas ! je reculais et je parois tes coups,
Et toi seul transporté d’un trop bouillant courroux,
Méprisant une épée à son maître infidèle,
Tu t’es précipité dans sa pointe mortelle.
PHILOXÈNE.
Phalante, les Dieux seuls m’ont mis en cet état,
Mais si tu peux encore écouter un ingrat,
Et si le souvenir d’une amitié passée
Me peut encor laisser un lieu dans ta pensée,
Pardonne, cher Phalante, à mon ressentiment,
Je reconnais mon crime et mon aveuglement,
J’eus tort de soupçonner une vertu si haute,
Mais puisque je reçois la peine de ma faute,
Et lave de mon sang le mal que j’ai commis,
Souffre qu’à mon trépas nous demeurions amis,
Et que rien ne sépare une amitié si sainte,
Je l’ai par mon erreur indignement enfreinte,
Mais crois s’il m’est permis après ce que j’ai fait,
Que mourant ton ami, je mourrai satisfait.
PHALANTE.
Quelque vive douleur que mon visage exprime,
N’espère point de moi que j’excuse mon crime,
Et que par ma douleur ou par quelque raison
J’implore ta bonté pour avoir un pardon.
Je connais trop ma faute, et cette main barbare
À fait une action qu’il faut qu’elle répare.
Elle a versé ton sang et demande le mien,
L’amitié qui joignit mon cœur avec le tien
De liens éternels nos deux âmes assemble,
Et veut qu’après la mort nous demeurions ensemble.
Je répare mon crime et suis son mouvement,
L’un et l’autre se peut par ma mort seulement.
J’embrasse donc la mort, et je ne la diffère,
Que par la volonté de te mieux satisfaire :
Écoute donc ami, si ce nom m’est permis,
Après l’assassinat que ma main a commis,
Écoute Philoxène, écoute ma prière,
Et crois que sans regret je perdrai la lumière,
Si j’obtiens en mourant cette grâce de toi,
Crois que jamais ce cœur ne t’a manqué de foi,
Et que je veux souffrir les peines éternelles
Qui gênent aux enfers les âmes criminelles,
Si je n’ai fait pour toi dans ma commission
Tout ce que ma promesse et ton affection
Ont jamais demandé d’une amitié parfaite.
PHILOXÈNE.
Hélas ! de ce côté mon âme est satisfaite,
Vous n’avez que trop fait, mais puisque par pitié
Vous me gardez encor cette entière amitié,
Qui si peu méritée et si mal reconnue
Dans l’offense et le sang s’est toujours maintenue,
Ne me refusez point pour mon soulagement
Ma dernière requête à mon dernier moment :
Je ne puis plus douter qu’Hélène ne vous aime,
Je le savais d’ailleurs et l’ai su d’elle-même.
Vous la savez aussi, quoique votre vertu
Pour un indigne ami contre elle ait combattu.
Vivez pour la servir, puisque les destinées
Tranchent pour son repos le cours de mes années,
Faites lui désormais un traitement plus doux,
Vous êtes digne d’elle, elle est digne de vous,
Et j’étais criminel en mettant quelque obstacle.
Scène VII
ARBANTE, CLÉOMÈDE, TIMANDRE, PHALANTE, PHILOXÈNE
ARBANTE.
Nous arrivons trop tard.
CLÉOMÈDE.
Dieux, le triste spectacle !
TIMANDRE.
Achève, achève ingrat, après ta trahison,
Et te souille du sang de toute ma maison,
Meurs ou me fais mourir.
PHALANTE.
Il est juste Timandre.
Voici, voici le sang que vous devez répandre,
Je suis ce déloyal, ce cruel, cet ingrat,
Qui survis lâchement à cet assassinat,
J’ai trahi votre fils, et l’ai privé de vie,
Ne différez donc plus d’accomplir votre envie.
Regardez votre fils, vengez-le, vengez-vous,
Percez, percez ce cœur indigne de vos coups,
Vous qui vous opposez à sa juste colère,
Pourquoi retenez-vous les mouvements d’un père.
Retirez-vous Arbante.
PHILOXÈNE.
Ah ! mon père, deux mots,
Et si vous désirez que je meure en repos,
Ayez plus de respect pour un autre moi-même,
Traités mieux mon ami.
TIMANDRE.
Quoi, tu veux que je l’aime,
Celui qui de ton sang rougit indignement,
Ce meurtrier de mon fils.
PHILOXÈNE.
Ah ! je meurs doublement.
TIMANDRE.
Ce monstre, ce cruel.
PHALANTE.
Encore plus Timandre,
Ce traître, ce bourreau.
PHILOXÈNE.
Me voulez-vous entendre
Mon Père ? par ce nom et si cher et si doux,
Par l a clarté du jour que je reçus de vous,
Et qui dans un moment me doit être ravie
Dans les bras de celui de qui je tiens la vie,
Aimez, aimez Phalante, autant ou plus que moi,
C’est un ami sans tache.
PHALANTE.
Il t’a manqué de foi,
T’a trahi, t’a tué.
PHILOXÈNE.
Ce désespoir m’offense.
PHALANTE.
Non, non, si ce discours retarde sa vengeance,
S’il a si peu de cœur et si peu d’amitié,
Que d’épargner un traître indigne de pitié,
Je supplée au défaut d’un Père impitoyable,
Cette main qui me reste en est déjà capable,
M’ayant peu de ma vie enlever la moitié
Penses-tu que pour l’autre elle ait plus de pitié ?
TIMANDRE.
Ah ! mon fils, seul appui d’une faible vieillesse,
Seul espoir de mes jours, crois-tu que je te laisse ?
CLÉOMÈDE.
Il n’est plus temps de plaindre, il le faut secourir,
Emportons-le chez vous, il peut encor guérir.
Arbante assistez-nous.
PHALANTE.
Ô pitoyable office,
Hélas avec quel cœur te rends-je ce service !
Cher et noble fardeau d’un malheureux ami
Dans ce reste d’espoir dois-je vivre à demi ?
ACTE V
Scène première
PHALANTE, seul
Esprit d’un cher ami que ma main meurtrière,
Pour me priver de vie, a privé de lumière,
Belle ombre qui là bas errante sans souci,
Es exempte des maux que je ressens ici,
Si des restes d’amour t’ont défendu de boire
L’onde qui pour jamais enlève la mémoire,
Lève les yeux ami pour voir le triste état
Où l’horreur de son crime a réduit cet ingrat,
Vois ce profond silence, et vois quelles ténèbres
Accompagnent mon deuil et mes devoirs funèbres,
Ici tout retiré de la Cour et du bruit,
Je me couvre avec toi d’une éternelle nuit,
Et fuyant la clarté que ma main t’a ravie,
Je traîne à ton cercueil une mourante vie,
Jusqu’à ce que mon deuil en retranche le cours,
Et que je te rejoigne au dernier de mes jours :
Regrets, justes regrets, repentirs légitimes,
Ah ! que vous êtes lents à la peine des crimes,
Que vous m’êtes cruels me paraissant si doux,
Et que vous différez ce que j’attends de vous :
Mais tu souffres encor remords lent, remords lâche,
Qu’une autre passion à mon âme s’attache,
Et que dans les tombeaux, le silence, et l’horreur,
L’amour se mêle encore avecque la douleur,
Hélas dans un cercueil où mon ami m’appelle,
Ne me tourmente plus passion criminelle !
Fais place à ma douleur, fais place à ma raison,
Amour, ingrate amour, tu n’es plus de saison,
Ce n’est point dans ces lieux solitaires et sombres,
Le siège de la mort, et le séjour des ombres,
Où tant de passions tyrannisent mon cœur,
Que tu cherches un trône environné d’horreur :
Ici le désespoir s’établit et te chasse,
La terreur, le remords ont occupé ta place,
Et te laissant choisir des Empires meilleurs,
Ils te disent Amour que tu règnes ailleurs.
Miracle de beauté, Princesse infortunée,
Que je pleure ton sort, pleurant ma destinée,
Et que je ressens bien que le Ciel fut cruel
D’embraser nos deux cœurs d’un amour mutuel,
Et par la sympathie exciter dans nos âmes
De pareils mouvements et de pareilles flammes :
S’il n’allumait en nous ce funeste flambeau,
Que pour en éclairer ta perte et mon tombeau,
Donc pour paraître ami jusques dans la mort même,
Il faut que je te fuie encore que je t’aime,
Et qu’abhorrant mon bien et ton contentement
Je face le cruel contre mon sentiment.
Faudrait-il quand le ciel n’aurait mis dans mon âme
Pour un si digne objet une si belle flamme,
Que je parusse ingrat aux bonnes volontés
Dont tu m’as soulagé dans mes adversités ?
Tu m’offres tes États, tu m’offres ta Couronne,
Et ce qui m’est plus cher, tu m’offres ta personne.
Et ne dédaignant point de te donner à moi,
Tu faits de ton captif ton époux et ton Roi.
Cependant pour le prix d’une bonté si rare,
Je suis ingrat, cruel, inhumain et barbare,
Et malgré mon amour, et la civilité,
Je te traite, ma Reine, avec indignité,
J’ai si mal satisfait ta dernière visite
Et mes discours glacez t’ont si fort interdite,
Que demeurant confus de ton soudain départ,
J’ai lu ton désespoir dans ton dernier regard.
Malgré toi tes beaux yeux ont versé quelques larmes,
Et ce Tigre l’a vu sans mettre bas les armes.
Cette âme de rocher, ce courage endurci,
À vu couler tes pleurs sans en répandre aussi.
Ah ! Phalante, c’est trop, il est temps de se rendre,
Désormais ta valeur n’est plus à te défendre,
Ton amour jusqu’ici cède à ton amitié,
Bien résiste à l’amour, mais cède à la pitié.
Oui, sauve par pitié cette adorable Reine,
Tu le peux désormais sans nuire à Philoxène,
Tu le peux désormais sans troubler son repos,
Même s’il t’en souvient ce sont ses derniers mots,
Et cet ami fidèle en perdant la lumière,
En te disant adieu, t’a fait cette prière.
Contente ton devoir, contente ton ami,
Et puisqu’il l’a voulu, vis pour Hélène, vis,
Ton ami te l’ordonne il faut l’aimer et vivre ;
Ô lâche mouvement, meurs plutôt pour le suivre,
Philoxène n’est plus, mais tu l’as fait mourir,
Fuis le jour, fuis la honte, et songe à te guérir.
Quoi tu pourras souffrir que tout le monde dise
Que Phalante est heureux par une perfidie ?
Qu’il jouit de son crime et qu’il perça le sein
À son meilleur ami pour ce lâche dessein.
Pardon, cher Philoxène, âme illustre, âme chère,
D’un indigne penser je te veux satisfaire,
Il est comme un éclair dans mon âme passé
Il se formait à peine et tu l’as effacé,
Mais je sais qu’il t’offense et mérite ta haine.
Scène II
ARBANTE, PHALANTE, AMINTE
ARBANTE.
Aminte vous vient voir de la part de la Reine.
PHALANTE.
Cruel redoublement à mes vives douleurs,
Reine pour qui je crains, Reine pour qui je meurs,
Quel soin te peut encor rester d’une âme ingrate.
AMINTE.
Encor ce mouvement de quelque espoir me flatte,
Il parle de la Reine, ô Dieux changez ce cœur !
PHALANTE.
Aminte quel dessein.
AMINTE.
Vous me voyez Seigneur
Par le commandement d’une Reine affligée.
PHALANTE.
Dieux, pourquoi par ma mort n’est-elle soulagée ?
Et je la souffrirais avec tant de plaisir.
AMINTE.
Seigneur dans ce papier vous verrez son désir.
Lettre d’Hélène à Phalante.
PHALANTE lit.
Si tout ce que j’ai fait n’a pu vous émouvoir,
Souffrez à mon trépas que je me satisfasse,
Et que vous demandant le bonheur de vous voir,
Pour la dernière fois j’obtienne cette grâce ;
Je n’attends plus que vous pour partir de ce lieu,
Que je ne puis quitter sans vous dire un adieu.
Phalante continue.
Il est juste, il est temps que la mort nous sépare,
Mais toute sa rigueur n’est que pour ce barbare,
Ma Reine, ton écrit m’enseigne mon devoir,
C’est le plus doux arrêt que j’en puis recevoir,
Allons dire un adieu qui finit ma disgrâce.
Il est juste, il est temps que je te satisfasse.
Scène III
ARATE, CLÉOMÈDE, HÉLÈNE, dans sa chambre assise sur son lit, venant de prendre du poison
ARATE.
Ah ! Madame, voyez nos sensibles regrets,
Hélas ! Que vous ont fait vos fidèles sujets,
Qui vous puisse obliger par un excès de haine
À les faire mourir dans la mort de leur Reine ?
Oui Madame mourir, votre Empire est si doux,
Que ce Royaume entier doit périr avec vous :
Et quand par cette mort vous leur serez ravie,
Ce coup enlèvera leur repos et leur vie.
C’est ce qu’à leurs souhaits vous aviez donc promis,
C’est le sanglant arrêt que vous aviez remis,
Et vos rigueurs, Madame, à leur douce semonce
Destinaient cette ingrate et cruelle réponse.
Hélas ! considérez à quelle extrémité
Vous nous réduisez tous par cette cruauté,
Et si vous dédaignez un peuple qui vous aime,
Considérez quel tort vous faites à vous même,
Combien on blâmera ce dessein furieux,
Combien ce désespoir irritera les Dieux.
Et de quelle importance est une telle injure,
Et contre les grands Dieux et contre la Nature.
CLÉOMÈDE.
Détruirez-vous ainsi leur chef-d’œuvre plus beau,
Et par vos propres mains mettrez-vous au tombeau
La plus grande, plus juste, et plus belle personne,
Qui parmi les mortels ait porté la couronne.
Madame, par pitié songez encore à vous,
Vos fidèles sujets vous en conjurent tous.
Ah ! ne refusez plus leur prière et leur aide,
On peut encore au mal donner quelque remède,
Peut être ce poison n’est pas si violent
Qu’on n’y puisse apporter.
HÉLÈNE.
Hélas ! il est trop lent,
Et le cruel servant mon ingrate fortune,
Laisse par trop durer une vie importune :
Mais bien qu’il soit si lent à servir ma douleur,
Je sens bien mes amis qu’il approche du cœur,
Qu’il gagne cette noble et dernière partie,
Et que déjà mon âme est prés de sa sortie.
Ne répandez donc plus tant d’inutiles pleurs,
Et ne me donnez point par vos vives douleurs
Celle de vous quitter, et cette preuve insigne
D’une fidélité dont je me sens indigne,
Ne me regrettez point trop fidèles sujets,
Ma dernière action condamne vos regrets,
Et par des lâchetés dont le remords m’accable,
Du rang que j’ai tenu, je me rends incapable :
Celle qui du devoir a fait si peu d’état,
Et qui s’est abaissée à prier un ingrat,
Soumettant à ses pieds son sceptre et sa personne,
Est indigne à jamais de porter la Couronne,
Et de régner encor sur des gens comme vous,
Après des lâchetés qui les offensent tous.
Ceste seule raison m’a sans doute poussée
À venger par ma mort ma dignité blessée,
Et satisfaire ainsi mon peuple et mon devoir,
Plutôt par la raison que par le désespoir.
Ce n’est point mes amis une amour qui me porte
À donner de mon deuil une preuve si forte,
Si je mourais pour lui, l’ingrat serait trop vain,
Et j’ai dans mon trépas un plus juste dessein,
Je meurs pour me donner la peine qui m’est due,
Et ne survivre point à ma gloire perdue.
Heureuse en mon trépas, si de votre penser
La cause de ma mort se pouvait effacer,
Et s’il peut parmi vous sauver la renommée
De celle qu’autrefois vous avez tant aimée,
J’ai voulu mes amis vous voir tous en ce lieu,
Pour vous en supplier, et pour vous dire adieu.
Veuillent les immortels élever à ma place
Un Roi digne de vous, et qui vous satisfasse
Par sa protection et par mille bienfaits
Autant que mon malheur vous a peu satisfaits.
ARATE.
Ah ! discours qui me blesse au plus vif de mon âme.
Scène IV
PHALANTE, HÉLÈNE, ARBANTE, CLÉONE, ARATE, CLÉOMÈDE, AMINTE
PHALANTE.
Quel étrange spectacle ?
CLÉONE.
Ah ! je meurs.
CLÉOMÈDE.
Ah ! Madame,
Vous pouvez-vous résoudre à nous quitter ainsi ?
Eh bien, nous vous suivrons.
HÉLÈNE.
Ô grands Dieux le voici.
Ah ! le cruel, mon cœur frémit à cette vue,
Et d’un objet si cher mon âme retenue,
Bien que cet inhumain la presse de partir,
S’arrête sur le bord toute preste à sortir.
Approchez- vous Phalante, et si dans votre haine
Vous êtes insensible aux malheurs d’une Reine,
Que votre cruauté met en ce triste état,
Par ce funeste objet soulez ce cœur ingrat.
Je vous ai fait sortir de ces demeures sombres,
Où vous vous occupez à l’entretien des ombres,
Pour donner à vos yeux un divertissement,
Qui doit à vos douleurs servir d’allègement,
Pour réparer ma faute et souler votre haine,
Je vais dans les enfers redire à Philoxène
Par quel trait de constance ou d’inhumanité,
Vous signalez encor votre fidélité,
Puisque par mon trépas je répare mon crime,
Et qu’il reçoit de vous une telle victime ;
S’il conserve pour nous quelque reste de foi
Il sera satisfait et de vous et de moi.
Pour vous, bien qu’il me reste un sujet assez ample,
D’accuser en mourant des rigueurs sans exemple,
Et qu’ayant mérité des traitements plus doux,
J’eusse quelque raison de me plaindre de vous,
Les Dieux me sont témoins que je vous vois sans haine,
Et que de mon erreur je vais souffrir la peine,
En demandant au Ciel pour dernières faveurs,
Qu’il face prospérer l’ingrat pour qui je meurs ;
Vivez dans le repos où ma mort vous fait vivre,
Les importunités dont elle vous délivre
Ne viendront plus troubler votre tranquillité,
Et n’ébranleront plus votre fidélité.
J’ai pris pour ce dessein un poison salutaire,
Qui doit laver ma faute, et vous doit satisfaire,
Vous faisant avouer que je meurs à propos,
Pour l’honneur qui me reste et pour votre repos.
Cependant si je puis après tant de prières
Croire que vos bontés exaucent les dernières,
Accordez-moi ce bien quelque amour qu’il ait eu
De croire que mon cœur adorait la vertu,
Et que jamais peut être une plus sainte flamme,
Ni de plus beaux desseins n’allumèrent une âme,
Si j’obtiens en mourant cette grâce de vous
Dans mon dernier moment mon sort sera plus doux,
Et mon âme aux enfers ira très satisfaite,
En ayant obtenu tout ce que je souhaite.
PHALANTE.
Esprit de mon ami plein d’amour et de foi,
Toi qui sais maintenant ce que j’ai fait pour toi,
Si de mes actions la dernière t’offense,
Pardonne à cette amour qui me fait violence,
Puisque ne l’avouant qu’à cette extrémité,
Ma mort va réparer mon infidélité.
Et vous Maître des Rois, divinités suprêmes,
Qui savez nos desseins beaucoup mieux que nous-mêmes,
Vous fûtes seuls témoins de mon affection,
Soyez-le aussi grands Dieux de ma confession,
Et lancés si je mens sur ma teste coupable
Ce que votre colère a de plus redoutable.
Chef-d’œuvre, le plus beau qui de la main des Dieux
Fut jamais envoyé pour briller à nos yeux,
Lumière de nos jours et que j’ai seul éteinte
Par une déplorable et cruelle contrainte,
Grande Reine l’amour de tout cet Univers,
Beauté que j’idolâtre et beauté que je perds,
Tournez de vos beaux yeux la lumière mourante,
Et voyez à vos pieds le désolé Phalante
Prêt à vous satisfaire avec ce même cœur,
Qui s’arma contre vous d’une fausse rigueur ;
Dans ces extrémités il n’est plus temps de feindre
L’état où je vous vois me permet de me plaindre,
Et de vous déclarer ce que ce cœur noirci,
À tout le monde entier a caché jusqu’ici.
Quoique ma passion cédât à ma contrainte,
Jamais âme ne fut si vivement atteinte,
Et ne brûla d’un feu si parfait et si beau
Que celui qui m’enflamme, et me guide au tombeau,
Bien qu’il souffrît pour vous d’une ardeur violente,
Philoxène lui-même aimait moins que Phalante,
Un mal qu’il découvrait était beaucoup plus doux,
Il vous aimait, Madame, et je mourais pour vous,
Les Dieux, les bois, les fleurs, et les choses sans âme
Ont été seulement confidents de ma flamme,
Et seulement aux Dieux, à des fleurs, à des bois
Ce cœur désespéré s’est ouvert mille fois,
Depuis le premier jour mon âme vous adore,
La passion qu’elle eut et qui lui reste encore,
Prévint l’affection que vous eûtes pour moi,
Mais avant mon amour j’avais donné ma foi.
Ma foi que mon malheur indignement viole,
Oui j’étais engagé d’honneur et de parole,
Et je devais servir jusqu’à l’extrémité,
Un ami vertueux : Je m’en suis acquitté,
Ou pour le moins j’ai fait ce que je pouvais faire,
Pour garder ma parole et pour le satisfaire.
Et j’ai pour le servir trahi mon sentiment,
Sacrifiant ma vie à son contentement,
Je l’ai dû, je l’ai fait, ô souvenir funeste !
Vous le savez Madame, et vous verrez le reste.
En vain pour mon ami j’ai fait ce que j’ai pu,
Vous verrez si pour vous j’ai fait ce que j’ai dû.
Mon malheur m’a rendu cruel à ce que j’aime,
Je l’ai perdu, vous perds, et me perdrai moi-même,
Ce coupable innocent a péché par malheur,
Son ami pardonna son crime à sa douleur.
Il vit son désespoir et crut son innocence,
Mais je dois autrement réparer mon offense.
Et vos bontés en vain me voudraient pardonner,
Puisque par tout mon sang je ne puis redonner
À Timandre son fils à ce peuple sa Reine,
Que je suis un objet d’horreur, d’effroi, de haine,
Et que moi seul, ô Dieux ! ai mis dans le tombeau,
Ce que pour moi la terre eut d’aimable et de beau.
J’ai perdu l’un et l’autre, et les veux satisfaire,
Vous peuple à qui j’enlève une Reine si chère,
Sujet infortuné de qui le deuil profond,
Comme il est dans vos cœurs se lit sur votre front,
En détestant l’ingrat qui vous l’aura ravie,
Considérez aussi les malheurs de sa vie.
Et vous ressouvenez que pour vous contenter
Vos yeux dessus ce fer l’ont vu précipiter,
Et que sa mort est douce en réparant son crime.
HÉLÈNE.
Ô réparation qui n’est plus légitime,
Ah ! Phalante.
ARBANTE.
Ah ! mon maître, ô malheur de mes jours !
Hélas ! assistez-moi.
PHALANTE.
J’abhorre ton secours.
HÉLÈNE.
Ah ! cruel à moi seule, et non pas à toi-même,
Qui te donnes la mort à cause que je t’aime,
Pour me perdre deux fois, faisant un double effort,
Et cruel dans ta vie, et cruel dans ta mort.
Achève, achève ingrat, et s’il te reste encore,
Un rayon de pitié pour celle qui t’adore,
Finis ton homicide et preste en ma faveur
Et ton fer et ta main pour en percer ce cœur,
C’est là qu’il faut donner la dernière blessure,
Et que tu dois percer ta vivante figure,
Ta dernière retraite est dans cette prison
Cherche toi la, cruel, et préviens le poison,
Il est lâche, il est lent, suppléons.
PHALANTE.
Ah ! Madame,
De grâce en ce moment où je vous rends une âme
Toute pleine de zèle et d’amour et de foi,
Ne me condamnez point, je fais ce que je dois,
Le plus juste regret dont ma mort est suivie,
C’est que pour m’acquitter je ne perds qu’une vie,
Et qu’ayant fait mourir ma Reine et mon ami,
Je ne puis en mourant les payer qu’à demi.
Je perds la voix, adieu recevez...
HÉLÈNE.
Ah ! Phalante.
ARBANTE.
Ah ! Seigneur.
HÉLÈNE.
Il est mort, et moi je suis vivante ;
Et l’effort du poison est si faible et si lent,
Pour me faire mourir d’un coup plus violent,
Bien que par ton moyen ma mort soit assurée,
Je te maudis cruel qui l’as tant différée,
Et qui par ton secours me pourrais garantir
Du regret qui me tue avant que de partir.
Ah ! je sens son approche, une mortelle glace
Gagne déjà mon cœur et l’âme qu’elle chasse,
Va rejoindre Phalante au partir de ce lieu,
Adieu mes chers amis ne pleurez plus, Adieu.