Paris à la campagne et la campagne à Paris (Charles FOLIGUET - Paul SIRAUDIN)
Vaudeville en deux actes.
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Folies-Dramatiques, le 20 août 1845.
Personnages
JOSEPH TRUCHELU, 25 ans
BUISSONNET, son cousin
MONSIEUR LAVERDURETTE, maire du village de Franconville, âgé de 45 ans
HECTOR, cousin d’Eugénie, 20 ans
FANFIGNOLE, paysan, 30 ans
GROSLAID, paysan, 22 ans
TROMBLON, concierge, 60 ans
EUGÉNIE, femme de Laverdurette, 18 ans
JEANNE, femme de Fanfignole, 25 ans
MARGOTTE, nièce de Fanfignole et filleule de Laverdurette, 16 ans
MADEMOISELLE CORDONNET, grisette, 20 ans
TROIS CRÉANCIERS
PAYSANS
PAYSANNES
Le premier acte se passe à Paris, et le second au village de Franconville.
ACTE I
Le théâtre représente la chambre ou loge Joseph Truchelu. Au fond, au milieu, une alcôve fermée avec des rideaux ; à côté de l’alcôve, une clarinette accrochée à la muraille. Dans les deux angles de la chambre, deuxième plan, une fenêtre donnant sur la rue, à droite ; la porte d’entrée à gauche. Premier plan, droite et gauche, deux portes de cabinet ; à droite, entre la porte et la fenêtre, une toilette ; tables, sièges, etc.
Scène première
TRUCHELU, seul
Au lever du rideau, la scène est vide ; on entend le son d’un ophicléide, puis peu à peu la voix de Truchelu.
Sapristi ! on ne peut donc pas dormir tranquille, dans ce quartier ?
Même jeu. On entend comme un homme qui saute en bas de son lit, puis on voit s’agiter les rideaux.
Tonnerre !...
Au même instant, on voit paraître, à travers les rideaux, la tête de Truchelu, coiffée d’un foulard.
Ce solo est déplacé... à cinq heures du matin... je m’en plaindrai au commissaire de police !...
Même jeu.
Encore !...
Il disparaît.
Attends !... attends !... voisin, je vais te donner de la symphonie...
On voit un bras qui décroche une clarinette pendue au mur près de l’alcôve ; puis on entend des sons discordants.
La pastourelle !...
L’ophicléide cesse.
Il cesse... Ah !... voyons... que je m’habille !... Où sont mes bottes ?... où sont mes bretelles ?...
Appelant.
Tromblon !... Tout s’égare donc, dans ce logement ?... Tromblon !...
Il sort de l’alcôve, en robe de chambre ; il a encore son foulard sur la tête.
Ce portier a l’oreille sourde comme une lanterne... et pourtant je ne demeure qu’au premier... sa loge est au-dessous !...
Il se regarde dans la glace.
Comme je suis pâle, ce matin !... j’ai la figure chiffonnée !... les suites de cette délicieuse soirée... où j’ai perdu 500 francs sur parole ?... Un billet de cinq cents francs... et je ne possède que la doublure de mon gilet... C’est ce matin que ce nouveau client doit se présenter... Ah ! je regrette de ne pas avoir inventé le Pérou !...
On entend de nouveau le son de l’ophicléide.
Ah !...
Il fait un saut.
encore l’ophicléide !... En avant ma clarinette !...
Il saisit sa clarinette et court à la fenêtre.
Tiens !... une jeune dame à la fenêtre !... elle salue !... Qui ?... Moi ?...
Étonné.
C’est moi !... Elle me souhaite le bonjour...
Il rend plusieurs saluts.
Entre voisins et voisines... je lui porterai ma carte... Ah ! mon Dieu ! une tête à moustache se dessine à sa gauche... Elle se retire confuse... Beau cavalier, ma foi !... Il me lance un regard inquiétant !. Ciel !...
Il ferme vivement la fenêtre.
Mon homme aux cinq cents francs !...
On frappe. Il ôte vivement son foulard et arrange ses cheveux.
Qui peut venir à cette heure ?
Scène II
TRUCHELU, TROMBLON
TROMBLON, entr’ouvrant la porte et passant la tête.
Êtes-vous levé, M. Truchelu ?
TRUCHELU.
Ah ! c’est vous ! portier ! Qu’est-ce que vous voulez ?
TROMBLON.
C’est des papiers qu’on vient d’apporter à l’instant !... Pressé ! qu’on m’a dit...
TRUCHELU, prenant les papiers.
Voyons !...
Il lit.
Mémoire du tailleur...Voilà la dixième fois qu’il me l’envoie, l’impertinent !... Il me force de prendre les rues désertes lorsque je sors... Pour douze cents malheureux francs !...
Regardant un autre papier.
Mémoire du cafetier !... Encore un drôle qui ne m’a donné que de la chicorée et de l’eau chaude pour huit cents francs... Avec ça, un billard de campagne... des blouses grandes... comme le parc aux huîtres...
Avec indignation.
Je ne passerai jamais devant sa porte !...
Même jeu.
Le bottier !... six cents francs...
Même jeu.
Le chapelier !...
Scandalisé.
Deux cents francs !... Mais cet homme abuse des zéros... Je ne lui ôterai jamais son chapeau !... Le traiteur... dix-huit cents francs... Mais je suis Ah ! la blanchisseuse !... Celle-là est jolie !... je passerai chez elle !...
Avec fatuité.
Allons ! je passerai chez elle !... je lui dois ça.
Air : Amis, jamais le chagrin ne m’approche.
Mes créanciers, que le diable confonde !
Me poursuivent, je ne sais où ;
Ils me feront aller au bout du monde,
Mais deviendrais-je empereur du Pérou,
Je le répète, ils n’auront pas un sou...
La blanchisseuse... Oh ! c’est une autre histoire !
Elle est sensible, et... je ne suis pas mal,
Pour la séduire, acquit sentimental !
Je mets mon cœur à la fin du mémoire,
Et fais un zéro du total ;
Je mets mon cœur à la fin du mémoire,
Et je lui flanque un zéro pour total.
Allez Tromblon...
TROMBLON, s’arrêtant en criant.
Ah ! j’oubliais... une lettre qui vient d’arriver... C’est quinze centimes...
TRUCHELU, lisant.
« Monsieur, vous êtes prié de passer à l’état-major-général, séant place du Carrousel, afin de prendre l’ordre nécessaire à votre incarcération dans la maison d’arrêt de la garde nationale... »
S’arrêtant.
Aux haricots...
TROMBLON, qui s’est encore fouillé, jette un nouveau cri.
Ah !...
TRUCHELU, faisant un saut.
Qu’est-ce que c’est encore ?
TROMBLON.
Une autre lettre que le facteur m’a remise hier soir...
TRUCHELU.
Mais cet homme est une poste aux lettres.
TROMBLON.
Je l’avais glissée là avec ma tabatière, pour ne pas l’oublier... C’est quinze centimes.
TRUCHELU.
On a donné ma nouvelle adresse à la moitié de Paris.
TROMBLON.
En tout... trente centimes...
TRUCHELU, lisant sans l’écouter.
Un jugement !...
Effrayé.
À l’amende de vingt francs pour avoir joué de l’ophicléide avant le jour... Mais ce n’est pas pour moi !...
Lisant l’adresse.
M. Truchelu, rue du Cygne, 6. Il y a erreur... je n’ai jamais soufflé dans le cuivre...
Criant.
Ah ! ce réveil-matin !... c’est mon réveil-matin !... l’entresol à ma gauche...
TROMBLON, criant, même jeu.
Ah !...
TRUCHELU, même jeu.
Quoi ? encore une lettre ?
TROMBLON.
C’est M. Laverdurette...
TRUCHELU.
Qui ça ? Laverdurette ?...
TROMBLON.
Un fourreur retiré... le maire du village de Franconville... qui a passé l’hiver dans ce logement, et que vous venez de remplacer...
TRUCHELU.
Bah ! Est-ce que ce serait ?
TROMBLON.
L’entresol à gauche.
TRUCHELU.
Où j’ai vu sa charmante fille en négligé ?...
TROMBLON.
Sa fille !... Je ne lui connais que sa femme !
TRUCHELU.
Sa femme ? Une jolie brune ?...
TROMBLON.
Eugénie...
TRUCHELU.
Eugénie ?... Qui m’a salué ?...
TROMBLON, même jeu.
C’est trente centimes...
TRUCHELU, de même.
Avec un gracieux sourire... Et l’autre !... qu’est-ce qu’il est donc ?... qu’est-ce qu’il fait donc dans la maison ?...
TROMBLON.
Quel autre ?...
TRUCHELU.
Avec des moustaches...
TROMBLON.
Ah ! c’est le cousin !... M. Hector !... le cousin de Madame !...
TRUCHELU.
Le cousin de Madame ?
TROMBLON.
Oui... un commis-voyageur... dont le mari ne se méfie pas... quoiqu’il soit jaloux comme tigre.
TRUCHELU.
Bah !...
TROMBLON.
Et fort comme un Turc !...
TRUCHELU.
Fichtre !...
TROMBLON.
Mais... je suis là à flâner... et j’ai du lait à acheter pour mon chat... et du mou pour mon épouse... C’est-à-dire, non... Vous n’avez besoin de rien ?...
TRUCHELU.
Si fait... j’ai besoin de n’être ici pour personne... et particulièrement pour une jeune dame que je n’attends pas... mais qui peut tomber ici comme un ouragan... Elle répond au nom de Cordonnet... Tournure quartier latin... l’œil risqué... le langage parallèle... Elle insistera... interdisez-lui mon palier.
TROMBLON, même jeu.
Monsieur, c’est 30 centimes...
TRUCHELU.
Ah !...
Il se fouille.
Vous mettrez ça sur le compte de mes bottes...
TROMBLON.
Bien, Monsieur... bien ! Je vas porter les journaux au voisin du dessus...
Il sort.
Scène III
TRUCHELU, seul
Quel métier !... Depuis un an j’ai fait tous les quartiers de Paris... je déménage toutes les lunes... depuis que j’ai eu la faiblesse de m’attacher au char de Mile Cordonnet...
Air : de Julie.
Ah ! cette femme est une glue !
Plus tenace que les huissiers !
Elle m’a fait louer dans chaque rue,
Elle m’a fait quitter tous les quartiers.
J’ai, pour éviter ses furies,
Fait tant de fois mon déménagement,
Que je ressemble assurément
Aux petites messageries.
FANFIGNOLE, en dehors.
Oh !... oh !... la Grise !...
TRUCHELU.
Qu’est-ce que c’est ?...
Il va au balcon et regarde.
Tiens... des paysans... une charrette pleine de légumes... qui s’arrête sous ma fenêtre...
Revenant en scène.
Je n’ai rien de commun avec ces grossiers villageois...
Il ôte sa robe de chambre et s’habille.
Passons mon Elbeuf... Où irai-je bien ?... où prendrai-je bien l’air ?... Le pavé est émaillé de créanciers...
Scène IV
TRUCHELU, FANFIGNOLE, GROSLAID, MARGOTTE
FANFIGNOLE, entrant, tenant Margotte par la main.
Entre, entre... mon enfant... y n’ s’attend pas à notre visite... ça le surprendra...
TRUCHELU, se retournant.
Ah ! les hommes aux légumes... Qu’est-ce qu’ils me veulent ? Ils se trompent...
Les paysans saluent Truchelu et regardent autour d’eux.
FANFIGNOLE.
Monsieur... je sommes ben votre serviteur...
À Margotte, bas.
Une révérence.
Elle obéit.
TRUCHELU.
Oh ! la jolie petite paysanne !...
GROSLAID, bas à Fanfignole.
Quel est ce monsieur ?
FANFIGNOLE, bas.
C’est peut-être un parent.
TRUCHELU, à part.
Qu’est-ce qu’ils ont donc à inspecter mon mobilier ?
Haut.
Que voulez-vous, braves gens ?...
FANFIGNOLE.
Monsieur, nous arrivons de notre village.
TRUCHELU.
Ah !
GROSLAID.
Et nous allons à la halle des Innocents, pour porter nos choux, nos poireaux et nos carottes.
TRUCHELU.
Bien !...
À part.
Est-ce qu’ils vont m’offrir leurs denrées ?...
Haut.
Après...
FANFIGNOLE.
Comme il y a trois mois que nous n’avons vu Monsieur...
TRUCHELU, étonné.
Trois mois ?...
À part.
Je ne reconnais pas ces figures rurales...
Ils regardent autour d’eux.
MARGOTTE.
Est-ce que mon parrain est sorti ?
TRUCHELU.
Votre par...
À Fanfignole.
Son par...
FANFIGNOLE.
M. Laverdurette, notre maire...
TRUCHELU, à Margotte.
Votre parrain ? M. Laverdurette ?...
MARGOTTE.
Oui, mon beau Monsieur...
TRUCHELU.
Son beau monsieur... Asseyez-vous donc...
À part.
Elle est charmante !
GROSLAID, à part.
Qu’est-ce qu’il lui prend donc au Parisien ?...
TRUCHELU, à part.
Tiens... c’est la filleule de l’ophicléide... Et ils se croient chez lui...
Regardant Margotte.
Elle est délicieuse !
GROSLAID, d’un air sombre.
Comme il la reluque !...
FANFIGNOLE.
Monsieur est de la maison ?...
TRUCHELU.
Oui... je fais partie du logis !...
Prenant de nouveau les mains de Margotte.
Cette jolie enfant est votre fille, Monsieur ?...
FANFIGNOLE.
Fanfignole...
TRUCHELU.
Fanfignole ?
FANFIGNOLE.
C’est ma nièce...
TRUCHELU.
Votre nièce...
Galamment.
Charmante...
GROSLAID, brusquement se plaçant entre eux.
M. Laverdurette, s’il vous plaît !...
TRUCHELU, sur le même ton.
Il n’y est pas...
À Margotte.
Quel est ce jeune villageois ?...
MARGOTTE.
C’est Groslaid !...
TRUCHELU.
Groslaid !...
FANFIGNOLE.
Mon garçon de ferme.
TRUCHELU.
Groslaid ? Il a le physique de son nom...
MARGOTTE.
Que je suis fâchée de ne pas trouver mon parrain !... moi qui venais pour l’embrasser.
TRUCHELU.
Pour l’embrasser ?... Je le remplace...
Appuyant.
Je le remplace !... et je suis heureux, en son absence...
GROSLAID, même jeu.
M. Laverdurette, s’il vous plaît ?...
TRUCHELU, même ton.
Il n’y est pas !...
À part.
Ce garçon se répète d’une façon fatigante...
FANFIGNOLE.
Est-ce qu’il sera longtemps absent ?...
TRUCHELU.
Une légère course... Il reviendra pour dîner.
Il regarde Margotte.
MARGOTTE, à part.
Comme il me regarde ce jeune homme !...
FANFIGNOLE.
J’ sommes ben fâchés... mais il faut que j’ nous rendions au marché... c’est l’heure de la vente... et puis, il faut que je soyons à Franconville avant quatre heures de l’après midi...
TRUCHELU.
Attendez-donc ?... à Franconville... Mais oui... c’est là qu’il demeure... Buissonnet...
MARGOTTE, vivement.
Buissonnet ?...
GROSLAID, sourdement.
Buissonnet ?...
TRUCHELU.
Vous le connaissez ?
MARGOTTE, baissant les yeux.
Hélas !...
GROSLAID, de même.
Hélas !...
TRUCHELU, à Fanfignole.
Pourquoi un hélas ?
FANFIGNOLE.
Un drôle !...
TRUCHELU.
Un drôle ?...
GROSLAID, de même.
Un gueux !...
TRUCHELU.
Un gueux ?
MARGOTTE.
Un monstre !...
TRUCHELU.
Un monstre ! C’est mon cousin !...
MARGOTTE.
Votre cousin ? Ah ! bien, si vous lui ressemblez...
FANFIGNOLE.
Il avait promis mariage à cette pauv’ enfant, qui l’aimait de tout son cœur...
MARGOTTE.
Et au jour d’aujourd’hui, il déserte la ferme, il me regarde à peine... il danse avec les autres filles du village, il les cajole !...
Elle pleure.
GROSLAID.
C’est bien fait !... vous l’avez écouté... parce que c’était un monsieur... un richard...
TRUCHELU.
Un richard, Buissonnet... j’irai le voir...
MARGOTTE.
Oui... oui... venez...
GROSLAID.
Qu’il y vienne !...
MARGOTTE.
Vous le gronderez de se conduire ainsi envers moi...
FANFIGNOLE.
Allons... allons... en rrrroute !... la petiote !... à la Halle !... et en revenant nous passerons voir si M. Laverdurette est rentré...
CHŒUR.
Air : du Bal Mabille, (de Charles Danvin.)
Au revoir, ne perdons pas d’instant,
Notre récolte est abondante et belle,
À la Halle, où l’ chaland nous appelle
Courons porter le produit de nos champs.
TRUCHELU, galamment à Margotte.
Au pays, j’irai ma petite
Vous rendre visite.
Quel attrait m’invite !...
MARGOTTE.
Ah ! Monsieur, venez au plus vite
Car votre cousin
Seul cause mon chagrin.
Par votre langage,
Fixant le volage,
Vous pourrez je gage
Faire mon hymen.
REPRISE.
Au revoir, ne perdons pas d’instant,
Si la récolte est abondante et belle,
À la halle où l’ chaland vous appelle,
Courons porter le produit de nos champs.
Ils sortent.
Scène V
TRUCHELU, puis EUGÉNIE
TRUCHELU.
Oui... j’irai la consoler... dans son asile champêtre... route de Pontoise... Ah ! tu la négliges, cousin... tu fais le lovelace dans les terres labourées...
Avec dédain.
Faublas en herbe... je te la soufflerai... Elle est fort bien... ce petit bonnet rond !... je la formerai aux usages de Paris... je lui apprendrai la chorégraphie de Mabille, que la Cordonnet possède d’une manière si... élastique...
On frappe.
On a gratté au panneau de ma porte... si c’était un créancier... Tromblon laisse donc monter tout le monde ?...
La porte s’ouvre, Eugénie s’arrête timidement au fond.
Une femme !...
EUGÉNIE.
Pardon, Monsieur...
TRUCHELU.
Ah ! mon Dieu ! c’est elle !... ma jolie voisine... Entrez, Madame, entrez... je suis visible...
EUGÉNIE.
Mon Dieu, Monsieur... ma visite peut vous paraître étrange...
TRUCHELU.
Étrange ?... Du tout... je comprends... votre salut de ce matin... vous m’avez remarqué à votre balcon... vous êtes jeune... jolie...
EUGÉNIE.
Monsieur...
TRUCHELU.
Moi... je suis jeune... et... on me l’a dit quelquefois... nous sommes faits pour nous comprendre... et... je vous ai comprise...
EUGÉNIE.
Vous pourriez vous tromper...
TRUCHELU.
Je ne crois pas... Joseph Truchelu... vingt. cinq ans, une âme de feu !...
EUGÉNIE.
Monsieur... je venais...
TRUCHELU, l’interrompant.
Pour me voir... et je vous en sais gré... c’est un bonheur inattendu... et mon amour...
Bruit d’ophicléide.
Allons, bon... l’autre, à présent... il me coupe mes inspirations... Pardon, madame...
Il prend sa clarinette, court an balcon et se met à jouer faux.
EUGÉNIE, qui a déposé son chapeau sur une chaise.
Que fait-il ?... Si mon mari m’avait aperçue... Je tremble !...
L’ophicléide cesse.
TRUCHELU.
Ah ! il cesse !... il me regarde d’un air furieux... Il est fort laid, ce monsieur...
Revenant en scène.
Madame, je suis à vous... Nous disions...
EUGÉNIE.
Mon Dieu !... Monsieur... je ne sais comment vous expliquer...
TRUCHELU.
Osez... osez... votre trouble... c’est si naturel... un premier tête-à-tête... moi-même, mon cœur agite ma bretelle.
EUGÉNIE.
Monsieur... je vous crois un galant homme...
TRUCHELU.
Madame...
EUGÉNIE.
Incapable d’abuser de la position d’une femme...
TRUCHELU, gesticulant.
Madame !...
EUGÉNIE.
Assez généreux pour garder le secret...
TRUCHELU.
Cent sept ans...
EUGÉNIE.
Et me rendre un service qui assurera ma tranquillité.
TRUCHELU.
Un service ?... Disposez de moi... de mon bras... de mon cœur... de ma vie...
EUGÉNIE.
Oh ! je n’en exige pas tant...
TRUCHELU, d’un air fâché.
Tant pis... ah ! tant pis...
EUGÉNIE.
Il y a quatre jours encore, j’habitais ce logement avec mon mari... et en déménageant... dans ma précipitation... j’ai oublié des lettres cachées dans une armoire de ce cabinet... et que devant mon mari, je n’ai pu...
TRUCHELU, la fixant.
Bah !...
Elle baisse les yeux.
À l’insu de... l’ophicléide...
EUGÉNIE.
Monsieur... ce n’est pas... votre supposition.
TRUCHELU, à lui-même.
Ça se devait... je l’aurais parié... il est vieux... il est laid !...
EUGÉNIE, d’un ton de reproche.
Monsieur... c’est mon mari...
TRUCHELU, riant.
Voilà son tort... parbleu !... voilà son tort !...
EUGÉNIE.
Et j’ai compté sur votre complaisance...
TRUCHELU.
Ma complaisance !... Oui... oui... comptez-y toujours !...
Soupirant.
Oh ! toujours...
LAVERDURETTE, en dehors.
Je vous dis qu’il y est pour moi... il faut que je lui parle...
EUGÉNIE.
Ciel ! mon mari...
TRUCHELU.
L’ophicléide ?...
EUGÉNIE.
Il m’a vue... il m’a suivie... Je suis perdue !...
TRUCHELU, effrayé.
Ciel de Dieu !... s’il la trouve chez moi... il est fort comme un Turc !...
EUGÉNIE.
Cachez-moi ?...
TRUCHELU.
Tenez, ce cabinet... vite...
Elle entre dans le cabinet de gauche.
Ah ! les lettres... emparons-nous-en pour les lui rendre aussitôt que le mari sera parti...
Il entre dans le cabinet de droite.
Scène VI
TRUCHELU, LAVERDURETTE
LAVERDURETTE, frappant en dehors.
Voisin... je désirerais vous parler...
TRUCHELU, sortant du cabinet, et serrant un portefeuille dans sa poche.
Qui est là ?... On y va !...
Il ouvre.
LAVERDURETTE, entrant et regardant autour de lui.
Pardon ! je vous dérange peut être ?...
TRUCHELU.
Moi !... j’allais sortir...
À part.
S’il découvre... Il a l’air solide...
LAVERDURETTE.
Mais vous êtes seul...
TRUCHELU.
Comme Robinson !... après son naufrage...
À part.
Il inspecte !... il inspecte !... il me donne le frisson...
LAVERDURETTE.
Alors je vais vous mettre à la question.
TRUCHELU, effrayé.
Hein ?...
LAVERDURETTE.
Et vous faire comprendre le motif qui m’amène...
Il change son ophicléide de bras.
TRUCHELU.
Pourquoi a-t-il son instrument ?... Que veut-il faire ici de son instrument ?...
LAVERDURETTE, avec explosion.
Monsieur.
TRUCHELU, bondissant.
Ah ! quoi ?...
LAVERDURETTE.
Vous voyez un homme chagriné... embarrassé...
Il change son ophicléide de bras.
TRUCHELU, voulant lui prendre.
Souffrez que je vous débarrasse... ça doit être gênant... en promenade...
LAVERDURETTE, le gardant.
Trop bon !... c’est ma passion... mon bonheur... je souffle là-dedans avec furie...
TRUCHELU.
J’ai déjà pu apprécier la force de vos poumons.
LAVERDURETTE.
Je suis fou de la musique... depuis le berceau... Avant d’être maire de Franconville... quand j’étais fourreur... rue des Vieilles-Étuves, j’avais adopté le chapeau-chinois... de la sixième légion...
TRUCHELU.
Bigre !...
LAVERDURETTE.
Vous dites ?...
TRUCHELU.
Bigre !... Ça devait vous aller...
À part.
Où veut-il en venir ?...
LAVERDURETTE.
Mais cet instrument agréable n’a qu’une note.
TRUCHELU.
C’est peu !...
LAVERDURETTE, imitant.
Dzing... dzing... dzing !... toujours la même chanson... c’était monotone, c’était fatiguant...
Il change son ophicléide de bras.
J’ai pris cet instrument de salon... un progrès du siècle...
TRUCHELU, apercevant le chapeau d’Eugénie, qu’elle à oublié sur une chaise.
Oh !
Il s’en empare et le cache derrière lui.
LAVERDURETTE.
Vous dites !...
TRUCHELU.
J’attends... mettez-moi au courant...
À part.
L’a-t-il vu ?
LAVERDURETTE.
Voici !...
Avec explosion.
Monsieur... depuis deux jours vous m’écorchez les oreilles avec votre clarinette...
TRUCHELU.
C’est faux !...
LAVERDURETTE.
C’est ce que je dis... c’est faux !... Vous choisissez toujours les heures, les instants... où j’étudie un solo remarquable...
TRUCHELU.
Très remarquable... ça s’entend de loin...
LAVERDURETTE.
Une symphonie exécutée dans le désert... de M. Félicien...
TRUCHELU, l’interrompant.
Dans le désert ?... Monsieur... c’est le mot... quand on possède un pareil piston... on ne devrait en jouer que dans le désert... Vous troublez mon sommeil...
LAVERDURETTE.
Et vous, Monsieur... vous brouillez mes exercices... vous ,me coupez la respiration... et ça me gêne...
Même jeu.
Je viens vous trouver pour vous prier de nous entendre à ce sujet...
TRUCHELU, joyeux.
Ah ! ce n’est que pour ça ?... Bien... allons... allons ?...
Il gesticule et montre le chapeau.
Oh ! Où diable fourrer ce chapeau ?
LAVERDUBETTE.
Prenons nos heures...
TRUCHELU.
Oui... ça me va... je vous laisse la soirée... et je m’empare des matinées...
LAVERDURETTE.
Je savais bien que nous finirions par nous mettre d’accord... une fois cette mesure prise nous serons sûrs de vivre en bonne intelligence.
TRUCHELU, à part.
Est-ce qu’il ne va pas partir ?...
LAVERDURETTE.
Vous êtes un charmant garçon, et je suis enchanté de ma démarche... Allons, que je ne vous gène pas... je vous ai peut-être dérangé de vos occupations...
Il se dirige vers le cabinet.
TRUCHELU.
Ah ! enfin !... il s’exporte !...
Se retournant et apercevant Laverdurette la main sur le penne de la serrure du cabinet.
Ciel !
Il court, se place devant lui en le repoussant avec le chapeau.
Oh !...
LAVERDURETTE.
Oh ! un chapeau de femme !...
TRUCHELU.
Où allez-vous ? où allez-vous ? L’escalier n’est pas là... à droite !...
LAVERDURETTE.
C’est juste... l’habitude... j’allais... Figurez-vous que j’ai habité ce logement...
TRUCHELU.
Je le sais... mais ce n’est pas une raison...
LAVERDURETTE.
C’est dans ce cabinet que je serrais mon ophicléide, et sans y songer, je portais...
Riant.
Ah ! ah ! c’est drôle, n’est-ce pas...
Cherchant à voir le chapeau.
Un chapeau de femme !... Il me paraît que ce n’est pas là que vous placez votre clarinette... gaillard !...
TRUCHELU.
Il rit... il m’agace !...
LAVERDURETTE, bas.
Une poulette que j’ai fait fuir et que vous avez insérée...
TRUCHELU.
Monsieur... c’est indiscret !...
LAVERDURETTE.
C’est juste ! je suis dans mon tort ! je me présente là... moi... sans me faire annoncer... Je gage que je suis tombé au moment le plus chaud... le plus pathétique... Eh ! eh ! eh !
TRUCHELU, à part.
S’il se doutait... il m’assommerait !
LAVERDURETTE.
Je m’en vais... je file... je vous laisse... reprenez votre conversation... Que diable aussi vais-je m’aviser de déranger un tête-à-tête... Ne m’en veuillez pas, jeune homme !... je n’ai rien vu... je ne sais rien... je suis muet... Eh ! eh ! eh !...
CHŒUR.
Air nouveau de Charles Danvin.
Je serai muet Gardez le secret,
Montrant le cabinet.
L’amour attend là...
Je connais cela...
À votre âge aussi
J’étais, Dieu merci !
La terreur de plus d’un mari !...
Allons, je vous laisse, adieu, mauvais sujet !
Riant.
Allez rassurer votre dame...
TRUCHELU, à part.
Il ne rirait pas, le jobard, s’il savait
Qu’il s’agit ici de sa femme.
Reprise.
TRUCHELU.
Soyez bien discret
Gardez le secret
N’allez pas, oui-dà,
Parler de cela...
Je compte aujourd’hui
Sur vous, Dieu merci !...
Comm’ s’il s’agissait d’un mari...
Au moment ou il va pour sortir, Hector arrive, il paraît animé.
Scène VII
TRUCHELU, LAVERDURETTE, HECTOR
HECTOR, entrant, à part.
Elle est ici !...
LAVERDURETTE.
Tiens... Hector !
TRUCHELU, à part.
Le cousin !
Il jette le chapeau dans l’alcôve.
HECTOR, à part.
Son mari !...
LAVERDURETTE, à Hector.
Est-ce que tu connais Monsieur ?...
HECTOR, contraint et prenant le milieu.
Oui, j’ai eu le plaisir de voir Monsieur, hier, en soirée, et je lui devais une visite...
TRUCHELU, à part.
Pour les cinq cent francs... et pas le premier sou !...
HECTOR, à part.
Est-ce qu’il saurait aussi.
Haut.
Mais vous... M. Laverdurette... par quel hasard ?
LAVERDURETTE.
Oh ! moi... je viens de faire un marché avec Monsieur...
HECTOR, étonné.
Un marché ?...
TRUCHELU, essayant de sourire.
Un marché... oui... marché de concert...
À part.
Comme le cousin me regarde avec un air.
LAVERDURETTE.
Au sujet de ceci...
Il montre son ophicléide.
Je le gênais... il me gênait...
Il change son instrument de bras.
et...
Plus bas.
nous le gênons ?
HECTOR, bas.
Comment ?
LAVERDURETTE, bas.
Je suis arrivé au moment où... à l’instant que...
Il montre le cabinet.
Elle est là !
HECTOR, surpris.
Là !
Laverdurette rit.
TRUCHELU, à part.
Que se disent-il donc tout bas ?...
HECTOR, à part.
Et il rit !...
Bas.
Et cette femme, avez-vous quelque idée ?...
LAVERDURETTE, bas.
Non... mais je m’en doute... une grisette...
HECTOR, à part.
Je respire !...
LAVERDURETTE, bas.
Retirons-nous... Ce pauvre garçon, il ne faut pas le priver de son bonheur...
HECTOR, bas.
Oui... oui... attendez... deux mots seulement...
Hector va à Truchelu, et lui dit tout bas.
Monsieur je sais tout !...
TRUCHELU.
Tout ?... Quoi ?...
HECTOR.
Une femme est chez vous...
TRUCHELU.
Est-ce que je ne suis pas libre ?
HECTOR.
Plus bas... devant le mari... s’il le savait, vous n’existeriez pas une heure...
TRUCHELU, effrayé.
Plus bas !... plus bas !... fichtre ?...
HECTOR.
Monsieur... vous allez me suivre...
TRUCHELU.
Pourquoi faire ?
HECTOR.
J’ai une explication à vous demander...
TRUCHELU.
Ça ne presse pas...
HECTOR.
À l’instant... il le faut...
Il le prend par le bras.
LAVERDURETTE.
Monsieur sort avec nous.
HECTOR.
Oui... nous allons ensemble faire une course.
Bas à Truchelu.
Au bois de Boulogne...
TRUCHELU, plus effrayé.
Au bois ! Une femme et un duel sur les bras. Où me suis-je fourré !... plutôt, où m’a t’elle fourré...
HECTOR.
Allons, Monsieur...
TRUCHELU.
Voilà...
À part.
Heureusement j’ai de bonnes jambes... je le quitterai en route...
Tromblon entre.
TRUCHELU, à Hector et Laverdurette.
Pardon... j’ai quelques ordres à donner à ma femme de ménage.
Il amène Tromblon sur le devant de la scène. Bas.
Tromblon, quand je serai parti... tu feras sortir une femme qui est dans ce cabinet...
TROMBLON, bas.
Une femme !...
TRUCHELU, bas.
Chut ! tais-toi ! tu prendras les plus grandes précautions... Du silence... du mystère...
TROMBLON.
Bon !... je connais ça... Allez !...
TRUCHELU, haut aux autres.
Partons !...
Ensemble.
Air : des deux Marteaux.
HECTOR, à part.
Allons, je sors, mais j’espère bien
Pour le décider trouver un moyen ;
En me vengeant, d’un seul coup ici,
Je répare aussi l’affront du mari.
LAVERDURETTE.
Allons, sortons, car je vois combien
Je m’étais trompé ; mais il n’en est rien,
Dans cette affaire il s’est bien conduit,
Je pourrai jouer sans trouble, sans bruit.
TRUCHELU, à part.
Allons, je sors, mais j’espère bien
Pour fuir en chemin trouver un moyen.
Je ne veux pas seul, dans ce conflit,
Porter tout l’ fardeau quand il a l’ profit.
Reprise du CHŒUR.
Allons, je sors, etc.
Ils sortent.
Scène VIII
TROMBLON, seul
Tiens... tiens... une femme dans ce cabinet... fait-il que je ne l’aie pas vu monter ?...
Il va pour ouvrir la porte du cabinet, Mlle Cordonnet entre.
Scène IX
TROMBLON, MADEMOISELLE CORDONNET
MADEMOISELLE CORDONNET.
Ah ! c’est ici !... je l’attendrai.
TROMBLON.
Que désire Madame ?
MADEMOISELLE CORDONNET, regardant la chambre.
Son mobilier n’est pas mal, à ce drôle...
TROMBLON, la suivant.
Si Madame voulait me dire...
MADEMOISELLE CORDONNET, avec colère.
Ah !... le gueux !... il a cru, en changeant de quartier... me dépister... mais je l’en souhaite !...
TROMBLON, de même.
Je redemanderai à Madame...
MADEMOISELLE CORDONNET, sèchement.
On ne vous parle pas.
Pendant tout ce temps elle se promène à grands pas sur le théâtre. Tromblon la suit.
TROMBLON.
Mais...
Scène X
TROMBLON, MADEMOISELLE CORDONNET, BUISSONNET
BUISSONNET.
M. Truchelu, s’il vous plaît ?...
MADEMOISELLE CORDONNET, se retournant.
Entrez...
TROMBLON.
Quel est celui-là ?...
BUISSONNET, à part.
Voilà un beau brin de femme !...
MADEMOISELLE CORDONNET, à part.
Que veut ce jeune muguet ?
Haut.
Peut-on savoir ce que vous voulez dire à M. Truchelu ?
TROMBLON.
Eh bien !... elle n’est pas gênée !... Pardon, pardon, Madame...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Qui êtes-vous, brave homme ?
TROMBLON.
Je ne suis pas brave homme... je suis portier.
MADEMOISELLE CORDONNET.
Vous êtes...
Faisant un geste.
À c’te loge !...
TROMBLON.
Mais, Madame...
MADEMOISELLE CORDONNET.
À c’te loge, tout d’ suite...
TROMBLON.
Mais...
Se tournant du côté de Buissonnet.
Mais, Monsieur...
BUISSONNET, même geste que Mlle Cordonnet.
À c’te loge, tout d’ suite...
TROMBLON.
On s’en va... on s’en va !...
Il sort.
Scène XI
BUISSONNET, MADEMOISELLE CORDONNET
BUISSONNET, à part.
C’est une connaissance à mon cousin... faisons les honneurs de sa maison.
Il va prendre une chaise.
MADEMOISELLE CORDONNET.
Un ami à Truchelu... soyons aimable.
Même jeu.
TOUS DEUX.
Donnez-vous la peine de vous asseoir...
MADEMOISELLE CORDONNET, s’asseyant.
Vous êtes bien bon !...
BUISSONNET.
Fort obligé !...
Il s’assied.
MADEMOISELLE CORDONNET.
Vous disiez donc...
BUISSONNET.
Je disais donc que je m’appelle Buissonnet, que j’arrive de Pontoise, département de l’Oise.
MADEMOISELLE CORDONNET.
J’en suis bien oise !...
BUISSONNET.
Jusqu’à l’âge heureux de 25 ans, je n’avais pas quitté... la province... quand il me prit fantaisie de vivre à la campagne... parmi les hommes des champs...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Oh ! c’ t’agrément !...
BUISSONNET.
Hein ?...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Je dis... c’ t’agrément.
BUISSONNET.
J’avais fort bien entendu... Mais, au bout de trois mois, je m’aperçus que cette existence m’était insupportable... Donc, ce matin, je pris la voiture pour venir visiter Paris, que je ne connais que par ouï-dire...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Quoi ! vraiment ! vous êtes étranger à la capitale, jeune homme !...
BUISSONNET.
Totalement.
MADEMOISELLE CORDONNET.
Et sans doute vous êtes venu chez M. Truchelu ?...
BUISSONNET.
Chez mon cousin Truchelu... pour lui demander de me présenter... Je veux m’amuser... j’en ai les moyens.
MADEMOISELLE CORDONNET.
Seriez-vous capitaliste ?...
BUISSONNET.
J’ai là deux bons billets de mille francs qui frétillent dans ma poche.
MADEMOISELLE CORDONNET.
Jeune homme !
BUISSONNET.
Madame...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Votre cousin est un monstre !... un gueux !...
BUISSONNET.
Ah ! Madame !...
MADEMOISELLE CORDONNET.
C’est juste ! vous êtes son parent, je ne l’invectiverai pas davantage... M. Truchelu n’est qu’une canaille !...
Elle se lève.
BUISSONNET, se levant.
Ah !...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Le mot est lâché !... Et je ne souffrirai pas que dans Paris, cette ville de perdition, M. Truchelu vous serve de guide et de mentor.
BUISSONNET.
Mais...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Oh ! je devine votre pensée : vous allez me dire : Qui m’en servira ?
BUISSONNET.
C’est vrai !... j’allais vous le dire...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Hé bien ! ce sera moi !... Ça vous va-t-il, jeune homme ?
BUISSONNET.
Très bien.
MADEMOISELLE CORDONNET.
Touchez là !...
À part.
Ah ! M. Truchelu, vous m’abandonnez... vous me plantez-là !
EUGÉNIE, entr’ouvrant la porte du cabinet.
Si je pouvais... Ah !...
Elle voit du monde et referme vivement la porte.
MADEMOISELLE CORDONNET.
Hein ?
BUISSONNET.
Il y a quelqu’un ici !...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Où ?
BUISSONNET.
Dans ce cabinet, peut-être...
MADEMOISELLE CORDONNET, qui a ouvert l’alcôve, et qui a trouvé le chapeau d’Eugénie.
Ah !
BUISSONNET.
Quoi donc ?
MADEMOISELLE CORDONNET.
Un chapeau de femme ! Une femme ici !... Je vous l’avais bien dit, M. Truchelu n’est qu’un galopin !...
Ouvrant la porte du cabinet.
Ah ! il y aune femme ici !... Venez, Madame, venez...
Elle fait sortir Eugénie.
Scène XII
BUISSONNET, MADEMOISELLE CORDONNET, EUGÉNIE
EUGÉNIE, à part.
Ciel !...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Je l’avais bien dit, une femme !
EUGÉNIE, tremblante.
Plus bas, Madame, je vous en supplie !...
BUISSONNET, à part, étonné.
Encore une femme !...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Plus bas !... Non, non, je veux crier... j’en ai le droit... je veux que l’on sache...
EUGÉNIE.
De grâce...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Ah ! vous avez peur...
EUGÉNIE.
Mais je ne suis pas ce que vous pensez... M. Truchelu m’est tout-à-fait étranger... le hasard... une circonstance... Oh ! je vous jure...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Mais... alors... pourquoi vous cachiez-vous ?...
THUCHELU, dans l’escalier.
Les Vandales ! les brigands !...
MADEMOISELLE CORDONNET.
C’est sa voix ! c’est Truchelu !... Je veux le confondre ! l’anéantir... je prends votre place... vous, cachez-vous derrière l’alcôve... pas un mot... pas un geste ! M. Buissonnet, ne me trahissez pas...
Elle entre dans le cabinet, Eugénie se cache dans l’alcôve.
Scène XIII
LES MÊMES, TRUCHELU
Il est pâle, défrisé, il a une manche et un pan de moins à son habit, et il tient son chapeau écrasé à la main ; Il entre sans voir Buissonnet, et se jette sur un siège.
TRUCHELU.
Affreux cousin ! Je l’ai perdu dans un impasse... mais je suis brisé... moulu... disloqué...
BUISSONNET.
Ah ! mon Dieu ! comme il est fagoté !... Est-ce qu’il serait fou, Truchelu ?
TRUCHELU, effrayé, se retourne avec explosion et le saisit à la gorge.
Ah ! qu’est-ce que tu veux, toi ?... qu’est-ce que tu demandes ? qu’est-ce que tu viens faire ici ?...
BUISSONNET.
Mais... mais tu m’étrangles !...
TRUCHELU, lâchant subitement Buissonnet, et tranquillement.
Tiens ! c’est toi !... Bonjour !... comment que ça va ?...
BUISSONNET.
Voilà ta manière d’embrasser tes parents ?... Merci !...
TRUCHELU.
Tiens... voilà l’état dans lequel mes créanciers m’ont mis.
Montrant son bras.
Ils sont tombés trois sur moi... le traiteur a pris la manche... le tailleur a pris le pan...
Il se retourne et montre son habit qui n’a plus qu’un pan.
Et le chapelier...
Montrant son chapeau écrasé.
a foulé sa fabrication sur ma tête... V’lan !... trois cents... mes cheveux en ont frémi... Comme je revenais... le bottier débouche de la rue... il était seul... je rageais... je m’élance sur lui, et je lui flanque un coup de sa marchandise dans un endroit quelconque... en lui disant : Voilà désormais en quelle manière je te paierai, toi et les autres... Et je signe... v’lan !
BUISSONNET.
Pauvre garçon !
TRUCHELU.
Mais toi, Buissonnet, que viens-tu faire dans cette ville affreuse ?
BUISSONNET.
Je viens pour y demeurer.
TRUCHELU, criant.
Malheureux !...
BUISSONNET.
Pour jouir de ses agréments...
TRUCHELU, criant plus fort.
Malheureux !...
BUISSONNET.
Pour me lancer dans le tourbillon... de ses plaisirs...
TRUCHELU, avec explosion.
Malheureux !... quitter l’innocence, le calme de ton village, pour t’engloutir dans un pareil chaos...
BUISSONNET.
J’y suis décidé !... je suis lancé... je ne m’arrêterai pas...
TRUCHELU, poétiquement.
La campagne !... voilà le paradis où je veux m’exiler. Ah ! la campagne avec ses mœurs rustiques... avec ses habitudes pastorales... avec ses chaumes en paille... et ses villageoises aux jupons courts...
BUISSONNET.
Est-il possible !... Mais tu ne sais donc pas ce qui t’attend, à la campagne ?...
TRUCHELU, langoureusement.
Joie, ivresse, tendresse, allégresse...
BUISSONNET, appuyant, avec humeur.
Ruse, fausseté, vanité, méchanceté...
TRUCHELU.
C’est le tableau de Paris !...
BUISSONNET.
C’est le tableau de la campagne !...
Air : Valse du Jacquemin.
BUISSONNET.
Ah ! la campagne est une vrai’ galère ;
On est trompé dans son goût, dans son choix ;
Pour l’homme actif, ou l’homme solitaire,
Tous les tourments s’y trouvent à la fois.
TRUCHELU.
En vain l’on a vanté la capitale,
Ses mœurs, ses arts, ses plaisirs... Ah ! mon cher !
Quoiqu’en Europe on l’ait dit sans rivale,
Je le soutiens, sa rivale est l’enfer.
BUISSONNET.
Vous livrez-vous à la pêche, à la chasse,
Même eussiez-vous un permis très légal,
Sur vous un garde aussitôt fait main-basse,
Et l’on vous flanque un bon procès-verbal.
TRUCHELU.
Mais à Paris, c’est bien une autre affaire,
C’est nous qu’on chasse ; un créancier maudit,
En nous traquant, nous donne pour tanière
Les murs grillés d’un humide réduit...
BUISSONNET.
Si vous aimez d’un amour bien sincère,
Défiez-vous d’un air trop ingénu,
Car on a vu souvent une rosière
Baisser les yeux sous le prix de vertu.
TRUCHELU.
En fait d’amour, partout c’est un mystère,
Toujours l’étoffe à Paris nous trompa ;
Dans nos salons on voit à la lumière
Mille vertus... de la ru’ de Bréda.
BUISSONNET.
Discrètement près d’une jeune épouse
Si vous cherchez à vous glisser la nuit,
Le vieux mari, dans son humeur jalouse,
La trique en main vous assomme sans bruit.
TRUCHELU.
Ici la forme est polie et plus traître ;
Quand en délit il vous prend, sans éclats,
L’époux vous fait sauter par la fenêtre,
Ou dans un duel vous fait sauter le pas.
BUISSONNET.
Quand, fatigué des travaux d’ la journée,
Vous sommeillez, v’lan ! de la basse-cour,
D’ânes, d’ dindons, une aubade damnée
Vous tient toujours l’œil ouvert jusqu’au jour.
TRUCHELU.
Qu’on se calfeutre ou bien qu’on se séquestre,
Soir et matin, éternel bacchanal !
Paris entier n’est plus qu’un vaste orchestre
Exécutant un concert infernal.
Ensemble.
BUISSONNET.
Oui, la campagne, etc.
TRUCHELU.
La capitale est une vrai’ galère !
L’homme y peut-il faire valoir ses droits ?
Cherchez en vain ; sur sa surface entière
Tous les tourments s’y trouvent à la fois.
TRUCHELU.
Non, rien ne m’arrêtera... Oh ! les champs !... les prés, le gazon... voilà ce que je rêve...
BUISSONNET.
Eh bien !... puisque tu le veux, faisons un échange... cède-moi ton logement.
TRUCHELU.
Ça va.
BUISSONNET.
Et je te laisse le mien... à Franconville... dans la ferme... du père Fanfignole... Voici la clef !
TRUCHELU.
La clef des champs et du bonheur !... Je pars !... adieu...
Au moment où il va pour sortir, Hector paraît au fond et l’arrête.
Scène XIV
LES MÊMES, HECTOR, puis LAVERDURETTE, ensuite TROIS CRÉANCIERS
HECTOR, avec une boîte à pistolets.
Un instant, mon petit Monsieur...
TRUCHELU, faisant un bond.
À l’autre !... Ah !...
HECTOR.
Ah ! vous vous éclipsez en route... Mais je savais bien vous retrouver...
TRUCHELU, voulant sortir.
J’ai affaire... on m’attend... un million d’excuses...
HECTOR, l’arrêtant.
Vous ne sortirez qu’avec moi !...
BUISSONNET.
Que veut ce Monsieur ?
TRUCHELU, à Hector.
Mon cousin prend ma place... adressez-vous à lui !...
HECTOR.
Monsieur... il faut me suivre... à l’instant.
BUISSONNET.
Un duel !...
TRUCHELU, à Buissonnet.
Explique-toi avec Monsieur... moi, je...
LAVERDURETTE, dehors.
Où est-il, le gueux ?
TRUCHELU, saisi.
L’ophicléide !...
HECTOR.
Fâcheux contretemps !
LAVERDURETTE, entrant et saisissant Truchelu.
Ah ! Forban ! ah ! don Juan !... Ma femme !... rends-moi ma femme !...
TRUCHELU, criant.
Ta femme !...
BUISSONNET et HECTOR.
Sa femme !...
HECTOR, à part.
Il sait tout !
LAVERDURETTE.
Elle est ici... Tromblon me l’a dit.
TRUCHELU.
Tromblon !...
LAVERDURETTE.
C’était elle qui était là dans cette chambre... elle y est encore !...
TRUCHELU.
Elle y est !...
Laverdurette le secoue.
LAVERDURETTE.
Bandit !... il faut que je te brise !...
TRUCHELU.
Lâchez-moi !...
LAVERDURETTE.
Misérable !... il me faut trois palettes de ton sang !...
TRUCHELU, outré.
Vous êtes donc un carabin !...
LAVERDURETTE, hors de lui.
Il tenait son chapeau... tantôt... devant moi... Où est son chapeau ?...
L’apercevant sur un siège.
Ah ! c’est lui ! le voilà !...
TRUCHELU, se jetant dessus, le met sur sa poitrine et l’aplatit sur son sein en boutonnant son habit.
Viens le chercher !
Il se met en défense.
LAVERDURETTE, retenu par les autres.
Mais, brigand, ouvre-moi cette porte... ma femme est là... je le sais... Ouvre !... ouvre !...
TRUCHELU, à part.
Tromblon ne l’a donc pas fait partir ?
BUISSONNET, à part.
C’est le moyen de la sauver.
Courant à la porte.
Eh bien ! vous allez la voir, cette femme !...
TRUCHELU, sautant sur lui.
Ah ! Buissonnet !... n’ouvre pas !...
BUISSONNET.
Si !... il le faut.
TRUCHELU, luttant avec lui.
Tu me perds !... tu la perds !...
LAVERDURETTE, retenu par Hector.
Mais, ouvrez donc.
BUISSONNET.
Tout de suite !... Voilà !
TRUCHELU, luttant toujours.
Buissonnet, tu me perds !... Buissonnet, tu me tues !...
La porte s’ouvre, il jette un cri et tombe sur un siège en se cachant la tête dans ses mains.
Ah ! voilà la crise !...
Mlle Cordonnet sort du cabinet.
LAVERDURETTE et HECTOR, avec un ton différent.
Ce n’est pas elle !...
TRUCHELU, se levant d’un bond.
Ce n’est pas elle ?... Qui ?...
MADEMOISELLE CORDONNET.
C’est moi, gredin !...
TRUCHELU, jetant un cri.
La Cordonnet !... D’où sort-elle ? d’où vient-elle ?...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Ah ! tu ne m’attendais pas là !...
TRUCHELU, cherchant à fuir.
Passage !... laissez-moi fuir !... Je la retrouverai donc partout !
Il s’élance vers la porte, le tailleur, le traiteur et le chapelier paraissent.
TOUS TROIS.
Le voilà !...
Chœur.
Air nouveau de M. Couder.
LES CRÉANCIERS.
Le voilà pris sur place,
Cernons son logement ;
Notre bonté se lasse,
Sur lui faisons main-basse,
Ou qu’il paie à l’instant.
TRUCHELU.
Ils viennent, quelle audace,
Cerner mon logement !
Comment quitter la place ?
Comment de cette race
Me défaire à l’instant ?
LAVENDURETTE, HECTOR et MADEMOISELLE CORDONNET.
Quelle affreuse grimace !
Ah ! dans son logement
C’est lui-même qu’on chasse ;
Ils ont cerné la place,
Il est pris maintenant.
LAVERDURETTE.
Quels sont ces gens ? Dieu ! quel tapage !
TRUCHELU.
Mes créanciers... Je suis en cage !
Me voilà pris au trébuchet...
Ah ! comment fuir ? J’enrage !
LES TROIS CRÉANCIERS.
Payez... car nous avons protêt...
TRUCHELU, furieux.
Payer ? jamais !... Allons, passage !
Ou, d’un bras colossal,
Je fais dans ce local
Un massacre général.
Trémolo jusqu’à la reprise du chœur.
TOUS TROIS.
Tombons sur lui !...
La voix de FANFIGNOLE, sous les fenêtres en dehors.
En rrroute, la Grise !... Oh ! hue ! oh ! hue !...
Criant.
Eh !... l’ père Laverdurette est-il chez lui ?
TRUCHELU, à part.
Oh ! quelle inspiration !
LAVERDURETTE.
Tiens... le paysan de Franconville !
TRUCHELU.
Sautons le pas.
Il saute par la fenêtre.
La voix de FANFIGNOLE.
Hue !... hue !... la Grise !...
On entend la voiture qui roule.
MADEMOISELLE CORDONNET, alarmée.
Ah ! mon Dieu !... il s’est tué !...
BUISSONNET, bas.
Non... restez...
HECTOR, qui a vu remuer le rideau de l’alcôve, l’entr’ouve.
Ciel !... elle est là !...
Il va au-devant de Laver-durette et l’entraine.
Venez.
Reprise du chœur.
HECTOR, à part.
Elle ici... quelle audace !
Et l’époux confiant
Abandonne la place...
À mes yeux, point de grâce !
Je la fuis à l’instant.
LAVERDURETTE.
Allons, quittons la place ;
Rassuré maintenant,
Ah ! que j’étais bannasse
De croire à tant d’audace
Quand ma femme m’attend.
LES CRÉANCIERS.
Courons, quittons la place,
Poursuivons vivement
Le fripon ! Point de grâce !
Sur lui faisons main-basse,
Qu’il soit pris à l’instant.
MADEMOISELLE CORDONNET et BUISSONNET.
Restons à cette place,
Car dans ce logement
C’est { moi qui le remplace ;
{ lui
Pauvre cousin ! } qu’il fasse
Truchelu part, }
Un voyage charmant.
Hector entraîne Laverdurette.
ACTE II
Le théâtre représente la cour de la ferme de Fanfignole, fermée par un mur au fond. À droite, tenant au mur, une partie de la maison de Laverdurette ; une fenêtre au premier, faisant face au public ; au-dessous de la fenêtre un treillage. À droite, premier plan, la maison de Fanfignole ; à gauche un hangar. Droite et gauche, deuxième plan, deux portes charretières donnant entrée dans la cour. Une table et tout ce qu’il faut pour écrire ; quelques chaises de paille.
Scène première
FANFIGNOLLE, à table, faisant des comptes, MARGOTTE, de l’autre côté, battant le beurre, GROSLAID, au milieu, vannant du grain, des PAYSANS rentrant du foin, PAYSANNES portant des fardeaux
CHŒUR GÉNÉRAL.
Air : de la Fiancée.
Travaillons bien, allons, courage !
À nos travaux mettons du cœur,
Dépêchons-nous, après l’ouvrage,
C’est le plaisir et le bonheur.
GROSLAID.
Mamzelle Margotte, j’ pourrons-t’y vous offrir mon bras pour vous conduire à la fête ?
MARGOTTE.
Votre bras !... plus souvent !...
GROSLAID.
Ah ! si M. Buissonnet était encore ici...
Il soupire.
Vous ne lui refuseriez pas votre bras...
MARGOTTE, battant le beurre en lui tournant le dos.
Laissez-moi tranquille !...
FANFIGNOLE.
Où est donc Jeanne !... je ne l’ai pas encore vue de la matinée ?...
MARGOTTE.
Ma tante ? Elle est dans la plaine... au milieu de ses moutons...
FANFIGNOLE.
Un jour de fête ! Et le Parisien... est-ce qu’il dort encore ?...
MARGOTTE.
M. Truchelu ? Oh ! que non... il est sorti dès le petit point du jour... avec sa houlette.
GROSLAID.
Et son chien.
À part.
Gredin de Parisien, va ! on avait ben besoin, lorsqu’il m’est tombé sur les épaules, dans la voiture, de l’amener ici.
Il montre sa demeure.
FANFIGNOLE.
Avec sa houlette ?... Diable !... est-ce qu’il serait allé trouvé Jeanne ? L’autre jour je l’ai aperçu qui lui pinçait la taille...
MARGOTTE.
Voilà un beau garçon, M. Truchelu... et aimable !... il a toujours de jolies choses à vous dire...
GROSLAID.
Oui... et à vous prendre... il embrasse toutes nos jeunes filles... Et dire, bourgeois, que vous êtes assez... b... bon enfant pour lui vendre votre petit terrain attenant à votre ferme... vous voulez l’installer dans l’ pays... Allez !... allez !... je ne vous dis que ça !...
FANFIGNOLE.
Qu’est-ce que t’entends par là drôle !...
GROSLAID.
Moi... rien... marchez... pis vous verrez...
FANFIGNOLE.
Veux-tu bien te taire !... ou je t’assommons !...
GROSLAID.
Je me tais !...
À part.
Mais c’est égal... si je pouvons lui jouer un pied... de Sainte-Ménéhoulde... Oh ! Dieu !...
Scène II
LES MÊMES, HECTOR
HECTOR.
Bonjour, mes bons amis...
TOUS TROIS.
M. Hector...
HECTOR.
Je suis de retour de ce matin... depuis un mois je voyage...
FANFIGNOLE.
Et vous vous êtes dit : En allant à Paris, je vais passer par Franconville pour voir ma cousine.
HECTOR.
Est-ce que M. Laverdurette est à sa maison de campagne ?...
FANFIGNOLE.
Non... mais il ne tardera pas, je l’ai vu ces jours derniers à Paris, en allant au marché... il nous a bien promis de venir honorer not’ fête de sa présence, avec sa bonne et vertueuse dame.
HECTOR, réprimant un mouvement, à part.
Je devrais la fuir ! la détester !... et cependant c’est pour elle que je suis revenu ici.
MARGOTTE.
Si vous voulez entrer à la ferme pour l’attendre ?...
HECTOR.
Merci, ma belle enfant...
GROSLAID, dans le fond.
Tiens ! j’apercevons M. Truchelu...
HECTOR, surpris.
Truchelu ?
FANFIGNOLE.
Truchelu...
GROSLAID, à Fanfignole.
J’ crois qu’y court après vot’ femme...
FANFIGNOLE, courant au fond.
Après ma femme ? Eh ! non... imbécile, ma femme est seule... près de son troupeau... Y m’ fait des peurs...
HECTOR, bas, à Groslaid.
Truchelu habite donc ce village ?
GROSLAID, désignant le pavillon.
C’est là qu’il demeure...
HECTOR, à lui même.
En face de la fenêtre de ma cousine... Mes soupçons se confirment... depuis le jour où j’ai surpris Eugénie dans sa chambre... je suis parti sans pouvoir obtenir une explication, et puisque je le retrouve ici, cette fois il ne m’échappera pas...
Haut.
M. Fanfignole je vais faire un tour dans le village... admirer les préparatifs de la fête...
FANFIGNOLLE.
Oh ! ce sera charmant !... nous avons le tir au fusil... le tir à l’oie... la course en sac... et un bal champêtre avec trois clarinettes...
HECTOR.
Au revoir, mes amis, au revoir...
Air : Ô Dieu des Flibustiers.
Ajournons mon départ,
Il faut dans le silence
Assouvir ma vengeance !
Ce n’était qu’un retard.
GROSLAID, à part.
Il arrive un peu tard,
Mais cet égal, je pense,
S’il l’assomme en silence,
J’ bénirai son départ.
TOUS.
Ajournez vot’ départ,
Car la fête commence,
Soyez tout à la danse,
Vous nous quitt’rez plus tard.
Hector sort.
Scène III
LES MÊMES, puis TRUCHELU
GROSLAID.
Ainsi, mamzelle Margotte, c’est bien décidé, vous ne voulez pas me donner l’espoir, si Buissonnet ne revient pas... de prétendre à votre jolie petite menotte ?...
MARGOTTE.
Jamais !...
GROSLAID, vexé.
Jamais.
FANFIGNOLE, vers le fond.
Ah ! voilà M. Truchelu !
GROSLAID.
Ma Bête vélimeuse ? Il arrive ben...
Fanfignole retourne à sa table, Margotte se remet à battre le beurre, et Groslaid vanne de nouveau ; on voit Truchelu paraître par la porte charretière à droite, il est habillé en berger trumeau, il porte une houlette, et traîne à sa suite un énorme bouledogue ; il avance d’un air vaporeux, en regardant les paysans travailler.
TRUCHELU, poétiquement.
Air : Du Pâtre du Tyrol.
Que j’aime à voir dans la campagne,
La luzerne, le ciel d’azur,
Le chien d’ berger qui m’accompagne,
Les jupons courts à l’œil si pur,
L’ trèfle des vallons,
Les bœufs, les moutons,
Le soleil et sa compagne,
Le chant des oiseaux,
Le bruit des ruisseaux
Mélancoliques échos.
Il reprend le premier vers à moitié, puis tire la corde de son chien en s’interrompant.
Ici Manlius ! Voilà le gardien fidèle des timides brebis... Trouvez-moi un chien de berger taillé sur ce modèle ?...
MARGOTTE.
Bonjour, M. Truchelu...
GROSLAID, à part.
Elle l’agace !...
TRUCHELU.
Ah ! bonjour petite Margotte !... Quelle fraîcheur !... qu’elles jolies pommes d’apis... Trouvez moi donc ça rue de Bréda.
MARGOTTE.
Vous êtes bien bon... ce n’est pas comme ce loup de Groslaid.
GROSLAID.
Loup !... loup !
TRUCHELU.
Le fait est que ce n’est pas le plus bel échantillon de l’espèce mâle du terrain.
GROSLAID, grommelant.
Va toujours... va toujours...
TRUCHELU.
Et ça jure... auprès de vous, qui êtes si gentille... en pleine floraison...
Pénétré.
Ah ! ce n’est pas pour dire... Franconville est le véritable jardin de Seine-et-Oise... le pays des fleurs... et des abricots... et je passe mes instants à en cueillir.
Il embrasse Margotte.
GROSLAID, avançant et se plaçant entre eux, lui envoie des grains dans la figure, chantant.
J’ons rencontré Nanette
Qui s’en allions aux champs...
TRUCHELU, reculant.
Le butor ! Est-ce qu’il n’y a pas de place dans la cour.
GROSLAID, même jeu.
Où vas-tu donc Brunette ?
Lui dit un beau passant.
TRUCHELU, de même.
Est-ce que tu est sourd, buse ?
En se reculant. Il se trouve contre la table et Fanfignole qui se lève, en retirant sa chaise, la lui envoie dans les jambes.
Oh !
FANFIGNOLE.
Hein ?
TRUCHELU, tirant son chien.
Ici Manlius !...
FANFIGNOLE.
Est-ce que je vous ai frôlé ?
TRUCHELU.
Heurté... seulement heurté...
Lui pressant la main.
Ce bon cultivateur... comment va votre femme ?
FANFIGNOLE, à part.
Toujours ma femme !...
TRUCHELU.
Je ne l’ai pas encore vue ce matin... Vous pouvez vous flatter d’être bien partagé... Ce bon cultivateur !... la villageoise la plus ronde et la plus gaie de la commune... Ah ! j’éprouve une joie ineffable à garder les bêtes avec elle...
FANFIGNOLE, vivement.
Comment... est-ce que ?...
TRUCHELU, lui prenant de nouveau la main.
Ce bon cultivateur !... Ah ! vous avez là une femme bien aimable... une grosse boulotte bien divertissante... je vous en fais mon compliment...
FANFIGNOLE, se contraignant.
Bon... bon... bien bon !...
TRUCHELU, à part.
Il est ravi, ce paysan ! je flatte son amour-propre...
Haut.
Je suis joyeux, je suis content... je voudrais passer ma vie au sein de cette contrée.
FANFIGNOLE.
Oui... Eh bien ! je me suis décidé... je vous cède mon terrain... nous causerons de cet article aujourd’hui...
TRUCHELU.
Votre adjudication me sourit...
FANFIGNOLE, à Groslaid et Margotte.
Enfants, voici l’heure de la fête, allez vous habiller.
MARGOTTE, à part.
Je voudrais bien savoir si M. Truchelu a reçu des nouvelles de Buissonnet...
Bas à Truchelu.
M. Truchelu, attendez-moi ici pendant la fête...
TRUCHELU, bas.
Oui... seul... seul...
GROSLAID, à part.
Elle lui a parlé bas...
À Margotte.
Vous dites...
MARGOTTE.
Ça ne vous regarde pas.
TRUCHELU, à part, étonné.
Et c’est elle qui me donne un rendez-vous...
GROSLAID, qui a entendu, à Truchelu.
Un rendez-vous ?...
TRUCHELU.
Ça ne te regarde pas...
À part.
Je n’y manquerai pas.
CHŒUR.
Même air qu’au lever du rideau.
Tous à la fête du village,
Il faut nous rendre avec ardeur,
Dépêchons-nous ; après l’ouvrage,
C’est le plaisir et le bonheur.
TRUCHELU, tirant son chien.
Ici, Manlius !
Il fait rentrer son chien pendant le chœur ; les paysans sortent par le fond ; Fanfignole et Margotte rentrent dans le bâtiment à droite.
Scène IV
TRUCHELU, seul
Il est bon là, ce joyeux fermier !... il croit que je lui achèterai son lot... Depuis que j’ai hérité de ma tante Fumichon, et que j’ai payé mes dettes, je me range... j’encaisse mes écus comme Harpagon... et puisque je suis abrité gratis sous ce chaume hospitalier... j’y reste... je me fais campagnard à perpétuité... je me naturalise paysan... et je retranche de ma vie les grisettes et les créanciers.
Scène V
TRUCHELU, FANFIGNOLE, MARGOTTE, GROSLAID, MONSIEUR LAVERDURETTE, EUGÉNIE, PAYSANS, PAYSANNES, en habits de fête
CHŒUR.
Air de quadrille.
C’est la fête qui commence,
À la danse,
Aux plaisirs, aux jeux,
Livrons-nous avec ivresse ;
Qu’on s’empresse
D’être heureux.
M. Laverdurette et Eugénie entrent après le chœur.
TOUS.
Vive M. le maire ! vive M. le maire !
LAVERDURETTE, saluant de la main.
Merci, mes chers administrés, merci de votre réception...
TRUCHELU, à part.
Ah ! Dieu ! mon ophicléide.
LAVERDURETTE.
Je viens prendre part aux plaisirs de votre fête... L’année prochaine je doublerai les prix... et doterai ma commune... d’un feu d’artifice.
TOUS.
Vive M. le maire !
LAVERDURETTE, bas à sa femme.
Ils sont enchantés de moi... ça me popularise... ça me pose... je leur donne des lumières...
TRUCHELU.
Oh ! ma jolie voisine de Paris...
EUGÉNIE, le voyant, surprise.
Ce jeune homme ici... et sous ce costume... dans quel but ?
MARGOTTE, à Laverdurette.
Bonjour, mon parrain !
LAVERDURETTE, l’embrassant.
Bonjour, Margotte... bonjour, mon enfant... Comme elle est embellie... comme elle pousse.
EUGÉNIE, qui s’est approchée doucement de Truchelu.
Monsieur... et mes lettres ?...
TRUCHELU, bas.
Vos lettres... je vous les donnerai ce soir... en secret...
GROSLAID, qui a entendu les derniers mots de Truchelu, à part.
Un rendez-vous... la femme du maire...
Oh !
LAVERDURETTE, à part.
Avec qui ma femme parlait-elle ?
Il s’approche et le reconnaît.
Tiens !... mon voisin de Paris... la clarinette...
TRUCHELU.
Moi-même... j’ai quitté cette embouchure...
LAVERDURETTE.
En berger ?...
TRUCHELU.
Je me suis livré aux champs...
FANFIGNOLE.
C’est mon locataire... il loge ici...
Il lui désigne le logement.
LAVERDURETTE.
Ah ! ici...
À part.
Et ils se parlaient bas... Est-ce que l’histoire de Tromblon ?... Oh ! oh ! je surveillerai !...
À Eugénie.
Votre bras, Madame...
EUGÉNIE.
Nous rentrons déjà chez nous, mon ami ?
LAVERDURETTE.
Oui, ma chérie...
À part.
Sa voix paraît tremblante !... il y a quelque chose.
À sa femme.
Ne me quittez pas...
Haut.
Allons, mes amis, tout à la joie...
MARGOTTE, bas à Truchelu.
Attendez-moi, ne manquez pas.
TRUCHELU, bas.
Je me cloue !
FANFIGNOLE, prenant un fusil, à Truchelu.
Moi, je vais au tir au fusil.
GROSLAID, de même.
Moi, je vais au tir à l’oie.
TOUS.
Vive M. le maire !
CHŒUR.
Air de la Sirène.
Partons, partons, tout le village.
Est sur la place assemblé, je le gage ;
À nous presser tout nous engage,
Plaisirs perdus
Ne se retrouvent plus.
Ils sortent tous, à l’exception de Truchelu.
Scène VI
TRUCHELU, puis JEANNE
TRUCHELU.
Cette petite Margotte est folle de moi...
Avec conviction.
Je la rendrai heureuse !...
On entend Jeanne chanter dans la coulisse un refrain villageois.
Tiens ! la femme de Fanfignole... elle revient de la plaine... elle ramène ses agneaux... C’est qu’elle est fort bien, cette boulotte !... Tandis que nous sommes seuls à la ferme... j’ai bien envie de faire de la pastorale avec elle...
JEANNE, sans le voir.
Air de Madeleine et Gros-Jean.
C’est jour de fête, et j’arrivons
De mener paître mes moutons.
Mes oies, mes canards, mes dindons ;
J’crois être au sein de ma famille,
Je suis heureuse quand j’lui parlons,
Elle est joyeuse, elle est gentille !
Ell’glousse, ell’bêle, elle sautille,
Elle est plus gai’que mon mari,
Elle est bien plus aimable aussi,
Y n’fait que bougonner ici :
– Femme, arrange ça ! femme fais ceci !
Faut batt’le beurre, il faut porter la manne ;
Il me fait faire un métier de cheval,
Si j’ai peu de plaisir, en r’vanch’j’ai beaucoup d’mal.
TRUCHELU.
Comme c’est campagne !... comme c’est pur !...
Ensemble.
JEANNE.
Il faut toujours que j’lui cédions,
Il est entêté comme un âne !
Tandis qu’aux champs, je commandons,
J’y somm’s maîtresse, et j’préférons
Mes oies, mes canards, mes dindons.
TRUCHELU, l’imitant en criant.
Il faut toujours qu’ell’lui cédiont,
Il est entêté comme un âne !
Au lieu qu’aux champs ell’commandont,
Elle est maîtresse, ell’préféront
Ses oies, ses canards, ses dindons.
JEANNE, se retournant.
Tiens ! c’est vous, M. Truchelu ?
TRUCHELU, appuyant.
Je vous accompagnions... et je me divertissions !
JEANNE.
Où donc est not’ homme ?
TRUCHELU.
Il est... à la fête... Ah !... Jeanne ! il y en a un ici qui est plus à la fête que lui.
JEANNE.
Un ?
Regardant autour d’elle.
Bah ! qui donc ça ?
TRUCHELU, la prenant par la taille.
Votre aimable berger !
JEANNE, lui donnant une forte tape sur la main.
À bas !... à bas !... Il m’asticote toujours, c’grand mirliflor !...
TRUCHELU.
Ah ! Jeanne ! si j’avais su que vous étiez au sein de vos brebis, je me serais empressé de me mêler à la foule, pour jouir de la vue de ce gras pâturage... qui frappe mes yeux...
JEANNE, d’un air bête.
Bah !... et puis ?...
TRUCHELU.
Et puis... pour te lutiner, te fasciner... te rendre folle de moi.
Il lui prend la taille.
JEANNE, lui donnant un coup de poing dans le côté.
Eh ben !... y m’tutèye...
TRUCHELU, faisant la grimace.
Oh !
Même jeu.
Grosse méchante... oh ! grosse boulotte !
JEANNE, même jeu.
Grand farceur, va !...
TRUCHELU, même jeu.
Aïe !...
JEANNE, riant bêtement.
Eh ! eh ! eh ! le Parisien !... c’est comme not’ homme quand y m’faisions la cour...
Imitant un chat.
à la mi-août... y m’donnait une grande tape... comme ça...
Elle lui donne une grosse tape sur l’épaule. Même jeu.
et je lui renvoyissions une caresse... itou... Boun !
Une bourrade.
TRUCHELU.
C’est la manière de se faire une déclaration à la campagne... il faut que je la séduise...
Lui donnant une tape.
Grosse luronne !
JEANNE, lui redonnant un coup de poing.
Ah ! ça vous va... Boun !...
TRUCHELU, même jeu.
Boun !...
JEANNE, même jeu.
Boun !
Elle le fait reculer en le bourrant de coups de poing.
TRUCHELU.
Assez !... assez !...
Il tombe essoufflé sur une chaise.
Ouf !... quel poignet ! Ha ! gaillarde !... Cristi ! la gaillarde ! je dois avoir les côtes tricolores...
JEANNE, riant aux éclats.
Ah ! ah ! ah ! y renonce !... Pouf ! sur l’flanc... comme un âne au vert...
TRUCHELU.
C’est drôle ! c’est neuf ! c’est ravissant !... je m’amuse beaucoup !
JEANNE.
Comme not’ homme... il est épousifflé. Ah ! ah ! ah !
TRUCHELU.
Cette bergère est folle de moi !...
Se levant ; avec explosion.
Gardeuse de bétail !...
JEANNE.
Eh ben !... qu’est-ce qui lui prend !...
TRUCHELU, de même.
Jeanne !... quoique tu portes le nom d’une chèvre, tu es un agneau... une brebis caressante... il faut que je te dérobe une collection de baisers !...
JEANNE, en défense.
Avisez-vous-en...
TRUCHELU.
Il m’en faut... une table... de multiplication.
Air Languedocien.
Il faut que j’ t’embrasse.
JEANNE, en défense.
V’nez-y, beau coco !
TRUCHELU.
Ta menace
Double mon audace,
J’en veux à gogo,
Appuyant.
J’en veux une masse,
Friponne !
JEANNE.
Oui-da !
Sur vot’ face
J’ marque la surface
De cette main-là.
ENSEMBLE.
Ah ! ah ! ah !
TRUCHELU.
Une attaque ?...
JEANNE, lui donnant un soufflet.
La voilà.
ENSEMBLE.
Ah ! ah ! ah !
Mille baisers pour cela.
Vous n’aurez rien pour cela.
Deuxième couplet.
TRUCHELU, avec feu.
Je suis une braise !
Un brûlant tison !
JEANNE.
À votre aise !
TRUCHELU.
Que ça te plaise
Ou t’ déplaise,
J’en veux un million !
Faut que j’ les dépose
Sur cette joue-là
Comm’ la rose
Toute fraiche éclose.
JEANNE, se sauvant.
Nous somm’s deux pour ça.
ENSEMBLE.
Ah ! ah ! ah !
TRUCHELU, l’attrapant et lui prenant un baiser.
J’ tiens le premier.
JEANNE, lui donnant un soufflet.
Le voilà.
ENSEMBLE.
Ah ! ah ! ah !
Le double pour celui-là.
Vous n’aurez rien pour cela.
Au moment où il l’embrasse pour la deuxième fois, Fanfignole paraît dans le fond ; il a son fusil ; Truchelu s’éloigne vivement de Jeanne, il court à gauche et se met machinalement à battre le beurre..
Scène VII
TRUCHELU, JEANNE, FANFIGNOLE, il a son fusil
FANFIGNOLE, à part.
Oh ! il embrassait ma femme.
TRUCHELU, à part.
Je crois qu’il m’a vu.
FANFIGNOLE.
Méchant Parisien... ça te coûtera cher !...
JEANNE, à Fanfignole, lui tapotant les joues.
Bonjour, not’ homme !... bonjour, gros rougeot !... Déjà revenu de la fête ? Comme tu t’es dépêché.
FANFIGNOLE, ironiquement.
Oui... Tu trouves que je me suis trop ?
Regardant Truchelu qui bat le beurre.
Qu’est-ce que vous faites donc là ?
TRUCHELU, s’arrêtant.
Moi... je me distrais... pour tuer le temps.
FANFIGNOLE, de même.
Ah ! je m’aperçois que vous avez beaucoup de moyens de distraction.
TRUCHELU, à part.
Allons, il m’a vu.
FANFIGNOLE, à Jeanne.
Est-ce qu’il y a longtemps que tu as ramené ton troupeau, femme ?...
JEANNE.
Un gros quart d’heure... Oh ! mais je n’ons point eu le temps de m’ennuyer... M. Truchelu me tenait compagnie... il est si farceur.
FANFIGNOLE.
Ah !... Et qu’est-ce qu’il te disait... M. Truchelu ?
JEANNE.
Nous avons joué aux taloches.
FANFIGNOLE.
Ah !
Il examine la batterie de son fusil.
TRUCHELU, inquiet.
Oh ! une espèce de main chaude... de pied de bœuf... jeu innocent.
FANFIGNOLE.
Ah ! il paraît que vous aimez assez ce genre de jeux innocents.
TRUCHELU, inquiet.
Est-ce que votre canardière est chargée ?
FANFIGNOLE.
À double balle... et je suis sûr de descendre mon homme à cent pas... vu l’habitude.
Même jeu.
TRUCHELU.
Ne jouez donc pas avec cet ustensile.
FANFIGNOLE.
Vous paraissez bien agité.
TRUCHELU.
Oui, le sang m’incommode... j’ai des nuées... Je vais prendre l’air.
FANFIGNOLE, faisant résonner son fusil.
Restez donc !... je veux... sans sortir, vous donner de quoi vous rafraîchir.
TRUCHELU, s’arrêtant.
Hein ?... Il me fait frémir avec son arquebuse.
FANFIGNOLE.
Est-ce que c’est toi, Jeanne, qui est cause que le sang lui monte à la tête ?
JEANNE.
Ça se pourrait ben... Y m’a dit un tas de choses...
Truchelu fait signe à Jeanne de se taire.
t’as le nom d’une chèvre... j’ veux une multiplication... des bêtises !...
FANFIGNOLE, fixant Truchelu.
Une multiplication ?...
TRUCHELU.
Elle me vend !
Criant.
C’est faux !... elle empiète !... elle chantourne !... votre femme chantourne.
JEANNE.
Et puis, il m’a pris la taille.
TRUCHELU.
Cette femme est un jeton... je n’ai pas touché à sa ceinture...
JEANNE.
Il aime beaucoup ma taille, le Parisien... il est ben plus galant que toi...
FANFIGNOLE, même jeu de fusil.
Ah ! vous lui avez pris !...
TRUCHELU.
Où est le mal ?... elle est propriétaire de plusieurs ares... je suis son hôte, et...
Avec inspiration.
Ah !... et nous parlions... perche.
JEANNE.
Perche ?
TRUCHELU, lui faisant des signes.
Oui... vous savez bien... cette perche de terrain que vous voulez me repasser.
FANFIGNOLE.
Est-ce que vous avez des convulsions dans les bras ? vous êtes là, à faire le télégraphe.
TRUCHELU.
Moi... j’ai des tourbillons... je vais prendre un bain de pied.
FANFIGNOLE, même jeu du fusil.
Restez donc... Tandis que nous sommes seuls, nous allons terminer ce petit marché... Ce terrain vous plaît beaucoup ?
TRUCHELU.
Oui, au premier abord... il m’avait paru pittoresque... Un champ de sainfoin...
FANFIGNOLE, montrant la table.
Nous avons justement ici tout ce qu’il faut pour cela.
TRUCHELU.
Oh ! ça ne presse pas... demain... dans quinze jours... dans un an... Respirons !...
FANFIGNOLE.
Et moi je tiens à terminer aujourd’hui même... il y a Jérôme Blouson qui me tourmente pour le lui céder.
TRUCHELU, vivement.
Oui... Eh bien ! si Blouson vous en donne un prix plus élevé... il ne faut pas vous blouser...
FANFIGNOLE, même jeu.
Moi, je tiens à vous donner la préférence... Blouson fait les yeux doux à ma femme.
JEANNE.
Tiens !... je ne m’en sommes jamais aperçue... Il louche !...
FANFIGNOLE.
Et s’il devenait mon voisin... je ne répondrais pas de moi...
Couchant Truchelu en joue.
TRUCHELU, effrayé.
Baissez donc votre espingole.
FANFIGNOLE.
Car je suis jaloux de ma femme.
Air :de Fanchon.
Si d’ trop près on la regarde,
Ah ! qu’on y prenne garde !
C’est not’ bien, on le défendra.
Couchant Truchelu enjoue.
Un’ deux... j’ vise à la tête,
Et je suis sûr, l’œil est bon là,
De descendre la bête.
TRUCHELU, à part, inquiet.
C’est pour moi qu’il dit ça.
FANFIGNOLE.
Si quelqu’un, l’œil en flamme,
Veut embrasser ma femme,
Pour me payer de c’ t’accroc-là...
Même jeu.
Je l’ couche doit en ligne ;
Faut qu’ l’imbécil’ qui m’outragea
Saute le pas...
Montrant le papier qui est sur la table
Ou signe.
TRUCHELU, de même.
C’est pour moi qu’il dit ça.
FANFIGNOLE.
Ah ! c’est que nous ne badinons pas, nous autres, sur le chapitre de l’honneur !
TRUCHELU.
Fichtre !... vous êtes chatouilleux !...
À part.
Quel grognard !...
FANFIGNOLE.
Allons, M. Truchelu, signons... et que cela soit fini !...
Il écrit l’acte de vente.
TRUCHELU, à part.
Ce paysan a une manière de vendre son bien... que je n’ai pas encore vu mettre en usage...
FANFIGNOLE, reprenant son fusil.
Il ne manque plus que votre griffe... Allons...
TRUCHELU, se résignant.
J’en serai quitte pour 300 francs... une perche de sainfoin...
À table.
Tout est bien en règle !
FANFIGNOLE.
Oh ! je me connaissons en affaires.
TRUCHELU, regardant.
Pardon, il y a erreur.
FANFIGNOLE.
J’ai omis... quelque chose ?
TRUCHELU.
Au contraire.
FANFIGNOLE, le regardant.
600 francs... c’est bien le prix convenu.
TRUCHELU.
300 francs, nous avions dit 300 francs...
FANFIGNOLE, faisant résonner son fusil.
C’était 600 francs.
TRUCHELU, retombant sur son siège, à lui-même.
Je suis dans un coupe-gorge.
Regardant le papier.
Faites donc des économies !...
JEANNE.
Ah ! M. Truchelu... que je suis donc contente que vous soyez notre voisin !
TRUCHELU, furieux, à part.
Pécore !...
FANFIGNOLE, la faisant passer de l’autre côté.
Femme, à la ferme !
À Truchelu.
Air : de la prison d’Édimbourg.
Je vous quitte ! pour votre compte
Labourez ce petit terrain,
Car la récolte sera prompte,
Et vous serez content du gain.
TRUCHELU, à part.
Je sais ce qu’un baiser me coûte !
Qu’on m’y reprenne une autre fois.
Cett’ ferme est une grande route,
Je suis volé comm’ dans un bois.
Reprise.
FANFIGNOLE, JEANNE.
Je vous quitte, etc.
TRUCHELU.
Me forcer à signer un compte
Chez lui, les armes à la main,
C’est un’ manière neuve et prompte
De se défaire d’un terrain.
Fanfignole rentre dans la maison avec sa femme.
Scène VIII
TRUCHELU, puis MARGOTTE
TRUCHELU, qui est resté anéanti sur sa chaise se lève furieux.
Mais ce cultivateur est un filou !... 600 francs deux baisers, 600 francs !... À Paris on en a à meilleur marché...
Se tâtant les côtes.
et qui procurent de plus douces sensations !...
MARGOTTE, dans la coulisse.
Groslaid, je vous défend de me suivre ainsi.
TRUCHELU.
Une voix de femme !... Ah ! Margotte, qui m’a donné rendez-vous... Cette jeune fille serait-elle encore une souricière que l’on m’a tendue ?... Je m’exile... dans mon champ de sainfoin.
Il va pour sortir.
MARGOTTE, l’appelant.
Ah ! M. Truchelu !...
Elle court à lui.
TRUCHELU.
Ne m’approchez pas... à deux lieues... te-nez-vous dans les bornes...
À part.
Je sais ce que l’autre m’a coûté.
MARGOTTE.
Eh bien ! c’est comme cela que vous me recevez ? moi qui accourais si joyeuse... pour causer un petit brin.
TRUCHELU.
Ici... ici... en tête-à-tête ? Si nous étions au désert de Sahara... dans les sables... je ne dis pas... et encore...
MARGOTTE.
Mais qu’avez-vous donc ? vous avez l’air tout bouleversé... Est-ce que vous seriez malade ?
TRUCHELU.
Je suis fort indisposé...
MARGOTTE, s’approchant.
Ah ! mon Dieu !
TRUCHELU.
Plus loin... plus loin...
Regardant autour de lui.
Qui vient là ?
MARGOTTE.
Mais, personne.
À part.
Je sais qu’il a reçu des nouvelles de Buissonnet... si je pouvais le faire causer adroitement... M. Truchelu ?
TRUCHELU.
Elle a soupiré... elle m’a regardé... avec un air... Après tout... celle-ci n’a pas un mari brutal... qui a une terre à vendre...
MARGOTTE, gentiment.
M. Truchelu !...
TRUCHELU, s’approchant un peu et en regardant toujours autour de lui.
Jolie Margotte !...
MARGOTTE.
Resterez-vous longtemps avec nous ?...
TRUCHELU.
Énormément... un laps...
MARGOTTE.
Oh ! tant mieux !... Vous n’êtes pas comme Buissonnet, vous... la campagne a des charmes pour vous...
TRUCHELU, faisant un mouvement.
Des charmes ?...
Galamment.
Il faudrait être myope pour ne pas en trouver...
MARGOTTE.
Je suis sûre qu’il doit bien s’ennuyer à Paris ?
TRUCHELU.
Lui ?... Le Faublas !... il m’écrit qu’il se croit dans l’Olympe... le pays des immortels... et qu’il veut y finir... son temps.
MARGOTTE, à part.
Il ne reviendra pas.
TRUCHELU.
Et il a pu vous quitter, séduisante Margotte... abandonner tant de grâces, de gentillesse... pour courir les grisettes, les bals de cet antre de perdition ; il a pu dédaigner cette nature riche, splendide, ces vertus des champs si pures, si vraies, si poétiques...
Avec dédain.
Oh ! cet homme est bien de son village !
MARGOTTE.
Ce n’est pas vous qui chercheriez à faire de la peine à une jeune fille.
TRUCHELU, avec véhémence.
Jamais !... oh !...
Il cherche une expression, et ne la trouvant pas, il répète.
Jamais !...
MARGOTTE.
Oh ! que vous mériteriez qu’on vous aime...
TRUCHELU.
Oui...
À part, regardant autour de lui.
Nous sommes bien seuls... je puis me risquer.
Haut.
Je serais si heureux d’être aimé... je ne demande qu’à me laisser aimer... je suis plein de bonne volonté... Et près de vous, agaçante villageoise, près de vous on s’oublie, on oublie le ciel et la terre, on oublie ses guignons, les turpitudes du globe... près de vous... je sens une émotion... un je ne sais quoi... un ravissement.
MARGOTTE, confuse.
Monsieur !...
TRUCHELU, avec élan.
Oh ! écoutez la voix de mon cœur !...
On entend le cri d’un âne qui part de la basse-cour. Il s’arrête.
Ciel !...
MARGOTTE.
C’est Coco... notre âne gris.
TRUCHELU.
Ah ! le cri qui me réveille tous les matins... et il vient au milieu de mon délire brûlant... c’est atroce !...
Groslaid paraît avec un paysan. Ils ont chacun une fourche à la main.
MARGOTTE.
Comment, Monsieur, vous songiez à une petite paysanne ?
TRUCHELU, avec élan.
Eh bien ! oui... je t’aime... je t’aime... je t’aime.
MARGOTTE.
Ah ! bien, si je m’étais douté...
TRUCHELU.
Ça ne paraissait pas... mais ça couvait... comme le Vésuve... et ça fait irruption.
Avec élan.
Qu’on me fasse acheter vingt perches, cent arpents, le département au complet... je m’en moque... je t’embrasserai !... je t’embrasserai !... je t’embrasserai !...
Groslaid et le paysan se sont approchés tout doucement, et au moment où il la poursuit, ils s’avancent sur lui, l’un par devant, l’autre par derrière, et lui prennent le cou entre leurs deux fourches.
Aie !
ENSEMBLE.
Air de Mina, ou : Oui, tu sortiras. (Homme blase.)
Ah ! nous te tenons, c’est en vain qu’ta fureur éclate,
Serr’ le bien, { Micou, dans cette nouvelle cravate,
{ Groslaid,
Nous avons des bras
Qui ne ploieront pas ;
Nous n’ craignons pas tes gestes, ta colère,
Nous nous vengeons de toi dans cette affaire ;
Va, crie au secours,
Mais nous sommes sourds !
TRUCHELU.
J’étouffe ! au secours ! Ah ! vous me rendez écarlate !
Ôtez, ôtez-moi cette abominable cravate !
Ils ont de bons bras,
Et je ne peux pas
Les écraser dans ma juste colère,
Et leur fair’ prendre un billet de parterre,
Essayons toujours ;
Au s’cours ! au secours !
MARGOTTE, voulant les séparer.
Lâchez-le, mon Dieu ! je crois qu’il devient écarlate !
Dites-moi pourquoi sur lui votre fureur éclate ?
Ils n’écoutent pas !
Mais que faire, hélas ?
Si j’appelais à nous monsieur le maire ?
Il peut ici le sauver d’ leur colère,
Appelons toujours,
Au s’cours ! au secours !
LAVERDURETTE, à sa fenêtre.
Quel est ce tapage ?
GROSLAID.
C’est un ravisseur !
TRUCHELU, se débattant.
Redoutes ma rage !
LAVERDURETTE.
Ah ! vil séducteur !
Aux paysans.
Je descends... courage !
Il disparaît.
MARGOTTE.
Mais c’est une erreur !
REPRISE.
Ah ! nous le tenons, etc.
Il parvient à se débarrasser à l’aide de Margotte, et se sauve.
GROSLAID.
Poursuis-le, Micou.
Le paysan court.
Scène IX
MARGOTTE, GROSLAID, LAVERDURETTE, FANFIGNOLE, JEANNE
FANFIGNOLE, entrant.
Que veut dire tout ce tapage ?
JEANNE.
Est-ce que le feu est à la grange ?
GROSLAID.
C’est ben pis que ça.
TOUS.
Pis ?... Quoi donc ?
LAVERDURETTE, accourant.
Me voilà !... me voilà !... Où est il ? qu’en a-t-on fait ?
GROSLAID.
Il s’est ensauvé... le Parisien... Je l’ai surpris au moment où il voulait à toute force embrasser... Margotte.
LAVERDURETTE, sévèrement.
Comment. Mademoiselle !... il serait possible ? Un enfant à qui j’ai donné mon prénom... au féminin... mener une pareille conduite !...
FANFIGNOLE.
Ma nièce, se laisser embrasser !...
À part.
Comme ma femme !...
JEANNE.
Eh ben ! où est le mal ?
FANFIGNOLE.
Taisez-vous !... Il embrasse donc toutes les femmes de la commune, ce misérable ?
LAVERDURETTE.
Je vais lui signer un ordre d’exportation...
GROSLAID.
Oui, M. le Maire, et le plutôt possible. ça lui servira.
LAVERDURETTE.
Hein ?
GROSLAID.
Au fait... je peux ben vous dire ça... il n’en conte pas seulement qu’aux jeunes filles... je connais une femme mariée...
LAVERDURETTE, vivement.
Hein ?...
GROSLAID.
Venez par ici, M. le Maire !...
Il l’amène dans un coin.
que je vous narre ça.
FANFIGNOLE, bas, à Jeanne.
Mame Fanfignole... c’est p’t être not’ histoire qu’il lui conte...
JEANNE.
Tiens ! est-ce ma faute ?
Groslaid parle à l’oreille de Laverdurette, et lui montre sa fenêtre, en tenant derrière lui sa fourche, sans s’en apercevoir, ce qui paraît faire des cornes à Laverdurette.
LAVERDURETTE, bas, l’arrêtant.
Assez... la parole suffit.
À part.
Tromblon avait dit vrai !...
Bas à Groslaid.
Tais toi... n’ébruite pas mon état critique, je te ferai garde-champêtre !
À lui-même.
Ah ! gueuse de clarinette ?
FANFIGNOLE.
Il a l’air en colère...
LAVERDURETTE.
Il ne faut pas qu’on se doute de la bombe qui m’arrive... je laverai mon honneur dans ses veines...
FANFIGNOLE, inquiet.
Je gage, M. Laverdurette, que Groslaid vous a dit des bêtises, il ne fait que ça.
LAVERDURETTE, se contraignant.
Des bêtises ?... Oh ! oh ! sacrebleu ! non... C’est-à-dire... que... si l’on voulait... ce n’est rien... Ne vous en inquiétez pas, retournez à la fête... amusez-vous... ne pensez à rien... moi je vais me distraire... je suis joyeux... Quand à vous, ma filleule...
MARGOTTE.
Parrain !...
LAVERDURETTE.
Taisez-vous !... laissez-moi... ne me parlez plus... Je mordrais bien quelque chose ! Oh ! gueuse de clarinette !...
Il sort furieux et heurte Mlle Cordonnet qui entre.
Scène X
MARGOTTE, GROSLAID, LAVERDURETTE, FANFIGNOLE, JEANNE, MADEMOISELLE CORDONNET
MADEMOISELLE CORDONNET.
Eh bien ! qu’est-ce qu’il a donc ?... il a failli me faire tomber de ma longueur... Grand cerf-volant !
JEANNE.
Une Parisienne !... Qu’est-ce qu’elle veut encore ! c’te pimpante !
MADEMOISELLE CORDONNET, descendant en scène.
M. Fanfignole, s’il vous plaît ?
FANFIGNOLE.
C’est ici...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Alors, c’est dans cette basse-cour que demeurait, il y un mois, un nommé Buissonnet ?
FANFIGNOLE, désignant l’endroit.
Ici au premier !...
MADEMOISELLE CORDONNET, à part.
Ah ! c’est sous ce chaume que demeure Truchelu !
TOUS.
Truchelu !
FANFIGNOLE.
Vous le connaissez ?
MADEMOISELLE CORDONNET.
Si je le connais ! je l’ai trop étudié, le chenapan !
Avec sentiment.
Ah ! pour mon bonheur, il aurait fallu que je ne le connusse pas...
JEANNE.
Vous avez à vous en plaindre, belle dame ?...
MADEMOISELLE CORDONNET.
J’étais mêlée à son existence comme le lièvre à l’ormeau... Hélas ! aurait mieux valu que je ne m’en mélasse pas... Mais il gîte sous ce toit, je le sais, Buissonnet me l’a dit... et je viens l’arracher à cette vie rustique, pour le mener à Paris, où il faut qu’il m’épouse...
GROSLAID.
Oui... oh ! oui... emmenez-le... l’enjoleux...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Mais qu’a-t-il donc fait ? est-ce qu’il aurait compromis une ingénue ?
FANFIGNOLE.
Il courtise toutes nos femmes, et toutes nos filles... et s’il reste un jour de plus dans notre village... gare à lui...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Le don Juan !
On entend des cris dans la coulisse.
CHŒUR dans la coulisse.
Air : La Guerre.
La course ! la course !
Il est pris,
Chacun est surpris,
De lui voir la ressource
De pouvoir gagner le grand prix.
Scène XI
MARGOTTE, GROSLAID, LAVERDURETTE, FANFIGNOLE, JEANNE, MADEMOISELLE CORDONNET, TRUCHELU, dans un sac, il est poussé par LES PAYSANS, tout le monde rit en le voyant
TRUCHELU, continuant l’air.
Ah ! laissez-moi, de grâce !
LES PAYSANS.
Pour courir, il a l’ tac !
TRUCHELU.
Je tombe sur la place !
LES PAYSANS, riant.
Son affaire est dans l’ sac.
Trémolo jusqu’à la reprise.
TRUCHELU, criant.
Mais je ne suis pas de la course... je demande un sursis...
MADEMOISELLE CORDONNET.
C’est son filet... je l’ai dans l’oreille...
Se retournant.
Truchelu...
TRUCHELU.
Cordonnet ! délivrez-moi... ils veulent faire de moi un vainqueur.
MADEMOISELLE CORDONNET.
Est-ce dans cet asile que je devais vous retrouver, monstre ?
TRUCHELU.
Ils m’ont mis dedans malgré moi ! ils me poursuivent au galop.
MADEMOISELLE CORDONNET, gravement.
M. Truchelu, quel est votre but ?...
TRUCHELU.
Deux cents pas... Déliez-moi...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Les cordons... oui... mais de vos serments ? Je brise vos liens, à condition que vous resserrerez les nôtres...
TRUCHELU.
J’aime mieux concourir...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Insolent !
Elle lui donne un soufflet.
Voilà le prix !...
TRUCHELU.
Aïe !... Encore un !
MADEMOISELLE CORDONNET, à Truchelu.
Me recevoir ainsi après un pareil trajet... Oh ! ça ne se passera pas ainsi... je cours après toi... je t’empoigne... je te flanque dans un coucou... et fouette cocher !...
TOUS.
Et nous à la fête.
Reprise du chœur.
Il se sauve, elle le poursuit. Tout le monde sort. La nuit est venue.
Scène XII
LAVERDURETTE, puis TRUCHELU et EUGÉNIE
LAVERDURETTE, tenant un fusil.
Le soleil se couche !... on me croit en train de faire les mêmes fonctions... c’est le moment où le polisson a donné rendez-vous à ma coupable épouse... je l’attends, le chien en arrêt...
Il arme son fusil. On entend aboyer un chien.
Un organe... dans mon parc !...
TRUCHELU, derrière le mur.
Oh ! je suis happé !... c’te niche !...
Le chien aboie de nouveau.
LAVERDURETTE.
C’est lui... il est dans mon domaine !
Il se met à l’écart.
Attention !
TRUCHELU, paraissant sur le haut du mur.
Le carnivore !... il a entamé des relations, avec mes mollets... Enfin je leur ai échappé... forcé de faire le tremplin de haies en murs...
EUGÉNIE, à sa fenêtre, au premier.
J’ai entendu du bruit ! serait-ce M. Truchelu ?
LAVERDURETTE.
Une fenêtre s’ouvre... Ma femme !...
TRUCHELU.
Je n’ai plus de côtes... je n’ai plus de bras ! je n’ai plus de jambes. je ne suis plus qu’un débris... Comment descendre...
Il allonge la tête.
EUGÉNIE, se penchant.
Un homme sur le mur !...
TRUCHELU.
Ah ! un treillage le long de cette maison !
Il se pose sur le treillage.
EUGÉNIE.
Est-ce vous, M. Truchelu ?
TRUCHELU.
Hein ? Encore une femme !
TRUCHELU.
Quoi ! qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’on veut ?...
EUGÉNIE.
Mes lettres !
TRUCHELU.
J’ai bien le temps ! quand je suis en suspens... quand je suis...
Laverdurette tire son coup de fusil, Truchelu jette un cri et tombe à terre.
Je suis mort !...
EUGÉNIE, jetant un cri.
Ah !
Elle ferme vivement la fenêtre.
LAVERDURETTE, à lui-même.
Ah ! mon gaillard ! je t’ai salé ! Il est seul... allons chercher du renfort !
Il sort.
Scène XIII
TRUCHELU, BUISSONNET
TRUCHELU.
Mais on en veut donc à ma vie ? Oh ! la, la, la !
Il se relève et marche en boitant. Il a le bas de son pantalon déchiré par le chien.
Ce lieu est rempli d’assassins... je suis entouré de brigands ! Un trou !... une crevasse, pour me dérober à leur furie !...
Il s’appuie sur la table.
BUISSONNET, arrivant, il marche avec peine et boite.
Ah ! je suis rendu, voilà bien la ferme !... Gueux de Paris !
TRUCHELU.
On a parlé près de moi.
BUISSONNET.
J’ai fait la route sur un cheval de cabriolet... le seul que j’aie pu trouver.
TRUCHELU.
Je vois une ombre colossale qui se glisse de mon côté...
BUISSONNET.
Pourquoi ai-je quitté Franconville ?... ma bonne petite Margotte ?...
TRUCHELU.
Il approche, le scélérat !
Il se jette sur lui.
Misérable !...
BUISSONNET.
Aïe ! Qui est là ?
TRUCHELU, le tenant.
Ah ! tu veux me tuer !...
BUISSONNET.
Moi !...
TRUCHELU.
Tu veux me donner un mausolée ?
BUISSONNET.
Arrêtez !...
TRUCHELU, le frappant.
Tiens ! tiens ! tiens !
BUISSONNET.
Oh ! aïe !... on m’assomme !
Ils se lâchent, reculent, et se trouvant chacun près d’une chaise de chaque côté du théâtre, ils tombent sans force dessus et se relèvent subitement en jetant un cri.
TOUS DEUX.
Ah !
Ils tremblent.
TRUCHELU.
Hein ? je connais cette voix... Qui... êtes-vous ?...
BUISSONNET.
C’est Truchelu !...
TRUCHELU.
Buissonnet !
BUISSONNET.
Et c’est toi qui m’a assommé ?
TRUCHELU.
Oui... je t’ai abîmé ! je te prenais pour lui ! pour eux... pour la bande ! Malheureux !... que viens-tu faire dans cette caverne ?...
BUISSONNET.
Me reposer... reposer mes membres fatigués... je suis exténué... j’ai plus qu’une courbature...
TRUCHELU.
Bah !... Pauvre garçon !... Ce que c’est que la destinée !... tout à l’heure... pour échapper à un massacre, je fais l’ascension de cette clôture... et au moment où je descendais le long de ce treillage, comme un lézard, et qu’une jeune femme... la femme du maire... m’appelait par
Lui montrant la fenêtre.
cette ouverture... v’lan !... un coup de feu parti de je ne sais quelle direction, vient m’atteindre... Aie !... Mais j’ai encore assez de force pour abandonner ce repaire où l’on fait la chasse aux hommes... Ô Paris !... lieu de délices !... divin Élysée !... c’est dans ton sein que je veux désormais finir mes jours !...
BUISSONNET.
Paris !... c’est un Tartare !... Ah ! je reviens au village que je n’aurais jamais dû quitter...
Ensemble.
Air : Rondeau du premier acte.
BUISSONNET.
La capitale est une vrai’ galère !
L’homme y peut-il faire valoir ses droits ?
Pour l’homme actif ou l’homme solitaire,
Tous les tourments s’y trouvent à la fois.
TRUCHELU.
Ah ! la campagne est une vrai’ galère !
On est trompé dans ses goûts, dans son choix ;
Cherchez en vain sur sa surface entière,
Tous les tourments s’y trouvent à la fois.
BUISSONNET.
Tout en rendant Justice à leur langage,
Je le soutiens, les femmes de Paris
Ne valent pas cell’s de notre village,
Et cependant je m’y suis trouvé pris.
TRUCHELU.
Sous l’air naïf elles sont plus coquettes ;
Ce n’est ici que ruse et fausseté ;
Mais à Paris, du moins chez les grisettes,
C’est la franchise en infidélité.
BUISSONNET.
Dans ses salons, ses théâtres, ses rues,
Dans ses amours, fort peu favorisé,
Je n’ai trouvé partout que des sangsues ;
Et l’on prétend que c’est civilisé.
TRUCHELU.
On me vantait les vertus du village,
Du paysan le caractère humain ;
Dérision ! c’est un peuple sauvage
Qui vous accueille un fusil à la main.
BUISSONNET.
Paris, mon cher, me paraissait sublime !
J’ai cru longtemps être choyé, fêté,
Je me trompais, c’est un gouffre un abîme,
Argent, bonheur, tout au fond est resté.
TRUCHELU.
C’est blasphémer ! ô ville de délices !
Je t’ai maudite, et dans mes souvenirs,
Ah ! loin de toi, j’ai retrouvé tes vices,
Mais je n’ai pas retrouvé tes plaisirs.
BUISSONNET.
Vivre à Paris !
TRUCHELU.
Rester au sein des plaines !
BUISSONNET.
J’aimerais mieux hanter les grands chemins.
TRUCHELU.
J’aimerais mieux habiter les Cévennes,
La Catalogne ou les Marais-Pontins.
Reprise ensemble.
TRUCHELU.
Ah ! la campagne, etc.
BUISSONNET.
La capitale, etc.
TRUCHELU.
Cousin, soyons heureux chacun à notre manière... ta place est au milieu de la basse-cour... moi, dans la vieille Lutèce... où je jetai mon premier cri d’innocence !... Adieu !... répare tes forces... bois du lait... épouse une bergère !... moi, je file dans l’ombre de la nuit, pour éviter aux habitants de cet infernal séjour la politesse de me faire la conduite... Adieu !...
Il va pour sortir, et se heurte contre Hector qui entre.
Scène XIV
TRUCHELU, BUISSONNET, HECTOR
HECTOR, le saisissant.
Butor !...
TRUCHELU.
Ah ! pris !...
HECTOR.
C’est lui !... Truchelu !...
TRUCHELU.
Mon homme aux cinq cents francs !
HECTOR.
Je vous retrouve donc enfin, Monsieur... Vous allez vous battre !...
TRUCHELU.
Me battre ?... C’est le bouquet !... ah ! voilà le bouquet !... me battre !... Qu’est-ce que vous voulez ?... ma tête !... prenez-la... ma vie ?... prenez-la... mon sang ?
S’arrêtant.
Pourquoi ? Est-ce pour vos cinq cents francs ?...
HECTOR.
Bagatelle !...
BUISSONNET.
Ah ! ça, expliquez-vous !... car mon cousin est un brave garçon, incapable de commettre une mauvaise action.
HECTOR.
Incapable ? Et la présence de madame Laver-durette dans votre demeure... cette liaison secrète...
TRUCHELU, se frappant le front et criant.
Ah ! ah ! je tiens le joint ! je tiens le joint !...
НЕСTОR.
Y êtes-vous ?...
TRUCHELU.
Parbleu !... parbleu !... C’est cocasse !... il croyait que je... tandis que c’était... Ah ! ah !... c’est cocasse !... Mais je ne la connaissais pas, cette malheureuse !... je n’ai jamais eu avec elle qu’un rapport de lettres...
HECTOR.
De lettres ?...
TRUCHELU.
Au fait, c’est à lui !... ça le regarde !... je peux bien lui rendre... son style épistolaire... Tenez... voilà ce qu’elle venait chercher à mon entresol.
HECTOR, l’ouvrant.
Mes lettres !...
TRUCHELU.
Qu’elle avait oubliées... dans mon placard... et que j’allais lui remettre lorsque vous êtes tombé chez moi comme le Maure de Venise.
HECTOR.
Et je l’avais soupçonnée !...
TRUCHELU, d’un ton sentimental.
Ah ! c’est mal !... c’est très mal !...
Changeant de ton.
Ça va mieux ?... vous ne voulez plus me perforer ?... Rue du Cygne, 6, cinquième arrondissement... je vous attends demain... vous paierez le déjeuner... Pardon, je suis pressé...
Au moment où il va pour sortir, tout le monde arrive ; des paysans portent des flambeaux.
Scène XV
TRUCHELU, BUISSONNET, HECTOR, FANFIGNOLE, MARGOTTE, LAVERDURETTE, JEANNE, GROSLAID, EUGÉNIE, PAYSANS, PAYSANNES
LAVERDURETTE, montrant Truchelu.
Arrêtez cet homme !... voilà le braconnier qui escaladait les murs.
On le saisit.
TOUS.
Lui ? En prison !
TRUCHELU.
Mais je ne suis pas un braconnier... M. le maire erre.
LAVERDURETTE.
Ah ! coquin !... tu chasses la nuit sur nos terres !...
TRUCHELU.
Mais il erre, ce magistrat !... c’est moi que l’on chasse depuis ce matin !...
LAVERDURETTE.
En prison !...
TOUS.
En prison !...
BUISSONNET, passant près de lui, bas.
Sois tranquille, je vais te sauver.
Haut.
Arrêtez !...
Mouvement.
MARGOTTE, joyeuse.
Buissonnet !
TOUS.
Buissonnet !
BUISSONNET.
Oui... Buissonnet en personne... qui est content de revoir ses amis... sa fiancée...
MARGOTTE, joyeuse.
Il me revient !...
BUISSONNET.
Et qui a été accueilli dans cette ferme par un coup de fusil.
TOUS.
Ciel !...
BUISSONNET.
Il me paraît qu’on me prenait pour un braconnier...
LAVERDURETTE.
Quoi ! c’est donc vous qui étiez sur ce mur ?
BUISSONNET, faisant le simulacre d’un homme qui tire un coup de fusil.
Moi-même... C’est donc vous alors, qui avez ?...
LAVERDURETTE.
Non... non... c’est Groslaid...
GROSLAID, surpris.
Moi ?
LAVERDURETTE.
Tu me l’as dit !...
TRUCHELU, se débarrassant des paysans.
Arrière... malotrus !... vous voyez bien que la justice est éclairée...
En ce moment, les paysans qui portent des flambeaux se trouvent placés de chaque côté du maire.
LAVERDURETTE.
Ah ! ça, pourquoi prendre le chemin ?...
BUISSONNET.
Je quittais Paris, cette ville maudite !... et le désir d’arriver plus tôt ici... m’a fait sauter par-dessus les préjugés et les murs.
LAVERDURETTE, à Groslaid.
Ah ! ça, imbécile ! qu’est-ce que tu étais venu me conter ?
GROSLAID.
M. le Maire...
LAVERDURETTE.
Tais-toi !... Tu ne seras pas garde-champêtre... Buissonnet, je donne une dot à ma filleule.
BUISSONNET.
Je prends la dot... et la femme.
HECTOR, bas à Eugénie.
Eugénie... je vous avais soupçonnée injustement... puis-je espérer ?...
Il lui rend les lettres à la dérobée.
EUGÉNIE, les déchirant.
Voici ma réponse !...
TRUCHELU, qui a tout vu.
Bon ! le cousin est congédié. Tout le monde a son paquet, et moi...
Mlle Cordonnet entre et court à Truchelu.
Scène XVI
LES MÊMES, MADEMOISELLE CORDONNET
MADEMOISELLE CORDONNET.
Il n’est pas encore parti !
TRUCHELU, lui prenant le bras.
Voilà le mien !... Cordonnet, bonne amie, je n’attendais que vous pour me mettre en route...
MADEMOISELLE CORDONNET.
Bien vrai ?
TRUCHELU.
Je retourne à Paris... où je vous emmène... et où je vous épouse.
MADEMOISELLE CORDONNET.
La voiture va passer.
TRUCHELU.
La voiture !... je les ai eu horreur, les voitures... il m’est impossible de les supporter... nous irons à pied !
FANFIGNOLE.
Le Parisien part... bon voyage !...
CHŒUR.
Air : de la Fiancée (lever du rideau du deuxième acte.)
Allons, mettons-nous mettez-vous en voyage,
La leçon est bonne, je crois ;
Pour être heureux, a dit un sage,
Il faut rester chacun chez soi.