Paméla en France (Louis DE BOISSY)

Comédie en trois actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 4 mars 1743.

 

Personnages

 

LE MARQUIS, Amant de Paméla

PAMÉLA

LE CHEVALIER, Gascon

MÉRINE, Concierge

MATHURIN, Jardinier

DEUX LUTINS

TROUPE DE DANSEURS

 

La Scène est à la Campagne, dans un Château.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

PAMÉLA, seule, écrivant

 

S’interrompant.

Ah que ma bonne mère et que mon cher papa

Vont être transportés de joie,

En lisant cette Lettre-là !

Que mon babil les charmera !

Le détail que je leur envoie,

De mon bonheur les instruira ;

Ma tendresse au long s’y déploie.

 

 

Scène II

 

PAMÉLA, LE MARQUIS, déguisé en femme

 

LE MARQUIS, à part.

Je ne puis un instant être sans Paméla,

Je la cherche... mais la voilà :

Bon, elle a la main à la plume.

Pour m’éclaircir de ses vrais sentiments,

Approchons-nous dans ces moments ;

À Paméla.

Vous écrivez ?

PAMÉLA.

Pardon, c’est ma coutume.

LE MARQUIS.

Ne vous excusez pas, c’est en vous un talent ;

À vos parents, sans doute, un tel écrit s’adresse ?

PAMÉLA.

Oui, je les instruis amplement

Des bontés qu’a pour moi ma nouvelle Maîtresse.

LE MARQUIS.

Je n’en puis trop avoir. Ma chère, si j’osais,

Très instamment je vous prierais

De me faire voir votre Lettre.

PAMÉLA.

Ah ! Madame, je crains...

LE MARQUIS.

Non, daignez me permettre...,

PAMÉLA.

Je dois me rendre à vos souhaits.

LE MARQUIS.

Votre façon d’écrire a pour moi des attraits.

PAMÉLA.

Votre indulgence est nécessaire :

On sait que je m’explique assez mal en Français ;

Mais vous excuserez une jeune étrangère.

LE MARQUIS.

Par sa naïveté dont je chéris les traits,

Votre style toujours aura l’art de me plaire.

Il lit.

Mes très chers Père et Mère,

Réjouissez-vous, pour le coup ma gloire est en sûreté. J’ai trompé la vigilance de Madame Jeukes, et je me suis sauvée par la porte du Jardin, à la faveur d’une clef : par ce moyen j’ai eu le bonheur d’échapper au pouvoir du plus méchant des Maîtres, et de tomber entre les mains de la meilleure Maîtresse. C’est une Comtesse Française, qui s’est trouvée dans le voisinage. Comme elle était instruite et touchée de mon malheur, elle m’a prise à son service, et m’a conduite avec elle en France, ou, je commence le cours, d’une nouvelle Histoire.

Il s’interrompt.

J’aiderai de mon mieux à le rendre amusant ;

Mais vous retrancherez moitié de la première.

PAMÉLA.

Oui, pour rester tous deux dans notre caractère,

Mon Maître et moi bornerons sagement

Notre aventure au second tome.

Le sien est d’être fier, trompeur, malhonnête homme ;

Il n’en doit pas sortir en m’épousant.

Le mien est d’être sage, et modeste et sensée,

Je ne dois pas le démentir

En retournant chez lui quand il m’en a chassée,

Ni livrer de nouveau ma sagesse offensée,

Aux dangers tous récents qu’elle vient de courir.

LE MARQUIS.

La démarche, il est vrai, n’est pas digne d’estime.

PAMÉLA.

Voilà pourquoi je la supprime.

LE MARQUIS.

Ma chère Pamela, vous me faites plaisir.

Il continue de lire.

Madame et moi, nous sommes actuellement dans une de ses Terres, qui est à dix lieues de Paris. En vérité elle m’y traite, non pas comme sa femme de chambre, mais comme la plus tendre de ses amies ; les bontés de ma première Maîtresse n’étaient rien en comparaison. Je suis depuis deux jours habillée à la Française, et j’y suis tout au mieux, si j’en crois Madame, qui ne se lasse point de me regarder ; mon miroir m’en dit autant, l’un et l’autre me trompent peut-être...

Il s’interrompt.

Non, nous vous disons vrai. Tout sied à Paméla ;

Sa grâce est partout naturelle,

Elle pare l’habit qu’elle a,

Et rien n’est étranger pour elle.

PAMÉLA.

Je dois rougir de cet éloge-là.

LE MARQUIS.

Rougissez, rougissez, vous en êtes plus belle.

Il continue à lire.

L’habit qu’elle m’a fait faire (admirez sa générosité, ô mes bons parents,) est de la même étoffe que le sien. On nous prendrait pour deux sœurs. Son amitié ne se borne pas là. Elle me prévient sur tout. Par exemple, j’aime la Musique et la Danse ; eh bien elle donne aujourd’hui exprès une Fête, et fait venir des Danseurs de Paris ? Eh peut-on voir une Dame plus aimable ? ce n’est pas qu’elle soit belle, non, je mentirais.

PAMÉLA.

Passez cet endroit, je vous prie :

J’écris ce que je pense un peu trop librement.

LE MARQUIS.

Vous m’obligez de parler franchement,

Ma vanité n’est pas de me croire jolie.

Il continue à lire.

Ses traits ne font pas réguliers ; mais elle a une de ces physionomies qui préviennent d’’abord par leur douceur. Son caractère y répond. Elle est la politesse même, elle n’a pas moins de sagesse que de bonté.

Il s’interrompt.

Pour le coup il faut hautement,

Il faut que mon transport éclate,

Vous me louez précisément

Par le seul endroit qui me flatte.

PAMÉLA.

Mon cœur en dit beaucoup moins qu’il ne sent

LE MARQUIS.

Le mien en sent pour vous encore davantage ;

Si vous pouviez entendre son langage,

Vous seriez dans l’étonnement.

Il continue à lire.

Je trouve ma Patrie en France auprès de cette jeune veuve : Il ne manque à mon bonheur que de vous y voir.

Il s’interrompt.

C’est un bonheur dont vous devez jouir.

À tous deux au plutôt marquez-leur de venir.

Procurer un état d’aisance

Aux auteurs de votre naissance,

Faire éclater sur eux mon amitié pour vous,

Flatte mon cœur par l’endroit le plus doux ;

J’augmenterai ma joie en redoublant la vôtre.

PAMÉLA.

Vous comblez tous mes vœux. De quel ravissement

Je vais les remplir l’un et l’autre ?

Mais comment reconnaître un bienfait aussi grand ?

LE MARQUIS.

Je ne veux pour tout prix que votre attachement.

PAMÉLA.

Si de mon zèle seul votre âme se contente,

Son ardeur...

LE MARQUIS.

N’est pas suffisante,

Et mon cœur, pour être payé,

Veut tout au moins de l’amitié.

PAMÉLA.

Madame, si j’osais, j’aurais de la tendresse.

LE MARQUIS.

Osez, ne craignez pas d’outrer à cet égard ;

D’un pareil sentiment loin que l’excès me blesse,

Il me flatte de votre part.

Finissez votre Lettre ; un moment je vous laisse,

J’ai nos Danseurs à recevoir ;

Et pour la Fête de ce soir

Je vais donner plus d’un ordre qui presse :

Je me fais par avance un plaisir des plus grands

D’y voir briller tous vos talents.

Il sort.

 

 

Scène III

 

PAMÉLA, seule

 

Écrivons, écrivons. Pour mon père et ma mère,

Nouveau sujet de joie et de douceur,

Pour moi nouveaux discours à faire ;

Quel plaisir de m’étendre en dépit du Censeur !

Lorsqu’ils ont à parler de ce qui les regarde,

Les bons cœurs ne tarissent pas,

Et la reconnaissance est toujours babillarde ;

Cette précision, dont on fait tant de cas,

Est le langage des ingrats.

 

 

Scène IV

 

PAMÉLA, MATHURIN

 

MATHURIN, à part.

Alle est seule, avançons, prions-la... mais je n’ose.

PAMÉLA.

Ah ! c’est vous, Mathurin, voulez-vous quelque chose ?

MATHURIN.

Oui-dà, je vous prierions de nie faire un plaisir,

Si je ne craignions pas de vous être incommode ;

Pour vous le dire, exprès autour de vous je rode.

PAMÉLA.

Parlez, en quoi vous puis-je donc servir ?

J’y suis très disposée.

MATHURIN.

Ah, ce mot me rassure,

J’allons vous expliquer la chose franchement :

Comme vous excellez dans l’art de l’Écriture,

Que je n’avons pas ce talent,

Que vous avez la main, comme on dit, à l’ouvrage,

Vous m’obligeriez tout-à-fait

Si vous rouliez pour moi griffonner un Billet.

PAMÉLA.

Dites-moi, s’il vous plaît, avant que je m’engage,

À qui l’écrirez-vous, quel en est le sujet ?

MATHURIN.

J’écrivons à queuqu’un que j’aimons à la rage.

PAMÉLA.

Quoi ?

MATHURIN.

Pardon de la liberté,

Mais vous avez tant de bonté ;

Et c’est la Parle du Village,

Un vrai prodige de biauté,

D’autant plus rare qu’alle est sage.

PAMÉLA.

Ignore-t-elle votre amour ?

MATHURIN.

Oui, je voulons par-là l’en instruire en ce jour,

Et j’aspirons au mariage.

PAMÉLA.

Mais êtes-vous pour elle ?

MATHURIN.

Oui, pargué, mieux qu’un autre ;

Et son état n’est pas bian au-dessus du nôtre :

Alle est Femme de chambre, et je suis Jardinier,

C’est même pour la belle une fort bonne affaire :

Alle n’attend rien de son Père ;

Et moi, je suis neveu d’un assez gros Farmier,

Dont je serons l’unique Légataire.

PAMÉLA.

Je n’ai plus rien à dire, et maintenant je vois

Que Mathurin aime de bonne foi ;

J’aurai l’honneur d’être son Secrétaire,

Dictez-moi le billet.

MATHURIN.

C’est ce que j’allons faire,

Puisque votre bonté fait cet effort pour moi.

Il dicte, et Paméla écrit.

Mademoiselle, j’étouffons d’amour pour vous, et je croyons qu’il est plus sage de vous le dire que d’en crever.

PAMÉLA.

Ce sentiment est raisonnable.

MATHURIN.

Je ne l’exprimons pas en termes bian galants ;

Mais donnez-y vous-même un tour plus agréable :

Pour moi, sans farlatter, je dis ce que je sens.

PAMÉLA.

Cette façon de parler est préférable ;

C’est de l’amour sans art, dicté par le bon sens.

MATHURIN, dictant.

Je ne vous avons vu que quatre fois, et ne vous avons parlé qu’une seule, en passant, et si je sommes plus rassotté de vous que si je vous avions connue toute notre vie. Sans tant tourner autour du pot, vous avez plus de mérite et plus d’esprit que moi ; mais j’avons plus de bian plus d’argent que vous. Jarnigoy, marions ma forteune avec votre biauté ; l’eune vous rendra plus riche, et l’autre me rendra plus content.

PAMÉLA.

Plus content, est-ce tout ?

MATHURIN.

J’avons encore à mettre

Trois mots sans plus, pis je farmons ma Lettre.

Il dicte.

J’avons avec ma parsonne un héritage de près de vingt mille écus, je vous offrons l’eun et l’autre de bon cœur, morgué acceptez-les de même. Boutez en même temps votre main blanche dans la mienne, quoiqu’alle soit plus noire, et qui sautera d’aise, ce sera Mathurin.

Il parle.

Hem, comment trouvez-vous ce billet ?

PAMÉLA.

Tout au mieux.

Le cœur de Mathurin est tendre et généreux :

Le dessus ?

MATHURIN.

Attendez... que je me rappelle,

C’est, à Mademoiselle,

Mademoiselle. Paméla.

PAMÉLA.

Ai-je bien entendu ! ma surprise est extrême,

Répétez je vous prie, à qui ce billet-là,

S’adresse-t-il ?

MATHURIN.

À vous-même.

PAMÉLA, à part.

Je ne m’attendais pas à ce tour de sa part ;

Mais je dois ménager l’amour de tout le monde ;

Le sien mérite quelqu’égard

Par sa manière franche et ronde ;

Et ma douceur défend que je le gronde.

MATHURIN.

Pour savoir notre sort, j’attendons que sans fard,

Mademoiselle nous réponde.

PAMÉLA.

Puisque je suis forcée à répartir

Mais quelqu’un vient sans qu’on l’annonce ?

MATHURIN.

Je reviendrons tantôt pour prendre la réponse ;

Vous pouvez la faire à loisir.

Il sort.

 

 

Scène V

 

PAMÉLA, LE CHEVALIER

 

PAMÉLA.

Que demande Monsieur ?

LE CHEVALIER.

Un prodige femelle,

En France arrivé, fraîchement ;

Que pour sa rareté, je viens voir seulement.

Une fille accomplie et qui fait voir en elle

Une sagesse douce et ferme cependant ;

Qui triomphe toujours sans faire la cruelle ;

Une beauté naïve et sans entêtement,

Qui pare la vertu d’une grâce nouvelle.

Que par envie on fronde injustement,

Et qu’on admire forcément.

C’est Paméla que ce Phénix s’appelle :

Serait-ce vous, Mademoiselle ?

PAMÉLA.

Je me reconnais à ce nom ;

Mais au portrait que vous en faites,

Je n’ai garde d’avoir cette présomption.

LE CHEVALIER.

Ce modeste discours me prouve que vous l’êtes.

Et vous voyez dans ces retraites

Un Gentilhomme d’Avignon,

Rempli de zélé et d’admiration

Pour tant de qualités parfaites ;

Le Chevalier, de vos vertus,

Et le défenseur de vos charmes,

Contre les esprits prévenus,

À pied comme à cheval, prêt à prendre les armes.

PAMÉLA.

C’est, pour mes intérêts, montrer trop de chaleur,

La Critique me fait honneur,

Elle fait soupçonner que j’ai quelque mérite,

Mais il ne convient pas à Paméla, Monsieur,

De recevoir ici seule votre visite ;

Et je vais avertir, Madame en ces instants.

LE CHEVALIER.

Non, non, ne partez pas si vite ;

Je suis depuis un très longtemps

Ami de la Comtesse et du Marquis son frère ;

Mais c’est vous qu’en ces lieux je viens voir la première,

Elle aura tout au plus les seconds compliments.

Ayant appris votre arrivée en France

Par les nouvelles à la main,

J’ai pris la poste en diligence,

Le hasard m’a fait en chemin

Joindre un détachement de musique et de danse,

Qui vient pour célébrer, dans ce lieu reculé,

Votre bienvenue en cadence.

Moi, j’ai voulu vous tendre un hommage isolé,

Et vous faire tout seul mon humble révérence.

PAMÉLA.

Moi, je vous fais la mienne...

LE CHEVALIER.

Ah ! vous fuyez à tort.

PAMÉLA.

Je n’entretiens jamais les hommes tête à tête.

LE CHEVALIER.

Ne craignez rien de mon transport,

Me prenez-vous pour un Milord ?

Les gens de mon pays ont l’abord plus honnête,

Des faveurs du beau sexe, ils sont friands : d’accord ;

Mais lorsqu’ils en font la conquête

C’est toujours poliment, et du ton qui convient.

Un Anglais les arrache, un Français les obtient.

PAMÉLA.

Plus vos manières sont aimables,

Plus nous devons vous éviter,

Et plus pour nous vous êtes redoutables ;

Nouveau motif de vous quitter.

LE CHEVALIER.

Il doit plutôt vous porter à rester ;

Votre gloire l’exige, et pour vous en convaincre,

Jusqu’à présent vous n’avez eu

Que la force à combattre, et l’intérêt à vaincre.

Pour une vulgaire vertu,

Ces deux efforts sont puissants, je l’avoue ;

Et surtout le dernier, où le grand nombre échoue.

Mais pour la vôtre ils ne suffisent pas,

Elle doit, à nos yeux, livrer d’autres combats ;

Il faut pour son triomphe, il faut, Mademoiselle,

Qu’elle épreuve et résiste à la séduction,

Des fêtes, des plaisirs, de tout ce qu’on appelle

Fine galanterie ou belle passion ;

Soit en bute aux douceurs, aux soins, au tendre zèle,

Aux charmes différents d’un hommage qui plaît.

Et que pour en sortir plus brillante et plus belle,

Elle passe par la coupelle

D’un jeune Amant Français, et Gascon, qui plus est.

PAMÉLA.

Ah ! ma sagesse a fait ses preuves,

Et s’en tient prudemment aux premières épreuves.

LE CHEVALIER.

Elle a besoin de celle-là,

Sans quoi toujours on la chicanera,

Et l’on dira tout haut qu’elle est mal éprouvée.

D’un reproche si vrai, vous ne serez lavée

Qu’en profitant de mes avis.

En ces lieux, à propos, vous êtes arrivée.

C’est à leurs habitants polis

Que cette gloire est réservée ;

C’est-là leur talent le plus beau ;

Interrogez sur ce chapitre

La Concierge de ce Château ;

On peut la prendre pour arbitre,

Elle est femme d’esprit et de goût,

La Comtesse la croit en tout ;

C’est l’Oracle de la famille,

Elle va, comme moi, vous répéter, sangdis,

Que, pour bien éprouver la vertu d’une fille,

Il faut absolument le creuset de Paris.

 

 

Scène VI

 

LE MARQUIS, PAMÉLA, NÉRINE

 

NÉRINE.

Il est vrai, nos Amants sont un peu mieux appris

Que celui de Mademoiselle.

Pardonnez-moi ce trait, il échappe à mon zèle,

Votre cœur ne pouvait être plus mal tombé ;

J’en ai senti pour vous une peine mortelle.

PAMÉLA.

Hélas, sous sa ruse cruelle,

Il est trop sûr qu’une autre eût succombe.

NÉRINE.

Non, la victoire au fonds n’est pas si surprenante,

Dans vos climats vous n’avez éprouvé,

Que les combats grossiers et la hauteur choquante,

D’un Gentilhomme brusque et des plus mal appris,

Qui toujours vous traite en servante,

Et vous prodigue à tout propos

Les agréables noms, les doux et tendres mots,

Et de sotte et d’impertinente.

Pour triompher d’un cœur, l’aimable et joli ton !

Si l’on est sage auprès d’un pareil Maître :

Mademoiselle, avouez sans façon,

Qu’on n’a pas grand mérite à l’être.

PAMÉLA.

Il m’aimait cependant, il était même bon.

LE CHEVALIER.

Bon à jeter par la fenêtre.

S’il eût embrassé vos genoux,

Si vous baisant la main d’une bouche pressante...

PAMÉLA.

Arrêtez... donc Monsieur...

LE CHEVALIER.

Point de courroux.

C’est pour rendre à vos yeux la chose plus touchante,

S’il vous eût dit, ma Reine, ma charmante,

Je meurs, ressuscitez un homme tout à vous ;

Vous avez l’âme bonne et le naturel doux,

Ce discours vous eût attendrie,

Et ce regard compatissant

Vient de me dire en cet instant ;

Qu’au mourant, vos bontés auraient sauvé la vie.

PAMÉLA.

J’aurais ri...

LE CHEVALIER.

Bon, fille qui rit

Commence d’être favorable,

On est bien près de plaire alors qu’on divertit.

PAMÉLA.

Ce ton-là pour mon cœur n’est pas bien redoutable.

LE CHEVALIER.

C’est pourtant là le bon ton de Paris,

Celui qu’on prend par préférence,

Et la Comtesse qui s’avance

Vous dira comme moi... Mais que vois-je Sangdis ?

 

 

Scène VII

 

PAMÉLA, LE CHEVALIER, LE MARQUIS, NÉRINE

 

LE MARQUIS, à part.

C’est le Chevalier ! je suis pris.

LE CHEVALIER.

Me trompai-je ? ou mon œil est-il trouble ou malade ?

Ce n’est pas la Comtesse, à travers ses habits,

je reconnais son frère. Eh, mon cher camarade,

Marquis, c’est toi, tu te tais, tu rougis !

Ah ! l’amour est l’auteur de cette mascarade.

Embrasse-moi, je t’applaudis.

LE MARQUIS.

Moi, de bon cœur, je te maudis.

PAMÉLA.

Où suis-je ? juste Ciel ! ma Maîtresse est un homme,

Je n’y puis résister, et ce revers m’assomme.

NÉRINE.

Vous quittez, un Milord pour servir un Marquis ?

Il ne faut pas qu’on s’en étonne,

Car le troc est charmant, la, condition bonne,

Et vous avez le goût exquis.

PAMÉLA.

Rien ne ressemble au destin qui m’assiège !

NÉRINE.

Évanouissez-vous.

PAMÉLA.

Je le devrais,

Mais le public encor le trouverait mauvais :

Contentons-nous de pleurer sur ce siège.

LE MARQUIS.

Vos larmes me percent le cœur !

Je me jette à vos pieds et vous demande grâce,

Pardonnez, à l’Amour l’excès de mon audace,

Lui seul...

PAMÉLA.

Non, non, après cet outrage sanglant.

Je dois vous regarder avec frémissement,

Ma gloire en est ternie, et cet affront surpasse

Tous ceux que j’ai reçus de mon premier Amant.

LE MARQUIS.

Rien ne transpirera de tout ce qui se passe.

PAMÉLA.

Chacun va déchirer ma réputation.

LE MARQUIS.

C’est un secret.

PAMÉLA.

Il est à la discrétion

D’un Gentilhomme d’Avignon ;

Il va partout publier mon histoire.

LE CHEVALIER.

C’est l’épreuve qu’il vous fallait,

On n’en peut trop parier pour votre gloire,

Et la voilà dans le creuset.

LE MARQUIS.

Je vous justifierai, votre cause est la mienne.

PAMÉLA.

Rien ne peut me laver qu’une fuite soudaine.

Adieu, je ne dois plus vous parler ni vous voir,

De vous je ne veux rien avoir,

Rien garder qui vous touche, ou qui vous appartienne.

Je vais, pour n’avoir plus avec vous d’entretien,

Dépouiller cet habit et reprendre le mien,

Je vais pour jamais et sur l’heure,

Abandonner cette demeure ;

Quitter jusques à ces climats,

Et me remettre au Ciel, soutien de l’innocence,

Du soin de conduire mes pas,

Et de soulager ma souffrance.

J’aime mieux n’être rien, errer dans l’indigence,

Avoir contre moi l’apparence,

Et vivre sage dans le fond ;

J’aime mieux être en bute aux traits de la malice,

En faisant mon devoir, souffrir plus d’un affront,

Et sans le mériter subir le sort du vice ;

Qu’acheter lâchement comme tant d’autres font,

Une fortune illégitime,

Par un dérèglement, d’un beau fard revêtu,

Et sous un faux dehors jouir au sein du crime

De tout l’éclat de la vertu.

Elle sort.

 

 

Scène VIII

 

LE MARQUIS, NÉRINE, LE CHEVALIER

 

LE MARQUIS.

Sa douleur à mes yeux lui prête un, nouveau charme ;

Il faut que je la suive, et que je la désarme,

Elle est tendre, auprès d’elle employons la douceur,

Et d’un Amant de Cour, épuisons l’art flatteur.

J’ai trompé ses regards sous cet habit de femme,

Il faut que sous le mien je l’apaise et l’enflamme :

Je le dois pour ma gloire, et plus pour mon bonheur,

Ce matin sa maîtresse, et ce soir ion vainqueur.

Il s’en va.

 

 

Scène IX

 

LE CHEVALIER, NÉRINE

 

LE CHEVALIER.

Et moi, de tout ceci, je serai Spectateur,

On a beau faire, on a beau dire,

Je m’amuse de tout, et ne prends rien à cœur.

C’est mon système et mon humeur,

Qu’on fasse bien ou mal on me voit toujours rire,

Ou de 1a chose ou de l’Acteur.

Il s’en va.

 

 

Scène X

 

NÉRINE, seule

 

Moi, je brûle d’aller conter leurs aventures.

On nous en fait accroire avec de sots écrits,

La sagesse partout dépend des conjonctures,

Et l’honneur des autres pays

N’est pas plus épuré que celui de Paris.

Tout chancèle ici bas, c’est notre destinée.

On est sage aujourd’hui, l’on ne l’est pas demain,

Notre vertu va droit dans la journée,

Selon le temps qu’il fait, et selon le chemin,

Elle tombe l’après-dinée,

Et se relève le matin.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

LE MARQUIS, NÉRINE

 

NÉRINE.

Vous voilà pour combattre, et pour vaincre la belle,

En habit sortable et décent,

Il vous donne un air conquérant,

Qui vous promet déjà la victoire près d’elle.

LE MARQUIS.

J’ai de sa part à craindre un ennemi puissant.

NÉRINE.

Quel ennemi ?

LE MARQUIS.

C’est sa vertu rebelle,

Qui lui fait un devoir de son éloignement.

NÉRINE.

Pour reculer elle est trop avancée.

LE MARQUIS.

Elle est vivement offensée.

NÉRINE.

Un criminel aimable obtient grâce aisément.

LE MARQUIS.

Non, elle veut partir absolument,

Et de sa Chambre elle a fermé la porte,

Pour y changer d’habillement.

J’attends pour l’arrêter le moment qu’elle en sorte,

Je voulais triompher d’elle plus sûrement,

M’établir par degré, gagner sa confiance,

Et filer la reconnaissance ;

Le Chevalier étourdiment,

L’a par malheur brusquée en me voyant ;

Il recule mon espérance.

NÉRINE.

Vous vous trompez, il l’avance plutôt ;

Vous vouliez prendre ici la Place par adresse,

Vous l’allez emporter d’assaut.

LE MARQUIS.

Je prétends employer plutôt la politesse ;

Mais, ma Nérine, il faut m’aider et me servir.

NÉRINE.

Concierge de ces lieux, je dois vous obéir,

Que faut-il que je fasse ? Instruisez-moi bien vite.

LE MARQUIS.

Agissons de concert pour empêcher sa fuite.

NÉRINE.

Volontiers ; allez lui parler le premier,

Afin que votre effort ait plus de réussite.

J’imagine un moyen qui pourra l’appuyer,

Et détacher son cœur du départ qu’il médite,

Il peut même frapper un coup plus singulier.

LE MARQUIS.

Quel coup ?

NÉRINE.

Mais nous pourrons savoir par lui, peut-être,

Si de son cœur déjà vous n’êtes pas le maître.

LE MARQUIS.

Ah ! s’il m’en éclaircit, puis-je trop vous payer ?

Mais je crains...

NÉRINE.

Point de crainte ; osez vous confier,

À mon expérience j ainsi qu’à mon adresse.

J’entends ouvrir, c’est elle, ensemble je vous laisse,

Et je ne paraîtrai que quand il le faudra.

Elle s’éloigne.

 

 

Scène II

 

PAMÉLA, LE MARQUIS

 

LE MARQUIS, à part.

Qu’elle me plaît ! qu’elle est aimable

Dans cet équipage nouveau !

Cette robe si simple et son petit chapeau,

Lui donnent un air adorable,

C’est un charme imprimé sur cette taille-là.

L’habit qui paraît préférable,

Est toujours le dernier qu’elle a.

PAMÉLA, sans apercevoir le Marquis.

Étrangère, sans connaissance,

Je ne sais où porter mes pas dans mon effroi,

N’importe, de ces lieux, partons en diligence,

Mon honneur m’en fait une loi.

LE MARQUIS, l’arrêtant.

À ce cruel dessein souffrez que je m’oppose.

PAMÉLA.

Que vois-je ? juste Ciel ! je ne sais où je suis.

Ah ! qu’il est bien dans ces habits !

À quel nouveau danger sa rencontre m’expose ?

LE MARQUIS.

Demeurez...

PAMÉLA.

Je n’ai garde...

LE MARQUIS.

Écoutez...

PAMÉLA.

Je ne puis.

LE MARQUIS.

Daignez du moins me regarder...

PAMÉLA.

Je n’ose.

LE MARQUIS.

Devez-vous avec moi redouter quelque chose ?

PAMÉLA.

Tout, après votre trahison.

LE MARQUIS.

Je viens vous demander pardon.

PAMÉLA.

Pour me tromper encor.

LE MARQUIS.

Non, j’en suis incapable,

L’amour...

PAMÉLA.

Quoique vous ayez fait,

L’amour, Messieurs, est toujours votre excuse.

LE MARQUIS.

Ce n’est pas un mot dont j’abuse,

Si vous saviez du mien tout l’ascendant secret,

Et son histoire véritable,

Je suis certain qu’elle vous toucherait

Et qu’à vos yeux je serais moins coupable.

PAMÉLA.

Mais, cet amour que vous vantez si fort,

Par quel malheur l’ai-je fait naître ?

Et dans quel lieu fatal ?...

LE MARQUIS.

Au Comté de Betford,

Dans la maison te votre Maître.

PAMÉLA.

De mon Maître !

LE MARQUIS.

Un ami me l’avait fait connaître,

Votre beauté faisait du bruit.

La curiosité chez lui me conduisit,

Un instant je vous vis paraître,

Cet instant seul m’assujettit,

Vos premiers regards m’enflammèrent,

Vos malheurs, qu’ensuite j’appris,

Pour vous si fort m’intéressèrent,

Qu’au Comté de l’Incoln bientôt je vous suivis.

Pour hâter votre délivrance,

Là, je pris de ma sœur le nom et les habits,

Le bon Monsieur, Williams, trompé par l’apparence,

Vous marqua de ma part, qu’une Dame s’offrait

À rompre vos liens, pour vous conduire en France,

Et que plus qu’une sœur elle vous chérirait,

Par mes égards, par ma tendresse,

Je crois avoir acquitté ma promesse.

PAMÉLA.

Trop ! mille fois pour mon malheur ;

Et c’est cette amitié traîtresse,

Que ne saurait vous pardonner mon cœur.

Vous avez surpris ma jeunesse ;

Votre bonté, votre douceur,

Ont produit dans mon âme une reconnaissance,

Ont fait naître un attachement,

Que le juste ressentiment

Que j’ai conçu de votre offense,

Ne peut, tout fort qu’il est, éteindre en ce moment,

Et c’est là ce qui met le comble à mon tourment.

LE MARQUIS.

Ah ! cessez de combattre, ah ! gardez-vous d’éteindre

Des sentiments si justes, et si doux ;

Augmentez-les plutôt, vous ne devez pas craindre,

Qu’ils approchent jamais de ceux que j’ai pour vous.

PAMÉLA.

Non, je les dois étouffer de colère

Et la raison m’inspire ce courroux,

Pour devenir amour, ils n’ont qu’un pas à faire.

LE MARQUIS.

Ce pas, pour mon bonheur, qu’ils le fassent ma chère.

PAMÉLA.

J’aime mieux renoncer à l’honneur de vous voir,

Il se fait tard, adieu, Monsieur, bonsoir.

LE MARQUIS.

Hélas, ma chère, rien ne presse.

Votre fureur est de vouloir

Vous en aller sans cesse.

PAMÉLA.

Et ma faiblesse hélas ! est de rester toujours.

LE MARQUIS.

Seule, au milieu des bois, si tard, et sans secours.

Où voulez-vous aller dans l’hiver où nous sommes ?

Ah ! redoutez les Loups...

PAMÉLA.

Je crains plutôt les hommes.

LE MARQUIS.

Vous pourrez rencontrer quelqu’autre ravisseur

Qui n’aura pas pour vous ma politesse.

PAMÉLA.

J’en aurai moins à craindre pour mon cœur,

Il résiste à la force, il combat la rudesse,

Mais pour surmonter la douceur,

Il a besoin de toute ma sagesse.

LE MARQUIS.

Eh quoi, dans sa féroce humeur,

Voudriez-vous que j’imitasse

Mon incivil prédécesseur,

Et brusquant le respect, que je vous embrassasse ?

PAMÉLA, l’arrêtant.

Imitez sa hauteur, et non pas son audace.

LE MARQUIS.

Non, puisqu’il ne m’est pas permis

De prendre pour modèle ici sa hardiesse,

Je ne le suivrai pas dans son impolitesse,

Et je serai toujours doux, flatteur et soumis.

PAMÉLA.

Ah ! devenez brutal, c’est moi qui vous en presse.

LE MARQUIS.

Quelle étrange prière !

PAMÉLA.

Ayez, pour mon repos,

Ayez à mon égard les façons les plus dures,

Reprochez-moi tous mes défauts,

Et le peu que je suis, et le peu que je vaux,

Chassez-moi de chez vous, dites-moi des injures.

LE MARQUIS.

Des injures ! à vous, mon Astre, ma Déesse,

À qui j’ai consacré mes vœux et ma tendresse.

PAMÉLA.

J’en ai besoin pour vous haïr.

LE MARQUIS.

J’emploierai tout plutôt pour me faire chérir :

Votre haine est le mal que je dois le plus craindre,

Et loin de vous chasser je vous dois retenir ;

Mais à force d’égards, sans vouloir vous contraindre.

Pour vos défauts, ils me sont inconnus,

Si j’ai dans ce jour à me plaindre,

C’est de l’excès de vos vertus.

PAMÉLA.

Ne me louez pas davantage,

Mon cœur de vos douceurs se sent trop pénétrer,

Ah ! laissez-moi partir sans différer.

LE MARQUIS.

Si vous partez, je serai du voyage,

Je veux partout vous suivre et vous idolâtrer.

PAMÉLA.

Vous achevez de me désespérer,

Je ne sais plus quel parti prendre,

Contre vous-même ici j’ose vous implorer,

Ayez pitié d’une fille trop tendre,

Qui ne peut, sans danger, vous voir ni vous entendre ;

Que son cœur trahit en secret ;

Mais qui veut être sage en dépit qu’il en ait.

LE MARQUIS.

Idole de mon âme, ayez pitié vous-même

D’un Amant qui, sans vous, ne peut plus respirer ;

Et qui, pour vous convaincre à quel point il vous aime ;

Ne veut être avec vous que pour vous adorer :

Je prétends qu’en ces lieux d’un accord unanime,

Tout vous offre avec moi l’encens qui vous est dû.

On ne peut honorer d’une trop grande estime,

La beauté qui se trouve unie à la vertu.

PAMÉLA.

Je suis perdue, hélas ! si votre amour insiste.

Eh ! le moyen que j’y résiste ?

Vous attaquez mon cœur de tout côté ;

Vous excitez, Monsieur, sa sensibilité.

Ménagez sa délicatesse,

Et vous flattez sa vanité :

Que d’écueils contre ma sagesse !

LE MARQUIS.

Elle est ici, ma chère, en pleine sûreté.

 

 

Scène III

 

PAMÉLA, LE MARQUIS, NÉRINE

 

LE MARQUIS.

Nérine, désormais, appliquez votre adresse,

À servir Paméla comme votre Maîtresse.

La respecter dans ce séjour,

C’est m’honorer moi-même, et servir mon amour.

NÉRINE.

À remplir ce devoir, je serai ponctuelle.

 

 

Scène IV

 

PAMÉLA, NÉRINE

 

NÉRINE.

Vus restez donc, Mademoiselle ?

PAMÉLA.

Mais le cas est pour moi vraiment embarrassant.

Mon cœur le voudrait bien, mais l’honneur le défend.

NÉRINE.

Je dois vous dire en confidence,

Que vous pouvez ici demeurer hardiment,

Sans blesser le devoir, ni choquer la décence,

Je suis chargée en ce moment.

De vous le déclarer bien positivement.

PAMÉLA.

Qui vous a donné ce message ?

NÉRINE.

Une Dame du voisinage,

Et votre état présent la pénètre si fort,

Qu’elle veut auprès d’elle attacher votre sort.

PAMÉLA.

J’admire son bon cœur, en me prenant chez elle ;

Elle va donc m’arracher de ces lieux ?

NÉRINE.

Non, elle veut Mademoiselle,

Vous y fixer plutôt, pour justifier mieux

Votre conduite à tous les yeux.

PAMÉLA.

Je ne vous entends pas...

NÉRINE.

Pour mettre en tout son lustre,

La générosité de cette Dame illustre,

Sachez que le Marquis doit être son époux.

PAMÉLA.

Son Époux ?

NÉRINE.

Oui, vraiment...

PAMÉLA, à part.

Qu’entends-je ? infortunée ?

Ce trait perce mon cœur, il ose être jaloux.

NÉRINE.

Et pour leur prochain Hyménée,

La Fête de ce soir est exprès ordonnée.

PAMÉLA, à part.

Le méchant ! il disait qu’il la donnait pour nous !

Voyez un peu la tromperie.

À Nérine.

Savez-vous, dites-moi, le jour qu’il se marier.

NÉRINE.

Mais je crois que ce nœud doit s’accomplir demain.

PAMÉLA.

Sitôt ?...

NÉRINE.

Aujourd’hui même il se fera peut-être,

La Dame en question loge au Château voisin,

Bientôt vous l’allez voir paraître.

PAMÉLA, à part.

Voilà qui met sa perfidie au jour,

Il en épouse une autre et me parle d’amour.

NÉRINE.

Elle brûle de vous connaître.

Quoiqu’elle aime beaucoup le Marquis en secret,

Votre sagesse la rassure,

Contre votre beauté, que toute antre craindrait.

Pour réparer le tort qu’il vous a fait,

Elle veut vous garder et forcer la censure,

De se taire à votre sujet.

Là, n’admirez-vous pas un si généreux trait ?

PAMÉLA.

De sa bonté je suis reconnaissante ;

Mais par malheur je n’en puis profiter,

Elle presse ma fuite au lieu de l’arrêter.

Je lui rends grâce, et suis votre servante.

NÉRINE.

Comment ! vous refusez le bienfait inouï,

Que son amitié vous accorde ?

PAMÉLA.

Mon devoir me l’ordonne, entr’elle et son mari

Je serais tôt ou tard, un sujet de discorde,

La retraite est pour moi le plus sage parti.

NÉRINE.

Elle aime le Marquis, sa douleur me l’annonce.

PAMÉLA, s’en allant.

Oh ! puisqu’il se marie, et qu’il me trompe ainsi,

Je veux pour m’en venger, me marier aussi ;

À Mathurin faisons réponse,

Et qu’il m’aide lui-même à me tirer d’ici.

 

 

Scène V

 

NÉRINE, LE MARQUIS

 

NÉRINE, au Marquis qui arrive.

Pour le coup, triomphe, victoire,

Mon artifice a réussi.

Paméla restera ; votre amour peut m’en croire.

LE MARQUIS.

Vous l’a-t-elle dit ?

NÉRINE.

Non, ce serait vous tromper.

LE MARQUIS.

Comment donc savez-vous ?...

NÉRINE.

Pour en être éclaircie,

Tout droit au cœur je viens de la frapper.

LE MARQUIS.

Tant pis...

NÉRINE.

Rassurez-vous c’est d’une main polie,

J’ai découvert à travers son courroux,

Qu’elle vous aime à la folie.

LE MARQUIS.

J’ai tiré de son cœur presque un aveu si doux.

NÉRINE.

J’ai plus fait sur ce cœur, je l’ai rendu jaloux,

Sa défaite n’est plus douteuse,

Elle ne fuira pas puisqu’elle est amoureuse.

LE MARQUIS.

Mais quel moyen venez-vous d’employer,

Pour exciter sa jalousie ?

NÉRINE.

Un qui part d’un trait de génie,

Dont vous m’allez remercier,

J’ai dit que vous alliez, Monsieur, vous marier,

Son âme à ce seul mot a paru toute émue.

LE MARQUIS.

La mienne l’est aussi...

NÉRINE.

J’ajoute à ce discours,

Que votre épouse prétendue,

Était en sa faveur à tel point prévenue,

Qu’elle voulait chez vous la garder pour toujours

Et qu’elle la priait d’attendre...

LE MARQUIS.

À ce langage,

Dites, qu’a-t’elle répondu ?

NÉRINE.

Qu’elle ne voulait pas être un sujet d’ombrage,

Et que cet hymen imprévu,

Était un aiguillon pour presser son voyage.

LE MARQUIS.

Vous avez gâté tout, et me voilà perdu ;

À rester elle était portée,

Et ce coup violent va la faire partir.

NÉRINE.

Moi, je suis sûre et puis vous garantir,

Qu’elle demeurera, son âme est retenue

Par des-liens trop forts, pour vous quitter ainsi,

Et j’en ai pour preuve certaine,

Le désespoir secret dont son cœur est saisi.

LE MARQUIS.

Ah ! pour l’avoir fait naître, il faut être inhumaine.

En croyant m’obliger, vous m’avez desservi ;

Je souffre trop de son supplice,

Et, venez avec moi, venez dans ce moment

La tirer de l’erreur qui cause son tourment,

Je n’en veux pas être complice,

Et je veux une fois lui paraître innocent ;

J’exige de vous ce service.

NÉRINE.

Oui, venez goûter à longs traits

Le plaisir d’être aimé d’un objet plein d’attraits,

Jouir de son dépit, et même de ses larmes,

Qui malgré ses efforts trahiront ses secrets ;

Si je vous ai brouillez, je ferai votre paix.

Du raccommodement vous me devrez les charmes,

Vous me blâmez d’avoir rempli son cœur d’alarmes,

Vous m’en remercierez après.

Ils sortent.

 

 

Scène VI

 

MATHURIN, seul

 

De notre joie à peine étions-je maître !

Comme j’étions dans le jardin,

Paméla viant par sa fenêtre,

De me faire tenir soudain

Ce billet écrit de sa main,

Alle m’a fait réponse en fille qui sait vivre.

 

 

Scène VII

 

MATHURIN, LE CHEVALIER

 

LE CHEVALIER, à part.

La curiosité, Sangbious, m’oblige à suivre

Ce maroufle de Jardinier,

Je l’ai vu ramasser tout à l’heure un papier ;

Que Paméla lui vient de jeter en cachette,

Sur la terrasse où je marchais tout doux.

Quelque mystère est caché là-dessous ;

Pour l’éclaircir il faut que je le guette ;

Je fus toujours friand d’Anecdote secrète.

MATHURIN.

Je ne sais où je vas, je ne sais où j’en suis,

Tant ma bonne forteune a troublé mes esprits.

LE CHEVALIER.

Que vois-je ? le coquin décachette la lettre,

Qu’il est chargé sans doute de remettre,

Serait-elle pour lui ? cela ne se peut point,

Il se parle, écoutons ce qu’il dit sur ce point.

MATHURIN.

Ah ! que de plaisir j’allons prendre,

À lire ce poulet. Hom, je sens qu’il est tendre

À le tâter tant seulement.

Deux fois, trois fois, baisons-le tendrement ;

Ce qu’il chante à coup sûr, m’est des plus favorables.

Sa bouche ravissante accompagnant sa main,

M’a d’un ton doux, dit ces mots agréables,

St, voilà la réponse au billet du matin,

Faites ce qu’elle marque, ô mon cher Mathurin.

Mon cher, après un si biau préambule,

D’appréhender je serais ridicule ;

Il est vrai le biau sexe est par fois bian malin ;

Alle pourrait, de nous, s’être fort bian gaussée.

Alle est trop bonne, si, chassons cette pensée.

LE CHEVALIER, à part.

Ah ! j’envie à part moi, le bonheur du faquin ;

Il est plus fortuné cent fois qu’un honnête homme.

Ces Manants tous les jours nous disputent la pomme,

Et nous soufflent, morbleu, nos plus jolis tendrons.

MATHURIN.

Voyons la lettre, et nous éclaircissons.

Mon embarras est grand plus que je ne pis dire ;

Je brûlons de savoir, morgué, ce qu’on m’écrit.

Mais le moyen d’en être instruit,

Malheureux que je sis, je ne savons pas lire :

Avec deux fort bons yeux, je n’y vois pas plus clair ;

Que n’ai-je le savoir de notre Magister !

Queul homme en ce moment me rendra le service

De déchiffrer pour moi le contenu ?...

LE CHEVALIER.

Moi, qui me trouve ici par un hasard propice,

Mettez vite à profit ce bonheur imprévu.

MATHURIN.

Votre bonté m’étonne autant qu’alle me charme,

Mais, êtes-vous discret ?... 

LE CHEVALIER.

C’est ma grande vertu.

MATHURIN.

J’en crois votre discours ; mais votre accent m’alarme,

Monsieur, m’est d’ailleurs inconnu.

LE CHEVALIER.

Il ne faut qu’un instant pour faire connaissance,

Vous perdez temps, donnez, ce serait déjà lu,

Ce que j’en fais n’est que par complaisance ;

C’est quelque belle, en confidence,

Qui vous écrit apparemment ?

MATHURIN.

Oui, vous boutez le doigt dessus tout justement.

LE CHEVALIER.

Beau Mathurin, vous êtes fait vraiment

Pour subjuguer les beautés du village ;

Et de la ville, en un besoin.

MATHURIN.

Je ne portons nos vœux ni si haut, ni si loin.

LE CHEVALIER, à part, après avoir parcouru le billet.

Il peut se dire heureux à juste titre.

De son destin elle le fait arbitre,

Et le charge de son départ.

Profitons de la lettre aux dépens du bélitre.

MATHURIN.

Je grille, lisez donc sans attendre plus tard.

LE CHEVALIER.

Il ne m’est pas facile, à vous parler sans fard,

De débrouiller ce caractère.

MATHURIN.

Baillez, vous n’êtes pas plus habile que nous.

LE CHEVALIER.

Non, m’y voilà, le style est vraiment des plus doux.

À part.

Ah ! faisons-la parler comme elle aurait du faire,

En écrivant à ce rameur de choux.

Il fait semblant de lire.

Apprenez Monsieur Mathurin, que Paméla n’est pas faite pour être la femme d’un Jardinier. Un autre vous dirait peut-être, pour se servir du langage qui vous convient, que vous n’êtes, pour tout potage, qu’un Manant et qu’un Rustre, mais je suis trop douce et trop polie...

MATHURIN.

Trop polie en effet ! qui la croirait capable

De me répondre une lettre semblable ?

LE CHEVALIER, lisant.

Mais je suis trop douce et trop polie pour employer de pareils termes, quoique l’excès de votre audace, et la force de la vérité eussent pu me les arracher. Si la personne qui s’intéresse à moi, et de qui vous dépendez vous même, était instruite de votre insolence, vous n’en seriez pas quitte pour des Épithètes, et le bâton sans doute s’exprimerait plus fortement sur vos épaules.

MATHURIN.

Ouf, j’étouffons, je n’y pis plus durer,

Je n’en veux pas entendre davantage,

Jarni, je sis d’un dépit, d’une rage,

Qui m’empêche de respirer.

LE CHEVALIER.

Il me paraît à ce langage,

Qu’elle respecte peu Messieurs les Jardiniers.

MATHURIN.

Pour alle fallait-il quitter nos espaliers ?

Et négliger le jardinage !

Je nous baillerions volontiers

Des coups de poings dans le visage.

LE CHEVALIER.

On vient, modérez-vous ; tâchez d’être plus sage.

MATHURIN.

Non, je m’en fuis comme un pardu,

À présent Paméla me paraît effroyable.

Alle, son billet saugrenu,

Et vous morgué, qui l’avez lu,

Tous de bon cœur je vous envoie au guiable.

Il s’en va.

 

 

Scène VIII

 

LE CHEVALIER, seul

 

Je m’en suis plaisamment défait,

Me voilà maître du billet,

Et j’espère bientôt de l’être de la belle.

À l’action pour le coup je me mêle,

Et je compte jouer le beau rôle en secret,

Quand j’aurais le malheur d’échouer auprès d’elle,

Je me divertirai toujours à leurs sujets,

Et je satisferai ma gaité naturelle.

Mais on vient cette fois et j’entends discourir ;

C’est la Nérine que je pense,

Elle est intéressée, et pourra me servir.

Mettons-la dans ma confidence.

 

 

Scène IX

 

NÉRINE, LE CHEVALIER

 

NÉRINE.

Puisqu’elle ne veut pas ouvrir

Je laisse le Marquis, et n’ai pas sa constance.

LE CHEVALIER.

Seule de qui parlez-vous ?

NÉRINE.

Je parle du Marquis et de sa Paméla.

LE CHEVALIER.

Et vous dites ?...

NÉRINE.

Je dis, malgré sa résistance,

Que cette fille l’aime, et qu’elle restera.

LE CHEVALIER.

Moi, je gage deux cens pistoles

Qu’elle en préfère un autre, et qu’elle partira.

NÉRINE.

Vous nous contez des fariboles.

LE CHEVALIER.

J’accuse vrai, la preuve, la voilà.

NÉRINE.

Une lettre d’elle ?

LE CHEVALIER.

Oui, tendre, s’il en est une.

NÉRINE.

Elle s’adresse à qui ?

LE CHEVALIER.

Belle demande ! à moi.

NÉRINE.

À vous ?

LE CHEVALIER.

À moi, te dis-je, ou le diable m’emporte.

Voilà pour sa vertu l’épreuve la plus forte.

Son cœur, de son départ, se confie à ma foi ;

Je t’apprends le secret de ma bonne fortune.

Sois discrète et seconde-moi.

Sur ma parole...

NÉRINE.

Bon, vous n’en avez aucune.

LE CHEVALIER.

Compte sur ce que je te dis,

Je te promets un diamant de prix,

Si pour nous garantir de sa vue importune,

Tu prends ici le soin d’amuser le Marquis,

Tandis que Paméla doit venir sur la brune

Me joindre d’un pas clandestin,

Juste à la porte du jardin ;

Là, crac, j’enlève mon Europe,

Je la mets dans ma chaise, et fouette postillon,

À toute bride je galope,

Et la conduis en Avignon.

NÉRINE.

Vous oubliez en partant avec elle

Le diamant que vous m’avez promis.

LE CHEVALIER.

En attendant une bague plus belle,

Ma chère, tien, prend toujours ce rubis.

NÉRINE.

Je trahirais mon Maître ! Et pour si peu de chose ?

LE CHEVALIER.

Pour guérir ce scrupule il faut doubler la dose.

NÉRINE.

Non, songez qu’au Marquis l’amitié vous unit.

LE CHEVALIER.

En fait de belle on n’épargne personne,

La tromperie est toujours bonne,

Un tendron est de droit à l’Amant qu’il choisit.

NÉRINE.

Je ne saurais vous croire et vous avez beau dire,

Paméla ne se livre à vous que par dépit,

Si vous ne mentez pas et vous et votre écrit.

LE CHEVALIER.

Nous sommes vrais tous deux, toi-même tu peux lire.

NÉRINE.

Oui, par mes yeux je veux m’en éclaircir,

Et j’en vais faire la lecture

Au Marquis que je vois venir,

Et qui connaît son écriture.

LE CHEVALIER.

Ah ! n’en fais rien je t’en conjure !

 

 

Scène X

 

LE MARQUIS, NÉRINE, LE CHEVALIER

 

LE MARQUIS.

J’ai beau prier, rien ne peut la fléchir.

Dans le dépit dont elle est enflammée,

Elle se tient constamment enfermée,

Ne veut rien écouter et s’obstine à partir.

NÉRINE.

Elle ne part pas seule, elle a fait choix d’un guide,

Qui contre les voleurs et les monstres des bois

Rassurera son cœur timide.

LE MARQUIS.

Et sur qui donc tombe ce choix ?

NÉRINE, montrant le Chevalier.

Sur Monsieur...

LE MARQUIS.

Bon, elle veut rire.

NÉRINE.

Lui-même vient de me le dire,

Je ne suis pas capable de mentir ;

Il est prié de la conduire,

Et mon zèle m’oblige à vous en avertir.

LE MARQUIS.

La chose n’est pas vraisemblable,

Le Chevalier n’est pas croyable,

Quand lui-même il l’assurerait.

NÉRINE.

Si vous n’en croyez pas ma parole et la sienne,

De Paméla, du moins, vous croirez ce billet.

Au Chevalier il s’adresse en effet,

Puisque sa main l’a remis à la mienne.

LE MARQUIS, au Chevalier.

Quoi ! tu t’oses vanter d’une telle faveur ?

LE CHEVALIER.

Je ne l’ai dit qu’en confidence.

Elle a trahi ma confiance,

Marquis, et tu vois ma rougeur...

LE MARQUIS.

L’apparence, morbleu, quand elle prend la fuite,

Pour sauver de mes mains son honneur combattu.

Qu’elle aille confier le soin de sa conduite,

Livrer sa gloire et sa vertu

À la foi d’un Gascon qu’elle n’a qu’entrevu.

LE CHEVALIER.

Eh, ne suffit-il pas qu’elle m’ait aperçu ?

Peux-tu jusqu’à ce point douter de mon mérite ?

LE MARQUIS.

La lettre et les discours sont un conte inventé.

LE CHEVALIER.

Tant d’incrédulité m’irrite,

Pour confondre sa vanité,

Et faire en même temps rougir ma modestie.

À Nérine.

Lisez tout haut ; mais non, donnez, je vous supplie,

Moi-même je la veux lire avec volupté,

Il verra si ma gloire est une fausseté.

Au Marquis.

Son écriture t’est connue ?

Jette sur ce papier, jette un moment la vue.

LE MARQUIS.

Je reconnais ses traits, et je reste confus.

LE CHEVALIER.

Voyant ce qu’il contient, tu vas l’être encor plus.

 

 

Scène XI

 

MATHURIN, LE MARQUIS, NERINE, LE CHEVALIER

 

MATHURIN, sans voir personne.

Oh ! j’ons dans ma colère agi comme un Nicaise,

Pour ravoir le billet je revians sur mes pas ;

De queuque trahison, je nous doutons tout bas,

Je veux pour m’éclaircir le faire voir à Blaise.

LE CHEVALIER lit.

Dans le nouveau malheur qui m’arrive, vous êtes la seule personne, à qui je puisse m’adresser. Ma prière va vous marquer ma confiance, j’ai tout à craindre d’un trompeur ‘qui veut me séduire, j’implore votre aide pour me tirer de ses mains.

Au Marquis en s’interrompant.

Hem, que dis-tu, de ce début flatteur ?

LE MARQUIS.

Je dis que chaque mot est un coup qui m’assomme.

LE CHEVALIER.

Tu vois que je fais-là le rôle d’honnête homme,

Et toi celui de séducteur,

De la vertu toujours je fus le protecteur.

NÉRINE.

Une autrefois j’en serai crue ?

MATHURIN, à part.

Que venons-je d’entendre ? avons-nous la barlue ?

Non, c’est là mon Billet, que ce maudit Gascon

Lit à des étrangers tout d’une autre magnière.

Avant de l’arracher des mains de ce fripon,

Accoutons la lecture entière.

LE CHEVALIER continue à lire.

Vous m’avez témoigné tantôt les sentiments d’un honnête homme, prouvez-les moi en mettant à couvert mon innocence exposée, et trouvez-vous dès qu’il fera nuit à la petite porte du Jardin, j’irai vous y joindre seule et vous me conduirez chez votre Oncle.

Il s’interrompt.

Le Comte d’Asbarrac qui demeure à Paris.

MATHURIN, à part.

Je n’y manquerons pas, j’ons les sens tout ravis.

LE CHEVALIER continue.

Je sais que lui et votre tante sont des gens de bien, ils auront pitié de ma jeunesse, et je les laisserai les maîtres de mon sort.

MATHURIN.

Rendez-moi ce Billet. Ah ! vartu de ma vie,

Vous vous êtes gaussé de nous ;

Mais j’allons à mon tour me gobarger de vous,

Je voulons tout du long vous faire l’avanie.

LE CHEVALIER, à part.

Peste soit du matin ! payons d’effronterie.

Haut.

Quel est cet insolent ? il est ivre, je crois.

MATHURIN.

Non, je ne le sis pas, mon action le prouve.

LE MARQUIS, à Mathurin.

Comment ! cette Lettre est à toi ?

MATHURIN.

Oui, Monsieur, par la tatigoy,

Et je reprans mon bian par tout où je le trouve.

Pour ce biau Chevalier, qui m’a lu de travars,

Je vous en avartis, c’est un fripon, insigne,

Qui torne devant nous nos Billets à l’envars,

En défigure chaque leigne,

Pis après aux premiers qu’il voit

Il les fait voir en plein, et par le bon endroit.

LE MARQUIS.

À ce discours je ne puis rien comprendre.

LE CHEVALIER.

Il ne sait ce qu’il dit, rends-moi ce Billet tendre,

Ou...

MATHURIN.

Je mourrons, morgué, plutôt que de le rendre.

Paméla nous l’acrit, et c’est une saveur,

Qu’au péril de ma vie on me verra défendre.

LE MARQUIS.

Tu l’aimes ?...

MATHURIN.

Oui de tout mon cœur,

Pisque sa trahison me force à vous rapprendre.

NÉRINE, au Chevalier.

Quoi, des Billets d’autrui vous vous faites honneur ?

LE CHEVALIER.

Aux discours du Faquin ne prêtez, point croyance,

Ce poulet-la, s’il disait vérité,

Comment, entre mes mains, serait-il donc resté ?

MATHURIN.

C’est par suparcherie, et par mon ignorance,

Dont vous avez abusé méchamment.

Je lui baillons ma Lettre à lire bonnement,

Et le trigaut, queulle malice noire !

Du Billet le plus obligeant

Nous en fabrique un de mémoire,

Si malhonnête et si fort outrageant,

Que je sommes partis de rage sur le champ,

Et que de ce papier je l’ons laissé le maître.

Là, peut-on contre un ignorant,

Imaginer rian de plus traître ?

À ma place, jarni, qui n’en eut fait autant ?

LE CHEVALIER, à part.

Par le vrai je me sens confondre,

Avec tout mon esprit, je reste sans répondre.

NÉRINE, au Chevalier.

Je ris du trait, il est bien du pays.

C’est dommage qu’on ait sangdis,

Démasqué votre tromperie,

Le Comte d’Asbarrac, qui demeure à Paris,

Je ne l’oublierai de ma vie.

LE MARQUIS, au Chevalier.

Il faut que tu sois bien hardi,

On n’a jamais poussé l’audace.

LE CHEVALIER.

Pardonne, c’est un tour d’ami,

Je ne boulais d’honneur, je te le jure ici,

Me substituer à sa place

Que pour te conserver le bien qu’il t’eût ravi,

Pour te le rendre après et de meilleure grâce.

LE MARQUIS.

Je sens comme je dois ce procédé poli.

MATHURIN.

Oh, pour le coup, par la sambille,

Je m’étions confié justement au renard,

La peste qu’eu malin ! c’est li qui met son art

À surprendre eune honnête fille,

Mais j’allons de ce pas, sans attendre plus tard,

Mettre à l’abri du vent une fleur si gentille.

Quand j’en ferons le possesseur,

Chacun l’appellera la belle Jardinière :

Qu’il vianne alors le suborneur,

Roder autour de mon parterre,

Je vous l’élaguerons de la bonne manière.

LE MARQUIS.

Arrête-toi, Mathurin, sors d’erreur,

Et vois en moi ton véritable maître.

De Paméla je suis adorateur ;

Tu dois y renoncer, quand je me fais connaître.

MATHURIN.

Nennin, dans ce Châtiau je ne reconnaissons,

Que l’ordre que prascrit Madame la Comtesse.

Depuis dix jours je la sarvons,

Alle seule est notre Maîtresse.

LE MARQUIS.

Mais apprends qu’elle et moi ne faisons qu’un ici,

Et regarde-moi bien...

MATHURIN.

Je vous regarde aussi.

Et vous avez biaucoup de l’air de son visage ;

Mais fussiez-vous son frère, en cette affaire-ci,

Je nous moquons du parentage,

Et nous allons li conter tout ceci ;

Alle aime Paméla comme une fille sage,

Qui ne veut point de favori ;

Maugré vous et vos dents je serons son mari.

Vous ne la recherchez qu’à son désavantage ;

Madame prendra mon parti,

Vous allez voir un biau tapage.

 

 

Scène XII

 

LE MARQUIS, LE CHEVALIER, NÉRINE

 

NÉRINE, au Marquis.

Monsieur, vous voilà sur les bras

Ce rival tout nouveau que vous n’attendiez pas.

LE MARQUIS.

Je vais de ma Maison le chasser tout à l’heure,

Et mon juste dépit...

LE CHEVALIER.

Demeure,

Pour effacer le mal que je t’ai fait,

Ou que j’étais plutôt sur le point de te faire,

Souffre que je te donne un conseil salutaire,

C’est d’éviter l’éclat qui te perdrait.

LE MARQUIS.

Je souffrirais qu’un Domestique...

LE CHEVALIER.

À ce discours je te réplique

Qu’au seul titre d’amant tu bornes ton ardeur ;

Paméla est sage et veut un Épouseur,

Par là ton Jardinier aura la préférence,

Si tu prétends l’emporter de hauteur.

Poursuis plutôt, crois-moi, sur le ton séducteur ;

Ou si tu veux user de violence,

Qu’elle soit douce en apparence,

Et ravisse les sens pour subjuguer le cœur.

LE MARQUIS.

Que veux-tu dire ?

LE CHEVALIER.

Je m’explique

Pour retenir ses pas et vaincre sa rigueur,

Il faut avoir recours, à l’art Magique.

LE MARQUIS.

À l’art Magique ?

LE CHEVALIER.

Oui, sois moins effrayés

C’est celui qu’on exerce au Théâtre Lyrique ;

Il peut sans crime être employé.

Venge-toi d’abord en Musique,

Et punis Mathurin d’une façon comique.

Il faut te faire un jeu de sa terreur,

Qu’il en soit quitte pour la peur ;

Pour Paméla, le Spectacle, la charme,

La Danse la ravit, et le chant la désarme.

Pour la soumettre enlève-la.

Dans une gloire d’Opéra...

NÉRINE.

Oui, quand elle fera parmi ces Demoiselles,

Comptez qu’elle fera comme elles,

Et l’exemple l’emportera.

LE CHEVALIER, au Marquis.

Je puis t’en répondre d’avance,

Morbleu l’air de ce pays-là

Est si contraire à l’innocence,

Qu’en y mettant le pied, sonica, dans l’instant

Elle y tombe en faiblesse et meurt subitement.

LE MARQUIS.

J’approuve ce moyen ; le jour est favorable ;

Pour le faciliter, la Fête vient au mieux.

NÉRINE.

Oui, la ruse en sera d’autant plus praticable,

Qu’on doit jouer pour elle un ballet dans ces lieux.

LE MARQUIS.

C’est le plaisir épris de la sagesse,

Qui fait et le Héros et le fonds de la Pièce ;

Je compte le représenter.

NÉRINE.

Vous ne pouviez choisir un Rôle plus aimable.

Vous faites pour le chant voir un goût admirable ;

Vos sons filez vont l’enchanter.

La sagesse elle-même a peine à résister.

À la touchante voix d’un Amant agréable.

LE CHEVALIER.

Moi, par mes entrechats j’espère l’amuser.

Pour l’exécution allons tout disposer,

Si sa vertu résiste à ce choc redoutable

Il faudra qu’elle soit, sangbious, invulnérable.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

PAMÉLA, seule

 

La rampe est baissée.

Voilà la nuit venue, et je n’entends personne.

Tout est tranquille, ah ! mon cœur ne l’est point ;

L’amour jaloux l’agite, et la frayeur l’étonne ;

Il est cruel au dernier point,

De fuir un homme aimable et qui nous intéresse,

Pour suivre et marcher sur les pas

D’un autre qu’on estime, il est vrai par sagesse,

Mais que par goût on n’aime pas.

Ah ! pourquoi le Marquis n’a-t’il pas la droiture

Et le bon cœur de Mathurin ?

Ou pourquoi Mathurin dans cette conjoncture

N’a-t’il pas, du Marquis, l’esprit et la figure ?

Mon trouble serait moindre et mon bonheur certain.

Non, ma gloire en serait moins sûre.

Tout regarde, tout compte fait,

Il vaut mieux qu’il soit plus mal fait.

Avec un Amant de la sorte

La vertu d’une fille est toujours la plus forte ;

Allons, rassure-toi mon cœur ;

Mon sang peut s’allier au sien sans déshonneur ;

Le vice au fonds est seul digne de blâme,

Et j’aime mieux dans mon malheur

D’un Jardinier être la femme,

Que la Maîtresse d’un Seigneur.

Profitons du temps où mon Maître

Est occupé sans doute à recevoir

La Dame qui veut me connaître,

Et qu’il doit épouser ce soir.

Dépêchons-nous de disparaître,

Pour m’épargner le chagrin de la voir ;

Mais je sens augmenter la terreur qui me presse,

Quelqu’un est là, j’entends marcher...

 

 

Scène II

 

PAMÉLA, MATHURIN

 

MATHURIN.

Je ne la trouvons pas, et j’ons biau la charcher.

PAMÉLA.

Est-ce vous Mathurin ?

MATHURIN.

Oui, ma belle Maîtresse.

PAMÉLA.

Ah ! partons vite, allons-nous en..

MATHURIN.

Accourez, j’ons changé presque tout votre plan ;

Pour éviter tout anicroche,

Et pour nous épargner le risque et le reproche,

De fuir seuls entre chien et loup,

Comme des gens qui font un mauvais coup ;

J’ai voulu pravenir Madame la Comtesse,

Implorer sa bonté comme ses bons avis,

Contre la malice et l’adresse

D’un Chevalier et d’un Marquis,

Qui voulions à l’envi vous avoir par finesse ;

Mais il faut que tous deux soient des sorciers maudits,

Je ne pis la trouver, queuque effort que je fasse ;

Alle n’est plus dans le logis.

Je ne rencontrons à sa place

Que ce damné Marquis, qui veut maugré les gens

Être le maître de céans.

PAMÉLA.

Il l’est aussi, c’est lui, vous l’avouerai-je ?

Qui m’a conduite ici, sous le nom.de sa sœur.

Il s’était déguisé pour séduire mon cœur,

Qui n’eût pas donné dans le piège ?

MATHURIN.

Ah ! quelle fourberie ! Si queu larron d’honneur !

Morgué, c’est pis qu’un sortilège,

Par le menu comptez-nous...

PAMÉLA.

Mathurin.

Je vous dirai tout en chemin,

De peur d’être surpris, sauvons-nous au plus vite,

Et sans faire de bruit...

MATHURIN.

Oui da, fin contre fin,

Faisons si bian que le chasseur malin

Ne trouve plus la bête au gîte.

PAMÉLA.

Ah ! je tremble !

MATHURIN.

Avec moi n’ayez point de frayeur,

Pour quatre j’avons du courage.

On entend tonner.

Mais, qu’est-ceci ? veut-on nous faire peur ?

Queu charivari f queu tapage !

PAMÉLA.

Il éclaire, et j’entends tonner.

Je sens tout mon corps frissonner !

MATHURIN.

Oui, pargué, ce n’est pas par feinte,

Le bruit redouble, il tonne tout de bon,

Tout brave que je sis, j’ons aussi queuque crainte.

Sur nos têtes dans ce salon,

Il n’est pas naturel que le tonnerre gronde,

Quand il fait dans la cour le plus biau temps du monde

C’est là queuque magie où je ne voyons rian :

Le Marquis est sorcier, je vous le disions bian.

PAMÉLA.

Ciel ! de fantômes noirs, quelle troupe effroyable,

Au devant de nos pas, vient se jeter soudain ?

Je n’éprouvai jamais une frayeur semblable.

MATHURIN.

Comment fuir, par queu chemin !

Ah ! pour le coup v’là le guiable

Qui s’avance vars nous eune torche à la main.

Je sis défunt !...

 

 

Scène III

 

PAMÉLA, MATHURIN, TROUPE DE FAUX LUTINS

 

UN LUTIN, à Mathurin.

Arrête, Téméraire,

Laisse-là ce tendron charmant,

Tu n’es pas digne de lui plaire.

De ton audace en ce moment,

Tu vas recevoir le salaire ;

Viens, suis mes pas, que je t’éclaire.

MATHURIN, descendant avec lui par une trappe.

Me v’là, misérable englouti tout vivant.

 

 

Scène IV

 

PAMÉLA, PREMIER LUTIN et AUTRES

 

PAMÉLA.

Je trouve, hélas, un Amant de ma sorte,

Le seul qui m’aimait sagement ;

Il voulait m’épouser et le Diable remporte.

DEUXIÈME LUTIN.

Ne craignez rien pour Mathurin

Quoique son crime soit très grave.

Par cette trappe, le coquin

Vient doucement de tomber dans la cave

Il est bien là, car il aime le vin.

PAMÉLA.

Malgré la frayeur qui m’occupe,

De tout ce que je vois, je ne suis pas la dupe ;

Ce m’est là qu’un piège tendu

Par le nouveau Maître qui m’aime,

Pour arrêter mes pas, et tromper ma vertu...

Le Palais et la rampe remonte.

Armons mon cœur contre ce stratagème ;

Mais quel éclat subit en un Palais brillant,

Vient de changer ce sombre appartement ?

Quel pouvoir a produit cette métamorphose ?

Sans doute qu’il en sait la cause,

Dites-moi, s’il vous plaît, qui vient d’orner ces lieux

D’une manière si subite ?

LE LUTIN.

C’est le plaisir qui les habite,

On entend un prélude.

PAMÉLA.

Ah ! je le reconnais à ces sons gracieux !

Ô Ciel ! quelle musique tendre !

Mon cœur sensible a peine à s’en défendre.

Pour attaquer mes sens, tout s’unit à la fois

Mes yeux sont enchantez, mon oreille est ravie.

LE PLAISIR chante dans la coulisse.

Pour exprimer la beauté de mon choix,

De vos accords redoublez l’harmonie.

PAMÉLA.

Pour surcroît de péril, je crois ouïr la voix

De l’objet dangereux dont je suis trop aimée.

Ah ! c’est lui-même, je le vois ;

Dieux ! qui protégera ma sagesse alarmée ?

Je voudrais, et n’ai pas la force de le fuir.

 

 

Scène V

 

PAMÉLA, LE PLAISIR, SA SUITE

 

LE PLAISIR chante.

Que votre crainte cesse.

Pour obtenir votre tendresse,

J’ai pris la forme du Plaisir,

Et j’adore en vous la sagesse.

À vos divins appas je brûle de m’unir ;

Rendez-vous au feu qui me presse.

Il lui baise la main.

PAMÉLA, déclamant.

De sa vivacité

Que votre ardeur modère une partie.

Vous alarmez ma modestie ;

Vous prenez trop de liberté.

LE PLAISIR déclame.

C’est une liberté permise.

La Décence avec la gaieté

Marchent toujours à mon côté ;

L’une pare mes traits, et l’autre les aiguise.

LA DÉCENCE chante.

Sagesse, calmez votre effroi,

Chantez, et dansez avec moi ;

Tout est sauvé par la Décence,

Et du plaisir impétueux,

Ma main arrête la Licence,

Je lui prête mon voile heureux

Mes soins empêchent que les jeux

Ne fassent rougir l’innocence.

Sagesse, calmez votre effroi,

Chantez et dansez avec moi.

PAMÉLA chante.

Je cède à des conseils si doux,

Je chante, et je danse avec vous.

LA GAIETÉ chante.

Moi je déride la sagesse,

Je donne à tout un air badin,

Je guide partout la jeunesse,

Et je marche toujours au son du tambourin.

On danse.

LE PLAISIR chante à sa suite.

Chantez mes feux,

Troupe agréable,

Chantez le plaisir amoureux,

Célébrez la sagesse aimable.

Le Chœur répète ces quatre vers, et on danse.

LE PLAISIR chante.

Sans le plaisir, ah ! la sagesse ennuie,

Sans la sagesse on outre le plaisir ;

Pour bien goûter le charme de la vie,

Il faut sans cesse les unir.

LE PLAISIR chante.

De la flûte et de la musette

Écoutez l’accord flatteur ;

Il vous peint mon ardeur.

Que sa douceur parfaite

Vous touche en ma faveur.

PAMÉLA, déclamant.

Il suffit... mon trouble est extrême,

Ménagez la sagesse, épargnez sa pudeur.

LE PLAISIR, déclamant.

Expliquez-vous, pour mon bonheur !

Il suffit, disiez-vous ?...

PAMÉLA.

Il suffit de vous-même,

Pour attendrir mon cœur.

La voix de ce qu’on aime,

De tous les instruments est le plus séducteur.

LE PLAISIR.

Qu’entends-je ! ma voix vous désarme.

Ah ! cet aveu me charme.

On danse.

LE PLAISIR chante.

Jetez les yeux sur ces Amants,

Leurs pas à vos regards tracent leurs sentiments.

Comme leurs bras, dans ces moments,

Leurs sœurs s’entrelacent,

Leurs désirs surpassent

L’activité de tous leurs mouvements.

Imitons leur exemple, et suivons leur cadence.

D’une façon si tendre, il est doux de s’unir.

PAMÉLA soupire.

Ah !...

LE PLAISIR déclame.

Qui fait naître ce soupir ?

Tous gardez le silence !

PAMÉLA.

Je le garde de plaisir,

J’en sens trop pour le rendre.

LE PLAISIR déclame.

Ah ! c’est me définir,

Et pour me comprendre

Il faut me sentir.

LE PLAISIR chante.

Formons l’un et l’autre

Un nœud plein d’attraits,

Que mon cœur au vôtre

S’unisse à jamais.

PAMÉLA déclame.

J’y consens si l’Hymen ordonne les apprêts.

LE PLAISIR chante.

Que la chaîne enchanteresse

Qui doit nous unir tous deux,

Soit l’ouvrage heureux

Du goût et de la tendresse,

Des ris et des jeux.

PAMÉLA déclame.

Le plaisir, je le vois, veut tromper la sagesse !

LE PLAISIR déclame.

Non, je veux vous faire jouir

D’une félicité suprême.

Venez dans les bras du Plaisir,

Venez goûter un bien qu’il attend de vous-même.

PAMÉLA.

Je refuse un bonheur dont j’aurais à rougir.

Duo chanté.

LE PLAISIR.

Amour j’implore ta puissance,

Achève de me rendre heureux.

Par une douce violence,

Livre mon Amante à mes feux.

PAMÉLA, sous le nom de Sagesse.

Vertu j’implore ta puissance,

Empêche qu’il ne soit heureux.

Par une sage résistance,

Fais-moi triompher de ses feux.

L’amour descend dans un char et la Décence s’éloigne.

PAMÉLA déclame.

Dans le péril, ah ! la vertu me laisse,

L’Amour a prévenu ses pas.

LE PLAISIR.

À la qualité de Déesse

Je veux élever vos appas.

PAMÉLA.

Hélas ! de ma faiblesse

Plaisir, n’abusez pas.

LE PLAISIR.

Venez jouir d’une gloire brillante.

On reprend la Ritournelle.

Ah ! doucement ; je sens dans ce char-là

Chanceler ma vertu tremblante.

LE PLAISIR.

Vole Amour, conduis-nous fout droit à l’Opéra.

PAMÉLA.

Miséricorde ! ô Ciel ! c’est fait de Paméla :

Mais non, cruel, non, vous avez beau faire,

L’Amour et vous ne me séduirez pas.

Non, je ferai d’une sagesse austère,

Et jusques dans son Temple, et même dans vos bras.

LE PLAISIR, à part.

Ah ! ses cris arrêtent mes pas,

Et d’un juste remords sa douleur me pénètre.

Je croyais triompher, je vais être vaincu.

À Pamela.

Pardonnez à l’Amour ce qu’il vient de commettre :

Il voulait éprouver votre cœur combattu,

Un sort plus digne vous est du,

Et ce dernier effort y contraint ma tendresse.

Le plaisir ne se doit unir à la sagesse

Que par les nœuds de la vertu.

PAMÉLA.

Je serais votre épouse ? ô bonheur imprévu !

LE PLAISIR.

Oui, je puis sans rougir former cette alliance,

Un mérite si reconnu

Vaut mieux que la richesse et la haute naissance.

L’AMOUR, à Paméla.

Oh ! pour le coup, je vous tiens, par ma foi,

Et votre résistance est vaine,

L’Hymen vous livre toute à moi,

Vous me paierez ce soir mon voyage et ma peine.

On entend un Prélude.

LE PLAISIR chante à sa suite,

Revenez aimable Décence,

Éclatez charmante gaieté.

Revenez aimable Décence ;

Au sein de l’innocence,

Je vais goûter la volupté.

Revenez aimable Décence.

Le Chœur répète ces vers.

 

 

DIVERTISSEMENT

 

On danse.

Vaudeville.

LE PLAISIR.

La sagesse dans les beaux ans,
Est d’employer tous les instants
À bien goûter mes charmes.
Rien du soir jusqu’au matin,
Sans embarras du lendemain,
Vive la joie, et point d’alarmes.

PAMÉLA.

Lorsqu’on cède aux feux d’un Amant,
Ah ! pour le plaisir d’un moment,
Qu’il en coute de larmes !
Mais quand nos efforts sont vainqueurs
Et que l’Hymen unit nos cœurs,
Vive la joie et plus d’alarmes.

L’austère vertu de ma sœur,
Du sort attire la rigueur,
Ma gaieté la désarme.
Je vais toujours chantant, dansant,
Et fais fortune en badinant ;
Vive la joie et plus d’alarme.

LA GAIETÉ, au Parterre.

Le premier jour est un combat,
Messieurs, j’ai peur, le cœur me bat,
 Et je crains le vacarme ;
Mais quand vous faites[1] ce bruit là,
Je saute alors, et tout y va ;
Vive la joie et point d’alarme.

On danse.


[1] Battre des mains.

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