Maximian (Thomas CORNEILLE)
Tragédie en cinq actes et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en février 1662.
Personnages
CONSTANTIN, Empereur
MAXIMIAN, Père de Fauste
FAUSTE, Femme de Constantin
CONSTANCE, Sœur de Constantin
SÉVÈRE, Lieutenant Général des Armées de l’Empereur
LICINE, Amant de Constance
MAXIME, Capitaine des Gardes de l’Empereur
MARTIAN, Confident de Maximin
FLAVIE, Confidente de Fauste
LUCIE, Confidente de Constance
SUITE de l’Empereur
La scène est à Marseille.
ACTE I
Scène première
MAXIMIAN, LICINE
LICINE.
Seigneur, je le confesse, on ne peut plus rien faire,
Dont la gloire ne cède à celle de Sévère ;
L’honneur d’avoir rangé la Gaule sous nos lois
Ajoute un nouveau lustre à ses autres exploits,
Et de plus beaux lauriers après cette conquête
Auront peut-être peine à couronner sa tête.
Pour s’acquitter vers lui, je vois sans murmurer
Que du nom de César on songe à l’honorer ;
Mais ce rang lui doit être assez de récompense,
Sans en prendre aucun droit sur le cœur de Constance,
Et je ne puis, Seigneur, que je ne sois surpris
De voir qu’à tant de gloire on joigne un si haut prix.
MAXIMIAN.
Cette gloire où pour lui je vois que l’on s’obstine,
A lieu d’être sensible au généreux Licine,
Et si j’en étais crû, l’on verrait aujourd’hui
Un peu moins de distance entre Sévère et lui.
Dans un pareil degré de vertu, de mérite,
Constantin doit à l’un quand vers l’autre il s’acquitte,
Et quoiqu’ait fait Sévère, il est beau de penser
Que qui l’élève trop semble vous abaisser ;
Mais d’un retour brillant de plus d’une victoire,
Le seul rang de César peut consacrer sa gloire ;
Et sans voir que c’est faire un attentat sur vous...
LICINE.
Non, Seigneur, de ce rang je ne suis point jaloux.
Qu’il coure vers le Trône où son destin l’entraîne,
Qu’on l’y comble d’honneurs, je le verrai sans peine,
Mais pour partage au moins, assuré d’y monter,
Qu’il laisse à mon espoir un cœur à disputer.
J’en dis trop, mais en vain je me fais violence,
Pour pouvoir de mes vœux vous cacher l’arrogance.
Du malheur qui les fuit la douce cruauté
Arrache à mon respect l’aveu de leur fierté ;
De mille attraits divins la Princesse est pourvue,
Sa beauté charme tout, j’ai des yeux, je l’ai vue,
Et dans ce droit pressant qu’elle a de tout charmer,
Puisque j’ai pu la voir il m’a fallu l’aimer.
Non qu’enfin je demande en l’ardeur qui me presse
Que contre elle pour moi l’Empereur s’intéresse.
Qu’il souffre seulement que pour donner sa foi,
Elle n’ait dans ses vœux à consulter que soi ;
La grandeur de son rang est peu digne d’envie
Si sous son fier éclat il la tient asservie,
Et fait dépendre un cœur né pour donner des lois
Du besoin de l’État, et non pas de son choix ;
Daignez-en à ma flamme épargner le supplice,
Vos conseils peuvent tout contre cette injustice,
Et quoiqu’à l’Empereur vous vouliez inspirer
Il vous estime trop pour n’y pas déférer.
MAXIMIAN.
Depuis que Constantin en épousant ma Fille
A remis malgré moi le Trône en ma famille,
Pour soutenir un rang que l’on m’a vu quitter,
Il a crû presque en tout me devoir consulter :
Mais l’éclat des grandeurs qu’il destine à Sévère
De sa Sœur avec lui rend l’hymen nécessaire,
Et dans ce grand projet on doit peu s’étonner
S’il lui prescrit un choix qui la doit couronner.
C’est par là qu’ayant su l’amour qui vous engage,
J’ai du Trône à Sévère envié l’avantage,
Et combattu longtemps ce partage inégal,
Dont l’injustice accable un illustre Rival ;
Mais la Gaule soumise emporte la balance,
Constantin donne tout à la reconnaissance,
Et dans ce qu’il prépare, il ne peut endurer
Le vif ressentiment qui vous fait murmurer.
Il le sait, et pour vous sa colère est à craindre.
LICINE.
L’amour qu’on désespère a-t-il à se contraindre,
Et si malgré Constance on engage sa foi,
Suis-je en état, hélas, de répondre de moi ?
Encor un coup, Seigneur, permettez-moi l’audace
Qui force mon amour à vous demander grâce.
Il aspire à des droits qu’on cherche à violer,
Et ma foi...
Scène II
MAXIMIAN, LICINE, MAXIME, MARTIAN
MAXIME, à Licine.
L’Empereur demande à vous parler.
LICINE.
À moi, Maxime ?
MAXIME.
À vous, Seigneur ; son ordre presse.
MAXIMIAN, à Licine.
Ménagez son courroux avec un peu d’adresse,
Quand vous l’aurez quitté, j’aurai soin de le voir.
LICINE.
Enfin c’est de vous seul que dépend mon espoir.
Scène III
MAXIMIAN, MARTIAN
MAXIMIAN.
Et bien, cher Martian, que faut-il que j’espère ?
Dans quels secrets transports as-tu trouvé Sévère ?
Licine est mécontent, et si j’en puis juger,
La Princesse offre assez de quoi nous l’engager.
Son hymen résolu tient son âme alarmée ;
Mais comme enfin Sévère est maître de l’armée,
Qu’en vain sans son appui j’ose me découvrir,
Avant toute autre chose il faut nous l’acquérir.
MARTIAN.
Vous le ferez sans peine, et la secrète rage
Où la perte de Fauste abîme son courage,
D’une douleur si forte arme son désespoir,
Qu’il n’est plus en état d’écouter son devoir.
Aussi pour lui, Seigneur, la disgrâce est cruelle ;
Il aime votre Fille, il se fait aimer d’elle,
Vous approuvez sa flamme, il part, et trouve enfin
Qu’elle est à son retour Femme de Constantin.
Je viens de le quitter comme frappé du foudre,
Il brûle de la voir, et tremble à s’y résoudre,
Et l’amas des lauriers dont il revient couvert,
N’a rien qu’il considère auprès de ce qu’il perd.
MAXIMIAN.
Prenons donc à nos vœux un temps si favorable,
Pressons adroitement la douleur qui l’accable,
Et l’aigrissons si bien qu’il se laisse flatter
De voir ma Fille à lui s’il ose l’accepter.
Par moi, de son hymen ayant reçu parole,
Montrons-lui qu’en effet c’est son bien qu’on lui vole,
Et que jamais l’Amour n’échauffa son désir,
Si quand il le retrouve il craint de s’en saisir.
Un amant qu’en secret le désespoir anime,
Vient insensiblement sur le penchant du crime,
Ébloui d’un faux jour il aime à s’y placer,
Et pour peu qu’on le pousse, il s’y laisse glisser.
MARTIAN.
C’est ce qu’attend Sévère, et puisque l’entreprise
N’est qu’un projet mal sûr à moins qu’il l’autorise,
Ménagez un traité dont l’accord résolu
Vous acquiert sur l’Armée un pouvoir absolu.
Quand à nous seconder vous l’aurez su réduire,
Licine sera moins en état de nous nuire.
Les Conjurés sont prêts, et perdant Constantin,
Aspirent chaque jour à changer de destin.
J’ai peine à retenir l’ardeur qui les emporte.
MAXIMIAN.
Et toujours cette ardeur est également forte ?
MARTIAN.
Quand quelque lâche entre eux se pourrait déguiser,
Vous êtes à couvert de ce qu’il peut oser.
Impatients du Chef que je leur fais attendre,
Leur soupçon jusqu’à vous est bien loin de s’étendre,
Puisque pour l’empêcher j’ai soutenu d’abord
Qu’à notre sûreté nous devions votre mort.
C’est ce qu’à notre Chef on doit laisser résoudre,
Et quand sur Constantin on lancera la foudre,
Vous êtes en pouvoir, après ce vain discours,
De sauver votre gloire en vous cachant toujours ;
Lui mort, la brigue est forte à vous choisir pour Maître.
MAXIMIAN.
Non, Sévère a moins lieu de se faire connaître,
Et si nos Mécontents par un secret appui
Ont besoin pour agir d’être assuré de lui,
Il faut dans le dessein qui me fait entreprendre
Cacher à d’autres yeux la part qu’il voudra prendre.
Fauste étant le seul prix qui le puisse attirer,
Si le crime est connu, que peut-il espérer ?
Croira-t-il de sa mort que le sachant coupable
L’assassin d’un Époux lui soit jamais aimable,
Et si ce doux espoir ne flatte ses souhaits,
Voudra-t-il embrasser d’inutiles forfaits ?
Pour moi qui me cachant hasarde toute chose,
Je ne refuse point d’avouer ce que j’ose.
Tout mon but est le Trône, et pour y parvenir,
Les chemins les plus sûrs me plaisent à tenir.
Ne dis point que l’éclat à ma gloire est contraire,
Ce scrupule n’est bon qu’à quelque âme vulgaire,
Et pour te l’arracher, souviens-toi, Martian,
Qu’en moi, qu’en me servant tu sers Maximian.
Si j’ai de l’Avenir à craindre quelque blâme,
C’est qu’un indigne exemple ait pu trop sur mon âme,
Quand Dioclétian m’inspira le dessein
De quitter comme lui le pouvoir souverain.
Séduit par ses conseils j’abandonnai l’Empire,
Et quand à leur faiblesse on m’a trop vu souscrire,
Le crime sera beau s’il peut me racheter
La honteuse vertu qui me le fit quitter.
C’est sur ce grand projet, c’est sur cette espérance
Que j’ai de Constantin souhaité l’alliance,
Afin que par ces nœuds mon pouvoir augmenté
M’offrit à l’immoler plus de facilité.
Ne différons donc plus puisqu’il faut entreprendre,
La Couronne est à moi, cherchons à la reprendre,
Et par de grands effets hâtons-nous d’enseigner
Qu’on doit nommer vertu tout ce qui fait régner.
MARTIAN.
L’hymen où pour Sévère on veut forcer Constance
Su succès de vos vœux nous donne l’assurance,
Puisque Licine et lui piqués que l’Empereur...
MAXIMIAN.
Par ce nom odieux redouble ma fureur,
Et pour hâter le coup dont tu vois la menace,
Fais-moi voir, Martian, qu’un autre est en ma place.
Je sais bien qu’aujourd’hui, quoique j’ose vouloir,
C’est à mes seuls désirs à régler mon pouvoir,
Que par eux, à mon choix, j’ordonne de l’Empire ;
Mais Constantin le souffre, et pourrait s’en dédire,
Et c’est pour un grand cœur une trop dure loi,
De tenir ce qu’il peut d’un autre que de soi.
Il trouve, quoiqu’enfin tout cède à sa puissance,
Je ne sais quelle horreur dans cette dépendance,
Et la plus absolue est pour lui sans appas,
Quand il songe qu’il règne, et peut ne régner pas.
Surtout l’essai du Trône enfle trop un courage
Pour lui laisser souffrir ce honteux esclavage,
Et pour qui l’a su faire, il est injurieux
De ne pas ôter tout pour ne céder qu’aux Dieux.
C’est un affront pour lui d’avoir plus qu’eux à craindre,
Et pour monter au faîte où l’on voudrait atteindre,
Lorsque dans le seul crime on trouve du secours,
Je ne sais s’il est beau de les craindre toujours.
Quoiqu’il en soit enfin, dans ce grand sacrifice...
MARTIAN.
Seigneur, ne dites rien, voici l’Impératrice.
Scène IV
MAXIMIAN, FAUSTE, FLAVIE, MARTIAN
MAXIMIAN.
Madame, savez-vous que Licine aujourd’hui
Pour fléchir Constantin implore mon appui ?
Il adore Constance, et l’hymen de Sévère...
FAUSTE.
Seigneur, sa passion n’a pu si bien se taire,
Qu’au malheur qui la suit son transport n’ait cédé,
Et pour s’en éclaircir l’Empereur l’a mandé.
MAXIMIAN.
Le coup est assez rude, et Sévère lui-même
Ne pourra sans douleur lui ravir ce qu’il aime ;
Mais quoique l’un et l’autre ait droit d’en soupirer,
Ici vos intérêts se doivent préférer ;
Je vous les ai fait voir, et de quelle importance
Pour vous avec Sévère était cette alliance.
Constantin l’a conclue, et pour la terminer
Vous savez quels conseils vous avez à donner.
Scène V
FAUSTE, FLAVIE
FAUSTE.
Ah, funestes conseils, dont la rigueur extrême
Me force pour ma gloire à m’immoler moi-même !
Après ce que mon cœur a voulu lui céder,
Faut-il qu’il donne encor ce qu’il n’ose garder ?
FLAVIE.
Quoi ! parmi tant d’honneurs, et de pompe et de gloire,
Vous conservez, Madame, une humeur sombre et noire,
Et pour vaincre l’ennui qui traverse vos jours,
Le rang d’Impératrice est un faible secours ?
FAUSTE.
S’il assure à mon sort la gloire la plus haute,
Qui me rendra le bien que cette gloire m’ôte ?
Dieux !
FLAVIE.
Vous n’achevez point ?
FAUSTE.
Si pour Sévère...
FLAVIE.
Et bien ?
FAUSTE.
Je t’en dis trop, hélas !
FLAVIE.
Mais vous ne dites rien ?
FAUSTE.
Après ce nom fatal que ma douleur attire,
Soupirer et me taire, est-ce ne te rien dire ?
Et puis-je expliquer mieux qu’en secret trop charmé,
Si sévère m’aima, Sévère fut aimé ?
Dans l’estime où pour lui je surprenais mon âme,
Maximian mon père autorisa sa flamme,
Et je n’eus pas de peine à céder au pouvoir
Qui d’un penchant si doux me faisait un devoir.
Ainsi ce pur amour dont j’ai tu la naissance
Éclata sur l’appui de mon obéissance,
Et contrainte à des vœux qui n’osaient s’exprimer,
Je vis avec plaisir qu’on m’ordonnât d’aimer.
Mais las ! cette douceur me fut bientôt amère,
Quand pour dompter la Gaule on fit choix de Sévère.
Général de l’armée il adore un emploi.
Où son bras le rendra moins indigne de moi,
De ma main en partant il reçoit l’assurance.
Vois par là quels malheurs ont suivi son absence.
Constantin à me voir trouve un charme pressant,
Il m’offre place au Trône, et mon père y consent ;
J’oppose en vain ma foi par son ordre donnée,
Son pouvoir me condamne à ce triste hyménée.
J’obéis, il s’achève, on trahit mon amour ;
Cependant aujourd’hui Sévère est de retour,
Et pour comble de maux ma gloire m’intéresse
À conseiller pour lui l’hymen de la Princesse.
Mais Dieux !
FLAVIE.
Il vient ici, Madame, songez bien...
FAUSTE.
Hélas ! quand on perd tout, peut-on songer à rien ?
Scène VI
FAUSTE, SÉVÈRE, FLAVIE
FAUSTE.
Quel dessein vous engage à rechercher ma vue ?
Est-ce trop peu pour moi du tourment qui me tue,
Et quand à sa rigueur je n’ai pu m’arracher,
Venez-vous pour m’en plaindre, ou me le reprocher ?
SÉVÈRE.
Madame, pour commettre une telle injustice,
Je dois trop de respect à mon Impératrice.
Elle est digne du choix qui la rend ce qu’elle est,
Je le suis de la mort dont j’ai reçu l’arrêt,
Et si de mes regards la langueur indiscrète
Lui fait de ma disgrâce une plainte secrète,
Le pressant désespoir qu’ici je viens aigrir
Ne lui laissera pas longtemps à la souffrir.
FAUSTE.
Que Sévère m’offense, et que malgré son zèle
La plainte qu’il étouffe en est une cruelle !
Ne la contraignez point, et pour vous soulager,
Dites que pour un Trône il est beau de changer.
Dites que son éclat m’ayant l’âme charmée,
Votre perte à ce prix ne m’a point alarmée,
Que j’ai couru moi-même à l’infidélité,
Le reproche est bien juste, et j’ai tout mérité.
SÉVÈRE.
Quand le Ciel vous élève au rang le plus insigne,
Est-ce vous offenser que vous en trouver digne ?
Je l’ai dit, et les Dieux me sont ici témoins
Si j’ai cru que pour vous ils puissent faire moins.
Mais les transports affreux où sans cesse m’expose
Des honneurs qu’on vous rend la déplorable cause,
Sont des maux que peut-être, adorant vos appas,
Pour prix de mon amour je ne méritais pas.
Mon cœur ne peut s’offrir cette funeste image
Sans en trembler d’horreur, sans en frémir de rage.
J’aime, on veut que j’espère, et par un coup fatal
Je vois tout ce que j’aime au pouvoir d’un Rival ;
Mon malheur fait sa gloire, il triomphe ; ah, Madame,
Avez-vous bien conçu ce tourment dans mon âme,
Et si son triste excès semble vous étonner,
L’avez-vous pu comprendre, et m’y voir condamner ?
FAUSTE.
Oui, je l’ai pu, Sévère et prête à m’y contraindre,
J’ai vu ces maux affreux qui vous rendent à plaindre,
De votre amour trahi j’ai vu le désespoir,
J’en ai vu tout l’excès, mais j’ai vu mon devoir,
Et quelques durs malheurs où ce devoir me livre,
Je n’ai pu balancer un moment à le suivre.
Non qu’à ses tristes lois on m’ait vue obéir,
Qu’il n’en ait à mon cœur coûté plus d’un soupir.
Comme vous en teniez la conquête assez chère,
Il en fit votre bien par l’ordre de mon Père,
Et peut-être jamais il ne l’eût retiré
Si pour vous l’arracher il ne l’eût déchiré.
Vous en voyez l’effet dans ce désordre d’âme
Qui suit le souvenir d’une si belle flamme,
Et le trouble où je suis est un aveu secret,
Que réduit à vous perdre, il vous perd à regret.
SÉVÈRE.
Triste soulagement dans un mal sans remède !
Votre cœur est un bien que mon amour possède,
Et quand il me tient lieu de cent Trônes offerts,
On me l’ôte à regret, mais enfin je le perds,
Accablé du devoir qui veut qu’on le retire,
Qu’importe qu’il se rende, ou bien qu’on le déchire,
La violence est-elle une plus douce loi,
Et pour me l’arracher en est-il plus à moi ?
Non, non, de vos bontés ces preuves obligeantes
Ne font que rendre encor mes douleurs plus pressantes.
Plus votre amour me tient ses charmes découverts,
Plus ma rage s’augmente à voir ce que je perds.
Au lieu de me montrer qu’en un sort si contraire,
Je dois tous mes malheurs au seul ordre d’un Père,
Qu’à cet ordre à regret vous avez obéi,
Dites-moi, s’il se peut, que vous m’avez trahi.
Vous montrant insensible à tout ce que j’endure,
Prêtez à ma raison le secours du murmure,
Affectez des mépris dont l’outrageant aveu
Affaiblissaient ma perte en console mon feu ;
Et puisque le devoir a bien su vous apprendre
À m’arracher ce cœur où j’eus droit de prétendre,
Par tout ce que la haine a de plus obstiné,
Arrachez-moi l’amour que vous m’avez donné.
Mais que dis-je ? Les maux à qui ma vertu cède,
Égalent-ils l’horreur d’un si cruel remède ?
Puisque enfin votre cœur en daigne soupirer,
Laissez-les-moi, ces maux, je veux les adorer.
Au repos le plus doux j’en préfère la peine,
Si pour la voir finir il me faut votre haine ;
Vos mépris combleraient les rigueurs de mon sort.
Madame, pardonnez à ces confus transports,
Je cède, et me dérobe à l’erreur qui m’abuse,
Je veux, et ne veux pas, je demande et refuse,
Je trouve un nouveau mal où je crois voir un bien.
Mais hélas ! en est-il pour qui n’espère rien ?
FAUSTE.
Oui, Sévère, il en est, et quoiqu’en apparence
Vous puissiez dans vos maux garder peu d’espérance,
Le temps et la raison où l’on doit recourir,
Sauront vous assurer les moyens d’en guérir.
SÉVÈRE.
Ainsi cette raison à votre aide appelée
D’un si beau feu trahi vous aura consolée,
Et ce qu’en votre cœur l’amour avait tracé,
N’a plus rien que déjà le temps n’ait effacé ?
FAUSTE.
C’est ce qu’ils ont dû faire, et quoiqu’ils me proposent
Si mes sens révoltés à leur secours s’opposent,
Mon cœur se contraindra si bien à le cacher,
Qu’à peine aurai-je droit de me le reprocher.
SÉVÈRE.
Quoi, si de mes malheurs quelquefois il soupire,
M’envier la douceur de vous l’entendre dire ?
Pourquoi me refuser cet innocent aveu ?
Vous coûterait-il tant pour me donner si peu ?
FAUSTE.
Trop, puisqu’il n’est pas tel que vous le voulez croire.
SÉVÈRE.
Qu’a-t-il de condamnable ?
FAUSTE.
Il hasarde ma gloire.
SÉVÈRE.
Par ce feu, ce beau feu qu’honora votre foi.
FAUSTE.
Je l’étouffe pour elle, étouffez-le pour moi.
SÉVÈRE.
C’est à quoi sans effort vous savez vous contraindre ?
FAUSTE.
Mon devoir l’alluma, mon devoir sait l’éteindre.
SÉVÈRE.
Qu’il l’éteint bien plutôt qu’il ne fut allumé !
Et vous disiez encor que vous m’avez aimé ?
FAUSTE.
Adieu, Sévère, adieu ; quelque effort que je fasse,
Je sens que malgré moi ma vertu s’embarrasse,
Non que de la victoire elle ait lieu de douter,
Mais c’est l’acheter trop que de la disputer.
SÉVÈRE.
Quoi, vous m’abandonnez ? Ah ! divine Princesse,
Avec tant de vertu craignez-vous ma faiblesse ?
Craignez-vous un amour dont le triste entretien
Dans tout son désespoir ne vous impute rien ?
Constantin eut pour soi l’autorité d’un Père,
Vous avez obéi, vous avez dû le faire ;
Quelque reste d’amour semble vous alarmer,
Je n’y résiste point, il faut cesser d’aimer,
N’aimez plus, j’y consens, mais souffrez qu’à ma rage
Vos regards...
FAUSTE.
Je ne puis écouter davantage,
Vos plaintes sur mon cœur prennent trop de pouvoir,
Et plus je vous entends, moins je sais mon devoir.
ACTE II
Scène première
CONSTANTIN, MAXIME
CONSTANTIN.
Je l’avais bien prévu, que cette résistance
Venait d’un feu secret qui plaît trop à Constance,
Sans mon ordre en son cœur ce feu s’est allumé,
Et si Licine l’aime, il n’est pas moins aimé ;
Je viens de lui parler, et l’ai trop su connaître.
MAXIME.
Sa passion toujours affectait de paraître,
Mais jusqu’ici, Seigneur, rien n’avait fait juger
Que pour lui la Princesse eût voulu s’engager,
Et s’il faut qu’en secret Licine ait pu lui plaire,
De l’espoir de sa main on flatte un peu Sévère.
L’Amour soutient longtemps la gloire de son choix.
CONSTANTIN.
Mais je suis dans le Trône, et j’en connais les droits.
MAXIME.
N’en croyez point l’aigreur qui vous parle contr’elle
Licine est un Sujet grand, illustre, fidèle,
Et je ne vois enfin Sévère à préférer
Que par l’auguste rang qu’on lui fait espérer...
CONSTANTIN.
Du titre de César je fais sa récompense ;
Mais sais-tu que pour lui je fais moins qu’on ne pense,
Et que l’éclat du rang où ma faveur le met
De mon ingratitude est le honteux effet ?
Jaloux de la vertu dont le charme l’inspire,
Pour m’ôter un Rival je partage l’Empire
Et m’empresserais moins à le faire régner,
Si je n’en acquérais le droit de l’éloigner.
Il soupirait pour Fauste, et jamais l’espérance
N’avait d’un plus beau feu soutenu la constance,
Quand la guerre allumée armant pour moi son bras,
Le plonge en des malheurs qu’il ne prévoyait pas.
Tandis que sa valeur soutient mon Diadème,
Mon hymen résolu lui vole ce qu’il aime ;
Fauste cède, mais las ! Son chagrin fait trop voir
Que son obéissance est due à son devoir.
Quelque effort, quelques soins que mon adresse emploie,
La Couronne est trop peu pour lui rendre sa joie.
Par là juge à quel point s’alarme mon amour
Quand je vois aujourd’hui Sévère de retour.
Non que ce feu secret qu’il a peine à contraindre,
Offre à ma jalousie aucun sujet de craindre.
Quelque trouble en son cœur qu’il ait droit de jeter,
Fauste a trop de vertu pour m’en inquiéter,
Elle en triomphera, mais enfin je prends garde
Que ce cœur est un bien que ce trouble hasarde,
Et qu’à le voir souvent, quoique puisse sa foi,
Il est bien malaisé qu’il n’en soit moins à moi.
Tu sais que je l’adore, et que son hyménée
Tenait de tous mes vœux l’avidité bornée ;
Mais je ne puis souffrir que dans des nœuds si doux,
L’Amant n’ait point de part au bonheur de l’Époux.
Sans cesse à mon repos ce dur chagrin s’oppose,
La douceur de l’effet se corrompt par sa cause,
Et mon cœur que confond ce juste désespoir,
En faveur de l’amour est jaloux du devoir.
Ne t’étonne donc plus du chois que j’ai su faire.
En couronnant ma Sœur il engage Sévère,
Et par ce prompt hymen l’oblige d’étouffer
Un amour dont lui seul a droit de triompher.
Outre qu’avecque lui partageant ma puissance,
Je l’éloigne des lieux où je crains sa présence,
Et le faisant régner où je ne serai pas,
J’empêche... Mais Constance adresse ici ses pas ;
Sachons ses sentiments.
Scène II
CONSTANTIN, CONSTANCE, MAXIME, LUCIE
CONSTANTIN.
Ma Sœur, j’ai peine à croire
Un bruit sourd que l’envie oppose à votre gloire.
Quand par ce que je dois aux tendresses du sang
Je veux vous élever à l’éclat de mon rang,
J’apprends que vous souffrant un indiscret murmure,
Ces marques de bonté vous tiennent lieu d’injure,
Et que vous dédaignez dans le choix d’un Époux
Celui que l’amitié m’a fait faire pour vous.
Sévère aura peut-être assez de déférence
Pour forcer par respect ses désirs au silence,
Mais si trop de fierté tient les vôtres séduits,
Sachant ce que je veux, craignez ce que je puis.
CONSTANCE.
Ces soins de m’élever à la grandeur suprême
Sont sans doute l’effet d’une tendresse extrême,
Et les profonds respects qui vous marquent ma foi
Ne sauraient m’acquitter de ce que je vous dois ;
Mais de quelque fierté que je sois soupçonnée,
Je réponds mal, Seigneur, au sang dont je suis née
Si je ne tiens le Trône un bonheur imparfait
Quand la menace est jointe à l’offre qu’on m’en fait.
Quelque éclatant qu’il soit, forcer d’y prendre place,
C’est imposer un joug, et non pas faire grâce,
Et pour m’y donner part, l’hymen qu’on me prescrit
Me l’asservit bien moins qu’il ne m’assujettit.
Dans les droits que pour lui l’on veut que j’abandonne,
Bien loin qu’il soit à moi, c’est à lui qu’on me donne,
Et mon ambition s’en laisse en vain flatter
Si mon cœur est le prix dont je dois l’acheter.
CONSTANTIN.
Ce prix est-il si haut que tout couvert de gloire,
Tout brillant de l’éclat d’une illustre victoire,
Sévère à trop d’orgueil semble s’abandonner,
S’il en reçoit l’espoir que je lui fais donner ?
CONSTANCE.
Sévère a des vertus dignes de sa naissance ;
Mais mon cœur est jaloux de son indépendance,
Et quoique mon devoir ait d’empire sur lui,
Il dédaigne d’aimer par les ordres d’autrui.
CONSTANTIN.
Dites, dites plutôt que ce cœur téméraire
Pour se donner ailleurs se refuse à Sévère,
Et qu’à des feux secrets prêtant trop de soutien,
Votre choix pour aimer a prévenu le mien.
Licine vous adore, et l’ardeur qui l’enflamme
N’a pu frapper vos yeux sans pénétrer votre âme ;
Mais flattant des soupirs sans mon ordre écoutés,
Avez-vous oublié de quel sang vous sortez ?
Celles de votre rang à qui la gloire est chère,
Hors le bien de l’État n’ont point de choix à faire,
Et quelque passion qui les puisse aveugler,
Un si noble intérêt la doit toujours régler.
CONSTANCE.
Je sais que plus le rang approche des Couronnes,
Plus la fière grandeur asservit nos personnes,
Mais je ne sais pas moins quel injuste attentat
Font souvent sur nos cœurs ces maximes d’État ;
Non que vous devant tout le mien les examine,
C’est sans aveuglement que j’estime Licine,
Et son amour n’a rien qui me puisse ébranler,
Sitôt qu’à votre gloire il faudra l’immoler.
Mais je puis à vos vœux me rendre un peu contraire,
Quand votre seul dessein est d’élever Sévère,
Et je ne dois point tant au soin de sa grandeur...
CONSTANTIN.
Et bien, pour cet hymen je fais voir trop d’ardeur,
L’État en peut tenir les droits illégitimes,
Mais ce n’est pas à vous d’en régler les maximes ;
Et quoique votre orgueil ait peine à se trahir,
Qui ne sait point aimer doit savoir obéir.
Qu’à son gré d’un Sujet votre mépris décide,
Il suffit qu’à ce choix ma volonté préside,
Et pour ôter tout lieu d’obstacles superflus,
Licine me sera garant de vos refus.
C’est lui dont l’intérêt trop puissant sur votre âme
À la rébellion engage votre flamme ;
C’est lui qui contre moi vous la fait soutenir,
Et c’est lui seul aussi que j’en saurai punir.
Il est en votre choix d’arrêter ma colère ;
Mais tremblez pour sa tête, ou songez à me plaire,
Je vous laisse en résoudre, adieu.
Scène III
CONSTANCE, LUCIE
CONSTANCE.
Qui l’eût pensé,
Qu’à tant de tyrannie il se fut dispensé,
Qu’il eût prêté la main au coup qui m’assassine ?
LUCIE.
J’en soupire pour vous, et tremble pour Licine,
Et si de ce revers votre cœur combattu
N’en trouvait le remède en sa propre vertu...
CONSTANCE.
Quel remède, Lucie, et qu’il a d’amertume
Quand l’amour est un feu que le mérite allume,
Et que le cœur atteint d’un si charmant poison
Obtient pour lui céder l’appui de la raison !
Non qu’enfin la vertu n’en soit toujours maîtresse,
Mais quand à l’étouffer le devoir l’intéresse,
C’est un combat affreux dont la triste rigueur
Du malheur du vaincu fait gémir le vainqueur.
Timide à triompher, puni par sa victoire,
Il soupire du coup qui l’immole à sa gloire,
Et Tyran malgré lui de ses plus chers souhaits,
S’il osait ne pas vaincre, il ne vaincrait jamais
LUCIE.
J’ose encor me flatter d’un succès plus propice,
S’il est vrai que Sévère aime l’Impératrice ;
L’Empereur s’en alarme, et sur un tel souci,
S’armant contre Licine, on dit... Mais le voici.
Scène IV
CONSTANCE, LICINE, LUCIE
LICINE.
Dans l’état déplorable où me réduit l’envie,
Madame, qu’avez-vous résolu de ma vie ?
Tout conspire à ma perte, et je vois l’Empereur
Du coup le plus cruel me préparer l’horreur ;
Mais quoique de mon sort puisse ordonner sa haine,
Vous en êtes toujours l’arbitre Souveraine,
Et toute la rigueur des Destins irrités
Ne peut rien contre moi si vous n’y consentez.
CONSTANCE.
Si pour vous en secret mon cœur toujours propice
Suffit de leur courroux à rompre l’injustice,
Quelques maux qui sur vous semblent prêts d’éclater,
Vous me connaissez trop pour en rien redouter.
N’attendez rien de plus ; j’ai cru pouvoir sans crime
Vous souffrir d’aspirer à toute mon estime,
Et n’ai point balancé d’approuver un amour
Qu’aux yeux de l’Empereur vous osiez mettre au jour.
L’éclat qu’il lui souffrait flattant votre espérance,
Contre un doute importun me servait d’assurance,
Et mes désirs trop prompts aidant à me trahir,
Je crus que vous aimer ce n’était qu’obéir ;
Mais enfin aujourd’hui que cette erreur bannie
Laisse de mon devoir agir la tyrannie,
Contrainte à m’y soumettre, en de pareils ennuis
Faire des vœux pour vous c’est tout ce que je puis.
Je sais que votre amour qu’un cruel ordre alarme,
D’un si faible secours dédaignera le charme,
Mais si c’est peu pour lui, dans ce que je me dois
Peut-être avouerez-vous que c’est beaucoup pour moi.
LICINE.
Oui, c’est beaucoup, Madame, et d’un sort si funeste
Le coup doit m’être doux si cet espoir me reste.
Quel remède à des maux si rudes, si pressants,
Que de les soulager par des vœux impuissants !
Non, non, puisque je vois votre amour trop crédule
D’un pareil sentiment se former un scrupule,
Qu’il s’abandonne entier à ce cruel devoir
Qui cherche à triompher de tout mon désespoir.
Ne vous reprochez point d’avoir été facile
Jusques à m’accorder un souhait inutile,
Consentez à ma perte, et purgez votre foi
De l’indigne pitié qui vous parle pour moi.
Ce cœur dont votre amour faisait toute la gloire
Ne vaut pas qu’un soupir souille votre victoire,
Et vous laisseriez voir un courage abattu
Si vous n’étiez cruelle à force de vertu.
CONSTANCE.
J’excuse des transports qui trop prompts à paraître
Suivent l’aveuglement du feu qui les fait naître,
Mais si par la raison il se laisse éclairer,
Vous n’aurez pas longtemps sujet de murmurer.
Voyez ce que je suis, et ce que l’on m’ordonne ;
Au choix qu’on me prescrit ma gloire m’abandonne,
Contre vous, contre moi, tout conspire à s’armer.
Dans ces extrémités que puis-je faire ?
LICINE.
Aimer.
Que sans cesse on oppose obstacles sur obstacles,
L’Amour pour les braver est fertile en miracles,
Des plus rudes assauts sans peine il vient à bout,
Et pourvu que l’on aime, on triomphe de tout.
CONSTANCE.
Quoique vous en croyiez, tout ce que je puis faire
C’est d’oser expliquer ma contrainte à Sévère,
D’obtenir son refus pour prétexte du mien ;
Mais après cet effort ne me demandez rien.
LICINE.
Quoi, si l’ambition l’oblige à se défendre
De céder à ma foi ce qu’elle osait attendre,
Cette fière vertu que vous mettez au jour,
Fera de votre cœur le prix de son amour ?
CONSTANCE.
Jugez-en par mon rang qui vous force à le croire ;
Plus il est élevé, plus je dois à ma gloire ;
Et je souffrirai moins à le laisser agir,
Qu’à jouir d’un bonheur dont j’aurais à rougir.
LICINE.
Ainsi vous l’aimerez si le devoir l’ordonne ?
À quels cruels tourments cet aveu m’abandonne !
Ce serait donc trop peu pour remplir ce devoir
Que vous fissiez alors effort à le vouloir :
Il faut pousser plus loin votre rigueur extrême,
Et pour lui contre moi répondre de vous-même.
Non, non, n’opposez plus à mon ennui secret
Le charme injurieux de me perdre à regret.
Quand la vertu demande un si dur sacrifice,
On peut bien souhaiter que le cœur obéisse,
S’efforcer d’en bannir ce qui pût l’enflammer,
Mais qui croit le pouvoir n’a su jamais aimer.
Ce prompt dégagement un peu trop volontaire,
Du vrai, du vif amour dément le caractère ;
Et c’est aimer bien peu, qu’être sûr d’un secours
Qui nous mette en pouvoir de n’aimer pas toujours.
CONSTANCE.
Quoique le trop de zèle où pour vous je m’engage,
D’un reproche pareil dût m’épargner l’outrage,
Je ne déguise point qu’en cette extrémité
Il me serait bien doux de l’avoir mérité.
À ma triste raison mon âme plus soumise
De mes sens révoltés préviendrait la surprise,
Et leur rébellion, par un indigne éclat,
Ne me coûterait pas la honte du combat.
LICINE.
Que de vertu, Madame, et que je suis à plaindre,
Puisqu’à tant d’injustice elle peut vous contraindre,
Qu’il faille me haïr jusqu’à vous opposer
Au regret de la mort que vous m’allez causer !
Pour moi, qu’un sang plus bas, et ma triste disgrâce
Semblent autoriser d’avoir l’âme plus basse,
Je ne me défends point de tous les mouvements
Qu’une aveugle fureur met au cœur des Amants ;
N’ayant qu’elle en mon mal à choisir pour remède,
Il n’est rien que je n’ose avant que je vous cède,
Et j’aurai lieu peut-être en ce revers fatal
De rendre mon malheur funeste à mon Rival.
Mais je le vois ; Madame, agréez ma retraite,
Sa présence fait peine à mon âme inquiète,
Et je craindrais enfin de ne pouvoir calmer
Les transports violents qu’elle a droit d’animer.
Scène V
CONSTANCE, SÉVÈRE, LUCIE
CONSTANCE.
J’aspirais à vous voir, Sévère, et ce mérite
Dont le brillant éclat pour vous me sollicite,
M’oblige à prendre part aux surprenants exploits
Qui du Trône aujourd’hui vous acquièrent les droits.
Pour payer ce qu’on doit à votre grand courage,
L’Empereur avec vous en résout le partage.
Il fait plus, et c’est peu que de vous couronner,
Si ma main n’est un prix qu’il me force à donner.
J’obéirai sans doute, et quoiqu’il en arrive,
Mon fier devoir tiendra ma volonté captive ;
Mais s’il faut, pour répondre à cet ordre inhumain,
Joindre le don du cœur à celui de la main,
Comme je me connais hors d’état de le faire,
Je vous estime trop pour vouloir vous le taire.
C’est à vous là-dessus à régler vos desseins,
Mon bonheur, mon repos, tout est entre vos mains.
Peut-être qu’il serait d’une âme magnanime
De ne pas abuser d’un devoir qui m’opprime ;
Mais vous vous connaissez, et jamais on eut droit
D’exciter un grand cœur à faire ce qu’il doit.
SÉVÈRE.
Madame...
CONSTANCE.
Adieu, c’est trop, Maximian s’avance.
Je vous ai répondu de mon obéissance,
Et sûr à votre choix du nom de mon Époux,
Vous m’apprendrez vous-même à bien juger de vous.
Scène VI
MAXIMIAN, SÉVÈRE
MAXIMIAN.
Quoi, pousser des soupirs en quittant la Princesse ?
SÉVÈRE.
Ah, Seigneur, épargnez la douleur qui me presse.
Je ne vous parle point en Amant outragé
De l’abîme des maux où vous m’avez plongé,
C’était à mon orgueil un attentat insigne
D’écouter un espoir dont je n’étais pas digne.
Le rang d’Impératrice, et l’éclat qui le suit,
Valent bien la disgrâce où je me vois réduit ;
Mais si quelque pitié pour moi vous intéresse,
Sauvez-moi, d’un refus honteux à la Princesse,
Prévenez un éclat où je suis résolu.
J’aime, Seigneur ; hélas ! vous l’avez bien voulu,
Et quoique sans espoir l’amour soit un supplice,
Puisque c’est mon seul bien, souffrez que j’en jouisse.
Par un hymen illustre on tente en vain ma foi,
En vain on veut qu’un Trône ait des charmes pour moi ;
C’est un surcroît de rage à ma douleur extrême,
Je ne veux que mourir aux yeux de ce que j’aime,
Lui soumettre mes jours, et les abandonner
À la triste langueur qui les doit terminer.
MAXIMIAN.
Quoi, Sévère, il se peut que le sort qui t’outrage
Te fasse des malheurs plus grands que ton courage ?
Apprends, apprends les miens, et pour sortir d’erreur
Vois comme la Fortune accable un Empereur.
Si j’osai la braver en dédaignant l’Empire,
À son tour contre moi je vois qu’elle conspire.
En vain auprès d’un fils des Romains adoré
Je crois jouir du calme où j’avais aspiré,
Redoutant mes conseils, ce fils, l’ingrat Maxence,
Par mon éloignement affermit sa puissance ;
On me bannit de Rome, et tel est mon destin,
Qu’il me faut rechercher l’appui de Constantin.
Contre sa tyrannie il m’offre un sûr asile,
Et quand auprès de lui je me crois tout facile,
Loin d’obtenir pour toi l’aveu de ton amour,
J’apprends quel intérêt t’éloigne de sa Cour.
Devenu ton Rival, il veut que ton absence
Laisse dans ses projets agir sa violence,
Et tout ce qu’à ton feu l’honneur me fait devoir
Est forcé de céder à son lâche pouvoir.
Ainsi plus le Tyran que l’Époux de ma Fille,
Il usurpe mes droits jusque sur ma Famille,
Et mes vœux par contrainte à ses ordres soumis
Sont l’effet du repos que je m’étais promis.
SÉVÈRE.
C’est trop, Seigneur, c’est trop, tant de bonté m’accable.
Le Destin a rendu ma perte irréparable ;
Mais l’intérêt de Fauste étant à préférer,
Quand il la met au Trône, en dois-je murmurer ?
Non, il lui fait justice, et pourvu qu’on s’oppose
À l’hymen où pour moi l’Empereur se dispose,
Qu’on ne me force point à l’éclatant refus...
MAXIMIAN.
Et si je te disais que je veux faire plus ?
J’ai besoin seulement de trouver dans Sévère
Cette fermeté d’âme aux Héros ordinaire ;
Elle aide à repousser le sort le plus affreux,
Et si tu l’as enfin, tu n’es plus malheureux.
SÉVÈRE.
Ah, seigneur, pour guérir le mal qui me possède,
La grandeur de courage est un faible remède ;
Contre un si rude assaut il n’est point de vertu,
Et qui sait bien aimer...
MAXIMIAN.
Mais enfin aimes-tu ?
Sous un indigne joug Constantin me fait vivre,
Aux plus cruels ennuis sa lâcheté te livre,
Sur tous deux sa rigueur aime à se découvrir,
Je suis las d’être esclave, es-tu las de souffrir ?
SÉVÈRE.
Seigneur.
MAXIMIAN.
Explique-toi sans que rien ne retienne,
Ton choix seul peut résoudre ou sa perte ou la mienne.
Et dans ce que m’inspire une juste fureur,
C’est à toi d’ordonner des jours d’un Empereur.
Dans l’ardeur du repos où sans cesse j’aspire,
Il m’est dur de songer à reprendre l’Empire,
Mais j’ai le cœur trop haut pour oser me trahir
Jusques à me soumettre à l’affront d’obéir.
Ma Fille était à toi, je t’en donnai parole,
Le lâche Constantin malgré moi te la vole,
Sa tyrannie est prête à lui coûter le jour,
J’ai consulté mon cœur, consulte ton amour.
SÉVÈRE.
L’écouter fut un crime...
MAXIMIAN.
Et quoi, tu t’embarrasses ?
Les crimes ne sont faits que pour les âmes basses,
Qui de leur fermeté s’osent trop défier,
Pour se croire en pouvoir de les justifier.
Sur ce scrupule en vain tu trembles à résoudre,
Il n’est rien de honteux pour qui s’en peut absoudre,
Et quoiqu’on puisse oser, c’est aux faibles esprits
À rougir d’un forfait dont le Trône est le prix.
Non que les mouvements que je te fais paraître
Demandent que ton bras s’arme contre ton Maître ;
Pour te laisser ta gloire, et contenter tes vœux,
Le secret de ta part est tout ce que je veux.
Je feindrai comme toi d’ignorer l’entreprise,
Et pourvu qu’en effet ton aveu l’autorise,
Me laissant sans obstacle agir dans le Palais,
Je n’en vois guère à craindre au dessein que je fais.
Tu peux tout sur l’armée, et c’est assez te dire
Qu’en vain sans ton appui par mon ordre on conspire.
Si pour Fauste à l’amour ton cœur craint d’obéir,
Je verrai sans regret que tu m’oses trahir.
Mon sort dépend de toi, mais j’ai cet avantage
Qu’au moins je me vois sûr de sortir d’esclavage,
Puisque, quelque succès qui suive mon effort,
Il assure à mes vœux ou le Trône, ou la mort.
SÉVÈRE.
Le désordre où me jette une telle entreprise
Ne souffre point, Seigneur, que je vous le déguise,
Il éclate à vos yeux, et je confesse enfin
Que la pitié me force à plaindre Constantin.
Mais qu’en vous trahissant, j’expose votre vie,
À tout ce qui rendrait sa vengeance assouvie ;
Connaissez mieux Sévère, et croyez que ma foi
Sait trop ce qu’il faut rendre à qui fait tout pour moi.
MAXIMIAN.
Ô généreux Ami que touche ma disgrâce !
Viens dans mon cabinet savoir ce qui se passe,
Consulter Martian, et résoudre avec lui
Si de quelque autre bras il faut chercher l’appui.
ACTE III
Scène première
FAUSTE, SÉVÈRE
FAUSTE.
Non, c’est vous abuser que de l’oser prétendre,
Il n’est rien que de vous je puisse encor entendre,
Et dans l’étroit scrupule où m’engage ma foi,
Un second entretien est un crime pour moi.
SÉVÈRE.
Quoi, vous jugez si mal de l’ardeur qui m’anime,
Qu’elle puisse à vos yeux offrir l’ombre d’un crime,
Si ce scrupule a droit de vous inquiéter,
Pour en sortir, Madame, il me faut écouter.
Je ne viens point surprendre un reste de tendresse
Qu’à vous faire étouffer le devoir s’intéresse.
Je viens aux dures lois de cet affreux devoir
Immoler ce qu’on cherche à me rendre d’espoir ;
Trop content, si je puis vous faire assez connaître,
Que n’étant point heureux j’étais digne de l’être,
Et que dans ce grand cœur trop justement charmé
Jamais un si beau feu ne s’était allumé.
FAUSTE.
Ah ! si ce charme a fait le bonheur de ma vie,
C’est là ce qu’aujourd’hui l’honneur veut que j’oublie.
Autrefois, je l’avoue, il eût pu m’être doux,
Mais devant tout mon cœur à l’amour d’un Époux...
SÉVÈRE.
Je sais qu’à l’Empereur les droits de l’hyménée
En acquièrent la part que vous m’aviez donnée,
Qu’à lui seul le devoir vous fait l’assujettir,
Mais l’Empereur n’est plus si j’y veux consentir.
FAUSTE.
On en veut à ses jours ?
SÉVÈRE.
Oui, Madame, on conspire,
On cherche à lui ravir et le jour et l’Empire,
Et si je tiens secret l’attentat entrepris,
Sans avoir part au crime on me répond du prix.
L’image de sa mort à votre esprit offerte
Ne me montrera point complice de sa perte,
Et dans le coup fatal qu’on veut faire éclater
Vous plaindrez son malheur sans me rien imputer.
Pour changer de fortune il ne faut que me taire,
Tous mes maux sont finis, on me venge, et j’espère ;
Mais mon cœur succombant à des projets si bas,
Pour les cacher à tous ne me les cache pas.
Si jusqu’au plus haut point ma disgrâce est montée,
Du moins je veux mourir sans l’avoir méritée,
Et j’aurai l’avantage en ce funeste jour
D’emporter votre estime en perdant votre amour.
FAUSTE.
En vain à vous l’ôter on voudrait me contraindre ;
Mais je n’ai rien à dire où je vois tout à craindre,
Et dans ce qu’à mes yeux le crime offre d’horreur,
Tout l’effort de mes soins se doit à l’Empereur.
Montrez-moi promptement la main qui l’assassine,
Parlez, est-ce un effet de l’amour de Licine ?
Il murmure, il s’emporte, et dans son désespoir...
SÉVÈRE.
Non, Madame, Licine est ferme en son devoir,
Il ignore le crime, et loin qu’il l’autorise,
C’est de lui seul qu’on craint obstacle à l’entreprise,
Il est Chef de la Garde, et peut tout au Palais,
Et comme on en prévoit de dangereux effets,
Ceux qu’à les prévenir la trahison engage,
Pour le rendre suspect, vont tout mettre en usage.
C’est à vous d’empêcher qu’ils n’en viennent à bout,
S’ils font changer la Garde, ils sont maître de tout,
Et...
FAUSTE.
Mais à l’Empereur ont-ils pouvoir de nuire,
Si sachant l’attentat nous le pouvons détruire ?
Allons lui découvrir les noms des Conjurés.
SÉVÈRE.
Le voudrez-vous, hélas ! lorsque vous les saurez ?
Jusqu’ici Martian a conduit l’entreprise,
Avec Pompilius Straton la favorise,
Lucile, Eutrope, Albin, s’en déclarent l’appui,
Mais leur Chef...
FAUSTE.
Achevez.
SÉVÈRE.
Le croirez-vous de lui ?
Contre un lâche Assassin arme votre colère,
Mais, Madame, tremblez au nom de votre Père.
Pour remonter au Trône, et changer de destin,
Maximian...
FAUSTE.
Ô Dieux !
SÉVÈRE.
Veut perdre Constantin.
FAUSTE.
Quoi, c’est lui qui conspire ?
SÉVÈRE.
Et ce qui doit surprendre,
C’est par Martian seul qu’il a fait entreprendre,
Sans que les Conjurés, dont il est le soutien,
Sachent dans ce projet ni son nom ni le mien.
FAUSTE.
On vous trompe, Sévère, et pour noircir sa gloire
L’imposture a songé ce qu’on vous a fait croire.
Maximian ne peut...
SÉVÈRE.
Hélas ! que n’est-il vrai ?
Mais de lui seul enfin je tiens ce que je sais.
Feignant qu’un fol espoir avait pu me séduire,
De tout par Martian je me suis fait instruire.
Un Père ambitieux veut perdre votre époux,
Et je viens pour agir prendre l’ordre de vous.
FAUSTE.
Ah, si ma gloire encor vous avait été chère,
C’est sans m’en consulter que vous le deviez faire,
Et ne me pas réduire à l’affreux déplaisir
D’être forcée au choix, et de n’oser choisir.
Quel conseil vous donner, à quel parti me rendre,
Sans exposer des jours que je devrais défendre,
Sans qu’aux traits du Destin les voulant arracher
Il n’en coûte à mon cœur ce qu’il a de plus cher ?
Si j’ose pour un Père écouter la Nature,
Mon devoir outragé souffre, tremble, murmure,
Et lors qu’en sa faveur je me laisse émouvoir,
La Nature à son tour frémit de mon devoir.
Ainsi mon innocence est partout poursuivie,
Je deviens sacrilège à moins que d’être impie,
Et de quelque côté que penchent mes souhaits,
J’y découvre aussitôt le plus noirs des forfaits.
J’ai beau haïr les noms d’ingrate et de perfide,
Je ne m’en puis sauver que par un parricide,
Et de mes tristes maux l’excès monte à tel point
Que je commets un crime à n’en commettre point.
Je hasarde un époux si je respecte un Père,
Il faut me déclarer, on m’y force. Ah, Sévère !
Si dans quelques ennuis j’ai pu vous engager,
Est-ce ainsi qu’un grand cœur se plaît à se venger ?
SÉVÈRE.
Continuez, Madame, et par cette injustice
D’un amour qui perd tout augmentez le supplice.
Si d’un espoir honteux il eût pu se flatter,
Ma vengeance était sûre à vouloir l’accepter.
La mort qu’à l’Empereur la trahison apprête,
Faisait cesser l’horreur de vous voir sa conquête,
Et me vengeait bien mieux que le pressant ennui
D’avoir à vous résoudre, ou pour, ou contre lui ;
Mais j’aurais trop par là racheté ma disgrâce,
Et vous n’eussiez rien su du coup qui le menace,
Si prêt à faire éclat, j’eusse pu l’arrêter,
Sans exposer un sang que je dois respecter.
C’est la source du vôtre, et pour me voir sans peine
Vous épargner un choix dont la rigueur vous gêne,
Vous n’avez qu’à souffrir que j’ose me cacher
Ce qu’exige de vous un intérêt si cher.
FAUSTE.
Non, si mes tristes vœux n’osent rien se permettre,
Ce choix n’est pas un droit qu’ils puissent vous remettre.
C’est à moi d’essayer si j’aurai le pouvoir
D’accorder la nature avecque mon devoir.
Pour sortir de l’horreur où mon esprit s’abîme,
Détournons le péril sans découvrir le crime.
Quelque pressante ardeur qui force d’attenter,
On n’entreprendra rien sans vous en consulter,
Et d’un si noir complot par vous toujours instruite,
Je ne perds pas l’espoir d’en prévenir la suite.
Mon cœur aux droits du sang doit garder ce respect ;
Mais ne me parlez plus de peur d’être suspect.
À moins que l’avis presse, et qu’il soit d’importance,
Un billet suffira pour notre intelligence.
Voyez, observez tout, et si les Conjurés
À faire un prompt éclat se trouvent préparés,
Alors contre le coup que leur rage médite...
SÉVÈRE.
Maximian paraît, souffrez que je vous quitte,
Vos ordres que j’attends en régleront le sort.
Scène II
MAXIMIAN, FAUSTE, SÉVÈRE
MAXIMIAN.
Quoi, Sévère prend soin d’éviter mon abord,
Il me fuit, et pour lui ma vue est un supplice !
SÉVÈRE.
Ma présence, Seigneur, blesse l’Impératrice,
Et voyant ce qu’elle est, je sais trop mon devoir
Pour la vouloir contraindre à l’ennui de me voir.
Sévère sort.
MAXIMIAN.
Quelque austère vertu dont la rigueur vous porte
À traiter aujourd’hui Sévère de la sorte,
Madame, vous pourriez par maxime d’État
À sa dure fierté permettre moins d’éclat.
La douleur de vous perdre excite assez sa rage
Sans l’irriter encor par un nouvel outrage.
Il est des Mécontents, vous le poussez à bout,
Et qui n’espère rien est capable de tout.
FAUSTE.
Ah, Seigneur, jugez mieux de ce qu’il en faut croire,
Soupçonnez sa douleur, mais épargnez sa gloire,
Et quelque désespoir dont il soit combattu,
Craignez-le pour sa vie, et non pour sa vertu.
MAXIMIAN.
J’en craindrais moins l’effet si l’hymen de Constance
Lui souffrait d’en calmer la juste violence,
Mais pour comble de maux, je vois que l’Empereur
S’attache obstinément à lui donner sa Sœur.
Sa rage impatiente en va jusqu’à l’extrême,
Et dans l’âpre douleur de perdre ce qu’il aime,
C’est engager sa flamme aux derniers attentats
Que vouloir l’asservir à ce qu’il n’aime pas.
Par mon ordre, un des miens doit l’observer sans cesse ;
Mais Licine d’ailleurs adore la Princesse,
Et ce qu’en son pouvoir son feu trouve d’appui,
Nous montre en sa fureur tout à craindre de lui.
Du Palais à son gré c’est lui seul qui dispose,
La Garde aveuglément suit les lois qu’il impose,
Et jaloux d’un espoir qu’on le force à quitter,
Quoiqu’il veuille entreprendre, il peut l’exécuter.
Je ne déguise point que ce péril m’étonne,
J’estime l’Empereur, et crains pour sa personne,
Et la Garde changée est l’unique secours
Qui nous puisse aujourd’hui répondre de ses jours.
C’est ce qu’il faut de lui que vos conseils obtiennent,
Tous périls sont légers pour ceux qui les préviennent,
Et dans le moindre lieu de craindre un attentat,
Le trop de confiance est un crime d’État.
FAUSTE.
Je sais que pour me mettre à couvert de ces crimes
Je ne puis faire mieux que suivre vos maximes,
Et que l’essai du Trône a su vous enseigner
Tout ce qu’a de plus sûr le grand art de régner.
Aussi, comme il n’est rien qu’après vous j’examine,
Je veux bien me contraindre à soupçonner Licine,
Mais afin que l’affront l’en fasse moins rougir,
C’est sans aucun éclat que je prétends agir.
Pour avoir sûreté que rien ne se hasarde,
Je ferai qu’en secret on observe la Garde,
Et vois trop quels périls s’offrent à redouter
Pour laisser les moyens de rien exécuter.
MAXIMIAN.
Mais malgré tous vos soins, si la Garde est la même,
L’Empereur est toujours dans un péril extrême,
Et ceux dont vous aurez le zèle pour appui,
Sans empêcher sa mort périront avec lui.
Non, non, jamais l’éclat ne fut plus nécessaire,
Licine est trop suspect pour songer à le taire,
Le voici, remarquez comme tout interdit
Dans ses transports secrets lui-même il se trahit.
Scène III
MAXIMIAN, FAUSTE, LICINE
LICINE.
Vous a-t-on averti de tout ce qui se passe,
Seigneur ? j’ignore encor quel destin nous menace,
Mais mille bruits confus courent de tous côtés.
Eutrope et Saturnin viennent d’être arrêtés,
De Félix, de Lucile, on dit la même chose.
Chacun diversement en soupçonne la cause,
On parle d’entreprise, on murmure, on se plaint,
Et quoiqu’on craigne tout, on ne sait ce qu’on craint.
FAUSTE.
Et l’Empereur, Licine ?
LICINE.
Il fait effort, Madame,
Pour ne pas découvrir le trouble de son âme,
Mais sur divers avis qui semblaient l’alarmer,
Seul avec Straton on l’a vu s’enfermer.
Il a mandé Maxime, et c’est là qu’on soupçonne
Que Maxime a reçu tous les ordres qu’il donne.
Vous savez ceux déjà qu’il a fait arrêter,
Et le reste sans doute est tout prêt d’éclater.
FAUSTE.
Seigneur, quelle surprise !
MAXIMIAN.
Elle est telle qu’à peine
Je puis me dérober à tout ce qui me gêne,
Par cent motifs divers ma frayeur se soutient,
Et si pour Constantin... Mais le voici qui vient.
Scène IV
CONSTANTIN, MAXIMIAN, FAUSTE, LICINE, SUITE
CONSTANTIN.
L’auriez-vous cru, Madame ? Un Traître, un Parricide
S’abandonne aux transports dont la fureur le guide,
Et ma vie immolée est le titre éclatant
Qui lui répond du trône où son orgueil prétend.
FAUSTE.
On conspire, Seigneur ?
MAXIMIAN.
Seigneur est-il possible
Qu’à l’éclat des vertus on soit si peu sensible,
Que fut un lâche espoir...
CONSTANTIN.
Non, non, Seigneur, jamais
Un Souverain n’agit au gré de ses Sujets.
Du vrai discernement leurs âmes incapables
Ne veulent voir en lui que des vertus coupables,
Et ces soins d’un pouvoir qu’il cherche à maintenir
Sont des crimes secrets qu’ils ont droit de punir.
Le Ciel en ma faveur s’oppose à cette envie,
Aux fureurs d’un ingrat il dérobe ma vie,
Et de Straton séduit le noble repentir
M’apprenant l’entreprise a su m’en garantir ;
Mais quoique son rapport m’ait pu donner d’indices,
J’en ignore l’Auteur si j’en sais les Complices,
Et je vois contre moi cent lâches déclarés,
Sans que son nom encor soit su des Conjurés.
MAXIMIAN.
Quoi, Straton ne sait pas qui les fait entreprendre ?
CONSTANTIN.
Voici par qui, Seigneur, nous allons tout apprendre.
D’un complot si hardi ce traître est le soutien.
Scène V
CONSTANTIN, MAXIMIAN, FAUSTE, LICINE, MARTIAN, MAXIME, SUITE
CONSTANTIN.
Viens, méchant, et surtout ne nous déguise rien.
On en veut à ma vie, et par tes artifices
Un projet si coupable a trouvé des complices.
Toi seul en sais l’Auteur ; parle, et nous fait savoir
Quels charmes dans ma perte ont flatté ton espoir.
MARTIAN.
Seigneur, le Ciel est juste, et j’apprends de Maxime
Qu’en vain je tâcherais à déguiser mon crime ;
Straton vous a tout dit, et de ma trahison
La plus affreuse mort vous doit faire raison.
Je saurais la souffrir, sans parler, sans me plaindre,
Sans qu’à rien déclarer elle pût me contraindre,
Si d’un pressant remords l’indispensable loi
Ne m’arrachait un nom qui n’est su que de moi.
Pour un Ambitieux qui se cache à tout autre,
La mort que je rencontre est le prix de la vôtre,
Pour lui je l’ai jurée, et sans le découvrir,
Si j’étais arrêté, j’ai promis de périr.
Sur cette confiance il ose encor paraître,
Assuré d’un secret dont seul je suis le maître ;
Mais le moins que je puisse après ma lâcheté,
C’est de donner sa vie à votre sûreté.
MAXIMIAN.
Dis tout, traître, il est temps que ta rage s’explique.
MARTIAN, à Maximian.
Seigneur, que votre haine à ma perte s’applique.
Si déjà mon forfait éclate aux yeux de tous,
Ce que j’en tiens caché ne regarde que vous.
Du sang de l’Empereur mon lâche cœur avide
Formait le noir dessein d’un second parricide,
Et la même fureur qui sut armer mon bras
Vous mettait hors d’état de venger son trépas.
CONSTANTIN.
Quoi, sur Maximian ton insolente rage
Résolvait lâchement d’achever son ouvrage ?
Seigneur, à mon injure il ne faut plus songer,
C’est la vôtre, c’est vous que l’État doit venger.
Il n’aurait rien perdu, si dans un si grand crime
J’eusse à la trahison servi seul de victime ;
Mais privé de défense en perdant votre appui,
Le fruit de vos travaux périssait avec lui.
FAUSTE.
Juste Ciel !
CONSTANTIN.
Dis le reste, et sachons qui conspire.
MARTIAN.
Licine peut parler, je n’ai plus rien à dire.
LICINE.
Quoi, méchant ?
MARTIAN.
Malgré moi l’on a tout découvert,
Et Straton me contraint de perdre qui me perd.
LICINE.
Moi, j’ai pris quelque part aux projets d’un infâme ?
J’ai su ta trahison ?
MAXIMIAN, à Fauste.
Vous le voyez, Madame,
Lorsqu’à tant de murmure il s’est abandonné,
Si c’était sans raison que je l’ai soupçonné.
LICINE, à Maximian.
Ah, Seigneur, contre moi croyez-vous l’imposture ?
CONSTANTIN.
C’est donc là cette foi, pleine, sincère, pure,
Et l’hymen de ma Sœur contraire à tes souhaits,
Te fait ainsi sans peine oublier mes bienfaits !
C’est peu du rang illustre où ma faveur t’élève
Si l’ayant commencé ton crime ne l’achève,
Et si par l’attentat dans le Trône placé
Tu n’y vois de sa main ton feu récompensé.
Le Ciel ne l’a souffert que pour mieux te confondre.
LICINE.
La surprise, Seigneur, m’empêche de répondre,
Et de pareils malheurs permettent rarement
Que les sens étonnés agissent librement.
Si c’est un crime d’aimer un Objet adorable,
De tous les criminels je suis le plus coupable,
Et comme à mon amour l’espoir est défendu,
La mort est le seul bien où j’avais prétendu,
M’en avancer le coup c’est finir mon supplice ;
Mais à ma gloire au moins rendez quelque justice,
Et pour être à couvert de tous déguisements,
Faites parler ce Traître au milieu des tourments.
Pour tous les Conjurés imaginez des gênes,
Que moi-même on me livre aux plus cruelles peines,
Et dans cette rigueur forcez-vous à chercher
L’aveu des vérités qu’on aime à vous cacher.
CONSTANTIN.
En vain tu crois t’absoudre en bravant les supplices,
Tu n’as point d’intérêt au rapport des Complices,
Ignorant ton secret, qu’ont-ils à déposer ?
MAXIMIAN.
Cesse en te déguisant, cesse de t’abuser.
Déjà de mon esprit ton attentat s’efface,
Pourvu que l’Empereur daigne te faire grâce ;
Mais avoue, et du moins par ta sincérité,
Mérite qu’il écoute un reste de bonté.
L’espoir de le fléchir sur l’hymen de Constance
T’obligeait à tenir l’entreprise en balance,
Et toujours à la rompre au besoin préparé,
C’est à Martian seul que tu t’es déclaré.
Du succès de ton feu tu la faisais dépendre,
Par tes emportements je l’ai trop su comprendre.
Tu ne m’as point caché que dans ton désespoir
Tu ne connaîtrais plus ni raison ni devoir,
Et puisque Martian...
LICINE.
Quoi, par sa calomnie
L’on souffrira qu’ainsi ma gloire soit ternie ?
Non, non, Seigneur, qu’il parle, et d’un coup si fatal...
MARTIAN.
Quoiqu’on veuille en juger, mon destin est égal.
Qu’on vous croie innocent, qu’on vous tienne coupable,
Je vois toujours pour moi la mort inévitable,
Et si le crime un jour au Trône vous fait seoir,
Il suffit qu’en mourant j’aurai fait mon devoir.
LICINE.
Tu fais ton devoir, Traître ?
CONSTANTIN.
On vous rendra justice.
LICINE.
D’un si lâche Imposteur redoutez l’artifice,
Seigneur, il vous perdra si vous vous assurez...
CONSTANTIN.
Qu’on les tienne en lieu sûr, et qu’ils soient séparés,
C’est trop les écouter.
LICINE.
De grâce...
CONSTANTIN.
Allez, Maxime.
Scène VI
CONSTANTIN, MAXIMIAN, FAUSTE
CONSTANTIN.
Madame, on ne peut trop s’étonner de leur crime ;
Mais à l’examiner, ce qui plus me surprend,
C’est que vous le voyiez d’un œil indifférent.
Il semble qu’insensible au coup qui me menace
De Licine en secret vous plaigniez la disgrâce.
J’observe votre trouble, il m’accable, et j’y vois
Plus de pitié pour lui que de crainte pour moi.
FAUSTE.
Seigneur, il m’est bien dur que ma foi soupçonnée
Redouble les malheurs où je suis destinée.
Mon silence, il est vrai, renferme dans mon cœur
Ce que leur triste excès a pour moi de rigueur ;
Mais dans un mal qui porte et l’horreur et la crainte,
Qui sait bien s’expliquer en ressent peu l’atteinte ;
Et peut-être jamais de si pressants ennuis
N’avaient autorisé le désordre où je suis.
CONSTANTIN.
Ah, si j’étais aimé vous n’auriez pu vous taire ;
Le crime eût contre un lâche armé votre colère,
Et du traître Licine apprenant l’attentat,
Pleine d’un vif transport, vous auriez fait éclat.
Depuis le triste jour que mon amour extrême
Vous a par mon hymen fait part du Diadème,
Toujours d’un noir chagrin votre esprit obsédé
M’a fait voir la contrainte où vous avez cédé,
La rigueur du devoir éteignait une flamme
Qu’un funeste retour rallume dans votre âme,
Vous avez vu Sévère, et dans l’appas flatteur
Où cette chère vue entretient votre cœur,
D’autres présumeraient qu’à lui seul attachée,
Le malheur de ma mort vous aurait peu touchée,
Et que ce feu secret qu’on ne peut ébranler,
Eût trouvé les moyens de vous en consoler ;
Mais...
MAXIMIAN.
Contre elle, Seigneur, trop d’aigreur vous engage,
Au sang dont elle sort ce soupçon fait outrage,
Et d’un feu criminel lui reprocher l’ardeur,
C’est jusque dans sa source en souiller la splendeur.
CONSTANTIN.
En l’état où je suis je ne sais que vous dire.
Dans mes honteux soupçons moi-même je m’admire,
Mais à les repousser je fais un vain effort,
Tout mon cœur s’abandonne à mon jaloux transport,
Et dans les sentiments qui viennent me surprendre,
Je vois mon injustice, et ne puis m’en défendre.
Aussi pour m’en punir, ma vie est en danger,
On conspire, on me hait, je veux tout négliger.
Prenez soin de la vôtre, et puisqu’on vous menace,
Seigneur, à votre choix, faites justice ou grâce,
Punissez, pardonnez, je n’examine rien.
MAXIMIAN.
Non, non, votre intérêt l’emporte sur le mien,
Et comme tout l’État en vous seul se hasarde,
Le soin le plus pressant c’est de changer la garde.
Licine l’a choisie, et sa lâche fureur...
FAUSTE.
Seigneur, je prendrai soin des jours de l’Empereur,
J’en connais le péril.
CONSTANTIN.
Ordonnez-en, Madame,
Votre Empire est toujours absolu sur mon âme,
Et quoique m’offre à craindre un désespoir jaloux,
Venant de votre main tout me semblera doux.
MAXIMIAN, arrêtant Fauste.
Madame, l’Empereur trompé par votre zèle,
Loin de fuir...
FAUSTE.
Son malheur auprès de lui m’appelle,
Seigneur, et du forfait quoiqu’on veuille espérer,
Le Ciel pour rompre tout daignera m’inspirer.
ACTE IV
Scène première
MAXIMIAN, CONSTANCE
CONSTANCE.
Quoi, n’avoir point encor par l’effroi des supplices
Chercher la vérité dans le sein des Complices,
Et souffrir si longtemps sans les faire parler
Tout ce que Martian a voulu révéler !
Que son rapport soit vrai, que ce soit imposture,
Il faut punir Licine, ou venger son injure,
Et l’on ne peut trop tôt dans ces obscurités
Faire effort à trouver de fidèles clartés.
MAXIMIAN.
Madame, en ce forfait quoique l’on examine,
Il est bon d’épargner la gloire de Licine,
Et ne pénétrer pas avec tant de rigueur
Quels intérêts cachés ont séduit son grand cœur.
Constantin y consent ; qu’on punisse, pardonne,
Avec l’Impératrice il veut que j’en ordonne,
Et sans vouloir entendre aucun des Conjurés,
Sur l’ardeur de nos soins tient ses jours assurés.
Je sais ce que je dois ; mais pourvu que Licine
À ne rien avouer jusques au bout s’obstine,
Peut-être il suffira pour sa punition
D’ôter tout lieu de nuire à son ambition,
Et prévenant par là tout ce qu’on appréhende...
CONSTANCE.
Ah, Seigneur, ce n’est pas ce que je vous demande,
Et Licine est d’un rang à ne pouvoir souffrir
L’outrageante pitié que vous semblez m’offrir.
J’ai pour lui de l’estime, et je l’ai fait paraître ;
Mais l’éclat de sa gloire est ce qui la fit naître,
Il la surprit par elle, et s’il l’a pu ternir,
C’est un double attentat dont il le faut punir.
Ainsi pour vous, pour moi, soyez juge sévère,
Point de grâce pour lui s’il osa trop me plaire,
Et si d’un faux brillant les indignes appas
Lui gagnèrent un prix qu’il ne méritait pas.
MAXIMIAN.
Jusqu’à cette rigueur contre lui vous contraindre ?
CONSTANCE.
À dire vrai, Seigneur, je n’ai pas tout à craindre,
L’attentat m’est suspect, et pour votre intérêt
Du lâche Martian il faut presse l’arrêt.
Si de l’auteur du crime il a seul connaissance,
La vertu de Licine en prouve l’innocence,
Et tout ce qu’il a fait semble être un sûr garant
Du peu qu’il a de part dans ce qu’on entreprend.
Son nom qui n’est connu d’aucun autre complice
Sous un si grand secret cache quelque artifice ;
Et si Martian parle, afin de moins douter,
C’est dans les seuls tourments qu’il le faut écouter.
Comme la vérité par là se peut connaître,
J’ai pressé l’Empereur de condamner ce Traître,
Il vous en laisse arbitre, et dans ce plein pouvoir,
Punissant Martian, vous pourrez tout savoir.
MAXIMIAN.
Il est juste, et dans peu par les plus rudes gênes
On m’en verra tirer des lumières certaines.
Je craignais pour Licine à trop examiner,
Mais s’il est innocent, qui peut-on soupçonner ?
CONSTANCE.
Seigneur, une belle âme incapable de crime
Ne croit former jamais de soupçon légitime,
Et le mien ne sachant où pouvoir s’arrêter,
Vous laisse là-dessus Sévère à consulter.
Scène II
MAXIMIAN, SÉVÈRE
MAXIMIAN.
Viens, il faut de nouveau résoudre l’entreprise.
La prison de Licine en vain la favorise,
En vain par cet obstacle à nos desseins ôté,
D’un sûr et prompt succès mon espoir s’est flatté ;
Toujours l’Impératrice à cet espoir contraire
Détruit par ses conseils tout ce que je crois faire,
Et n’agirait pas mieux si dans ce qu’on résout,
Pour en rompre l’effet on l’instruisait de tout.
D’ailleurs de Constantin le procédé m’étonne ;
Par cent jaloux transports sans cesse il s’abandonne,
Il croit qu’avecque vous Fauste toujours d’accord
Pour vous garder sa foi fait des vœux pour sa mort,
Et lorsqu’à ce soupçon son trop d’amour le livre,
Quoiqu’elle lui conseille, il se plaît à le suivre.
C’est ses seuls avis que sans y rien changer
De la Garde suspecte il brave le danger,
En vain les Conjurés lui veulent tout apprendre,
Elle ne peut souffrir qu’il songe à les entendre,
Et rompt ce que par eux, les faisant écouter,
Nous pouvions être sûrs de voir exécuter.
SÉVÈRE.
Cet obstacle, Seigneur a droit de vous surprendre,
Mais vous teniez trop sûr ce moyen d’entreprendre,
Le coup précipité m’en semblait hasardeux.
MAXIMIAN.
Non, non, il n’offrait rien à craindre que pour eux,
Et si leur mort sur l’heure eût terminé leur peine,
Celle de l’Empereur était toujours certaine.
Les armes qu’en secret je leur faisais donner
N’avaient rien contre moi que l’on pût soupçonner,
Et lorsqu’en l’abordant, l’ardeur qui les anime
Eût cherché dans son sang le pardon de leur crime,
Par ce hardi projet maîtres de tout l’État,
Nous n’aurions pas eu de peine à cacher l’attentat.
SÉVÈRE.
Craignez de trop céder à l’espoir qui vous flatte,
Quand le secours du Ciel pour l’Empereur éclate.
Le coup que de sa tête il aime à détourner,
Est peut-être un avis de tout abandonner,
Et quoiqu’un plein pouvoir que lui-même autorise,
Vous laisse en liberté d’étouffer l’entreprise,
Redoutez un projet dont le succès douteux,
S’il tourne contre vous, n’a rien que de honteux.
MAXIMIAN.
Et soumis au destin dont la rigueur me brave,
Tu ne crois point de honte à demeurer esclave,
À craindre le pouvoir qu’il m’a plu de céder,
Et me voir obéir où j’ai pu commander ?
Non, non, plutôt sur moi tombe cent fois la foudre,
Qu’on m’oblige à changer ce que j’osai résoudre.
J’arracherais ce cœur s’il s’était démenti ;
C’est assez qu’une fois je me sois repenti,
Il m’en coûte l’Empire, et si pour le reprendre
Du seul secours du crime il nous faut tout attendre,
La gloire du succès que je prends pour objet,
Aura droit d’effacer la honte du projet.
Ainsi, quelques périls où j’expose ma tête...
Scène III
CONSTANTIN, MAXIMIAN, SÉVÈRE, SUITE
CONSTANTIN.
Ah, Seigneur, que de maux le Destin nous apprête,
Et qu’on m’eût épargné de peines à souffrir
Si sans me rien apprendre on m’eût laissé périr !
Vous ne conceviez point sur quels secrets indices
Fauste me détournait d’entendre les Complices,
Et malgré vos conseils m’a forcé d’ordonner
Qu’un autre prît le soin de les examiner.
Elle vous l’a remis, et n’a pas craint qu’un Père
Par l’intérêt du sang refusât de se taire,
Et pour sa gloire au moins n’aidât à déguiser
Ce que les Conjurés auraient pu déposer.
MAXIMIAN.
Que dites-vous, Seigneur ?
CONSTANTIN.
Que la rage et l’envie
Par son seul ordre, hélas attentent sur ma vie,
Et que d’un premier feu le souvenir trop doux
Lui fait tremper les mains dans le sang d’un époux.
MAXIMIAN.
Ah, Seigneur, de ma Fille épargnez l’innocence.
Je vous l’ai déjà dit, ce sentiment m’offense,
Et quoique l’imposture ait osé publier,
Le sang dont elle sort la doit justifier.
CONSTANTIN.
Il le devrait, mais las !
SÉVÈRE.
Quoi, Seigneur, il peut être
Que d’aveugles soupçons tombent...
CONSTANTIN.
Ne dis rien, traître.
C’est toi de qui l’amour dans son cœur enflammé
A versé la fureur dont il est animé.
En vain tu fais paraître une surprise extrême,
S’il te faut des témoins je ne veux que toi-même,
Lâche, dans ce billet reconnais-tu ta main ?
MAXIMIAN.
Ô Ciel !
CONSTANTIN, donnant le billet à Maximin.
Voyez, Seigneur, s’il a part au dessein.
MAXIMIAN lit.
Quoique de l’attentat on ait donné d’indices,
Peut-être dès ce soir vous n’aurez plus d’Époux.
Agissez promptement, tout est perdu pour nous
Si vous ne l’empêchez d’écouter les Complices.
Il le faut avouer, ce coup de foudre est grand,
Mais sans doute, Seigneur, Sévère vous surprend.
L’ingrat pour se venger de sa foi méprisée
À vos ressentiments la veut voir exposée,
Et par ce faux billet qu’il vous fait supposer,
Il s’accuse lui-même afin de l’accuser.
L’ardeur de la noircir...
CONSTANTIN.
Pouvez-vous la défendre,
Si moi-même en ses mains je viens de le surprendre ?
Entré sans l’avertir dans son appartement,
J’ai soupçonné son crime à son étonnement.
Je l’ai vue inquiète, et comme toute émue
Dérober avec soin ce Billet à ma vue,
Et confus de son trouble, au point de lui parler,
Votre abord m’a contraint de tout dissimuler.
Vous avez vu, Seigneur, avec quels artifices
Elle a su se soustraire au rapport des Complices.
J’ai voulu devant vous lui laisser son secret,
Et lorsque resté seul j’ai parlé du Billet,
Ses refus ont si loin porté ma défiance,
Qu’à la prière enfin j’ai joint la violence.
On va vous l’amener afin que sa fureur
Vous oblige avec moi d’en partager l’horreur.
MAXIMIAN.
Dans l’affreux désespoir où me plonge son crime,
Pardonnez le désordre où ma raison s’abîme.
Quoiqu’à votre péril le mien fût attaché,
Jusqu’ici l’attentat ne m’avait point touché ;
J’estime peu la vie, et la main qui conspire
M’assurait par la mort le repos où j’aspire ;
Mais voir que sur le Trône après m’être vaincu
J’aie à ma gloire encor malgré moi survécu,
Tout mon sang que noircit un si honteux outrage
En frémit de colère, en bouillonne de rage,
Et dans l’accablement de mes tristes ennuis,
Je me pers, je m’égare, et ne sais qui je suis.
CONSTANTIN.
Ah, si vous l’ignorez, puis-je encor me connaître ?
L’Amour de tous mes vœux s’est rendu le seul Maître,
Je ne vis que pour Fauste, et la soif de mon sang
Est le prix du beau feu qui l’élève à mon rang.
SÉVÈRE.
Et vous pouvez souffrir qu’une aveugle injustice
Étende sa rigueur jusqu’à l’Impératrice ?
Par sa haute vertu vos soupçons repoussés
N’ont rien...
CONSTANTIN.
Quoi, ce Billet ne m’en dit pas assez,
Traître, et ton fol espoir veut que je me déguise
Qu’ainsi qu’elle avant moi tu savais l’entreprise ?
SÉVÈRE.
Non, si de ce forfait mon sang vous doit raison,
Condamnez, punissez, j’ai su la trahison ;
Mais quoique la rigueur de vos dures maximes
De mes tristes malheurs me fasse autant de crimes,
Le favorable arrêt qui saura les finir,
Par la mort que j’attends n’aura rien à punir.
MAXIMIAN.
Oui, tu mourras, perfide, et ta lâche Complice
Dans ta peine du moins trouvera son supplice,
Et puisque mon amour par un tendre intérêt...
SÉVÈRE.
Ah, contre elle, Seigneur, suspendez votre arrêt.
Quoique vous fasse croire une indigne apparence,
Jamais tant de vertu ne soutint l’innocence,
Et j’atteste les Dieux...
MAXIMIAN.
Cesse de t’obstiner,
Si tu n’as pour témoins que les Dieux à donner.
Tes serments dont l’audace attire encor leur foudre,
Quand ta main te convainc, te peuvent-ils absoudre,
Et crois-tu que le Ciel voulut favoriser...
SÉVÈRE.
Quoi, vous-même, Seigneur, vous pouvez l’accuser,
Vous à qui sa vertu par des clartés secrètes
Pour montrer ce qu’elle est, offre ce que vous êtes,
Et pour braver un sort de sa gloire jaloux
Prend pour elle en vous-même un témoin contre vous ?
MAXIMIAN.
J’en aurais cru ce sang, qu’avant un coup si lâche
J’avais pris tant de soin de conserver sans tache ;
Mais contre un fol amour que rien n’a pu bannir
Il n’est point de vertu qu’il puisse soutenir.
Sous l’horreur surprenante où l’attentat me jette,
La Nature étouffée a droit d’être muette,
Et saisi tout à coup et de trouble et d’effroi,
Je n’entends qu’une voix qui parle contre toi.
C’est lui, Seigneur, c’est lui dont l’ardeur criminelle
Force l’Impératrice à vous être infidèle,
Il m’en coûte ma gloire, et pour venger mon rang...
SÉVÈRE.
Et bien, à cette gloire abandonnez mon sang,
Mais songez, si l’amour me la rendait moins chère,
Que je pourrais parler où je cherche à me taire.
Comme c’est le seul crime où j’ai su m’engager,
L’Impératrice seule a droit de m’en purger.
Par de honteux soupçons qui noircissent son zèle
Ne me contraignez point à m’expliquer pour elle,
Son intérêt me touche, et pour la maintenir,
Mon cœur...
CONSTANTIN.
Et c’est de quoi je saurai te punir,
Lâche, fais gloire encor de ta coupable flamme,
On vient te seconder.
Scène IV
CONSTANTIN, MAXIMIAN, FAUSTE, SÉVÈRE, MAXIME, SUITE
CONSTANTIN.
Parlez, parlez, Madame,
Et par le noble éclat d’un généreux amour
Faites-nous voir Sévère innocent à son tour.
Comme avec tant de zèle il prend votre défense
Vous devez quelque chose à la reconnaissance,
Et ce sera pour vous un reproche éternel
Si lorsqu’il vous absout il reste criminel.
FAUSTE.
Seigneur, n’attendez point qu’en faveur de Sévère
Je cherche à déguiser ce qu’on ne peut plus taire.
Ce Billet nous accuse, et ce qu’il vous apprend
De notre intelligence est un trop sûr garant,
Nous avons cru tous deux devoir suivre un beau zèle,
Je l’ai rendu coupable, il me rend criminelle.
Mais quoique l’un et l’autre en soit moins innocent,
C’est un crime louable où la vertu consent.
Dans les divers malheurs où le Destin m’engage
Il ne m’est pas permis d’en dire davantage.
Des Conjurés saisis le dangereux appas
Découvre l’entreprise, et ne la détruit pas.
Vous voyez de nouveau le péril où vous êtes,
Appréhendez partout des pratiques secrètes,
Et pour conseil utile en de si lâches coups,
Si vous les voulez fuir, n’en prenez que de vous.
CONSTANTIN.
Ah, que de ce conseil j’ai sujet de me plaindre !
Pour confondre mes soins il m’oblige à tout craindre,
Et le péril partout qu’il m’offre à redouter,
Force mon désespoir de m’y précipiter.
Vous serez satisfaite, et puisqu’à votre crime
La vertu peut prêter un appui légitime,
De mes jours odieux le sacrifice offert
Rendra le coup facile à la main qui me perd.
Vous aurez la douceur d’immoler à Sévère
Cet Époux qu’à sa flamme il trouva si contraire,
Et malgré les transports de mon juste courroux
J’ai pour vous trop d’amour pour me garder de vous ;
Mais quoique de vos vœux je me rende Complice,
J’empêcherai du moins que l’ingrat n’en jouisse,
Et si ma mort a droit d’adoucir vos malheurs,
La sienne auparavant vous coûtera des pleurs.
FAUSTE.
J’aurai lieu d’en donner au malheur qui l’accable
Puisque c’est malgré lui qu’il s’est rendu coupable,
Et qu’à mes intérêts s’osant sacrifier...
MAXIMIAN.
Cherchez, cherchez, Madame, à le justifier,
Et quelque affront par là qui sur mon sang s’imprime,
Pour le faire innocent chargez-vous de son crime.
L’horreur du fol amour dont vos sens sont blessés
Sans ce honteux aveu n’éclate pas assez,
Il faut par une audace, et lâche, et téméraire...
SÉVÈRE.
Seigneur, encor un coup souffrez-moi de me taire,
Et de l’Impératrice épargnant la vertu,
Laissez-moi le pouvoir...
CONSTANTIN.
Lâche, que dirais-tu ?
MAXIMIAN.
Seigneur, il faut qu’il parle, et qu’il nous fasse entendre
Jusqu’à quelle fureur le crime a pu s’étendre.
De quoi en l’écoutant nous puissions être instruits,
Je n’ai plus rien à craindre en l’état où je suis.
En vain la vertu seule attira tout mon zèle,
Plus de gloire pour moi quand Fauste est criminelle,
Son forfait dont l’image à mes yeux vient s’offrir...
SÉVÈRE.
Enfin, Madame, enfin je n’en puis plus souffrir,
Et quelque fort respect qui m’oblige au silence,
C’est trop voir l’injustice opprimer l’innocence.
Seigneur, le Criminel n’a plus à se cacher,
C’est dans Maximian qu’il vous le faut chercher,
Lui seul fait conspirer, et Chef de l’entreprise...
CONSTANTIN.
Traître, Maximian ?
MAXIMIAN.
J’avouerai ma surprise,
À ce coup imprévu je ne sais qu’opposer ;
Mais je m’accuserais en voulant m’excuser,
Et ne puis faire mieux, pour confondre l’Envie,
Que laisser ma défense à l’éclat de ma vie.
CONSTANTIN, à Sévère.
Ah, lâche, c’est donc là cet important secret
Que ta jalouse rage abandonne à regret,
Et d’un crime odieux que l’enfer te suggère,
Tu crois sauver la Fille en accusant le Père ?
Mais au moins apprends-nous quel pressent intérêt
L’a contraint de ma mort à prononcer l’arrêt.
Quand par un noble effort que l’Univers admire,
Pour régner sur soi-même il a quitté l’Empire,
Veux-tu que par un crime aussi noir que honteux
L’objet de son mépris soit celui de ses vœux ?
SÉVÈRE.
À quoiqu’en sa faveur un tel mépris vous force,
L’éclat d’une Couronne est une douce amorce,
Et quiconque du Trône a goûté les appas,
En conçoit mieux le prix quand il n’en jouit pas.
À son ambition vous serviez de victime,
Il m’a dit son secret, et c’est là tout mon crime.
J’ai vu l’Impératrice, et cru que ses avis
Pour rompre l’attentat devaient être suivis.
Ce Billet prévenant de lâches artifices
Dérobe votre sang aux fureurs des Complices,
Qui par Maximian secrètement armés
À l’envie contre vous se fussent animés.
Votre perte était sûre à les vouloir entendre,
Leur crime découvert le pressait d’entreprendre,
Il voyait tout facile, et Licine arrêté
Faisait de ses desseins l’entière sûreté.
C’est à vous là-dessus d’être Juge équitable,
Licine est innocent, vous voyez le Coupable,
Et j’expose à vos yeux, sans plus rien vous cacher,
Tout ce que dans son crime on peut me reprocher.
CONSTANTIN.
Mais si par ce Billet sa trahison connue
Ne t’en eût pas fait voir la rage prévenue,
Sans nommer le Coupable, et me rien découvrir,
Ton jaloux désespoir m’aurait laissé périr ?
SÉVÈRE.
Pour l’arracher au crime où le Trône l’engage,
J’aurais mis en secret toute chose en usage,
Et si tous mes efforts n’eussent pu l’émouvoir,
Le péril redoublant je savais mon devoir.
MAXIMIAN.
Ah, puisque ce devoir était inébranlable,
Tu devais m’accuser quand tu me sus coupable,
Et ne t’exposer pas à te voir condamné
Par le honteux silence où tu t’es obstiné.
La gloire de Licine indignement ternie
Demandait ton secours contre la calomnie ;
Mais à ta lâcheté mon déplaisir consent,
Je suis seul criminel, Licine est innocent.
Je ne demande point qu’à force de supplices
On tire un juste arrêt de l’aveu des Complices ;
Loin de vouloir par eux justifier ma foi,
Je t’offre dans ma Fille un témoin contre moi.
Il est temps qu’elle parle, et qu’aidant l’imposture
Ce nouveau parricide accable la Nature,
Le sang contre l’Amour s’explique vainement,
Et ce n’est rien qu’un Père, où l’on sauve un Amant.
FAUSTE.
Dans les cruels soupçons que mon malheur m’attire,
Après ce que j’ai dit je n’ai plus rien à dire.
C’est à l’Empereur seul à bien examiner
Ce qu’il doit d’absoudre, ou droit de condamner ;
Ou plutôt, le péril étant toujours extrême,
Il doit pour s’en sauver ne croire que soi-même
Se défier sans cesse, et pour sa sûreté
Voir et craindre partout de l’infidélité.
CONSTANTIN.
Hélas ! pour mon repos ainsi que pour ma gloire
Je ne connais que trop ce qu’il faut craindre et croire,
Et d’un feu criminel l’espoir trop écouté,
Pour voir tous mes malheurs m’offre assez de clarté,
Il périra, le Traître, et ma rage secrète
Du moins par son trépas se verra satisfaite ;
Non que dans l’attentat il puisse être accusé
Que d’avoir su le crime, et l’avoir déguisé.
Vous seule avec Licine aviez juré ma perte,
Il trouve à son retour l’occasion offerte,
Et ne peut refuser de prêter quelque appui
Aux indignes complots qu’on a formés sans lui ;
Mais ce que ma douleur à punir s’intéresse,
C’est qu’il m’est lâchement volé votre tendresse,
Et que de mon amour osant braver l’ardeur,
Quand j’obtiens votre main, il garde votre cœur.
C’est là ce qui vers moi noircit son innocence,
C’est le seul attentat dont je me dois vengeance,
Et pour voir jusqu’au bout ma haine s’enflammer,
Le crime est assez grand de s’être fait aimer.
Qu’on le tienne en lieu sûr. Dans un sort si funeste,
Seigneur, c’est à vous seul de disposer du reste.
Pour moi, quelques ennuis où mon cœur soit plongé,
Si Sévère est puni, je suis assez vengé.
Scène V
MAXIMIAN, FAUSTE
FAUSTE.
Ah, Seigneur, si jamais la pitié sur votre âme,
Par un juste pouvoir...
MAXIMIAN.
Nous sommes seuls, Madame,
Et pour vous épargner des efforts superflus,
Je veux bien avec vous m’expliquer là-dessus.
C’est par mon ordre seul que Martian conspire,
La mort de Constantin me doit rendre l’Empire,
Et mon cœur insensible à toutes vos douleurs
Verra couler son sang de même que vos pleurs.
FAUSTE.
Quoi ? l’aveugle transport que vous prenez pour guide
L’emporte sur l’horreur d’un si noir parricide,
Et par lui votre cœur au crime abandonné
N’épargne point l’époux que vous m’avez donné ?
MAXIMIAN.
Ce titre de ma haine aurait dû le défendre,
Mais il est Empereur aussi bien que mon Gendre,
Et l’inquiète ardeur dont je me sens brûler
Ne l’a fait votre Époux que pour me l’immoler.
FAUSTE.
S’il n’est point de fureur qu’un nom si doux n’éteigne,
Sur quel crime assez grand...
MAXIMIAN.
Il est au Trône, il règne,
Et dans l’abaissement du rang où je me vois,
Quiconque est au-dessus est coupable vers moi.
FAUSTE.
Peut-il l’être vers vous d’un Trône héréditaire ?
Votre place à remplir y fit monter son Père,
Et lorsque la vertu vous l’a fait dédaigner,
Est-ce un crime pour lui que le droit de régner ?
MAXIMIAN.
Si des projets si bas surprirent ma faiblesse,
À m’en faire raison ma gloire s’intéresse,
Et pour les réparer dans l’éclat qu’ils ont eu,
Je dois un crime illustre à ma lâche vertu.
FAUSTE.
Quoi ! réduite aux devoirs et de Fille et de Femme,
Ce déplorable état...
MAXIMIAN.
C’est perdre temps, Madame,
Les larmes dans vos maux sont un faible secours,
Et le Trône vaut bien les forfaits où je cours.
FAUSTE.
Et bien, Père cruel, il faut être cruelle,
Votre infidélité me va rendre infidèle,
Et contre la Nature un juste désespoir
Fait déjà dans mon cœur révolter mon devoir.
Pour sauver mon Époux, j’accuserai mon Père,
Et...
MAXIMIAN.
Vous craindrai-je plus que je n’ai fait Sévère ?
Après que son rapport n’a pu trouver de foi,
Pour empêcher sa perte agissez contre moi,
Déclarez mes desseins, accusez qui l’opprime.
Malgré vous je me vois le maître de mon crime,
Et sa mort me va mettre en état de jouir
De la pleine douceur d’avoir osé trahir.
Mais enfin de sa peine il est temps qu’on ordonne,
Vous savez le pouvoir que l’Empereur me donne,
J’en saurai bien user.
FAUSTE.
Hélas !
MAXIMIAN.
Dans un moment
Vous recevrez mon ordre en votre appartement.
ACTE V
Scène première
CONSTANTIN, CONSTANCE
CONSTANTIN.
Quoi, ma Sœur, c’est par vous que sa prison ouverte...
CONSTANCE.
Seigneur, je vous voyais au point de votre perte.
Déjà des Révoltés l’aveugle emportement
Assiégeant le Palais s’expliquait fièrement,
Tout le Peuple poussé d’un zèle téméraire
Demandait à hauts cris et Licine et Sévère,
Et sans aucun respect pour le nom d’Empereur
Semblait jusque sur vous étendre sa fureur.
Dans un mal violent à qui tout secours cède,
Souvent tout hasarder en est le seul remède,
Et c’est par là, Seigneur, qu’un mouvement secret
A su m’autoriser à tout ce que j’ai fait.
J’ai délivré Licine, et l’arrêt qu’il peut craindre
À quitter sa prison n’aurait pu le contraindre,
S’il n’eût vu que lui seul avait droit d’apaiser
De lâches Factieux qui pouvaient tout oser.
Vous en voyez l’effet ; par sa seule présence
Il a calmé soudain leur plus fière insolence,
Et si dans ce qu’elle ose il leur doit quelque appui,
Je le connais assez pour répondre de lui.
CONSTANTIN.
Je n’en suis point en peine, et ce qui m’inquiète
C’est le secret remords où la raison me jette.
J’aime, et l’Amour enfin éclairant ma fureur,
De mes jaloux transports me découvre l’erreur.
Leur rigueur contre Fauste était peu légitime,
Sa vertu suffisait pour la croire sans crime,
Et pour en voir soudain le soupçon rejeté,
Mon cœur n’avait besoin d’aucune autre clarté.
CONSTANCE.
L’attentat est si noir, qu’avec trop d’injustice
Du coup qui vous perdait vous la croyiez complice.
Mais je ne vous dis pas, Seigneur, ce que je crains,
Voyant que Martian n’est plus entre vos mains.
On l’a fait évader, et sa fuite m’étonne ;
Un Traître qui se cache en veut à la Couronne,
Et connu de lui seul, quoiqu’il veuille tenter,
Ne l’en pouvant convaincre il est à redouter.
CONSTANTIN.
Sa fuite n’a pas eu le succès que l’on pense,
Et s’il peut mériter encor quelque croyance,
L’ingrat Maximian doit seul être accusé
Du forfait qu’à Licine il avait supposé.
Le perfide alarmé du rapport de Sévère,
Pour le faire évader s’est servi de Valère,
Qui craignant d’avoir part à ses lâches desseins,
Me l’a secrètement remis entre les mains.
Maximian l’ignore, et le bruit de sa fuite
L’autorisant toujours à la même conduite,
De ses déguisements le but mystérieux,
Après ce que je sais, se découvrira mieux.
CONSTANCE.
Et Martian ?
CONSTANTIN.
D’abord il a voulu se taire,
Mais resté sans secours, et trahi par Valère,
Dans l’effroi des tourments qui l’auraient fait parler,
Il s’est vu hors d’état de plus dissimuler.
Avec tant de fureur Maximian conspire,
Que dans l’avidité de reprendre l’Empire,
La nuit favorisant ce qu’il veut hasarder,
Jusque dans mon lit même il doit me poignarder.
C’est de quoi, sur l’espoir d’un obstiné silence,
Il avait su déjà lui donner l’assurance,
Et craignant des mutins le murmure indiscret,
Il a cru par sa fuite assurer son secret.
CONSTANCE.
Quelle rage, Seigneur ?
CONSTANTIN.
Ce qui me désespère,
C’est le contraint aveu que m’en a fait Sévère,
Qui sachant le secret du lâche qui me perd,
Si Straton n’eût parlé, ne m’eût rien découvert.
Maxime nous l’amène, afin qu’en sa présence
Fauste puisse...
CONSTANCE.
Seigneur, la voici qui s’avance.
Scène II
CONSTANTIN, FAUSTE, CONSTANCE
CONSTANTIN.
Dans le confus désordre où mon malheur me met,
Madame, oublierez-vous l’affront qu’on vous a fait ?
Dans votre appartement l’ordre cruel d’un Père
Sans en être avoué vous tenait prisonnière,
L’outrage m’est sensible, et pour le réparer,
Il n’est rien que de moi l’on est droit d’espérer.
FAUSTE.
Ah, Seigneur, il n’est point de peine assez cruelle
Pour punir mon forfait si je suis criminelle,
Mais ce soupçon peut-être un peu trop écouté
Vous livre sans obstacle à l’infidélité :
De son aveuglement on ne peut trop vous plaindre,
C’est lui seul contre vous que vous ayez à craindre.
Je ne combattrai point un rigoureux arrêt,
Sévère doit mourir puisque sa mort vous plaît ;
Mais quand la trahison vous cherche pour victime,
Qui paraît innocent peut n’être pas sans crime,
Partout d’un noir destin vos jours sont menacés,
Et ne rien dire plus c’est vous en dire assez.
CONSTANTIN.
Oui, c’est m’en dire assez, et le soin de ma gloire
Suffisait à forcer mon amour à vous croire,
Mais je ne vois que trop par ce revers fatal
Qu’un feu qui brûle trop souvent éclaire mal.
Ses flammes dévorant tout ce qui le fait naître,
Rendent faux les objets qu’elles font trop paraître,
Et si l’erreur qu’en vain j’ai voulu prévenir,
M’a de Maximian... Mais je le vois venir.
Scène III
CONSTANTIN, MAXIMIAN, FAUSTE, CONSTANCE
MAXIMIAN.
Et bien, après l’éclat que le Peuple autorise,
Douterez-vous, Seigneur, des Chefs de l’entreprise ?
Par sa rébellion il est aisé de voir
Qu’en secret son appui soutenait leur espoir.
De tant de Factieux la criminelle audace,
S’ils étaient arrêtés, répondait de leur grâce :
Par là leur fermeté bravait votre courroux,
Et sûrs d’une révolte ils n’ont rien craint de vous.
CONSTANTIN.
S’ils n’ont rien craint de moi, je vois beaucoup à craindre,
Et l’on ne connaît pas combien je suis à plaindre.
Non que du Criminel je puisse encor douter,
Les motifs du secret ont su trop éclater ;
Le Traître m’est connu, mais ce qui fait ma peine,
L’amour peut sur mon cœur encor plus que la haine,
Et dans ce que de moi Fauste a droit d’obtenir,
C’est mal savoir aimer que songer à punir.
MAXIMIAN.
Quoi, Seigneur, à l’État, à vous-même perfide,
Vous pourriez épargnez un lâche Parricide,
Et cet amour que Fauste a si peu mérité,
Contre vos intérêts est encor écouté ?
Quand pour vous affranchir de tout ce qu’on hasarde,
Je vous ai conseillé de changer votre Garde,
Vous voyez, au forfait qu’on lui peut reprocher,
Par quelle politique elle a su l’empêcher.
Cette Garde à Licine aveuglément soumise
La flattait du succès de sa noire entreprise,
Et je vous vois toujours dans le même danger
Si vous vous obstinez à ne la point changer.
Non qu’à ces sûretés mon zèle vous convie
Par l’effroi du péril qui menace ma vie,
Bien loin de le souffrir un si bas sentiment,
Je passerai la nuit dans votre appartement,
Et si le Trône enfin n’offre rien que respecte
L’insolente fureur d’une Garde suspecte,
Du moins mon sang versé, s’il ne peut l’émouvoir,
Justifiera l’avis que j’ai cru vous devoir.
FAUSTE.
De tout ce que j’entends interdite et confuse,
Je n’ose murmurer quand mon Père m’accuse,
Mais après mon silence il m’est bien dur de voir
Que sur lui la Nature ait si peu de pouvoir.
MAXIMIAN.
Moi, je l’écouterais quand je vois que Licine
Avec vous de l’État a juré la ruine ?
Voyez ce que pour lui les Mutins ont osé.
CONSTANCE.
Il doit être suspect puisqu’il est accusé ;
Mais je doute, Seigneur, si ce serait un crime
D’avoir encor pour lui quelque reste d’estime,
Et de se hasarder à juger un peu mieux
Du secret intérêt qu’il prend aux Factieux.
MAXIMIAN.
En vain votre pitié veut être son refuge.
Qui se trouve innocent n’a jamais craint son Juge,
Et suspect d’une lâche et noire trahison,
Lui-même il se condamne en quittant sa prison.
C’est peu si Martian ne seconde sa fuite,
Martian qui du crime eut l’entière conduite,
En garda le secret, et qui seul aujourd’hui
Aurait pu nous servir de témoin contre lui.
Pour qui doit recourir à sa seule innocence,
Trouver lieu d’évader c’est trop d’intelligence.
Seigneur, encor un coup craignez-en les effets,
Il peut tout sur le Peuple, il peut tout au Palais,
Il excite à son choix et calme la tempête,
Et quand sa perfidie en veut à votre tête,
En prévenir la rage avec tant de langueur,
C’est pousser le poignard qui vous perce le cœur.
CONSTANTIN.
Ainsi tout prêt à voir l’entreprise détruite,
De Martian Licine a pratiqué la fuite ?
C’est par lui que ce Traître est hors de mon pouvoir ?
MAXIMIAN.
Lui-même par la sienne il vous le fait trop voir.
Ne craignant rien d’ailleurs dans l’horreur des supplices,
Il laisse entre vos mains tous les autre Complices.
Martian au remords avait déjà cédé,
Lui seul l’eût convaincu, lui seul est évadé.
CONSTANTIN.
D’autres témoins peut-être auront peine à se taire,
Voici Maxime.
Scène IV
CONSTANTIN, MAXIMIAN, FAUSTE, CONSTANCE, MAXIME
CONSTANTIN.
Et bien, amène-t-on Sévère ?
MAXIME.
Seigneur, le triste état où la perte du sang
Que trois coups de poignard ont tiré de son flanc...
CONSTANTIN.
Quoi, Sévère est blessé ?
MAXIMIAN.
Seigneur, quelle surprise !
Mais s’il n’est que mourant le Ciel me favorise.
Comme il a sur moi seul jeté la trahison,
Pour recouvrer ma gloire allons dans sa prison,
Il parlera sans doute, et voudra se dédire.
MAXIME.
À peine y suis-je entré qu’on l’entend qui soupire,
Et nous voyant saisis d’épouvante et d’horreur,
Qu’on me porte, a-t-il dit, aux pieds de l’Empereur,
J’ai beaucoup à lui dire. Il n’achève qu’à peine,
Et sa voix... Mais, Seigneur, le voici qu’on amène.
Scène V
CONSTANTIN, MAXIMIAN, FAUSTE, CONSTANCE, SÉVÈRE, MAXIME, SUITE
CONSTANTIN.
Ah, Sévère !
SÉVÈRE.
Ah, Seigneur.
MAXIMIAN.
Hâte-toi de parler,
Quelle main à sa rage a voulu t’immoler ?
SÉVÈRE.
Où la faut-il chercher qu’en celle qui conspire ?
FAUSTE.
Dieux !
SÉVÈRE, à Maximian.
Je ne dirai rien que vous n’eussiez pu dire.
À Constantin.
Seigneur, Maximian par moi seul découvert
M’a cru devoir punir d’un rapport qui le perd,
Mais le Ciel malgré lui contraire à son envie
Pour l’accuser encor me laisse assez de vie,
Lui seul des Conjurés engage la fureur.
MAXIMIAN.
Quoi, Traître, les forfaits te font si peu d’horreur,
Que pour plaire à l’amour, ton indigne imposture...
SÉVÈRE.
Ce que je viens de dire est la vérité pure.
Dans le funeste état, Seigneur, où je me vois,
La crainte ni l’espoir ne peuvent rien sur moi,
Je vais mourir, je meurs, mais à l’Impératrice
Les Dieux auparavant veulent rendre justice.
D’un sentiment jaloux votre cœur combattu
A fait outrage en elle à la même vertu,
Et comme les soupçons que l’on a vu paraître
Sont tombés par moi seul dans l’esprit de mon Maître,
Je verrai sans regret tout mon sang répandu
Si par là le repos lui peut être rendu.
Vivez, régnez, aimez, Seigneur ; et vous, Madame,
Songez que tout mon crime est l’excès de ma flamme,
Et que malgré le sort à ma perte animé,
Je serais innocent si j’avais moins aimé.
C’en est fait, et déjà...
CONSTANTIN.
Prenez en soin, Maxime.
Scène VI
CONSTANTIN, MAXIMIAN, FAUSTE, CONSTANCE, SUITE
MAXIMIAN.
J’ai voulu jusqu’au bout lui voir pousser son crime,
Il meurt en m’accusant ; laissez couler vos pleurs,
Vous les devez, Madame, à ses tristes malheurs.
Un amant qui pour vous a fait amas de crimes
Doit rendre par sa mort vos larmes légitimes,
Et leur seule tendresse a droit de mériter
Ceux que sur moi sa rage a voulu rejeter.
FAUSTE, à Maximian.
Vous le savez, Seigneur ; quoique m’impute un Père,
Le respect, le devoir m’ont appris à me taire,
Heureuse dans un mal qui veut un prompt secours,
S’il peut m’être permis de me taire toujours.
CONSTANTIN, à Maximian.
Dans ce que d’un Mourant le Ciel nous fait entendre,
C’est trop que d’accuser, songez à vous défendre.
Sévère est mort, à qui le doit-on imputer ?
MAXIMIAN.
Quoi, parce qu’il m’accuse on voudrait en douter ?
Pour en craindre l’effet l’imposture est trop claire ;
Qui fait fuir Martian a fait périr Sévère,
Licine seul...
CONSTANTIN.
Seigneur, sur quoi l’en soupçonner ?
MAXIMIAN.
Sur l’excès d’un orgueil qui se veut couronner ;
Puisqu’enfin de deux Chefs que l’ambition presse,
L’un à détruire l’autre à l’envi s’intéresse,
Et dans l’ennui secret de souffrir un égal,
Met son heur le plus grand à perdre son Rival.
Voilà sur quels motifs le coupable Licine...
CONSTANTIN.
Mais dans sa trahison voyons-nous qu’il s’obstine ?
Si le Peuple s’emporte, il sait le retenir.
MAXIMIAN.
Et c’est un crime encor dont il le faut punir.
Ce que sur les Mutins il s’est acquis d’empire
Fais voir à quoi par eux son lâche orgueil aspire.
Sous les fausses couleurs d’un respect affecté
Son cœur de ses desseins cache l’indignité.
Feignant d’agir pour vous il agit pour lui-même.
Courons de cet affront venger le Diadème.
Aussi bien pour sa gloire il faut qu’un Souverain
Avec des Révoltés parle la foudre en main ;
Ils ont beau s’attacher aux intérêts d’un Traître,
Pour faire avorter tout je ne veux que paraître,
Et quoiqu’à se garder Licine ait pris de soin,
L’arrachant de leurs mains...
Scène VII
CONSTANTIN, MAXIMIAN, FAUSTE, CONSTANCE, LICINE, SUITE
LICINE.
Il n’en est pas besoin.
Seigneur, il vient se rendre, et dérober sa gloire
À ce qu’un imposteur a donné lieu de croire.
La fuite où m’a forcé le seul bien de l’État
Eût de la calomnie autorisé l’éclat.
Dans rébellion le Peuple était à craindre,
Le feu m’a paru grand, j’ai tâché de l’éteindre,
Et comme à l’innocence on doit se confier,
Je reviens, ou mourir ou me justifier.
CONSTANCE, à Constantin.
Vous le voyez, Seigneur, si j’ai dû vous répondre
Que bravant l’imposture il saurait la confondre.
Son retour à sa gloire assure assez l’éclat.
CONSTANTIN, à Maximian.
Lui voudrez-vous encor imputer l’attentat ?
Vous paraissez surpris ?
MAXIMIAN.
Je n’ai plus rien à dire,
Pour justifier Fauste on veut que je conspire,
J’y consens, croyez tout, l’indice est trop pressant,
Licine vient s’offrir, il doit être innocent.
Mais que hasarde-t-il ? un grand Peuple rebelle,
Si vous le condamnez, va prendre sa querelle,
Et sûr de son secours, il doit peu redouter
La rigueur d’un arrêt qu’on n’ose exécuter.
LICINE.
J’avais de vous, Seigneur, attendu plus d’estime,
Mais l’Empereur sans doute éclaircira le crime,
Et l’imposture en vain l’aura sur moi jeté,
Si contre Martian Sévère est écouté.
CONSTANTIN, à Licine.
Bien loin de te flatter d’un si faible avantage,
Tremble, Sévère est mort, on l’impute à ta rage.
Purge-toi, si tu peux, de l’avoir fait périr.
LICINE.
Sévère ne vit plus ! et bien, il faut mourir.
J’aurais beau repousser un crime détestable,
Puisque Sévère est mort, on veut me voir coupable,
Et quoique l’imposture invente contre moi,
Le traître Martian sera digne de foi.
CONSTANTIN.
Feins de le craindre encor, quand par tes artifices
Sa fuite l’a soustrait aux plus affreux supplices.
Tu l’as fait évader, et reviens sans effroi,
N’ayant plus de témoin qui parle contre toi.
Nie encor, et par là prouve ton innocence.
LICINE.
Moi, qu’avec Martian je sois d’intelligence ?
Ai-je quelque intérêt à le faire évader
Quand de l’Auteur du crime il peut seul décider ?
Si m’étant confronté je ne le fais dédire,
Je demeure coupable, et c’est moi qui conspire.
Qu’attends-je de sa fuite, et quel est mon espoir ?
MAXIMIAN.
Par ces fausses clartés tâche à nous décevoir.
Pour te justifier c’est peu que l’apparence.
CONSTANTIN.
Elle fait encor plus pour lui que l’on ne pense,
Et pour tout dire enfin, il me serait bien doux
Qu’avec autant de force elle parlât pour vous.
Sévère a soutenu que pour vous on conspire,
Et sa mort l’a puni de ce qu’il a su dire ;
Votre intérêt ailleurs se trouve conservé,
Martian n’a rien dit, Martian est sauvé.
MAXIMIAN.
Enfin je suis coupable, et l’éclat de ma gloire
Est trop peu pour régler ce que vous devez croire ?
Mais si j’avais encor Martian pour témoin...
CONSTANTIN.
Et bien, s’il vous le faut, Martian n’est pas loin.
Voulez-vous qu’on l’amène, et que Valère ensuite
Vienne vous expliquer ce qu’il sait de sa fuite ?
Voulez-vous savoir d’eux d’où j’ai pu deviner
Que jusque dans mon lit on doit m’assassiner,
Et que dès cette nuit pour cet excès de rage
Par votre appartement on trouve au mien passage ?
Qu’on les fasse venir. Pour peu qu’ils soient pressés...
MAXIMIAN.
Arrête, Constantin, tu m’en as dit assez.
Je vois que tu sais tout, et qu’instruit par Valère
De mes déguisements tu perces le mystère.
Martian dont la fuite assurait mes desseins,
Quand je le crois sauvé, se trouve entre tes mains,
Il t’a tout découvert, et dans la défiance
Où de mes vœux trahis te met la connaissance,
Me voyant hors d’espoir d’en obtenir l’effet,
Je n’ai plus d’intérêt à cacher mon forfait.
Quand en n’avouant rien je pourrais te réduire
À douter si c’est moi qui cherche à te détruire,
Observé dans ta Cour, haï de toutes parts,
J’aurais beau vers le Trône élever mes regards.
On ne me laisserait aucun lieu d’entreprendre,
Et puis que je connais qu’il n’y faut plus prétendre,
J’aime mieux, te pressant de ne pas m’épargner,
Mourir dans cet orgueil, que vivre sans régner.
Peut-être à déguiser ce qu’on t’a fait connaître,
De tes jours malgré toi j’aurais pu me voir maître
Et soulager du moins la peine où je me vois
Par la fausse douceur de te perdre avec moi ;
Mais comme à l’attentat le Trône seul m’anime,
Lorsque j’en perds l’espoir, je perds l’ardeur du crime,
Et dans l’avide soif de reprendre ton rang,
Ne pouvant te l’ôter, je dédaigne ton sang.
Prononce, Martian n’a plus rien à te dire.
MAXIMIAN.
Qu’au Trône par ma mort Maximian aspire !
Lui qui dans mes États plus Souverain que moi,
Puisqu’il voulait régner, pouvait donner la loi !
FAUSTE.
Seigneur, n’écoutez pas toute votre colère,
Et s’il est criminel, songez qu’il est mon Père.
Non que d’un attentat qu’on ne peut trop punir,
Je veuille vous ôter le fatal souvenir,
Mais qu’il vive, et s’il faut qu’enfin le sang efface...
CONSTANTIN.
Moi vivre ! moi de lui daigner recevoir grâce !
Régnez, régnez, Madame, et cesser de penser
Qu’au rang de vos Sujets je puisse m’abaisser ;
Et pour vous et pour moi je sais ce qu’il faut faire.
Toi, Constantin, jouis de la mort de Sévère.
C’est à moi que tu dois le bonheur sans égal
De n’avoir plus enfin à craindre de Rival.
Son sang à ma vengeance a servi de victime,
Et loin de démentir la fierté de mon crime,
Je veux te faire voir, qu’indigne d’obéir,
Je sais braver les Dieux qui m’ont osé trahir.
Pour rentrer dans ce Trône où tu remplis ma place,
J’eusse aux plus noirs forfaits élevé mon audace,
Et comme l’ardeur de te le dérober
J’avais songé d’abord à t’en faire tomber,
Voilà pour me punir d’avoir manqué ta chute,
Et comme je prononce, et comme j’exécute.
Il tire un poignard dont il se tue.
Qu’on m’emporte.
FAUSTE, suivant Maximian.
Ah, Seigneur.
CONSTANTIN.
Courons la seconder.
Son intérêt ici doit seul se regarder ;
Et quand un peu de calme après ce grand orage
M’aura tiré du trouble où ce revers m’engage,
Licine aura sujet d’oublier son malheur,
Par le rang de Sévère, et l’hymen de ma Sœur.