Mademoiselle Sallé (Jean-François Alfred BAYARD - DUMANOIR - Joseph-Xavier Boniface SAINTINE)

Comédie en deux actes, mêlée de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 29 juin 1841.

 

Personnages

 

LE CHEVALIER DE MAILLY

VANDERSTRONK, envoyé des Provinces-Unies

LORD BERESFORD, ministre anglais

SAINT-AMOUR, danseur de l’Opéra

MADEMOISELLE SALLÉ, danseuse

LOLOTTE, maîtresse du duc de Choiseul

UN PERRUQUIER

UNE HABILLEUSE

UN DOMESTIQUE

UN GARÇON DE THÉATRE

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente la loge de Mademoiselle Sallé, à l’Opéra. L’entrée au fond. À gauche, une petite porte ouvrant sur un escalier dérobé. À droite, une toilette.

 

 

Scène première

 

LE PERRUQUIER, L’HABILLEUSE, PLUSIEURS FEMMES, puis VANDERSTRONK

 

Au lever du rideau, le Perruquier est occupé à poudrer la perruque, posée sur une tête en carton. De l’autre côté, l’Habilleuse dispose un large panier qui, soutenu par des fils d’archal, se tient tout droit, comme autour de la taille. Les autres Femmes mettent en ordre d’autres parties du costume de Mademoiselle Sallé.

CHŒUR.

Air du final du premier acte des Trois Lionnes.

Dépêchons-nous, l’heure s’avance,
On va commencer le ballet,
Et pour la reine de la danse,
 Il faut, ici, que tout soit prêt.

L’HABILLEUSE.

J’espère que Mademoiselle Sallé sera contente de sa faiseuse... Tenez, monsieur Poupardin, regardez-moi un peu ce panier... ça se tient tout seul.

LE PERRUQUIER, avec prétention.

Ça me paraît assez bien charpenté... Et vous, la Griffet, que dites-vous de cette petite perruque, pour jouer une naïade ?... Hein ! quelles boucles ! comme c’est ondulant !... J’ose me flatter que jamais naïade, dryade ou hamadryade n’a porté une pareille perruque.

L’HABILLEUSE.

Je le crois bien.

LE PERRUQUIER.

Aussi, quelle occasion pour me distinguer, que la première représentation des Quatre-z-Éléments !...

TOUTES, riant.

Oh ! les Quatre-z-Éléments !

LE PERRUQUIER, gravement.

Puisqu’il y en a quatre !... Allez donc demander à M. Marmontel, de l’Académie française, que je coiffe, s’il ne faut pas dire les quatre-z-éléments... au pluriel !...

L’HABILLEUSE.

C’est vrai.

LE PERRUQUIER.

Quel beau public, ce soir !... Déjà la cour et la ville se pressent dans la salle de l’Opéra.

L’HABILLEUSE.

C’est-il vrai que le roi...

LE PERRUQUIER.

Oui, nous aurons le roi, Mgr le duc de Choiseul, le chancelier Maupeou, Mme Dubarry... enfin, tout le ministère...

VANDERSTRONK, entrant.

Et moi.

TOUS, se retournant.

Hein ?...

VANDERSTRONK, s’avançant gravement et confidentiellement vers le public.

Envoyé extraordinaire de très haut et très puissant Guillaume V, stathouder des Provinces-Unies...

Mettant un doigt sur sa bouche.

Chut !

LE PERRUQUIER, s’approchant.

Monsieur demande ?...

VANDERSTRONK, froidement.

Je ne demande pas... Je m’assieds... et j’attends.

LE PERRUQUIER.

Mais vous ne savez donc pas que vous êtes ici dans la loge de Mademoiselle Sallé, notre grande danseuse ?...

VANDERSTRONK, assis.

Je le sais.

LE PERRUQUIER.

Vous ne savez donc pas qu’elle va bientôt arriver, en costume de naïade ?

VANDERSTRONK.

Perruquier, je le sais.

LE PERRUQUIER.

Vous ne savez donc pas...

VANDERSTRONK.

Perruquier, je sais tout.

LE PERRUQUIER, lui faisant signe de s’en aller.

Alors...

VANDERSTRONK, toujours avec calme.

C’est bien !... J’attendrai, morbleu !

LE PERRUQUIER.

Mais elle sera furieuse !

VANDERSTRONK.

Ventrebleu ! perruquier, vous m’ennuyez beaucoup.

LE PERRUQUIER.

Ah ! c’est trop fort !

Il va consulter les femmes.

VANDERSTRONK, à part, très froidement.

Comment ce malheureux ne voit-il pas sur ma figure qu’il y a un volcan dans mon cœur ?...

Il se lève.

Cela doit se voir, cependant !... Je dois être dans une agitation terrible !

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, SAINT-AMOUR

 

SAINT-AMOUR, entr’ouvrant à la porte.

Y es-tu, ma bonne ?... Peut-on entrer ?

Détournant la tête.

N’aie pas peur, je ne regarde pas.

LE PERRUQUIER.

Ah ! voilà un de MM. les danseurs du roi.

SAINT-AMOUR, entrant.

Tiens ! elle n’est pas arrivée !

LE PERRUQUIER.

Non... Vous savez bien que pour sa première entrée elle s’habille toujours chez elle... Mais voici un particulier...

SAINT-AMOUR, vivement.

Qui s’est introduit ici ?

LE PERRUQUIER.

Et qui ne veut pas s’en aller.

SAINT-AMOUR.

Ah ! c’est ce que nous allons voir !...

Il s’avance résolument vers Vanderstronk, qui est resté impassible, et, après l’avoir examiné, revient doucement au Perruquier.

LE PERRUQUIER, bas, aux femmes.

Il va l’assommer !

TOUTES.

Bravo !

SAINT-AMOUR, bas au Perruquier.

Je pourrais me porter à des voies de fait, je pourrais le frapper... Qu’est-ce que ça me coûterait ?... Mais cet homme est gros, il doit être fort. J’ai pitié de lui... Il vaut mieux le sonder adroitement... sans qu’il s’en doute...

S’approchant.

Monsieur qui êtes-vous ?...

Bas aux autres.

Hein ? c’est adroit !...

VANDERSTRONK, le regardant

Vous m’avez dit, Monsieur...

SAINT-AMOUR.

Qui êtes-vous ?... Ces simples mots : Qui êtes-vous ?

À part.

Je le sonde.

LE PERRUQUIER, aux femmes.

Chut !...

VANDESTRONK, à part.

Attends donc, je vais te donner de la diplomatie, moi !...

Haut.

Il me semble, Monsieur qu’avant de demander à un homme : Qui êtes-vous ? on doit d’abord lui dire qui l’on est.

SAINT-AMOUR.

C’est juste.

Aux autres.

Pour un homme de cet embonpoint, il ne manque pas de sens.

Haut.

Saint-Amour.

VANDERSTRONK.

Ah ! c’est votre nom ?...

SAINT-AMOUR.

Danseur du roi.

VANDERSTRONK.

Ah ! c’est votre état ?

SAINT-AMOUR.

Vous voilà content, n’est-ce pas ?

VANDERSTRONK.

Je suis satisfait.

SAINT-AMOUR, au perruquier.

Puisqu’il est satisfait...

LE PERRUQUIER, bas, à Saint-Amour.

Mais vous ?...

SAINT AMOUR.

Ah ! tiens !...

À Vanderstronk.

Moi, je ne le suis pas... Tout ça ne me dit pas ce que vous venez faire ici.

VANDERSTRONK, avec flegme.

Tout cela ne me dit pas de quel droit vous me demandez ce que je viens faire ici.

SAINT-AMOUR, aux autres.

Il a encore raison, l’hippopotame.

Haut.

Je m’en vais vous le dire, de quel droit... C’est que c’est moi, Langlumé, dit Saint-Amour, qui ai fait entrer la Sallé à l’Opéra... je connaissais beaucoup son père, le petit Sallé.

VANDERSTRONK.

Ah ! oui dà ?

SAINT-AMOUR.

Ah ! Monsieur, si vous l’aviez vue, dans ce temps-là, la pauvre enfant !... quand elle est venue me prier de la faire débuter... Tenez, demandez, c’était pauvre, c’était mal mis...

LE PERRUQUIER et LES FEMMES.

C’est vrai !

VANDERSTRONK, tranquillement.

Ce récit m’agite beaucoup.

SAINT-AMOUR.

Air : Vaudeville du Baiser au porteur.

Ell’ n’avait pas de brillantes toilettes :
Ses pieds, si petits, si jolis,
Ses pieds, qui font tourner toutes les têtes,
Trottaient sur l’ pavé de Paris.

VANDERSTRONK.

Aujourd’hui, quelle différence !
Elle a des chevaux, un cocher.

SAINT-AMOUR.

Dame ! quand des pieds appartienn’nt à la danse,
On ne peut plus s’en servir pour marcher.

Mais, moi-même, Monsieur, savez-vous ce que j’étais ?... Un modeste coryphée... Deux louis par mois, le rouge fourni, une paire de maillots pour mes étrennes, et des sifflets toute l’année.

Aux autres.

N’est-ce pas ?

LE PERRUQUIER et LES FEMMES.

C’est vrai !

VANDERSTRONK.

Je vous crois sans peine.

SAINT-AMOUR.

Mais dame ! aussi, qu’est-ce qu’on me faisait jouer... Tantôt un fleuve, tantôt un chêne dansant... Quelquefois, un vent... Y a-t-il de quoi pousser un homme ?... C’est égal, j’ai ouvert la porte à Sallé... Oui, Monsieur, c’est le vent qui lui a ouvert... et dès qu’elle a été lancée et qu’elle n’a plus eu besoin d’être protégée par moi, elle s’est mise à me protéger, à son tour.

LE PERRUQUIER.

Aussi bonne que jolie !

VANDERSTRONK.

Ah !...

SAINT-AMOUR.

C’est elle qui m’a fait obtenir, dans les Quatre-Éléments...

LE PERRUQUIER, bas.

Les quatre z’éléments !...

Saint-Amour le regarde.

Au pluriel.

SAINT-AMOUR.

Imbécile !... L’s ne se prononce pas...

À Vanderstronk.

Elle m’a fait obtenir le rôle du premier Triton... celui qui se jette à l’eau pour sauver la naïade qui se noyait... La naïade, c’est Sallé... Oh ! rien que d’y penser, j’ai des crampes dans les mollets !

VANDERSTRONK.

Diable ! cela vous gênera pour danser.

SAINT-AMOUR.

Et si je réussis !... Ah ! mais, j’ai sa parole...

VANDERSTRONK.

Quelle parole ?

SAINT-AMOUR.

D’être son mari.

TOUS.

Son mari !

VANDERSTRONK.

Vous ?... Oh ! non.

SAINT-AMOUR.

Pourquoi non ?...

VANDERSTRONK.

Parce que vous êtes laid.

SAINT-AMOUR.

Hein ?

VANDERSTRONK, passant à droite.

Vous êtes très laid.

SAINT-AMOUR.

Monsieur !...

Au perruquier.

Il a dit ?

LE PERRUQUIER.

Que vous êtes...

SAINT-AMOUR.

J’ai bien entendu.

VANDERSTRONK.

Horriblement laid.

SAINT-AMOUR.

Ah mais ! ah mais !... qu’est-ce que c’est donc que cet homme-là ?... Voilà un quart-d’heure que je l’interroge, et qu’il me fait causer !... Est-il bête ! est-il bête !... Qui êtes-vous donc, à la fin ?... qu’est-ce que vous venez faire ici, dans le sein de l’Opéra ?... Êtes-vous grand seigneur ?... Montrez donc votre cordon bleu... Êtes-vous chanteur ?... Chantez donc le grand air de Dardanus, de M. Rameau... Êtes-vous danseur ?... Dansez donc un peu le pas de zéphyr.

Avec mépris.

Mais, non, vous défonceriez le parquet... Allons donc !... sortez, Monsieur, sortez d’ici !...

VANDERSTRONK, tirant froidement son épée.

Vous allez me forcer à me mettre en colère.

SAINT-AMOUR, effrayé.

Il veut me... Au secours ! à la garde !...

LES FEMMES.

Une épée !

LE PERRUQUIER.

Arrêtez-le donc !...

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, MADEMOISELLE SALLÉ

 

SALLÉ, entrant très vite, et très agitée.

Il m’a perdue de vue !... je lui échappe encore !...

TOUS.

La voilà !

SAINT-AMOUR, l’apercevant.

Ah !... je suis sauvé !

SALLÉ.

Eh mais ! monsieur Vanderstronk !

Lui tendant la main.

Bonjour, mon cher ambassadeur.

TOUS.

Un ambassadeur !...

Ils saluent Vanderstronk.

SAINT-AMOUR, à part.

Un ambassadeur !... Ah diable ! je lui en ai trop dit.

SALLÉ.

Bonsoir, Langlumé.

SAINT-AMOUR, distrait.

Pas mal, merci.

Il a pris un fauteuil, qu’il va présenter à Vanderstronk, en le saluant à plusieurs reprises. Celui-ci ne fait pas attention à lui.

LE PERRUQUIER, montrant Saint-Amour.

Est-il plat ! est-il plat !

SALLÉ.

Poupardin... Mme Griffet... vous avez tout préparé pour mon second pas ?... Ah bien !... Pour le premier, il ne me manque presque rien... du rouge, un peu de poudre...

LE PERRUQUIER et L’HABILLEUSE.

Tout de suite !...

VANDERSTRONK.

Qu’est-ce donc, ma charmante, qui vous effrayait de la sorte ?

SALLÉ.

Ah ! je n’ai plus peur... c’est passé... et puis, ça n’avait pas le sens commun : car enfin, il n’est pas effrayant, ce jeune homme... du tout, au contraire... mais il a une manière de se présenter, qui ressemble toujours à un accident... Tout à l’heure encore, comme je descendais de mon carrosse, il s’est élancé pour m’offrir la main... Au petit cri que j’ai poussé, Rouget, mon grand laquais limousin, s’est jeté entre nous... et je ne sais pas ce que ce jeune homme a pu lui dire... mais, en m’échappant, j’ai aperçu ce pauvre Rouget étendu tout de son long dans le ruisseau.

Riant.

Ah ! ah ! ah !... Maintenant que je n’ai plus peur, j’en puis rire à mon aise.

Elle rit aux éclats.

VANDERSTRONK.

Quel est donc cet impertinent ?

SAINT-AMOUR.

Parbleu ! le chevalier de Mailly.

SALLÉ.

Je le crains.

VANDERSTRONK.

Qu’entendez-vous par le chevalier de Mailly ?

SAINT-AMOUR, très poliment.

Un fou, mon ambassadeur... un jeune fou, qui poursuit Mademoiselle de ses billets doux...

SALLÉ.

Que je ne lis pas.

SAINT-AMOUR.

Et de ses cadeaux...

SALLÉ.

Que je refuse.

Elle va s’asseoir à la toilette à droite.

Vous permettez ?...

VANDERSTRONK, s’appuyant sur le fauteuil de Sallé.

Mais... vous méprisez l’amour de ce chevalier ?

SAINT-AMOUR.

Si elle le méprise !... Parbleu !

SALLÉ.

Eh ! je n’en réponds pas...

Mouvement de Vanderstronk.

Non que je sois sensible à ses cadeaux, grand Dieu !... mais un amour si brusque, si exalté... qui renverse les obstacles et les laquais... qui brise les portes...

VANDERSTRONK.

Mais votre sagesse bien connue...

SAINT-AMOUR.

Ta vertu...

SALLÉ.

Oh ! ma sagesse, ma vertu... On en parle beaucoup, et ça me fait bien plaisir... parce qu’une danseuse... c’est original, ce n’est pas commun... Mais si on savait à quoi ça tient !...

VANDERSTRONK.

Hein ?

SAINT-AMOUR.

Plaît-il ?

SALLÉ.

Qu’est-ce que ça prouve, la sagesse ?... une seule chose qu’on n’a pas encore rencontré celui qui doit... voilà... Eh ! mon Dieu ! un matin, je verrai entrer un beau jeune homme... celui qui doit... et je m’écrierai, malgré moi : Tiens ! mais il est gentil, ce petit monsieur... ou ce grand...

VANDERSTRONK.

Ou ce gros.

SALLÉ.

Ce jour-là, ma vertu sera la très humble servante... et, le lendemain, on dira dans tout Paris : « Eh bien ! mais, vous ne savez pas, la petite Sallé ?... lancée... comme les autres... – Quoi ! vraiment ? – Parole d’honneur ! Allons ! bah ! elle a bien fait... » Et je dirai peut-être comme eux... Voilà, mon cher Hollandais, ce qu’on appelle la vertu... à l’Opéra.

Elle se lève.

Air d’Aristippe.

La sagesse, hélas ! est chanceuse,
Je dois en convenir tout bas...
Surtout chez moi, pauvre danseuse,
Qui peux glisser à chaque pas...
De ma vertu je ne me vante pas.
Je suis, malgré tout mon courage,
Comme ces horlogers prudents,
Qui garantissent leur ouvrage,
Sans répondre des accidents.

VANDERSTRONK, à part.

Diable diable !

SAINT-AMOUR, à Sallé.

Permets, ma bonne, permets... Tu m’as positivement promis que, si tu peux te conserver sage.

SALLÉ, l’interrompant.

Je t’ai promis... de danser ce soir avec toi... et il est temps que tu ailles te costumer...

Au Perruquier et à l’Habilleuse.

Allez vite !... La Camargo doit vous attendre... je suis prête.

SAINT-AMOUR.

Dire que je vais danser côte-à-côte avec tout cela !... Ah !...

SALLÉ.

Va, Langlumé, va.

VANDERSTRONK.

Allez, Langlumé, allez.

Pendant que Saint-Amour remonte, à part.

Et moi, seul avec elle...

SALLÉ.

Vous, mon aimable Hollandais, la loge des ambassadeurs vous attend dans la salle... Vous viendrez, après mon premier pas, me dire si le corps diplomatique est content...

Vanderstronk veut parler.

Moi, j’aime beaucoup le corps diplomatique.

VANDERSTRONK.

Il ne tiendrait qu’à vous d’en être !

SALLÉ.

Eh ! ne riez pas... Si j’en étais...

SAINT-AMOUR, qui s’est rapproché.

Vous seriez tous...

VANDERSTRONK.

Imbécile !

SAINT-AMOUR, saluant.

C’est ce que je voulais dire.

SALLÉ.

Oh ! je tiens beaucoup au suffrage de ces messieurs... et je dois commencer par les séduire.

VANDERSTRONK, galamment.

C’est fait...

Il veut continuer, ne trouve rien et conclut.

C’est fait.

SALLÉ.

Vous êtes charmant !... Allez-vous-en... Non ! non !... pas par-là !... Si ces dames vous voyaient sortir de ma loge... la loge de la vertu... Il n’en faudrait pas davantage...

SAINT-AMOUR.

Oh ça !... elles ont la langue si bien suspendue !...

SALLÉ.

Tenez, descendez par ce petit escalier, qui donne sur la rue de Valois.

SAINT-AMOUR.

Par ici.

Il court ouvrir la petite porte dérobée.

VANDERSTRONK, à part.

Diable ! c’est bien noir... on n’y voit goutte...

SALLÉ.

Est-ce que vous avez peur ?...

VANDERSTRONK.

Ah !... ma charmante...

Il lui baise la main.

SAINT-AMOUR.

Va donc, gros...

Changeant de ton et le saluant.

Mon ambassadeur !...

VANERSTRONK, sortant.

Adieu, Langlumé.

Il disparaît.

SAINT-AMOUR, tout bas.

Adieu, gros mastoc !...

À part.

Ô saint Amour, mon patron, défends sa vertu et donne-moi des jambes !

Il sort au fond.

SALLÉ.

Enfin, je suis seule... et je puis penser à mon aise à ce fou de...

 

 

Scène IV

 

SALLÉ, puis LE CHEVALIER DE MAILLY

 

À peine Saint-Amour est-il sorti qu’on entend un grand bruit dans l’escalier.

SALLÉ, effrayée.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce qu’il y a ?... C’est mon diplomate qui dégringole !

Elle court à la petite porte. Le chevalier paraît tout-à-coup et pousse la porte derrière lui. Jetant un cri.

Ah !

LE CHEVALIER.

C’est elle !

SALLÉ.

C’est lui !

Ils se regardent, immobiles.

LE CHEVALIER.

Mon Dieu ! oui, Mademoiselle, c’est moi... Je ne me suis pas fait annoncer, je vous en demande pardon... mais vous n’auriez pas voulu me recevoir, et moi, je voulais entrer... Il a donc fallu...

SALLÉ.

Vous êtes le chevalier de Mailly !

LE CHEVALIER, vivement.

Mon nom ?... vous l’avez deviné... Vous aviez donc fait attention à moi ?... Allons, c’est bien, c’est très bien !... nous commençons à nous entendre.

SALLÉ, de même.

Mais, non, Monsieur... je vous prie de croire... A-t-on jamais vu !... vous permettre de pénétrer chez moi !... et de cette façon-là, encore !

LE CHEVALIER.

Que voulez-vous ?... on prend l’occasion comme elle vient... Tout à l’heure, j’adressais avec colère une déclaration d’amour à la porte de ce petit escalier, près de laquelle je viens souvent rêver à vous... en attendant... car vos portes, vos fenêtres, vos gens, le chemin que vous prenez, je connais tout cela... Enfin, j’allais m’éloigner, triste, découragé, désespéré, lorsque tout-à-coup la porte s’ouvre et je vois sortir mystérieusement un gros homme, que je distingue à peine dans l’ombre...

SALLÉ, à part.

Vanderstronk !... Ah ! je frémis !

LE CHEVALIER.

Je m’élance, je culbute ce gros ventre inconnu, je ferme la porte sur moi... et me voilà.

SALLÉ, partant d’un éclat de rire.

Ah ! ah ! ah !

LE CHEVALIER, vivement.

Bon !... vous riez !... Nous nous entendons tout-à-fait.

SALLÉ.

Allons donc !... vous êtes un fou ! vous êtes...

À part, en le regardant.

Tiens, mais il est gentil...

LE CHEVALIER.

Dieu ! ce regard !... Nous nous entendons de de plus en plus !

SALLÉ.

Par exemple !... nous ne nous entendons pas du tout... Voyons, Monsieur, qu’est-ce que vous demandez ?... quel est votre but ?... où voulez-vous en venir ?

LE CHEVALIER.

Je... je vous dirai cela plus tard.

SALLÉ.

Mais vous extravaguez !

LE CHEVALIER.

Je vous aime !

SALLÉ.

Mais vous compromettez votre fortune !

LE CHEVALIER.

Je me suis ruiné pour vous... parole d’honneur.

SALLÉ, à part.

Ils disent tous la même chose.

LE CHEVALIER.

Loge à l’Opéra... tous les jours un attelage nouveau... des bijoux, que vous refusiez et que, dans ma rage, je donnais à d’autres, à votre intention... tout y a passé !

SALLÉ.

Mais... votre avenir ?

LE CHEVALIER.

Perdu, à cause de vous... Le vieux duc, mon oncle, qui est fort bien en cour, m’avait lancé dans la diplomatie, où je devais, suivant lui, faire un chemin rapide... Je ne demandais pas mieux... J’en ai besoin... C’est mon ambition... Eh bien ! vous êtes cause que je me suis arrêté en route... Oui, il y a trois semaines, on m’avait envoyé à Berlin... Poursuivi par votre image, je n’ai pu aller que jusqu’à Strasbourg...

SALLÉ, à part.

Ah ! c’est donc pour ça que j’ai eu deux jours de répit.

LE CHEVALIER.

Et je suis revenu à franc étrier.

SALLÉ.

C’est de l’extravagance !... manquer ainsi une carrière...

LE CHEVALIER.

Pour laquelle je suis fait... je suis né diplomate... Il n’y a qu’un petit malheur... Je crois tout ce qu’on me dit, je dis tout ce que je sais, et on sait tout ce que je pense.

SALLÉ.

Oh ! alors, vous avez bien fait de vous arrêter à Strasbourg.

LE CHEVALIER, avec feu.

Pour revenir près de vous !...

SALLÉ.

Mais... enfin... si j’aime quelqu’un ?

LE CHEVALIER.

Je le tuerai !

SALLÉ.

Mais vous êtes un tyran !

LE CHEVALIER.

Je vous aime !

SAINT-AMOUR, en dehors.

C’est bien... Je vais le lui remettre.

SALLÉ.

Mais...

S’arrêtant.

Ah ! mon Dieu ! quelqu’un !... Sortez ! allez-vous-en !...

LE CHEVALIER.

Par où ?...

SALLÉ, troublée.

Est-ce que je sais ?... Sauvez-vous !

LE CHEVALIER.

Je me sauve.

Il va tranquillement s’asseoir au fond.

SALLÉ, vivement.

Qu’est-ce que vous faites ?...

 

 

Scène V

 

SALLÉ, LE CHEVALIER, SAINT-AMOUR, sans perruque, à moitié costumé, n’ayant encore mis qu’un faux mollet, ce qui lui fait une jambe beaucoup plus grosse que l’autre

 

SAINT-AMOUR.

Ma bonne...

SALLÉ, courant à lui, et l’empêchant de voir le Chevalier.

Qu’est-ce que tu veux, toi ?... je m’habille, laisse-moi !

SAINT-AMOUR.

Je venais t’apport...

SALLÉ, jetant les yeux sur ses jambes et partant d’un éclat de rire.

Ah ! ah ! ah !

SAINT-AMOUR.

Quoi donc ? quoi donc ?

Sallé, toujours en riant, lui montre ses jambes.

Ah ! c’est... Je n’ai eu le temps d’en mettre qu’un... Il y a une petite différence... Est-ce que ça se voit ?

SALLÉ.

Si ça se voit !

Elle va, tout en riant, tomber sur le fauteuil près de la toilette, ce qui permet au Chevalier de voir à son tour Saint-Amour.

LE CHEVALIER, riant au éclats.

Ah ! ah ! ah !

SAINT-AMOUR.

Qui est-ce qui rit par là ?...

Voyant le Chevalier.

Un homme ici !... Encore un !... C’est donc une place publique que cette loge !

SALLÉ.

Allons ! bon !... voilà ma vertu compromise !... C’est gentil !

SAINT-AMOUR.

Oh ! ta vertu...

SALLÉ, sévèrement.

Langlumé !

SAINT-AMOUR, allant à lui.

Qui êtes-vous, Monsieur ?...

LE CHEVALIER.

Le chevalier de Mailly...

SAINT-AMOUR, reculant.

Ah bah !...

LE CHEVALIER.

Qui vous a sillé pendant deux ans... et qui est prêt à recommencer dans une demi-heure, si vous vous avisez de tenir le moindre propos sur Mademoiselle.

SAINT-AMOUR.

Voilà qui est joli, par exemple !... Je trouve ici un gros, je trouve ici un mince, et c’est à moi qu’on s’en prend !...

SALLÉ.

Voyons, qu’est-ce que tu venais faire ?

SAINT-AMOUR.

Je venais répéter mon pas... quand on m’a remis ce billet pour toi... Une personne qui veut te parler sur-le-champ.

LE CHEVALIER.

Hein ?... Une personne ?... Un amoureux, j’en suis sûr !

SAINT-AMOUR.

Mais, non, puisque c’est...

SALLÉ, bas.

Tais-toi !...

En lisant des yeux.

Une personne qui attend ma réponse, là, à la porte du petit escalier.

SAINT-AMOUR.

Mais, non, puisque...

SALLÉ, bas.

Tais-toi !

LE CHEVALIER, montrant la petite porte.

Là, à cette porte ?... Ah ! morbleu ! quel que soit celui-là, il n’entrera pas !

SALLÉ, riant.

Air de la marquise de Pretintaille.

Eh mais ! monsieur, c’est votre affaire :
N’êtes-vous pas mon défenseur.

LE CHEVALIER.

Ah ! quel accueil je vais lui faire !...
Dieu ! si c’était l’ambassadeur !

SALLÉ.

Dans votre zèle tyrannique,
Ah ! n’allez pas frapper trop fort.

LE CHEVALIER, faisant un geste significatif.

Avec le corps diplomatique,
Je vais donc entrer en rapport.

Il sort brusquement à gauche. À peine a-t-il franchi le seuil de la porte, que Salle la ferme précipitamment sur lui.

SALLÉ, vivement.

Fais entrer cette dame.

SAINT-AMOUR.

Allons !... c’est la soirée aux inconnus...

Parlant au fond.

Madame...

La dame paraît au fond et tient son voile baissé.

Reprise ensemble.

SALLÉ, à part.

Mon Dieu pourquoi tout ce mystère ?
Pourquoi cacher ainsi ses traits ?
La dame voudra bien, j’espère,
Lever enfin ce voile épais.

SAINT-AMOUR, à part.

Je suis sûr que tout ce mystère
Cache ici quelque affreux projet.
Pour sa vertu, qui m’est si chère,
Malgré moi, je tremble en secret.

Il sort.

LA DAME, à part.

Personne, grâce à ce mystère,
Ne trahira notre secret,
Et voici celle en qui j’espère,
Pour accomplir ce grand projet.

SAINT-AMOUR, en sortant.

Je vas compléter mes mollets !

 

 

Scène VI

 

SALLÉ, LOLOTTE

 

LOLOTTE, relevant son voile.

Bonsoir, petite.

SALLÉ.

C’est Lolotte !...

LOLOTTE.

Moi-même !... qui n’ai voulu être reconnue par personne... surtout par cet imbécile de Saint-Amour... Car je viens pour toi seule, pour te parler en secret... d’une grande affaire.

SALLÉ.

Une grande affaire. ?

LOLOTTE.

Oh ! n’aie pas peur... ce ne sera pas long... Je sais que le ballet nouveau va commencer, que tu danses au second acte... et une entrée de ballet, c’est sacré... je connais ça.

SALLÉ.

Je le crois bien... toi, qui en faisais autrefois... des entrées... et qui un beau jour nous as quittés, pour...

LOLOTTE.

Pour jouer sur un théâtre encore plus vaste que celui de l’Opéra... dans le grand ballet politique.

SALLÉ.

Comment ! ce qu’on nous a dit du duc de Choiseul... c’est donc vrai ?... tu es sa Dubarry ?

LOLOTTE.

Oh !... un peu moins bête que la petite Vaubernier, qui n’entend rien à son emploi... Et c’est en ma qualité semi-officielle que je viens te trouver.

LE CHEVALIER, au dehors, à gauche.

Hein !... fermée !

On entend frapper légèrement à la porte de l’escalier.

LOLOTTE.

Qu’est-ce que c’est ?...

SALLÉ.

Ne fais pas attention.

À part.

C’est mon fou.

LE CHEVALIER, toujours en dehors.

Ah ! on s’est joué de moi !... Nous verrons !...

SALLÉ, écoutant.

Il s’éloigne...

Revenant à Lolotte.

De quoi s’agit-il ?

LOLOTTE.

Il s’agit... de ta fortune.

SALLÉ, riant.

De ma fortune !... j’accepte.

LOLOTTE.

Tiens, asseyons-nous et réponds-moi...

Elle s’assied.

réponds-moi bien franchement... si ça se peut. De danseuse à favorite...

SALLÉ, s’asseyant.

Il n’y a que la main.

LOLOTTE, à part.

Et maintenant, que je me rappelle mes instructions...

Haut.

Première question : Que penses-tu du duc de Choiseul ?

SALLÉ.

Eh ! mais, je pense...

La regardant.

qu’il a très bon goût.

LOLOTTE.

C’est pour moi que tu dis ça... merci... Pourrait-il, au besoin, compter sur toi ?

SALLÉ.

Eh !... c’est un peu chatouilleux, ce que tu me demandes là... Comment l’entends-tu ?

LOLOTTE.

Vertueusement... dans ton genre... puisque... enfin, ça t’arrange.

SALLÉ.

M. de Choiseul sait bien qu’il peut compter sur moi, à la vie et à la mort !

LOLOTTE.

Ah bah !... parce que ?...

SALLÉ, avec émotion et entraînement.

Parce que, il y a huit ou neuf ans, une petite fille, bien jolie, mais bien pauvre, lui fut présentée sans qu’elle sût ce qu’on voulait d’elle... Quand elle le devina, elle ne put trouver une parole, elle se mit à sangloter et tomba à deux genoux. – « Des pleurs ! s’écria-t-il en la relevant, pauvre enfant ! des pleurs !... » Et lui-même essuyait ses yeux... – « Tiens, continua-t-il, prends cette bourse pour échapper à ceux qui t’ont conduite ici... et va-t’en, va-t’en bien vite ! »

LOLOTTE.

Il la renvoya ?...

SALLÉ.

Comme elle était venue.

LOLOTTE.

Pauvre petite !... Ah ça ! mais comment sais-tu si bien ce que tu me racontes là ?

SALLÉ.

C’est que la jeune fille... c’est moi.

LOLOTTE.

Vrai ?...

À part.

Neuf ans !... ce n’était pas de mon temps... Ça m’est égal...

Se rapprochant.

Deuxième question : Quand tu es allée, l’an der nier, donner quelques représentations à l’Opéra de Londres, que s’est-il passé entre toi et le jeune ministre anglais, lord Beresford ?...

SALLÉ.

Ah bah ! tu sais...

LOLOTTE.

Nous autres hommes d’état, nous savons tout.

SALLÉ.

Il m’a fait la cour, comme tout le monde.

LOLOTTE.

Et il a obtenu ?...

SALLÉ.

Rien du tout.

LOLOTTE.

Parole ?

SALLÉ.

Sacrée !...

LOLOTTE.

Un lord !... je ne comprends pas... C’est égal...

Se rapprochant.

Troisième question : Que vient faire tous les jours chez toi l’ambassadeur des Provinces-Unies, Monsieur...

SALLÉ.

Vanderstronk ?...

LOLOTTE.

C’est toi qui l’as nommé.

SALLÉ.

Il vient me faire la cour... comme le ministre anglais... Non, un peu moins... car il est si froid !... C’est un gros glaçon, sous lequel se cache peut-être un volcan...

Riant.

Mais c’est une question d’histoire naturelle que je ne veux pas approfondir.

LOLOTTE.

Et celui-là a obtenu...

SALLÉ.

Juste comme l’autre.

LOLOTTE.

Un ambassadeur !... ça me passe...

Elles se lèvent.

Ainsi, l’Anglais est fou de toi... Le Hollandais t’adore, il en est bête.

SALLÉ.

Oh ! il l’était avant.

LOLOTTE.

Et tu es disposée à rendre à M. de Choiseul le service qu’il te demandera...

SALLÉ.

Ah ! mais je veux savoir...

LOLOTTE,

Absolument rien.

SALLÉ.

Un instant... Il n’y a rien de fait... Par exemple !... ce qu’il demandera !... ça peut mener très loin.

LOLOTTE.

Puisque je m’en mêle !

SALLÉ.

Raison de plus !...

LOLOTTE.

Eh bien ! un seul mot... Il s’agit de t’échapper de l’Opéra... en secret... cette nuit... ou l’autre, n’importe...

SALLÉ.

La nuit !...

LOLOTTE.

Pour aller...

SALLÉ, vivement.

À Versailles, chez M. de Choiseul ?

LOLOTTE.

Plus loin.

SALLÉ.

À Marly, où est le roi ?

LOLOTTE.

Plus loin.

SALLÉ.

Ah ! bah !... Mais mon engagement ?

LOLOTTE.

Nous nous chargeons de tout... et quand tu seras à Londres...

SALLÉ.

À Londres !...

LOLOTTE.

Chut ! ne dis pas !... Quelle maladresse !... c’est un secret d’état.

SALLÉ.

Un secret d’état !...

 

 

Scène VII

 

SALLÉ, LOLOTTE, LE CHEVALIER

 

LE CHEVALIER, repoussant un garçon de théâtre.

Eh ! laisse-moi tranquille !...

LOLOTTE.

Ô ciel ! le chevalier de Mailly !...

LE CHEVALIER, entrant.

Oui, oui, il y a quelqu’un avec elle, et je tuerai...

SALLÉ.

Qui donc ?... madame ?

Elles lui rient au nez.

LE CHEVALIER, confus.

Comment ! c’était...

À part.

C’était Lolotte !...

LOLOTTE, attirant Sallé à droite.

Ah ! mon Dieu ! pas un mot !... C’est l’homme le plus Indiscret !...

SALLÉ.

Je crois bien... il me l’a dit.

LE CHEVALIER, à part.

Une femme !

LOLOTTE, à Sallé, bas.

Un fou qui se ruine... et qui vient de renoncer à une position magnifique... parce que ça l’éloignait d’une passion.

SALLÉ, s’oubliant.

C’était donc vrai !...

LOLOTTE.

Tu la connais ?

SALLÉE.

Non, non !

LE CHEVALIER, à part.

Je suis sûr qu’elles se moquent de moi.

LOLOTTE, riant.

Adieu, petite... à bientôt.

SALLÉ.

Chevalier, vous allez reconduire madame jusqu’à la loge du ministre... Il doit être arrivé.

LOLOTTE, bas.

Et il attend une réponse.

LE CHEVALIER, à part.

Allons, elle veut encore m’éloigner.

Haut.

Permettez, Mademoiselle... je ne sais si je puis...

LOLOTTE.

Je vous en prie !

SALLÉ.

Air de la Cracovienne.

Allons, offrez votre bras,
Quand on vous l’ordonne :
D’une femme n’est-il pas
Bien doux de guider les pas.

LOLOTTE, bas.

Il enrage au fond du cœur.

SALLÉ, au chevalier.

Madame est trop bonne ;
C’est pour vous trop de bonheur.

LE CHEVALIER, vivement.

Oui, beaucoup trop, sur l’honneur !

À part.

Je reviendrai.

Ensemble.

SALLÉ et LOLOTTE.

Allons, offrez votre bras, etc.

LE CHEVALIER, à part.

Allons, offrons-lui mon bras,
Puisqu’on me l’ordonne ;
Mais je me promets tout bas
De revenir sur mes pas.

 

 

Scène VIII

 

SALLÉ, seule

 

Eh ! quoi ! c’est donc vrai ?... il a perdu son état, sa fortune, et c’est par amour, c’est pour moi !... Pauvre jeune homme !... Et dire que je ne puis rien faire pour lui rendre ce qu’il a perdu !... Car, enfin, ce qu’il me demande, ça ne l’enrichirait pas... Au contraire... il serait homme à manger sa fortune une seconde fois, par reconnaissance !... Ce serait gentil ! et si... Allons donc ! voilà ma vertu qui faiblit !...

Vanderstronk entre et descend jusqu’à elle sans être vu.

Jusqu’à présent, elle n’a eu affaire qu’à un tas d’imbéciles...

 

 

Scène IX

 

SALLÉ, VANDERSTRONK

 

VANDERSTRONK, tout près d’elle et tendrement.

On pense à moi...

SALLÉ, effrayée.

Ah !... vous m’avez fait peur !

VANDERSTRONK.

Merci... J’accours... et je disais : « On pense à moi. »

SALLÉ, réfléchissant.

Attendez... oui, oui.

VANDERSTRONK.

Vrai ?,... Nous commençons donc à l’aimer, ce cher petit Vanderstronk !... Il est temps !... car, tel que tu me vois, je suis au désespoir !... je suis furieux !

SALLÉ.

Vous ?...

À part.

En voilà une figure de diplomate !...

VANDERSTRONK.

Il faut que je quitte Paris !

SALLÉ.

Vous partez ?

VANDERSTRONK.

Chut ! c’est un mystère... Pauvre petite !... elle est émue !

SALLÉ.

Un mystère ?...

VANDERSTRONK.

Oui... je reçois de mon gouvernement l’ordre de sortir de France, sur-le-champ et en secret.

SALLÉ.

Vous retournez en Hollande ?...

VANDERSTRONK.

Non, je vais... à Londres.

SALLÉ, à part.

À Londres ! comme moi !

VANDERSTRONK, à part.

Nouvelle émotion !

SALLÉ, à part.

Que diable allons-nous donc tous faire à Londres ?

VANDERSTRONK.

Je te dis cela, parce que je n’ai pas de secret pour toi, friponne... et pourtant c’est un secret d’état !

SALLÉ, à part.

Ah !... comme pour moi !

VANDERSTRONK.

Encore !... C’est étonnant comme je lui donne des soubresauts !...

À Sallé.

Et il n’y a pas de temps à perdre... un traité de commerce entre la Hollande et l’Angleterre... On m’attend !

SALLÉ.

Ah ! vous partez... pour Londres ?...

VANDERSTRONK.

Oui... cette nuit même... ce soir... à moins que tu ne me retiennes jusqu’à demain... Hein ?

SALLÉ.

Hein ?...

VANDERSTRONK.

Elle ne comprend pas... C’est d’une ingénuité !... Fanny ?

SALLÉ.

Vanderstronk.

VANDERSTRONK.

Oh ! non... Je t’appelle Fanny, appelle-moi Ernest... j’aime mieux ça... Écoute-moi j’ai donné des ordres pour que ce soir, vers la fin du spectacle, ma voiture vînt m’attendre ici près... Je partirai seul pour Londres si tu me renvoies, ou avec toi, pour ton hôtel, si tu me retiens...

SALLÉ.

Si je vous retiens... pourquoi ?

VANDERSTRONK.

Comment ! pourquoi ?... Fanny !

SALLÉ.

Vanderstronk !

VANDERSTRONK.

Non, Ernest... je préfère... Promets-moi de monter dans ma voiture au bas du petit escalier, près de la petite porte... Ah ! à propos de cette petite porte, quand je t’ai quittée, quel est le drôle qui m’a heurté, bousculé, contusionné ?...

SALLÉ.

Vous ne devinez pas ?... le chevalier de Mailly !...

VANDERSTRONK.

Ah ! le chevalier... Je ne le connais pas... mais il venait... je suis jaloux !... je lui jure une guerre à mort !

SALLÉ.

C’est la plus forte lame de Paris.

VANDERSTRONK.

Qu’importe ?... Je le ferai mettre à la Bastille, foi de Hollandais !... Je suis d’une violence !... Ah ! Dieu ! ce n’est pas du sang qui coule dans mes veines !

SALLÉ.

Je le crois bien ! c’est de la bière...

Bruit.

Du bruit !... on force ma porte... C’est lui, c’est le chevalier de Mailly !

VANDERSTRONK.

Le chevalier ! Tarteiff ! corbleu !... je cours...

Il heurte Saint-Amour, qui vient d’entrer, costumé en triton.

SAINT-AMOUR, criant.

Ah !...

VANDERSTRONK, criant.

Ah !...

Il va pour sortir par le fond, aperçoit le Chevalier, recule effrayé et sort par la porte à gauche.

 

 

Scène X

 

SAINT-AMOUR, SALLÉ, LE CHEVALIER

 

SAINT-AMOUR.

Le roi arrive à l’instant !... Eh ! vite !... je viens te prendre ?...

LE CHEVALIER.

Mais quel est encore cet homme qui sort de chez vous en se sauvant ?

SALLÉ.

En se sauvant, c’est bien dit.

À Saint-Amour.

Tu te rappelles tes poses...

SAINT-AMOUR, se posant.

Voilà, ma naïade !...

Au Chevalier.

C’est ce Vanderstronk...

LE CHEVALIER.

L’envoyé de Hollande !... Ce que Lolotte m’a dit est donc vrai ?...

SAINT-AMOUR.

Hein ?...

SALLÉ, allant à lui.

Comment ! elle vous a dit...

LE CHEVALIER, pendant qu’ils dansent.

Elle m’a dit que vous le recevez en secret...

SAINT-AMOUR.

Lui !... c’est indigne !

SALLÉ.

Prends garde ! tes jambes sont molles...

SAINT-AMOUR.

Voilà du nerf ! voilà du nerf !... Perfide !

LE CHEVALIER.

Elle m’a dit que vous l’aimiez !...

SALLÉ.

Pourquoi pas ?

LE CHEVALIER.

Ah ! vous m’expliquerez...

SALLÉ.

Dérangez-vous donc ; vous gênez mes ronds de jambe.

LE CHEVALIER.

Sallé ! si vous me réduisez au désespoir, vous ne savez pas de quoi je suis capable !...

SALLÉ, dansant et passant devant lui.

De faire des folies, voilà tout...

LE CHEVALIER.

Je tuerai tous ceux qui vous aiment !

SAINT-AMOUR.

Tous !... Ah ! pas de bêtises !

SALLÉ, à Saint-Amour.

Ça te regarde.

SAINT-AMOUR.

Moi !

LE CHEVALIER.

Oui, toi le premier, et je vous déclare ici...

SALLÉ, à Saint-Amour.

Allons donc ! allons donc !

SAINT-AMOUR.

Divine !...

LE PERRUQUIER, se montrant au fond.

Eh ! vite ! vite !... votre entrée !...

SAINT-AMOUR.

Ah ! fichtre !...

SALLÉ.

Nous voilà !...

LE CHEVALIER.

Non, non, vous ne sortirez pas avant de m’avoir dit...

SAINT-AMOUR et SALLÉ.

Au théâtre !

Ils sortent en se tenant entrelacés.

 

 

Scène XI

 

LE CHEVALIER, puis LOLOTTE

 

LE CHEVALIER.

Air de l’Écu de six francs.

Ah ! c’en est trop !... je perds courage :
Car c’est affreux ! c’est une horreur !
Dans ma colère, dans ma rage,
À ce théâtre de malheur
Je mettrais le feu de bon cœur.
Allez, femmes capricieuses !

Le diable emporte l’Opéra,
Danse, ballets, et cætera !...
Excepté, pourtant, les danseuses !
Le diable emporte l’Opéra,
Mais qu’il nous laisse les danseuses.

LOLOTTE, entrant.

Juste au moment où elle entre en scène... mais j’attendrai...

Apercevant le Chevalier.

Comment, chevalier, encore ici !

LE CHEVALIER.

Ah ! c’est vous !...

LOLOTTE, à part.

Un indiscret ! un bavard !... voilà ce que le ministre craignait !... Il faut l’éloigner à tout prix.

LE CHEVALIER.

Eh bien !... il n’y a plus de secret, je sais tout !

LOLOTTE.

Ah ! mon Dieu !...

À part.

Nous sommes perdus !...

Haut.

Vous savez...

LE CHEVALIER.

Que ce Hollandais est aimé !... Elle me l’a dit...

LOLOTTE, rassurée.

Ah ! c’est là ce que vous savez ?

LE CHEVALIER.

Ah ! vous disiez bien... Sallé ne faisait la coquette avec moi que pour rire à mes dépens.

LOLOTTE.

N’est-ce pas ? elle vous traitait comme un écolier !

LE CHEVALIER.

Non, non, je ne le serai pas... je l’oublierai... Mais, d’abord, je vais demander raison à ce petit Flamand.

LOLOTTE, riant.

Petit ?...

LE CHEVALIER.

Est-ce que je sais ?... Je ne le connais pas, je ne l’ai jamais vu... Mais, petit ou grand, je le forcerai bien à tirer l’épée.

LOLOTTE.

Gardez-vous-en bien !... Il vient de porter plainte contre vous au ministre.

LE CHEVALIER.

Mais, c’est donc un enragé !

Applaudissements.

Chut !... Entendez-vous ces applaudissements ?...

LOLOTTE.

C’est Sallé qui sort de scène !

LE CHEVALIER.

Ah ! nous allons voir...

LOLOTTE.

Eh ! non... Du bruit, un éclat !... elle serait trop heureuse !... Laissez-moi lui dire que vous la détestez...

LE CHEVALIER.

Mais, non ! au contraire.

LOLOTTE.

Eh bien ! soit !... je lui dirai que vous l’aimez, que vous mourez d’amour pour elle... J’arrangerai cela mieux que vous.

LE CHEVALIER.

Oh ! oui, ma petite Lolotte, je vous en prie !...

LOLOTTE, à part.

Pauvre garçon !... si nous le laissons faire, il ensorcellera Sallé... Tout serait perdu !... Il faut qu’il couche à la Bastille !

LE CHEVALIER, au fond.

La voilà !

LOLOTTE, courant à lui.

Ô ciel ! encore ici !

 

 

Scène XII

 

LE CHEVALIER, LOLOTTE, SALLÉ, SAINT-AMOUR

 

SALLÉ, entrant à droite sans voir le Chevalier, et allant s’asseoir.

Ah ! quel succès !

SAINT-AMOUR, tombant sur un fauteuil à gauche.

Ouf ! c’est à en devenir fou !

LOLOTTE, dans le fond, au Chevalier.

Oui, oui, comptez sur moi.

Le Chevalier sort après avoir résisté.

SAINT-AMOUR.

Tiens ! Lolotte !

SALLÉ, à Lolotte.

Ah ! c’est toi ! Tu n’étais pas dans la salle ?

LOLOTTE.

Non... mais j’ai entendu les applaudissements d’ici.

SALLÉ.

Je crois que j’ai été bien, ma parole d’honneur !

SAINT-AMOUR.

Toi ! tu as été divine ! Quant à moi, je me suis enlevé, enlevé !... J’ai cru un instant que j’allais me passer par-dessus la tête !

LOLOTTE.

Eh bien ! mon cher, va te reposer... Il faut que je parle à Sallé... seule.

SAINT-AMOUR.

Dis donc, Lolotte... ne lui dis pas des choses lestes... À propos... as-tu vu le roi ?... Il est dans sa loge... il m’a lorgné tout le temps !

LOLOTTE.

Raison de plus... pour aller te préparer à ta seconde entrée.

SAINT-AMOUR.

J’y vole !... Tiens ! mon mollet qui atourné !... c’est donc ça que je ne sentais pas l’entrechat... Voilà comme l’administration nous les fournit !... Ça fait pitié !

Il sort.

 

 

Scène XIII

 

SALLÉ, LOLOTTE

 

LOLOTTE.

À nous deux, maintenant.

SALLÉ.

Qu’est-ce qu’il y a encore ?

LOLOTTE.

M. de Choiseul te remercie de ton dévouement ; il y comptait... Tu pars pour Londres le plus tôt possible... Aussitôt ton arrivée, il faut voir le ministre anglais, lord Beresford... avant le gros Hollandais.

SALLÉ.

Je pars ! je pars !... mais le motif ?

LOLOTTE.

Oh ! ça, je ne puis pas te le dire... Tu sauras notre secret à Londres, où tu trouveras nos instructions, en arrivant... Hôtel Piccadilly... Mais, d’abord, nous exigeons...

SALLÉ.

Ah ça ! décidément, tu es donc au pouvoir ?

LOLOTTE.

Tiens ! quand la Dubarry est roi, la Lolotte peut bien être premier ministre !

SALLÉ.

Et la Sallé ambassadeur extraordinaire.

LOLOTTE.

Voilà !... Pieds de danseuse, tète d’homme d’état, à dit son excellence au roi.

SALLÉ.

Le roi sait...

LOLOTTE.

Tout !... Il faut que ton départ...

SALLÉ.

Soit secret.

LOLOTTE.

Au contraire !... qu’il fasse du bruit, du scandale... Et d’abord...

SALLÉ.

Et, d’abord, je vais demander un congé à Francœur, notre directeur.

LOLOTTE.

Un congé ! il s’agit bien de cela !... pour qu’on se doute... Nous voulons un départ brusque, inattendu, forcé... un enlèvement !

SALLÉ.

Ah bah !... comme elle y va !... Tu crois que la vertu s’en va courir les champs...

LOLOTTE.

À propos de vertu... deux mille louis pour les frais de voyage... et pendant ton séjour à Londres, mille livres par jour.

SALLÉ.

Mille livres par jour !... et il n’a pas peur que je prolonge la négociation indéfiniment !... C’est bien !... c’est royal !... et j’adresserai à Sa Majesté une lettre de remerciements.

LOLOTTE, vivement.

Ah ça ! quand tu nous écriras, ne vas pas t’aviser d’appeler les gens par leur nom.

SALLÉ.

Bah !...

LOLOTTE.

Dans la correspondance diplomatique, on se sert du langage des chiffres... Ainsi, par exemple, tu appelleras le roi... le n° 1... M. de Choiseul sera... le n° 3.

SALLÉ.

Lord Beresford ?...

LOLOTTE.

Le n° 7.

SALLÉ.

Sept...

LOLOTTE.

Et, enfin, Vanderstronk...

SALLÉ.

Zéro !

LOLOTTE.

Parfait.

SALLÉ.

Il n’y a que l’enlèvement... Juge donc, un premier enlèvement !

LOLOTTE.

On s’y fait... J’en suis à mon troisième.

SALLÉ.

Ah ! bien, oui, mais...

Le Chevalier entre doucement, sans être entendu.

 

 

Scène XIV

 

SALLÉ, LOLOTTE, LE CHEVALIER

 

LE CHEVALIER, à part, au fond.

Encore ensemble !

LOLOTTE.

Il faut quelqu’un qui t’aime, qui t’adore...

SALLÉ.

Je ne vois que ce pauvre chevalier de Mailly.

LE CHEVALIER.

On parle de moi !...

Il se cache derrière le panier, à droite.

LOLOTTE.

Non pas ! non pas !... un homme inconséquent, léger, indiscret !...

LE CHEVALIER, à part.

Merci !... Écoutez donc aux portes !

SALLÉ.

Et puis, avec lui, il y aurait trop de danger.

LE CHEVALIER, laissant échapper un cri.

Bon !

SALLÉ, à Lolotte.

Hein ?

LOLOTTE.

Quoi ?

Le Chevalier se glisse dans le panier et passe de temps en temps la tête par l’ouverture de la taille.

SALLÉ.

Tu dis ?...

LOLOTTE.

Je dis, je dis... que si tu attends que le Chevalier t’enlève, nous n’en finirons pas !... Mais, cherchons, il y a des hommes qui enlèvent beaucoup... Une idée !... l’envoyé de Hollande !...

SALLÉ.

Vanderstronk !

LE CHEVALIER, laissant échapper un cri.

Bah !

LOLOTTE, à Sallé.

Hein ?...

SALLÉ.

Quoi ?

LOLOTTE.

Il t’enlèverait... cette nuit même... avec scandale...

SALLÉ.

Ah bien ! oui, mais...

LOLOTTE.

C’est délicieux !... Tu es sûre au moins qu’il n’arrivera pas là-bas avant toi.

LE CHEVALIER, à part.

Là-bas ?...

SALLÉ, riant.

Tu es folle !... Le fait est que sa voiture doit l’attendre... par ici... au bas du petit escalier.

LOLOTTE.

Vrai ?... c’est un trait de génie !... Il t’enlève... et moi, je cours prévenir... Ah ça, un enlèvement qui fasse un bruit d’enfer !...

SALLÉ.

Mais, ma réputation...

LOLOTTE.

Y gagne cent pour cent !

SALLÉ.

Mais, ma vertu...

LOLOTTE.

Si elle en réchappe, nous t’élèverons une statue !

Elle sort en riant.

 

 

Scène XV

 

SALLÉ, LE CHEVALIER

 

SALLÉ.

Mais, dis-moi donc... Elle est partie !... ah ! mon Dieu ! et mon habilleuse... Eh ! vite !...

Elle veut aller au fond et voit le panier marcher. Elle pousse un grand cri.

Ah !...

LE CHEVALIER, après avoir mis le verrou.

Chut ! pas de bruit !...

SALLÉ, riant aux éclats.

Le Chevalier !... Que me voulez-vous ?...

LE CHEVALIER.

Je veux... je veux... parbleu ! je veux vous enlever !

SALLÉ.

Hein ! plaît-il ?... N’approchez pas... Il faut que je change de toilette...

On frappe au fond.

Tenez, on frappe.

PLUSIEURS VOIX, en dehors.

Mademoiselle Sallé !... Mademoiselle Sallé !...

LE PERRUQUIER.

Je viens vous coiffer.

SALLÉ.

Mais...

LE CHEVALIER.

Chut !...

Haut.

Passez chez la Camargo, elle y est.

SALLÉ.

Mais...

LE CHEVALIER.

Eh ! vite ! partons !

SALLÉ.

Comment, partons !... mais où ?...

LE CHEVALIER.

Où vous voudrez... Partons pour Berlin, pour Londres !...

SALLÉ.

Pour Londres ?... lui aussi !... Laissez-moi donc tranquille !... Et mon pas de trois !...

LE CHEVALIER.

On le dansera à deux.

SALLÉ.

Quand le roi attend !

LE CHEVALIER.

Que le roi attende.

SALLÉ.

Je vais appeler au secours.

PLUSIEURS VOIX, en dehors.

Sallé ! Sallé ! ton entrée !...

SALLÉ, criant et riant tout à la fois.

Mon pas de trois !... Chevalier !... Au secours !... au secours !...

Il l’emporte par la petite porte, tandis que l’on continue de crier et de frapper. La porte est enfoncée.

 

 

Scène XVI

 

SAINT-AMOUR, LE PERRUQUIER, LOLOTTE, ensuite VANDERSTRONK

 

SAINT-AMOUR.

Eh bien ! et notre entrée !... c’est indécent !...

TOUS.

Air du galop des Diamants de la Couronne.

Ah ! quel événement !
Ah ! c’est affreux, vraiment !
L’honneur de l’Opéra
En souffrira !

SAINT-AMOUR.

Où donc est-elle ?...

TOUS.

Disparue !...

LOLOTTE, accourant.

Qui donc... Sallé ?...

VANDERSTRONK, entrant par le petit escalier.

Enlevée !...

TOUS.

Enlevée !...

LOLOTTE.

Enlevée !... Et par qui ?...

VANDERSTRONK.

Est-ce que je sais ?... Un scélérat qui étouffait ses cris... un homme affreux !... d’une taille gigantesque ! Je suis arrivé juste pour les voir partir... dans ma voiture !

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah !

VANDERSTRONK.

Dieu ! si je pouvais les rejoindre !... quel éclat !...

SAINT-AMOUR.

Oui, oui, riez !... et notre pas !... et le ballet !... et le roi !... Dieu ! s’il savait !... N’en dites rien !

LOLOTTE.

Au contraire !... Allez le publier dans toute la salle... du parterre au paradis... Annoncez sur le théâtre que la représentation est interrompue par l’enlèvement de Mademoiselle Sallé.

VANDERSTRONK.

Oui, mais il faut courir après elle !

LOLOTTE.

Allons ! Triton, en route ! à cheval !

SAINT-AMOUR.

Voyons, qu’on me débarrasse de ce costume.

LOLOTTE.

Et non, non, vite un manteau... S’il le faut, tu la poursuivras jusqu’à Londres !

Ensemble.

SAINT-AMOUR.

Ah ! quel événement !
Ah ! c’est affreux, vraiment !
L’honneur de l’Opéra
En souffrira.

VANDERSTRONK.

Ah ! quel événement
Pour le cœur d’un amant !
L’auteur de ce tour-là
Me le paiera.

LOLOTTE.

Heureux événement !
Tout va bien, c’est charmant.
Quand le roi le saura,
Qu’il en rira !

LE CHŒUR.

Ah ! quel événement !
De cet enlèvement
Longtemps on parlera
À l’Opéra.

Pendant l’ensemble, on jette un manteau sur les épaules de Saint Amour, et Lolotte lui donne la bourse de Vanderstronk. Le rideau tombe sur ce désordre.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente un salon élégant. Trois portes au fond ; l’entrée principale au milieu. Une porte à gauche, au premier plan. À droite, une armoire. Près de la porte à gauche, une petite table couverte de papiers, et tout ce qu’il faut pour écrire.

 

 

Scène première

 

LORD BERESFORD, UN DOMESTIQUE, puis LE CHEVALIER DE MAILLY

 

LORD BERESFORD, entrant, au domestique.

Eh oui, cette dame... cette Française, Mademoiselle Sallé...

LE DOMESTIQUE.

Je ne la connais pas.

LORD BERESFORD.

Descendue hier au soir à Piccadilly, dans cet hôtel...

LE DOMESTIQUE.

Ah !... et qui, à peine arrivée, m’a envoyé louer une loge au théâtre de Drury-Lane ?

LORD BERESFORD.

C’est cela même.

LE DOMESTIQUE.

Elle est sortie, Milord.

LORD BERESFORD.

Sortie !... ce matin !... déjà !... Eh ! vite, mon nom...

Il s’assied.

Dieu ! quelle joie pour les journaux de l’opposition, si l’on pouvait me voir, moi, un ministre, en bonne fortune manquée !...

Il écrit. Le Chevalier entre vivement et va pour pénétrer chez Mademoiselle Sallé.

LE DOMESTIQUE.

Où va Milord ?

LE CHEVALIER.

Drôle ! je ne suis pas un milord... je suis un Français... arrivé hier au soir... J’entre chez Mademoiselle Sallé.

LORD BERESFORD.

Quelqu’un !

LE DOMESTIQUE.

Ah ! cette dame... Elle est sortie.

LE CHEVALIER.

Sortie ?

LE DOMESTIQUE.

Oui, Milord.

Il sort.

LE CHEVALIER.

Milord ! milord !... si tu m’appelles encore comme ça, je te coupe une oreille !...

S’asseyant du côté opposé à Beresford.

Sortie ! sortie !

LORD BERESFORD, sans se lever.

Cela vous contrarie, Monsieur ?

LE CHEVALIER, se levant à moitié.

Un étranger !... Pardon... Monsieur attend Mademoiselle Sallé ?

LORD BERESFORD.

Moi ?... non... c’est-à-dire, oui... pour une affaire importante.

LE CHEVALIER.

Monsieur est peut-être du théâtre de...

LORD BERESFORD, vivement.

Drury-Lane... Oui, Monsieur, vous avez deviné juste.

LE CHEVALIER, à part, s’asseyant.

C’est quelque danseur.

À lui-même.

Où est-elle, si matin !... à Londres... où elle ne connaît personne ?... Pourquoi ce mystère ?...

LORD BERESFORD, s’approchant.

Le fait est que cela pourrait faire supposer des choses... Une danseuse !

LE CHEVALIER, se levant.

N’est-ce pas, Monsieur ?... Que diable ! on ne sort pas à huit heures du matin pour danser !... et puis, elle soutiendra que sa vertu...

LORD BERESFORD.

Allons donc !... c’est une plaisanterie.

LE CHEVALIER.

Eh bien ! non... je la crois... parole d’honneur !...

LORD BERESFORD.

Ah bah !... vous avez des preuves ?...

LE CHEVALIER.

Parbleu !... et, malgré cet enlèvement...

LORD BERESFORD.

Elle a été enlevée ?...

LE CHEVALIER.

Eh oui... vous ne saviez donc pas ?... enlevée par m...

Se reprenant.

par un de mes amis...

À part.

Diable ! le rôle n’est pas assez beau pour m’en vanter !

LORD BERESFORD, à part.

Voilà un gentleman qui a la langue facile... Tant mieux !

Haut.

Ah ! enlevée par un de vos amis... Je lui en fais mon compliment.

LE CHEVALIER.

Il n’y a pas de quoi !... Figurez-vous qu’il était amoureux de Sallé... amoureux fou !... mais pas moyen, là, vrai !... Alors, ma foi...

LORD BERESFORD.

Il l’enlève... pour en finir ?

LE CHEVALIER.

Voilà ce qui vous trompe... ça n’a rien fini du tout.

LORD BERESFORD.

Allons donc !

LE CHEVALIER.

C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire.

LORD BERESFORD.

Air du vaudeville de Partie et Revanche.

Vous plaisantez, la chose est sûre :
Car, de la veille au lendemain,
À ses côtés, dans la voiture,
Il a dû faire son chemin.

LE CHEVALIER.

Il le croyait, l’espérait... mais en vain :
Le malheureux, banni par elle,
Sur le siège dut se percher ;
Et, parti l’amant de la belle,
En arrivant n’était que son cocher.

LORD BERESFORD, riant.

Ah ! ah ! ah !...

LE CHEVALIER, avec humeur.

Vous trouvez cela plaisant, Monsieur ?

LORD BERESFORD.

Pour votre ami...

À part.

et rassurant pour moi.

Haut.

Mais, une fois en mer...

LE CHEVALIER.

Rien !...

LORD BERESFORD.

Mais, enfin, à Londres ?...

LE CHEVALIER.

Rien !... Elle s’enferme, sans qu’on puisse pénétrer chez elle... elle sort, sans qu’on puisse la suivre...elle s’entoure de mystère... et mon ami passe son temps à enrager !

LORD BERESFORD, à part.

Son ami, c’est lui.

Haut.

Alors, mon cher Monsieur... je vous prie de dire à votre ami toute la part que je prends à son bonheur... Ah ! ah ! ah !

LE CHEVALIER, passant à gauche.

Hein ?...

Il regarde Beresford, qui le salue du fond et sort en riant.

LORD BERESFORD, à part, en sortant.

Je serai plus heureux, foi de ministre.

 

 

Scène II

 

LE CHEVALIER, seul

 

Il se moque de moi !... Et que serait-ce donc à Paris... à Versailles... si l’on savait... Personne ne me reconnaîtrait là... Je le crois bien, je ne me reconnais pas moi-même... Moi, qui aurais tout brisé, pour arriver jusqu’à elle... cris, larmes, prières, rien ne m’aurait retenu... et je me soumets, je lui obéis, je n’ai pas d’autre volonté que la sienne !... Ah ! c’est que je l’aime cent fois davantage... c’est que je suis...

Les yeux fixés sur la table.

Eh mais ! ce papier... son écriture !...

Lisant.

Grand Dieu !

 

 

Scène III

 

LE CHEVALIER, SALLÉ, LE DOMESTIQUE

 

SALLÉ, en dehors.

Eh ! non, vous dis-je ! non, je n’y suis pour personne !

LE DOMESTIQUE.

Mais, Madame...

SALLÉ, paraissant.

Et pas plus pour ce Français que pour un autre.

LE CHEVALIER, cachant le papier.

Que dit-elle ?

SALLÉ, entrant.

Ma porte est fermée à tout le monde.

LE CHEVALIER.

Même à moi ?...

SALLÉ.

Le chevalier !

LE DOMESTIQUE.

Là ! vous voyez bien, Milord...

LE CHEVALIER.

Encore !... Ah ! drôle !...

Le domestique sort en courant.

SALLÉ.

Toujours le même, chevalier... à Paris, à Londres...

LE CHEVALIER.

C’est que vous me rendez fou, à Londres comme à Paris.

SALLÉ.

Le voyage aurait dû vous rendre raisonnable.

LE CHEVALIER.

Ah ! oui, mon voyage, parlons-en !... Où cela m’a-t-il mené ?

SALLÉ.

Eh ! mais... en Angleterre.

LE CHEVALIER.

Oui, en Angleterre, où vous me faites jouer le rôle de...

SALLÉ.

L’amant le plus respectueux...

LE CHEVALIER.

Et le plus bête... et, à moins que je ne vous aie enlevée pour un autre...

SALLÉ.

Ce serait piquant !

LE CHEVALIER.

Ce serait affreux !... Mais je ne serai pas votre dupe !... il y a ici un mystère...

SALLÉ.

C’est possible.

LE CHEVALIER.

Je le pénètrerai !

SALLÉ.

Vous ne pénètrerez rien du tout.

LE CHEVALIER.

Et, déjà, je sais où vous êtes allée hier... Lorsque vous m’envoyiez vous retenir une loge à Covent-Garden... vous alliez, en secret, à Drury-Lane !

SALLÉ, riant.

Vrai ?... vous savez ?...

LE CHEVALIER.

Et, ce matin, pourquoi êtes-vous sortie en secret ?...

SALLÉ.

Mais, pour me promener, peut-être.

LE CHEVALIER, regardant de côté le papier.

Peut-être, pour rendre visite au n° 7.

SALLÉ, avec effroi.

Hein !... que voulez-vous dire ?

LE CHEVALIER.

À moins que vous n’ayez eu un rendez-vous avec le zéro.

SALLÉ, à part.

Ô ciel !...

Haut.

Je ne vous comprends pas.

LE CHEVALIER.

Ni moi, non plus... Aussi, je comptais sur vous pour m’expliquer cette lettre, dont le début promet...

SALLÉ.

Cette lettre ?... Ah !... c’est ce qui vous a appris...

Riant.

Ah ! ah ! ah !

LE CHEVALIER, lisant.

« Ma chère Lolotte... »

S’interrompant.

Quelle confidente !... « en arrivant à Londres, j’ai vu votre n° 7... Il est pressant... il veut absolument venir chez moi... mais je refuse... car je sens que sa visite me coûterait trop cher !... Cependant, il faudra bien que je le voie avant que le zéro soit arrivé ; mais j’espère que le n° 3 le retiendra longtemps encore en France... » 7, zéro, 3... quels sont ces gens-là ?

SALLÉ.

Devinez. Puisque vous vous êtes permis de lire cette lettre, qui n’était pas pour vous, je n’ai rien de plus à vous dire... supposez tout ce que vous voudrez.

LE CHEVALIER, se calmant.

Eh bien ! non, je croirai tout... Parlez... Doutez-vous de ma discrétion ?... Je vous jure...

SALLÉ.

Oui, comme hier, de rester muet... et, grâce à vos bavardages, au théâtre de Covent-Garden...

LE CHEVALIER.

J’étais placé, à l’orchestre, entre deux inconnus. Ainsi...

SALLÉ.

Voici un journal qui annonce mon arrivée à Londres.

LE CHEVALIER.

Ah bah !... J’y suis : mon voisin de droite était un journaliste !...

SALLÉ.

Un instant après, le régisseur m’écrivait pour m’offrir un engagement.

LE CHEVALIER.

C’était mon voisin de gauche !. C’est étonnant comme tout se sait ! SALLÉ.

C'est extraordinaire... avec des gens qui disent tout !

LE CHEVALIER.

Je dis tout !... je dis tout, parce que je ne sais rien.

SALLÉ.

Et si de ce mystère dépendaient votre avenir, votre avancement, votre bonheur ?

LE CHEVALIER.

Mon bonheur ?... Ce n’est pas le plus difficile.

SALLÉ.

Soyez discret... fiez-vous à moi... et bientôt je vous réponds du reste...

LE CHEVALIER.

Bientôt ?... Eh bien ! soit !... j’attendrai... Mais si vous me trompez, prenez garde... votre n° 7, votre 3, votre zéro, je les envoie à tous les diables !... et je vous r’enlève... pour Édimbourg, Stockholm, Saint-Pétersbourg... ça m’est égal !

SALLÉ.

Et moi aussi.

LE CHEVALIER.

C’est cela, partons !

SALLÉ, riant.

Partons !... partons !... c’est très bien... Mais de l’argent ?...

LE CHEVALIER.

Ah ! vous m’y faites penser... J’ai reçu ce matin un mot de sir Yorick, un banquier de Londres...

SALLÉ, à part.

Ah ! déjà !

LE CHEVALIER.

Que je ne connais pas, et qui m’offre de l’argent !

SALLÉ, souriant.

Il paraît qu’il ne vous connaît pas non plus.

Haut.

Et vous acceptez, n’est-ce pas ?

LE CHEVALIER.

Parbleu !... Je cours chez lui... je reçois son or... je lui fais un billet... un de plus... et je vous r’enlève... c’est convenu.

Il sort rapidement.

 

 

Scène IV

 

SALLÉ, seule

 

Ce pauvre chevalier, comme il m’aime !... comme il me respecte !... un peu trop, peut-être : c’est presque de l’impertinence !... Me voilà donc à Londres, moi, Sallé, danseuse de l’Opéra de Paris, ambassadeur extraordinaire de S. M. le Roi très chrétien, chargée de faire un traité de commerce entre la France et l’Angleterre... Tire-toi de là, ma pauvre fille !... comme tu pourras... avec de l’adresse, de l’esprit, du génie ou du hasard... ça ne fait rien, tout est bon,

Elle s’assied à gauche.

pourvu que j’exécute à la lettre les instructions que j’ai trouvées ici en arrivant...

Lisant.

« Il faut voir lord Beresford avant que l’envoyé de Hollande soit à Londres. »

S’interrompant.

C’est fait... Quelle bonne inspiration j’ai eue d’aller hier à Drury Lane ! Aussitôt qu’il m’a aperçue, avec quel empressement il a quitté premiers mots, il m’a confié qu’il était plus amoureux que jamais... Confiance qui me touche, et dont j’abuserai. Il peut compter là-dessus... J’aurais même commencé tout de suite, si on n’était venu brusquement l’avertir de je ne sais quelle affaire pressée...

Lisant.

« Le traité de commerce dépend de ce jeune ministre... Il faut donc capter sa bienveillance... »

S’interrompant.

Capter !... petit mot fort honnête, qui signifie une foule de choses... dans un autre genre...

Continuant.

« Emparez- vous de lui, coûte que coûte !... si cher que ça !... Vertu de ma mère ! M. de Choiseul, vous en parlez bien à votre aise... On dirait que vous n’avez protégé ma vertu autrefois, que pour en faire plus tard un enjeu diplomatique... Avec ça que lord Beresford ne plaisante pas... et, s’il vient ici malgré moi !... s’il me trouve seule !... il m’attaquera, je me défendrai, c’est dans l’ordre... Mais ce sera une lutte, un combat... et à quoi tient le sort des batailles !...

Air : Au temps heureux de la chevalerie.

Aussi, pourquoi me mêler des affaires,
Moi, pauvre femme, au cœur faible et léger ?...
Les diplomates ordinaires
N’ont pas à craindre un semblable danger.
Que ces messieurs sont heureux, quand j’y pense !
Aucun d’entre eux n’est ainsi combattu...
Eh ! mais, que dis-je ?... ils ont leur conscience,
Qui ne vaut pas mieux que notre vertu.
Que dis-je, hélas ! ils ont leur conscience,
Qui ne vaut pas mieux que notre vertu.

Et cependant, il faut que je le revoie avant l’arrivée de Vanderstronk... Heureusement, j’ai pris l’avance sur celui-ci, et M. de Choiseul aura eu l’esprit de le retenir au moins vingt-quatre heures.

Riant.

Ce cher Vanderstronk !... où peut-il être, maintenant ?... À Calais... en mer... ou encore à Paris, à soupirer sous ma fenêtre... ah ! ah ! ah !... Pauvre Hollandais !

UN DOMESTIQUE, annonçant.

M. Vanderstronk !

SALLÉ, à part.

Ciel !... Il est arrivé !

 

 

Scène V

 

SALLÉ, VANDERSTRONK

 

VANDERSTRONK, entrant.

Qu’avez-vous fait de ma voiture ?

SALLÉ.

Vous ! vous, ici ! à Londres !... Vous m’avez donc poursuivie ?

VANDERSTRONK.

À franc étrier !...

SALLÉ, à part.

Tout est perdu !...

Haut.

Et vous êtes arrivé ?

VANDERSTRONK.

Hier, dans la soirée.

SALLÉ, à part.

Il n’a pas vu le ministre !

VANDERSTRONK.

Ce matin, en me réveillant, je lis dans le Morning-Post que la Sallé est à Londres... Alors, je me lève vivement, je mets tous mes gens en campagne ; et, moi-même, je cours les hôtels comme un simple agent de la police anglaise, demandant à toutes les portes : La Sallé est-elle ici ?... Avez-vous vu la Sallé ?...

S’interrompant.

Mais lui, il vous a rattrapée, sans doute ?

SALLÉ.

Qui, lui ?

VANDERSTRONK.

Eh bien ! ce danseur, qui me précédait à cheval... Ce Saint-Amour...

SALLÉ.

Saint-Amour... je ne l’ai pas vu.

VANDERSTRONK, avec indifférence.

Ah !... il aura péri en route... ça ne fait rien... Enfin, sur quelques renseignements, je vous découvre... et je vais prendre ma revanche, vertu dieu !... Je cours de ce pas chez le ministre, je lui apprends que vous avez été victime d’un enlèvement... La police fera une descente dans cet hôtel, et mettra la main sur votre ravisseur.

SALLÉ, à part.

Ah ! grand Dieu !... ce pauvre chevalier !...

Haut.

Arrêtez !... qu’allez-vous faire ?

VANDERSTRONK.

Obtenir vengeance du misérable, de l’infâme qui...

SALLÉ.

Chut !...

À part, se décidant.

Ah ! ma foi !... il s’agit de mentir !

VANDERSTRONK.

Mais, enfin...

SALLÉ, haut.

Chut !... il est là... il dort.

VANDERSTRONK.

Ah ! il est là... et il dort... et vous osez me dire...

SALLÉ.

Silence, malheureux !... C’est mon mari !

VANDERSTRONK.

Votre !... Ah bah !... Mais vous n’êtes donc plus demoiselle ?...

SALLÉ, soupirant.

Ah !

VANDERSTRONK, d’un air dolent.

Tiens ! tiens ! tiens !...

SALLÉ.

J’ai un mari.

VANDERSTRONK.

Ah ! c’est juste... ça fait compensation... Mais comment se fait-il...

SALLÉ, à part.

Ah diable !...

VANDERSTRONK.

Comment se fait-il...

SALLÉ.

Comment se fait-il ?...

À part.

Si je sais ce que je vais lui dire...

VANDERSTRONK.

Hein ?

SALLÉ, cherchant.

Voici ce que c’est... J’étais jeune... oh ! bien jeune... et un Anglais... un artiste... me faisait la cour... ici, à Londres... où je dansais... en congé...Vous comprenez ?

VANDERSTRONK.

Parfaitement.

SALLÉ, à part.

Il est plus heureux que moi !

VANDERSTRONK, à part.

Quelle diable d’histoire me fait-elle là ?...

Haut.

Après ?

SALLÉ.

Après ?... Il était entreprenant... joli garçon... et...

Le regardant.

J’ai toujours eu un faible pour les jolis garçons.

VANDERSTRONK.

Eh ! eh ! eh ! merci, petite... Après ?

SALLÉ.

Après ?... Dame ! un soir... qu’il faisait noir... il se glissa pour me voir...

VANDERSTRONK.

Aïe !

SALLÉ.

Vous y êtes !... Mon père... j’avais un père...

VANDERSTRONK.

Ah ! le petit...

SALLÉ.

Mon père arriva... Il était brutal, il voulut tuer le jeune homme... Nos larmes l’attendrirent... Il nous maria... mais à une condition... c’est qu’on n’en saurait rien à Paris, où j’avais une réputation de vertu... qui faisait ma fortune !... et, pour cela, mon mari devait rester ici, à Londres... Vous comprenez ?...

VANDERSTRONK.

Parfaitement !...

À part.

Ah ça ! quelle diable d’histoire...

SALLÉ.

Mais il a su que vous me faisiez la cour... et... jaloux comme tous les maris... il est venu m’enlever à Paris... malgré moi... malgré mes larmes !... Heureusement, je savais que je vous retrouverais à Londres... Alors, ma foi, je me suis laissé faire... et j’ai même trouvé plaisant de partir dans votre voiture... où tout vous rappelait à moi !... C’était un commencement de vengeance.

VANDERSTRONK.

Ah ! oui ! ah ! oui !... et tu n’en resteras pas là.

SALLÉ.

Dame ! si vous voulez ameuter la police, faire du scandale...

VANDERSTRONK.

Eh ! non ! Je te pardonne... je me moque de... Est-il fort, ton mari ?...

SALLÉ.

Il vous tuerait d’un coup de poing.

VANDERSTRONK.

Ah ! c’est une jolie force... Et il est là ?...

SALLÉ.

Il repose... Aussi, j’allais vous écrire à l’ambassade de Hollande, pour vous donner un rendez-vous... Mais, vous n’êtes peut-être pas libre...

VANDERSTRONK.

Si fait ! si fait !... jamais trop tôt !... ah ! ah ! ah !

SALLÉ.

Mais les affaires d’état... ce traité...

VANDERSTRONK.

C’est fait.

SALLÉ, à part.

Juste ciel !

VANDERSTRONK.

J'ai vu hier le ministre, dès mon arrivée... Il était au spectacle, à Drury-Lane... dans la loge de sa maîtresse, je crois...

SALLÉ, à part.

Merci !

VANDERSTRONK.

Je lui ai envoyé un exprès, et il est venu sur-le-champ.

SALLÉ, étourdiment.

Ah ! c’est vous, qui...

VANDERSTRONK.

Hein ?...

SALLÉ, à part.

Maladroite je ne l’ai pas retenu !

VANDERSTRONK.

Nous nous sommes enfermés ensemble... en deux heures, le traité que j’apportais a été examiné, débattu...

SALLÉ, vivement.

Et signé ?

VANDERSTRONK.

Non, pas encore.

SALLÉ, à part.

Ah ! je respire !

VANDERSTRONK.

Cela n’a tenu qu’à un seul article... sur lequel je céderai... et nous avons pris rendez-vous pour aujourd’hui, à midi.

SALLÉ, à part.

Ça va mal !...

Haut.

Pour... signer ?

VANDERSTRONK.

Oui, oui... un triomphe complet, ma chère... Je suis heureux en tout.

SALLÉ.

Peut-être...

Vanderstronk la regarde.

Mon Dieu, oui... midi est justement l’heure que je voulais vous donner... je n’en ai pas d’autre... Mais vous ne pouvez pas laisser là un ministre pour une dans...

VANDERSTRONK.

Eh ! rien de plus facile... Je vais écrire au ministre.

SALLÉ, avec joie.

Vrai ?...

VANDERSTRONK.

Pour avancer le rendez-vous.

SALLÉ, à part.

Ah diable !... Si je ne fais pas un coup de tête, nous sommes perdus !

VANDERSTRONK.

Allons, au revoir.

SALLÉ.

Eh ! non !... ici... tenez, ici... voici tout ce qu’il vous faut.

VANDERSTRONK.

Comment ! tu veux...

SALLÉ.

Ah ! c’est que j’y tiens tant !...

VANDERSTRONK.

Bonne petite !

Il se met à la table et écrit.

SALLÉ, tirant furtivement de sa poche un petit carnet.

Quelle heure allez-vous donner à ce petit Beresford ?

VANDERSTRONK.

Tu le connais ?

SALLÉ.

Un peu... Il vient me faire la cour... il a déjeuné ce matin ici... en tiers avec mon mari...

VANDERSTRONK.

Vrai ?... un petit fat...

SALLÉ.

Qui se moque des Hollandais...

VANDERSTRONK.

Corbleu !... Qui t’a dit cela ?

SALLÉ.

Je l’ai entendu... Les Hollandais, disait-il, en fait de politique, font supérieurement les fromages.

VANDERSTRONK.

L’insolent !

SALLÉ, à part.

Bon ! voilà la guerre allumée !

VANDERSTRONK.

Mais, je lui prouverai... Ah ! il veut te faire la cour ?... Eh bien ! il sera... comme ton mari... Hi ! hi ! hi !

SALLÉ.

Comment ?... ah ! oui, ah ! oui !

VANDERSTRONK, écrivant.

Milord, je vous verrai au Foreing-Office, à onze heures.

SALLÉ, qui a écouté, écrivant de son côté, au crayon.

Milord, à onze heures je vous attends.

VANDERSTRONK.

Attendez-moi...

SALLÉ.

Venez...

VANDERSTRONK.

J’accorde tout.

SALLÉ.

J’accorde...

S’arrêtant.

rien du tout !

VANDERSTRONK.

Et nous signerons.

SALLÉ, à part.

Ah ! mon Dieu ! moi qui ai refusé de le recevoir ici... vu le danger !...

VANDERSTRONK, pliant la lettre.

Et à midi je suis à toi...

SALLÉ, à part, se décidant.

Ô mon pays !... c’est pour toi que je me risque !

Haut.

Eh ! vite, votre lettre sous cette enveloppe.

Pendant que Vanderstronk prépare son cachet, elle froisse la lettre qu’il vient d’écrire.

Billet de Vanderstronk...

Elle glisse son propre billet sous l’enveloppe.

Billet de Sallé... Le tour est fait !

Elle sonne.

VANDERSTRONK.

Donne, que je mette la suscription.

SALLÉ, au domestique qui entre.

Une bougie !

Lisant par dessus l’épaule de Vanderstronk qui écrit.

À sa seigneurie, lord Beresford.

VANDERSTRONK, par réminiscence.

Ah ! j’ai oublié la date.

Il va pour ouvrir l’enveloppe.

SALLÉ.

Inutile !... je vais expédier un de mes gens.

VANDERSTRONK.

Comment ! tu serais assez bonne...

SALLÉ.

C’est mon affaire, ça me regarde... Adieu.

Fausse sortie.

VANDERSTRONK.

À bientôt à midi !...

SALLÉ, revenant.

Ah ! surtout, trouvez-vous exactement chez le ministre à onze heures précises.

VANDERSTRONK.

Oh ! je t’en réponds.

SALLÉ.

Et s’il n’y est pas, attendez-le... attendez-le longtemps.

VANDERSTRONK.

Il y sera... si, après mon billet, il ne s’y trouvait pas, ce serait une offense des plus graves !...

SALLÉ.

Vraiment ?...

À part.

Ça va bien ! ça va très bien !

VANDERSTRONK.

Adieu, Fanny.

SALLÉ, sur le seuil de la porte.

Adieu... Ernest !

Elle disparaît.

 

 

Scène VI

 

VANDERSTRONK, seul

 

Elle l’a dit !

Il court à la porte et essaie de l’ouvrir.

Ah ! après un mot comme celui-là, tu as bien fait de t’enfermer, malheureuse !... Ventre saint-gris !...

Bruit éloigné.

Mais mon rendez-vous approche, et il faut...

On entend des cris qui partent du dehors.

Hein !... qu’est-ce que c’est ?...

Regardant par la fenêtre.

Un homme qu’on poursuit !... la foule entoure l’hôtel... Tudieu ! si on entrait... si on me surprenait chez une sauteuse, que penserait mon gouvernement ?

Il va gagner le fond, quand Saint-Amour, toujours en triton, paraît à la fenêtre et saute sur le théâtre. Poussant un grand cri.

Ah !

SAINT-AMOUR, effrayé, et répondant au cri.

Oh !

Vanderstronk sort au fond, en courant. En même temps le Chevalier paraît au fond, à gauche, l’épée à la main.

 

 

Scène VII

 

SAINT-AMOUR, LE CHEVALIER

 

SAINT-AMOUR.

Où suis-je ?...

Apercevant le Chevalier qui entre par la porte de gauche.

Oh ! encore un Anglais !

LE CHEVALIER, son épée à la main.

Ne craignez plus rien ; on a fermé les portes... le danger est passé.

SAINT-AMOUR.

Ah !... Chevalier, si vous ne vous étiez pas trouvé là, dans la rue, pour me protéger, ces gredins-là m’assommaient... Et c’est l’Angleterre, ça ?... Ah ! les gueux ! comme ils m’ont arrangé !

LE CHEVALIER, riant.

Cette figure ! ce costume !...

SAINT-AMOUR, avec colère.

Ça le fait rire !

LE CHEVALIER.

Et pourtant, je n’en ai guère envie...

SAINT-AMOUR.

Ça le fait rire !...

LE CHEVALIER, à part.

Morbleu ! je suis enchanté qu’il arrive... il pourra m’être utile.

Haut.

Mais, pourquoi venez-vous à Londres dans ce négligé mythologique ?

SAINT-AMOUR.

Pourquoi ?... C’est de votre faute !

LE CHEVALIER.

De ma faute ?

SAINT-AMOUR.

Certainement... Après l’enlèvement de Sallé, on demande un homme de bonne volonté pour courir après son ravisseur, et tout de suite... ça pressait... On me jette un manteau, on me hisse sur un cheval... et que ! cheval !... des os, des os... Il n’était bon qu’à écorcher... c’est ce qu’il faisait, le malheureux, à mes dépens ! la partie était entamée... entre nous... Je lui flanquais de l’éperon, il me flanquait des ruades, le gueusard ! et, de ruade en ruade, il me fit faire trois lieues en douze heures.

LE CHEVALIER.

Bref ?

SAINT-AMOUR.

Bref ?... Je le veux bien, mais vous y perdez des détails... cuisants. Bref donc ! Au second relai, j’étais en hachis, et, pour vous poursuivre, je pris une chaise de poste... Arrivé à Calais...

LE CHEVALIER, avec satisfaction.

Ah !...

SAINT-AMOUR.

Je cours aussitôt chez un fripier, pour me vêtir plus décemment... Je choisis à la hâte habit, veste...

LE CHEVALIER.

Et cætera.

SAINT-AMOUR.

Oui. Le vaisseau allait partir, j’emporte le paquet... j’arrive, il était temps ! on mettait à la voile, on était en mer... Il fallait faire un saut... j’étais là. Je m’élance d’un bond sur le tillac...

LE CHEVALIER.

Bravo !

SAINT-AMOUR.

Mais, dans le mouvement que je fis pour sauter, va te promener le paquet ! il tombe dans la mer et... il y est encore...

Le Chevalier rit.

Merci !... Me voilà condamné à faire la traversée en maillot... et, avec ça, pas mal incommodé par le roulis.

LE CHEVALIER.

Ah ! délicieux ! un triton pris du mal de mer ! Bref ?

SAINT-AMOUR.

Bref ?... Je le veux bien encore... mais vous y perdez des détails... nautiques... Enfin, je suis dans la Tamise, je vois Londres, je me crois au bout de mes peines ; je t’en fiche ! on me fait d’abord passer au bureau de la douane, pour me fouiller... me fouiller !... J’ai beau leur dire : Pas de poche ! rien qu’un maillot !... ils me démaillotent... C’est indécent, parole d’honneur !

LE CHEVALIER.

Ah !

SAINT-AMOUR.

Bien mieux ! n’ont-ils pas trouvé moyen de m’accuser de contrebande !

LE CHEVALIER.

Vraiment ?

SAINT-AMOUR.

Mes mollets, qui étaient en soie et de fabrique française !

LE CHEVALIER.

Vos mollets ?

SAINT-AMOUR.

Ils voulaient les confisquer. Hein ? est-ce que ce n’est pas une atrocité ?... C’était l’instant de me montrer.

LE CHEVALIER.

Vous vous sauvez.

SAINT-AMOUR.

Mais voilà bien une autre histoire : un hourra général s’élève ; on me tire par la queue, on me prend par les nageoires, et des cris ! c’est un poisson ! c’est un marsouin ! un saumon ! à l’eau ! à l’eau ! Et Dieu sait si j’allais la danser, sans vous, qui les mainteniez à la porte, tandis que je grimpais par la fenêtre ! Et voilà, cher ami, le récit détaillé des aventures malheureuses d’un triton de l’Opéra, sur terre et sur mer.

LE CHEVALIER, riant.

Fils d’Amphitrite, je suis ravi de vous avoir été bon à quelque chose.

SAINT-AMOUR.

Mais où m’avez-vous donc amené ?

LE CHEVALIER, d’un air de confidence.

Où ?... chez Mademoiselle Sallé.

SAINT-AMOUR.

Bah !

LE CHEVALIER.

Qu’est-ce qui vous prend ?

SAINT-AMOUR.

Qu’est-ce qui ?... Mais je vous trouve à croquer sur le pouce, cher ami... Après ce qui s’est passé !...

LE CHEVALIER.

Il ne s’est rien passé, malheureusement !

SAINT-AMOUR.

Rien ?... Allons donc !

LE CHEVALIER.

Elle se joue de moi à Londres, comme elle se moquait de vous à Paris.

SAINT-AMOUR.

Vrai ? Ah ! tant mieux !

LE CHEVALIER.

Je suis sur la trace d’une intrigue... Hier, à Covent-Garden, elle était dans une loge avec le ministre, lord Beresford...

SAINT-AMOUR.

Elle nous tromperait tous les deux !... nous, qui l’aimons !... Ah ! je vais aller la trouver et je lui dirai...

LE CHEVALIER, l’arrêtant.

Non, mieux que cela !... Restez, vous... il faut que j’aie une explication avec un rival...

SAINT-AMOUR.

Vous allez vous battre ? Bravo !

À part.

S’ils pouvaient se tuer tous les deux !

LE CHEVALIER.

Vous, pendant ce temps, surveillez-la, épiez ses démarches, sans être vu d’elle.

Il ouvre la porte à gauche.

SAINT-AMOUR.

Oui, oui...

LE CHEVALIER.

Entrez chez moi... vous y trouverez habit, veste... et cætera...

SAINT-AMOUR, résistant.

Mais je veux...

LE CHEVALIER.

Entrez donc !...

Il le saisit à bras-le-corps, le jette dans la chambre et ferme la porte.

Ah ! je puis la laisser seule à présent.

Il va pour sortir.

 

 

Scène VIII

 

LE CHEVALIER, SALLÉ

 

SALLÉ, tenant des papiers.

Quel bruit !...

Le voyant.

Ah ! c’est vous !...

Allant à lui.

Déjà rentré ?... Est-ce que vous n’avez pas trouvé le banquier ?

LE CHEVALIER.

Si fait !... Je sais tout... il m’a tout dit... Je cours de ce pas chez lord Beresford !...

SALLÉ.

Chez le ministre ?

LE CHEVALIER.

Je lui demande raison de son amour, je le provoque... et, si je ne le trouve pas, je lui laisserai mon nom, avec la demande d’une explication.

SALLÉ.

Comment ?...

LE CHEVALIER.

Et ce n’est pas tout, je vous le déclare... Si vous recevez ici qui que ce soit, Anglais, Hollandais, ceux qui entreront, ceux qui sortiront, je le saurai, et je les tuerai tous !... Adieu !

Il sort.

 

 

Scène IX

 

SALLÉ, seule, imitant le ton du chevalier

 

Et je les tuerai tous !... C’est qu’il en est capable...

Se rassurant.

Onze heures !... Il ne le trouvera pas... Oh ! mais, c’est égal... Mon Dieu ! quel métier que celui de danseuse en mission extraordinaire !... Enfin, ce qui me soutient dans ma nouvelle carrière, c’est que je travaille pour mon pauvre chevalier... Et, d’abord, ces papiers, que je viens de recevoir... La copie du traité, des lettres de créance en blanc... On m’indique, à Londres, le marquis de Guerchy, le comte de... Non pas.

Écrivant.

Mon noble chevalier de Mailly, je le fais ambassadeur d’emblée !... Il est bien fou... mais bien gentil... Il tuerait tout le monde pour moi !

 

 

Scène X

 

SALLÉ, LORD BERESFORD

 

LORD BERESFORD, s’approchant furtivement et lui saisissant la taille.

Il est onze heures !

SALLÉ, vivement.

Ah ! vous avancez !

LORD BERESFORD.

C’est possible... Quand on est sûr d’être heureux...

Mouvement de Sallé.

Ah ! c’est convenu ! Un rendez-vous, c’est un engagement.

SALLÉ.

Mais...

LORD BERESFORD.

J’ai fait mes conditions d’avance : Ne l’avez-vous pas entendu ainsi ?... Alors, je me retire.

SALLÉ.

Non ! restez, Milord.

À part.

Ah ! mon Dieu ! le moyen de me tirer de là !

LORD BERESFORD.

Sais-tu que, pour toi, j’ai laissé les affaires, les conférences ?... que j’ai envoyé, promener la Hollande et son représentant ?

SALLÉ.

C’est fort honnête à vous.

LORD BERESFORD.

Pas pour lui. Eh ! mais, à propos, comment se fait-il donc que j’aie reçu ton billet sous les armes de l’envoyé hollandais ?

SALLÉ.

Bah ! vraiment ? vous avez remarqué...

LORD BERESFORD.

Sans doute.

SALLÉ.

C’est que...

À part.

Ah diable !

Haut.

C’est que... pendant que je vous écrivais... il était ici... car il me faisait la cour à Paris... je n’avais pas de cachet sous la main... et le sien...

LORD BERESFORD.

Je comprends. Mais, alors, friponne, que faisait donc auprès de toi ce gros Hollandais ?

SALLÉ.

Il m’ennuyait.

LORD BERESFORD.

Bien sûr ?... Et la preuve ?

SALLÉ.

La preuve ?... c’est que je vous écrivais...

LORD BERESFORD.

Charmante !

SALLÉ.

Et puis, il devait se rencontrer chez moi avec un Français, qui demeure dans l’hôtel... Un chevalier de Mailly, je crois.

LORD BERESFORD.

Le chevalier de Mailly... celui qui a publié partout ton arrivée à Londres ?

SALLÉ.

Lui-même.

LORD BERESFORE.

Ah ça ! mais, qu’avaient-ils à te dire, tous deux ensemble ?

SALLÉ.

Oh ! rien... c’est un secret entr’eux, une affaire diplomatique, à ce que j’ai pu comprendre... Je n’écoutais que parce qu’ils parlaient de vous... Car, qu’est-ce que ça me fait, à moi, que la Hollande fasse un traité avec la France ou avec l’Angleterre ?

LORD BERESFORD.

Hein ! tu dis ?...

SALLÉ.

Ça vous regarde, vous, qui êtes un homme habile...

LORD BERESFORD.

Ah ! tu me flattes...

SALLÉ, à part.

Et ça lui fait du bien...

Haut.

Un grand ministre...

LORD BERESFORD.

Oh ! je ne crois pas...

SALLÉ, à part.

Il le croit... ils le croient tous...

Haut.

Mais je dois rendre justice au chevalier de Mailly... il prenait votre défense avec une chaleur !...

LORD BERESFORD.

Ah ! comment ? Vanderstronk ?...

SALLÉ.

Vous traitait avec une légèreté !... comme si vous étiez sa dupe, comme s’il ne se servait de vous, que pour faire peur à la France.

LORD BERESFORD.

Ah bah !

À part.

Morbleu !

Haut.

Continue.

SALLÉ.

Comment ! Monsieur, est-ce que vous êtes venu ici pour causer politique ?

LORD BERESFORD.

Mais...

SALLÉ.

Est-ce que vous n’avez rien de mieux à me dire ?

LORD BERESFORD.

Eh ! si fait... au diable les affaires ; ce moment doit être tout au plaisir. Tu m’aimes donc ?

SALLÉ.

Je ne le devrais pas.

LORD BERESFORD.

Pourquoi ?

SALLÉ.

Parce que, nous autres danseuses, nous avons de l’esprit national, nous aimons notre pays... et, quand vous êtes entré, il m’est survenu un remords.

LORD BERESFORD.

Voyez-vous ?

SALLÉ.

Comment ! me disais-je, Sallé a résisté aux gentilshommes les plus aimables de Paris et de Versailles...

LORD BERESFORD, souriant.

Elle a résisté !

SALLÉ.

Parole d’honneur, et c’est un Anglais, un ennemi !...

Mouvement de lord Beresford.

Oui, Monsieur, oui, un ennemi... car vous n’aimez pas la France.

LORD BERESFORD.

Tu peux me la faire aimer !

SALLÉ.

Vrai ?...

Air : En vérité, je vous le dis.

Ah ! je ne demande pas mieux :
Mais tout amour exige un gage ;
La France et moi, selon l’usage,
En voulons un.

LORD BERESFORD.

Quoi ? toutes deux !
Je ne sais qu’offrir à la France :
Son tour viendra... mais si tu veux
Que par toi, d’abord, je commence,
Ah ! je ne demande pas mieux !

SALLÉ.

Non, commençons par l’autre... D’abord, ce traité que vous aviez promis à M. de Choiseul, qui était tout-à-fait discuté au conseil, prêt à être signé... qui est-ce qui l’a fait manquer ?... hein ? est-ce joli cela, Monsieur ?

LORD BERESFORD.

Friponne ! tu as des yeux et...

SALLÉ, à part.

Il y viendra !

Haut.

Ce traité, qui est-ce qui l’a fait manquer ?... c’est vous !

LORD BERESFORD.

C’est vrai.

SALLÉ.

Et pour la Hollande, qui ne s’accorde avec vous que faute de mieux.

LORD BERESFORD.

Tu crois ?

SALLÉ.

Quand vous pourriez...

LORD BERESFORD, riant.

Dites donc, Sallé, est-ce que je suis venu ici pour causer politique ?

SALLÉ.

Politique ?... c’est comme si vous me parliez anglais.

LORD BERESTORD, riant plus fort.

Le diable m’emporte ! on devrait te nommer ambassadeur !

SALLÉ, de même.

Ah ! ah ! ah !... je n’y entendrais rien.

LORD BERESFORD.

Rien du tout, ma pauvre enfant... Reste dans tes menuets et tes fandangos.

SALLÉ.

C’est juste.

Elle dessine un pas.

LORD BERESFORD.

Contente-toi d’être la plus gracieuse et la plus séduisante des femmes... comme moi, près de toi, le plus passionné des amants !

SALLÉ, se dégageant.

Nous verrons !

LORD BERESFORD.

Ah ! pour le coup, tu ne m’échapperas plus... j’ai ta parole.

SALLÉ, fuyant toujours, et à part.

Mon pauvre chevalier, je fais ce que je peux !

Un Domestique entre.

Ciel ! quelqu’un !

LORD BERESFORD.

On n’entre pas !... nous traitons une affaire d’état !

LE DOMESTIQUE.

C’est M. Vanderstronk.

LORD BERESFORD.

Encore !

SALLÉ, vivement, au domestique.

Qu’il attende !

Le domestique sort.

LORD BERESFORD.

Qu’il ne me voie pas !

SALLÉ.

Comment ?...

LORD BERESFORD.

Mais vous ne savez donc pas que tous les journaux m’attaquent, sous prétexte que je suis trop jeune pour être ministre, que je ne suis occupé que de mes plaisirs, de mes amours...

SALLÉ.

Quelle calomnie !... Mais ne craignez rien... je cours à sa rencontre...

LORD BERESFORD.

Air du Chevalier du Guet.

Dieu ! quelle visite
Maudite !

SALLÉ.

Je vais le retenir.

LORD BERESFORD.

Adieu, je vous quitte...
Pour revenir.

SALLÉ.

Partez bien vite !

LORD BERESFORD, désignant la gauche.

Par ici ?

SALLÉ.

Non, par là !

LORD BERESFORD.

Adieu !

SALLÉ.

Le voilà !

Elle sort vivement, l’orchestre recommence piano.

 

 

Scène XI

 

LORD BERESFORD, puis SAINT-AMOUR

 

LORD BERESFORD, seul, réfléchissant.

M’échapper, abandonner le champ de bataille à ce Hollandais !... oh ! non, ma foi... et en attendant qu’elle nous en débarrasse...

Il court à l’armoire et l’ouvre.

Au diable ! c’est une armoire !... c’est pour étouffer !... Ah ! celle-ci !

Il ouvre la porte du cabinet de gauche, mais Saint-Amour, qui y écoutait, se jette au-devant de lui.

SAINT-AMOUR.

Halte-là !

LORD BERESFORD.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

SAINT-AMOUR.

Ça ? c’est un amant jaloux qui...

Lord Beresfort veut s’échapper, il lui barre le passage.

Vous ne sortirez pas !

LORD BERESFORD.

Malheureux ! tais-toi ! Je suis un lord... Non ! un directeur de spectacle !

SAINT-AMOUR.

Vous êtes venu ici pour séduire Sallé... vous ne sortirez pas !

LORD BERESFORD.

Misérable ! silence !... Un autre est là !

SAINT-AMOUR.

Un autre !...

LORD BERESFORD.

Et je jure...

SAINT-AMOUR.

Moi, aussi, je jure... et en anglais !... si je veux, Goddem ! vous ne sortirez pas !

LORD BERESFORD.

On vient !... Ah !

Il saisit Saint-Amour à bras-le-corps, le jette dans l’armoire restée ouverte, la ferme sur lui et court à la chambre en face.

Ma foi ! s’il en sort vivant !... Quant à moi, derrière cette porte !... Ciel !

Il se jette dans la chambre de gauche, et disparaît en fermant la porte.

 

 

Scène XII

 

VANDERSTRONK, SALLÉ

 

VANDERSTRONK, entrant.

Eh bien ! de quoi as tu peur ?... n’es-tu pas seule ?... Ton mari est sorti...

SALLÉ.

Sans doute...

À part.

Il s’est échappé.

VANDERSTRONK.

Tel que tu me vois, ma toute belle, je suis furieux, exaspéré !... Je crains un coup de sang !

SALLÉ.

Vraiment ? furieux, contre...

VANDERSTRONK.

Mais je te l’ai dit, contre ce petit Beresford !

SALLÉ.

Le ministre ?...

À part.

Ah ! s’il pouvait entendre !

La porte de l’armoire est légèrement ébranlée.

Il est là !...

VANDERSTRONK.

Hein ?

SALLÉ.

Rien, rien...

Lui faisant signe d’avancer un fauteuil.

Avancez donc ce fauteuil...

S’approchant de l’armoire, pendant que Vanderstronk avance un fauteuil.

Écoutez, milord, ne perdez pas un mot !

VANDERSTRONK.

Hum !...

SALLÉ, se retournant vivement, après avoir retiré la clé.

Mille grâces !... vous êtes trop bon !

Vanderstronk lui fait signe de s’asseoir, et s’assied lui-même. Elle tire son fauteuil du côté de l’armoire ; il se lève, rapproche le sien et se rassied.

Ah ! vous êtes furieux contre le ministre... Que vous a-t-il donc fait ?

VANDERSTRONK.

Ce qu’il m’a fait ?... rien... pas même une réponse... le petit fat !...

Beresford paraît à la porte de gauche, et disparaît un peu après.

SALLÉ, se rapprochant de l’armoire.

Vous dites ?...

VANDERSTRONK, la suivant.

Je dis : le petit fat !... Conçois-tu, je me transporte moi-même au ministère, où je lui avais donné rendez-vous, tu sais...

Elle tousse.

Et personne !...

SALLÉ.

Ah ! c’est un procédé !...

Elle se rapproche de l’armoire.

VANDERSTRONK, la suivant toujours.

Des plus impertinents... vertudieu !

SALLÉ.

Comment dites-vous ?

VANDERSTRONK.

Vertudieu !

SALLÉ.

Non, avant ?

Beresford paraît, même jeu.

VANDERSTRONK, criant.

Je dis que c’est un procédé impertinent !

SALLÉ, élevant la voix du côté de l’armoire.

Bien, bien, impertinent... j’entends...

À part.

Et lui aussi, j’espère !

VANDERSTRONK.

Mais, laissons là ce petit ministre de hasard... Parlons de toi !...

SALLÉ.

Vous le traitez bien lestement... Un homme de talent...

VANDERSTRONK.

Allons donc !...

SALLÉ.

D’esprit...

VANDERSTRONK.

Allons donc !...

SALLÉ.

Le plus habile diplomate de l’Europe !...

VANDERSTRONK.

Allons donc !... Et moi...

SALLÉ.

Oh ! vous...

VANDERSTRONK.

Je le jouerais sous jambe.

SALLÉ.

Plus haut !

VANDERSTRONK, criant.

Je le jouerais sous jambe !...

Riant.

Ah ça ! petite, est-ce que tu deviens sourde ?...

SALLÉ.

Oui, l’oreille un peu dure, de ce côté... Venez donc par ici !...

Elle donne son fauteuil à Vanderstronk.

VANDERSTRONK.

Dame ! si ça peut t’être agréable...

Il va pour lui prendre le menton.

SALLÉ, retenant sa main.

Et dire que je tiens là la main de l’homme le plus spirituel !...

Vanderstronk rit avec satisfaction.

le plus habile !...

Il rit plus fort.

qui jouerait le ministre anglais sous jambe !...

Même jeu.

et peut-être en ce moment...

VANDERSTRONK.

Oui !... oui !...

SALLÉ, élevant la voix.

Vous le tenez dans un piège...

VANDERSTRONK.

En plein !

SALLÉ, plus haut.

Il ne peut vous échapper...

VANDERSTRONK.

Je l’en défie !

SALLÉ.

Et s’il vous refusait de signer ?...

VANDERSTRONK.

Je l’en défie !... Je signerais avec la France.

SALLÉ.

Vous dites ?...

Beresford paraît.

VANDERSTRONK.

Je signerais avec la France !...

SALLÉ.

Plus haut !

VANDERSTRONK, criant.

Je signerais avec la France !... Ah ça ! tu es donc sourde aussi de celle-là ?

SALLÉ, riant.

C’est singulier... je n’entends plus...

VANDERSTRONK, l’attirant à lui.

Ah bah ! nous nous entendrons toujours bien.

SALLÉ, riant.

Ah ! ah ! ah ! comme vous y allez !

VANDERSTRONK, de même.

Mais, oui ! mais, oui !...

SALLÉ, de même.

Mais si je vous résistais... comme lord Beresford ?... Ah ! ah ! ah !...

VANDERSTRONK.

Mais il ne résiste pas...

SALLÉ.

Ah ! ah ! ah ! laissez-moi !

VANDERSTRONK.

Tiens ! je voudrais qu’il t’aimât, pour lui souffler sa belle !

On entend du bruit.

SALLÉ.

Chut !...

LE CHEVALIER, en dehors.

Je vous dis qu’on est visible pour moi...

On continue à se disputer dehors.

SALLÉ.

Ciel !...

À part.

Le chevalier !... et deux étrangers ici !...

VANDERSTRONK.

Qu’est-ce que c’est ?

SALLÉ, à part.

Il va faire un éclat !... Il faut les tromper tous les trois, d’un seul coup.

Haut.

Vous êtes perdu !

VANDERSTRONK.

Perdu !... Pourquoi ?...

LE CHEVALIER, en dehors.

J’entrerai, vous dis-je !

SALLÉ.

C’est lui... ce brutal, qui vous jetterait par la fenêtre !...

Bas.

Mon mari !

VANDERSTRONK.

Ah ! diavolo !... fais-moi sortir par une porte !...

Il court de porte en porte.

SALLÉ, avec inspiration.

Non ! non !... Oh ! nous sommes sauvés... Faites tout ce que je dirai... jouez la comédie...

VANDERSTRONK.

Moi... un ambassadeur !

SALLÉ.

Raison de plus... Criez, tempêtez, tirez votre épée... Allez donc !... mais allez donc !...

La porte s’ouvre.

 

 

Scène XIII

 

LE CHEVALIER, SALLÉ, VANDERSTRONK

 

LE CHEVALIER, entrant.

J’entrerai, morbleu !...

S’arrêtant au fond.

Ah ! j’étais bien sûr...

SALLÉ, haut, à Vanderstronk.

Monsieur, je vous proteste...

Bas.

Mais, allez donc ! ferme !... jurez dans toutes les langues !...

VANDERSTRONK, criant et se démenant.

Corbleu !... tarteiff !... goddem !... sangodémi !...

À part.

Où diable veut elle en venir ?

SALLÉ, bas.

Plus fort ! il écoute.

VANDERSTRONK, criant.

Plus fort ! il écoute.

SALLÉ, s’oubliant.

Imbécile !...

VANDERSTRONK.

Imbécile !...

LE CHEVALIER, s’avançant.

Qu’est-ce donc ?... qu’y a-t-il ?

SALLÉ, courant au Chevalier.

Ah ! c’est vous ?

VANDERSTRONK, à part.

Diable ! il paraît très fort...

LE CHEVALIER.

Monsieur, me direz-vous...

VANEERSTRONK.

Moi ?... Monsieur... je ne puis...

SALLÉ, vivement.

Voici ce que c’est... Ah ! je suis si émue !... Monsieur, que je ne connais pas, pénètre ici, comme un fou, l’épée à la main... me raconte je ne sais quoi... qu’il a surpris sa femme avec un jeune homme...

VANDERSTRONK, à part.

Ah bah !... Quelle diable d’histoire !...

SALLÉ, continuant.

Que l’amant, attaqué par lui, a pris la fuite, a gagné cet hôtel et s’est réfugié chez moi...

LE CHEVALIER.

Ici ?

VANDERSTRONK, comprenant tout-à-coup.

Ah ! bon ! ah ! très joli !...

Se remettant à crier.

Oui, tête-bleu !... god...

SALLÉ.

Mais je vous proteste, Monsieur, qu’il n’en est rien, et je vous prie de vous retirer.

VANDERSTRONK, criant.

Non, Madame !...

SALLÉ, bas.

C’est bon, en voilà assez.

VANDERSTRONK, sans l’écouter.

Non, Madame !

SALLÉ, à part.

Allons, plus moyen de l’arrêter à présent !

LE CHEVALIER, sévèrement.

C’est moi, Monsieur, qui vous invite...

VANDERSTRONK, s’arrêtant.

Ah !...

À Sallé.

Je vous obéis, Madame... je ne sais pas résister à une jolie femme...

Saluant.

Veuillez agréer...

À part.

C’est une ruse délicieuse !... j’ai joué la comédie sans le savoir... Ah ! ah ! ah !...

LE CHEVALIER.

Monsieur !...

VANDERSTRONK.

Je me retire... Mes très humbles excuses...

À part.

Elle est pleine d’esprit...

Haut.

J’ai bien l’honneur...

À part.

Nous sommes tous deux remplis d’esprit.

Il sort.

 

 

Scène XIV

 

LE CHEVALIER, SALLÉ, puis SAINT-AMOUR

 

SALLÉ, à part, tandis que le Chevalier reconduit Vanderstronk.

Au ministre, maintenant !... il faut qu’il s’échappe...

Haut.

Eh bien ! chevalier, que dites-vous de l’histoire ?

LE CHEVALIER.

Je dis, je dis...

À part.

Au fait, celui-là a plutôt la figure d’un mari que d’un amant... Et cependant...

Haut.

Si tout cela n’était pas vrai ?

SALLÉ.

Quoi ! vous douteriez...

LE CHEVALIER.

Non, mais vous m’avouerez qu’il est assez singulier que ce monsieur soit entré tout juste où vous étiez, pour y poursuivre un homme... qui n’y était pas.

SALLÉ, à voix basse.

Chut !... au contraire, c’est qu’il y était... il y est encore.

LE CHEVALIER.

Bah !...

SALLÉ.

Eh ! oui... Pauvre garçon ! j’en ai eu pitié... un amant malheureux !... Je l’ai caché... Vous me croirez peut-être, à présent ?

LE CHEVALIER.

Mais cet amant, où est-il ?

SALLÉ.

Là...

À part.

Et de deux !... Dieu ! que c’est facile à tromper, un homme !

LE CHEVALIER, riant.

Dans cette armoire ?... Ah ! le malheureux ! il doit étouffer.

Il court ouvrir l’armoire.

SALLÉ, à part.

Pauvre ministre !

LE CHEVALIER.

Sortez, Monsieur... Il est parti...

Saint-Amour lui tombe tout raide dans les bras.

Miséricorde !

SALLÉ, ébahie.

Ah ! mon Dieu !...

LE CHEVALIER.

Saint-Amour !...

SAINT-AMOUR.

Je suis asphyxié !... De l’air !... Ouvrez toutes les fenêtres !...

SALLÉ.

Saint-Amour !... D’où tombe-t-il, celui-là ?... Je le laisse à Paris, dans ma loge, et je le retrouve à Londres, dans une armoire !...

À part.

Ah ça ! mais, et l’autre, où donc est-il ?...

LE CHEVALIER.

Qu’est-ce que cela signifie ?... Cet étranger cet inconnu...

SALLÉ.

Ma foi, chevalier...

SAINT-AMOUR, au Chevalier.

Ça signifie que nous sommes trompés tous les deux, de la manière la plus... vexante !...

SALLÉ.

Triton !

SAINT-AMOUR.

Il saura tout... Vous saurez tout, chevalier... Vous avez du courage, vous ! vous vous battrez pour nous deux, vous !... Le gros n’était pas plus un mari que vous et moi...

LE CHEVALIER.

Mais, qui donc ?...

SALLÉ.

Tais-toi !...

SAINT-AMOUR.

C’est ce Hollandais... ce marchand de fromage... ce...

LE CHEVALIER.

Vanderstronk !

SALLÉ.

Allons ! bon ! tout s’écroule.

SAINT-AMOUR.

Vanderstronk ? Je veux bien... mais l’autre...

LE CHEVALIER.

Hein ?

SALLÉ.

Te tairas-tu ?

SAINT-AMOUR.

Elle m’a pincé !... C’est égal... C’est un Anglais, avec qui Sallé a été d’un inconvenance !...

LE CHEVALIER.

Mais, quel autre... quel Anglais ?...

SALLÉ, à part.

Patatras !... M. de Choiseul, la France, l’Angleterre, les voilà à tous les diables !

LE CHEVALIER, secouant Saint-Amour et criant.

Mais, qui donc ?

SAINT-AMOUR, criant.

Mais celui qui m’a fourré dans ce placard.

LE CHEVALIER, de même.

Mais, où est-il ?

SAINT-AMOUR, criant plus fort.

Mais, je n’en sais rien !

SALLÉ.

Eh ! non, n’en croyez rien, chevalier... Vous voyez bien que ce triton ne sait ce qu’il dit... il est ivre !

SAINT-AMOUR.

Moi ?... ivre ?... Je n’ai mangé qu’une poire... d’Angleterre.

LE CHEVALIER.

Malheur à ce Hollandais !... Quant à l’autre...

SALLÉ.

Il n’y en a pas !

SAINT-AMOUR.

Si fait ! Je suis sûr qu’il se cache...

Montrant la porte du cabinet.

Ici, peut-être !

LE CHEVALIER, s’élançant.

Ici !

SALLÉ, l’arrêtant.

Chevalier !...

LE CHEVALIER.

Laissez-moi !

SAINT-AMOUR, de l’autre côté.

Laissez-nous !

SALLÉ.

Mais s’il y allait de votre fortune ?

LE CHEVALIER.

De ma fortune !...

SAINT-AMOUR.

C’est du propre !

SALLÉ.

De votre avenir ?...

SAINT-AMOUR.

Tenez, tenez, il va se laisser amadouer !...

Se décidant.

Ah ! ma foi...

Il ouvre la porte du cabinet, et court se placer à l’autre extrémité du théâtre en criant.

Il y est !

LE CHEVALIER.

Cet Anglais !...

Lord Beresford paraît.

SAINT-AMOUR, au Chevalier.

À vous, maintenant !...

SALLÉ.

Chevalier !... un éclat, et je ne vous revois de ma vie !

 

 

Scène XV

 

LE CHEVALIER, LORD BERESFORD, SALLÉ, SAINT-AMOUR

 

LORD BERESFORD.

Vanderstronk est parti... Ah ! il me jouera sous jambe !

Saint-Amour fait signe au Chevalier.

Ah ! je suis... un impertinent, un fat !...

SALLÉ, se rapprochant.

Il l’a dit, Milord...

LE CHEVALIER, étonné.

Milord ?...

SAINT-AMOUR, au Chevalier.

Il vous appelle fat.

LE CHEVALIER.

Moi !

SALLÉ, le retenant.

Silence, triton !

LORD BERESFORD.

Ah ! nous verrons qui de nous deux jouera l’autre sous jambe !

LE CHEVALIER, s’approchant de lui, et à demi-voix.

Monsieur, il faut que je vous parle... seul !...

LORD BERESFORD.

Plaît-il, mon cher ?...

À part, le reconnaissant.

 Ah ! mon bavard de ce matin !... Pardon, je suis à vous tout à l’heure.

À Sallé.

Sallé, cet envoyé secret de M. de Choiseul... vous le connaissez ?

SALLÉ.

Sans doute.

LE CHEVALIER, toujours à demi-voix.

Il me faut une explication, Monsieur...

LORD BERESFORD.

Bien ! bien ! un moment...

SAINT-AMOUR, bas.

Mais, allez donc !...

LORD BERESFORD, à Sallé.

Oui, ce chevalier dont vous me parliez, je veux le voir... Faites-le venir...

Mouvement de joie de Sallé.

Attendez, je vais lui écrire un mot.

Il s’assied pour écrire.

SALLÉ, à part.

Que lui veut-il ?

SAINT-AMOUR, au Chevalier.

Et vous ne le frappez pas !... Faut-il qu’un homme soit lâche !...

 SALLÉ.

Silence, triton !

LE CHEVALIER, à demi-voix.

Monsieur, vous me répondrez !... Je suis gentilhomme... chevalier de Mailly !

LORD BERESFORD, se levant tout-à-coup.

Chevalier de Mailly ! vous ?

SALLÉ.

Eh ! oui, lui-même !...

SAINT-AMOUR, à part.

Ah ! enfin... nous allons boxer !... à l’anglaise.

LE CHEVALIER.

Enfin, Monsieur...

LORD BERESFORD.

Le chevalier de Mailly ! Il se pourrait !... Venu à Londres...

SALLÉ.

En secret.

LORD BERESFORD.

Vous annonciez l’arrivée de Mademoiselle...

SALLÉ.

Pour qu’on s’occupât moins de lui.

LORD BERESFORD.

Vous donniez vos rendez-vous à Vanderstronk ici.

LE CHEVALIER.

Permettez...

SALLÉ.

Pour qu’il se trahît devant vous !

LORD BERESFORD, riant.

Vous saviez donc...

SALLÉ, riant.

Que les murs avaient des oreilles... de ministre.

SAINT-AMOUR, bas, au Chevalier.

Ils se fichent de vous !

LE CHEVALIER, à lord Beresford.

Eh ! Monsieur...

LORD BERESFORD.

Et cette scène... que je ne puis encore comprendre... cette grande colère contre Vanderstronk...

SALLÉ.

Pour l’éloigner.

LORD BERESFORD.

Recevez mes félicitations, Monsieur !... On ne mène pas une affaire diplomatique avec plus de tact et d’adresse... Votre cour le saura.

SALLÉ, à part.

C’est ce que nous voulons !

LORD BERESFORD.

J’écrirai à M. de Choiseul que jamais diplomate ne fut plus discret que vous !

LE CHEVALIER, ébahi.

Que moi ?... Ah ! bah !...

SALLÉ, à part.

Comme c’est heureux qu’il n’ait rien su !

SAINT-AMOUR.

Ah ça ! mais on se trompe !... Ah ça ! mais, on se trompe !

SALLÉ, bas.

Silence, triton.

LE CHEVALIER, se grattant le front.

Voyons, voyons, Monsieur... je dois vous déclarer...

LORD BERESFORD.

Inutile... je sais tout.

SALLÉ.

Sa seigneurie sait tout.

LE CHEVALIER.

Sa seigneurie ?...

À part.

Le diable m’emporte, si j’y comprends un mot !

LORD BERESFORD.

Je ne vous ferai qu’un reproche c’est de ne m’avoir pas fait, au moins, une visite de politesse et d’amitié.

SALLÉ, vivement.

Ce matin, il m’a quitté pour aller s’inscrire...

LE CHEVALIER.

Chez lord Beresford.

LORD BERESFORD.

Chez moi ?

LE CHEVALIER, à part.

Ah bah !

SAINT-AMOUR.

Mais qu’est-ce qu’ils disent, les malheureux ?... Ils ne s’entendent plus !

LORD BERESFORD, apercevant Saint-Amour.

Et Monsieur... qui m’a retenu...

SALLÉ.

Par son ordre !... C’est un courrier d’ambassade qui attend les dépêches de M. l’envoyé de France.

LE CHEVALIER, regardant Beresford.

Ah ! c’est là !...

Bas.

Je me suis présenté chez vous, Milord, pour avoir une explication...

SALLÉ, bas et vivement.

Taisez-vous !

LORD BERESFORD.

Je devine... et je suis prêt à vous la donner. Oui, monsieur le chevalier, seul, je m’opposais, dans le conseil, au traité de commerce avec la France... Mais ma politique est changée... dans l’intérêt de l’Angleterre.

SALLÉ, à part.

C’est-à-dire, dans l’intérêt de... enfin, n’importe.

LORD BERESFORD, allant à la table à gauche.

Je vais en rappeler les bases en quelques mots, vous les approuverez... Le conseil se réunit ce matin... et, au lieu du traité avec la Hollande, j’en fais conclure un avec la France... aujourd’hui même... Êtes-vous content ?...

Il lui tend la main.

SALLÉ.

Enchanté !...

Beresford s’assied pour écrire.

LE CHEVALIER.

Enchanté... Allez, allez toujours... je me laisse faire.

SAINT-AMOUR.

Décidément, ils parlent anglais... Je n’y comprends rien.

SALLÉ, bas.

Vous y êtes ?...

LE CHEVALIER.

Non !

SALLÉ.

J’ai trompé tout le monde...

LE CHEVALIER.

À commencer par moi.

SALLÉ.

Et pour cause : l’envoyé hollandais, pour faire échouer ses plans... le ministre, pour le brouiller avec la Hollande...

LE CHEVALIER.

Et moi...

SALLÉ.

Pour faire, malgré vous, votre fortune... Vous voilà le plus fin diplomate de l’Europe... par la grâce de Sallé...

LE CHEVALIER.

J’y suis !... une mission diplomatique... Je vous enlevais...

SALLÉ.

Pour le roi de France.

LE CHEVALIER.

Et moi qui croyais que c’était pour le roi de Prusse !

SAINT-AMOUR, qui a entendu le dernier mot.

Hein ?... c’est le roi de Prusse, ce monsieur ?...

SALLÉ.

Silence, triton !...

LORD BERESFORD.

Monsieur le chargé d’affaires...

Le Chevalier ne répond pas.

Monsieur le chargé d’affaires...

Sallé le pousse.

LE CHEVALIER.

Milord...

LORD BERESFORD.

Vous avez vos lettres de créance ?...

LE CHEVALIER, embarrassé.

Ah !... mes lettres de créance ?... Je ne sais...

SALLÉ.

Les voici.

Elle les donne au Chevalier.

LE CHEVALIER, stupéfait.

Bien.

Il les présente à lord Beresford.

LORD BERESFORD.

Bon !

SAINT-AMOUR.

Très bon !... Le logogriphe continue.

LORD BERESFORD.

Voici les bases du traité, telles qu’elles avaient été convenues avec la France... Voyez et signez...

Il remonte.

LE CHEVALIER.

Permettez... signer !... C’est que...

SALLÉ, lui passant un papier.

Chut !... comparez... De M. de Choiseul...

Riant.

le n° 3.

LE CHEVALIER.

Ah ! j’y suis !...

Regardant Beresford.

Alors, le n° 7...

SALLÉ, le montrant.

Le voilà !

 

 

Scène XVI

 

LE CHEVALIER, LORD BERESFORD, SALLÉ, SAINT-AMOUR, VANDERSTRONK

 

VANDERSTRONK, entrant et apercevant le ministre.

Eh !...

SALLÉ, montrant Vanderstronk.

Le zéro.

SAINT-AMOUR.

Ah ! bien ! voilà le bouquet.

VANDERSTRONK, au fond.

C’est lord Beresford !... Mon ministre !...

LORD BERESFORD.

Eh ! monsieur Vanderstronk !... Mon ambassadeur !...

VANDERSTRONK, d’un ton sec.

J’ai enfin découvert où vous étiez, au Forcing-Office... où je vous ai attendu !

LORD BERESFORD.

Et moi, je vous... ai entendu !

VANDERSTRONK.

Je ne comprends pas.

SALLÉ.

Ça ne fait rien !...

VANDERSTRONK, comme s’il la voyait tout-à-coup.

Ah ! Madame... pardon si j’ose me présenter sans être connu de vous...

Lord Beresford se retourne pour rire.

Mais on m’a dit... d’ailleurs...

SAINT-AMOUR, à part.

Barbotte, Hollandais ! barbotte !

VANDERSTRONK, bas.

C’est adroit, n’est-ce pas ?...

Haut.

Je voulais rappeler à Sa Grâce que le conseil se réunit en ce moment... pour signer le traité...

LORD BERESFORD, passant à gauche.

Je le sais, et j’y cours...

Au Chevalier.

Avez-vous lu, M. de Mailly ?...

LE CHEVALIER, signant.

Et j’ai signé !

Il salue Vanderstronk.

VANDERSTRONK, stupéfait.

Ah bah !...

Bas à Sallé.

Mais, dis donc ! c’est lui...

SALLÉ.

Eh bien ! oui, M. le chevalier de Mailly.

VANDERSTRONK.

Le chevalier de Mailly !...

LORD BERESFORD, ironiquement.

Vous ne le reconnaissez pas non plus ?... Vous êtes bien fin... mais il l’est encore plus que vous...

VANDERSTRONK.

Le chevalier de Mailly !...

SAINT-AMOUR, à part.

Il reste la bouche ouverte !... Huître, va !...

Il remonte.

LORD BERESFORD, à demi-voix.

Dans une heure, vous aurez le traité... et si après cela vous n’êtes pas ambassadeur !...

Il remonte.

SALLÉ, bas au Chevalier.

Je vous rends un avenir, une fortune que vous aviez perdus pour moi... Nous sommes quittes !

LE CHEVALIER.

Oh ! non !... car je vous aime, moi !... et vous...

SALLÉ.

Eh bien !... nous serons encore quittes.

VANDERSTRONK, toujours stupéfait.

Le chevalier de Mailly... Ah ça ! quelle diable d’histoire...

Bas à Saint-Amour.

Il y a quelqu’un de joué ici, petit !

SAINT-AMOUR.

Parbleu ! gros !

LORD BERESFORD, qui s’est approché, bas à Sallé.

Es-tu contente ?... et, pour ma récompense, le rendez-vous, promis ?...

SALLÉ, bas.

À neuf heures... chut !...

Lord Beresford remonte en chantant.

SAINT-AMOUR, bas au Chevalier.

Un rendez-vous !

VANDERSTRONK, bas à Sallé, très froidement.

Je bous de colère !... Mais tu me dois une explication... Ce soir, à quelle heure ?...

SALLÉ, bas.

À dix heures !... chut !

Vanderstronk remonte en chantant.

SAINT-AMOUR, bas au Chevalier.

Deux rendez-vous !...

LE CHEVALIER, bas, à Sallé.

Hein ? que dit-il ?... Vous leur promettez...

SALLÉ.

De les attendre... l’un, à neuf  heures, l’autre à dix.

LE CHEVALIER.

Eh ! mais...

SALLÉ, bas.

Nous partirons à huit.

LE CHEVALIER.

Ô ciel !

SALLÉ.

Chut !

SAINT-AMOUR.

Ah ça ! et moi ?...

SALLÉ.

Toi ?... tu porteras le traité à Versailles, en courrier d’ambassade... À cheval, triton !

Chœur.

SALLÉ, au public.

Air du vaudeville du Baiser au porteur.

Entre la France et l’Angleterre,
J’ai fait un traité... Si je peux,
Entre l’auteur et le parterre
En conclure un, ce serait encor mieux...
Mais c’est, hélas ! moins aisé qu’avec eux !
J’ai triomphe, diplomate et danseuse,

Elle montre le ministre et l’ambassadeur.

En séduisant mes rivaux... c’est très bien...
Mais, c’est ici que je serais heureuse
De réussir par le même moyen.

Reprise du chœur.

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