L’Ingénue (Henri MEILHAC - Ludovic HALÉVY)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 24 septembre 1874.

 

Personnages

 

TURQUET

DAUBERTHIER

OCTAVE

ADÈLE

LÉONTINE

 

En province, de nos jours.

 

Un salon, à la campagne. Au fond, grande porte donnant sur un jardin. Portes à droite et à gauche. Table à droite. Sur cette table, du papier, des plumes, des livres. Canapé à gauche.

 

 

Scène première

 

LÉONTINE, puis TURQUET

 

LÉONTINE, une lettre à la main.

Une lettre d’amour... à moi !... Et envoyée par qui, cette lettre d’amour ?... par un précepteur... par le précepteur de mon cousin Octave !...

Entre Turquet, venant du fond.

TURQUET.

Vous m’avez fait dire, madame, que vous désiriez me parler ?

LÉONTINE.

En effet, monsieur, en effet... C’est bien vous qui avez écrit cette lettre ?

TURQUET.

Oui, madame.

LÉONTINE.

Et c’est bien à moi que cette lettre était adressée ?

TURQUET.

Oui, madame.

LÉONTINE.

On me l’a remise au moment même où je montais en voiture avec mon mari et Octave...

TURQUET.

Pour aller à la gare chercher mademoiselle Adèle, la sœur de monsieur Octave, charmante jeune personne qui sort aujourd’hui du couvent, après y avoir terminé son éducation...

LÉONTINE.

J’ai lu les premières lignes.

Elle se lève.

Et tout aussitôt j’ai dit à mon mari de partir sans moi. Je suis restée parce que je tenais à avoir avec vous une explication, et à l’avoir tout de suite. Écoutez-moi, monsieur...

TURQUET.

Je vous écoute, madame.

LÉONTINE.

Mon cousin avait un précepteur qu’il ne pouvait pas souffrir. J’ai écrit à Paris pour que l’on m’en envoyât un autre. C’est vous que l’on a envoyé ! Il y a quinze jours que vous êtes ici, et je vous rends bien volontiers cette justice que vous ne ressemblez nullement à votre prédécesseur. Il était vieux, maussade, bourru, et nullement homme du monde. Vous, au contraire, vous êtes jeune, vous ne manquez pas d’un certain air... vous valsez à ravir, vous domptez les chevaux les plus rebelles, vous faites, à ce qu’il paraît, des armes dans la perfection, et vous semez l’or avec une prodigalité véritablement extraordinaire chez un homme qui ne gagne que deux cent cinquante francs par mois...

TURQUET.

Avec de l’ordre...

LÉONTINE.

Votre élève vous adore... Autrefois il n’y avait pas moyen de le faire travailler ; maintenant les leçons ne lui paraissent jamais assez longues... mon mari me le faisait encore remarquer il y a deux jours, et je m’applaudissais, moi, d’avoir mis la main sur le phénix des précepteurs. Je m’en serais moins applaudie, si j’avais pu prévoir que ce singulier précepteur pousserait la singularité jusqu’à m’adresser une déclaration.

TURQUET.

Une déclaration, madame ?

LÉONTINE.

Oui, monsieur, une déclaration.

Lisant.

Je vous aime, madame... C’est une déclaration cela, ou je ne m’y connais pas. Je vous aime, mes regards ont dû vous le dire... Dans le cas où ils ne vous l’auraient pas dit d’une façon suffisamment claire, je vous l’écris. Je vous assure que si vous vouliez, vous, m’aimer un peu, ça me ferait beaucoup de plaisir. Signé : Turquet, précepteur. Eh bien, monsieur ?...

TURQUET.

Eh bien, madame...

LÉONTINE.

Oserez-vous prétendre que ce n’est pas là une déclaration ?...

TURQUET.

Je suis obligé de convenir...

LÉONTINE.

Si je n’écoutais que mon indignation, je dirais tout à mon mari, je vous ferais chasser...

TURQUET.

Oh ! madame...

LÉONTINE.

Mais je ne veux pas priver mon cousin Octave d’un précepteur tel que vous, je ne dirai rien...

TURQUET, à part.

À la bonne heure...

LÉONTINE.

Je ne dirai rien parce que je veux espérer... parce que j’espère que vous trouverez moyen de vous justifier...

TURQUET.

Rien ne me sera plus facile, madame... Depuis que je suis ici, j’ai observé ce qui se passait autour de moi, et il m’a semblé que vous n’étiez pas aussi heureuse que vous méritez de l’être...

LÉONTINE.

Ah ! cela, c’est bien vrai...

TURQUET.

Il m’a semblé que monsieur votre mari perdait, chaque semaine, à essayer de deviner les rébus de l’Illustration, un temps qu’il eût mieux fait d’employer à déchiffrer cette charade éternelle qui s’appelle la femme.

LÉONTINE avec un soupir.

Ah !

TURQUET.

J’ai remarqué tout cela, madame, et alors, comme l’éducation de mon élève me laissait des loisirs...

LÉONTINE, avec force.

Sortez, monsieur...

TURQUET.

Madame...

LÉONTINE, elle remonte.

J’entends la voiture... On va venir, je ne veux pas que l’on nous surprenne ensemble... Sortez et reprenez cette lettre... Je ne l’ai pas reçue, vous entendez, je ne veux pas l’avoir reçue.

TURQUET.

Alors, je serai obligé de vous la renvoyer...

LÉONTINE.

Je vous le défends bien, par exemple !...

Turquet fait un mouvement vers elle. Elle l’arrête du geste et lui fait signe de sortir.

TURQUET.

Ayez la bonté, madame, de dire à mon élève que je compte lui donner tout à l’heure une bonne leçon d’histoire de France... Je vais en préparer les matériaux, madame...

LÉONTINE.

Monsieur...

Turquet sort par la porte de droite, premier plan.

 

 

Scène II

 

LÉONTINE

 

Je crains de n’avoir pas été aussi sévère qu’il eût fallu... C’est que vraiment ce précepteur a en lui quelque chose qui n’est pas ordinaire... Il y a des instants où je me demande si c’est réellement un précepteur...

Entre Octave.

 

 

Scène III

 

LÉONTINE, OCTAVE, puis ADÈLE et DAUBERTHIER

 

OCTAVE, venant du fond à gauche.

La voici... Elle a remporté tous les premiers prix...

Il saute au cou de Léontine et l’embrasse comme un fou.

Tous, tous !...

LÉONTINE.

À la bonne heure... mais ce n’est pas une raison pour m’embrasser ainsi...

OCTAVE.

C’est que je vous aime tant, ma cousine.

Adèle paraît au fond suivie de Dauberthier. Elle a tous ses prix, toutes ses couronnes.

LÉONTINE.

Adèle...

Elle passe.

ADÈLE, s’élançant pour embrasser Léontine.

Ah ! ma cousine... ma cousine...

LÉONTINE, s’asseyant.

Vraiment, c’est à toi toutes ces couronnes ?

ADÈLE.

Oui, c’est à moi... Histoire et Géographie, premier prix...

OCTAVE s’est placé derrière la chaise de Léontine, il l’embrasse.

Ah !...

ADÈLE.

Je suis joliment forte, va, en géographie... Littérature française, premier prix.

OCTAVE, embrassant Léontine.

Ah !...

ADÈLE.

Anglais, premier prix...

OCTAVE, embrassant Léontine.

Ah !...

ADÈLE.

Piano, premier prix...

OCTAVE, embrassant Léontine.

Ah !...

LÉONTINE, se levant.

Mais tenez-vous donc tranquille, Octave !

Adèle dépose ses livres sur la chaise à gauche.

OCTAVE.

C’est que je vous aime tant, ma cousine, c’est que je vous aime tant !

ADÈLE.

Oh ! oui, va, nous t’aimons bien !

Elle embrasse sa cousine sur les deux joues. Octave, lui, n’ayant pu attraper que la main, embrasse cette main avec fureur.

DAUBERTHIER, descendant.

Et moi aussi j’ai mérité des couronnes...

Montrant un journal à Adèle.

Regarde...

ADÈLE.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

DAUBERTHIER.

C’est l’Illustration de cette semaine, regarde... là... tiens...

Léontine s’assied, ainsi qu’Octave.

ADÈLE, lisant.

Ont envoyé l’explication du dernier rébus : M. Mignard de Carcassonne, les habitués du café du commerce à Angoulême... M. Dauberthier, ah ! ah !

Elle regarde Dauberthier qui sourit avec orgueil.

M. Dauberthier, au château d’Azay... par Châtellerault... Vienne.

DAUBERTHIER.

Tu vois, c’est bien moi.

ADÈLE, riant.

Ah ! ah !

DAUBERTHIER.

Et la semaine prochaine j’y serai encore ; celui-là pour tant est difficile. Il y a d’abord un un... le chiffre un... d’une main ce chiffre un fait l’aumône à un mendiant, de l’autre main il tient, et a l’air de tenir solidement, un bœuf encore jeune, comme dit le dessinateur... Ensuite il y a un deux... le chiffre deux... ce deux semble se lamenter parce qu’il a laissé échapper un autre bœuf, du même âge que le précédent... puis le chef-lieu de la Corrèze... Et enfin un rat ; ce rat a cela de particulier qu’il est pour ainsi dire perché sur des pattes d’une longueur démesurée... j’appelle toute ton attention sur ce détail, car enfin ce n’est pas pour rien que le dessinateur a allongé les pattes de ce rat... je n’ai pas le commencement, mais je tiens la fin... Périt gueux comme un grand rat. Tu vois, une ville,

Lisant.

chef-lieu de la Corrèze,

S’interrompant.

Périgueux.

ADÈLE.

Mais non, mon cousin. Le chef-lieu de la Corrèze... ce n’est pas Périgueux... c’est Tulle...

DAUBERTHIER.

Tu crois ?

ADÈLE.

J’en suis sûre, premier prix de géographie... et si vous saviez, je suis d’une force...

DAUBERTHIER.

Ah ! c’est fâcheux... j’avais trouvé avec Périgueux... avec Tulle ça n’ira plus... Tulle comme un grand rat... Ça ne va plus, je m’y attendais... Eh bien, je vais chercher. Voilà tout, je vais chercher...

Adèle va porter ses livres sur la console à gauche.

LÉONTINE, haussant les épaules.

Ah ! mon Dieu...

Elle se lève ainsi qu’Octave.

DAUBERTHIER.

Vous dites, chère amie !...

LÉONTINE.

Moi, monsieur, rien du tout...

Avec le dernier mépris.

Je ne vous dis rien, je n’ai rien à vous dire...

OCTAVE, à demi-voix.

Oh ! ma cousine...

DAUBERTHIER, sortant tout en parlant.

Tulle comme un grand rat... ça n’a point de sens ; si la bête qui est dessinée là était un chat, ça irait très bien, mais ce n’est pas un chat... Le dessinateur a écrit au-dessus : bœuf encore jeune...

Il sort à gauche, premier plan.

 

 

Scène IV

 

LÉONTINE, OCTAVE, ADÈLE

 

LÉONTINE, elle s’assied à gauche sur la chaise.

Ah ! parlons de toi maintenant... Tu es contente ?

ADÈLE.

Si je suis contente !...

Elle se met à genoux devant Léontine.

Je crois bien que je suis contente ! Enfin c’est fini... je ne suis plus une enfant.

Avec transport.

Je suis une jeune fille et j’entre dans la vie !...

LÉONTINE, avec mélancolie.

Adèle !

ADÈLE.

Ah ! laisse-moi... laisse-moi... ça doit être si bon, la vie... ça doit être si beau... et je vais en connaître toutes les joies, toutes les fêtes... tous les enivrements.

LÉONTINE, tristement.

Ah !...

OCTAVE passe derrière et s’appuie sur le canapé.

Oh ! ma cousine.

LÉONTINE, bas.

Taisez-vous, Octave...

OCTAVE, bas.

Je les devine, vos souffrances...

LÉONTINE, bas.

Je vous ai dit de vous taire...

OCTAVE, élevant la voix.

C’est que je vous aime tant, ma cousine...

ADÈLE, elle va s’asseoir sur les genoux de Léontine.

Et il a bien raison de t’aimer ! Que serions nous devenus tous les deux ? que serions-nous devenus si tu n’avais pas été là ? Sans parents, seuls au monde...

LÉONTINE, souriant.

Avec une immense fortune... un million chacun.

ADÈLE.

À quoi cela sert-il, la fortune ?

Elle se lève.

Si tu n’avais pas consenti à nous prendre avec toi, son million, à lui, l’aurait-il empêché d’aller mourir d’ennui dans un collège ? et mon million, à moi, m’aurait-il empêchée de rester au couvent jusqu’à je ne sais quel âge ?... Oh ! le couvent ! je n’y retournerai plus, au couvent, n’est-ce pas ?

LÉONTINE.

Certainement non, tu n’y retourneras plus...

ADÈLE.

Jamais, jamais ?...

LÉONTINE.

Jamais, jamais !

ADÈLE.

Plus de leçons de musique ! oh ! les leçons de musique ! oh ! le cours de Mme de la Pivardière ! oh ! la musique classique... Gluck ! Alceste ! Armide !

Elle fredonne un air de l’Armide.

Que la douceur d’un triomphe est extrême,
Quand on n’en doit tout l’honneur qu’à soi-même !

LÉONTINE, se levant.

Mais c’est très beau cela...

ADÈLE.

Je ne dis pas le contraire, mais en fait de musique j’aime mieux l’autre...

Montrant son frère.

celle que je lui ai entendu chanter à lui...

Elle fredonne le galop d’Orphée aux Enfers. Entraîné par l’exemple, Octave fredonne à son tour en accompagnant l’air de quelques pas qu’Adèle est sur le point d’imiter. Cela doit être fait très légèrement, très délicatement.

LÉONTINE.

Eh bien, Adèle !...

Elle descend un peu à droite.

ADÈLE.

Plus de leçons de danse !... plus de professeur qui vous dise : Mademoiselle, ayez la bonté de tourner la tête et de me faire des oppositions... plus de leçons, mais de la danse pour de vrai... avec une jolie toilette,

Elle passe.

un vrai orchestre... et de vrais danseurs.

Dansant tout en parlant et imitant la voix de son danseur.

« Vous aimez le bal, mademoiselle ? Oh ! oui, monsieur. – Et vous avez beaucoup dansé cet hiver ? – Oh ! non, monsieur, car je sors du couvent et je parais aujourd’hui dans le monde pour la première fois. – Pour la première fois ? Oui, monsieur. À la bonne heure, car si j’avais eu déjà le plaisir de vous voir, j’aurais certainement remarqué... – Oh ! monsieur, vous dites cela. – Mais si fait, mademoiselle, si fait. – Ayez la bonté, monsieur, de me conduire près de ma cousine... cette dame-là... qui est si jolie... » Il me conduit, il te salue, il me salue, et il s’en va... Alors, toi, tu m’embrasses, tu essuies mon front, tu arranges mes cheveux et tu me demandes si j’en ai assez et si je veux m’en aller. Ah ! que non, je ne veux pas m’en aller. C’est si amusant le bal ! c’est si amusant ! si amusant !!...

LÉONTINE, allant à elle.

Mais prends donc garde... tu t’animes trop, tu te feras du mal...

ADÈLE.

Il n’y a pas de danger, va, il n’y a pas de danger... je suis contente, je suis heureuse... Et toujours je serai heureuse... J’ai tant envie de l’être que je suis bien sûre que je le serai toujours.

Entre un domestique par le fond.

LE DOMESTIQUE.

On apporte les bagages de Mademoiselle.

Il sort.

LÉONTINE, elle remonte.

C’est bien,

À Adèle.

je vais faire mettre tout cela dans ta chambre.

Le domestique sort par le fond.

OCTAVE, vivement.

Je vais avec vous, ma cousine.

LÉONTINE.

Pas du tout, restez avec votre sœur, je vous prie.

OCTAVE.

C’est que...

LÉONTINE.

Restez avec votre sœur. Vous devez avoir un tas de petites choses à vous dire tous les deux, un tas de petits secrets à vous confier !...

Elle sort par la droite, second plan.

 

 

Scène V

 

ADÈLE, OCTAVE

 

OCTAVE, il s’assied.

Des secrets ! certainement j’en aurais un à te confier et un joli... si tu n’étais pas une gamine.

ADÈLE, indignée.

Une gamine !...

OCTAVE, en riant.

Dame...

ADÈLE.

Je ne suis pas une gamine... entends-tu, et c’est toi, au contraire, qui es un gamin à côté de moi...

OCTAVE.

J’ai dix-neuf ans, moi...

ADÈLE.

Justement. Comme si un garçon de dix-neuf ans n’était pas un gamin, à côté d’une jeune fille de dix-sept !...

OCTAVE.

Tu n’as pas encore dix-sept ans...

ADÈLE.

Si fait, je les ai... je suis une grande personne... et la preuve c’est que, moi aussi, j’ai un secret... un secret auprès duquel je suis bien sûre que ton secret, à toi, n’est rien du tout...

OCTAVE.

Oh ! quant à cela...

ADÈLE.

Dis-le un peu, le tien, pour voir...

OCTAVE, se levant.

Tu veux ?

ADÈLE.

Oui...

OCTAVE.

Eh bien...

ADÈLE.

Eh bien ?... voyons...

OCTAVE.

Eh bien, je suis amoureux...

ADÈLE.

Toi aussi !!!

OCTAVE.

Comment ! moi aussi...

ADÈLE.

Va donc... va donc... Ainsi, tu es amoureux, ah... Et de qui es-tu amoureux ?

OCTAVE.

Je ne peux pas le dire, mon amour est un amour coupable...

ADÈLE.

Oh !

OCTAVE.

Oui, coupable, mais il n’en est que plus ardent.

ADÈLE.

Cela est-il possible ? toi, mon frère, un amour... et un amour coupable !

OCTAVE.

C’est comme ça.

ADÈLE.

Oh !

OCTAVE.

À ton tour, maintenant, voyons...

ADÈLE.

Oh ! moi, c’est encore plus grave...

OCTAVE.

Par exemple !

ADÈLE.

J’ai une intrigue, moi.

OCTAVE.

Une intrigue !

ADÈLE.

Oui.

OCTAVE.

Une intrigue d’amour ?...

ADÈLE.

Naturellement.

OCTAVE.

Cela est-il possible, toi, ma sœur, une intrigue, une intrigue d’amour !

ADÈLE.

Ne sois pas méchant, je te dirai tout.

OCTAVE.

J’y compte, mademoiselle.

ADÈLE.

Ne sois pas méchant.

Elle le prend par le bras.

C’était il y a six semaines... au couvent... ma cousine était venue me voir. En face de nous, dans le parloir, il y avait un jeune homme, qui, lui, était venu voir une de mes amies, Caroline... Caroline de la Roche-Bardière. J’étais bien tranquille, moi, je bavardais avec ma cousine, et je dévorais les tartes qu’elle m’avait apportées. Tout en dévorant, je crus m’apercevoir que ce jeune homme regardait fort sou vent de notre côté... moi aussi, alors, je m’amusai à le regarder... Ah ! mon frère, qu’il était beau ! ce n’était pas un gringalet comme toi...

OCTAVE.

Gringalet !...

ADÈLE.

Oh !... tu es bien gentil tout de même... mais enfin il n’y ą pas à dire, tu es un peu gringalet ; lui, au contraire, c’était un bel homme... grand, fort, solide...il était superbe ! À la récréation suivante, je demandai à Caroline qui était ce monsieur qui était venu la voir... elle me répondit que c’était son frère, le baron Hercule de la Roche-Bardière.

OCTAVE, remontant et riant.

Ah ! ah ! ah ! c’est ça ton intrigue ?...

ADÈLE passe et va s’asseoir, Octave s’assied à côté d’elle.

Attends donc. Huit jours après, je le revis... toujours au parloir : il y était avec Caroline, j’y étais avec ma cousine et, cette fois encore, il se mit à regarder de notre côté. Il n’y avait pas à s’y tromper, c’était bien à l’une de nous deux qu’il en voulait. Il se retournait sur sa chaise et il faisait comme ceci.

Elle fait le geste de friser sa moustache.

Et il faisait comme cela.

Geste d’arranger les cheveux.

 Toujours tourné vers nous et ne nous quittant pas des yeux ! Pour qui se donnait-il tout ce mal ? À qui adressait-il tous ces regards ?... à ma cousine... ou à moi ? Ce ne pouvait pas être à ma cousine, puisqu’elle est mariée.

Sur cette déclaration, Octave donne les signes d’une violente gaieté.

Qu’est-ce que tu as ?

OCTAVE.

Rien, rien, va toujours...

ADÈLE.

Ce ne pouvait pas être à ma cousine, donc c’était à moi. Cette idée ne m’entra pas tout de suite dans l’esprit ; quand elle y fut entrée, je ne sais pas ce qui se passa en moi... je devins rouge, je devins pâle, je crus que j’allais m’évanouir ; ma cousine me demanda ce que j’avais, je lui répondis que je n’avais rien... j’essayai de me remettre.

Elle se lève.

Mais j’eus beau faire... ce jour-là, pour la première fois, je ne mangeai pas jusqu’au bout la tarte que j’avais commencée.

OCTAVE.

C’était si grave que ça ?...

Il se lève.

ADÈLE.

À la récréation suivante, je demandai à Caroline si son frère était marié ; si elle m’avait répondu qu’il l’était, je sais bien ce que j’aurais fait...

OCTAVE.

Qu’est-ce que tu aurais fait ?...

ADÈLE.

Je serais morte.

OCTAVE.

Oh ! oh !

ADÈLE.

Oui, je serais morte. Mais il n’était pas marié...il ne pouvait pas l’être... c’est avec moi qu’il se mariera... il m’aime... et maintenant il sait que je suis sortie du couvent... que je suis ici... et très certainement il doit être en route pour venir demander ma main.

OCTAVE, riant.

Comme ça, tout de suite ?...

ADÈLE.

En tout cas, ça ne peut tarder.

OCTAVE.

Tu en es sûre ?...

ADÈLE.

Oui, j’en suis sûre... à ce point que si, en ce moment même, je le voyais entrer, je n’en serais pas... oh ! mais là pas du tout surprise !

 

 

Scène VI

 

ADÈLE, OCTAVE, TURQUET, entrant en tenue de précepteur, des livres sous le bras

 

ADÈLE, à la vue de Turquet.

Ah !

Turquet surpris laisse tomber ses livres, nouveau cri d’Adèle.

Ah !

Elle s’évanouit dans les bras d’Octave.

OCTAVE.

Eh bien... eh bien, Adèle ! monsieur Turquet, je vous en prie, ayez la bonté de sonner.

TURQUET, courant comme un fou.

La sonnette ? où est la sonnette ?... je ne trouve pas la sonnette...

OCTAVE.

Là... là, je vous dis.

TURQUET, courant toujours.

Où ça là... où ça là ?...

OCTAVE.

Tenez... voulez-vous, pendant un instant... 

Il met Adèle dans les bras de Turquet, va à la sonnette et sonne à tour de bras.

TURQUET, pendant qu’Octave sonne.

C’est un flacon qu’il faudrait... ou bien un verre d’eau... qu’est-ce qu’elle a, cette petite ? qu’est-ce qu’elle a ?

Entrent deux ou trois domestiques par le fond, Dauberthier par la gauche, Léontine par la droite, tout ce monde effaré criant : Qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce que c’est ?

 

 

Scène VII

 

ADÈLE, OCTAVE, TURQUET, DAUBERTHIER, LÉONTINE

 

OCTAVE.

Ma sœur qui vient de s’évanouir...

Adèle revient à elle et, se voyant dans les bras de Turquet, elle le quitte brusquement et court à Léontine qui vient d’entrer.

LÉONTINE.

Comment de s’évanouir... et à quel propos ?

Entre Dauberthier par la gauche, premier plan.

ADÈLE.

À propos de rien... ça m’est venu comme ça... mais c’est fini... n’ayez pas peur.

DAUBERTHIER.

Adèle ! mon enfant.

ADÈLE.

Ce n’est rien, je vous assure.

Regardant Turquet.

Ça va très bien, ça va mieux qu’avant...

LÉONTINE.

Je t’avais bien dit que tu te ferais du mal... tu t’animais trop.

ADÈLE.

C’est cela, ma cousine, c’est justement cela, je me suis trop animée.

DAUBERTHIER.

Allons, viens, le grand air te remettra.

ADÈLE.

Oui, je crois en effet que le grand air...

Elle fait quelques pas soutenue par Dauberthier et Léontine.

Quel est donc ce monsieur ?

DAUBERTHIER.

C’est M. Turquet, le précepteur de ton frère.

ADÈLE.

Monsieur Turquet ?

DAUBERTHIER.

Oui.

ADÈLE.

Le précepteur ?

DAUBERTHIER.

Oui.

ADÈLE.

Ah ! c’est le précepteur...

DAUBERTHIER.

Allons, viens...

Octave descend à gauche.

Es-tu bien sûre que c’est Tulle le chef-lieu de la Corrèze ?... Je trouve avec Castelnaudary, il n’y a qu’avec Tulle que je ne peux pas trouver...

ADÈLE, regardant toujours Turquet.

Le précepteur !

Elle sort par le fond à droite avec Dauberthier et Léontine.

 

 

Scène VIII

 

OCTAVE, TURQUET

 

OCTAVE, au fond de la scène, regardant sa sœur s’éloigner.

Décidément, ce n’était rien. Elle rit maintenant, elle est très gaie...

TURQUET.

Nous pouvons prendre notre leçon alors... notre bonne leçon d’histoire de France.

Octave passe et s’assied a la table à droite, ainsi que Turquet.

OCTAVE.

Mais certainement...

Il est assis en face de Turquet. Celui-ci lui tend un étui plein de cigares, Octave en prend un, l’allume. Turquet en fait autant et ils se mettent à fumer tous les deux. Moment de silence.

OCTAVE, avec admiration.

Voilà un précepteur !

TURQUET, s’asseyant.

Eh bien, voyons, de quoi parlerons-nous aujourd’hui ?

OCTAVE.

Avant-hier nous avons parlé de chasse, hier nous avons parlé de chevaux... Si nous parlions de femmes aujourd’hui ?...

TURQUET.

De femmes ?...

OCTAVE.

Oui...

TURQUET.

Je ne demande pas mieux ; parlons de femmes.

OCTAVE, avec enthousiasme.

Ah ! et quand je me rappelle que vous me faisiez peur, et qu’avant votre arrivée je cherchais déjà les moyens de me débarrasser de vous !

TURQUET.

Oh !...

OCTAVE.

Mon Dieu, oui ; ma cousine m’avait montré une lettre écrite par la personne qui vous avait recommandé à elle... On ne parlait que de votre érudition dans cette lettre, de votre immense érudition et de votre ardeur pour le travail. M. Turquet, disait-on, est un jeune homme consciencieux et modeste. Sa vie entière a été consacrée à l’étude. Il sait tout, littérature, philosophie, histoire, langues mortes, langues vivantes, etc. etc. et moi, voyant que vous saviez tant de choses, je me disais...

TURQUET.

En voilà encore un qui va m’assommer...

OCTAVE.

Mais vous êtes venu, nous avons fait connaissance...

TURQUET.

Et vous avez vu que, malgré mon immense érudition...

OCTAVE.

J’ai vu que vous étiez le plus charmant des hommes...

Il lui serre la main, ils se lèvent.

TURQUET.

Je suis tout bonnement un précepteur qui connaît son métier. Vous devez plus tard être un jeune homme riche, un jeune homme à la mode. Je tâche de vous enseigner ce que doit savoir un jeune homme riche, un jeune homme à la mode...Voyons, est-ce des femmes en général que vous désirez parler, ou bien d’une femme en particulier ?...

OCTAVE.

C’est d’une femme en particulier.

TURQUET.

Ah !

OCTAVE.

Oui, je voudrais savoir comment il faut s’y prendre pour écrire à une femme qu’on adore, une lettre dans laquelle on lui dit qu’on l’adore...

TURQUET.

Ah ! ah ! nous sommes amoureux...

OCTAVE.

Oui.

TURQUET.

Et quelle est la personne ?

OCTAVE.

C’est une amie de ma cousine, vous ne connaissez pas, une voisine de campagne.

TURQUET.

Qui s’appelle ?

OCTAVE.

Oh ! je ne peux pas dire.

TURQUET.

Bien, jeune homme, de la discrétion, ça vous passera, mais c’est très bien. Vous pouvez me dire, au moins, si cette voisine de campagne est une jeune fille ou si elle est mariée ?

OCTAVE.

Elle est mariée.

TURQUET.

Bien, jeune homme, très bien !

Il va chercher une allumette à la table.

OCTAVE un peu étonné.

Ah !

TURQUET.

Ce n’est pas qu’il soit désagréable d’être aimé par une jeune fille...

Il s’assied.

Oh ! non, bien au contraire... adorables, les jeunes filles. Elles ont surtout une franchise, une crânerie... Elles se jettent dans l’amour comme les terre-neuve se jettent dans l’eau... d’un seul coup... pouf ! mais il faut prendre garde, parce qu’avec elles ces choses-là se terminent généralement par un mariage... ou bien alors il faudrait être tout à fait canaille...

OCTAVE.

Et il ne faut pas l’être tout à fait ?

TURQUET.

Non !

OCTAVE.

Mais on peut l’être un peu ?

TURQUET.

Oui.

OCTAVE, à part.

Voilà un précepteur !

TURQUET.

Nous disions donc que vous voudriez lui écrire...

OCTAVE.

Oui, j’ai essayé tout seul, je n’ai rien trouvé...

TURQUET.

C’est une dictée alors ; je vois ce qu’il vous faut, c’est une dictée... vous désirez que je vous dicte...

OCTAVE.

Juste...

TURQUET, se levant.

C’est bon, prenez une feuille de papier

Octave va table.

et écrivez.

Tirant de sa poche la lettre que Léontine lui a rendue.

J’ai justement là...

OCTAVE.

Comment ! vous avez dans votre poche...

TURQUET.

Je me doutais bien qu’un jour ou l’autre la leçon roulerait là-dessus... et j’avais préparé un modèle... Y êtes-vous ?

OCTAVE.

J’y suis.

TURQUET, dictant.

« Je vous aime... »

OCTAVE.

J’avais trouvé ça... mais je n’avais pas pu aller plus loin. « Je vous aime... »

TURQUET.

« Mes regards ont dû vous le dire... »

OCTAVE.

Oh ! que oui, ils le lui ont dit... mais, tant que l’on s’en tient aux regards, on n’est jamais sûr.

TURQUET.

« Mes regards ont dû vous le dire. Dans le cas où ils ne vous l’auraient pas dit d’une façon suffisamment claire, je vous l’écris. »

OCTAVE.

Ah ! que c’est bien !

TURQUET.

Je crois bien que c’est bien, c’est d’un bon auteur. « Je vous aime... »

OCTAVE.

J’ai envie de le mettre deux fois.

TURQUET.

Si vous voulez : « je vous aime et je vous assure que si vous vouliez m’aimer un peu, ça me ferait beaucoup de plaisir. »

OCTAVE.

C’est tout ?

TURQUET.

Oui.

OCTAVE, un peu désappointé.

Ah !

TURQUET.

Que voulez-vous de plus ? c’est net, c’est clair, ça dit ce que ça veut dire...

OCTAVE.

Oh ! oui, quant à cela... mais je croyais qu’il fallait mettre là dedans un peu de flamme, un peu de passion.

TURQUET.

Autrefois c’est possible, mais nous avons changé tout cela...

Il gagne à gauche.

OCTAVE, mettant sa lettre dans une enveloppe.

Ah ! alors... je vais faire porter ma lettre, je vais la faire porter tout de suite...

Il se lève.

TURQUET.

Et vous me direz comment elle aura été reçue. Seulement,

Descendant.

pour plus tard un conseil. Il vaut mieux en général s’adresser à deux femmes qu’à une seule...

Gagnant à droite.

OCTAVE.

Oh !

TURQUET.

Oui, vous vous adressez en même temps à deux femmes et vous vous arrangez de manière qu’elles s’en doutent... La première alors vous prend pour que la seconde ne vous ait pas ; la seconde, après cela, se donne pour avoir le plaisir de vous enlever à la première.

OCTAVE.

Et on les garde toutes les deux ?

TURQUET.

Ou bien l’on en prend une troisième...

OCTAVE, à part.

Voilà un précepteur !!!

TURQUET.

Nous en resterons là pour aujourd’hui.

Entre Adèle.

 

 

Scène IX

 

OCTAVE, TURQUET, ADÈLE

 

ADÈLE. Octave remonte derrière la table.

Pardon, monsieur, je vous dérange. Vous étiez en train de donner à mon frère une leçon.

TURQUET.

En effet, mademoiselle, j’étais en train de donner à monsieur votre frère une bonne leçon.

ADÈLE, regardant les livres.

D’histoire de France ?

TURQUET, posant son cigare sur le guéridon derrière lui.

Oui.

ADÈLE, toussant.

C’est que... tout à l’heure... cet évanouissement ridicule... vous m’avez secourue avec tant d’empressement... J’ai demandé à mon cousin et à ma cousine la permission de venir vous remercier... ils me l’ont permis et je suis venue, mais si j’avais su que je vous dérangeais.

OCTAVE.

Tu ne nous déranges pas du tout, la leçon était finie. Merci, mon cher précepteur, merci.

Bas à Turquet.

Je vais faire porter ma lettre.

Il sort par la porte à droite, second plan.

 

 

Scène X

 

ADÈLE, TURQUET

 

ADÈLE, à part.

Nous allons bien voir si c’est un précepteur.

Jeu de scène. Adèle regarde Turquet avec une telle fixité, que celui-ci finit par croire qu’il a sur la figure quelque chose d’extraordinaire.

TURQUET, à part.

J’ai quelque chose, bien sûr.

Il va à la glace.

Non pourtant.

Il revient à Adèle.

Mais qu’est-ce qu’elle a, cette petite, qu’est-ce qu’elle a ?

Il prend ses livres. Adèle continue à le regarder et sourit.

Mademoiselle ?

Fausse sortie.

ADÈLE.

Monsieur, je vous ai dit que j’étais venue pour m’excuser auprès de vous, pour vous remercier, et c’est bien vrai, mais il y a autre chose.

TURQUET.

Quoi donc ?

ADÈLE.

J’ai une prière à vous adresser.

TURQUET.

Une prière...

ADÈLE.

Oui monsieur, je viens vous prier de vouloir bien me donner à moi aussi quelques leçons.

TURQUET.

À vous, mademoiselle ?

ADÈLE.

À moi.

TURQUET.

Mais vous n’en avez pas besoin, il me semble, et toutes ces couronnes...

ADÈLE.

Oh ! c’est peu de chose ce qu’on apprend au couvent... et vous me rendriez vraiment service en voulant bien vous charger de compléter mon éducation.

TURQUET.

Hein ! ah ! ah !

Il recule un peu.

ADÈLE.

Oh ! vous ne pouvez pas refuser...

TURQUET.

Aussi, je ne refuse pas, mademoiselle, je ne refuse pas, et un de ces jours nous pourrons...

ADÈLE, s’asseyant.

Si vous voulez, nous commencerons tout de suite.

TURQUET.

Comment, tout de suite !

Il pose ses livres sur la table.

ADÈLE.

Oui ; il y a là tout ce qu’il faut.

Regardant un livre qui est tout ouvert sur la table.

Histoire de France ; c’est ma passion l’histoire de France, et puisque vous étiez justement en train avec mon frère... Où en étiez-vous ? Louis XII... Eh bien, prenons où vous en étiez ; dites-moi le règne de Louis XII.

TURQUET, à part.

Ah çà !... mais... elle m’ennuie, cette petite.

ADÈLE, à part.

Nous allons bien voir si c’est un précepteur.

TURQUET, à part.

D’un autre côté, si je ne fais pas ce qu’elle veut, on va découvrir... et alors je serai obligé de renoncer à la jolie mademoiselle Dauberthier, et je l’adore, moi, la jolie mademoiselle Dauberthier.

ADÈLE.

Eh bien, monsieur ?

TURQUET.

Eh bien, mademoiselle, puisque vous me faites l’honneur d’insister...

Il s’assied.

ADÈLE.

Oui, monsieur, j’insiste.

À part.

Nous allons bien voir, nous allons bien voir...

Turquet s’assied en face d’Adèle, nouveaux. regards, nouvelles mines de celle-ci. Après un silence elle prend un air gracieux, et du ton d’une personne qui attend.

Louis XII ?...

TURQUET, à part.

Le diable m’emporte, si je sais un mot...

ADÈLE.

Louis XII ?...

TURQUET.

C’est que... nous avions fini Louis XII, nous venons justement de finir...

ADÈLE.

Continuons alors ; passons à son successeur...

TURQUET.

Son successeur ?...

ADÈLE.

Oui.

TURQUET, prenant son parti, à part.

Bah ! elle n’en sait peut-être pas plus que moi après tout.

Haut et résolument.

Louis XII eut pour successeur Louis XIII.

ADÈLE, d’une voix douce.

Non... François Ier.

TURQUET.

C’est ce que je voulais dire... Louis XII eut pour successeur François Ier, son fils.

ADÈLE.

Non, son cousin...

TURQUET.

C’est ce que je voulais dire... Son cousin François Ier monta sur le trône en 1410...

ADÈLE.

Non, en 1515...

TURQUET.

1515... C’est ce que je voulais dire. Il eut pour femme Agnès Sorel, non, la célèbre Diane de Poitiers...

ADÈLE.

Oh ! non, ce n’était pas sa femme, Diane de Poitiers...

TURQUET.

C’est ce que... Vous vous moquez de moi ?...

ADÈLE, avec transport, se levant.

Oh ! non... je ne me moque pas de vous, je vous admire, au contraire, je vous... Mais je sais maintenant ce que je voulais savoir. Vous n’êtes pas un précepteur.

TURQUET, se levant.

Aïe !

ADÈLE.

Un précepteur saurait au moins quelques petites choses... vous ne savez rien, vous, vous ne savez rien du tout ! vous êtes un homme du monde...

TURQUET.

Mademoiselle...

ADÈLE.

Vous êtes le baron Hercule de la Roche-Bardière...

TURQUET.

Mademoiselle, je vous prie.

ADÈLE.

Ah ! je vous ai bien reconnu tout à l’heure quand vous êtes entré... Vous êtes le baron Hercule de la Roche-Bardière... et je sais dans quel but vous êtes venu ici...

TURQUET.

Par exemple !...

ADÈLE.

Mais pourquoi avez-vous pris un déguisement ? pourquoi tous ces détours ? vous avez eu peur de rencontrer des difficultés... Il n’y en aura pas, je vous assure ; ma cousine ne demandera pas mieux...

TURQUET.

Ah !

ADÈLE.

Quant à son mari, ça lui fera plaisir...

TURQUET, à part.

Mais qu’est-ce qu’elle me dit ? mais qu’est-ce qu’elle dit ?

ADÈLE.

Et moi... quoique je sache fort bien qu’il ne m’appartient pas d’avoir une opinion sur un pareil sujet, je puis vous assurer... Voici ma cousine... n’ayez pas peur... dites-lui hardiment ce que vous avez à lui dire... ça ira tout seul...

Entre Léontine.

 

 

Scène XI

 

ADÈLE, TURQUET, LÉONTINE

 

LÉONTINE.

Laisse-nous, Adèle...

ADÈLE.

Ah ! il faut que je ?...

LÉONTINE.

Oui, laisse-nous...

ADÈLE, à part.

C’est juste... Il va demander ma main... Je ne peux pas être là... Ce ne serait pas convenable... J’aurais bien voulu pourtant...

LÉONTINE.

Eh bien ?

ADÈLE.

Je m’en vais, ma cousine, je m’en vais...

À part.

Au fait, puisque c’est de moi qu’il s’agit, j’ai bien le droit... je ne verrai pas, mais j’entendrai...

Sur un regard de Léontine.

Je m’en vais, ma cousine, je m’en vais !

Elle sort par la porte à gauche, premier plan, après avoir fait un signe d’encouragement à Turquet.

 

 

Scène XII

 

TURQUET, LÉONTINE

 

LÉONTINE, fiévreuse.

Mon cousin Octave vient de me faire remettre cette lettre ; ayez la bonté d’y jeter les yeux.

Elle lui donne la lettre.

TURQUET.

Comment ! c’était pour vous... Tiens, tiens, tiens, ce petit bonhomme... Votre cousin m’a trompé, madame... il m’a dit qu’il était amoureux d’une de vos amies, d’une voisine de campagne ; alors moi... croyez bien que si j’avais su que c’était vous qu’il aimait, que c’était à vous qu’il voulait écrire...

LÉONTINE.

Ainsi, monsieur, voilà les leçons que vous donnez à votre élève... c’est ainsi que vous remplissez vos devoirs de précepteur...

TURQUET.

Eh ! madame, je ne suis pas un précepteur !...

LÉONTINE.

Ah ! vous en convenez à la fin...

TURQUET, à part.

Il faut bien que j’en convienne, puisque cette petite...

Haut.

Je suis le baron de la Roche-Bardière, madame... Si j’ai fait semblant d’être un précepteur, si j’ai consenti à recevoir 150 francs d’avance, c’est que je vous aimais, c’est que je vous adorais, c’est que je vous adore...

On entend à gauche un soupir lamentable.

LÉONTINE.

Monsieur... n’avez-vous pas entendu ?...

TURQUET, la tête perdue.

Non, madame, je n’ai rien entendu du tout... les 150 francs je les rendrai, mais quant à mon amour...

LÉONTINE.

Prenez garde, si l’on venait...

TURQUET.

N’ayez pas peur, j’ai l’habitude... Quant à mon amour...

LÉONTINE.

Laissez-moi sortir...

TURQUET.

Non, je ne vous laisserai pas... Quant à mon amour, rien au monde ne m’empêchera de vous en parler. C’est au couvent que je vous ai aperçue pour la première fois, au parloir... Vous veniez y voir votre cousine, et je venais, moi, y voir ma sœur, c’est là que j’ai commencé à vous aimer...

LÉONTINE.

Laissez-moi...

TURQUET.

Non, vous dis-je... Depuis je n’ai pensé qu’à une chose... à trouver un moyen de me rapprocher de vous ! Aussi quand un de mes camarades de collège, un pauvre diable nommé Turquet, est venu m’annoncer qu’il allait être précepteur au château d’Azay, chez vous, je n’ai pas hésité, je l’ai supplié de me céder sa place et je suis venu...

LÉONTINE.

Laissez-moi, je vous en prie...

TURQUET.

Non, c’est inutile, je ne vous laisserai pas sortir avant que vous m’ayez répondu.

LÉONTINE.

Ici !... c’est impossible... J’ai trop peur.

Nouveau gémissement au dehors.

Il me semble encore que je viens d’entendre...

TURQUET.

Vous dites cela pour que je vous laisse...

LÉONTINE.

Je vous en prie. Tout à l’heure, si vous voulez, je vous répondrai... mais pas ici.

TURQUET.

Eh bien, dans le kiosque, au bout du jardin.

LÉONTINE.

Dans le kiosque !

TURQUET.

Oui.

LÉONTINE.

Eh bien ! soit, dans le kiosque.

TURQUET.

Vous у viendrez !

LÉONTINE.

Oui, mais laissez-moi.

TURQUET.

J’ai confiance.

LÉONTINE.

Ah !

Elle sort par la porte de droite, second plan.

 

 

Scène XIII

 

TURQUET, allumant un cigare

 

Tout à l’heure... dans le kiosque... au fond du jardin... c’est très bien... mais après ?... Cette petite qui a deviné que j’étais un homme du monde... et qui sait mon vrai nom ! Si elle allait parler... Que le diable l’emporte, cette petite...

La porte de gauche s’est ouverte. Adèle entre. Elle a entendu les dernières paroles de Turquet. Elle pousse un troisième soupir.

 

 

Scène XIV

 

ADÈLE, TURQUET

 

ADÈLE.

Ah !

TURQUET, se retournant au moment où il allait sortir.

Eh bien... qu’est-ce que c’est encore ?...

Courant à Adèle.

Mademoiselle... eh bien, mademoiselle !...

ADÈLE, s’échappant avec indignation et passant.

Ne me touchez pas ! ne m’approchez pas.

TURQUET.

Qu’est-ce qu’elle a ?...

ADÈLE.

Allez retrouver ma cousine... Elle vous attend... dans le kiosque !...

TURQUET.

Comment ! vous avez entendu ?...

ADÈLE.

Oui... j’ai entendu... j’étais là...

TURQUET, à part.

Ah ! mais... elle est insupportable...

ADÈLE.

Allez-y dans le kiosque...

TURQUET, faisant un pas et s’arrêtant furieux.

Je ne peux plus y aller, maintenant... je ne peux plus... c’est une affaire manquée.

ADÈLE, allant à lui.

Quant à moi, je pars d’ici... je retourne au couvent... et j’y resterai toute ma vie au couvent... toute ma vie, vous entendez, toute ma vie, toute ma vie.

Gagnant à droite.

TURQUET, à part.

Elle est folle !...

ADÈLE.

Mais, avant de partir, je tiens à vous remercier... à vous remercier de l’excellente leçon que vous m’avez donnée... Oh ! je ne parle pas de l’histoire de France... Vous n’en savez pas un mot...

TURQUET.

J’en ai su un peu autrefois...

ADÈLE.

Ce dont je vous remercie, c’est de m’avoir appris ce que c’est que la vie !...

Elle passe, Turquet descend.

Moi qui étais si heureuse d’y entrer, ce doit être si bon, me disais-je, ce doit être si beau.

Elle tombe assise.

Et voilà ce que c’est, ô mes illusions, mes pauvres illusions de jeune fille...

TURQUET, indiquant du geste qu’il continue à la croire folle, à part.

Qu’est-ce que je vous disais ?

Elle se lève.

On a tort de la laisser aller et venir comme cela...

ADÈLE.

Je me figurais, moi, que lorsqu’un jeune homme se déguisait en précepteur... que lorsqu’il s’introduisait dans une maison où il y a une jeune fille et une femme mariée...

TURQUET.

Qu’est-ce qu’elle dit ?...

ADÈLE.

Ce devait nécessairement être pour la jeune fille...

TURQUET.

Eh là !...

ADÈLE.

Vous m’avez prouvé le contraire et je vous en remercie... Je regrette seulement que vous ne me l’ayez pas prouvé plus tôt,

Haletante, mots entrecoupés.

car bien certainement, si j’avais su plus tôt que ce n’était pas moi que vous aimiez... moi non plus je ne vous aurais pas...

TURQUET.

Vous ne m’auriez pas...

ADÈLE.

Je ne l’ai pas dit, je ne veux pas le dire ! d’ailleurs, c’est fini maintenant, c’est bien fini ! je ne vous aime plus...

TURQUET.

Oh !

ADÈLE.

Au contraire, je vous déteste, je vous déteste !

TURQUET, à part.

Ah ! bien... il ne nous manquait plus que ça...

Haut, avec bonté.

Voyons, ma chère petite, voyons.

ADÈLE.

Je ne veux pas que vous m’appeliez votre chère petite, et je vous défends de vous moquer de moi...

TURQUET.

Je ne me moque pas...

ADÈLE.

Si fait, je vois bien...

TURQUET.

Je ne me moque pas... je suis touché, au contraire, je vous assure que je suis véritablement touché ; mais enfin, voyons...

ADÈLE.

Nous n’avons rien à voir ; et je vous ai dit ce que j’avais à vous dire, et vous pouvez y aller maintenant dans le kiosque...

TURQUET.

Dans le kiosque ?...

ADÈLE.

Oui, dans le kiosque, où ma cousine...

TURQUET.

Ne parlons plus de ça... c’est une affaire manquée...

ADÈLE.

Vraiment ! vous n’irez pas ?

TURQUET.

Eh non !...

ADÈLE.

Vous n’irez pas dans le kiosque ?...

TURQUET, riant.

Je n’irai pas dans le kiosque.

ADÈLE, avec élan.

Ah ! c’est bien, c’est très bien ! ce n’est pas pour moi que je vous dis ça... ça m’est bien égal, à moi, que vous alliez dans le kiosque ou que vous n’y alliez pas... mais mon cousin... un si bon, un si excellent homme... lui faire de la peine... je vous disais tout à l’heure que ça lui ferait plaisir, qu’il ne demanderait pas mieux... mais ce n’est pas de ça que je voulais parler...

TURQUET, à part, gardant dans ses mains la main qu’Adèle lui a tendue au commencement de la dernière réplique.

Ces petites filles !...

Haut et l’attirant à lui.

C’est au parloir que vous m’avez vu pour la première fois ?...

ADÈLE.

Oui.

TURQUET.

C’est ma sœur qui vous a dit qui j’étais ?...

ADÈLE.

Oui.

TURQUET, souriant.

Et vous vous êtes mise à m’aimer comme ça, tout de suite ?...

ADÈLE.

Tout de suite, tout de suite...

TURQUET.

Et de toutes vos forces ?...

ADÈLE.

Éperdument.

TURQUET, à part.

Ces petites filles ! eh !... Quelle franchise, quelle crâne rie ! ça fait quelque chose tout de même.

ADÈLE, le quittant.

Mais c’est fini, n’ayez pas peur, c’est bien fini...

Elle remonte chercher ses livres sur le guéridon au fond, puis elle descend avec ses livres et va s’asseoir sur le canapé.

Je retourne au couvent main tenant, j’y retourne pour n’en plus sortir : j’ai trop souffert, je suis lasse du monde.

TURQUET.

Ah !

ADÈLE.

Mensonge, fourberie, trahison !... voilà ce que j’ai vu pour mon premier jour... Et il n’est pas quatre heures... qu’est-ce que je verrais donc, mon Dieu, si j’attendais jusqu’au dîner ?...

TURQUET, s’asseyant.

Tout cela parce que tout à l’heure vous avez cru en tendre...

ADÈLE.

Je n’ai pas cru entendre... j’ai entendu... j’étais là derrière cette porte et j’ai parfaitement entendu.

Elle continue ses préparatifs.

TURQUET, à part.

Comme ce serait facile de lui prouver qu’elle s’est trompée... il n’y aurait pas besoin de lui donner de raison... je suis bien sûr qu’elle trouverait elle-même.

ADÈLE, se levant, mettant ses livres sous son bras et passant.

Là...

TURQUET, se levant.

Ainsi vous étiez là, derrière cette porte ?...

ADÈLE.

Oui... là... là... j’étais là... et je vous ai entendu dire à ma cousine...

TURQUET, se levant.

Que c’était elle que j’aimais...

ADÈLE.

Oui, et que vous iriez la retrouver dans le kiosque...

Elle remonte.

TURQUET.

Vous m’avez entendu lui dire cela, et vous n’avez pas deviné ?...

ADÈLE, s’arrêtant.

Vous dites ?...

TURQUET.

Vous n’avez pas deviné...

À part.

Je parie qu’elle va deviner quelque chose...

ADÈLE, avec un grand cri et laissant tomber tout ce qu’elle tient à la main.

Ah !...

TURQUET, à part.

Qu’est-ce que je vous disais !...

ADÈLE.

Vous saviez que j’étais là ?...

TURQUET.

Juste...

ADÈLE.

Et c’est pour me punir d’écouter aux portes ?...

TURQUET.

Certainement.

ADÈLE. À chaque mot, Turquet fait signe que c’est bien cela.

Sans cela, au lieu de lui dire que... vous lui auriez dit... tandis que moi étant là... vous alors, naturellement... et elle aussi, par conséquent... c’est bien simple... il faut que j’aie été folle pour ne pas avoir deviné tout de suite...

Tombant dans les bras de Turquet.

Ah ! je savais bien que je ne pouvais pas ne pas être heureuse... je savais bien que c’était moi... que c’était pour moi.

TURQUET, la tenant embrassée.

Ces petites filles !...

Entre Dauberthier suivi de Léontine et d’Adèle. Adèle s’éloigne brusquement de Turquet ; celui-ci effaré ramasse les livres d’Adèle.

 

 

Scène XV

 

ADÈLE, TURQUET, DAUBERTHIER, OCTAVE, LÉONTINE

 

DAUBERTHIER, à la cantonade.

C’est bien, j’y vais.

À Turquet.

Voici cent cinquante francs, monsieur.

Léontine entre.

Voici cent cinquante francs que je vous prie d’accepter...

TURQUET, se relevant.

Encore !... mais j’ai déjà reçu un mois d’avance... et je ne suis ici que depuis quinze jours...

DAUBERTHIER.

Cela ne fait rien, je vous prie de recevoir ces cent cinquante francs à titre d’indemnité... Ma femme m’ayant déclaré

Léontine descend.

que, pour des raisons qu’elle n’a pas voulu me dire, il nous était impossible de vous garder plus longtemps...

TURQUET.

Ah ! madame vous a déclaré ?...

LÉONTINE.

Oui, monsieur, j’ai été obligée à mon grand regret...

ADÈLE, à Turquet.

Je vois ce que c’est, elle n’aura pas compris et vous l’aurez fâchée.

À Léontine.

Il savait que j’étais là derrière la porte, c’est pour cela qu’il t’a dit tout ce qu’il t’a dit. Tu n’as pas compris...

DAUBERTHIER.

Moi non plus, je ne comprends pas...

ADÈLE.

Ce n’est pas cent cinquante francs qu’il faut lui donner, c’est un million...

DAUBERTHIER.

Un million ?...

ADÈLE.

Ma dot n’est-elle pas d’un million ?... Eh bien, il faut lui donner ma dot, puisqu’il m’épouse...

TURQUET.

Un million de dot !!! Ah ! bien, par exemple, je ne savais pas... je vous donne ma parole d’honneur que je ne savais pas... mais ça ne fait rien, ce ne sera pas un obstacle...

DAUBERTHIER.

Comment ! il t’épouse ?... Le précepteur de ton frère... jamais de la vie !...

ADÈLE.

Monsieur n’est pas un précepteur... ma cousine sait bien que ce n’est pas un précepteur...

Elle passe.

DAUBERTHIER, à Léontine.

Vous savez...

ADÈLE.

Monsieur est le baron Hercule de la Roche-Bardière !

OCTAVE.

Le baron !...

ADÈLE.

Demandez à mon frère, je lui ai tout conté.

OCTAVE.

Ça, c’est vrai, elle m’a tout conté.

À Léontine.

Elle l’a vu au couvent.

En riant.

Et elle est folle de lui, absolument folle...

LÉONTINE.

Ah ! c’est différent alors, c’est différent...

DAUBERTHIER.

C’est différent, c’est différent, cela ne m’explique pas comment il se fait que depuis quinze jours monsieur le baron... ah ! j’y suis !...

Avec éclat.

j’y suis ! comme c’est drôle que ce soit juste au moment où l’on y pense le moins que les choses vous entrent dans l’esprit : Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Prenant le journal dans sa poche.

Un bon... il est bon ce un puisqu’il fait l’aumône... un bon tiens vaut... il en tient un... un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Turquet et Adèle s’éloignent. Turquet sur le canapé et Adèle sur la chaise. Léontine et Octave remontent et passent derrière la table, Dauberthier reste debout.

Ah ! celui-là, par exemple...

Il se précipita sur une feuille de papier et se met à écrire.

OCTAVE.

Ô ma cousine...

LÉONTINE passe à la chaise en face de son mari.

Taisez-vous, Octave...

ADÈLE, à Turquet.

Je vous aime tant, si vous saviez, je vous aime tant...

TURQUET, presque sérieux.

Eh bien, je suis touché, je vous assure que je suis véritablement touché...

DAUBERTHIER, écrivant.

À monsieur... monsieur le directeur de l’Illustration, à Paris...

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