L’Impromptu de l’Alma (Eugène IONESCO)
Farce comique en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur la scène du Studio des Champs-Élysée, le 20 février 1956.
Personnages
IONESCO
BARTHOLOMEUS I
BARTHOLOMEUS II
BARTHOLOMEUS III
MARIE
Résumé
L’auteur dramatique Ionesco reçoit la visite de trois docteurs (Bartholomeus I, II et III). Les commentaires de tous les quatre sur la pièce qu’Ionesco est en train d’écrire sont loin de s’accorder, mais les docteurs s’unissent pour éduquer l’auteur récalcitrant. L’exercice tourne au burlesque jusqu’au moment où la femme de ménage met fin à l’expérience. Cette farce satirique, visant trois critiques bien connus, peut aussi être perçue comme une réflexion théâtrale sur la critique et le théâtre lui-même.
Ionesco dort dans son bureau quand on sonne à la porte. C’est Bartholomeus I qui vient chercher la nouvelle pièce d’Ionesco car un théâtre veut la mettre en scène. Au début l’auteur dit que la pièce n’est pas encore achevée ; mais ensuite il affirme que la majeure partie serait finie.
Ionesco explique sa méthode de création : c’est toujours une image qui déclenche le processus de son travail, puis il se laisse emporter par ses personnages. Chaque pièce présente une aventure, une découverte pour lui.
Dans la pièce en cours de rédaction, Le Caméléon et le Berger, le titre décrit l’image qui sera le départ de l’action. Ionesco ne sait pas encore comment faire pour la mettre en pratique, mais il est sûr de participer lui-même à la pièce pour déclencher une discussion sur le théâtre et présenter ses idées. Pour arriver à ce but, il établit un lien entre l’image et son opinion : « Si vous voulez, je suis tout de même le berger, le théâtre étant le caméléon, puisque j’ai embrassé la carrière théâtrale, et le théâtre change, bien sûr, car le théâtre c’est la vie. » Bartholomeus I veut qu’Ionesco lise sa pièce pour se faire une opinion sur le sujet.
Ce qu’Ionesco commence à lire est le début de l’Impromptu de l’Alma : Ionesco dort sur son bureau, Bartholomeus I sonne, frappe et l’appelle, jusqu’à ce qu’Ionesco se lève en rangeant ses cheveux. Bartholomeus I se renseigne sur la nouvelle pièce. Ionesco lui offre un fauteuil. C’est cette partie-ci qui ne laisse pas le moindre doute que la nouvelle pièce d’Ionesco et la réalité fictive de la pièce-cadre sont identiques. Le processus de création d’une pièce de l’auteur est décrit de la façon qu’il avait décrite auparavant.
L’image du caméléon n’est pas en rapport avec le développement de l’action : elle sert seulement de prétexte (Ionesco ironise ici sur sa méthode de travail, de créer une image du non-sens et de la symboliser en même temps ! « En réalité, je pense, cela ne devra servir que de prétexte.» « Vous voyez, je vais cette fois me mettre en scène moi-même ! » « Je parlerai donc du théâtre, de la critique dramatique, du public... »).
Cette « scène » produit l’effet d’une lecture de poèmes distanciée, l’ébauche d’une vraie mise en scène. Ionesco se distancie d’Ionesco dans Le Caméléon et le Berger car il lit le texte et l’indication scénique sans la réaliser (sauf ses cheveux, qu’il range...). D’abord le lecteur/spectateur croit que cette scène est une imitation mot à mot jusqu’au moment où le deuxième Bartholomeus se fait remarquer en sonnant et frappant. Tout le début commence à apparaître de nouveau (preuve de l’absurdité). Cette scène réalise alors le contenu de la lecture de poèmes quelques instants auparavant ! Quelques phrases deviennent réelles. Ionesco le fait entrer, lui offre un fauteuil. Peu après, Bartholomeus III s’annonce à la porte comme les deux autres. Après avoir salué tout le monde, Bartholomeus III se renseigne également sur le progrès de la nouvelle pièce - sur quoi Ionesco commence encore une fois à lire le début.
Ionesco se trouve immanent dans la pièce qu’il est en train d’écrire. Son effort d’éviter des répétitions est ironisé en faisant tout le contraire. En lisant le début, le spectateur/lecteur pourrait croire que tout commence de nouveau : quand Ionesco lit que quelqu’un frappe à la porte, il frappe vraiment. L’auteur répond de la même façon qu’avant. Bartholomeus I diagnostique qu’il s’agit ici d’un cercle vicieux. Mais Ionesco peut le franchir quand il n’ouvre pas la porte. Les trois Bartholomeus commencent à philosopher sur des cercles vicieux et ils créent une théorie des contradictions identiques – ce qui franchit enfin le cercle.
Au début, Ionesco peut encore s’exprimer librement. Mais pendant le déroulement les trois Bartholomeus l’intimident de plus en plus en lui montrant leur savoir (scientifique). Ils revendiquent la scène et la supériorité pour eux (BI : N’étant pas docteur, vous n’avez pas le droit d’avoir des idées. C’est à moi d’en avoir. »). En même temps il est de plus en plus manifeste que les trois B. ne savent rien. Le ridicule, par exemple que Shakespeare est polonais, se trouve même dans une encyclopédie. (« Nous voulons vous instruire » - J’ai pourtant été à l’école. « Cela nous confirme, on s’en doutait. » « Vous avez pu vous y nourrir de fausses sciences » (il est peu après question de Molière !).
Leur façon de voir les choses est toujours contraire à celle d’Ionesco. Même s’ils sont en désaccord (ils adorent Adamov, Sartre et Brecht), ils forment une unité devant l’adversaire/ l’ennemi. Les Bartholomeus insistent sur un théâtre épique qui a une fonction d’instruire et non de plaire ou divertir à la suite de quoi les docteurs ébauchent un théâtre qui est organisé comme une institution d’enseignement.
Plus tard, ils veulent guérir Ionesco de son « ignorance dangereuse » en le mettant au courant de la théâtrologie, la costumologie, historicisation et décorologie et la spectato-psychologie. Mais il faut du public pour le théâtre – Ionesco veut faire entrer Marie, sa femme de ménage, qui attend depuis assez longtemps devant la porte. Il est clair que l’auteur à l’impression que la conversation avec les trois docteurs équivaut à une pièce de théâtre pour un public (illusion). Avant que Marie ne puisse entrer, il faut que les Bartholomeus préparent le bureau d’après l’idée de Brecht (Dr. Bertholus) – B.I lit l’opuscule brechtien, B.II et B.III fixent des écriteaux, qui indiquent l’action (« éducation d’un auteur ») ou que les objets ne sont pas réels (« fausse table »). Même Ionesco n’est pas épargné : ils veulent changer ses vêtements (pas moderne pour un auteur de ce temps… la costumologie !). Finalement, l’auteur porte les mêmes vêtements qu’avant, ce qui signifie que leur action est absurde ! Il reçoit un masque d’âne et un écriteau indiquant « savant » : il doit se distancier de lui-même et se critiquer. B.II : « Ne vous identifiez pas à vous-même. Vous avez toujours eu le tort d’être vous-même. » B.I : « Observez-vous, tout en jouant. Soyez Ionesco en n’étant plus Ionesco. » (Un pas en avant, deux en arrière… Il arrive de l’autre côté de la chambre.)
L’intervention de Marie, qui incarne le bon sens, « sauve » l’auteur – les trois B. annulent l’étiquetage sous protestation. Marie donne à Ionesco des gifles pour le ramener à la raison et met les docteurs dehors. Ionesco, seul, annonce que la pièce est close. Il s’adresse au public en annonçant une apologie de son théâtre jusqu’au moment où les docteurs et Marie reviennent. Les trois le critiquent de nouveau (reproche : il essaie lui-même d’instruire) et Marie défend son action car elle était unique et pas la règle.