L’Espionne (Achille D’ARTOIS - Charles DUPEUTY)
Épisode de 1808, en cinq partie, mêlé de chant, imité du théâtre de Clara-Gazul.
Musique d’Adolphe Adam.
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Vaudeville, le 1er juin 1829.
Personnages
LE MARQUIS D’ERCILLA, général Espagnol, d’un certain âge
DON JUAN DIAZ, son neveu et son aide-de-camp
LE RÉSIDENT, diplomate, au service d’un Prince d’Allemagne
CHARLES LOWENSKI, officier Polonais, uniforme français
LYONNEL, officier de marine, Américain
FRANÇOIS, domestique du Résident
MADAME DE COULANGES, jeune Italienne de Florence
L’HÔTESSE de l’auberge des Trois Couronnes
UN GRENADIER ESPAGNOL
QUATRE MATELOTS
OFFICIERS et SOLDATS ESPAGNOLS
HABITANTS DE L’ÎLE
UNE FEMME DE CHAMBRE
La scène se passe dans une île du Danemark, en 1808.
PREMIÈRE PARTIE
Le théâtre représente le cabinet du Résident Au premier plan, de chaque côté, une porte. Une autre, au fond. À gauche, une cheminée. À droite, une table avec des papiers.
Scène première
LE RÉSIDENT, FRANÇOIS, OFFICIERS de diverses-armes
Au lever du rideau, on entend la fin d’une marche militaire. Le Résident entre suivi d’officiers de diverses armes. François est occupé à allumer du feu.
LE RÉSIDENT.
Merci, Messieurs, de l’honneur que vous m’avez fait en m’accompagnant jusque chez moi. Voici les grenadiers de Catalogne qui rentrent dans leurs quartiers. Je suis très content de la manière dont s’est passée la parade. Je vous recommande les plus grands égards pour les officiers espagnols, et j’espère que la plus parfaite harmonie continuera de régner entre eux et vous.
Les reconduisant.
Infiniment sensible à votre politesse.
La musique reprend un peu plus fort pour leur sortie.
Scène II
FRANÇOIS, LE RÉSIDENT
LE RÉSIDENT.
Que le diable les emporte, avec leurs cérémonies ! Ils me retiennent là, loin du feu, je suis pénétré, morfondu... Voyons, François, débarrasse-moi de ma douillette, et approche-moi ce fauteuil.
FRANÇOIS.
Voilà, Monsieur.
LE RÉSIDENT s’assied et se chauffe.
Maudite île de Fionie !... Peste soit du Danemark ! on ne peut sortir le matin sans risquer d’être trempé comme une soupe !... Heureusement, pour prix de mes services, je puis être baron un jour. Comme ça sonnerait bien... M. le baron de Paccarretti !
FRANÇOIS, regardant par la fenêtre.
Ah ! voilà le général espagnol qui passe au grand galop.
LE RÉSIDENT.
Oui, il rentre chez lui, sans doute pour méditer quelque projet qu’il me faudra pénétrer, prévenir et réprimer. Peste ! c’est que je n’ai dans cette île qu’une troupe d’alliés que je soupçonne fort insuffisante pour contenir la division espagnole, dont je suis chargé de surveiller l’esprit, en ma qualité de Résident. Les forces de la confédération forces que je représente, sont en Danemark, de l’autre côté du Belt. En vérité, le Prince m’a mis dans une situation bien critique... François, que penses-tu de tous ces Espagnols que commande le général d’Ercilla, et qui sont censés, avec nos troupes, composer la garnison de l’île ?
FRANÇOIS.
Ma foi, Monsieur, je pense que tous ces moricauds là ne nous aiment pas beaucoup.
LE RÉSIDENT.
C’est aussi mon opinion... Avec ça, il n’y a pas à les faire revenir ; ils sont tous entêtés comme des mulets de Catalogne... Ils ne veulent pas se mettre dans la tête qu’ils doivent se priver des denrées coloniales... ils veulent prendre du café des îles... Conçois-tu ça ?
FRANÇOIS.
Oui, Monsieur, je conçois... C’est bon, le café...
LE RÉSIDENT.
Certainement que c’est bon... Mais nous nous en passons bien, nons !
FRANÇOIS.
C’est-à-dire, moi je n’en passe... mais vous, vous êtes censé vous en passer.
LE RÉSIDENT.
Moi, moi, c’est bien différent... il faut que je connaisse parfaitement la qualité des marchandises que je fais saisir. Pour ne pas me tromper, je dois prendre du café bien sucré, bien chaud, et j’en prends... Allons, voyons, va brûler ce bon moka que j’aime tant, et ne raisonne plus...
FRANÇOIS.
Oui, Monsieur, j’y vais.
À part.
Je le brûlerai, mais je le goûterai.
Il sort par le fond.
Scène III
LE RÉSIDENT, seul
Le Prince m’écrit qu’il a lieu de soupçonner la fidélité du marquis d’Ercilla et de son neveu. Peste !... moi aussi je soupçonne... je soupçonne toujours... c’est mon emploi. Malheur à eux s’ils conspirent ! J’ai l’ordre d’envoyer tous les jours un rapport au quartier-général pour faire arriver, au besoin, les troupes à marches forcées. Faire un rapport... Peste ! je n’ai encore découvert aucun complot ; c’est égal, il vaut mieux en voir où il n’y en a pas, que de n’en pas voir où il y en a.
Il s’est assis et va pour écrire
Air : On dit que je suis sans malice.
Au fait de tout moi je dois être,
Et c’est pour le faire connaître,
Que dans cette île l’on m’a mis.
J’en dois rendre compte à tout prix ;
Et pour prouver, quoi que l’on fasse,
Que je sais tout ce qui s’y passe,
Je dirais, sans nul embarras,
Tout ce qui ne s’y passe pas.
Scène IV
LE RÉSIDENT, FRANÇOIS
FRANÇOIS, de la porte du fond.
Une dame demande à parler à Monsieur.
LE RÉSIDENT.
Une dame !... Et quelle espèce de dame ?
FRANÇOIS.
Monsieur, c’est une jeune et jolie dame.
LE RÉSIDENT, se levant.
Une jeune et jolie dame !... dans cette île !... Dis-moi, François, mon toupet n’est-il pas défrisé ? Les frimas n’ont-ils pas trop compromis le chou de ma cravate ?...
François lui présente un miroir.
Non, bien, très bien !... François, fais entrer.
Il sort.
Quelle peut être cette beauté mystérieuse qui vient me rendre visite, sans doute, de si loin ?
FRANÇOIS, annonçant.
Madame de Coulanges.
Scène V
LE RÉSIDENT, FRANÇOIS, MADAME DE COULANGES
MADAME DE COULANGES, à la cantonade.
Qu’on ait le plus grand soin de mes malles et de mes cartons de modes.
LE RÉSIDENT, à part.
Peste !... ça doit être au moins la femme d’un général.
Ils se saluent tous deux profondément. François approche des sièges, et sort.
Pardon, Madame, de vous recevoir ainsi, au milieu des horreurs d’un cabinet diplomatique.
MADAME DE COULANGES, lui donnant un papier.
Monsieur, veuillez avoir la bonté de lire cette lettre.
LE RÉSIDENT, prenant la lettre sans la décacheter.
Madame arrive de Paris, sans doute ?
MADAME DE COULANGES.
Il n’y a pas bien longtemps que j’ai passé à Paris ; mais cette lettre vous dira...
LE RÉSIDENT, même jeu.
Quel bonheur pour moi de retrouver une fleur... au milieu des neiges éternelles... J’ose à peine espérer que vous daignerez prolonger ici votre séjour ?
MADAME DE COULANGES.
Je ne sais... Si vous vouliez prendre la peine de lire cette lettre...
LE RÉSIDENT, même jeu.
Niborg est fort triste : nous avons ici fort peu d’hommes aimables... Moi, surtout, je m’y ennuie à mourir... Mais à propos de Paris, que dit-on de Talma, des feuilletons de Geoffroi, des débuts de Madame Boulanger, de la petite Émélie Levert ?... La Barilli fait-elle toujours fureur ?... On dit qu’on s’étouffe à l’Odéon ?
MADAME DE COULANGES.
Monsieur, de grâce, prenez la peine de lire cette lettre.
LE RÉSIDENT.
Puisque vous le permettez...
Il ouvre la lettre.
Brr, brr, brr... Ah ! mon dieu que vois-je !... Quoi ! c’est pour cette mission que... Pardon, Madame ; mais l’étonnement, la stupéfaction... Vous n’êtes donc pas Française ?
MADAME DE COULANGES.
Non, Monsieur, je suis de Florence.
LE RÉSIDENT.
Qu’importe le pays !... Votre nom est supposé...
À part.
Et moi qui la prenais pour la femme d’un général.
Haut, la regardant.
Allons, ma belle Dame, il ne faut pas rougir pour cela. Je suis au fait, causons comme deux connaissances intimes. Vous savez l’espagnol ?
Il s’assied.
MADAME DE COULANGES, s’asseyant.
Oui, Monsieur.
LE RÉSIDENT.
Eh bien ! parlons français.
MADAME DE COULANGES.
Faites-moi connaître le général espagnol.
LE RÉSIDENT.
Ah ! de ce côté là, la place est inexpugnable. Ses soixante ans le défendent contre vous ; et vos yeux, tout jolis qu’ils sont, n’ont pas le pouvoir de faire parler celui qui a perdu la parole.
Il rit en approchant son fauteuil de celui de Madame de Coulanges.
MADAME DE COULANGES, reculant le sien.
On m’a dit qu’il avait un ami qui possède toute sa confiance.
LE RÉSIDENT.
C’est vrai ; son aide-de-camp et son neveu auquel on prétend qu’il ne cache rien. C’est un drôle de corps vif, léger, étourdi, en apparence, on croirait qu’il n’a pas de secret à lui. Eh bien ! vingt fois, je me suis cru au moment de savoir ce qu’il pensait, et n’ai jamais pu y parvenir.
MADAME DE COULANGES.
Ses habitudes ?
LE RÉSIDENT.
Fumeur déterminé... du moins il dit que c’est pour fumer qu’il s’enferme des heures entières avec son oncle ; mais moi, je soupçonne tout bonnement qu’ils conspirent pour sortir de cette île... et c’est ce dont il faut nous assurer.
MADAME DE COULANGES.
Son nom ?
LE RÉSIDENT, à part.
Elle n’oublie rien.
Haut.
il s’appelle don Juan Diaz ; et les soldats, dont il est très aimé, l’ont surnommé le petit Marquis... Il marquisito... Vous savez l’Espagnol ?...
MADAME DE COULANGES.
Il demeure ?
LE RÉSIDENT.
À l’hôtel des Trois Couronnes, sur le bord de la mer.
MADAME DE COULANGES.
Bon ! cela me suffit.
LE RÉSIDENT, se levant.
Ah ! je ne doute pas de votre habileté ; on m’écrit que vous parlez trois à quatre langues, que vous prenez à volonté tous les déguisements ; mais pour arracher à don Juan son secret, il faudra bien de l’adresse.
MADAME DE COULANGES .
Vous avez raison, j’aurai de la peine !
Couplets.
Je conçois que pour le séduire,
Il faudrait user, avec art,
De tout le charme d’un sourire.
De la puissance d’un regard ;
Que, possédant cette magie,
Dont la nature, à son gré, nous para,
Il faudrait être, et piquante et jolie :
Je n’ai peut-être pas ce qu’il faut pour cela.
Elle regarde le Résident avec un sourire.
Deuxième Couplet.
Il faudrait emprunter les armes
D’une coquette, et profiter d’un rien ;
Savoir aussi répandre quelques larmes,
Quand la beauté n’a plus que ce moyen ;
Il faudrait le séduire encore,
Si la musique autrefois le charma,
Par une voix et brillante et sonore.
Elle fait quelques traits de chants.
Je n’ai peut-être pas ce qu’il faut pour cela.
LE RÉSIDENT.
Dieux ! quels regards !... comme ça pénètre... Voilà des yeux qui me font l’effet d’être de fameux diplomates.
MADAME DE COULANGES.
Je vous quitte, et me rends à l’hôtel qu’habitent le Marquis et son neveu... Je laisserai une partie de mes malles ici... et, selon que je le jugerai nécessaire, je logerai chez vous ou aux Trois Couronnes.
Elle baisse son voile et va pour sortir.
Scène VI
LE RÉSIDENT, FRANÇOIS, MADAME DE COULANGES, FRANÇOIS
FRANÇOIS, accourant.
Voilà l’aide-de-camp du général espagnol qui descend de cheval, à la porte de la Résidence.
MADAME DE COULANGES.
Don Juan !... Alors je change d’idée, et il ne sortira pas d’ici avant que nous ne nous soyons rencontrés.
LE RÉSIDENT.
Je crois deviner...
À François.
Conduis Madame dans l’appartement qui donne sur le jardin, et que tout le monde lui obéisse.
Il la reconduit et lui baise la main.
Oh ! quelle jolie main !... Cette femme là a des détails charmants.
Elle sort par la porte à droite.
Scène VII
LE RÉSIDENT, seul
Certainement, voilà bien l’auxiliaire qu’il me fallait... Mais je pense à une chose, moi... Si j’agis de concert avec elle, il faudra partager les récompenses qui m’attendent, sans compter l’honneur... au lieu que si je pouvais découvrir tout seul une bonne petite conspiration et faire mon rapport, je n’aurais rien à partager... Essayons de faire jaser ce jeune aide-de-camp qui se moque de ma diplomatie, et que je déteste de tout mon cœur.
À don Juan qui entre en chantant.
Scène VIII
DON JUAN, LE RÉSIDENT
LE RÉSIDENT.
Ah ! Colonel ! soyez le bienvenu... je suis enchanté de vous voir. Toujours chantant, seigneur don Juan ! bravo !... Il paraît qu’en servant dans les armées de France, vous avez pris le caractère vif et léger de leurs officiers.
DON JUAN.
Oui, j’aime beaucoup les Français et surtout les Françaises. Mais hélas ! dans cette île maudite, c’est encore pis que le café et le chocolat... Il n’en vient même pas par contrebande.
LE RÉSIDENT.
Et le Général, les manœuvres ne l’ont-elles pas fatigué ?
DON JUAN.
Mon oncle... le Général... Ce qui le fatigue c’est de se reposer.
LE RÉSIDENT.
Oh ! je le conçois bien... un militaire n’aime pas le repos... l’inaction, et les Espagnols, surtout sont très remuants, très entreprenants.
DON JUAN, à part.
Le vieux renard, il voudrait me faire parler... Tenons nous bien, et tâchons qu’il parle, au contraire.
LE RÉSIDENT.
Puis-je savoir, Seigneur, ce qui me procure l’honneur de votre visite ?
DON JUAN, jouant l’étourdi.
Oh ! c’est vrai !... Au fait, j’étais venu ici pour quelque chose... Attendez donc que je me rappelle...
LE RÉSIDENT, à part.
Quel étourneau !... je n’apprendrai rien.
DON JUAN.
Ah ! m’y voici. Vous savez qu’il y a six mois que nous sommes sans nouvelles de notre patrie...
LE RÉSIDENT, à part.
Notre patrie ! oh ! oh ! oh ! voilà un mot suspect... ayons l’oreille au guet.
Haut.
Eh bien ! mon cher Colonel ?
DON JUAN.
Eh bien ! M. le Résident, je venais vous demander si vous n’aviez pas reçu, pour nous, quelques lettres de nos familles ?
LE RÉSIDENT.
Non, absolument rien.
DON JUAN, prêt à s’emporter.
Rien.
Se remettant.
Pour moi, je le crois bien que vous n’avez rien reçu... Mais nos soldats n’ont pas la même patience... Tenez, voulez-vous que je vous parle avec confiance ?
LE RÉSIDENT.
Oh ! oui... parlez-moi avec confiance !
DON JUAN.
Eh bien ! on dit que vous avez des ordres de votre Gouvernement pour arrêter toutes nos lettres.
LE RÉSIDENT.
Et vous pouvez croire...
DON JUAN.
Oh ! non, je ne le crois pas.
Air : À soixante ans.
Ce bruit qu’en ces lieux on publie
Est dépourvu pour moi de vérité ;
Comment penser que de notre patrie
Tout ce qui vient est toujours inspecté ?
Et, sur-le-champ, par vous intercepté.
Quelles raisons que je ne puis connaître
Ainsi, Monsieur, vous forceraient d’agir ?
Vous en devez, comme moi, convenir :
Celui pour qui l’on écrit une lettre,
Est le seul qui doive l’ouvrir.
LE RÉSIDENT, à part.
Bon, il s’échauffe... il va parler politique.
DON JUAN, avec légèreté.
C’est dommage pourtant qu’il n’y ait pas de lettres pour moi... j’ai connu tant de jolies femmes à Séville !
LE RÉSIDENT, à part.
Allons, il ne se livre pas.
DON JUAN, avec insouciance.
Et puis, voyez-vous, M. le Résident, il est désagréable pour de fidèles serviteurs comme nous, de ne pas savoir à quoi nous en tenir sur les bruits que fait courir la malveillance.
LE RÉSIDENT.
Comment ! la malveillance aurait l’audace...
DON JUAN.
Hélas ! oui. Et puisque vous voulez que je vous parle franchement... On dit que l’Espagne est tout en feu... que, recouvrant son ancienne énergie, elle s’est levée tout entière pour la cause de la liberté.
LE RÉSIDENT, vivement.
C’est faux ! c’est faux !
DON JUAN.
C’est ce que je me tue de leur dire ; mais quand on n’a pas de lettres, comment convaincre les incrédules ?
LE RÉSIDENT.
Oser répandre des nouvelles alarmantes, quand on en a de bonnes et de toutes faites dans le Journal officiel !
DON JUAN, à part.
Bon ! il prend feu !
Haut.
C’est infâme !
LE RÉSIDENT.
Oui... c’est infâme !
DON JUAN, à part.
De mieux en mieux... tu diras la vérité.
Haut.
Croiriez-vous qu’ils ont l’indignité d’ajouter que chaque habitant est devenu soldat, et que sur le bord de la mer, près d’un certain bourg nommé Vimeira... une bataille...
LE RÉSIDENT, vivement.
Non, Monsieur, non, vous êtes mal informé.
DON JUAN.
Il n’y a pas de doute.
LE RÉSIDENT.
On vous a trompé ; laissez-moi rétablir les faits.
DON JUAN, le poussant.
Oui, oui, allez, allez.
LE RÉSIDENT.
Un soulèvement s’est opéré, c’est vrai...
DON JUAN.
Bon.
LE RÉSIDENT.
On s’est battu à Vimeira ; c’est encore vrai.
DON JUAN.
Bien.
LE RÉSIDENT.
Mais ils ont été tournés, coupés, taillés en pièces, et le calme a été rétabli partout.
DON JUAN.
Allez, allez toujours.
LE RÉSIDENT.
À la suite de quoi on a évacué le pays, d’après des ordres supérieurs.
DON JUAN.
À Merveille !... On a évacué le pays ?
LE RÉSIDENT.
Je vais vous chercher, pour montrer à tous vos alarmistes, une relation écrite et beaucoup plus claire.
DON JUAN.
Ah ! oui... et bien vraie ?
LE RÉSIDENT.
Vraie comme une gazette allemande.
Valse de Robin des Bois.
De la vérité tout entière
Je vais faire un récit formel ;
Si quelqu’un doute de l’affaire,
Vous lui direz : C’est officiel...
À part.
Prudemment cédons la partie
À cette belle aux yeux si doux
Car, en fait de diplomatie,
Une femme en sait plus que nous.
ENSEMBLE.
De la vérité tout entière
Allez faire un récit formel ;
Si quelqu’un doute de l’affaire,
Vous leur direz : C’est officiel.
Il sort à gauche.
Scène IX
DON JUAN, seul
Que de peines il se donne pour nous cacher ce que nous soupçonnons depuis si longtemps... Ô Espagne ! ô mon pays ! quel sera ton sort dans cette lutte terrible !... Ah ! du moins, si je ne puis te défendre, tous mes vœux, toutes mes pensées sont pour toi.
On entend sur la harpe l’air suivant.
Qu’entends-je !... Cet air ne m’est pas inconnu ; non, je ne me trompe pas, c’est un refrain castillan
MADAME DE COULANGES, en dehors.
Douce patrie,
Toujours chérie,
Belle Ibérie
Est tout pour moi !
DON JUAN.
Qui peut donc chanter ce refrain si souvent répété dans ma patrie ?...
Apercevant Madame de Coulanges qui entre
Que vois-je ?
Scène X
DON JUAN, MADAME DE COULANGES, costume des Andalouses
MADAME DE COULANGES.
Ah ! quelqu’un ici, et ce n’est pas M. le Résident ?
DON JUAN, vivement.
Non, Madame, c’est un militaire ; don Juan Diaz, le neveu, l’aide-de-camp du brave d’Ercilla, et votre compatriote ; car je vois que vous êtes Espagnole.
MADAME DE COULANGES.
Oui, Monsieur.
DON JUAN.
Et Andalouse ?
MADAME DE COULANGER.
Oui, Monsieur.
DON JUAN.
Il n’y a que les femmes de mon pays qui possèdent cette grâce, ce je ne sais quoi, qui la font reconnaître au premier coup d’œil... Madame est de Séville ?... j’en suis aussi ; et peut-être que nos familles...
MADAME DE COULANGES.
Non, Monsieur, je suis de Cordoue... Mariée fort jeune à un officier français, il partit pour l’armée du nord, et je perdis successivement en Espagne mon père et mes deux frères. Mon mari, alors en Pologne, fut désigné pour faire partie du corps d’armée espagnole, cantonnée dans cette île. Je venais pour l’y joindre ; mais, à mon arrivée, j’appris qu’il avait été tué dans une de nos dernières batailles.
DON JUAN.
Ainsi, Madame, vous êtes veuve, libre...
MADAME DE COULANGES.
Oui, Monsieur, je suis maintenant seule sur la terre, et bien loin de mon pays.
DON JUAN.
Pauvre petite femme... quel bonheur !... Non je veux dire quel malheur !... Enfin, Madame, soyez sûre que je suis un véritable Espagnol, et que votre malheur m’intéresse.
À part.
Elle a de si jolis yeux !
Haut.
Et comptez-vous demeurer à la Résidence ?
MADAME DE COULANGES.
On me l’a bien offert ; mais, je ne veux pas.
Avec mystère.
Comme Espagnole, je ne serais pas libre ici, Je veux aller loger aux Trois Couronnes.
DON JUAN.
Oh ! oui, Madame, c’est une très bonne idée que vous avez là ; d’abord, le marquis d’Ercilla et moi, nous y demeurons : nous aurons le plus grand soin de vous, moi surtout, j’en aurai un soin tout particulier. Nous serons là, entre compatriotes.
MADAME DE COULANGES.
Mais, depuis que vous avez quitté l’Espagne, vos goûts sont peut-être changés ?
DON JUAN.
Non, Madame, non, rien ne peut valoir pour moi, les beautés de mon pays... Ma patrie avant tout.
MADAME DE COULANGES.
Silence !... il ne faut pas crier cela ici.
DON JUAN, étourdiment.
Oh ! je le sais bien.
MADAME DE COULANGES.
Si l’on soupçonnait que vous regrettez votre pays, que vous désirez le revoir...
DON JUAN.
Oh ! je ne le dis à personne.
MADAME DE COULANGES.
Si l’on savait que, séparé des braves soldats que vous commandiez autrefois, votre vœu le plus cher serait de pouvoir leur rendre leur chef si regretté,
Mystérieusement.
il Marquisitto.
DON JUAN.
Quoi ! vous savez ?....
MADAME DE COULANGES.
Je ne sais rien ; je ne dois rien savoir ici.
À voix basse.
Mais, moi aussi, j’aime, je regrette l’Espagne... Et la preuve, c’est ce vieux chant national que je répétais tout à l’heure.
DON JUAN.
Je l’ai reconnu.
MADAME DE COULANGES.
Tenez, à demi-voix.
DON JUAN.
Oh ! oui, je vous en prie.
Boléro.
Douce patrie
Toujours chérie,
Belle Ibérie
Est tout pour moi !
Suivant ta loi,
Toujours vers toi,
Vole mon âme !
Soleil d’été,
Vive beauté !
Là tout enflamme !...
Douce patrie,
Toujours, etc.
Le Castillan pour se soumettre,
À trop d’audace et de fierté
Et pour fers il ne doit connaître
Que les chaînes de la beauté.
L’Espagne à ses enfants est chère,
Elle ne doit jamais périr.
L’Espagnol peut aimer et plaire ; } (bis)
Mais il n’est pas né pour servir. }
Douce patrie,
Toujours, etc.
DON JUAN.
Ah ! Madame, je suis transporté, ravi... Je me suis cru dans ma patrie. Vous êtes un ange de beauté, de courage, qui me rappelez le plus sacré des devoirs ; et c’est à vos genoux que je jure...
MADAME DE COULANGES, l’empêchant de se mettre à genoux.
Silence donc, voici le Résident.
Scène XI
LE RÉSIDENT, DON JUAN, MADAME DE COULANGES
LE RÉSIDENT, un papier à la main.
Mille pardons, Colonel, si je vous ai fait attendre.
DON JUAN.
Je vous assure que je ne me suis pas du tout aperçu de votre absence.
LE RÉSIDENT, regardant Madame de Coulanges, à part.
Elle joue son rôle à merveille.
Haut.
C’est que, voyez-vous, j’ai voulu vous donner un récit fidèle et en conscience.
DON JUAN, prenant le papier.
Ah ! oui... le récit officiel... Vous êtes un homme charmant.
À part.
Il ya si longtemps que je n’avais vu une jolie femme !
LE RÉSIDENT.
Je suis un homme charmant... Ah ! ça, est-ce qu’il perd la tête ?
Madame de Coulanges lui fait signe.
Ah ! bon, je soupçonne que j’y suis.
DON JUAN.
Pardon, Madame, mais mon devoir m’appelle auprès du Général.
Bas à madame de Coulanges.
Nous nous reverrons ?
MADAME DE COULANGES, bas.
Aux trois Couronnes.
DON JUAN.
M. le Résident, vous êtes un homme délicieux !
LE RÉSIDENT, à part.
Si ça continue, je finirai par être un homme adorable.
DON JUAN.
Final.
Une fois quand on vous a vue,
Ah ! toujours on voudrait vous voir ;
Et d’une prochaine entrevue,
En partant j’emporte l’espoir.
Il salue et sort par le fond.
Scène XII
LE RÉSIDENT, MADAME DE COULANGE
LE RÉSIDENT, chanté.
Eh bien ! qu’avez-vous fait ma chère ?
MADAME DE COULANGES.
Ici parlez-bas.
LE RÉSIDENT.
Avec vous a-t-il pu se taire ?
MADAME DE COULANGES.
Il m’attend là-bas.
Surtout soyons discrets ;
Je réponds du succès,
Car je le tiens dans mes filets.
LE RÉSIDENT, parlé.
Bon !... Vous pensez qu’il a de quoi faire un petit rapport ?
MADAME DE COULANGES.
Pas encore. Je vais aux trois Couronnes. Pour nous revoir, convenons d’un signal. Faites observer près de l’hôtel, si je me montre à la fenêtre, parée d’une guirlande de roses ; c’est que j’aurai découvert quelque chose d’important. Alors, je vous attendrai à la nuit, dans le plus grand mystère.
LE RÉSIDENT.
Bravo ! bravo !... une conspiration au milieu des roses. Je me fais l’effet d’un petit Fiesque... Le signal ne peut manquer de me parvenir... J’aurai quelqu’un à chaque fenêtre.
ENSEMBLE.
Mais parlons bien bas,
Conduisons tout avec mystère,
Du mystère,
Je réponds de l’affaire ; }
Car je le tiens dans mes } filets. (bis.)
Il tombera dans ses }
Sur la fin de l’air, Madame de Coulanges baisse son voile et sort par le fond.
DEUXIÈME PARTIE
Le Théâtre représente une salle commune de l’hôtel des Trois Couronnes. Une fenêtre à gauche, donnant sur la mer. Une autre vis-à-vis, donnant sur une place. Un meuble surmonté d’une glace. À droite et à gauche, une porte sur un plan plus reculé. Une autre porte au milieu, dans le fond.
Scène première
D’ERCILLA, seul
Au lever du rideau, le général d’Ercilla est à la fenêtre ; il regarde du côté de la mer avec une longue-vue. Deux heures sonnent.
Deux heures ! et personne encore... Les vagues, rien que les vagues... pas un point à l’horizon pour me donner une lueur d’espérance ! Peut-être ont-ils craint le mauvais temps... c’est au contraire celui qu’ils auraient dû choisir. Cependant, me mandait l’amiral Américain, le général d’Ercilla peut compter qu’il aura de mes nouvelles avant deux jours... S’ils avaient été pris par quelques gardes-côtes, malgré leurs passeports !... Auront-ils pu cacher leurs dépêches ?... Ah ! j’aimerais mieux mille fois me trouver au milieu des boulets d’un champ de bataille que dans cette chambre, attendant ce bateau sans pouvoir hâter d’un instant son arrivée.
On entend en dehors des murmures et des cris de soldats.
Scène II
D’ERCILLA, L’HÔTESSE, puis SOLDATS ESPAGNOLS
D’ERCILLA, à l’hôtesse qui rentre toute effrayée.
Quel est ce bruit ? d’où vient ce tumulte ?
L’HÔTESSE.
M. le Général, ce sont des soldats de votre division qui ; demandent à grands cris des nouvelles de leurs pays... ils sont furieux... Ah ! Général, ne les attendez pas.
D’ERCILLA.
Qui ?... moi, j’aurais peur de mes soldats !... Je vais au-devant d’eux.
L’HÔTESSE.
Les voilà !
Elle se sauve.
Chœur.
SOLDATS, entrant en désordre.
Qu’on nous traite ou non de rebelles,
Nous sommes las d’être soumis,
Nous voulons enfin des nouvelles
De nos parents, de nos amis.
D’ERCILLA.
Comment, soldats ! est-ce à moi que s’adressent ces reproches ? moi qui ai partagé tous vos dangers, moi qui partage encore toutes vos inquiétudes ?
UN GRENADIER.
Nous voulons retourner en Espagne.
TOUS.
Nous voulons quitter ce pays.
D’ERCILLA.
Et savez-vous si c’est moi qui vous y retiens. Quel est celui qui accuse son Général ? Voyons.
Il prend un Grenadier par la main.
Est-ce toi, Gusman ?
LE GRENADIER.
Quoi ! mon Général se souvient de mon nom ?
D’ERCILLA.
Oui, je me le rappelle.
Aux autres.
Et les vôtres aussi, mes chers compagnons d’armes.
Air de Turenne.
Toi, Lorenzo, tu fus mon camarade ;
Toi, Michelli, je connais ta valeur,
Et toi, Nunez, tu servais à Grenade.
Vous le voyez, je sais vos noms par cœur ;
Je les appris, jadis, au champ d’honneur !
Ah ! lorsqu’on a fait tant de guerres,
Qu’ensemble on a versé son sang,
Quel que soit le grade ou le rang,
Ne savez-vous pas qu’on est frères !
Avant le dernier vers, il prend la main des soldats qui l’ont entouré.
TOUS.
Vive notre Général ! vive le marquis d’Ercilla !
D’ERCILLA, voulant les retenir.
Silence ! silence ! mes amis, je vous en prie... Mais conservez toujours à votre vieux Général la première place dans votre cœur, après celle que vous devez à votre pays.
À Gusman.
Gusman, un mot.
Il s’approche.
C’est toi, qui étais en faction hier, à cette heure ci, sur le bord de la mer ?
LE GRENADIER.
Oui, mon Général.
D’ERCILLA.
Et tu n’as remarqué aucune embarcation, aucun bateau ?
LE GRENADIER.
Aucun, mon Général.
D’ERCILLA.
Retourne à ton poste... vous aussi, mes amis !... Et quant aux nouvelles d’Espagne, d’ici à demain, j’espère que j’en aurai de bonnes à vous donner. Allez.
CHŒUR.
Ah ! quel bonheur extrême !
Vive notre Général !
Il est brave, il nous aime,
Qu’il donne le signal,
Nous mourrons, s’il le faut, pour notre Général.
Ils sortent tumultueusement..
Scène III
DON JUAN, D’ERCILLA
D’ERCILLA.
Maintenant, je puis compter sur mes soldats... et je n’ai plus qu’à m’assurer de mes officiers.
DON JUAN, entrant vivement.
Que vient-on de m’apprendre, Général... vos soldats se révoltent contre vous ?
TOUS, en dehors.
Vive d’Ercilla ! vive notre Général !
D’ERCILLA.
Oui... tenez, voilà leurs cris de révolte !
DON JUAN.
À la bonne heure ! au moins, je les reconnais là.
À la cantonade.
Pédrille ! desselle ma jument ; je ne continuerai pas la promenade... L’orage ne peut tarder à éclater.
D’ERCILLA, à part.
La mer n’est plus tenable ! J’espère maintenant qu’ils ne se sont pas embarqués.
DON JUAN, redescendant.
Général, j’ai d’excellentes nouvelles à vous annoncer.
D’ERCILLA.
Vous avez passé à la Résidence !
DON JUAN.
Oui... et j’y ai vu une petite femme charmante.
D’ERCILLA.
Quelle tête !
DON JUAN.
Ah ! c’est juste. Ce n’est pas pour cela que je suis allé à la Résidence... Eh bien ! apprenez donc que tous les bruits sur le soulèvement de Vimeira sont qui courent vrais. Tenez, voici le récit officiel du Résident... prenez-le pour ce que ça vaut.
Il lui donne un papier.
D’ERCILLA, ayant lu.
Toute l’Espagne sera donc bientôt sous les armes ?
DON JUAN.
Et nous ne serons pas là !... Ô Espagne ! Espagne !... Vive tes Basquinas, tes légers Boléros, et tes yeux noirs si brillants !
D’ERCILLA.
Don Juan, n’est-ce que pour cela que vous désirez revoir l’Espagne ?
DON JUAN.
Vive dieu ! mon oncle ! Voulez-vous que je vous dise une raison bien sérieuse, qui me fait désirer de la revoir.
D’ERCILLA.
Oui, si vous êtes capable de parler sérieusement.
DON JUAN.
Si j’en suis capable !...
Air de la jeune mère.
Un seul penser que vous devez comprendre,
Occupe ici mes esprits prévenus ;
Dans mon pays, si j’aspire à me rendre,
C’est pour qu’il ait un défenseur de plus, (bis)
Et si l’Espagne, enfin, est asservie,
Si parle ciel son sort est arrêté,
Je veux du moins voir encor ma patrie,
Pour y mourir avec la liberté.
D’ERCILLA, lui serrant la main.
Don Juan, je ne te connaissais pas encore... Malgré ta légèreté apparente, tu as le cœur d’un véritable Espagnol.
DON JUAN.
Il faut bien que j’ai quelque chose de vous, mon oncle.
D’ERCILLA.
Écoute, don Juan, je veux te confier un secret que tu es digne d’apprendre... Bien que nous ne portions pas de chaînes, nous sommes captifs dans cette île... Ici une armée nombreuse d’auxiliaires nous observe !... De l’autre côté du Belt, une seconde armée se tient prête à marcher contre nous, au moindre avis, et pourrait, en quelques jours, se réunir avec les Danois et les Allemands, pour nous écraser !... Mais cette mer, qui semble nous fermer le chemin de notre patrie !... cette mer... c’est elle qui nous offrira un passage pour y retourner.
DON JUAN.
Que dites-vous ?
D’ERCILLA.
Oui, grâce aux intelligences que j’ai su me ménager, et malgré tous les obstacles, nous quitterons cette île.
Bruit.
Quel est ce bruit ?... Ciel !... nous aurait-on entendus ?
DON JUAN.
Non, mon oncle, rassurez-vous !
Scène IV
L’HÔTESSE, MADAME DE COULANGES, DON JUAN, D’ERCILLA, dans le fond, UNE FEMME DE CHAMBRE
L’HÔTESSE.
Madame, donnez-vous la peine d’entrer.
DON JUAN, à part.
C’est elle... elle ne m’a point manqué de parole.
D’ERCILLA, à don Juan.
Quelle est cette dame ?
DON JUAN.
Celle que j’ai rencontrée à la Résidence... une compatriote !... N’est-ce pas qu’elle est bien jolie !... Général, permettez-moi de vous présenter Madame.
Madame de Coulanges fait une profonde révérence ; d’Ercilla un léger mouvement de tête, d’un air distrait.
D’ERCILLA.
Don Juan !... je vous attends chez moi...
Madame de Coulanges fait un mouvement. Il sort à droite.
Scène V
L’HÔTESSE, MADAME DE COULANGES, DON JUAN, LA FEMME DE CHAMBRE
L’HÔTESSE, à Madame de Coulanges.
C’est ici le salon de compagnie, et Madame n’aura qu’à traverser le carré pour s’y rendre. Elle sera voisine du marquis d’Ercilla, comme elle a paru le désirer.
DON JUAN, à part.
C’est une attention pour moi.
L’HÔTESSE.
J’espère que madame sera contente... un appartement superbe, un balcon sur le bord de la mer... une vue magnifique.
MADAME DE COULANGES.
Louise !... suivez Madame, et faites porter mes malles dans l’appartement qu’elle me destine ; seulement, laissez ici ce carton.
La femme de chambre pose le carton sur une table et sort, avec l’Hôtesse, à gauche.
Scène VI
MADAME DE COULANGES DON JUAN
DON JUAN.
Enfin, Madame, je vous revois.
MADAME DE COULANGES, riant.
Mais il me semble, Monsieur, qu’il n’y a pas bien longtemps que vous m’avez quitté ?
DON JUAN.
Y pensez-vous, Madame... pas longtemps !... savez-vous qu’il y a près de deux heures ?
MADAME DE COULANGES, à part.
Ce Marquis d’Ercilla m’inquiète.
Haut.
Il paraît que la personne qui était là tout à l’heure, ne pense pas comme vous à mon égard ?
DON JUAN.
Le Général ?... oh !... je m’en vais vous dire... c’est qu’il a tant de pensées qui l’occupent...
MADAME DE COULANGES.
Tant de pensées.
Avec douceur.
Je voudrais lui plaire aussi à cause de vous.
DON JUAN, vivement.
Vous lui plairez, Madame.
MADAME DE COULANGES.
Pour y réussir, je veux changer de parure... Vous permettez ?...
Elle arrange ses cheveux en se regardant dans la glace.
DON JUAN.
Le Général lui-même, ne saurait se défendre de vous aimer, pas autant que moi par exemple. En venant ici, vous avez comblé tous mes vœux.
MADAME DE COULANGES.
C’est en Espagne que vous seriez heureux ; mais vous n’avez pas d’espoir.
DON JUAN, avec entraînement.
Au contraire, Madame. Tenez, vous êtes Espagnole, Vous pensez comme moi, vous aimez votre pays ; je dois vous faire partager ma joie, mes espérances. Le projet que méditait le Général, est sur le point de s’accomplir, et tous les Espagnols retenus dans cette île, vont peut-être rejoindre leurs braves frères d’armes.
MADAME DE COULANGES, après un mouvement de joie.
Prenez donc garde, le Général est là, il ne me connaît pas, lui, et s’il savait...
DON JUAN, allant à la porte.
Oh ! il ne nous écoute pas.
MADAME DE COULANGES, à part, profitant du moment où don Juan remonte la scène, met la couronne de roses, et se montre vivement à la fenêtre de droite, en disant.
Je le tiens.
DON JUAN, sans la voir.
Il est tellement occupé qu’il ne lève pas les yeux de dessus sa carte.
MADAME DE COULANGES.
Le signal est donné.
DON JUAN, se retournant, apercevant la couronne.
Ah ! vous êtes charmante !... Que je vous sais gré d’avoir mis cette parure !...
MADAME DE COULANGES.
J’hésite à vous croire, vous êtes si léger !
DON JUAN.
Eh bien ! c’est ce qui vous trompe. Il est pour moi des choses, dont l’impression reste toujours là... Et tout à l’heure, en passant sur le bord de la mer, j’étais devenu tout-à-coup sérieux et mélancolique.
Air : J’en guette un petit de mon âge.
Oui, je disais à ces oiseaux fidèles
Qui vont chercher notre éternel printemps,
De notre Espagne, heureuses hirondelles !
Dans quelques jours vous allez voir les champs.
Fendez les airs, volez à tire d’ailes,
Mais, par pitié, posez-vous un instant
Sur l’humble toit où ma mère m’attend,
Et donnez-lui de mes nouvelles.
MADAME DE COULANGES, à part, et comme frappée d’une idée subite.
Sa mère l’attend !... Quel changement vient de se faire en lui ?
JUAN, livré à ses pensées.
Ô ma mère te reverrai-je un jour ?
MADAME DE COULANGES, à part.
Je ne sais ce que j’éprouve !...
Haut et avec hésitation.
Et pourquoi doutez-vous ?...
DON JUAN, vivement.
Si vous saviez les moyens qu’on emploie contre nous ! Nous avons la preuve qu’on envoie ici des personnes qui cherchent à nous faire parler.
MADAME DE COULANGES.
Vous croyez ?
DON JUAN, vivement.
Vous êtes indignée, n’est-ce pas ?... Eh bien ! c’est pourtant la vérité... On a trouvé des gens qui ont pu consentir à faire un pareil métier.
MADAME DE COULANGES, à part.
J’ose à peine soutenir ses regards.
DON JUAN.
Air : Ce que j’éprouve.
À nos dangers, rien n’est égal,
Nos secrets, on veut les connaître,
Oui, quelques mots d’un espion, d’un traître,
Seraient pour nous l’arrêt fatal.
MADAME DE COULANGE, à part, en se couvrant le visage dans ses mains.
Et moi, j’ai donné le signal !
DON JUAN.
Mais votre aspect est pour moi le présage,
Madame, du plus doux bonheur !
Ah ! montrez-moi ce visage enchanteur,
Pour chasser loin de moi l’image
L’un aussi lâché délateur.
MADAME DE COULANGES, plus troublée.
Je ne sais où j’en suis.
Tonnerre.
DON JUAN.
Oh ! oh ! voilà le ciel qui se fâche tout-à-fait. Comme c’est heureux que vous soyez arrivée ce matin.
MADAME DE COULANGES, à part.
Tâchons de nous remettre un peu.
Éclairs et autres coups de tonnerre.
SOLDATS, en dehors.
Ils sont perdus ! ils sont perdus !
DON JUAN.
Dieux ! quelques malheureux qui font naufrage !
Ils vont à la fenêtre.
MADAME DE COULANGES.
Ah ! voyez cette barque, là-bas.
DON JUAN.
Ils vont se briser sur les récifs, si l’on ne va à leur secours.
MADAME DE COULANGES.
Personne ne l’ose, à ce qu’il paraît... Ah ! si j’étais homme !...
DON JUAN.
J’y vais, moi !
Il fait un mouvement pour sortir.
MADAME DE COULANGES, vivement.
Que faites-vous ! arrêtez !
Elle cherche à le retenir pendant le couplet suivant ; mais il se dégage et lui échappe
DON JUAN.
Air : Vaudeville des Scythes.
Non, laissez-moi, voyez, le danger presse,
Contre la mort chacun d’eux se débat,
Je dois répondre à leur cri de détresse.
MADAME DE COULANGES.
Vous voulez-donc mourir ?
DON JUAN.
C’est mon état.
MADAME DE COULANGES.
Vous n’êtes pas marin.
DON JUAN.
Je suis soldat.
MADAME DE COULANGES.
N’écoutez pas votre noble courage,
Réfléchissez à de pareils projets.
DON JUAN.
Je cours d’abord les sauver du naufrage,
Il sera temps de réfléchir après. (bis.)
Il sort par le fond.
MADAME DE COULANGES, à la fenêtre.
Colonel ! Colonel !... Don Juan !... Il ne m’entend plus !
Scène VII
D’ERCILLA, MADAME DE COULANGES
D’ERCILLA, entrant.
D’où viennent ces cris ?
MADAME DE COULANGES.
Hélas ! Monsieur, votre aide-de-camp...
D’ERCILLA.
Eh bien ?
MADAME DE COULANGES.
Il s’est élancé malgré moi...
Lui montrant la fenêtre.
Tenez, le voyez-vous ?
D’ERCILLA, à la fenêtre.
Don Juan ! don Juan !
À des militaires.
Messieurs, allez !... arrêtez cette barque !... Il n’est déjà plus temps !
MADAME DE COULANGES, jetant un cri.
Ah ! ils sont submergés !
D’ERCILLA.
Malheureux ! que dirai-je à sa mère !
MADAME DE COULANGES.
Mes yeux se remplissent de larmes... Tout semble tourner autour de moi.
Elle est accablée, et se laisse tomber à moitié sur la fenêtre.
SOLDATS, en dehors.
Les voilà ! les voilà !
D’ERCILLA, vivement.
Ils sont sauvés !
Regardant.
Je le vois... Don Juan !... don Juan !
MADAME DE COULANGES.
Courage, brave jeune homme !... tu n’es pas fait pour mourir ici !...
SOLDATS, en dehors.
Ils sont sauvés ! ils sont sauvés !
D’ERCILLA, après avoir regardé.
Victoire !... il touche au rivage !... Madame, venez donc le voir, portant dans ses bras le malheureux qu’il a sauvé... Est-ce là du courage ?... Ah ! j’en mourrai de joie !...
Il sort vivement par le fond.
Scène VIII
MADAME DE COULANGES, seule
Voilà donc ce don Juan !... Malheureuse que je suis Ah ! qu’il est différent de l’homme que mon imagination s’était formé !... Tant de courage, tant de générosité !...
Elle jette à ses pieds sa couronne de fleurs. On entend crier en dehors.
Les voilà ! les voilà !
Scène IX
DON JUAN, LYONNEL, D’ERCILLA, LE RÉSIDENT, MADAME DE COULANGES, L’HÔTESSE, SOLDATS, MATELOTS
CHŒUR.
Air : Final du premier acte de Malvina.
Ils sont sauvés ! ils sont sauvés
Du plus affreux naufrage !
Leurs jours par lui sont conservés.
Enfin ils sont sauvés !
LYONNEL, qui est entré avec le Général et Don Juan.
Ah ! mon cœur n’oubliera jamais
Quel est votre courage.
LE RÉSIDENT.
De loin j’ai pris part au succès,
Car je l’encourageais.
CHŒUR.
Ils sont sauvés, etc.
La musique continue piano jusqn’à la reprise du chœur.
LYONNEL, bas au Général.
Mon Général, il faut que je vous parle à l’instant même.
D’ERCILLA, bas à Lyonnel.
On nous observe, pas un mot.
LE RÉSIDENT, à part.
Comme il lui parle bas !... Ce matelot m’est suspect.
D’ERCILLA, haut à Lyonnel.
Venez, mon brave, vous devez avoir besoin de repos.
LE RÉSIDENT, bas à Madame de Coulanges.
Votre signal m’est arrivé... Il paraît que l’aide-de-camp a parlé.
Haut.
Général, recevez mes compliments sur votre neveu ; c’est un héros... qui commence.
Reprise en CHŒUR.
Ils sont sauvés ! ils sont sauvés !
Lyonnel sort avec le Général.-Le Résident sort par le fond avec tout le monde, et don Juan, avant de rentrer, regarde Madame de Coulanges qui s’arrête aussi pour jeter sur lui un dernier regard.
TROISIÈME PARTIE
Le Théâtre représente les bords de la mer. À droite, l’extérieur de l’auberge des Trois Couronnes, avec une porte d’entrée, au milieu du bâtiment. Une fenêtre avec un balcon au-dessus de cette porte.
Scène première
D’ERCILLA, DON JUAN
Au lever du rideau, des matelots, dans le fond, sont occupés à préparer une barque. Une sentinelle espagnole se promène sur le rivage. Il fait nuit, et le Théâtre n’est éclairé que par un fanal suspendu à un poteau sur le bord de la mer.
LA SENTINELLE, voyant arriver d’Ercilla et don Juan.
Qui vive ?
D’ERCILLA.
Espagne !...
Il s’avance et parle bas à la sentinelle, qui le reconnaît et lui porte les armes.
Bon, les postes danois et allemands ont été relevés, et la côte n’est plus gardée que par des sentinelles espagnoles.
À la sentinelle.
Éloigne-toi, n’entends et ne vois rien de ce qui se passe de ce côté.
La sentinelle disparaît.
Don Juan, que penses-. tu de ce qui vient d’avoir lieu au camp, entre mes officiers et moi ?
DON JUAN.
Je pense qu’officiers et soldats, nous sommes tous prêts à vous suivre où vous voudrez, comme vous venez d’en recevoir l’assurance ; mais le moment de notre délivrance est-il enfin arrivé ?
D’ERCILLA.
Oui, don Juan... Sais-tu qui tu viens de sauver, il y a quelques heures ?
DON JUAN.
Un pêcheur, sans doute... peut-être un contrebandier ?
D’ERCILLA.
Un officier de la flotte américaine, Lyonnel, lieutenant de la Bellonne, envoyé par son Amiral, avec lequel, depuis quelque temps, j’ai engagé une correspondance et qui, de concert avec notre pays, est en station non loin de ce rivage, avec de nombreux vaisseaux de transport.
DON JUAN.
Bravo, mon Général !... Et cet honnête amiral va nous tirer peut-être de cette île maudite.
D’ERCILLA.
Oui, et nous ramener dans notre vieille Espagne.
DON JUAN.
Ô mon pays, je vais donc te revoir !
D’ERCILLA.
Le défendre !
DON JUAN.
Le sauver !
D’ERCILLA.
La division entière me suivra. Tout est prévu : les vaisseaux de la station jetteront l’ancre dans la baie avant que le Prince puisse accourir avec son armée, pour s’opposer à notre dessein. Nous éviterons, s’il se peut, toute espèce d’engagement.
DON JUAN.
Quoi, Général !
D’ERCILLA, avec force.
Je ne veux pas qu’il me manque un seul homme.
Air : Un Page aimait la jeune Adèle.
Là-bas, don Juan, on nous appelle ;
À la patrie il faut songer :
Nos soldats, nos jours sont pour elle ;
Ici, je veux les ménager.
DON JUAN, avec enthousiasme.
Oui, notre sang ailleurs est nécessaire,
Et doit produire encor de plus beaux fruits ;
N’en arrosons pas cette terre,
Gardons tout pour notre pays. (bis.)
D’ERCILLA.
C’est cela, don Juan.
DON JUAN.
Par exemple, Général, voilà un projet qui va contrarier un peu ma jolie conquête.
D’ERCILLA.
Don Juan, est-il possible qu’une pareille pensée vous vienne dans ce moment.
DON JUAN.
Pourquoi pas ? la patrie d’abord, et ensuite un peu d’amour pour récompense.
D’ERCILLA.
Je veux mettre ton zèle à l’épreuve à l’instant même.
DON JUAN.
Bien dit, Général, vous savez que je n’aime pas à attendre.
D’ERCILLA.
Lyonnel, l’officier américain qui te doit la vie, va s’embarquer et retourner à son bord... Il faut que tu l’accompagnes pour t’entendre avec l’Amiral sur l’heure de l’embarquement, et me rapporter son dernier mot.
DON JUAN.
Je suis à vos ordres.
D’ERCILLA, lui serrant la main.
Dans un instant, cette barque vous recevra tous deux.
Aux matelots.
Enfants !... éteignez le fanal !
Il sort à gauche. Un matelot monte au poteau et éteint le fanal. L’obscurité est complète. Les matelots vont et viennent.
Scène II
DON JUAN, seul
Combien je dois être fier de la mission honorable qu’il me confie !... pour m’en rendre digne, il n’est rien dont je ne sois capable, et déjà je sens que je ne suis plus le même.
Air de Madame Dachange.
De la beauté j’écoutais le langage,
Dès ce moment, je suis sourd à sa voix ;
À t’aimer seule, Espagne, je m’engage ;
Je ne veux plus connaître que tes lois.
Attraits... regards... talismans d’une femme,
Auprès de moi, ce n’est plus votre tour ;
Disparaissez, n’attaquez plus mon âme :
L’honneur est là, je n’y veux plus d’amour.
On entend sur la harpe le refrain du chant national de la première partie.
DON JUAN, après avoir écouté.
C’est elle !... mais n’importe... Elle serait là !... à ce balcon, je ne ferais pas un pas pour l’entendre !...
Il s’approche, comme malgré lui, du balcon.
Eh bien !... qu’est-ce que je fais donc ?...
Redescendant la scène.
Comment !... j’y pense encore, après le serment que je viens de faire !... Certainement que j’y pense, et cela doit être.
Même air.
Quoi renoncer au plaisir, à mon âge !
Est-ce possible, et dois-je le vouloir ?
Ne puis-je aimer en ayant du courage,
Ne puis-je aimer eu faisant mon devoir ?
Il est si doux, ce feu qui nous enflamme,
Son souvenir plaît, même au dernier jour...
Ah ! faisons mieux, et toujours dans notre âme,
Portons ensemble et l’honneur et l’amour.
Pendant ces deux derniers vers une fenêtre s’ouvre, et Madame de Coulanges paraît au balcon.
Scène III
DON JUAN, LYONNEL, MADAME DE COULANGES, au balcon, MATELOTS
DON JUAN.
Mais Lyonnel tarde bien à venir !
MADAME DE COULANGES.
Rien ne peut calmer mon inquiétude... je ne pense qu’à lui !...
Apercevant don Juan.
Ah ! quel est cet homme ?
LYONNEL, à voix basse, et sortant de l’hôtel.
Me voici Colonel.
MADAME DE COULANGES, à part.
Grands dieux !... c’est don Juan !...
LYONNEL.
Je vous ai fait un peu attendre, mais le Marquis avait tant de choses à me dire... Au reste, nous ne sommes pas en retard... J’espère que j’aurai meilleur temps pour m’en aller, que je ne l’ai eu pour venir, et que vous ne serez pas obligé de me retirer de l’eau une seconde fois.
DON JUAN.
Je ne le crois pas non plus !... Écoutez donc, on n’a pas deux bonheurs comme celui-là dans un jour.
MADAME DE COULANGES, à part.
C’est l’homme qu’il a sauvé.
DON JUAN.
Allons-nous bientôt partir ?
LYONNEL, au fond.
Oui... Tenez, voyez-vous le brick qui s’est rapproché ? Ah ! il élève à la hune un fanal ; ils sont plus près de nous que vous ne pensez... Nous allons le rejoindre ; je vous débarquerai ici dans quelques instants, et tous sera fait... Voyons s’ils sont prêts...
Il sort un instant.
MADAME DE COULANGES, à part.
Qu’ai-je entendu ? et le Résident à qui j’ai donné le signal, et qui doit venir tout à l’heure chez moi... S’il arrivait... s’il les surprenait... Observons bien...
Elle regarde au loin.
LYONNEL, revenant en scène avec don Juan et les matelots.
Ah ça, camarades... toutes vos précautions sont prises ?
UN MATELOT.
Oui, commandant.
LYONNEL.
Vos rames sont prêtes et ne feront aucun bruit ?
LE MATELOT.
Oui, commandant.
MADAME DE COULANGES, à part.
Mais qu’ils partent donc bien vite.
Elle regarde toujours au loin.
LYONNEL.
Allons, enfants !... à la besogne.
Donnant la main à don Juan.
Voici le moment.
DON JUAN et LYONNEL.
Chœur.
Amis, (bis.) le devoir réclame,
Agitez la rame,
Allons, point de repos ;
Sans bruit, fendez les flots.
CHŒUR.
Amis, (bis.) le devoir réclame,
Agitons la rame,
Allons, point de repos ;
Sans bruit, fendons les flots.
Pendant le chœur ils remontent tous le théâtre pour entrer dans la barque.
MADAME DE COULANGES qui n’a pas cesse de regarder au loin.
Je ne me trompe pas !... c’est le Résident.
À don Juan et à Lyonnel.
Qui que vous soyez, partez... ou vous êtes perdus.
LYONNEL, dans la barque.
Au large.
La barque s’éloigne du rivage. On voit les matelots ramer. Tant qu’elle n’est pas disparue, l’orchestre accompagne piano, et finit insensiblement.
MADAME DE COULANGES.
Ils sont partis ! le Ciel soit béni.
Ses yeux restent fixés du côté de la mer.
Scène IV
FRANÇOIS, LE RÉSIDENT, MADAME DE COULANGES
LE RÉSIDENT, à son domestique.
François, attends-moi à quelque distance, avec le falot.
FRANÇOIS.
Mais, Monsieur, c’est que j’aurai peur tout seul.
LE RÉSIDENT.
Eh bien !... tu auras peur... j’ai bien peur, moi, qui suis un plus gros seigneur que toi.
François s’éloigne.
Bien certainement, à moins que les oreilles ne me tintent, on a crié au large ; et, si je n’ai pas la berlue, j’ai vu s’éloigner une barque... de plus, pas de sentinelles, le fanal éteint... Il y a ici quelque chose pour moi.
MADAME DE COULANGES, au balcon.
Et don Juan qui va revenir !... Tâchons d’éloigner d’ici le Résident.
LE RÉSIDENT, regardant.
Ah ! ah !... Voilà la sentinelle qui se promène là-bas, auprès de l’autre poteau... On l’a changée de place ; donc, il y a dessein prémédité de... donc, par emploi, je dois soupçonner que...
À Madame de Coulanges qui entre.
Ah ! vous voilà ma belle auxiliaire !, vous devez avoir bien des choses à m’apprendre, d’après le signal ?
MADAME DE COULANGES, embarrassée.
Il est vrai !... je croyais... Mais depuis ce naufrage... je n’ai pu voir don Juan un seul instant.
LE RÉSIDENT.
Ah ! peste !... c’est contrariant !... Mais vous étiez sur le balcon, n’est-ce pas ?
MADAME DE COULANGES, à part.
Il m’a vue !
LE RÉSIDENT.
Eh bien ! que s’est-il passé ?... vous devez avoir entendu ?... Quels étaient, ces hommes, dont l’un criait au large !
MADAME DE COULANGES.
Ces hommes ?... Ah ! je sais... ils ne doivent pas vous inquiéter... ce sont des contrebandiers.
LE RÉSIDENT.
Bah ! bah ! des contrebandiers... vous y êtes bien !... Ma foi, moi je soupçonne...
MADAME DE COULANGES.
Que soupçonnez-vous ?
LE RÉSIDENT.
Moi, je soupçonne que celui qui a crié au large !... est notre noyé, pêché par l’aide-de-camp.
MADAME DE COULANGES.
Quoi !... vous croyez ?...
LE RÉSIDENT.
Comment ! je crois... je vous dis que je soupçonne... ce qui est bien plus positif ! Il ne vous saute pas tout de suite aux yeux que cet homme est un espion anglais ; américain, russe ou suédois ? Et même, il est certain qu’il est anglais... ou américain ; car j’ai remarqué, quand on l’a tiré de l’eau, que sa chemise était de batiste anglaise, marchandise prohibée... Je dois m’y con naître... j’ai des mouchoirs tout pareils... et qui plus est, je ne serais pas étonné que son naufrage fût simulé... je le soupçonne !... Or donc, je ne m’en vais pas d’ici que je n’aie vu revenir ceux qui sont partis !
MADAME DE COULANGES.
Mais, vous n’y pensez pas... ne serai-je pas là, dans cette chambre et sans vous donner la peine...
LE RÉSIDENT.
Non, non, je ne veux m’en rapporter qu’à moi dans les occasions décisives... Mais vous pouvez rentrer si vous voulez...
MADAME DE COULANGES, vivement.
Non, non... je ne vous quitte pas.
LE RÉSIDENT.
Tenez, précisément, voilà les preuves qui nous arrivent en bateau.
MADAME DE COULANGES, à part.
Puisse l’obscurité l’empêcher d’être reconnu.
LE RÉSIDENT.
La barque va droit à l’autre poteau, près duquel se promène la sentinelle ; et, grâce au fanal qui n’est pas éteint comme celui-ci... on distingue parfaitement.
MADAME DE COULANGES.
Ciel !
LE RÉSIDENT.
Le voilà qui saute à terre.
MADAME DE COULANGES.
Qui ?
LE RÉSIDENT.
Et parbleu !... l’aide-de-camp... je le reconnais comme s’il était là... Maintenant, j’en sais assez, et je crois que je puis aller me coucher... C’est-à-dire, après avoir fait un second rapport pour presser encore l’arrivée des troupes, et nous les tenons.
Appelant.
François, le falot. Ma belle dame, je vous souhaite une bonne nuit.
Air du siège de Corinthe.
Contre eux dans cette circonstance,
Je dirai votre dévouement,
Et la plus belle récompense,
Paiera leur perte dignement.
MADAME DE COULANGES, à part, tandis que le Résident remonte pour regarder.
L’intérêt, je le certifie,
À mon cœur n’offre plus d’appas.
Ô ciel... ô ciel... fais, je t’en prie,
Qu’on ne me récompense pas.
Ensemble.
LE RÉSIDENT.
Contre eux dans cette circonstance, etc.
MADAME DE COULANGES, à part.
Non, dans aucune circonstance,
Je ne sentis un tel tourment ;
À cette horrible récompense
Je ne songe qu’en frémissant.
Scène V
MADAME DE COULANGES, seule
Il est perdu !... il est perdu !... le seul homme pour qui j’aie éprouvé de l’amour... il va périr !... et c’est moi, moi qui l’aime, qui le tue !... Comment se peut-il faire que j’aie jamais consenti !... quoi !... cette éducation que j’ai reçue... ces talents qu’ils m’ont donnés, c’était pour cette usage !... ils ne m’ont élevée que pour trahir. Ah ! je me fais horreur !... l’amour m’ouvre les yeux, et c’est à lui que je vais devoir ma première bonne action.
Air : Pour soutenir l’éclat d’une famille. (Julien.)
Il saura tout... Que vais-je faire ?
Contre moi je l’indignerai...
Et je m’expose à sa colère...
N’importe, je le sauverai.
Mépris, reproches, sans murmures
Je recevrai tout de don Juan ;
Et j’aime bien mieux ses injures,
Que de l’or taché de son sang.
Le voici !... je crois.
Scène VI
DON JUAN, MADAME DE COULANGES
DON JUAN, en entrant.
Dieu merci !... nous n’avons été vus de personne... Allons porter mes dépêches au Marquis.
MADAME DE COULANGES.
Est-ce vous, don Juan ?
DON JUAN.
Qu’entends-je ? quoi, vous ici, Madame !
MADAME DE COULANGES, à part.
J’hésite, malgré moi... manquerais-je donc de courage ?
DON JUAN.
Madame !... ne trompez pas le plus tendre des amants... Est-ce l’amour ?
MADAME DE COULANGES.
Seigneur don Juan... les plus grands dangers vous menacent !
DON JUAN.
Que voulez-vous dire ?
MADAME DE COULANGES.
Tous vos projets sont connus... c’en est fait de vous et de votre général !
DON JUAN, à part.
Ciel !
MADAME DE COULANGES, vivement.
On sait que vous venez d’avoir une conférence avec les Américains, sur ce vaisseau qui croise en vue de nos fenêtres... De toute part on vous épie... vos ennemis vous entourent... c’est à vous de faire vos efforts pour leur échapper...
DON JUAN.
Ah ! Madame ! vous êtes notre sauveur !... et moi, qui croyais... combien je dois rougir de ma méprise !
MADAME DE COULANGES.
Non !... vous n’avez pas lieu de rougir devant moi... prenez garde à vous, je vous en supplie.
DON JUAN.
Vous savez tout... achevez votre ouvrage... nommez-moi celui qui nous à dénoncés !
MADAME DE COULANGES, troublée.
Adieu... Céline, va veiller à votre sûreté.
DON JUAN.
Quoi !... seule, et la nuit.
MADAME DE COULANGES.
Je vous défends de me suivre... je vous en prie, den Juan.
Couplet final.
Il fait nuit,
Pas de bruit !
Là-bas
Qu’on n’entende pas.
Quittons-nous, (bis)
On a les yeux sur nous.
Si le ciel vous seconde,
Pour toujours je vous fuirai ;
Mais si l’orage gronde,
Pour un devoir sacré,
Alors, je reviendrai.
ENSEMBLE.
Pas de bruit,
Il, etc.
Adieu, adieu, quittons-nous,
Quittons-nous.
Don Juan rentre dans l’hôtel. Madame de Coulanges s’enfuit par la gauche. Le rideau baisse.
QUATRIÈME PARTIE
Le Théâtre représente le cabinet du Résident.
Scène première
LE RÉSIDENT, seul
Sur un guéridon est une petite cafetière en argent avec une tasse et un sucrier, il est assis à son bureau.
Peste !... voilà des dépêches qui sont tout-à-fait rassurantes. On m’écrit du quartier-général qu’il doit aujourd’hui même m’arriver un bon renfort... ce qui veut dire au moins une douzaine de régiments... Il était temps ! car je ne sais comment j’aurais fait pour retenir ici mes quinze mille conspirateurs... Allons, allons, je ne puis me le dissimuler, je suis un homme vraiment remarquable dans mon genre !... Afin de me remettre des fatigues de la nuit, prenons mon café...
Allant à la porte.
Je n’y suis pour personne.
Revenant et versant le café.
En public je soutiens, pour l’exemple, que la chicorée est aussi bonne... mais en particulier, je me garde bien d’avoir la même opinion.
Riant après avoir avalé une gorgée.
Je fais de la contrebande.
FRANÇOIS, en dehors.
Mais, Monsieur quand je vous dis qu’on ne peut pas entrer ?
CHARLES, en dehors.
Je te dis que j’entrerai, pékin.
LE RÉSIDENT, se levant.
Quelle insolence !... on trouble un administrateur dans l’exercice de ses fonctions ! je vais le mettre à la raison moi !
Scène II
LE RÉSIDENT, CHARLES, FRANÇOIS
CHARLES, paraissant.
Ah ! tu ne veux pas m’ouvrir la porte ? eh bien !... je l’ouvrirai moi-même !
LE RÉSIDENT, reculant avec effroi.
Peste !... un militaire !... retenons notre impétuosité naturelle.
CHARLES.
A-t-on jamais vu ce petit pékin là !... ce n’est pas à vous que je parle, Résident... remettez-vous ? Je me présente un peu brusquement, comme vous voyez !... mais ça tient à ce que je n’aime pas à faire antichambre.
LE RÉSIDENT.
Comment donc, c’est trop juste !... un officier de ce corps distingué qui... que...
Pendant cette phrase, il fait signe à François d’emporter le café.
enfin un corps qui n’est composé que de vainqueurs... dont la réputation... Voulez-vous me faire l’honneur de me dire qui vous êtes.
François, pendant ce qui suit, emporte le café et en boit dans le fond avant de sortir.
CHARLES.
Charles Lowenski, Polonais... Voilà pour le nom et pour le pays !... Capitaine de lanciers, quinze ans de service, autant de blessures !... peut-être plus... pas moins... voilà mes titres !... Quant à mes instructions... Vous savez lire ?......
Il lui donne un papier.
LE RÉSIDENT.
Je le soupçonne !
Après avoir lu.
Eh quoi ! Capitaine !... c’est vous qui êtes envoyé ?
CHARLES, montrant le papier que tient le Résident.
Voici mon ordre !
LE RÉSIDENT.
Et vous êtes, sans doute, suivi de dix-huit mille hommes au moins.
CHARLES, vivement.
Non, mon brave homme, je suis seul.
LE RÉSIDENT.
Mais ce renfort ?...
CHARLES, se montrant.
Voilà !
LE RÉSIDENT.
Comment les têtes de colonnes ?...
CHARLES.
Ne pourront déboucher que dans deux jours au plus tôt.
LE RÉSIDENT.
Mais, en attendant, la flotte qui vient chercher les Espagnols arrive à pleines voiles, et ils auront le temps de s’embarquer... Tirons-nous de là.
CHARLES.
Je l’espère, mon brave homme, et ce n’est pas pour rien que j’ai crevé trois chevaux sur la route !
LE RÉSIDENT.
Quoi !... vous avez !... Donnez vous donc la peine de vous asseoir...
CHARLES.
Je vous dis que voilà trois jours que je suis assis... Venons au fat, mon brave homme !
LE RÉSIDENT, à part et regardant autour de lui.
Ah ! ça... il dit toujours mon brave homme !...
Haut.
Capitaine.
CHARLES.
D’après mon ordre, vous verrez que j’ai carte blanche contre le marquis d’Ercilla et son neveu.
LE RÉSIDENT, les yeux sur la dépêche.
Je le vois.
CHARLES.
J’ai mon plan !... Pouvez-vous, aujourd’hui même, donner un grand dîner ?
LE RÉSIDENT.
Aujourd’hui !... un grand diner ?... mais oui... J’ai toujours ici de quoi régaler tout un congrès.
CHARLES.
Je ne m’étonne plus si les pauvres soldats manquent si souvent de pain !... il ne peut pas y en avoir pour tout le monde.
Air : Rendez-moi mon écuelle de bois.
Nous marchons franchement notre train,
D’un pas ferme et rapide ;
Vous, toujours auprès du magasin,
Vous pensez au solide !
Et puis après chaque succès nouveau,
Sans façon chacun de vous se leste ;
Les soldats ont leur part du gâteau
Après vous... s’il en reste !
LE RÉSIDENT.
Le capitaine est d’un caractère très gai.
CHARLES.
En avant !... Allons d’abord préparer votre artillerie gastronomique.
LE RÉSIDENT.
Et ensuite ?
CHARLES.
Ensuite, vous me présenterez à une certaine Madame de Coulanges, avec laquelle je dois aussi m’entendre ; ce qui, par parenthèse, ne me plaît pas beaucoup... enfin, c’est l’ordre.
LE RÉSIDENT.
C’est une dame qui est de très bon conseil... Elle repose encore dans son appartement.
La porte de la chambre à droite s’ouvre, on aperçoit Madame de Coulanges.
CHARLES.
Eh bien !... nous la verrons plus tard !
MADAME DE COULANGES, à part.
Un militaire !... que vient-il faire ici ?
Elle écoute.
CHARLES.
En route, et je vous prouverai que le renfort sera suffisant pour mettre à la raison tous vous Espagnols !
Madame de Coulanges fait un mouvement. Charles se retourne pour sortir avec le Résident. Pour n’être pas vue, l’Espionne referme sur elle la petite porte.
LE RÉSIDENT, à la porte, faisant des façons.
Après vous !
CHARLES, passant le premier.
C’est juste !...
Scène III
MADAME DE COULANGES, seule
Entrant vivement.
Que veut-il dire ?... est-ce un envoyé du quartier-général ?... Un nouveau danger menace-t-il don Juan ?... Ah ! sans doute de nombreuses troupes sont sur le point d’arriver pour s’opposer à leur départ... Il faut les en instruire à l’instant même.
Elle va pour sortir. Don Juan entre.
Scène IV
MADAME DE COULANGES, DON JUAN
MADAME DE COULANGES.
Ah ! don Juan !... c’est vous.
DON JUAN.
Avez-vous pu penser qu’après le service que vous m’avez rendu hier, vous pourriez éviter ma présence ?
MADAME DE COULANGES, baissant la voix.
Seigneur don Juan, vos mesures sont-elles bien prises ?
DON JUAN.
Oui, nos régiments se concentrent sur Niborg... La flotte américaine est à notre disposition, et...
MADAME DE COULANGES.
Point d’explications... Mais êtes-vous certain d’un prompt succès ?
DON JUAN.
Dans une heure nous pourrions partir ; et si nous attendons la nuit... ce n’est que par excès de prudence !...
MADAME DE COULANGES.
Ah ! vous me comblez de joie !... Surtout, ne laissez pas passer la nuit... demain, peut-être, des forces imposantes seront ici.
DON JUAN.
Vive dieu !... nous serons déjà loin. Mais, hélas !... dois-je m’en applaudir ?... Vous avez été mon sauveur, et je vous laisse ici...
MADAME DE COULANGES.
Il faut bien que vous partiez !...
DON JUAN.
Sans vous ?... ne plus vous revoir... Non !... tant d’attraits et de grâces !... un caractère si noble et si généreux m’attachent à vous pour toujours ! Madame ! dites-moi... ah ! j’ose à peine vous en prier... Voulez-vous accepter mon nom, et me suivre dans mon malheureux pays ?
MADAME DE COULANGES, avec joie et surprise.
Monsieur... que me proposez-vous ?
À part.
Ah ! si je ne l’aimais pas tant !...
DON JUAN.
Vous ne me répondez pas !
MADAME DE COULANGES.
Moi, votre femme !... non, jamais ! Don Juan, en me déclarant votre amour vous m’avez rendue plus heureuse que je ne l’ai jamais été... Mais il est une raison terrible. qui nous sépare à jamais... je vous aime trop pour vous. épouser sans vous la dire... mais, vous, ne me la demandez pas ; par grâce, ne me la demandez pas.
DON JUAN.
Parlez !... rien ne peut me faire renoncer à vous... Vous êtes tout ce que j’ai de plus cher au monde... après l’honneur... je le jure à vos pieds.
Il s’y jette.
MADAME DE COULANGES.
Ô ciel ! don Juan, vous !... vous à mes pieds... Relevez-vous ! relevez-vous, je vous en prie... Je dois vous détromper... j’en aurai le courage... Apprenez donc, puisqu’il le faut, qu’elle est cette femme à laquelle vous voulez donner le titre de votre épouse. Vous me croyez Espagnole !... je ne le suis pas... Savez-vous pourquoi je suis venue ici ?... On me donnait de l’or pour surprendre vos secrets !
DON JUAN.
Ah !
MADAME DE COULANGES.
Oui, don Juan... ils m’ont envoyée ici pour vous séduire... pour vous vendre à vos ennemis.
Elle se couvre les yeux avec ses deux mains, et tombe sur un fauteuil.
DON JUAN.
Grands dieux !... Céline !... Céline !...
MADAME DE COULANGES, revenant à elle.
Vous ne vous êtes pas enfui ?...
DON JUAN.
Je ne vous crois pas... je ne veux pas vous croire... N’est-ce pas vous qui m’avez averti du danger ?... vous qui veillez sur moi ?...
MADAME DE COULANGES.
Du moment où je vous ai connu, j’ai, en quelque sorte, changé d’âme. Mes yeux se sont ouverts... pour la première fois... j’ai pensé que je faisais mal... j’ai voulu vous sauver... Ô don Juan !... l’amour que je ressens pour vous... cet amour m’a rendue tout autre ; je commence à voir ce que c’est que la vertu !... c’est... c’est le désir de vous plaire...
DON JUAN.
Malheureuse femme !... maudite soit celle qui a corrompu ta jeunesse !
MADAME DE COULANGES.
Air de l’Angélus.
On me vendit pour enrichir
Mes parents, ma famille entière.
DON JUAN.
L’infâme ! elle osa vous flétrir
Pour se tirer de la misère !
Elle vous forma pour trahir,
Vous dont le sort était de plaire.
Grand dieu ! vous me faites frémir ;
Combien vous devez la haïr !
MADAME DE COULANGES.
Hélas ! Monsieur, c’était ma mère !
DON JUAN.
Une mère !... une mère !... Mais maintenant, vous aimez l’honneur ?
MADAME DE COULANGES.
Je vous aime de toutes les forces de mon âme !
DON JUAN, après un moment de silence.
Écoute, Céline ; sois franche... une seule question... As-tu jamais causé la mort de quelqu’un ?
MADAME DE COULANGES, avec horreur.
Jamais ! je le jure !...
Reprenant avec calme.
Non, jamais !... j’en remercie le hasard. Avant de vous connaître, je ne sais ce que j’aurais fait.
DON JUAN.
Je te dois la vie... Je ne puis vivre sans toi... consens à me suivre, où je ne réponds pas de mon désespoir.
MADAME DE COULANGES, avec joie.
Ah ! don Juan !... vous le voulez... eh bien ! je me soumets à votre volonté... je vous suivrai... Vous m’avez arrachée à l’infamie... je vous dois tout, je vous appartiendrai... je partagerai toutes vos peines... Mais je ne serai pas votre femme... je serai votre ami, votre compagnon, je vous servirai ; quand vous serez las de moi, vous me chasserez... Si vous me souffrez auprès de vous, ce sera à la vie, à la mort.
DON JUAN.
Oui, à la vie, à la mort !... Ainsi ce soir au moment du départ...
MADAME DE COULANGES.
J’y serai avant vous.
Don Juan sort vivement reconduit par Madame de Coulanges qui, près de le quitter, s’incline devant lui, en signe de soumission.
Scène V
MADAME DE COULANGES, puis CHARLES, LE RÉSIDENT
MADAME DE COULANGES, seule.
Ma résolution est prise ; je n’en changerai pas... Que ne partons-nous à l’instant même !... Jusqu’à ce moment, soyons attentive aux moindres démarches de ses ennemis, et faisons pour le bien ce que je faisais pour le mal.
CHARLES, au Résident qui entre avec lui.
Bravo ! M. le Résident, vous entendez à merveille le service de la salle à manger.
LE RÉSIDENT.
Vous êtes bien bon...
Lui montrant Madame de Coulanges.
Tenez, la voilà.
Charles salue. Madame de Coulanges le lui rend son salut avec beaucoup de décence.
CHARLES, à part.
Le fait est qu’elle est gentille... diable !... Eh bien !... qu’est-ce que j’ai donc là ?... Allons, allons, lancier, pas de faiblesse humaine !...
Haut.
Madame, en m’envoyant ici, on m’avait dit de m’entendre avec vous... mais maintenant je n’ai plus besoin de votre secours.
Madame de Coulanges fait un mouvement.
LE RÉSIDENT.
Mais, Capitaine, Madame a autant d’intérêt que personne à connaître votre projet... et je soupçonne qu’elle est aussi impatiente que moi de savoir...
MADAME DE COULANGES.
Oh ! oui... plus que vous ne pouvez penser.
CHARLES.
Alors écoutez les Espagnols sont plus nombreux que les alliés qui font partie de la garnison de l’île... mais une fois privés de leurs chefs, la balance sera rétablie.
LE RÉSIDENT.
Eh bien ?
CHARLES.
Apprenez donc pourquoi je viens de vous faire improviser un repas de corps... pourquoi je vous ai fait écrire cette invitation au marquis d’Ercilla... et comment enfin, je veux m’emparer militairement de sa personne et de celle de son neveu.
MADAME DE COULANGES, vivement.
Est-il possible ?
CHARLES.
Eh bien ! qu’avez-vous donc, Madame ?
MADAME DE COULANGES.
Oh ! rien, rien c’est que je suis étonnée la de hardiesse...
Charles la regardant avec étonnement.
LE RÉSIDENT.
En effet, je ne soupçonne pas comment...
CHARLES.
Vous allez y être... Le Général viendra avec les officiers de son état-major... J’invite un pareil nombre de mes camarades, dont les compagnies sont ici en dépôt... Nous n’aurons tous que nos sabres et nos épées : ainsi les armes seront égales...
LE RÉSIDENT.
Comment, les armes ?...
CHARLES, fermement.
Au moment de se mettre à table, je propose aux Espagnols une santé qu’ils doivent accepter. s’ils refusent... flamberge au vent... et nous commençons un combat qui se termine par la défaite et la prise de ces fiers Castillans... Vous comprenez, n’est-ce pas ?
LE RÉSIDENT, tremblant.
Oui, je commence.
CHARLES.
Ensuite, nous nous barricadons. Les Danois et nos autres alliés viennent facilement à bout des régiments espagnols désorganisés et sans chefs...
LE RÉSIDENT, attentif et tremblant.
Oui, oui...
CHARLES.
En cas d’accident, nous tenons tant que nous pouvons, et si nous sommes forcés...
LE RÉSIDENT.
Si nous sommes forcés ?
CHARLES.
Nous nous faisons sauter avec tons nos prisonniers... Au petit bonheur !...
MADAME DE COULANGES, à part.
Grands Dieux !
LE RÉSIDENT, tremblant et à part.
Oh ! la, la, la, et moi qui suis du repas...
CHARLES.
Eh bien !... qu’est-ce que vous dites de ce plan-là ?... Est-ce qu’il ne vous plaît pas ?...
LE RÉSIDENT, cherchant à se remettre.
Pardonnez-moi... pardonnez-moi... il me plaît beaucoup... Seulement, une observation, une simple observation... Pourquoi vouloir que les armes soient égales... ça m’a choqué.
CHARLES.
Heim ?
LE RÉSIDENT.
Je soupçonne que la chose serait bien plus facile... Dix contre un, par exemple.
Madame de Coulanges fait un mouvement.
CHARLES, avec indignation.
Monsieur le Résident...
Air de la Vieille.
Morbleu ! me croyez-vous capable
De livrer un pareil combat ?
Je veux une chance honorable,
Et non pas un assassinat !...
Oui, que le sort me protège ou m’accable,
Sans flétrir le nom de soldat,
Je sortirai de ce combat.
À ce projet, qu’ici je vous annonce,
Si vous croyez que jamais je renonce,
Comprenez mieux encore ma réponse.
Prenant la main du Résident et la mettant sur son cœur.
Tenez, Monsieur, entendez ma réponse,
L’honneur toujours a fait battre mon cœur ;
Il ne battra que pour l’honneur.
LE RÉSIDENT.
Votre cœur a parfaitement raison.
À part.
Que le diable l’emporte !
MADAME DE COULANGES, à part.
Par bonheur, je puis les prévenir.
CHARLES, bas au Résident.
Êtes-vous bien sûr de cette femme-là ?
LE RÉSIDENT.
Comme de moi, je ne me trompe jamais.
CHARLES, à part.
Ni moi non plus...
À Madame de Coulanges qui va pour sortir.
Où allez-vous donc, Madame ?... Pardon, vous ne pouvez sortir qu’après le combat.
MADAME DE COULANGES, à part.
Que faire ?
CHARLES.
Monsieur le Résident, engagez Madame à rentrer dans son appartement.
MADAME DE COULANGES, à part.
Ils sont perdus !
CHARLES, au Résident.
Quant à vous... je veux que les choses se passent comme je l’ai dit !... songez-y bien... Allons !...
Ensemble.
L’honneur toujours a fait battre mon cœur ;
Il ne battra que pour l’honneur.
LE RÉSIDENT, à part.
Ainsi que lui je sens battre mon cœur ;
Je soupçonne que c’est de peur.
MADAME DE COULANGES, à part.
Ils sont perdus... Ah ! quelle est ma douleur !
Le désespoir est dans mon cœur.
Charles indique impérativement à Madame de Coulanges la porte du cabinet à gauche ; elle va pour y entrer.-·Il est sur le point de sortir par la porte du fond avec le Résident qui le suit d’un air de bravade. La toile baisse.
CINQUIÈME PARTIE
Le Théâtre représente une salle à manger chez le Résident. À gauche, une porte ; au premier plan, dans le fond, de larges portes et fenêtres vitrées qui s’ouvrent à volontés.
Scène première
LE RÉSIDENT, CHARLES, OFFICIERS POLONAIS invités au repas
CHŒUR.
Monsieur le Résident,
C’est superbe, vraiment.
Quelle apparence !
Quelle ordonnance !
Ce coup d’œil est charmant.
LE RÉSIDENT.
Pour moi, tout cela fut l’affaire
De trois ou quatre heures, au plus :
Il faut de l’esprit, je l’espère,
Pour faire ainsi des impromptus.
CHŒUR.
Ah ! Monsieur le Résident,
C’est superbe !... c’est charmant.
CHARLES, à ses camarades.
Je compte sur votre courage,
Quand l’heure du danger viendra ?
CHŒUR.
Aucun de nous n’en manquera,
Nous serons-là.
LE RÉSIDENT.
Oui, soyez-là.
Il leur montre la table servie.
Et puis vous aurez tout cela
Pour vous remettre après l’orage.
CHŒUR.
Ah ! Monsieur le Résident,
C’est superbe, etc.
LE RÉSIDENT.
En vérité, Messieurs, vous êtes trop bons... et malgré vos compliments... je sens là des remords... Oser profaner par un combat le sanctuaire de la gastronomie !...
CHARLES.
Ma foi, le lieu ne pouvait être mieux choisi... et le tableau n’en sera que plus neuf et plus pittoresque...
Couplets.
Salle à manger, pacifique demeure,
Du dîner seul, jusqu’à ce jour, hélas !
Tu n’entendis jamais que sonner l’heure,
Entends enfin le signal des combats.
Oui, tu vas voir, changement incroyable,
Les invités tomber près du buffet ;
Toi qui ne vis, sur cette heureuse table,
Jamais de morts que ceux qu’on y mangeait.
J’entends des cris : aux armes ! guerre ! Espagne !
La mousse en vain fait voler le bouchon,
Au lieu de boire ensemble, le champagne.
Nous souperons peut être chez Pluton.
Dieux ! quel dîner, et quel doux exercice !
Des coups de sabre ici pour l’entremets ;
Des coups d’épée au deuxième service ;
Et pour dessert, des coups de pistolets.
Pif, pouf, pan, pan... Qu’est-ce que vous dites de ça, mon brave homme ; comment va l’appétit ?...
Salle à manger, etc.
LE RÉSIDENT.
C’est drôle... il me semble que j’ai froid.
CHARLES.
Comment ! M. le Résident, vous avez peur ?
LE RÉSIDENT.
Moi, peur ?... Ah ! par exemple !... Ne suis-je pas armé comme vous ?... Ne me suis-je pas fait attacher à cette longue épée ?
CHARLES.
Ah ! ça, vous êtes bien sûr que rien n’a transpiré de nos projets ?
LE RÉSIDENT.
Rien, absolument... Madame de Coulanges est dans son appartement ; et j’ai donné l’ordre de ne laisser sortir aucune femme.
CHARLES.
S’ils arrivent, ils sont à nous !
LE RÉSIDENT.
Ah ! je vous en réponds... qu’ils sont à nous !... Je me sens l’humeur toute martiale !...
À part.
Je n’ai jamais eu si peur de ma vie.
CHARLES, avec impatience.
Mais ils n’arrivent pas... Se douteraient-ils de quelque chose ?
FRANÇOIS, annonçant.
Le général d’Ercilla, et Messieurs les officiers de son état-major.
TOUS.
Ah !
CHARLES.
Surtout, Messieurs, n’agissez pas sans moi.
LE RÉSIDENT.
Vous pouvez être certain que je vous laisserai commencer... je vous laisserai même finir.
Scène II
LES MÊMES, D’ERCILLA, DON JUAN, OFFICIERS ESPAGNOLS
Air du Concert à la Cour.
LE RÉSIDENT, CHŒUR DES OFFICIERS POLONAIS.
Général, votre présence
Rend notre cœur satisfait...
Vous comblez notre espérance
En venant à ce banquet.
D’ERCILLA, CHŒUR DES OFFICIERS ESPAGNOLS.
Messieurs, si notre présence
Rend votre cœur satisfait,
Vous comblez notre espérance
En nous offrant ce banquet.
CHARLES.
Messieurs, je me félicite d’être la cause de cette réunion... Je suis arrivé ce matin du quartier-général, et je n’ai pas voulu y retourner sans y porter l’assurance que vous êtes de bons et de braves officiers comme nous autres... prêts à vous faire tuer au premier signal, sans réflexion, et qu’enfin, vos sentiments sont conformes à l’ordre du jour.
D’ERCILLA, à part.
Que veut-il dire ?
Haut.
Eh bien, alors, Capitaine, j’espère qu’à votre retour, vous pourrez donner de nous d’excellentes nouvelles.
Examinant les traits de Charles.
Mais que vois-je !... si mes yeux ne m’abusent pas...
LE RÉSIDENT, à part.
Eh bien !... qu’est-ce qu’il a donc, le Général ?
D’ERCILLA.
Don Juan, te souviens-tu, à Friedland... de ce militaire qui nous porta secours contre un détachement de houlans ?
DON JUAN.
Oui, nous étions blessés... Les cavaliers ennemis nous criaient de nous rendre.
CHARLES.
À Friedland, dites-vous ?... C’est vrai, je me rappelle aussi qu’à la fin de la bataille deux officiers espagnols...
D’ERCILLA.
C’était nous.
CHARLES.
Se défendaient quoique grièvement blessés... qu’un d’eux s’écria : Plutôt mourir que de nous rendre !
D’ERCILLA, montrant don Juan.
C’était lui.
CHARLES.
Alors un brigadier de lanciers eut le bonheur d’arriver à temps, d’envoyer deux des houlans dans l’autre monde, et de délivrer les deux braves... Ce brigadier....
DON JUAN, vivement.
C’était vous... oui, oui, c’est en vain que vous vous êtes échappé sans vous nommer : je vous reconnais... c’est vous !
Il lui serre la main.
CHARLES, la lui serrant aussi.
En effet... c’était moi... Depuis, j’ai changé les galons contre les épaulettes... et je n’aurais jamais cru...
À part.
Diable ! voilà une reconnaissance qui me chiffonne.
D’ERCILLA.
Capitaine, jamais cette journée-là ne sortira de ma mémoire.
Air : Connaissez mieux le grand Eugène.
Nous combattions d’une force affaiblie,
Sans nul espoir, quand vous avez paru.
DON JUAN.
Pour nous soudain vous risquez votre vie.
CHARLES.
J’ai fait alors ce que j’ai dû.
D’ERCILLA.
Vous nous avez, protégeant notre tête,
Dans ce jour-là tirés d’un mauvais pas.
CHARLES.
Morbleu ! combien, Général, je regrette
Que tous les jours ne se ressemblent pas.
D’ERCILLA, lui prenant la main.
Je ne donnerais pas pour tout au monde, le plaisir que j’ai de revoir ici notre libérateur.
LE RÉSIDENT, à part.
Il n’y a pourtant pas de quoi.
CHARLES, à part.
Leurs témoignages d’amitié me déchirent le cœur !... Pourquoi faut-il que ce soit eux !... C’est égal, ma consigne avant tout.
LE RÉSIDENT, à part.
Ah ! mon dieu, je crois qu’il persiste.
CHARLES.
Allons, Messieurs, puisque nous voilà tous réunis...
LE RÉSIDENT.
Attendez, attendez, Capitaine... je veux dire que j’ai oublié de faire monter certain vin de Malaga...
CHARLES.
Envoyez un domestique.
LE RÉSIDENT.
Non, non... pour cette fois, je ne veux m’en rapporter qu’à moi.
CHARLES.
Eh bien ! allez, on vous attendra.
LE RÉSIDENT.
Du tout, du tout... ce n’est pas la peine... ne faites pas de façons... vous me désobligeriez.
À part.
Je soupçonne qu’il est l’heure à laquelle les hommes prudents se retirent.
Il sort par la porte à gauche.
Scène III
D’ERCILLA, DON JUAN, CHARLES, OFFICIERS POLONAIS et ESPAGNOLS
CHARLES.
Puisque M. le Résident le permet...
LE RÉSIDENT, de la porte.
Je vous le demande en grâce.
CHARLES.
Allons, Messieurs, prenons place.
Bas à ses amis.
Tous de mon côté.
TOUT LE MONDE.
Oui, à table, à table !
Tous se placent, les Espagnols d’un côté, les Polonais de l’autre.
Chœur.
CHARLES, se versant.
Pour commencer,
Il faut verser
Dans chaque verre
Le madère.
CHŒUR.
Pour commencer,
Il faut verser
Il faut verser
Faites passer.
La bouteille circule et chacun se verse.
CHARLES, se levant, aux Espagnols.
Qu’un premier toast soit porté ;
Par vous, Messieurs, j’espère être imité.
Élevant son verre.
A la soumission de l’Espagne !
CHŒUR DES POLONAIS, se levant.
À la soumission de l’Espagne !
CHARLES, aux Espagnols qui sont restés assis.
Quoi ! vous ne criez pas ?
D’ERCILLA.
Si vraiment c’est à nous,
Amis, que chacun m’accompagne.
Élevant son verre.
À la délivrance de l’Espagne !
CHŒUR DES ESPAGNOLS, se levant.
À la délivrance de l’Espagne !
Tout le monde quitte la table avec fracas.
CHŒUR DES ESPAGNOLS.
Plus de trêve entre nous.
CHŒUR DES POLONAIS.
Espagnols, rendez-vous. Vengeance ! (bis.)
En descendant la scène ils mettent la main sur la garde de leurs épées, et se menacent... Bientôt ils tirent leurs sabres, leurs épées, et sont prêts à se précipiter les uns sur les autres.
Scène IV
LES MÊMES, MADAME DE COULANGES, vêtue en soldat, uniforme de don Juan
Madame de Coulanges s’élance au milieu d’eux.
MADAME DE COULANGES.
Arrêtez !...
Un roulement se fait entendre et se mêle au bruit des trompettes.
DON JUAN.
Céline !
CHARLES, surpris.
C’est elle !...
MADAME DE COULANGES.
Capitaine tout le monde, je l’espère, rendra justice à votre bravoure et à votre loyauté... mais vous ne pouvez rien contre le sort... Les troupes espagnols sont maîtresses de tous les postes.
On voit le fond se garnir de soldats espagnols.
Et la flotte américaine les attend.
CHARLES, D’ERCILLA, DON JUAN.
Est-il possible ?
On entend trois coups de canon.
MADAME DE COULANGES.
Entendez vous-même le signal. Les vaisseaux ont fini d’appareiller... et l’embarquement se prépare.
Scène V
LES MÊMES, LE RÉSIDENT
LE RÉSIDENT.
J’espère que nous sommes vainqueurs... J’ai entendu le canon en réjouissance.
CHARLES.
Oui, tenez... regardez !
LE RÉSIDENT.
Quoi ! ce sont les Espagnols !...
MADAME DE COULANGES.
Grâce à cet uniforme, j’ai pu les avertir... car vous aviez ordonné de ne retenir que les femmes.
LE RÉSIDENT.
C’est vrai... Je soupçonne que je suis un sot... Pour retenir cette femme-là... j’aurais dû donner la consigne de ne laisser sortir aucun homme.
MADAME DE COULANGES.
Capitaine !... pardonnez-moi d’avoir déjoué vos projets... je ne pouvais plus vivre avec ma honte.
À don Juan, lui portant les armes.
Colonel, me voilà près de vous, à la vie, à la mort !
DON JUAN, bas.
À la vie à la mort !
CHARLES, à part.
Cette femme-là est un brave !...
Haut.
Colonel... et vous, Général !... je me trouve heureux que la fortune m’ait enlevé les moyens de vous nuire... Je vous avais sauvé la vie, je ne pouvais pas vous l’ôter... Sans adieu ! nous nous reverrons en Espagne.
Il met la main sur la garde de son sabre.
LE RÉSIDENT.
Je vous souhaite un bon voyage.
Tous les Officiers et le Résident se font leurs adieux pendant le chœur.
Final.
En Espagne, en Espagne,
En Espagne !
MADAME DE COULANGES.
Douce patrie,
Toujours chérie, etc.
CHŒUR.
En Espagne, en Espagne,
Partons, partons.