L’Après-soupé des auberges (Raymond POISSON)
Comédie en un acte et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 12 février 1665.
Personnages
CLIMÈNE, maîtresse de Laurette
LAURETTE, servante de Climène
TIMANTE
LA VICOMTESSE
LE MARQUIS BAHUTIER
LE GASCON
LE NORMAND
LE FLAMAND
BRISEFER, valet du Gascon
L’HÔTESSE de l’auberge
FANCHON, fille de l’Hôtesse
La Scène est à Paris, dans une Auberge.
Scène première
CLIMÈNE, LAURETTE
CLIMÈNE.
Tu dis qu’un Gentilhomme est avec mon Père,
Laurette ?
LAURETTE.
Oui. Pourquoi vous mettre en colère ?
CLIMÈNE.
Pourquoi ? Je ne veux voir personne dans ce lieu :
Dans une Auberge, moi recevoir...
LAURETTE.
Hé mon Dieu !
Pourquoi non ? Votre chambre est assez bien, garnie,
Elle est propre, on y peut recevoir Compagnie ;
Puis, il sait ce que c’est que ce Logement-ci :
C’est Timante, Madame, il loge près d’ici.
CLIMÈNE.
Ah ! pour Timante, bon ; Il faut que je le voie ;
S’il veut descendre ici, j’en aurai de la joie.
Dis-lui qu’il prendra part au divertissement
Que ces Provinciaux nous donnent.
LAURETTE.
Justement.
CLIMÈNE.
Mais ne recevons point au moins d’autre visite.
LAURETTE.
Hé moquons-nous ici d’une telle conduite :
Ne voyez-vous pas bien que notre vieux Damis
Nous veut absolument dégoûter de Paris ;
Et qu’il a pris exprès, pour nous choquer la vue,
La plus vilaine Auberge, et la plus sale Rue ?
Mais en dépit de lui, Madame, et de ses dents,
Je verrais le beau Monde, et ferais des Amants :
Sans cela, vous et moi, nous mourrons de tristesse.
CLIMÈNE.
Quoi ! ces fous Campagnards, et cette Vicomtesse,
Ne sont pas des sujets de divertissements ?
Bien plus rares que ceux de faire des Amants ?
Le seul grasseyement de cette Vicomtesse,
Sa manière affectée, et sa délicatesse,
Et tous les sots discours de ces Provinciaux,
Sont pour nous divertir de grands Originaux.
LAURETTE.
Quoi ! vous vous raillez d’eux ? Je vous trouve gaillarde ;
Ce sont des Campagnards, vous êtes Campagnarde.
CLIMÈNE.
Mais je crois n’être pas si ridicule qu’eux,
Laurette ; et puis ici bien dire entre nous deux,
Qu’étant diverse fois venues en cette Ville,
Je puis bien discerner le Sot d’avec l’Habile :
Tu sais que la Province est un Enfer pour moi.
LAURETTE.
Ma fois, je la hais bien.
CLIMÈNE.
Je la hais plus que toi.
LAURETTE.
Le Procès qui retient en ce lieu votre Père,
Nous y retient aussi.
CLIMÈNE.
C’est sans doute, et j’espère,
Que comme il traînera, nous y serons longtemps.
LAURETTE.
Hélas ! pût-il encore traîner quatre ou cinq ans,
Nous pourrions vous et moi nous bien donner carrière,
Et nous ririons ici de la belle manière.
CLIMÈNE.
Dis à Timante donc qu’il me vienne trouver,
Qu’ici les Campagnards s’en vont tous arriver :
Tu lui diras, s’il veut prendre un plaisir extrême...
LAURETTE.
Madame, le voilà, vous lui direz vous-même.
Scène II
TIMANTE, CLIMÈNE, LAURETTE
CLIMÈNE.
Vous me trouvez ici dans un beau Logement.
TIMANTE.
Ah ! Climène est partout un si grand ornement,
Qu’où l’on voit éclater sa beauté sans seconde...
CLIMÈNE.
Quoi ! me dire d’abord les plus beaux mots du monde ?
Ce début me surprend, Timante.
TIMANTE.
Hé quoi, vos yeux...
CLIMÈNE.
Ah ! quittons la flatterie et votre sérieux,
Ne songeons qu’à goûter des plaisirs admirables
De nos Provinciaux.
TIMANTE.
Ils sont incomparables.
CLIMÈNE.
Quoi ! les avez-vous vus ?
TIMANTE.
Oui, deux fois seulement.
Le Normand, le Gascon, et le jeune Flamand,
Avec d’autres encore, m’ont fait vraiment rire.
CLIMÈNE.
Surtout la Vicomtesse est digne qu’on l’admire,
Et l’on ne peut rien voir de plus divertissant :
Son langage affecté n’est-il pas fort plaisant ?
TIMANTE.
Je ne l’ai vue encore que masquée en la Rue.
CLIMÈNE.
Ah ! vous n’avez rien vu, si vous ne l’avez vue.
TIMANTE.
Mais ces Provinciaux, que font-ils tous ici ?
CLIMÈNE.
Le Normand vient plaider, et le Gascon aussi ;
Le Flamand vient, je crois, s’instruire en la Grammaire,
Et le Parisien loge ici d’ordinaire.
LAURETTE.
C’est l’Arche de Noé que cette Salle-ci,
Car tous ces Animaux s’y rendent, Dieu merci :
Mais rien n’est si plaisant que cette Vicomtesse,
C’est une Campagnarde unique en son espèce.
TIMANTE.
Et le Parisien ?
CLIMÈNE.
Ah ! que c’est un grand Sot !
Il dit une sottise, ou bien il ne dit mot ;
Car il fait le rêveur, l’esprit fort, le capable,
Et n’a fait de sa vie un discours raisonnable ;
Paris n’a jamais vu naître un si sot Badaud.
TIMANTE.
Mais il fait le Marquis, et le porte fort haut.
Quel est-il ? d’où sort-il ?
LAURETTE.
Son Père a fait fortune.
C’était un Bahutier d’auprès Saint Opportune ;
Il l’envoya, je crois, dès l’âge de douze ans,
À Bourges en Berry, chez un de ses Parents,
Pour mieux étudier. N’est-il pas fort habile ?
Ce n’est que depuis peu qu’il est en cette Ville ;
Je hantais chez son père, il venait d’arriver
Enfin depuis six mois il est ici je pense.
CLIMÈNE.
À mon gré je le trouve un des grands Sots de France.
TIMANTE.
Mais pour la Vicomtesse, on sait que dès longtemps
Elle plaide en ce lieu contre un de ses Parents.
CLIMÈNE.
Elle est depuis fort peu la Femme d’un Vicomte,
Qui je crois, sans son bien, en ferait peu de compte.
Mais nos Provinciaux viennent bien tard ce soir ;
Sont-ils encore à table ?
LAURETTE.
Attendez, je vais voir.
TIMANTE.
Dites-moi donc l’humeur de cette Vicomtesse ?
CLIMÈNE.
Elle se pique fort de beauté, de jeunesse ;
Mais surtout elle affecte un certain parlé gras,
Qui la contraint si fort, que pour n’en rire pas,
Il faut être plongé dans la mélancolie ;
Tantôt elle le parle, et puis elle l’oublie,
Et cette ridicule et encore sottement :
Dit qu’elle n’a jamais pu parler autrement.
TIMANTE.
Et le Parisien dit qu’elle est sans seconde,
Qu’il n’a jamais rien vu de plus aimable au Monde...
CLIMÈNE.
Vraiment, s’il ne la voit, il n’est pas satisfait ;
Il est l’admirateur de tout ce qu’elle fait ;
Ils s’admirent l’un l’autre, et je pâme de rire,
De voir ce Sot qui l’aime, et ne sait que lui dire.
Je viens présentement de les quitter tous les deux,
Car je ne pouvais plus garder le sérieux,
Et j’allais éclater, mais j’ai gagné la porte ;
Elle s’en fâchera peut-être, mais n’importe.
Scène III
LA VICOMTESSE, LE MARQUIS, CLIMÈNE, TIMANTE, LAURETTE, FANCHON
LAURETTE.
Voici la Vicomtesse, avec son Badaud,
Le Marquis Bahutier. Ha ! qu’il fait le nigaud !
La Fille de notre Hôte est auprès de la Belle,
Qui veut, dit-elle, apprendre à parler gras comme elle ;
Tout ce qu’elle dit haut, elle le redit bas.
FANCHON.
Ha ! Madame, écoutez, je m’en vais parler gras.
CLIMÈNE.
Paix, paix.
LA VICOMTESSE.
Vous nous avez titez, ma Sele, sans lien disse.
Me fais-ze entendle au moins, et mon glasseyement
Ne m’oblize-t-il point d’avoir un Tlucement ?
Teltes-uns de mes mots vous essapent, ze gaze.
CLIMÈNE.
Pas un seul, j’entends tout, d’un si charmant langage,
Je pense ouïr parler mille petits Amours :
Si je parlais ainsi, je parlerais toujours,
Ce langage enfantin sensiblement me touche.
LA VICOMTESSE.
Et moi, ze ne vous voudlez zamais ouvlil la bouce,
Comme le pallé gueas est tout à fait salmant :
Z’ai touzoul, touzoul peul de pecel en pallant ;
Ze ne fais point de cœul où ze ne fasse blesse,
Mais c’est innocemment, ma Sele, te ze pesse.
CLIMÈNE.
Si c’est pécher, Madame, on peut certainement
Dire que c’est pécher fort agréablement :
J’en connais à la Cour, dont la grâce est extrême,
Qui voudraient pour beaucoup savoir pécher de même,
Car elles tâchent fort à parler comme vous.
LA VICOMTESSE.
Est-il bien vlai, ma Sele ? Ah ! te les zens sont fous !
De tloile t’ils poullont apprendle ze langaze :
Ze dois à la Nature un si grand avantaze,
Elles ont beau tassel, elles n’apprendlont pas.
Z’étais zeune, fol zeune, et parlais dézà gueas ;
Ze me souviens touzoul te z’étais dans un Toce,
Z’allais ze pense à Touls, et le venais de Loce ;
Z’appelais un Tocé ; Tocé, Tocé, Tocé,
Et jamais ce Tocé ne voulut aaplocé.
CLIMÈNE.
Vous le connaissez donc ?
LA VICOMTESSE.
Ze tonnessais son Maître ;
Pour mieux disle, il avait l’honneul de me tonnestle.
C’est poul vous disle donc te ze pallais si gueas,
Si gueas, si gueas, si gueas qu’on ne m’entendet pas.
LE MARQUIS.
Le ravissant Esprit ! il charme en Compagnie,
On voit bien que... Morbleu, l’admirable Génie !
Hors vous et certain Homme, à présent dans Paris,
Madame on trouverait fort peu de beaux Esprits,
On en voit rarement dans le Siècle où nous sommes.
LA VICOMTESSE.
Il est vlai t’aplezant il est peu gueans Homme.
CLIMÈNE, à Timante, bas.
N’est-ce pas là de quoi se bien s’amuser ?
TIMANTE, à Climène, bas.
Ces deux Originaux ne se peuvent payer.
LA VICOMTESSE, après avoir parlé bas au Marquis.
Ah ! ne me laissez pas, Monsieur, ze vous tonzule.
LE MARQUIS.
J’admire votre esprit, j’admire la Nature
Qui vous a prodigué... qui vous a tellement
Et dedans et dehors douée, absolument,
Qu’il ne faut que des yeux, et sans doute, Madame,
Il est bien mal aisé... Car je sais que ma flamme,
Et que vous découvrir peut-être que l’ardeur,
Et que les sentiments à l’offre de mon cœur,
À moins d’être un Butor...
LA VICOMTESSE.
Ah ! bliddons là de glâce.
Un compliment d’esplit me zesne et m’embalasse.
CLIMÈNE, bas.
Celui-là devait donc fort peu l’embarrasser.
TIMANTE, bas.
Il aurait de la peine à le recommencer.
LE MARQUIS.
Qu’une si belle Femme est digne d’être aimée ?
LA VICOMTESSE, en toussant.
He hem, he hem, he hem ; te ze suis enlumée !
Elle crache.
LE MARQUIS.
A-t-on jamais craché plus agréablement ?
LA VICOMTESSE.
Ze lougis de tousse ! si glossielement.
He hem, he hem, he hem ; z’ai si mal à la dolze,
Te ze ne sais t’y faile.
CLIMÈNE.
Hé buvez de l’Eau d’Orge.
LA VICOMTESSE.
Ah ! l’Eau d’Olze me fait un si grand mal au cœul,
Ze tlouve le Silop de Mule bien mielleul,
Et pourtant ze n’en plante tant ze suis toucée ;
Z’ay la dolze le soil tasy toute étolcée ;
Z’aime la soupe aux Soux avec des Pizons,
Ze m’en cleve le soil, tal ze lés tlouve bons ;
On dit qu’assulément c’est cela ti m’enlume.
LAURETTE.
Des Soux et des Pizons, l’agréable coutume !
Que ne nous parlez-vous comme nous vous parlons ?
Et que ne dites-vous des Choux et des Pigeons ?
Hé desserrez les dents. Quoi vous ne sauriez dire
Des Choux et des Pigeons ?
LA VICOMTESSE.
La Sotte me fait lile :
Mais puifte ze ne puis enfin tant nous pallons
Plononcel comme vous des Choux et des Pigeons.
LAURETTE.
Hé bien, l’a-t-elle dit ?
LA VICOMTESSE.
Ze dis, en mon landaze,
Des Sous et des Pizons.
LAURETTE.
Recommencez, courage ;
Vous venez de parler tout comme nous parlons,
Et de dire fort bien des Choux et des Pigeons.
LA VICOMTESSE.
Ah ! ze daze te non ; vôtle elleul est extlême.
LAURETTE.
Des Choux et des Pigeons, vous l’avez dit de même.
Demandez, ou gagez ?
LA VICOMTESSE.
Ah, ze le veux, dazons
Te ze n’ai zamais dit des Choux et des Pigeons.
LE MARQUIS.
Elle ne l’a pas dit ; C’est être impertinente,
Que de lui soutenir. Sachez qu’une Servante
Doit connaître les gens...
LAURETTE.
Je sais bien...
LE MARQUIS.
C’est assez.
LAURETTE.
Ah ! nous vous connaissons mieux que vous ne pensez :
Je pense encor devoir à Monsieur votre Père
Deux valises de cuir que je pris pour mon Frère,
Quand on fut à Marsal.
CLIMÈNE.
En cette Lune-ci
Toujours elle extravague.
LE MARQUIS.
Hé ! chassez-la d’ici,
Elle pourrait encore dire quelque sottise,
Qui ne nous plairait pas.
TIMANTE.
Ce n’est que gaillardise,
Et ce qu’elle dira ne peut faire aucun tort.
CLIMÈNE.
Mais, pour vous divertir, faisons donc quelque effort.
Vous me semblez chagrine.
LA VICOMTESSE.
Ah ! point.
LE MARQUIS.
Qu’elle est aimable ?
LA VICOMTESSE.
Palce te ze suis zeune, on me tlouve agléable.
CLIMÈNE.
Quel âge avez-vous bien ?
LA VICOMTESSE.
Ze n’ai te tatolze ans.
Ze me zoue à toute heule avecque des Enfants,
Et ze suis maliée à Monsieul le Vitomte
Depuis la Pentecôte, et z’en louzis de honte.
CLIMÈNE.
Vous l’aimez !
LA VICOMTESSE.
Ze ne sais : ze l’aime, et ze le fui :
Ze suis tlop zeune entol poul toucel avec lui :
Le soil z’ai le flisson tant ze voi t’il se touce ;
Il ne me peut tilel aucun mot de la bouce.
CLIMÈNE.
Vous vous couchez pourtant.
LA VICOMTESSE.
Il faut bien se toucer ;
Mais tant ze suis toucée et t’il vient m’aplocer,
T’il vient me toulmenter, entole te ze l’aime,
Ze suis dans un saglin, dans un saglin extlême.
LE MARQUIS.
Son discours est mêlé d’un certain agrément,
Voilà ce qu’on appelle avoir du jugement.
Pour moi, le plus souvent je ne parle à personne,
Car je ne trouve pas un Homme qui raisonne ;
Et même les plaisirs qu’on tient les plus charmants,
Et plus spirituels, sont pour moi chagrinants :
Rien ne me divertit enfin, quoique l’on dise.
TIMANTE.
Moi je prends grand plaisir à voir la Comédie,
Et je m’y suis encore fort diverti ce soir.
LE MARQUIS.
Et moi, je fais serment de ne la jamais voir :
Je vis jouer l’Automne hier chez une Duchesse.
TIMANTE, bas en se moquant.
L’Automne ! c’est l’Othon.
LE MARQUIS.
Ah ! la méchante Pièce.
TIMANTE.
Peut-on se divertir plus agréablement ?
LE MARQUIS.
Ne trouverai-je point un peu de jugement ?
Et suis-je né, Seigneur, pour ne voir que des Bêtes ?
CLIMÈNE.
Si tout le monde était, Monsieur, comme vous êtes,
On ne serait qu’esprit, quel on serait heureux !
Car le vôtre, Monsieur, est tout miraculeux.
LE MARQUIS.
Point du tout ; mais enfin, car on a des lumières
Qui dans certaines gens sont fort particulières ;
Et qui le plus souvent, à moins d’être discret,
On le loue, et je vois que c’est avec regret,
Et même... En vérité, c’est être un faux modeste...
LAURETTE.
Comprenez ce qu’il dit, et devinez le reste.
TIMANTE.
Mais, dites-moi, l’Othon est-il pas sérieux ?
LE MARQUIS.
J’en trouve le sujet bizarre et vicieux.
TIMANTE.
Qu’est-ce que le sujet ?
LE MARQUIS.
Hé, ce n’est pas grand chose,
C’est un sujet tiré de la Métamorphose,
Mais assez embrouillé ; car c’est un Empereur...
L’Automne voudrait bien... Non c’est un Successeur,
Qui prétend, car il voit l’Empereur dans un âge...
Sa Nièce est bien vêtue, et pourtant elle enrage ;
Elle aime fort l’Automne ; et Vinus ne craint rien,
Car sa Fille... Ma foi, celle-là fait fort bien.
Deux autres Conseillers que l’on nomme... il importe,
Quoi qu’il en soit, tous deux font une Ligue forte,
Mais qui ne sert de rien. L’Armée est près de là,
Et Galba voudrait bien que la Nièce qu’il a
Épousât celui-ci : Mais l’Automne aime l’autre,
Et pour s’en dégager il fait le bon Apôtre.
CLIMÈNE.
C’est miraculeux.
LE MARQUIS.
L’autre est embarrassé...
Car...
TIMANTE.
Tu l’es bien aussi.
LE MARQUIS.
De peur d’être forcé...
Enfin l’un de ces deux de qui le nom m’échappe,
Tue avec un poignard l’Empereur et s’en frappe :
Je crois, sans le compter, qu’il en poignarde deux,
Car il fait le troisième, il se tue après eux ;
Enfin l’Automne règne avec la Princesse.
Voilà grossièrement le sujet de la Pièce.
LA VICOMTESSE.
Zamais suzet ne fut conté plus nettement.
LE MARQUIS.
Hé, Madame, il ne faut qu’un peu de jugement ;
Car sans doute jamais, pour parler d’une chose...
On voit bien que les Vers, mais il faut Prose...
Car le sujet enfin consiste...
LAURETTE.
Justement.
TIMANTE.
Mais l’Automne passe pour belle.
LE MARQUIS.
Nullement.
TIMANTE.
C’est de l’Histoire, et non de la Métamorphose.
LE MARQUIS.
Mais l’Histoire, ou la Fable, est une même chose.
TIMANTE.
Ces Pièces-là pourtant sont de ces grands Tableaux
Qu’on admire toujours, et qui sont toujours beaux.
LE MARQUIS.
Vous parlez de Tableaux ; après cette manière
Qu’on a trouvé ici de peindre par derrière,
Voyez-vous cela part de là. Je sois damné,
L’on n’a jamais rien vu de mieux imaginé,
De ces Tableaux tout blancs rien n’est plus admirable...
Des couleurs... Le secret est presque inimitable ;
Mais l’Inventeur le montre : on ne voit aujourd’hui
Nulle Dame à la Cour qui n’ait appris de lui ;
Et la plus maladroite encore en ce rencontre,
Peint d’abord aussi bien que celui qui lui montre.
TIMANTE.
Il faut donc que cet Homme ait d’étranges ressorts.
LE MARQUIS.
Il faut, il faut, morbleu, qu’il ait le Diable au Corps,
Cela passe...
CLIMÈNE.
En effet.
LE MARQUIS.
Ah ! c’est une merveille ;
Les grands Peintres en ont diablement sur la roulette.
On fait du bruit derrière le Théâtre.
CLIMÈNE.
Mais nos Hôtes ce soir parlent un peu bien haut ;
Se querellent-ils point ? car ils ont le sang chaud.
LAURETTE.
Je crois que le Flamand et le Gascon se battent.
CLIMÈNE.
C’est le Normand, va voir. Comme leurs voix éclatent !
L’HÔTESSE, dans sa maison.
Oui, je vous le soutiens, Monsieur, c’est fort mal fait.
TIMANTE.
Oui, j’entends le Normand qui n’est pas satisfait.
LE NORMAND, dans la maison.
Je le suis, mais pourquey tant épluqué ma vie ?
LA VICOMTESSE.
C’est le Nolmand ti palle : Ah ! te ze suis la vie.
LE GASCON, dans la maison.
Cadedis ye bois vien que bous ne l’êtes pas,
Yentilhomme, et de bous ye fais fort peu de cas.
CLIMÈNE.
Qu’est-ce ?
Scène IV
LAURETTE, LE MARQUIS. LA VICOMTESSE, CLIMÈNE, TIMANTE
LAURETTE.
C’est le Gascon, le Mangeur de Pommes.
Le Gascon, lui soutient qu’il n’est pas Gentilhomme,
Et l’Hôtesse d’ici, qui s’est mise entre eux deux,
Pour empêcher le bruit, en fait dix fois plus qu’eux.
Scène V
LE GASCON, LE NORMAND, L’HÔTESSE, CLIMÈNE, TIMANTE, LA VICOMTESSE, LE MARQUIS, LAURETTE
L’HÔTESSE.
Non non, l’on ne craint pas ici votre flamboiement.
LE GASCON.
Comment, on ne peut pas causer dans une Auberge ?
L’HÔTESSE.
Je n’en empêche pas, causez jusqu’à minuit,
Mais que ce soit au moins sans faire tant de bruit,
Et les voisins, et ceux qui passent dans la rue,
Croiront, à vous entendre ici, que l’on se tue.
CLIMÈNE.
Et qu’est-ce donc, Messieurs ? cela n’est pas trop bien.
LE NORMAND.
Che n’est rien chu ma fei, Madame, ce n’est rien ;
Chêt chu Monsieur qui veut difputer ma Nobleche,
Et m’appelle Vilain ; enfin chela me bleche.
Je suis bien Gentilhomme, et j’ai du revenu
Assez proche de Caen, et mon nom est connu.
LE GASCON.
Mesdames, debant bous ye bais faire parêtre,
Qu’il n’est point Gentilhomme, et qu’il ne le peut être.
LE NORMAND.
Vaire.
CLIMÈNE.
Monsieur est noble, il l’est assurément.
LE GASCON.
Non, non, il ne l’est point du tort, absolument,
Et ye le bai prouber par deux raisons fort nettes.
Madame, en premier lieu, Monsieur paye se dettes :
A-t-on jamais parlé de telle lâcheté ?
LA VICOMTESSE.
Ah ! cela ne sent pas l’Homme de Talité :
En voit-on s’atitel zamais d’aucune somme ?
LE MARQUIS.
Il paie ce qu’il doit, et se dit Gentilhomme ?
LE GASCON.
La Novlelle n’a point de bice si honteux.
LA VICOMTESSE.
Estle Noble, et payel, est du delniel affleux,
Et ces deux sozes là sont tles mal assolties.
LE GASCON.
On peut par vienseance arrêter des parties ;
Mais payer ! fy, fy, fy, cela ne se fait point :
Il faut être bilain, et lâche au dernier point..
LE NORMAND.
Hé quêche cette preuve, est-elle convainquante ?
LE GASCON.
Écoutez la seconde, elle est vien plus pressante ;
Bous berrez que Monsieur bit comme un Artisan.
Ce Noyle n’a jamais vattu de Paysan :
Jamais vattu ! Boilà le seul point qui me fâche :
Il faut aboir le cœur et vien vas, et vien lâche.
Sur mes Terres, ye pense aboir depuis deux ans,
Sans vravoure, assommé cinquante Paysans.
C’est d’un Novle effectif la preube induvitable.
LE MARQUIS.
Ah ! que j’en ai battu ! battu comme le Diable.
LAURETTE.
Voyez ce qu’il va dire ; il en battait, je crois,
Du marteau chez son père.
CLIMÈNE.
Hé ! Laurette, tais-toi.
LAURETTE.
Mais comment pouvez-vous vous empêcher de rire.
LE GASCON.
Yai dit, et yai proubé.
TIMANTE, au Gascon et au Normand.
On ne peut pas mieux dire.
Ce discours divertit, bien loin d’être offensant.
LE NORMAND.
Oui bien, ou Dieu me domne, il est divertiffant ;
Et chu ma fei, bien loin de l’aller contredire,
Je lui suis obligé de m’avoir tant fait rire.
Le Traitant du Parti, fort bien payé de mai,
Me garantit par tout noble comme le Rai :
J’étais riche vilain ; mais depuis cette somme,
En vérité je suis un pauvre Gentilhomme.
Mais ches Dames, je crois, che divertissent mal.
LE GASCON.
Mais de fait, dansez-bous ? ye bous donne le Val :
Nous sommes aux gras jours, franchement que l’on die,
Ye bous donne ce soir Val, Valet, Comédie.
D’ecelans Valadins dansent tout ici près,
Et les Comédiens représentent après :
Ye les ai fait jouer trente fois en Probince :
Ils y jouaient pour lors, j’y bibais comme un Prince.
Ils s’en bont tout quitter, et biendront au galop,
Si ye les mande.
LA VICOMTESSE.
Mais cela toûte tlop.
LE GASCON.
Coûtera trop, à moi ! Bous bous mocquez, Madame ;
Pour des Femmes, mordi, ye donnerais mon âme :
Vrisefer, Vrisefer : ce coquin dort là haut.
Scène VI
BRISEFER, LE GASCON, LA VICOMTESSE, TIMANTE, LE NORMAND, LE MARQUIS, CLIMÈNE, LAURETTE
BRISEFER.
Je viens, Monsieur...
LE GASCON.
Tu biens. D’où biens-tu, grand Maraud ?
LAURETTE.
C’est là ce Brisefer ? Ah, la plaisante mine !
LE GASCON.
Boyez ce grand Pandart, il hante des Boleurs,
Et bole impunément impunement abecque mes couleurs :
Ye l’ai tiré déjà d’une méchante affaire.
Prends garde à toi.
BRISEFER.
Monsieur, je m’en vais bien mieux faire.
LE GASCON.
Bîte un flambeau, Coquin.
BRISEFER, fouillant dans sa poche.
Je croyais l’avoir ici.
TIMANTE.
Dans sa poche !
LE GASCON.
L’as-tu ?
BRISEFER met le bout de flambeau au bout d’un bâton, et l’allume.
Vraiment oui, le voici.
CLIMÈNE.
Pour serrer un flambeau, l’endroit est admirable.
LAURETTE.
C’est une torche, il va faire amende honorable.
CLIMÈNE, au Gascon.
Quoi, vous allez vous-même...
LE GASCON.
Hé, ce n’est qu’à deux pas ;
Ye les bais amener, ne bous ennuyez pas.
LE NORMAND.
Chu ma fei ce Gascon, Mesdames, quoi qu’il die
Ne nous donnera point ce soir la Comédie,
De Bal ni de Balet ; sans doute il mentira.
CLIMÈNE.
Peut-être : nous verrons comment il s’en tirera.
LE NORMAND :
Tous ches Fanfarons là n’ont rien que des paroles ;
Chela lui coûterait pour le moins chent pistoles.
LA VICOMTESSE.
T’impolte.
CLIMÈNE.
Mais ce soir il nous manque des gens.
Le Flamand...
LAURETTE.
Le Flamand n’a pas soupé ici.
LA VICOMTESSE.
Tant pis, son balagoin nous aurait bien fait lile.
CLIMÈNE.
S’il était revenu, Laurette, va lui dire...
LAURETTE.
Le voilà justement comme on l’a souhaité.
Scène VII
LE FLAMAND, TIMANTE, LA VICOMTESSE, LE MARQUIS, CLIMÈNE, LE NORMAND, LAURETTE
LE FLAMAND.
Pardi j’avre, Madame un grand joyeuseté,
D’y voir dans sti l’Oberge et sti Chambri garnie,
Sti Messieurs et sti Dame en bonne compegnie.
J’y viendre de souper un petit régalement,
Et j’avre fait sti soir un grand débauchement,
Dans sti grand longui rue, où li Marchand s’irreste...
Comme pel vous sti Sain qui la coupe son tête,
Et li marche toujours son tête dans son main ?
Sti rue s’appel sti nom comme s’appel sti Sain.
Vous savre pas, Monser, sti rue ?
CLIMÈNE.
Il me fait rire.
TIMANTE.
La Rue Saint Denis est celle qu’il veut dire.
LE FLAMAND, au Marquis.
Et ponchour, sou Monser, aster vous porte pien ?
LE MARQUIS.
Fort bien. Qu’avez-vous donc au visage ?
LE FLAMAND.
Y n’est rien,
Y n’est rien, je le vai dire vous tout astete :
Mon visage tomby sti soir à li malhere,
Je faisais promenance avec ma blanc Chival,
Je le piqué son ventre, y coury stanımal ;
Moi li tien de mon main son crin, et puis son felle,
Car j’avre peur, mon foi, de casser mon cervelle ;
Sti tiaple di Chival tomby tout maintenant,
Et je li tombe aussi moi tout incontinant.
LE MARQUIS.
Votre Cheval se joue à vous cafter la tête.
LE FLAMAND.
Li vend l’autre demain moi sti michante bête.
CLIMÈNE.
Vous ferez bien, vendez-le.
LE FLAMAND.
Y romprait, tout mon cou :
Li tombe stanimal comme l’ivrogne fou.
Monser Gascon li donne à vous le Comédie,
Mesdames ?
CLIMÈNE.
Il la donne à cette Compagnie :
Il vous la donne aussi.
LE FLAMAND.
Bon Gascon, par ma foi ;
Je le vois tous le chours le Comédie, moi.
TIMANTE.
Où la voyez-vous donc ? à l’Hôtel de Bourgogne ?
LE FLAMAND.
Ne lie savre pas moy sti Tel di Bourgligrogne.
CLIMÈNE.
Où donc ?
LE FLAMAND.
Y jou fort pien ; je l’ai vu tout cet an.
Avec li Ponti-neuf sti Monser l’Orvientan ;
Il entre tout li monde, il prend rien de personne,
Mon foi.
TIMANTE.
Sur le Pont-Neuf ? son innocence est bonne.
LE MARQUIS.
Les Soldats sont méchants, et sont les Maîtres-là.
LE FLAMAND.
Parti lautri timain m’y fait commi cila,
Sti soldat li rompi tout ma demi visage,
Avec son grand main : j’avre moi bon courage.
Son Camerat y tout li prendre mon chepiau,
Li chette di Pont-Neuf didans sti grande liau.
J’y tire mon lipée et mi met dans mon garde.
Sti soldat poussy fort, mon foi, sans prendre garde.
Je crie, Monser, Monser ? Li n’entend point raison,
Li donny sur mon tête un coup d’estremeçon.
Sa Camarat y met son lipée en mon fesse,
Je lui fait dans son ventre un grand trou qui li blesse :
Y tomby sti soldat, je li blesse un peu fort,
Car y ni parle plus, mon foi, qu’il était mort.
LE MARQUIS.
Mais si l’on vous eut pris, on vous aurait fait pendre.
LE FLAMAND.
Je li cours de mon jambe, y ne m’y pouvy prendre.
Scène VIII
LE GASCON, LE FLAMAND, LA VICOMTESSE, LE MARQUIS, TIMANTE, LE NORMAND, CLIMÈNE, LAURETTE, FANCHON
LE GASCON.
Tous les Comédiens et danseurs sont à nous.
Ye les biens d’enleber à la varve de tous :
Des Yourgeoiles formaient cette velle assemylée.
CLIMÈNE.
Cette brusque action doit l’avoir bien troublée.
LE MARQUIS.
Ils avaient achevé, car on les eut forcés...
LE GASCON.
Qu’ils eussent fait, ou non, ye les tiens, c’est assez.
LAURETTE.
Je crains bien qu’on ne vienne ici faire algarade.
LE GASCON.
On biendroit où ye suis faire quelque incartade ?
Comment ! craindre où ye suis ? bous mocquez-bous de nous ?
C’est craindre que le Ciel ne tomve dessus bous.
Bous êtes abec moi plus sûrement qu’au Loubre.
S’ils biennent seulement, allez, que l’on leur oubre.
Des sièges promptement, songeons à nous placer,
Car les Comédiens sont prêts à commencer.
LE FLAMAND.
Vous l’achete, Monser, sti grande Comédie ?
Combien ly vendre vous sti chose, je vous prie ?
LE GASCON, en se moquant de lui.
Combien ly vendy-ty li Comedi, Monsieur ?
Pardi n’entend pas vous, j’y vous suis sferviteur.
LE FLAMAND.
Combien ly dites-vous, Monser, que l’on ly vendre ?
LE GASCON.
Ye dis qu’il faut bous taire, ou bous mieux faire entendre.
LE FLAMAND.
Moi n’entendre pas vous : l’y parle brifquement.
LE GASCON.
Comédiens, allons, commencez promptement.
Les Marionnettes s’apprêtent, et Fanchon est auprès.
CLIMÈNE.
La fille de l’Hôtesse est tout à fait jolie,
Appelons-la.
Scène IX
FANCHON, LE GASCON, LE FLAMAND, LE MARQUIS, LA VICOMTESSE, TIMANTE, LE NORMAND, CLIMÈNE, LAURETTE, LES MARIONNETTES
LA VICOMTESSE.
Fanchon, viens, viens, voilà la Tomédie ;
Demeule auplès de nous.
FANCHON.
Madame, en vérité,
c’est me faile un honneul te z’ai peu melité.
LA VICOMTESSE.
Me tont le faites-vous, Fanfon, tant ze vous aime ?
FANCHON.
Commevous parlez gueas, z’aime à faile de même,
Et ze ne veux zamais pallel te tomme vous :
Ze dis déza fol bien, des Pizons et des Soux :
Ze dis, Tocé, Tocé, ze dis la Pentecôte,
Et z’ai mal a la dolze.
LE MARQUIS.
Hé, la Fille de l’Hôtel
Est charmante : un enfant qui parle déjà gras !
FANCHON.
Monsieul, ze vous tonzule, ah ! ne me laillez pas.
LE MARQUIS.
Moi, vous railler ! j’admire...
FANCHON.
Ah ! blizons-là, de glace,
Un tompliment d’esplit me zêne et m’embalasse.
À la Vicomtesse.
Madame, est-ce pas là parler tout comme vous ?
LE GASCON, aux joueurs de Marionnettes.
Ah ! bentre, commencez. Messieurs êtes-bous fous ?
Les Marionnettes dansent des Courantes, un ballet de six Entrées, et jouent une petite Farce.
LAURETTE.
Ah ! Madame, il est bon. Quoi des Marionnettes ?
Un Pantalon paraît.
Ce Pantalon est drôle avec ses sonnettes.
CLIMÈNE, à Timante.
Je m’attendais à voir des Comédiens, moi.
TIMANTE.
Rien n’est si surprenant, ni si plaisant, ma foi...
LE GASCON.
Ce n’est encore rien, qu’on boye, et qu’on écoute,
Quand ye beux régaler, parvlu rien ne me coûte.
LE PANTALON des Marionnettes dit ce Vers.
Quand vous ne direz mot, j’achèverai mon pas.
LE GASCON, à Brisefer.
Sers ces Dames, velître ?
BRISEFER, tenant le Bassin.
Ah ! je n’y songeais pas.
LE GASCON.
Ces Ginvelettes là sont vonnes : ye bous prie,
Prenez donc.
CLIMÈNE.
Son Cadeau vaut bien sa Comédie.
LE GASCON.
Y’ai mange mille écus en Probince à cela,
Et donné bingt Cadeaux de cette force-là.
Des Olibes ? ba bîte.
BRISEFER.
Au moins elles sont chères ;
Pour vos sept sols, je crois que je n’en aurai guères.
CLIMÈNE.
Mais vos Comédiens se vont déconcerter.
LE GASCON.
Ne vouge donc. Dansez, on ba bous écouter.
Mesdames, dansent-ils ? hen.
CLIMÈNE.
Ils font des merveilles.
LE GASCON.
Diou me damne ils ne font que jamves et qu’oreilles.
LA VICOMTESSE.
Ze les tlouve salmans ; mais ils pallent tlop bas.
LE MARQUIS.
Ce sont les Baladins, ceux-là ne parlent pas.
LE FLAMAND dit ces Vers sur toutes les Entrées.
Je ly trouve fort bon moi sti longue vissage ;
Jy l’aime moi stila bien plus que davantage.
Pourquoy ly batte ti sti grand petit garson ?
Je ly batty toi vous, si je prendre un bâton.
Je ly vois mon foi bien qu’il est sti soir Dimanche,
Sti Charbonir tous deux l’a pris fon fraize blanche.
Sti fariné là fait un grand débauchement,
Tout comme ma Chival qui est un grand Jument.
Après que les Marionnettes ont dansé.
Ly sont Comédiens de l’Hôtel de Bourlygrogne.
LE GASCON.
Non, boici le plus veau. Peste soit de l’ibrogne.
LE FLAMAND se lève.
Pardy ny ly suis pas, tu les l’ivrogne toi :
Je ly donne un soufflet sur ta vissage.
LE GASCON.
À moi ?
Le Flamant lui donne un soufflet, et met l’épée à la main.
LE GASCON, sans mettre l’épée à la main.
Tu me le paieras autre-part, laisse faire ;
Ye respecte le sexe, et retiens ma colère.
LE FLAMAND.
Je lui respecti rien moi pardi.
LE GASCON.
C’est assez :
Mesdames, ce n’est rien. Comédiens dansez.
Scène X
LE GASCON, LE FLAMAND, LA VICOMTESSE, LE MARQUIS, TIMANTE, LE NORMAND, CLIMÈNE, LAURETTE, FANCHON, L’HÔTESSE
L’HÔTESSE, quand les Marionnettes finissent.
Quel désordre est-ce ici ? Quand ma porte est fermée,
On l’enfonce, et des gens entrent à main armée,
Pour des Comédiens qu’ils veulent emmener,
Et vous cherchent aussi pour vous assassiner ;
Ils sont là huit ou dix.
LE GASCON.
S’exposer de la sorte !
Ils sont fous, Dieu me damne.
L’HÔTESSE.
Ils ont forcé ma porte ;
Ce sont des enragés, des Diables.
LE GASCON.
Cadedis,
Ils beulent me tuer et ne biennent que dix ?
Qu’ils s’en aillent, mordis ye les plains ; que leur faire ?
Dix ne sont pas vastans de me mettre en colère !
Abec tranquillité ye turais tous ces gueux ;
Car des grâces, mordi, j’en ai tant que je beux,
Faires en sorte donc qu’ils sortent, ye bous prie
Ces Faquins bous feront ovligés de la bie.
LE NORMAND.
Accommodons chela.
TIMANTE.
J’en sais bien les moyens ;
Nous n’avons plus besoin de vos Comédiens.
N’ont-ils pas achevé ?
LE GASCON.
C’est fait.
TIMANTE.
Je vais les rendre.
LE GASCON.
Rendez les donc.
LE FLAMAND.
Et moi ne veut pas qu’y li prenne.
TIMANTE.
Faisons tout pour la paix.
LE MARQUIS.
Nous ferons ce qu’il faut.
LE GASCON.
Comme ye me connais, que ye suis prompt et chaud,
Ye beux user ici d’une prudence extrême :
Ye me bais retirer, qu’ils en fassent de même.
LA VICOMTESSE.
Ma Sele, allons-nous en, s’il alivoit malheul,
Ze m’évanouilais, z’ay déza mal au cœul.
CLIMÈNE.
Mais peut-être êtes-vous enceinte, ou trop serrée ?
LA VICOMTESSE.
Ah ! poul glosse, nenny, z’en suis bien assulée :
Ze ne selai, ze cloi, glosse te dans deux ans ;
Mais dès demain ze veux délozel de céans.
Scène XI
CLIMÈNE, LA VICOMTESSE, L’HÔTESSE
L’HÔTESSE.
Emmènent la Troupe, et sortent sans rien dire.
Mesdames, il est tard, faites qu’on se retire,
De peur que ces Messieurs ne remontent ici.
CLIMÈNE et LA VICOMTESSE disent ensemble.
Allons.
CLIMÈNE.
Que je rirai longtemps de tout ceci !