L'Inconnu (Thomas CORNEILLE - Jean DONNEAU DE VISÉ)
Comédie mêlée d’Ornements et de Musique.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Guénégaud, le 17 novembre 1675.
Personnages du Prologue
THALIE, Muse
LE GÉNIE DE LA FRANCE
Personnages de la Comédie
LA COMTESSE
OLIMPE, aimée du Chevalier
LE MARQUIS, Amant de la Comtesse
LE CHEVALIER, Amant d’Olimpe
LE VICOMTE, Amant de la Comtesse
LA MONTAGNE, Valet de Chambre du Marquis
VIRGINIE, Suivante de la Comtesse
MÉLISSE, Suivante d’Olimpe
DEUX ENFANTS, représentant l’Amour et la Jeunesse
CASCARET, Laquais de la Comtesse
La Scène est dans le Château de la Comtesse.
Personnages de la Petite Comédie
ZÉPHIRE, Confidente de Psyché
AGLAURE, Confidente de Psyché
CÉPHISE, Confidente de Psyché
L’AMOUR, Confidente de Psyché
AU LECTEUR
Après avoir fait paraître dans Circé une partie de ce que le Théâtre a de plus pompeux pour la beauté des Machines, j’ai cru que le Public ne serait pas fâché d’être diverti par les agréments qu’une matière galante est capable de recevoir. C’est ce qui m’a fait choisir le Sujet de l’Inconnu, où vous ne trouverez point ces grandes Intrigues qui ont accoutumé de faire le nœud des Comédies de cette nature, parce que les Ornements qu’on m’a prêtés demandant beaucoup de temps, n’ont pu souffrir que j’aie poussé ce Sujet dans toute son étendue. Si ce retranchement d’Incidents est un défaut, il est réparé par quantité de choses agréables qui forment les Divertissements que l’Inconnu donne à sa Maîtresse. Je me suis servi des noms de la Comtesse, du Marquis, du Chevalier, et du Vicomte, comme s’accommodant mieux à l’oreille, et étant plus de notre usage que les noms de Roman dont on se sert quelquefois pour les Pièces d’invention. Vous trouverez ici le cinquième Acte plus rempli qu’il ne l’est dans la Représentation, où le Marquis se contente de promettre la Comédie à la Comtesse. J’en fais un Divertissement effectif qu’il lui fait donner sur le petit Théâtre, sous le titre de l’Inconnu. Il consiste en trois Scènes fort courtes qui regardent l’embarras de Psyché enlevée par l’Amour dans un Palais magnifique, où rien ne manque à ses plaisirs que la satisfaction de connaître l’Amant qui prend soin de les lui procurer ; et comme cet Incident n’éloigne point l’idée des Fêtes Galantes du Marquis, je m’en sers pour dénouer plus agréablement l’aventure de la Comtesse.
DÉCORATION DU PROLOGUE
La Décoration est une Montagne toute de rochers, aux côtés de laquelle on découvre plusieurs Arbres, avec cette différence, que les Montagnes qui ont été vues jusqu’ici au Théâtre, sont d’une peinture plate qui représente le relief, et que celle-ci est d’un relief effectif. C’est en ce lieu que Thalie, qui est celle des Muses qui préside à la Comédie, rencontre le Génie de la France, avec qui elle s’était déjà déclarée sur la peine où elle se trouvait touchant quelque Nouveauté qu’elle avait dessein de faire paraître, et comme elle ne pouvait sortir d’embarras par elle-même, elle lui adresse les Paroles suivantes.
PROLOGUE
THALIE, LE GÉNIE DE LA FRANCE
THALIE.
Génie incomparable, Esprit à qui la France
Doit les sages conseils qui la font admirer,
Pour réparer mon impuissance,
De ton secours qu’ai-je lieu d’espérer ?
LE GÉNIE.
Tout, Divine Thalie, et je suis sans excuse,
Si pouvant t’appuyer contre ce qui t’abat,
Je néglige à servir la Muse,
De qui la Comédie emprunte son éclat.
C’est toi qui fais paraître avec pompe, avec gloire,
Sur le Théâtre des François,
Ce qu’aux Étrangers quelquefois
Le récit qu’on en fait rend difficile à croire.
THALIE.
Je promettrais encor des Divertissements
Dont on aimerait le spectacle,
Si pour faire crier miracle
Je pouvais à mon choix régler les ornements.
Quand Sémélé, Circé, la Toison, Andromède,
Sur la Scène à l’envi se sont fait admirer,
Par la Machine à qui tout cède,
Chacun avec plaisir se laissait attirer.
Mais que pensera-t-on, si toujours je m’obstine
À faire voir Machine sur Machine ?
Comme on se plaît à la diversité,
Il est de galantes matières
Qui par les agréments de quelque nouveauté
Auraient des grâces singulières.
LE GÉNIE.
J’en ferai tant voir à la fois,
Que je pourrai te satisfaire.
La nouveauté charme tous les François,
Et ce m’est un moyen assuré de leur plaire.
THALIE.
Je t’ai parlé déjà d’un Amant inconnu,
Qui pour toucher une fière Maîtresse,
Lui donnant des Fêtes sans cesse,
En aurait enfin obtenu
L’heureux aveu de sa tendresse,
Mais l’Amour aura beau le rendre ingénieux.
Que fera-t-il de magnifique,
S’il n’a pour l’oreille et les yeux
Ni pompes de Ballets, ni charmes de Musique ?
LE GÉNIE.
Il peut se reposer sur moi
Du soin de ses galantes Fêtes.
Pour plaire à ce qu’il aime, et lui marquer sa foi,
Il les trouvera toujours prêtes.
THALIE.
Ses desseins doivent être heureusement conduits,
Si ta bonté les favorise.
LE GÉNIE.
Il faut par un essai dont tu seras surprise,
Te faire voir ce que je puis.
Vois-tu cette inégale Masse
Qui partout n’est que pierre ? En ce même moment
Je lui veux devant toi donner du mouvement.
THALIE.
Je brûle de voir ces merveilles.
LE GÉNIE.
Tu m’avoueras peut-être que jamais
Il ne s’en est vu de pareilles ;
Mais il est temps d’en venir aux effets.
Animez-vous, Rochers, et changez de figure ;
Paraissez tout couverts d’Hommes et de Verdure.
C’est moi qui veux ces divers changements,
Et voir de votre sein naître des Instruments.
On voit ici la Montagne se remuer ; elle est en un moment couverte d’Arbres, et il s’en détache des Pierres qui sont changées en Hommes. Ces Hommes touchent d’autres Pierres, et elles deviennent des Violons entre leurs mains. Ils en jouent un Air dont la vitesse du mouvement rend Thalie toute surprise.
THALIE.
Tu promets moins que tu ne donnes,
Et ma peine déjà commence à s’adoucir.
Quels divertissements, lorsque tu les ordonnes,
Peuvent manquer de réussir ?
LE GÉNIE.
C’est encor peu ; je veux que vous fassiez paraître
Un Berger dont les doux accents
Suivent les tons ravissants
De quelque Nymphe champêtre.
En même temps on voit deux morceaux de Rocher se changer en une Nymphe et en un Berger. Ils s’avancent, et chantent les Paroles qui suivent.
Chanson de LA NYMPHE.
Amants, qui vous rebutez
De la fierté d’une Belle,
Aimez, souffrez, méritez.
La constance vous appelle
Aux grandes félicités.
Languir pour une inhumaine
Que d’abord en vain on poursuit,
C’est une cruelle gêne ;
Mais regardez-en le fruit,
Vous en aimerez la peine.
Chanson du BERGER.
Quand on diffère à se rendre,
Une Belle peut prendre
De la fierté ;
Mais contre un Cœur tendre
Pourquoi défendre
Sa liberté ?
LE GÉNIE.
Achevez, et formez pour Spectacles nouveaux,
Et des Buissons et des Berceaux.
Les Arbres qui ont paru sur la Montagne, s’en séparent, et forment successivement des Buissons, des Allées et des Berceaux.
LE GÉNIE poursuit.
Et bien, Muse, es-tu satisfaite ?
THALIE.
J’admire, et me tais.
LE GÉNIE.
Après ce que tu vois,
Des Fêtes dont l’Amour me doit laisser le choix,
Puisque j’en prends le soin, ne sois plus inquiète.
LA NYMPHE et LE BERGER chantent ensemble.
Ah, qu’il est doux de s’unir à l’Amour !
Avec l’Amour on peut tout faire.
La Beauté la plus sévère
A beau fuir ce qui peut l’enflammer à son tour.
Cherchez toujours à lui plaire,
Vous trouverez un nouveau jour.
Ah, qu’il est doux de s’unir à l’Amour !
Avec l’Amour on peut tout faire.
LE GÉNIE.
Allons, c’est trop tarder, suis-moi.
THALIE.
Pour l’Inconnu j’attends beaucoup de toi.
LE GÉNIE.
L’entreprise est un peu hardie ;
Mais je n’ai rien promis dont je ne vienne à bout.
THALIE.
Je le crois, ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on publie
Que les Français ont un Génie
Qui les rend capables de tout.
Ils passent en s’en retournant par-dessous une Allée qui occupe le milieu du Théâtre, et qui en tient toute la longueur ; et lorsqu’ils sont tout-à-fait retirés, cette grande Allée forme trois petits Monts, qui se changent en un instant en plusieurs Arbres. Ces Arbres se retirent un moment après, et les Violons jouent une Ouverture.
ACTE I
Scène première
LE MARQUIS, LA MONTAGNE
LE MARQUIS.
Entrer dans ce Château !
LA MONTAGNE.
Le grand péril !
LE MARQUIS.
Je tremble
Que quelqu’un ne t’observe, et ne nous voie ensemble.
LA MONTAGNE.
Et quand on me verrait ? Monsieur, j’ai de l’esprit,
C’est vous qui m’employez ; je conduis tout, suffit.
Ne craignez rien.
LE MARQUIS.
On peut remarquer ton visage.
LA MONTAGNE.
Et n’en changerai-je pas à chaque Personnage ?
Quand je suis déguisé, je le donne au plus fin,
Si me voulant connaître, il n’y perd son latin.
Ne vous inquiétez pour aucun de mes Rôles.
Je les jouerai d’un air... Mais trêve de paroles.
Vous avez par l’effet déjà vu ce que vaut...
LE MARQUIS.
N’as-tu rien oublié de tout ce qu’il nous faut ?
LA MONTAGNE.
Quand je vous fais en tout paraître un zèle extrême,
Douter de moi qui suis la vigilance même,
Et qui toujours sur pied pour servir votre amour,
Depuis un mois et plus ne dors ni nuit ni jour ?
Au moins si par hasard mon cerveau se démonte,
Ce sera, s’il vous plaît, Monsieur, sur votre compte.
À force de veiller...
LE MARQUIS.
Va, j’en réponds.
LA MONTAGNE.
Ma foi,
Je suis sûr qu’un jaloux dormirait plus que moi.
Avoir tout à la fois tant de choses à faire,
C’est assez pour... Allez, quoique prompt à vous plaire,
Pour bien songer à tout, bien vous prend qu’au besoin
Ma mémoire ait fourni de quoi nous mener loin.
Il ne manque plus rien à l’ordre de la Fête ;
Et de l’air dont chacun sur mes Leçons s’apprête,
Ce que j’ai préparé de Divertissements,
Aura tout ce qu’on peut souhaiter d’agréments.
Ainsi la belle Veuve à qui vous voulez plaire,
Ignorant d’où lui vient ce qu’elle verra faire,
Vous croira tout au moins demi Sorcier. Pour moi,
Je mets le Diable au pis, s’il brigue mon emploi.
C’est de quoi l’exercer, quelque adroit qu’il puisse être.
LE MARQUIS.
Mais tout cela n’est rien, si l’on me fait connaître.
Prends bien garde au secret.
LA MONTAGNE.
Il vous est sûr.
LE MARQUIS.
Comment ?
LA MONTAGNE.
La plupart de mes Gens ne parlent qu’Allemand.
Comme j’entends la Langue assez pour les instruire,
J’ai voulu les choisir incapables de nuire.
D’ailleurs, que craindre d’eux, puisqu’ils ignorent tous
Que vous êtes mon Maître, et que j’agis pour vous ?
Je les paye, et c’est là tout ce qui leur importe.
LE MARQUIS.
C’en est assez. Va-t’en, avant que quelqu’un sorte.
LA MONTAGNE.
Vous croyez donc qu’ici je sois venu pour rien ?
Il me faut...
LE MARQUIS.
Quoi ? Dis vite.
LA MONTAGNE.
Attendez, c’est...
LE MARQUIS.
Et bien ?
LA MONTAGNE.
Vous m’avez fait songer à ce que je prépare,
Et souvent en courant ma mémoire s’égare.
LE MARQUIS.
Veux-tu que...
LA MONTAGNE.
Laissez-la, Monsieur, se retrouver.
En rêvant...
LE MARQUIS.
Est-ce ici, Bourreau, qu’il faut rêver ?
LA MONTAGNE.
La Montre qu’il faudra... Non, je l’ai.
LE MARQUIS.
Va-t’en, traître,
Tu me perdras.
LA MONTAGNE.
Et bien, Serviteur ; mais peut-être
Quelque chose manquant, vous en aurez regret.
LE MARQUIS.
Non, sors.
LA MONTAGNE, revenant.
Ah, je le tiens. Monsieur, votre Portrait.
LE MARQUIS.
Prends et t’éloigne. Quoi, tu reviens ?
LA MONTAGNE.
Autre affaire.
J’oubliais de l’argent, c’est le plus nécessaire.
LE MARQUIS.
Voilà ma Bourse.
LA MONTAGNE.
Mais...
LE MARQUIS.
Redoute mon courroux.
Veux-tu sortir ?
LA MONTAGNE.
Je sors. Combien me donnez-vous ?
J’ai besoin tout au moins...
LE MARQUIS.
Quelqu’un ici s’avance.
LA MONTAGNE.
Bon, c’est Virgine, elle est de notre intelligence.
LE MARQUIS.
Laisse-moi lui parler, et songe qu’il est temps
Qu’à faire ce qu’il faut tu prépares tes Gens.
Scène II
LE MARQUIS, VIRGINE
LE MARQUIS.
Et bien, comment la nuit s’est-elle ici passée ?
Que fait-on ?
VIRGINE.
Ma Maîtresse est fort embarrassée,
Et ce que l’Inconnu fait pour la régaler,
Lui donne à tous moments matière de parler.
Olimpe aussi bien qu’elle admire son adresse,
Sa manière engageante, et toutes deux sans cesse
Font rouler l’entretien sur les soins d’un Amant
Qui, sans se découvrir, aime si fortement.
LE MARQUIS.
Si toujours le succès répond à l’entreprise,
La suite aura de quoi mériter leur surprise.
VIRGINE.
Ce qui m’en cause à moi, dont je ne reviens pas,
C’est de vous voir tranquille, et si peu d’embarras,
Que quelque Fête ici tous les jours qui se donne,
On en cherche l’Auteur, sans que l’on vous soupçonne.
LE MARQUIS.
Par où me soupçonner ? J’en ai peu de souci.
Je loge dans le Bourg à quatre pas d’ici.
Tous mes Gens, hors un seul qui sait ce qu’il faut taire,
Passent là tout le jour à rire, à ne rien faire ;
Et cet unique Agent par qui tout se conduit,
Va porter dans un Bois mes ordres chaque nuit.
Peut-on mieux assurer un secret ?
VIRGINE.
Je l’avoue,
Tant de précaution mérite qu’on vous loue ;
Mais vous perdez beaucoup à vous cacher ainsi.
Déjà pour vous Olimpe a le cœur adouci,
Et le galant Auteur de tant de belles Fêtes
La mettrait aisément au rang de ses Conquêtes.
LE MARQUIS.
Il est vrai, j’ai connu par certains embarras
Qu’elle serait d’humeur à ne me haïr pas ;
Mais quand je serais moins à ma belle Comtesse,
Olimpe au Chevalier doit toute sa tendresse.
Il l’adore, et je l’ai toujours trop estimé,
Pour lui ravir l’objet dont je le vois charmé.
VIRGINE.
Ma Maîtresse aime Olimpe, et pour voir cette Belle,
Permet au Chevalier un libre accès chez elle.
Depuis qu’elle est ici par mille tendres soins,
De l’amour qui l’attire il rend nos yeux témoins ;
Mais plus on vous verra, plus je crains pour sa flamme.
Les devoirs qu’il lui rend ne touchent point son âme,
Et ses regards sur vous à toute heure arrêtés,
Ne parleraient que trop, s’ils étaient écoutés.
Mais vous, par quel motif vouloir toujours vous taire ?
A-t-on à se cacher, quand on est sûr de plaire ?
Vos soins sous votre nom auraient été reçus.
LE MARQUIS.
Chacun a ses raisons, et j’en ai là-dessus.
Tout ce qui peut charmer se trouve en la Comtesse ;
Mais soit par défiance, ou par délicatesse,
Le secret de son cœur se ménage si bien,
Qu’avec elle un Amant n’est jamais sûr de rien.
Elle veut être aimée, attire, écoute, engage,
Mais le plus avancé n’a pas grand avantage.
La presser c’est se rendre indigne de sa foi,
Et vingt fois, tu le sais, elle a dit devant moi
Qu’on aurait vers son cœur moins de chemin à faire,
Plus, sans rien exiger, on ferait pour lui plaire.
D’abord qu’elle fut Veuve, un tendre et pur amour
M’engagea sans réserve à lui faire ma cour.
Aucun autre avant moi n’avait brûlé pour elle,
Et par toute l’ardeur qui peut suivre un beau zèle,
Je n’ai pu mériter qu’en faveur de mes feux
Elle ait daigné jamais refuser d’autres vœux.
J’en vois qui se livrant, sans que rien les alarme,
Aux malignes douceurs d’un accueil qui les charme,
Sur la foi de ses yeux s’osent imaginer
Que son cœur est sensible, et prêt à se donner ;
Mais je connais le piège, et plains leur imprudence.
Cependant pour agir avec plus d’assurance,
J’ai voulu joindre aux vœux qu’elle reçoit par moi,
L’amour d’un Inconnu qui prétend à sa foi.
D’estime en sa faveur je la vois prévenue,
Et de ce double appui ma flamme soutenue
En aura moins de peine à me faire emporter
Ce qu’en vain mes Rivaux me voudront disputer.
Son cœur aimant en moi mon amour, ma personne,
Aime dans l’Inconnu les plaisirs qu’il lui donne.
Elle y rêve, et mon feu par cet heureux secours
A trouvé les moyens de l’occuper toujours.
D’ailleurs, j’ai la douceur, (quel plaisir quand on aime !)
Que souvent elle vient me parler de moi-même,
Et vantant l’Inconnu, sans le croire si près,
Me montre un cœur touché de tout ce que je fais.
Que t’en dit-elle à toi ? Parle.
VIRGINE.
Elle en est ravie.
La gloire fut toujours le charme de sa vie.
Plus vos soins font d’éclat, plus elle s’applaudit
De ce qu’à son mérite ils donnent de crédit.
Ce n’est point par sa flamme une flamme enhardie,
Elle reçoit des vœux sans qu’elle les mendie ;
Et puis, contre l’Amour quoi qu’on ait résolu,
Le nombre des Amants n’a jamais trop déplu ;
Et comme on veut plutôt augmenter que rabattre,
Un avec un fait deux, et deux et deux font quatre.
Les Femmes la plupart en sont là. Mais voici
De quoi changer de note ; Olimpe vient ici.
Songez à vous, elle a grand dessein de vous plaire.
LE MARQUIS.
Souviens-toi seulement de ce que tu dois faire,
Je m’en tirerai bien.
Scène III
LE MARQUIS, OLIMPE, MÉLISSE
OLIMPE.
Vous a-t-on fait savoir
Le petit différend que nous venons d’avoir ?
Je voulais empêcher qu’on ne vous fît l’outrage
De souffrir avec vous un Rival en partage ;
Mais contre l’Inconnu je me déclare en vain.
La Comtesse...
LE MARQUIS.
Eh, Madame, à quoi bon ce dessein ?
Laissons à son penchant liberté toute entière.
Pour moi...
OLIMPE.
La complaisance est un peu singulière.
Un Rival rend des soins, la Comtesse en fait cas...
LE MARQUIS.
S’ils lui plaisent, pourquoi ne me plairaient-ils pas ?
OLIMPE.
Et s’il faut qu’à l’aimer enfin elle consente ?
Qu’elle l’épouse ?
LE MARQUIS.
Et bien, elle sera contente.
C’est tout ce que je veux.
OLIMPE.
Ah, puisqu’il est ainsi,
Marquis, j’ai tort pour vous de m’en mettre en souci.
Puisque pour l’Inconnu vous avez tant de zèle,
Pour vous plaire, je vais le servir auprès d’elle.
LE MARQUIS.
Je ne m’en plaindrai point, favorisez ses feux.
Peut-être son bonheur me rendra-t-il heureux.
L’Amour a des douceurs et pour l’un et pour l’autre.
OLIMPE.
Un mérite aussi bien établi que le vôtre,
Peut prétendre beaucoup, et...
LE MARQUIS.
Je sais bien aimer,
C’est là mon seul mérite.
OLIMPE.
On le doit estimer,
Et j’en connais fort peu qui comme la Comtesse
Ayant de votre cœur attiré la tendresse,
Voulussent consentir au chagrin sans égal,
Où vous peut exposer l’obstacle d’un Rival.
LE MARQUIS.
Ce chagrin n’a sur moi qu’un assez faible empire ;
Et sans m’expliquer mieux, je puis ici vous dire
Que j’aurai vu remplir mes souhaits les plus doux,
Si la Comtesse prend l’Inconnu pour Époux.
Adieu, Madame.
Scène IV
OLIMPE, MÉLISSE
OLIMPE.
Il sort, et veut bien que je croie
Qu’en perdant la Comtesse il aura de la joie.
D’un pareil sentiment que dois-je présumer ?
Aurais-je su lui plaire ? et pourrait-il m’aimer ?
MÉLISSE.
Quoi, vous le souffririez ?
OLIMPE.
Qu’il est bien fait, Mélisse !
MÉLISSE.
Oui, mais au Chevalier il faut rendre justice.
Scène V
LA COMTESSE, OLIMPE, VIRGINE, MÉLISSE
LA COMTESSE.
Savez-vous que Dorante arrive ici ce soir ?
OLIMPE.
Avouez que déjà vous brûlez de le voir.
LA COMTESSE.
Je ne le cache point, j’en aurai de la joie.
OLIMPE.
Je ne sais plus de vous ce qu’il faut que je croie.
Les devoirs du Marquis ne vous déplaisent pas ;
Dans ceux de l’Inconnu vous trouvez quelque appas,
Et d’autres soupirants, aussitôt qu’ils arrivent,
Peuvent prétendre au cœur que tous les deux poursuivent.
C’est aller un peu loin.
LA COMTESSE.
De quoi vous étonner ?
Pour prétendre à mon cœur, me le font-ils donner ?
Croyez-moi, pour n’avoir nul reproche à se faire,
Il faut de sa conduite éloigner le mystère,
S’acquérir des Amis sans trop les rechercher,
Se divertir de tout, et ne point s’attacher.
C’est ainsi que j’en use, et je m’en trouve heureuse.
Point d’affaire de cœur qui me tienne rêveuse.
Tous ceux qu’un peu d’estime engage à m’en conter,
Me trouvent sans façon prête à les écouter.
Je vois avec plaisir leur différent génie ;
Et j’appelle cela recevoir compagnie.
OLIMPE.
Mais en vous en contant, ils vous parlent d’aimer ?
LA COMTESSE.
Je n’y vois pas contre eux de quoi se gendarmer.
Est-il quelque entretien, hors de là, qui n’ennuie,
Et nous parleront-ils de beau temps, ou de pluie ?
Notre Sexe partout fait des Adorateurs,
Et fut-ce la plus laide, on lui dit des douceurs.
Pour moi, qu’aucun aveu sur l’amour n’effarouche,
À personne jamais je ne ferme la bouche,
Et grossissant ma Cour d’Esclaves différents,
J’écoute les soupirs, et ris des Soupirants.
Ce n’est pas, après tout, leur faire grande injure,
Ils ont beau de leurs maux nous tracer la peinture.
Tous ces empressements de belle passion
Souvent sont moins amour que conversation,
Et le plus languissant, quoi qu’il dise et proteste,
A, tout prêt d’expirer, de la santé de reste.
Si sur nous quelquefois le murmure s’étend,
C’est pour ce que l’on fait, non pour ce qu’on entend ;
Et ces Miroirs d’honneur, ces Prudes consommées,
Qui du seul nom d’amour se montre gendarmées,
Succomberaient bientôt à la tentation,
Puisqu’un mot sur leurs cœurs fait tant d’impression.
Jamais à prendre feu je n’ai l’âme si prompte.
Les déclarations ne sont pour moi qu’un conte,
Et quoi que mes Amants par là se soient promis,
Je ne vois, ne regarde en eux que mes Amis.
Je prends sur leur esprit un empire commode ;
Et s’ils m’aiment, il faut qu’ils vivent à ma mode.
L’un veille à mes Procès, l’autre à mes bâtiments.
OLIMPE.
Et comment accorder ce grand nombre d’Amants ?
LA COMTESSE.
Si c’est être Coquette, au moins quoi qu’on en croie,
C’est l’être de bon sens, et vivre pour la joie.
Chacun cherche à me plaire, et ne promettant rien,
Je fais amas de cœurs sans engager le mien.
Comme à fuir le chagrin tous mes soins aboutissent,
Il n’est pas jusqu’aux Sots qui ne me divertissent,
Et dont le ridicule à pousser des soupirs
Ne me soit quelquefois un sujet de plaisirs.
Quoique Veuve, je suis peut-être encor d’un âge
À suivre l’humeur gaie où mon penchant m’engage.
J’en veux jouir ; jamais je n’aurai meilleur temps.
J’ai du bien, des Maisons à Paris comme aux Champs ;
Ma personne a de quoi ne pas déplaire, on m’aime,
Et tant que je voudrai me garder à moi-même,
Ne point prendre de Maître en prenant un Époux,
Mon sort égalera le destin le plus doux.
OLIMPE.
C’est ce qu’encor longtemps vous aurez peine à faire.
Le Marquis n’est point fait d’un air à ne pas plaire,
Et vous estimez tant ce qu’il vous rend de soins,
Qu’il n’y va pour l’aimer, que du plus, ou du moins.
L’Inconnu peut d’ailleurs avoir touché votre âme ;
Et si par ce qu’il fait on juge de sa flamme,
Il est bien malaisé qu’un si parfait Amant
N’ait mérité de vous un peu d’engagement.
Son cœur impatient de vous voir attendrie
Joint la magnificence à la galanterie,
Et les porte si loin, qu’on y voit chaque jour
Briller également et l’esprit et l’amour.
LA COMTESSE.
Il faut vous l’avouer, l’Inconnu m’embarrasse.
Ce qu’il ordonne est fait avecque tant de grâce,
Que je m’en sens touchée, et craindrais de l’aimer,
Si je le voyais tel qu’on peut le présumer.
J’admire chaque jour les détours qu’il emploie
Pour me faire agréer les Bouquets qu’il m’envoie.
Jamais si galamment rien ne fur concerté,
C’est toujours de l’adresse et de la nouveauté.
Cependant j’ai beau faire afin de le connaître.
Tous ses Gens sont muets sur le nom de leur Maître ;
Et même comme ils sont Étrangers la plupart,
Son secret avec eux ne court point de hasard.
C’est en vain qu’on les suit, on n’en peut rien apprendre.
Ce sont Acteurs instruits qui savent où se rendre,
Et qui se séparant quand ils sortent d’ici,
Par leur prompte retraite augmentent mon souci.
Qui peut les employer ?
OLIMPE.
J’en vois tant qui font gloire
De soupirer pour vous, que je ne sais qu’en croire.
Quel qu’il soit, c’est de vous un Amant bien épris.
LA COMTESSE.
Mes soupçons sont d’abord tombés sur le Marquis.
Il m’aime, il est galant ; mais ses Gens qu’on épie,
Demeurent en repos dans son Hôtellerie,
Et n’y passeraient pas tout le jour sans emploi,
Si leur Maître faisait tant de Fêtes pour moi.
D’ailleurs, qu’a-t-il besoin d’user de cette adresse ?
Je souffre que son cœur m’explique sa tendresse,
Et depuis mon Veuvage à me plaire attaché,
Quand il m’a divertie, il ne s’est point caché.
OLIMPE.
Soupçonner le Marquis ! Non, non, quoi qu’il pût faire,
Son amour si longtemps aurait peine à se taire,
Et voyant votre peine, un sourire indiscret
De ses soins applaudis trahirais le secret.
Il vous parle à toute heure.
LA COMTESSE.
Et si notre Vicomte
S’était avisé...
OLIMPE.
Lui ?
LA COMTESSE.
Que j’en aurais de honte.
C’est un fatigant homme.
OLIMPE.
Il va jusqu’à l’excès.
LA COMTESSE.
Il doit venir m’instruire ici de mon Procès.
OLIMPE.
Vous pouvez seul à seul lui donner audience,
Car pour moi je déserte, et suis sans complaisance.
LA COMTESSE.
Et ne pouvez-vous pas en rire comme moi ?
OLIMPE.
Non, ces sortes d’Amants... Mais qu’est-ce que je vois ?
Madame...
Scène VI
LA COMTESSE, OLIMPE, Deux Enfants représentant L’AMOUR et LA JEUNESSE, VIRGINE, MÉLISSE, UN MORE
L’AMOUR.
Vous voyez l’Amour et la Jeunesse,
Qui viennent admirer la charmante Comtesse,
Et lui dire à l’envi qu’être de ses plaisirs,
Fait l’unique bonheur qui flatte leurs désirs.
LA COMTESSE.
Et qui les a conduits ?
VIRGINE.
Ce More qui jargonne
Certains mots qui ne sont entendus de personne.
Ils sont tous deux entrés, demandant à vous voir.
OLIMPE.
C’est encor l’Inconnu.
LA COMTESSE.
Nous allons le savoir.
L’AMOUR.
Nous n’avions pas besoin que l’on nous vînt conduire,
Et d’eux-mêmes jusqu’à ce jour
Jamais dans aucun lieu la Jeunesse et l’Amour
N’ont eu de peine à s’introduire.
OLIMPE.
L’aimable Couple !
LA COMTESSE.
Il n’est rien de si beau.
OLIMPE.
De leur petite mascarade
Le dessein est assez nouveau.
LA COMTESSE.
Il faut les écouter, car je me persuade
Qu’ils nous vont de l’Amour faire un joli tableau.
Dialogue de l’Amour et de la Jeunesse.
LA JEUNESSE.
Quoique vous nous voyiez ensemble,
C’est assez rarement que nous sommes d’accord.
L’AMOUR.
Comme tout me cède, il me semble
Que me céder aussi ne vous ferait pas tort.
LA JEUNESSE.
Moi, vous céder ! et pourquoi, je vous prie ?
Si vous avez des charmes assez doux,
Qui plaisent en coquetterie,
Je me fais aimer plus que vous.
Jamais je ne quitte personne,
Qu’on ne s’en fasse un dur tourment.
Hélas ! dit-on, faut-il si promptement
Que la Jeunesse m’abandonne ?
Mais quand le noir chagrin de vos transports jaloux
Force deux Cœurs à la rupture,
On y trouve un repos si doux
Qu’on vous laisse aller sans murmure ;
Et je ne sache que les Fous,
Qui mal guéris de leur blessure,
Veuillent renouer avec vous.
L’AMOUR.
Et quand on ne rompt point est-il douceurs pareilles ?
LA JEUNESSE.
C’est un miracle dont le bruit
Vient rarement à mes oreilles ;
Mais regardons le dégoût qui le suit.
Ce n’est pas comme la Jeunesse
Qui se trouve aimable en tout temps.
Vous n’avez point d’agrément qui ne cesse,
Pour peu que vous alliez au-delà du Printemps.
Quand l’âge vient, la belle chose
Que les soupirs de deux Amants Barbons !
À quoi peuvent-ils être bons
Qu’à plaindre leur métamorphose ?
Ce n’est plus en douceurs qu’ils passent tout le jour.
L’un dort tandis que l’autre gronde,
Et jamais on ne vit au monde
Rien de si sot qu’un vieil amour.
L’AMOUR.
De vos jeunes attraits vous faîtes bien la fière.
LA JEUNESSE.
On la ferait à moins ; partout je saute aux yeux.
On me nomme partout des Beautés la première,
Et c’est en quoi sur vous je l’emporte encor mieux.
Car enfin pour me vaincre, employez ruse, adresse,
Cherchez, artifice, détours :
Il n’est point de laide Jeunesse,
Mais il est de vilains Amours.
L’AMOUR.
Vous croyez que je me chagrine,
De vous voir ravaler mes droits ?
LA JEUNESSE.
Il n’est pas défendu de faire bonne mine,
Quoiqu’on enrage quelquefois.
Pour moi, je n’aime que la joie,
Et malgré nos débats qui durent trop longtemps,
Il faut qu’à danser je m’emploie.
L’AMOUR.
Danser ! Ignorez-vous qu’on a...
LA JEUNESSE.
Je vous entends,
Mais je puis tout comme Déesse.
En vain on croirait m’arrêter.
D’ailleurs, rien ne saurait contraindre la Jeunesse
Et qui voudrait l’empêcher de sauter,
La ferait mourir de tristesse.
L’AMOUR.
Songez-y bien, j’appréhende pour vous.
LA JEUNESSE.
Chacun doit soutenir son Rôle.
L’AMOUR.
Il est vrai, la Jeunesse est toujours un peu folle,
Et l’on ne prend pas garde aux Fous.
OLIMPE, après que la Jeunesse a dansé un Menuet.
La cadence à trouver ne lui fait point de peine.
LA COMTESSE.
Elle est née à la Danse, et peut s’en faire honneur.
L’AMOUR, au More qui l’a amené.
Tandis qu’elle reprend haleine,
Approchez, notre Conducteur,
C’est à vous d’entrer sur la Scène.
Chanson italienne du MORE.
Occhi neri, il cui splendore
Hora uccide, hora dà vita ;
Al mio cuore
Che si muore
Deh, pietosi date vita.
Quel sol di giovintù ch’in voi risplende,
Quei raggi ridenti onde ogn’un s’accende,
V’insegnano, non gia rigore.
Occhi neri, il cui splendore
Hora uccide, hora dà vita ;
Al mio cuore
Che si muore
Deh, pietosi date vita.
Con sguardi lusinghieri, strali di fuoco
Begli occhi, nel petto colto m’havete.
S’aiuto certese non mi porgete,
Ahira, ch’io vo morendo à poco à poco.
Sù, sù, dunque, che fate,
Pupille adorate ?
Con sguardo amoroso,
Non piu disdegnoso,
La piaga sanate
D’un’ alma ferita.
Ahi che troppo tardata.
E che non mirate
Che gie nel mio seno
Lo spirto vien meno,
E sta su l’usteta.
Occhi neri, il cui splendore
Hora uccide, hora dà vita ;
Al mio cuore
Che si muore
Deh, pietosi date vita.
OLIMPE.
En toute Langue on vous dit des douceurs.
LA COMTESSE.
Ignorant qui me les adresse,
Ce sont d’assez vaines ardeurs ;
Mais laissons parler la Jeunesse.
LA JEUNESSE.
Et bien, de moi que dites-vous, Amour ?
L’AMOUR.
À danser, à sauter employez tout le jour,
Cela n’a rien qui m’intéresse ;
Mais puisque aucun de nous n’est d’humeur à céder
Il faut du moins nous accorder,
Pour louer dignement cette belle Comtesse.
LA JEUNESSE.
La louer ? ce n’est point mon fait.
Je ne pourrais assez élever son mérite,
Et j’aime mieux en être quitte
Pour ma guirlande et ce Bouquet.
Prenez ; d’une Déesse il n’est rien qu’on refuse.
L’AMOUR.
Pour moi, qui cherche à voir tous les Cœurs sous ses lois,
Je sais comme il faut que j’en use,
Et veux mettre à ses pieds mon Arc et mon Carquois.
OLIMPE, reprenant le Carquois de l’Amour, d’où elle tire un Billet parmi les Flèches.
Qu’il est bien fait ! Mais Dieux !
À l’aimable Comtesse.
Madame, c’est à vous que ce Billet s’adresse.
LA COMTESSE.
Lisons.
OLIMPE.
De l’Inconnu j’admire le talent,
Tout ce qu’il fait enchante.
LA COMTESSE.
Il n’est rien de plus galant.
Billet.
Quoique ma passion extrême
Me fasse un souverain bonheur
Du plaisir de vous dire à quel point je vous aime,
Permettez que l’Amour vous parle en ma faveur,
Avant que je parle moi-même.
J’ose attendre beaucoup d’un entretien si doux.
Eh, qui sait mieux que lui ce que je sens pour vous ?
OLIMPE.
C’est s’exprimer avec tendresse.
LA COMTESSE.
On dit plus qu’on ne sent ; mais je veux à mon tour
Faire présent à la Jeunesse.
La Comtesse lui donne un Diamant.
LA JEUNESSE.
J’accepte cette Bague, attendant l’heureux jour
Où vous saurez pour qui je m’intéresse.
LA COMTESSE.
Je ne donne rien à l’Amour ;
Il se vante, et je crains ses contes ordinaires.
L’AMOUR.
Par lui-même l’Amour trouve à se contenter
Et tant qu’il se fait écouter,
Il n’est pas mal dans ses affaires.
L’Amour et la Jeunesse s’en vont avec le More.
OLIMPE.
On les a bien instruits.
LA COMTESSE.
Tâche à les amuser,
Virgine. Les Enfants n’aiment point à se taire,
Et de notre Inconnu par eux...
VIRGINE.
Laissez-moi faire.
En badinant je les ferai jaser.
ACTE II
Scène première
OLIMPE, MÉLISSE
MÉLISSE.
Ainsi par une vue au Chevalier fatale,
La Comtesse en ces lieux trouve en vous sa rivale ?
OLIMPE.
Il est vrai, c’est ici que j’ai pris malgré moi
Ce qui vers le Marquis a fait pencher ma foi.
À le voir, à l’entendre à toute heure exposée,
J’ai cru ne risquer rien, et me suis abusée.
Son esprit engageant, son air plein de douceur,
Sa mine, tout pour lui m’a demandé mon cœur.
Pour peu qu’on se hasarde auprès d’un vrai mérite,
Que la raison est faible, et que ce cœur va vite !
D’un tendre mouvement l’appas flatteur et doux
M’a fait voir la Comtesse avec des yeux jaloux.
S’il lui parle un moment, je m’en sens inquiète,
Et trop pleine du trouble où ce chagrin me jette,
Dans ce Bois frais et sombre où je la viens trouver,
Je la cherche à pas lents, et n’aime qu’à rêver.
MÉLISSE.
Mais vous n’ignorez pas qu’il aime la Comtesse ?
OLIMPE.
Nous pouvons l’un et l’autre avoir même faiblesse.
J’aimais le Chevalier avant ce changement ;
Du moins je le souffrais en qualité d’Amant.
Cependant le Marquis fait balancer mon âme,
Et quoiqu’à la Comtesse il ait montré sa flamme,
Que sait-on si l’Amour pour m’assurer sa foi,
N’aura pas fait en lui ce qu’il a fait en moi ?
Tu sais ce qu’il m’a dit ; loin qu’il en prenne ombrage,
Il voit avec plaisir que l’Inconnu l’engage,
Qu’il s’en fasse estimer, et voudrait que l’Amour,
Pour les unir ensemble, eût déjà pris le jour.
Me découvrir ainsi le secret de son âme,
Mélisse, n’est-ce pas que parler de sa flamme,
Et me dire à demi que son cœur tout à moi
N’aspire qu’au bonheur de dégager sa foi ?
MÉLISSE.
Gardez de vous flatter, on croit ce qu’on désire ;
Mais souvent...
OLIMPE.
Ne crains rien. Si pour lui je soupire,
L’Amour qui m’y contraint, se conduira si bien,
Qu’aux yeux de la Comtesse il n’en paraîtra rien.
Tout ce que je prétends, est de vanter sans cesse
Les soins de l’Inconnu, son esprit, son adresse ;
Et si de cet amour son hymen est le prix,
Je pourrai faire alors expliquer le Marquis.
MÉLISSE.
Ainsi le Chevalier n’a plus rien à prétendre ?
OLIMPE.
Le voici, je ne puis refuser de l’entendre ;
Mais son amour du mien s’est un peu trop promis.
Scène II
LE CHEVALIER, OLIMPE, MÉLISSE
LE CHEVALIER.
Madame, apprenez-moi quel espoir m’est permis.
Mon chagrin ne peut plus se forcer au silence ;
Je vous vois, vous retrouve après un mois d’absence,
Et vous me recevez d’un air froid, sérieux...
OLIMPE.
Je rêve, et j’en ai pris l’habitude en ces lieux.
À me bien divertir quelques soins qu’on emploie,
Il y manque toujours quelque chose à ma joie.
La Campagne n’a point les charmes de Paris.
LE CHEVALIER.
Paris a des beautés dont on peut être épris ;
Mais enfin je n’en veux pour Juge que vous-même.
On ne regrette rien quand on voit ce qu’on aime,
Et vous n’envieriez pas les plaisirs les plus doux,
Si vous étiez pour moi, ce que je suis pour vous.
OLIMPE.
Je croyais n’être pas obligée à vous rendre
Le même empressement que l’Amour vous fait prendre,
Et qu’il m’était permis, en recevant vos soins,
De vous trouver sensible, et de l’être un peu moins.
LE CHEVALIER.
Quelle réponse, hélas ! C’est donc tout ce qu’emporte
Cette parfaite ardeur...
OLIMPE.
Je l’avoue, elle est forte,
Vos feux par ces devoirs m’ont été confirmés ;
Mais de grâce, est-ce vous, ou moi, que vous aimez ?
Je parais à vos yeux bien faite, belle, aimable,
Vous me cherchez, de quoi vous suis-je redevable ?
Forcez-vous en cela votre inclination ?
Et quand vous me parlez d’ardeur, de passion,
Si le secret penchant qui pour moi vous inspire,
Ne vous attirait pas autant qu’il vous attire,
Ne trouvant rien en moi qui pût vous enflammer,
Pour mes seuls intérêts me pourriez-vous aimer ?
De vos prétentions voyez l’abus extrême.
Parce que je vous plais, il faut que je vous aime,
Et je dois vous payer de la nécessité
Qui vous tient malgré vous dans mes fers arrêté.
Tâchez de les briser, si leur poids vous étonne ;
Sinon, mon cœur est libre, attendez qu’il se donne,
Et quoi qu’enfin pour vous sa conquête ait d’appas,
N’exigez point de lui ce qu’il ne vous doit pas.
LE CHEVALIER.
Ah, contre mon amour je vois ce qui s’apprête.
On veut...
OLIMPE.
Finissons-là, j’ai quelque chose en tête,
Et comme je vous crois généreux et discret,
Je veux bien avec vous n’en pas faire un secret.
L’Inconnu par ses soins offre ici son hommage,
À lui vouloir du bien quelque intérêt m’engage.
LE CHEVALIER.
Qu’entends-je ? L’Inconnu ! Madame, l’aimez-vous ?
Me quittez-vous pour lui ? sera-t-il votre Époux ?
Vous a-t-il fait parler ?
OLIMPE.
Voilà de la jalousie
Comme souvent sans cause on a l’âme saisie.
LE CHEVALIER.
Il est galant, je vois que vous en faites cas,
Vous dédaignez mes vœux, et je ne craindrais pas ?
OLIMPE.
Non, puisque si pour lui ma bonté s’intéresse,
Ce n’est que pour lui faire épouser la Comtesse.
LE CHEVALIER.
Favorable assurance ! En des maux si pressants,
Pardonnez si d’abord l’Inconnu...
OLIMPE.
J’y consens,
Mais à condition que pour servir sa flamme
Vous verrez la Comtesse, et ferez...
LE CHEVALIER.
Moi, Madame !
Le Marquis qui l’adore est mon Ami.
OLIMPE.
Fort bien.
Le Marquis vous est tout, et je ne vous suis rien.
LE CHEVALIER.
Madame...
OLIMPE.
À l’Amitié l’on doit un cœur fidèle,
Prompt, ardent ; pour l’Amour, c’est une bagatelle.
LE CHEVALIER.
Mais si du Marquis...
OLIMPE.
Non, faites-vous son appui,
Je veux bien qu’il l’emporte, et vous laisse avec lui.
Adieu.
Scène III
LE MARQUIS, LE CHEVALIER
LE MARQUIS.
De quel chagrin vous vois-je atteint ? Il semble
Qu’elle sort en colère ; êtes-vous mal ensemble ?
LE CHEVALIER.
Oui, Marquis, et jamais Amant ne fut traité
Avec tant d’injustice et tant de cruauté.
C’est peu que je la trouve ici toute changée ;
À nuire à votre amour elle s’est engagée,
Et veut me voir servir l’Inconnu contre vous.
LE MARQUIS.
Si vous la refusez, j’approuve son courroux.
Qui se déclare Amant, doit tout à ce qu’il aime.
LE CHEVALIER.
Contre un parfait Ami ? contre un autre soi-même ?
LE MARQUIS.
L’Amour n’excepte rien.
LE CHEVALIER.
Pour ne pas l’irriter,
Je vous trahirais ! Non, laissons-la s’emporter.
Le temps et la raison éteindront sa colère.
LE MARQUIS.
Une Maîtresse ordonne, il faut la satisfaire.
Parlez pour l’Inconnu ; tous vos soins employés
Peut-être me nuiront moins que vous ne croyez.
LE CHEVALIER.
La Comtesse l’estime, et son âme incertaine
Peut malgré votre amour...
LE MARQUIS.
N’en soyez point en peine.
Sur elle, sur son cœur je sais ce que je puis.
LE CHEVALIER.
Comprenez-vous assez quels seraient mes ennuis,
S’il fallait que par moi...
LE MARQUIS.
Vous n’avez rien à craindre.
Empêchez seulement Olimpe de se plaindre.
LE CHEVALIER.
Plus je vous vois agir en Ami généreux,
Plus j’ai de répugnance à combattre vos feux.
Je m’oppose pour vous à ce qu’Olimpe exige,
Et crains tant d’obtenir...
LE MARQUIS.
Ne craignez rien vous dis-je,
Et sans examiner le péril que je cours,
Assurez, s’il se peut, le repos de vos jours.
Je le verrai sans peine.
LE CHEVALIER.
Ô bonté que j’admire !
Que ne vous dois-je point, et que puis-je vous dire ?
Je vais rejoindre Olimpe, et malgré sa froideur
Lui jurer d’un Amant la plus soumise ardeur.
Je lui promettrai tout ; mais malgré ma promesse
J’aurai tant de réserve en voyant la Comtesse,
Que ce qu’à l’Inconnu je prêterai d’appui,
Faisant peu contre vous, ne fera rien pour lui.
Scène IV
LE MARQUIS, VIRGINE
LE MARQUIS.
Virgine.
VIRGINE.
Vous riez ? D’où vous vient cette joie ?
LE MARQUIS.
De voir contre elle-même Olimpe qui s’emploie.
Le Chevalier, d’erreur comme elle prévenu,
Va tâcher, pour lui plaire, à servir l’Inconnu.
J’ai quelque part sans doute à ce qu’on lui fait faire.
VIRGINE.
Qu’on est dupe souvent !
LE MARQUIS.
Le plaisant de l’affaire,
C’est qu’Olimpe qui croit par là me conserver,
Brigue pour moi le cœur qu’elle veut m’enlever.
VIRGINE.
Cependant vous aviez besoin de mon adresse,
Quand j’ai suivi tantôt l’Amour et la Jeunesse.
LE MARQUIS.
Et qu’as-tu dit pour eux ?
VIRGINE.
Qu’ils ont d’abord couru
Se jeter en Carrosse, et qu’ils ont disparu.
LE MARQUIS.
Et la Comtesse ?
VIRGINE.
Elle est dans une peine extrême,
Et semble partagée entre vous et vous-même.
Je viens de lui vanter vos tendres sentiments.
Elle a rendu justice à leurs empressements ;
Puis avec un soupir que l’amour a fait naître,
Que n’est-il l’Inconnu, m’a-t-elle dit !
LE MARQUIS.
Peut-être,
Si je me déclarais, son cœur sans embarras,
Quoique touché pour moi, ne le sentirait pas.
Ne précipitons rien.
VIRGINE.
C’est l’humeur de la Dame.
Le mérite la charme, il peut tout sur son âme ;
Mais il faut lui laisser vouloir ce qu’elle veut.
LE MARQUIS.
L’Amour est consolé, quand il fait ce qu’il peut.
Elle paraît ; je vais pousser le stratagème,
Et faire quelque temps le jaloux de moi-même.
C’est le plus sûr moyen d’affermir mon bonheur.
Scène V
LA COMTESSE, LE MARQUIS, VIRGINE
LE MARQUIS.
Madame, je vous trouve un air sombre, rêveur ;
Il me gêne, il m’alarme, et cependant je n’ose
Permettre à mon amour d’en demander la cause.
Peut-être quand mon cœur s’attache tout à vous,
Le vôtre cherche ailleurs des hommages plus doux.
Vous ne répondez point ? Je le vois trop, Madame.
Un autre feu sans doute est contraire à ma flamme.
Malgré ce que le temps m’a dû prêter d’appui,
C’est l’Inconnu qu’on aime, et vous pensez à lui.
LA COMTESSE.
Vous l’avez deviné. Ses galantes manières,
Si propres à gagner les âmes les plus fières,
M’obligent tellement, qu’à ce qu’il fait pour moi
Un peu de rêverie est le moins que je dois.
Je puis me la souffrir sur tout ce qui se passe.
LE MARQUIS.
Quoi, Madame, un Rival...
LA COMTESSE.
D’un ton plus bas, de grâce.
S’il m’occupe l’esprit, vous devez présumer
Que c’est pour le connaître, et non pas pour l’aimer.
Après ce que pour moi ses soins marquent de zèle,
La curiosité n’est pas fort criminelle ;
Et vous-même déjà vous auriez dû tâcher
D’éclaircir le secret qu’il aime à nous cacher.
LE MARQUIS.
Je vous l’éclaircirais ! Promettez-moi, Madame,
Que votre main sera l’heureux prix de ma flamme ;
Et pour le découvrir, je fais ce que je puis.
LA COMTESSE.
Cherchez à me tirer de la peine où je suis.
Vous me ferez plaisir, et je vous le conseille.
LE MARQUIS.
Est-il contre un Amant injustice pareille ?
Si l’Inconnu par moi se découvre aujourd’hui,
Voudrez-vous point encor que je parle pour lui ?
Qu’en faveur de son feu le mien vous sollicite ?
Il peut, je le confesse, avoir plus de mérite,
À l’ardeur de ses soins donner un plus grand jour ;
Mais jamais, quoi qu’il fasse, il n’aura plus d’amour.
LA COMTESSE.
Je le veux croire ainsi ; mais puis-je avec justice
De son attachement vous faire un sacrifice,
Avant qu’avec lui-même une civilité
Marque au moins que je sais ce qu’il a mérité ?
LE MARQUIS.
Le détour est adroit autant qu’il le peut être.
Il faut être civile afin de le connaître,
Et vous donnant à lui, quand vous le connaîtrez,
L’Étoile est le garant où vous me renverrez.
LA COMTESSE.
Ainsi c’est de nos cœurs l’Étoile qui dispose ?
LE MARQUIS.
Mais...
LA COMTESSE.
Je hais les raisons quand je veux quelque chose,
Et j’avais toujours cru que la soumission
D’un véritable Amant marquait la passion.
LE MARQUIS.
Oui, quand il peut...
LA COMTESSE.
Marquis, voyez ce que vous faites.
J’aime en qui m’ose aimer, des volontés sujettes,
Et qu’on m’estime assez, pour croire aveuglément
Que tout ce que je veux, je le veux justement.
LE MARQUIS.
Mon malheur est certain. J’ai de bons yeux, Madame.
Vous cherchez un prétexte à rejeter ma flamme.
Si je désobéis, c’en est fait, plus d’espoir ;
Et si de mon Rival... Moi, vous le faire voir ?
Non, qu’il cherche lui-même à se faire connaître.
Ce ne sera jamais que trop tôt, et peut-être...
LA COMTESSE.
Suffit ; j’aime à savoir, Marquis, ce que je sais.
Vous m’osez refuser, et je m’en souviendrai.
Scène VI
LA COMTESSE, OLIMPE, LE CHEVALIER, LE MARQUIS, VIRGINE, MÉLISSE
LE CHEVALIER.
Quoique j’ignore encor quel spectacle on apprête,
Je puis vous préparer à quelque grande Fête,
Madame ; dans ce Bois j’ai vu des Gens épars,
Qui pour vous la donner, viennent de toutes parts.
Ils s’avancent vers vous.
LE MARQUIS.
Vous devez les attendre,
Madame, et l’Inconnu ne saurait moins prétendre.
Il connaît mieux que moi ce que c’est qu’être Amant,
Par tout il vous régale.
LA COMTESSE.
Et toujours galamment.
Du moins j’ai tout sujet d’en être satisfaite.
LE MARQUIS.
Vous pouvez l’écouter, voici son Interprète.
Scène VII
LA COMTESSE, LE MARQUIS, LE CHEVALIER, OLIMPE, LA MONTAGNE représentant Comus, VIRGINE, MÉLISSE, SUITE de Comus
COMUS.
Madame, par hasard si Comus est un Dieu
Qui soit de votre connaissance,
Vous le voyez en moi qui parais en ce lieu
Pour vous jurer obéissance.
Je suis un grand Maître en Festins.
À les bien ordonner on connaît mon génie,
Et l’Amour dont le goût fut toujours des plus fins,
Voulant en bonne compagnie
Vous donner un Régale approchant des Divins,
M’a fait Maître d’Hôtel de la Cérémonie.
C’est un Dieu, quoique très petit,
À qui l’on peut céder sans honte.
Marchez sous sa conduite, et rendez-vous plus prompte
À faire tout ce qu’il vous dit ;
Vous y trouverez votre compte.
LA COMTESSE.
Sur l’espérance des douceurs
Dont l’Amour doit combler nos cœurs,
Quand une fois il s’en empare,
Je suivrais volontiers ses pas,
Mais comme il est Enfant, j’ai peur qu’il ne s’égare,
Et j’aime à ne me perdre pas.
COMUS.
Avancez, il est temps. Vite, que l’on commence.
Il fait signe à des Paysans qui s’avancent, et qui forment un Berceau composé de dix Figures isolées en forme de Termes de bronze doré, cinq de chaque côté, l’une d’Homme, et l’autre de Femme, tenant chacune en l’une de leurs mains un Bassin de porcelaine rempli de toute sorte de Fruits en Pyramide. Ces Figures depuis la ceinture, se terminent en Gaines, et ces Gaines sont environnées de Pampres de Vigne chargés de Raisins. Chaque Figure est portée sur son Piédestal de marbre d’Orient, où il y a de petites Consoles dans les saillies qui soutiennent des Porcelaines de différentes manières, remplies de Pyramides de Fruits aussi beaux que les autres. Du milieu de ces Consoles pendent des Festons de Fleurs. Toutes les Figures de ce Berceau portent sur leurs têtes de grands Vases de porcelaine qu’elles soutiennent d’une main et qui sont remplis en confusion de Fleurs naturelles. Les Cintres naissent de ces Fleurs, et ornent des Figures cintrées de différentes manières de verdure coupée, d’où pendent des Festons de Fleurs, et de toile d’or. L’Optique de ce Berceau où devrait être un Buffet, est d’une manière toute extraordinaire. On y voit plusieurs degrés de gazon, et sur le plus élevé paraît un Bacchus tenant d’une main un Vase d’or, et de l’autre une Coupe. Il est environné de plusieurs Vases d’or et d’argent. La Déesse des Fruits est à son aile droite, et à sa gauche Cérès tient dans une Corbeille ce qui est de son ministère. Flore est un peu plus bas. On voit à ses côtés de grandes corbeilles de Fleurs, et comme elle en tient encore beaucoup, on connaît qu’elle en couvre tout le gazon qui l’environne ; ce qui se remarque par celles qui sont déjà sur ce gazon. Au-dessous de Flore on voit l’Abondance avec deux Cornets qu’elle vide dans deux Corbeilles que tiennent deux Satyres qui sont sur un degré plus bas, à demi courbés, et en posture de Gens qui reçoivent. Entre toutes ces Figures paraissent Pan et Sylvain, accompagnés d’Orphée qui tient son Luth, et les deux autres des Flûtes. Le tout est fini par un degré de gazon, aux deux bouts duquel il y a deux scabellons fort riches ; et portant chacun un grand vase d’or ; de sorte que sans avoir dressé un Buffet de la manière ordinaire, on en voit paraître un beaucoup plus beau ; et auquel il ne manque rien, puisque Bacchus et Cérès y apportent ce qu’on peut attendre d’eux, et que Flore elle-même prend soin de le venir orner.
LE CHEVALIER, à la Comtesse.
Tant de Galanterie a droit de vous charmer,
Madame.
OLIMPE.
N’épargner ni peine, ni dépense,
Pour fournir des plaisirs toujours en abondance,
C’est là ce qui s’appelle aimer.
COMUS.
Madame, il ne faut point différer davantage.
Quand l’Amour, dont je prends ici les intérêts,
Vous rend par ce Régale un volontaire hommage,
Vous connaissez à quel usage
En sont destinés les apprêts.
LA COMTESSE.
Je ne veux pas les laisser inutiles.
Olimpe y prendra part ainsi que son Amant.
OLIMPE.
Volontiers ; les refus sont assez difficiles,
Quand on agit si galamment.
LA COMTESSE.
J’ai besoin d’une main, la vôtre est-elle prête,
Marquis ?
LE MARQUIS.
Vous vous moquez, je crois.
LA COMTESSE.
Non, vous me conduirez.
LE MARQUIS.
Je renonce à la Fête,
Elle n’est pas faite pour moi.
LA COMTESSE.
Point d’excuses, point de défaites ;
Je veux que vous veniez.
LE MARQUIS.
Eh, Madame.
LA COMTESSE.
Eh, Marquis,
Sans façon, croyez-moi, faites ce que je dis ;
Vous vous montrez plus jaloux que vous n’êtes.
LE MARQUIS.
Justement.
LA COMTESSE.
Je connais votre cœur mieux que vous,
Et c’est si rarement que le trouble y peut naître...
LE MARQUIS.
Oui, Madame, j’ai tort de paraître jaloux,
Car je n’ai pas sujet de l’être.
Le Marquis sort.
Scène VIII
LA COMTESSE, OLIMPE, LE CHEVALIER, VIRGINE, MÉLISSE, COMUS, SUITE de Comus
OLIMPE.
On dirait qu’il sort en courroux.
LA COMTESSE.
Il aura tout loisir de s’en rendre le maître.
Cependant divertissons-nous.
COMUS.
Tandis que vous ferez une épreuve agréable
Des douceurs que ces fruits offrent aux Curieux,
L’Amour qui m’emploie en ces lieux,
M’a fait chercher ce qu’il a cru capable
De pouvoir attacher vos yeux.
Allons, faites de votre mieux,
Et qu’à l’envi chacun se montre infatigable.
La Comtesse s’avance avec Olimpe et le Chevalier vers les Corbeilles de Fruits ; et tandis que chacun choisit ce qui flatte le plus son goût, les Paysans qui ont ordre de divertir la Comtesse, après avoir fait quelques figures pour marquer leur joie, font un Jeu avec des Bâtons, et l’ont à peine fini, que sans sortir du lieu où ils sont, ils paraissent tous en un moment vêtus en Arlequins, et réjouissent la Comtesse par mille figures plaisantes.
LA COMTESSE.
On voit avec plaisir de semblables combats
Qui ne font craindre pour personne.
COMUS.
Il serait malaisé qu’ils manquassent d’appas,
Quand c’est l’Amour qui les ordonne.
Mais il est d’autres Dieux que moi,
Qui se sont mêlés de la Fête.
Vertumne y prend part, et je vois
Qu’ainsi que Pomone il s’apprête
À raisonner sur son emploi.
Pomone et Vertumne s’avancent, et chantent le Dialogue du suit.
Dialogue de Vertumne et de Pomone.
VERTUMNE.
De quel chagrin, Pomone, as-tu l’âme saisie ?
POMONE.
Si Vertumne a des yeux, doit-il le demander ?
Je suis, quoique Déesse, obligée à céder ;
Puis-je le voir sans jalousie ?
Quand en faveur d’un Amant inconnu
J’ai promis de venir régaler cette Belle,
J’avais cru ne trouver en elle
Que les appas d’une simple Mortelle.
Pour qui l’Amour était trop prévenu ;
Mais les Divinités n’ont rien qui la surpasse.
Il n’est éclat qu’elle n’efface,
Et je viens d’avoir la douleur
Qu’auprès d’elle mes Fruits ont changé de couleur.
Après un tel affront puis-je être sans colère ?
VERTUMNE.
J’aurais la même plainte à faire.
J’ai beau, comme Dieu des Jardins,
Chercher à lui fournir toujours des Fleurs nouvelles ;
Son teint en a de naturelles,
Dont l’éclat ternit mes jasmins.
POMONE.
L’aveu que nous faisons augmente sa victoire.
VERTUMNE.
Le moyen de s’en dispenser ?
POMONE.
Elle est toute charmante, il faut le confesser.
VERTUMNE.
Unissons donc nos voix, et chantons à sa gloire.
Tous les deux, ensemble.
Heureux, heureux l’Amant, dont la tendre langueur,
Pour mériter son choix, aura touché son cœur !
Chanson de POMONE.
Vous avez beau vous défendre,
Vous aimerez quelque jour.
À l’Amour,
Sans attendre
Pourquoi craindre de vous rendre ?
Chacun lui cède à son tour.
On n’a point de plaisir sans tendresse,
Sans amour on n’a point de bonheur.
Si d’un Cœur
En langueur
Les soucis partagés vous font peur,
Rendez-vous au beau feu qui le presse,
Vous verrez qu’ils sont pleins de douceur.
Chanson de VERTUMNE.
L’Amour est à suivre,
Laissez-vous charmer ;
Tout doit s’enflammer.
Quel plaisir de vivre,
Sans celui d’aimer ?
Les plus belles chaînes
Font voir mille peines
À qui n’aime pas ;
Mais quand on aime,
Ce n’est plus de même,
Tout est plein d’appas.
OLIMPE.
L’un et l’autre a la voix charmante.
LE CHEVALIER.
On aurait peine à mieux chanter.
LA COMTESSE.
La beauté de la Fête a passé mon attente.
OLIMPE.
L’Inconnu l’ordonnant, avez-vous à douter
Qu’elle ne fût toute galante ?
COMUS.
Et bien, pour toucher votre cœur,
Comus a-t-il su satisfaire,
En Dieu d’importance et d’honneur,
À tout ce que l’Amour l’avait chargé de faire ?
LA COMTESSE.
Comus peut s’assurer par tout de son bonheur,
Si Comus s’en fait un de plaire.
Mais comme en Terre quelquefois
La Divinité s’humanise,
Le Dieu Comus pourrait m’apprendre à qui je dois
Le divertissement dont il me voit surprise.
COMUS.
Un secret qu’à conserver
Ma qualité de Dieu m’engage.
Si de ses soins l’Amour qui veut vous éprouver,
Peut espérer quelque avantage,
Il m’attend dans le Ciel où je le vais trouver.
Employez-moi pour le message.
LA COMTESSE.
Je ne m’explique pas ainsi.
Je veux connaître avant qu’entrer en confidence.
COMUS.
Ma Suite est disparue, et je suis seul ici.
Bonsoir, vivez en espérance
De sortir bientôt de souci.
LA COMTESSE.
Se taire ! se cacher si longtemps quand on aime !
VIRGINE.
J’avais cru par l’un d’eux, en lui parlant tout bas,
Développer ce stratagème ;
Mais après quelques mots que peut-être lui-même
En les disant n’entendait pas,
Il a, d’une vitesse extrême,
Pour s’éloigner, doublé le pas.
LA COMTESSE.
Pour moi, je ne sais plus qu’en dire.
OLIMPE.
Le temps éclaircira l’amour de l’Inconnu,
Un peu de patience.
LA COMTESSE.
Il faut tâcher d’en rire,
En attendant que ce temps soit venu.
ACTE III
Scène première
LA COMTESSE, OLIMPE, VIRGINE
LA COMTESSE.
Nommez ce sentiment fierté, chagrin, caprice ;
Quand je parle une fois, je veux qu’on obéisse,
Et je ne prétends point, parce qu’on est jaloux,
Renoncer fortement aux plaisirs les plus doux.
Des vœux de l’Inconnu si le Marquis s’offense,
Il en doit redoubler ses soins, sa complaisance,
Et trop faire éclater l’ennui qu’il en reçoit,
C’est servir son Rival beaucoup plus qu’il ne croit.
OLIMPE.
En vain un peu d’aigreur contre lui vous anime,
L’Inconnu, je le sais, partage votre estime,
On ne peut condamner ce qu’il s’en est acquis ;
Mais enfin vous devez votre cœur au Marquis.
LA COMTESSE.
Moi ? je ne lui dois rien.
OLIMPE.
Et qu’a donc fait, Madame,
Ce long et tendre amour qui vous soumet son âme ?
Pour vous rendre sensible il a tout essayé ;
Mille devoirs...
LA COMTESSE.
Et bien, n’en est-il pas payé ?
OLIMPE.
Comment ? est-ce qu’à lui votre foi vous engage ?
LA COMTESSE.
Il me voit quand il veut, que faut-il davantage ?
Quoi, pour quelques soupirs, pour un peu de langueur,
Vous croyez bonnement qu’il faut donner son cœur ?
S’engage qui voudra, je ne vais pas si vite
Avec tous mes Amants chaque jour je m’acquitte,
Et prétends que des vœux qui me sont adressés,
Le plaisir de me voir les a récompensés.
Tant qu’ils en usent bien, je leur fais bonne mine.
J’écoute leurs douceurs, prends mon humeur badine,
Je raille ; mais aussi quand on fait un faux pas,
J’ai l’air sombre, je rêve, et ne regarde pas.
D’ailleurs, point de caprice, et c’est par où j’engage
Cette foule d’Amants dont je reçois l’Hommage.
Ma Cour est toujours grosse, on y chante, on y rit ;
Et quand l’un me déplaît, l’autre me divertit.
OLIMPE.
J’avais cru qu’au Marquis une secrète flamme
Assurait, quoi qu’on fît, l’empire de votre âme,
Et plaignais l’Inconnu, dont les soins amoureux
Ne pouvaient mériter qu’il fût jamais heureux.
S’y prendre de la sorte est un grand avantage ;
Il doit n’être qu’esprit, tout ce qu’il fait engage,
Et sans doute il faudrait, quand on l’a su charmer,
Se mal connaître en Gens, pour ne le point aimer.
LA COMTESSE.
Je ne sais si pour lui j’ai plus que de l’estime,
Mais de ce que je sens je me fais presque un crime,
Et rougis en secret d’avoir tant de témoins
Du trop de complaisance où m’engagent ses soins.
Rien n’est plus obligeant, j’en dois chérir la cause ;
Mais enfin il se cache, et c’est pour quelque chose.
Tout galant qu’il paraît, qui pourra m’assurer
Qu’il mérite l’amour qu’il tâche à m’inspirer ?
Il est de riches Sots, qui pour certains usages
Tiennent un Bel Esprit quelquefois à leurs gages,
Et qui dans les Plaisirs qu’ils semblent inventer,
N’ont de part que l’argent qu’on leur a fait coûter.
Que si tout au contraire il était gueux ?
OLIMPE.
Madame,
Tant de Fêtes d’éclat qui vous prouvent sa flamme...
LA COMTESSE.
Il peut vivre d’emprunt, et sur le bien d’autrui
Faire, pour m’attraper, ce qu’il ne peut de lui.
Malgré moi quelquefois cette crainte m’occupe,
Je n’ai point encore eu le talent d’être Dupe,
Et pour m’en garantir, je n’épargnerai rien.
OLIMPE.
Mais si vous connaissez sa naissance, son bien,
Que tout dans sa personne...
LA COMTESSE.
Et le Marquis ? De grâce,
Si j’aime l’Inconnu, que faut-il que j’en fasse ?
Il n’est pas sans mérite, et doit être écouté,
Par lui-même, ou du moins par l’ancienneté.
De tous mes Protestants c’est le premier.
OLIMPE.
J’avoue
Qu’il a des qualités bien dignes qu’on le loue,
L’air noble.
LA COMTESSE.
Qui des deux me conseilleriez-vous,
Puisque j’en ai le choix, de prendre pour Époux ?
OLIMPE.
Moi ?
LA COMTESSE.
Vous vous étonnez ?
OLIMPE.
Si...
LA COMTESSE.
Parlons d’autre chose.
On vous trouve chagrine, apprenez-m’en la cause,
Le Chevalier s’en plaint, et ne sait que penser
De voir qu’il ne fait plus que vous embarrasser.
D’où naissent les froideurs dont son amour s’alarme ?
OLIMPE.
À ne rien vous cacher la liberté me charme.
Je tremble, et s’agissant d’un Maître à me donner,
Un choix si hasardeux commence à m’étonner.
LA COMTESSE.
Ce Maître à recevoir, dont le choix vous étonne,
Ne fait pas tant de peur quand l’Amour nous le donne.
C’est par notre tendresse un mal bien adouci.
OLIMPE.
Hé, Madame, pourquoi me parlez-vous ainsi ?
LA COMTESSE.
Le trouble de vos yeux me fait beaucoup entendre ;
Et quand le Chevalier.
OLIMPE.
Vous voulez m’entreprendre.
Je quitte, et me sentant trop faible contre vous,
Je vais chercher ailleurs des Ennemis plus doux.
Scène II
LA COMTESSE, VIRGINE
LA COMTESSE.
Elle a beau déguiser, je l’ai trop su connaître,
Elle aime le Marquis.
VIRGINE.
Cela pourrait bien être.
LA COMTESSE.
Je n’ai point à m’en plaindre. Avant que s’expliquer,
Avec un autre Amant elle veut m’embarquer,
Et si jamais l’hymen à l’Inconnu m’engage,
Je lui dois du Marquis abandonner l’hommage.
VIRGINE.
Elle y gagnerait peu ; les cœurs que vous prenez
À soupirer pour vous sont longtemps destinés,
Et le Marquis...
LA COMTESSE.
Je crois, sans trop faire la vaine,
Qu’à m’oublier sitôt il aurait quelque peine.
Mais enfin l’Inconnu que je brûle de voir,
Qu’en arrivera-t-il ?
VIRGINE.
Le voulez-vous savoir ?
Un je ne sais quel bruit a frappé mes oreilles,
Que des Bohémiens font ici des merveilles.
Si vous les consultez, peut-être ils vous diront
De quel côté vos vœux à la fin tourneront.
Envoyez-les chercher.
LA COMTESSE.
Sottise toute pure.
VIRGINE.
Ils sont savants, dit-on, sur la Bonne Aventure.
LA COMTESSE.
Par des Bohémiens éclaircir mon destin !
VIRGINE.
Comment ? vous allez bien chez Madame Voisin ?
En sait-elle plus qu’eux ?
LA COMTESSE.
J’y vais par compagnie.
VIRGINE.
Mon Dieu, comme à beaucoup, c’est là votre manie.
Les Femmes ont ce faible, on ne les peut tenir.
Elles courent partout où se dit l’avenir,
Et pour une réponse ou fausse, ou véritable,
J’en sais qui volontiers iraient trouver le Diable.
Les avertira-t-on ?
LA COMTESSE.
Fais ce que tu voudras.
VIRGINE.
Vous en rirez.
Scène III
LA COMTESSE, LE CHEVALIER
LA COMTESSE.
Et quoi ? toujours chagrin ?
LE CHEVALIER.
Hélas !
Madame, ignorez-vous les ennuis qu’on me donne ?
On ne le voit que trop, Olimpe m’abandonne.
Pour moi, pour mon amour, il n’est plus de secours.
LA COMTESSE.
Écoutons les Amants, ils se plaignent toujours.
La moindre vision, un rien, une chimère,
C’est assez, leur chagrin nous en fait une affaire.
Nous savons mal aimer.
LE CHEVALIER.
J’ai voulu comme vous
Traiter de noir chagrin mes sentiments jaloux ;
Mais (et vous l’avez pu vous-même assez connaître)
Olimpe fuit sitôt qu’elle me voit paraître.
Mon amour n’offre ici que des vœux superflus ;
Depuis qu’elle est chez vous, je ne la connais plus.
Si j’obtiens qu’un moment elle souffre ma vue,
C’est un froid qui me glace, un dédain qui me tue,
Et sur ce qu’à toute heure elle cherche à rêver,
Je soupçonne un Rival que je ne puis trouver.
LA COMTESSE.
Qu’on est fou quand on aime !
LE CHEVALIER.
Oui, blâmez-moi, Madame.
LA COMTESSE.
Quoi, vous ne savez pas ce que c’est qu’une Femme,
Et que lorsqu’elle veut mettre sa flamme au jour,
Ses inégalités sont des marques d’amour ?
Souvent elle est chagrine, incommode, bizarre,
Pour voir à quoi contre elle un Amant se prépare ;
Et juger de son cœur par la soumission
Où cette rude épreuve a mis sa passion.
Pour vaincre ses froideurs, il parle, il presse, il prie ;
Et la paix succédant à cette brouillerie,
Ce qu’il montre de joie à se raccommoder,
Achève pleinement de la persuader.
LE CHEVALIER.
Que je devrais chérir ce qui m’arrache l’âme,
Si l’on n’avait dessein que d’éprouver ma flamme !
Mais qui m’assurera qu’on me garde sa foi ?
Qu’on ait le cœur touché de ma tendresse ?
LA COMTESSE.
Moi.
Ne vous alarmez point, Olimpe est mon Amie ;
Et quand votre expérience encor mal affermie
Du succès de vos feux vous laisserait douter,
J’ai quelque droit ici de me faire écouter.
Ses chagrins passeront.
LE CHEVALIER.
Vous me rendez la vie.
Souffrez, lorsqu’à l’espoir cette offre me convie.
Que j’en marque ma joie, et...
Il se met à genoux, et baise la main de la Comtesse.
Scène IV
LE MARQUIS, LA COMTESSE, LE CHEVALIER
LE MARQUIS.
Le transport est doux.
LA COMTESSE.
Il ne me déplaît pas.
LE MARQUIS.
Que ne poursuivez-vous ?
Quoique l’usage ait mis les façons hors de mode,
Je me retirerai, si je vous incommode.
LA COMTESSE.
Vous le prenez d’un ton fort agréable.
LE MARQUIS.
Moi ?
Je me fie à mes yeux, et crois ce que je vois.
LE CHEVALIER.
Ce sont garants mal sûrs, et souvent l’apparence...
LA COMTESSE.
Ne dites rien, de grâce, il faut voir ce qu’il pense.
LE MARQUIS.
Ce que je pense ?
LA COMTESSE.
Et bien ?
LE MARQUIS.
Que pourrais-je penser ?
Il vous baisait la main.
LA COMTESSE.
Il peut recommencer ;
Est-ce-là tout ?
LE MARQUIS.
Quoi donc, je puis être si lâche,
Que de...
LA COMTESSE.
Continuez, j’aime assez qu’on se fâche.
Là, Monsieur le Marquis, emportez-vous, pestez.
Je voudrais bien de vous ouïr des duretés.
LE MARQUIS.
Le respect me retient, malgré votre injustice ;
Mais au moins avouez qu’en deux ans de service,
Jamais à mon amour un traitement si doux...
LA COMTESSE.
Et bien, le cœur m’en dit plus pour lui que pour vous.
Croyez-vous l’empêcher, et vous en dois-je compte ?
LE MARQUIS.
M’abandonner ainsi sans scrupule, sans honte ?
Après que tout mon cœur...
LA COMTESSE.
Et quel engagement
M’oblige de répondre à votre attachement ?
De quels serments faussés suis-je vers vous coupable ?
Qu’ai-je promis ? Vraiment, je vous trouve admirable.
LE CHEVALIER.
Madame, permettez...
LA COMTESSE.
Non, voyons jusqu’au bout ;
L’emportement est noble, il faut entendre tout.
LE MARQUIS.
J’ai donc tort de me plaindre, et trop osé prétendre ?
LA COMTESSE.
Vous me faites pitié.
LE MARQUIS.
Je n’y puis rien comprendre.
Tantôt à vous ouïr parler de l’Inconnu,
Je croyais que ses soins avaient tout obtenu,
Qu’à mon feu, de son cœur vous préfériez l’empire.
Maintenant...
LA COMTESSE.
Croyez-vous n’avoir plus rien à dire ?
LE MARQUIS.
Non, Madame, sinon que j’avais mérité,
Pour prix de ma tendresse, un peu plus de bonté.
Vous quittez l’Inconnu, vous me quittez moi-même ;
Et ce qui me confond, le Chevalier vous aime,
Lui qui tantôt chagrin, et d’Olimpe jaloux...
Scène V
LA COMTESSE, OLIMPE, LE MARQUIS, LE CHEVALIER
OLIMPE.
Quoi donc, le Chevalier a de l’amour pour vous,
Madame ? Un si beau choix redouble mon estime,
Et ce que vous valez le rend si légitime,
Que loin de l’en blâmer, je veux bien aujourd’hui
Vous céder tous les droits que j’eus d’abord sur lui.
LA COMTESSE.
L’effort est généreux.
LE CHEVALIER, à Olympe.
Et vous croyez, Madame...
OLIMPE.
Est-ce une nouveauté, qu’une nouvelle flamme ?
Un pareil changement est glorieux pour vous.
Il marque...
LA COMTESSE.
En vérité, je vous admire tous.
Voilà comme souvent sur de pures chimères,
Pour aller un peu vite, on se fait des affaires.
De votre froid accueil le Chevalier surpris
M’est venu demander raison de vos mépris,
J’ai flatté son espoir, et rassuré sa flamme ;
Un vif transport de joie en a saisi son âme,
Il m’a baisé la main, embrassé les genoux.
Le Marquis le voyant, s’en est montré jaloux.
Vous l’avez entendu, voilà toute l’histoire.
LE MARQUIS.
Quoi, c’est...
LA COMTESSE.
Je vous conseille encor de n’en rien croire.
Ne faites pas le fier de voir tout éclairci,
Je n’agis que pour moi lorsque j’en use ainsi.
LE MARQUIS.
Mais rien n’est débrouillé, si trop de défiance
Vous fait toujours tenir votre choix en balance.
De moi, de l’Inconnu, qui le doit emporter ?
LE CHEVALIER.
Le Marquis a raison de s’en inquiéter,
Et l’éclaircissement que vous venez de faire,
Ne nous rend pas à tous le repos nécessaire,
Puisque Olimpe, bien loin de m’aimer innocent,
Fait lire dans ses yeux l’ennui qu’elle en ressent.
OLIMPE.
Je n’ai point répondre à qui se plaint sans cesse.
Mais voyez ce qu’ici le hasard nous adresse.
Scène VI
LA COMTESSE, OLIMPE, LE MARQUIS, LE CHEVALIER, VIRGINE, LA MONTAGNE représentant une Bohémienne, TROUPE DE BOHÉMIENS
Ils entrent tous au bruit des Castagnettes, et des Tambours de Biscaye.
LA COMTESSE.
Pour des Bohémiens, cet équipage est beau.
VIRGINE.
On les a rencontrés qui venaient au Château.
LA COMTESSE.
Rien n’est si propre qu’eux.
LE CHEVALIER.
La Bande est fort complète.
OLIMPE.
Elle vaut bien la voir.
LA COMTESSE.
J’en suis très satisfaite.
LA BOHÉMIENNE.
Nous ne faisons qu’arriver de Paris,
Où pour avoir dit des nouvelles,
Assez agréables aux Belles,
On nous a fait présent de ces riches Habits ;
Mais rien n’approche là de ce qu’on voit paraître,
Où vos divins attraits cessent d’être cachés.
Comme de tous les cœurs leur éclat se rend maître,
Souffrez qu’en l’admirant nous vous fassions connaître
Combien nous en sommes touchés.
Toute la Troupe de Bohémiens donne des marques d’admiration, par une figure qu’elle fait en regardant la Comtesse.
LA COMTESSE.
La figure est galante.
OLIMPE.
Et fort bien ordonnée.
Partout où vous irez le prix vous est certain.
Mais voyez cette belle main,
Et nous dites à qui l’Amour l’a destinée.
LA COMTESSE, donnant la main.
Puisque vous le voulez, il faut y consentir.
LA BOHÉMIENNE.
Comme nous sommes Gens de qui la connaissance
Sut de l’erreur toujours se garantir,
C’est sur nous seuls qu’on doit prendre assurance,
Les autres ne font que mentir.
Dans vos plus grands projets vous serez traversée,
Mais en vain contre vous la brigue emploiera tout
Vous aurez le plaisir de la voir renversée,
Et d’en venir toujours à bout.
Vous avez quelque fois de flatteuses manières
Qui seraient pour l’espoir un motif bien pressant,
Si pour les balancer vous n’en aviez de fières,
Qui le font mourir en naissant.
Cette ligne qui croise avec celle de vie,
Marque pour votre gloire un murmure fatal ;
Sur des traits ressemblants on en parlera mal,
Et vous aurez une Copie
Qui vous fera croire l’Original
D’un honneur ennemi de la cérémonie.
N’en prenez pas trop de chagrin.
Si votre gaillarde Figure
Contre vous quelque temps cause un fâcheux murmure,
Un tour de Ville y mettra fin,
Et vous rirez de l’aventure.
Votre cœur est brigué par quantité d’Amants,
Mais le premier de tous pourrait s’en rendre maître,
Si le dernier, sans se faire connaître,
Ne vous inspirait pas de tendres sentiments.
Cependant vous aurez beau faire.
Même prix, même gloire est acquise à leurs feux.
Vous les épouserez tous deux,
C’est du Destin un Décret nécessaire.
LA COMTESSE.
Tous deux ?
OLIMPE.
Si pour constant ce Décret est tenu,
Madame, du Marquis nous demandons la vie,
Il vous a le premier servie.
Quand vous serez Veuve de l’Inconnu,
Vous pourrez l’épouser, s’il vous en prend envie.
LE MARQUIS.
Non, non, je prends sur moi le soin de démentir
La nécessité du Veuvage.
LA COMTESSE.
Laissons-là tout ce badinage,
Et songeons à nous divertir.
Point de mort, ni de mariage.
LE CHEVALIER.
Leur rapport ne peut rien que sur les scrupuleux,
Qui s’en font un fâcheux augure.
OLIMPE.
Et ces Enfants qu’ils mènent avec eux,
Disent-ils la Bonne Aventure ?
PETIT BOHÉMIEN.
Croyez-vous qu’on nous mène en vain ?
Si vous voulez, je vous dirai la vôtre.
OLIMPE.
Je vous écouterai plus volontiers qu’un autre.
Venez, j’abandonne ma main.
PETIT BOHÉMIEN.
Pour découvrir plus à mon aise
Ce que j’y vois de plus caché,
Avant toute chose, il faut que je la baise.
C’est là ce que je mets toujours à mon marché.
OLIMPE.
Il peut garder son privilège,
Sans qu’on songe à le contester.
PETIT BOHÉMIEN.
Il est doux de vous en conter,
Mais il faut se garder du piège.
Vous êtes fine, fine, et vous ne dites pas
Tout ce que vous avez dans l’âme.
Un Amant déclaré brûle pour vos appas ;
Mais comme un autre en secret vous enflamme,
De ce premier, ma bonne Dame,
Vous avez peine à faire cas.
LE CHEVALIER.
Vous le voyez, Madame, un Enfant vous accuse.
Condamnez mon jaloux dépit.
OLIMPE.
À faire un conte en l’air l’âge lui sert d’excuse.
Il parle comme il peut, sans savoir ce qu’il dit.
PETITE BOHÉMIENNE.
Pour moi, dont la science encor n’est pas si grande,
Que de tout comme lui je puisse discourir,
Si vous me le voulez souffrir,
Je vais danser la Sarabande.
LA COMTESSE.
Voyons. Quel passe-temps plus doux pourrait s’offrir ?
La petite Bohémienne danse, et après qu’elle a dansé, une Bohémienne chante les deux Couplets suivants sur l’Air de la Sarabande.
Chanson de LA BOHÉMIENNE.
Il faut aimer, c’est un mal nécessaire
Quand le Bel âge attire les Amours.
Qui fait la fière
Dans ses beaux jours,
N’est pas toujours,
Sûre de plaire.
On court toujours où brille la Jeunesse,
Ménagez bien cet aimable printemps.
Pour la tendresse
Il n’est qu’un temps,
Et les beaux ans
S’en vont sans cesse.
Cette Chanson étant finie, les Bohémiens font encore quelques figures en marchant ; après quoi, la même Bohémienne chante ces autres Paroles sur un autre Air que celui de la Sarabande.
Si l’Amour tôt ou tard
Nous met sous son empire,
À ce qu’il désire
Prenons quelque part,
Et fuyons le martyre
D’aimer par hasard.
Choisissons un cœur tendre,
Fidèle, amoureux.
Il est trop dangereux
De se laisser surprendre ;
Et pour trop attendre,
On est malheureux.
LA COMTESSE.
J’admire également et la voix et la danse,
Il n’est rien dont par là vous ne veniez à bout,
Et vous méritez tous que pour reconnaissance...
LA BOHÉMIENNE.
Vous avoir divertie est une récompense
Qui nous doit tenir lieu de tout.
LA COMTESSE.
Mais je veux qu’un présent...
LA BOHÉMIENNE.
Non, Madame, de grâce,
Réservez vos présents, et nous laissez aller.
OLIMPE.
Ils sortent.
LA COMTESSE.
Suivez-les, Virgine, et que l’on fasse
Tout ce qui se pourra pour les bien régaler.
Scène VII
LA COMTESSE, OLIMPE, LE MARQUIS, LE CHEVALIER
LA COMTESSE.
Pour des Gens de leur sorte, il n’est pas ordinaire
D’agir ainsi sans intérêt.
LE CHEVALIER.
C’est là ce qui n’arrive guère ;
Mais n’ai-je point deviné ce que c’est ?
Ils vous auront volée, et dans la juste crainte
De se voir sur le fait honteusement surpris,
Leur générosité peut-être est une feinte
Pour cacher ce qu’ils vous ont pris.
Ils ont la main subtile, et l’un d’eux, ce me semble,
S’est assez approché de vous.
LA COMTESSE.
J’ai peine... Mais ô Ciel !
LE CHEVALIER.
Serait-ce un de leurs coups,
Et vous ai-je dit vrai ?
LE MARQUIS.
J’en tremble.
LA COMTESSE.
Non, c’est leur faire tort qu’avoir ces sentiments.
Mais voyez ce que je rencontre,
Un Billet, avec cette montre.
OLIMPE.
Quel éclat ! ce ne sont partout que Diamants.
LA COMTESSE lit.
Puisque l’excès de ma tendresse
Rend mes jours par vous seule ou plus ou moins charmants,
Souffrez que cette Montre ô divine Comtesse,
Vous en offre tous les moments.
Qu’elle avance, qu’elle demeure,
Consultez-la souvent, si mon feu vous est doux.
Quelque heure qu’elle marque, elle marquera l’heure
Où vous m’aurez auprès de vous.
Ô Ciel, que de galanterie !
Jamais par cette voie a-t-on fait des présents ?
Se servir pour cela de Gens
Qui mettent à voler toute leur industrie ?
Rappelez-les, allez.
Scène VIII
LA COMTESSE, OLIMPE, VIRGINE, LE MARQUIS, LE CHEVALIER
VIRGINE.
Madame, il n’est plus temps,
J’ai descendu, couru, les ai priés d’attendre,
Ils n’ont rien voulu m’accorder.
LA COMTESSE.
Mais la Montre, je la veux rendre.
OLIMPE.
Pour moi, je la voudrais garder.
L’Inconnu le mérite, et tout ce qui se passe
Montre un cœur à vos lois si bien assujetti...
LA COMTESSE.
Vous êtes fort dans son parti.
LE MARQUIS.
Laissons-là l’Inconnu, de grâce.
LA COMTESSE.
Le Marquis est chagrin, d’avoir vu malgré lui
Un Divertissement que son amour redoute.
Il ne le croyait pas de son Rival.
LE MARQUIS.
Sans doute.
Je me serais épargné cet ennui.
LA COMTESSE.
Il peut encor trouver lieu de s’accroître.
Mais faisons un tour de Jardin ;
Et comme l’Inconnu cache trop son destin,
Cherchons à le forcer de se faire connaître.
L’Aventure embarrasse, et j’en veux voir la fin.
ACTE IV
Scène première
LA COMTESSE, LE MARQUIS, VIRGINE
LE MARQUIS.
Ne me le cachez point, vous voilà résolue ;
L’Inconnu seul vous touche, et ma perte est conclue.
LA COMTESSE.
Vous montrer de votre ombre à toute heure jaloux,
Ce n’est pas le moyen de m’attacher à vous.
L’Inconnu s’y prend mieux ; sans contraindre mon âme,
Par les plus tendres soins il fait parler sa flamme,
Et peut-être ai-je tort de vouloir plus longtemps
Que mon cœur se refuse à des feux si constants.
LE MARQUIS.
Et bien, il faut céder ; mais ce qui me console,
Quand à votre bonheur ma passion s’immole,
C’est qu’au moins je pourrai, malgré mes feux jaloux,
Montrer qu’en vous aimant je n’ai cherché que vous.
LA COMTESSE.
Je ne vous croyais pas l’âme si généreuse.
LE MARQUIS.
L’Inconnu vous mérite, il faut vous rendre heureuse.
LA COMTESSE.
Le coup vous touchera plus que vous ne pensez.
LE MARQUIS.
N’importe, vous vivrez contente, et c’est assez.
En deux ans je n’ai pu réussir à vous plaire ;
Après un mois de soins, l’Inconnu l’a su faire.
Votre penchant pour lui ne peut se démentir,
Je vois qu’il vous emporte, il faut y consentir.
LA COMTESSE.
Vous le dites d’un air si plein de confiance,
Qu’il semble...
LE MARQUIS.
Je le dis, parce que je le pense.
LA COMTESSE.
Un si beau sacrifice est digne d’un Amant ;
Mais d’où vient que tantôt vous parliez autrement ?
Inquiet, alarmé, vous me faisiez un crime
De ce que l’Inconnu m’avait surpris d’estime.
Le louer, c’était faire outrage à votre foi.
LE MARQUIS.
C’est qu’alors mon amour ne regardait que moi.
Il a vu son erreur ; et la secrète honte
D’écouter pour lui-même une chaleur trop prompte,
L’a rendu si conforme à tout ce qui vous plaît,
Qu’il fait de vos désirs son plus cher intérêt.
LA COMTESSE.
C’est trop ; pour l’Inconnu je les ferai paraître.
Je dois chérir sa flamme, et dès demain peut-être,
Puisque c’est pour vos vœux un spectacle si doux,
Vous aurez le plaisir de le voir mon Époux.
LE MARQUIS.
J’aurai ce plaisir ?
LA COMTESSE.
Oui, rien n’y peut mettre obstacle,
Mon choix sera pour lui.
LE MARQUIS.
J’attendrai ce miracle.
Ainsi donc le voyant, d’abord vous l’aimerez ?
LA COMTESSE.
Si je ne l’aime pas vous m’en accuserez.
Scène II
LA COMTESSE, LE CHEVALIER, LE MARQUIS, VIRGINE
LA COMTESSE.
Et bien ? Olimpe ?
LE CHEVALIER.
En vain ma passion se flatte.
Toujours même fierté dans sa froideur éclate,
Et ce qui rend surtout mon esprit abattu,
C’est ce qu’elle m’a dit, et que je vous ai tu.
Si je veux qu’elle soit favorable à ma flamme,
Il faut pour l’Inconnu que je touche votre âme.
Je ne puis être heureux, s’il n’obtient votre foi.
LA COMTESSE.
Et contre le Marquis vous prenez cet emploi ?
C’est trahir l’amitié qui vous unit ensemble.
LE CHEVALIER.
À vous parler ainsi, je l’avouerai, je tremble,
Et me tairais encor, si l’aveu du Marquis
Ne m’autorisait pas à ce que je vous dis.
Sûr que rien ne peut nuire à son amour extrême,
À satisfaire Olimpe il m’a porté lui-même,
Et j’aurai tout gagné, si je puis obtenir
Que vos bontés pour moi la daignent prévenir.
Dites-lui qu’envers vous j’ai tout fait pour lui plaire.
LE MARQUIS.
Madame...
LA COMTESSE, au Marquis.
Je commence à percer le mystère.
Olimpe au Chevalier fait paraître à vos yeux
Tout ce qu’a le mépris de plus injurieux ;
À servir l’Inconnu son adresse l’engage,
Et loin de murmurer d’un si sensible outrage,
À ce même Inconnu, faussement généreux,
Vous-même vous osez sacrifiez vos feux ?
Chevalier, je ne sais si je me fais entendre,
Mais le nœud de l’intrigue est facile à comprendre.
Olimpe et le Marquis, l’un de l’autre charmés,
Me craignent pour obstacle à leurs cœurs enflammés.
LE CHEVALIER.
Le Marquis aimerait Olimpe ?
LE MARQUIS.
Moi, Madame ?
Vous le croyez ?
LE CHEVALIER.
L’Ingrat ! il trahirait ma flamme !
Olimpe à qui mes soins tendrement attachés...
Ah, si je le croyais...
LA COMTESSE.
Quoi, vous vous en fâchez ?
Vous regrettez un cœur que l’inconstance entraîne ?
Vous en plaignez la perte ? Il n’en vaut pas la peine.
Faites mieux, dédaignez ce manquement de foi ;
On nous quitte tous deux, riez-en comme moi.
Vous m’en voyez déjà tellement consolée,
Que si...
LE CHEVALIER.
Des trahisons c’est la plus signalée.
Le Marquis !
LA COMTESSE.
À quoi bon ces mouvements jaloux ?
LE CHEVALIER.
Je sors, pour ne me pas échapper devant vous ;
Mais en vain votre exemple à souffrir me convie.
Avant qu’il m’ôte Olimpe il m’ôtera la vie ;
C’est à lui d’y penser.
Scène III
LA COMTESSE, LE MARQUIS, VIRGINE
LA COMTESSE.
Allez, ne craignez rien,
Quelque emporté qu’il soit, je l’apaiserai bien.
Pour Olimpe, je crois que l’on n’ignore guère
Que j’ai quelque pouvoir sur l’esprit de sa Mère.
Je l’emploierai pour vous ainsi que je le dois.
LE MARQUIS.
Vous avez de la joie à mal juger de moi.
LA COMTESSE.
Je n’en juge point mal, Olimpe est jeune et belle,
Et quoiqu’on risque un peu d’aimer une Infidèle,
Elle a de quoi vous faire un destin assez doux ;
Mais je douterais fort qu’elle pût être à vous.
LE MARQUIS.
Moi ? je n’y prétends rien.
LA COMTESSE.
Mettons bas l’artifice.
LE MARQUIS.
Madame, quelque jour vous me rendrez justice.
LA COMTESSE.
Je vous la rends entière, et pour vous obliger,
À choisir l’Inconnu j’ai voulu m’engager.
LE MARQUIS.
C’est à quoi vous feriez peut-être un peu moins prompte,
Si vous preniez l’avis de Monsieur le Vicomte.
Le voici qui paraît.
Scène IV
LA COMTESSE, LE VICOMTE, LE MARQUIS, VIRGINE
LA COMTESSE.
Et bien, mon Rapporteur ?
LE VICOMTE.
J’ai, pour le convertir, parlé mieux qu’un Docteur.
Et n’ai pas, Dieu merci, mal employé mes peines.
Il ne vous videra de plus de trois semaines,
Et pour solliciter il vous donne le temps
D’attendre le retour de nos deux Arcs-boutants.
Par là, n’en doutez point, votre affaire est gagnée.
LA COMTESSE.
Je puis donc de Paris me tenir éloignée ?
LE VICOMTE.
De Paris ? Vous avez, la chose allant ainsi,
Encor quinze grands jours à demeurer ici.
Goûtez-y les plaisirs que donne la verdure.
Mais il faut vous conter quelle est mon aventure,
Voyez-m’en rire encor.
LA COMTESSE.
Cela ne va pas mal.
LE VICOMTE.
Il n’est rien si plaisant.
LE MARQUIS, bas.
Le franc original !
LA COMTESSE.
Enfin cette aventure ?
LE VICOMTE.
Elle est aussi gaillarde...
LA COMTESSE.
En rirez-vous toujours ?
LE VICOMTE.
La chose vous regarde.
C’est à vous là-dessus à vous l’imaginer.
Devinez-la.
LA COMTESSE.
Jamais je ne sus deviner.
On me dit tout au long ce qu’on veut que je sache.
LE VICOMTE.
On croit duper les Gens, à cause qu’on se cache ;
Mais j’ai si bien tourné, que j’y suis parvenu.
LA COMTESSE.
À quoi ?
LE VICOMTE.
Votre Inconnu ne m’est plus inconnu.
LE MARQUIS, bas.
M’aurait-il découvert ?
LA COMTESSE.
Vous pourriez le connaître ?
LE VICOMTE.
Moi, qui vous parle, moi.
LE MARQUIS.
Cela ne saurait être.
LE VICOMTE.
Non, parce qu’il vous plaît que cela ne soit pas.
Son amour fait honneur sans doute à vos appas ;
C’est, sans lui faire tort, une aussi franche Bête...
LE MARQUIS.
Comment ? vous l’avez vu ?
LE VICOMTE.
Des pieds jusqu’à la tête.
Il est basset, grosset, a les yeux hébétés.
LA COMTESSE.
Mais où cette rencontre, et comment ?
LE VICOMTE.
Écoutez.
Rêvant à vos beautés dont j’avais l’âme pleine,
Je me suis égaré dans la forêt prochaine,
Et voulant accourcir, mon Cheval m’a mené
Dans le sentier confus d’un endroit détourné.
Quelques pas me montraient une Route racée ;
J’ai suivi, tant qu’enfin une Tente dressée
M’a fait appréhender le plus grand des malheurs.
J’ai cru qu’elle servait d’auberge à des voleurs.
LE MARQUIS.
La peur prendrait à moins ; dans un Bois ! Une Tente !
LE VICOMTE.
Tout franc, la vision n’est point divertissante.
LA COMTESSE.
Ainsi donc la frayeur a bien fait son devoir ?
LE VICOMTE.
J’aurais été fâché de mourir sans vous voir,
Car pour du cœur, je crois que j’en avais de reste ;
Mais j’ai bientôt sorti d’un doute si funeste.
Mon Cheval tout à coup s’élançant malgré moi,
J’ai connu mon erreur, et ris de mon effroi.
Au lieu de Mousquetons, j’ai vu dans cette Tente
Les apprêts différents d’une Fête galante,
Et ceux qui la gardaient, de mon abord surpris,
Parlaient certain jargon, où je n’ai rien compris.
C’étaient, pour la plupart, visages à la Suisse.
Chacun, selon son rôle, avait là son office.
L’un, d’un Bohémien quittait l’habillement ;
L’autre, d’une Coiffure ajustait l’ornement.
Force mains autour d’eux paraissaient occupées
À nouer des Rubans sur des fleurs coupées.
J’ai dans un certain coin remarqué le débris
D’une Collation qui valait bien son prix,
Grands Citrons, Fruits exquis, Confitures choisies.
J’ai vu des Violons, des Lustres, des Bougies,
J’ai vu... là, des... Enfin j’ai tant vu, que jamais
On n’eut tant d’attirail dans les plus grands Ballets.
J’ai donné droit au but, et deviné l’affaire.
Mais pour mieux m’éclaircir, penché vers l’un d’eux ; Frère,
Ai-je dit, n’a-t-on pas préparé tout ceci
Pour un certain Château qui n’est pas loin d’ici ?
Je l’embarrassais fort, il ne savait que dire ;
Mais c’était dire assez, que se taire et sourire.
Je lui serrais toujours le bouton de fort près ;
Quand, comme si la chose eût été faite exprès,
Ce Grosset, ce Basset commençant à paraître ;
Vous êtres curieux, parlez à notre Maître,
Le voilà, m’a-t-il dit, tout à propos venu.
N’ayant pas à douter qu’il ne fût l’Inconnu,
J’ai contemplé longtemps sa grotesque figure.
Il avait sur son nez jeté sa chevelure,
Et pour embarrasser mon curieux souci,
Sous une fausse barbe il cachait tout ceci.
Alors plein d’un chagrin que d’assez justes causes...
Madame, pardonnez si j’ai poussé les choses.
Quand on voit qu’un Rival cherche à se rendre heureux,
Et qu’on peut l’épargner, on n’est guère amoureux.
LE MARQUIS.
Et qu’avez-vous donc fait ?
LE VICOMTE.
Ce que j’ai fait ? Silence.
Je dirai tout par ordre, un peu de patience.
J’ai demandé d’où vient qu’il campait dans ce Bois ?
Pourquoi la fausse barbe ? Enquis deux ou trois fois,
Et pressé de parler, plus il se voulait taire ;
Pourquoi je campe ici ? qu’en avez-vous à faire ?
C’est mon plaisir, m’a-t-il sottement répondu.
Alors d’un grand coup d’œil qu’il a bien entendu,
Lui marquant fièrement que je l’allais attendre,
Je me suis éloigné.
LE MARQUIS.
C’était fort bien le prendre.
LE VICOMTE.
Me battre là ! partout j’aurais été blâmé.
Il avait vingt Valets qui m’auraient assommé.
LE MARQUIS.
Il est bon quelquefois de voir comme on se fâche.
LA COMTESSE.
Et qu’est-il arrivé ?
LE VICOMTE.
Je n’ai trouvé qu’un lâche,
Qu’un farouche Animal, sans cœur et sans vertu,
Qu’un... cela fait pitié.
LE MARQUIS.
Vous l’avez donc battu ?
LE VICOMTE.
Vous me la baillez bonne ; il s’est en Bête fière
Tenu clos et couvert toujours dans sa tanière ;
Et moi, m’étant lassé de l’attendre à l’écart,
D’un coup de Pistolet j’ai marqué mon départ.
LE MARQUIS.
C’est pousser la bravoure aussi loin...
LE VICOMTE.
Sur mon âme,
Tout y va, quand il faut dégainer.
Scène V
LA COMTESSE, OLIMPE, LE MARQUIS, LE VICOMTE, VIRGINE
OLIMPE.
Ah, Madame !
J’ai trouvé l’Inconnu.
LA COMTESSE.
Vous ?
OLIMPE.
Oui moi, dans ce Bois.
LE VICOMTE.
Justement.
OLIMPE.
Vous savez que j’y vais quelquefois.
LE VICOMTE.
Le plaisant Personnage ! il vous a bien fait rire.
OLIMPE.
Lui !
LE VICOMTE.
Sans doute. Écoutez ce qu’elle vous va dire.
OLIMPE.
Jamais je n’ai rien vu de si...
LE VICOMTE.
Tranchez le mot,
De si bête.
OLIMPE.
Comment ?
LE VICOMTE.
Quoi, ce n’est pas un Sot ?
OLIMPE.
Quels contes vous fait-il ?
LA COMTESSE.
Écoutons-la, de grâce.
LE VICOMTE.
Qu’elle parle à son aise, après je retiens place.
LA COMTESSE.
Vous aurez audience à votre tour.
LE VICOMTE.
Tant mieux.
OLIMPE.
J’ai peine à croire encor au rapport de mes yeux.
Je revois dans le Bois, quand pour jouir de l’ombre
M’avançant lentement vers l’endroit le plus sombre,
Je trouve un Cavalier, qui surpris de me voir,
Me rend d’un air civil ce qu’il croit me devoir.
Quels traits pourront suffire à lui rendre justice ?
Peignez-vous Adonis, figurez-vous Narcisse,
Et tout ce que jamais on vanta de plus beau,
C’est ne vous en offrir qu’un imparfait tableau.
Je voudrais l’ébaucher, et n’en suis point capable.
Il a le port divin, la taille incomparable,
Et le Ciel pour lui seul semble avoir réservé
Ce qu’il eût de plus rare et de plus achevé.
Il marchait tout rêveur, et m’ayant aperçue,
Il a voulu d’abord se soustraire à ma vue.
J’en ai compris la cause, et pour ne perdre pas
L’heureuse occasion de sortir d’embarras ;
Je vois par quel souci vous suivez cette route.
Une aimable Comtesse en est l’objet sans doute,
Ai-je dit. À ce nom surpris, troublé, confus,
Il m’a parlé longtemps en termes ambigus.
J’ai remis le discours sur l’aimable Comtesse,
Et ménagé son trouble avecque tant d’adresse,
Que trahi par lui-même, il n’a pu me cacher
Qu’il était l’Inconnu que vous faites chercher.
Mais son nom est encor ce qu’il s’obstine à taire,
J’ai voulu l’amener, et je ne l’ai pu faire.
Il ne paraîtrait point, qu’il ne puisse juger
Que son attachement ait su vous engager.
Sa conversation ravit, enchante, enlève,
Sa personne commence, et son esprit achève.
Que ne m’a-t-il point dit du bonheur qu’il se fait
De ressentir pour vous l’amour le plus parfait ?
Ses manières en tout sont douces, agréables ;
Et si nous nous trouvions encor au temps des Fables,
Je croirais que pour vous quelque Dieu tout exprès
Serait venu du Ciel habiter ces Forêts.
Quand pour un tel Amant on prend de la tendresse,
Si c’est faiblesse en nous, l’excusable faiblesse !
LE VICOMTE.
Vous peignez assez bien, le Portrait n’est pas mal,
Les traits beaux, mais néant pour son Original.
J’ai vu l’Inconnu, moi, le vrai, ce qui s’appelle
L’Inconnu Régalant ; le vôtre, bagatelle.
C’est un Fourbe qui veut causer de l’embarras.
OLIMPE.
Tout Rival est suspect, on ne vous croira pas.
LA COMTESSE.
Mais le Vicomte a vu des marques de la Fête ;
Les mêmes Gens qu’ici...
LE VICOMTE.
J’ai vu de plus la Bête,
Le très vilain Monsieur...
OLIMPE.
Il ne sait ce qu’il dit.
Soit qu’on s’attache au corps, soit qu’on cherche l’esprit,
L’inconnu passe tout ce qu’il faut qu’on attende...
Scène VI
LA COMTESSE, OLIMPE, LE VICOMTE, LE MARQUIS, LE CHEVALIER, LA MONTAGNE, représentant un Comédien, VIRGINE, CASCARET
CASCARET.
Madame.
LA COMTESSE.
Que veut-on ?
CASCARET.
Un Monsieur vous demande.
LA COMTESSE.
Voyez qui c’est, Virgine, et l’amener ici.
VIRGINE.
Je n’irai pas bien loin, Madame, le voici.
LA MONTAGNE, représentant un Comédien.
Ayant plus d’une fois eu l’honneur de paraître
Devant leurs Majestés, je croirais mal connaître
Ce que l’on doit, Madame, à votre qualité,
Si m’étant pour ce soir dans le Bourg arrêté,
Je ne vous venais pas faire la révérence.
LA COMTESSE.
Je suis fort obligée à votre complaisance ;
Mais ne sachant à qui...
LE COMÉDIEN.
Je suis Comédien.
Madame.
LE VICOMTE.
Ah, Serviteur. Ne vous manque-t-il rien
Pour nous pouvoir ici donner la Comédie ?
LE COMÉDIEN.
Non, Monsieur.
LE VICOMTE.
Il faudrait quelque Pièce applaudie,
Où l’emploi des Acteurs répondit...
LE COMÉDIEN.
Laissez-nous
Le soin de la choisir.
LE VICOMTE.
Et Circé, l’avez-vous ?
LE COMÉDIEN.
Nous, Circé ? Non, Monsieur ; Paris seul est capable...
LE VICOMTE.
Les Singes m’y charmaient, leur Scène est admirable.
OLIMPE.
C’est là le bel endroit.
LE VICOMTE.
Il plaît à bien des Gens.
LA COMTESSE, au Comédien.
Et comment jouerez-vous ?
LE COMÉDIEN.
Avec des Paravents.
Un moment suffira pour dresser un Théâtre.
OLIMPE.
La Comédie enchante, et j’en suis idolâtre.
LE VICOMTE.
J’en voudrais retrancher ces grandes Passions.
On y pleure, et je hais les Lamentations.
OLIMPE.
Vous êtes gai.
LE VICOMTE.
Jamais aucun chagrin en tête,
Je ris toujours.
LE COMÉDIEN.
Tandis que la Troupe s’apprête,
Nous avons parmi nous des voix dont on fait cas.
Vous plaît-il les ouïr ?
LA COMTESSE.
Qui ne le voudrait pas ?
LE VICOMTE.
Ce début de Chanteurs servira de Prologue.
LE COMÉDIEN, aux Acteurs Musiciens.
Avancez, vous allez entendre un Dialogue,
Dont j’ai vu jusqu’ici tout le monde charmé.
LE VICOMTE.
Voyons ce Dialogue.
LE COMÉDIEN.
Il est fort estimé.
Dialogue d’Alcidon et d’Aminte.
ALCIDON.
Quoi, vous aimez ailleurs ? vous pouvez me haïr ?
À des ordres cruels vous voulez obéir,
Et sans pitié de l’ennui qui me presse,
Vous oubliez cette tendresse
Que vous m’avez juré de ne jamais trahir ?
Vous gardez le silence ? ah, c’est assez me dire.
Ma mort est résolue. Et bien, il faut vouloir
Ce que votre rigueur désire.
C’en est fait, je me meurs, j’expire,
Goûtez le plaisir de le voir.
AMINTE.
De grâce, modérez vos plaintes.
Je n’ai pas moins d’amour que vous,
Et la même douleur dont vous sentez les coups,
Porte sur moi les plus vives atteintes.
Elle m’abat, elle m’ôte la voix,
Et ne peut rien sur ma tendresse.
ALCIDON.
Quoi, toujours dans mon sort l’amour vous intéresse ?
AMINTE.
Vous avez mérité mon choix,
Et si c’est le seul bien qui toucha votre envie,
Rien ne vous devrait alarmer.
Quand on a commencé d’aimer,
N’aime-t-on pas toute sa vie ?
ALCIDON.
Ah, puisque toujours votre cœur
Est le prix du beau feu qui règne dans mon âme,
Tout doit céder à mon bonheur.
AMINTE.
Vous avez douté de ma flamme.
ALCIDON.
Hélas ! m’en pouvez-vous blâmer ?
AMINTE.
Ma foi vous répondait de mon amour extrême.
ALCIDON.
Qui ne craint point de perdre ce qu’il aime,
Sait peu ce que c’est que d’aimer.
Tous deux, ensemble.
Aimons-nous à jamais, aimons ; et si l’envie
Qui s’oppose à des feux si doux,
Nous condamne à perdre la vie,
Mourons en disant, aimons-nous.
LA COMTESSE.
Il n’est guère de Voix plus douces, ni plus nettes.
LE VICOMTE.
D’accord ; mais quant à moi, vivent les Chansonnettes
Aux airs trop sérieux, je prends peu de plaisir.
LE COMÉDIEN.
Ils en savent de gais, vous n’avez qu’à choisir.
LE VICOMTE.
Allons. Voyons un peu comme ce Gai s’entonne ;
Notre jeune Mourante a la mine friponne.
Çà, point de tons dolents, je ne les puis souffrir ;
Surtout plus de Mourrons, j’en ai pensé mourir.
Chanson.
Quand l’Amour nous attire,
Les maux sont dangereux
Qu’on souffre en son empire ;
Mais si l’on en soupire,
Un seul moment heureux
Répare le martyre
Des cœurs bien amoureux.
Il est des inhumaines
Qui d’un cœur enflammé
Laissent durer les peines.
Ce sont de rudes gênes ;
Mais d’un Amant aimé
Plus on serre les chaînes,
Plus il en est charmé.
LE VICOMTE.
Voilà mon amitié.
OLIMPE.
La Chanson est jolie.
Mais en chantant toujours, le Théâtre s’oublie.
LE COMÉDIEN.
J’en aurai soin.
LE VICOMTE.
Allons-y faire travailler,
Et leur choisir un lieu commode à s’habiller.
Scène VII
OLIMPE, LE MARQUIS
OLIMPE.
Si j’ai de l’Inconnu vanté l’amour extrême,
Vous n’en devez, Marquis, accuser que vous-même.
Je ne l’aurais pas fait, si vous ne m’aviez dit
Que cet amour n’a rien qui vous gêne l’esprit,
Et que las d’étaler une vaine tendresse,
Vous lui verriez sans peine épouser la Comtesse.
LE MARQUIS.
Madame, je l’ai dit, et ne m’en dédis pas.
Leur union pour moi ne peut manquer d’appas.
Je trouve en cet hymen tout ce que je souhaite ;
Mais pour m’en rendre encor la douceur plus parfaite,
J’ose vous demander une grâce.
OLIMPE.
Parlez.
Je veux dès ce moment tout ce que vous voulez.
LE MARQUIS.
Vous servez l’Inconnu ; promettez-moi, Madame,
Qu’après que la Comtesse aura payé sa flamme,
Vous prendrez un Époux de ma main.
OLIMPE.
Doutez-vous
Que je n’en fasse pas mon bonheur le plus doux ?
LE MARQUIS.
Je crains, quand vous saurez...
OLIMPE.
Cette crainte est frivole.
Fiez-vous à moi, je vous tiendrai parole,
Et pour pouvoir plutôt répondre à vos désirs,
L’Inconnu n’a que trop poussé de vains soupirs.
Je veux que dès demain la Comtesse le voie.
LE MARQUIS.
Mais par où l’informer...
OLIMPE.
J’en trouverai la voie.
Il n’est pas difficile ; et si j’en juge bien,
Le Comus de tantôt fait le Comédien.
À la taille, à la voix, j’ai cru le reconnaître.
Je prétends lui donner un Billet pour son Maître,
Qui lui fera savoir, que galant, amoureux,
Il n’a qu’à se montrer, pour devenir heureux.
LE MARQUIS.
Mais si de son Portrait la Comtesse éblouie
Se plaint, en le voyant, d’avoir été trahie ?
Car vous aurez plus dit...
OLIMPE.
Il est vrai, j’ai voulu
Fixer en sa faveur son cœur irrésolu ;
Mais un Homme galant remplit toujours sans peine
L’attente qu’en fait naître une estime incertaine,
Et la Comtesse en lui...
LE MARQUIS.
Parlons sans le flatter.
Lui trouvez-vous assez de quoi la mériter ?
Est-ce un homme si rare, et pour qui la Nature...
OLIMPE.
Ne m’en demandez point une exacte peinture.
Il suffit que dans peu le succès fera foi
Que vous avez sujet d’être content de moi.
LE MARQUIS.
Je le connais, Madame, et ne puis trop vous dire...
OLIMPE.
Vous savez quel Billet j’ai résolu d’écrire.
Avant la Comédie, il est bon qu’il soit prêt.
Quittons-nous un moment.
LE MARQUIS.
Je veux ce qu’il vous plaît.
ACTE V
Scène première
LE MARQUIS, VIRGINE
VIRGINE.
Olimpe s’abusant, vous en êtes coupable.
LE MARQUIS.
Mais je ne lui dis rien qui ne soit véritable.
Vois ce qu’à l’Inconnu, pour hâter son espoir,
Par nos Comédiens elle faisait savoir.
POUR LE GALANT INCONNU.
Vos manières pour notre aimable Comtesse sont si engageantes, que je n’ai pu me défendre d’entrer dans vos intérêts. J’ai feint que je vous avais rencontré dans le Bois, où vous m’aviez fort exagéré la passion que vous avez pour elle, et j’en ai pris occasion de faire de vous une peinture qui ne vous a pas nui dans son cœur. Il est à vous si vous vous hâtez de le venir demander. Profitez de l’avis que je vous donne. Il m’est important que vous ne différiez point davantage à vous découvrir, et vous devez peut-être assez au soin que je prends de faire réussir votre amour, pour faire au plutôt ce que je souhaite.
VIRGINE.
C’est là contre soi-même employer son adresse.
LE MARQUIS.
Je l’en plains ; mais dis-moi, que pense la Comtesse ?
VIRGINE.
Tout ce qu’on peut penser dans un dépit jaloux.
Elle en a mieux senti l’amour qu’elle a pour vous,
Et quoi qu’elle déguise en quel trouble la jette
L’ardeur que vous montrez de la voir satisfaite,
Elle ne peut souffrir le feint détachement
Qui semble la céder aux vœux d’un autre Amant.
Ainsi ne doutez point que vous montrant pour elle,
Contre son espérance, et galant, et fidèle,
Elle n’accorde enfin à de si tendres feux,
Le doux consentement qui vous doit rendre heureux.
LE MARQUIS.
L’ordre est déjà donné pour me faire connaître ;
Après ce qu’on a su, je dois enfin paraître.
Malgré moi dans le Bois on irait rechercher
Des vérités qu’en vain je prétendrais cacher.
On sait par le Vicomte où la Tente est dressée.
VIRGINE.
Et notre Chevalier ?
LE MARQUIS.
Sa colère est passée.
L’amour par l’espérance est bientôt adouci.
VIRGINE.
Il a pu voir pourtant qu’Olimpe...
LE MARQUIS.
La voici.
Laisse-nous un moment.
Scène II
OLIMPE, LE MARQUIS
OLIMPE.
Ma joie est sans seconde,
Marquis, et grâce au Ciel tout va le mieux du monde,
Notre Comédien, comme je l’avais cru
S’est trouvé l’un de ceux qui servent l’Inconnu.
Il a pris mon Billet, et l’envoie à son Maître,
Sûr, dit-il, que demain il se fera connaître.
LE MARQUIS.
Le terme n’est pas long.
OLIMPE.
Pour moi, j’ai supposé
Qu’il a suivi la Troupe en habit déguisé.
L’entreprise pour lui ne serait pas frivole.
LE MARQUIS.
Si dans la Comédie il avait pris un Rôle ?
Mais vous en connaissez son visage ?
OLIMPE.
Il ne faut
Qu’un léger changement pour me mettre en défaut.
LE MARQUIS.
Qu’il vienne, c’est à lui de se tirer d’affaire.
OLIMPE.
Je ne parlerai point, et le laisserai faire.
Mais s’il est bien reçu, vous empêcherez-vous,
Quoique vous m’ayez dit, d’en paraître jaloux ?
LE MARQUIS.
Madame...
OLIMPE.
Il ne vous faut que deux mots de tendresse,
Pour faire de nouveau balancer la Comtesse ;
J’en crains dans votre cœur le dangereux retour.
LE MARQUIS.
Non, si de l’Inconnu je traverse l’amour,
Me punisse le Ciel ; mais j’ai bien lieu de craindre
Que de moi son bonheur ne vous porte à vous plaindre,
Et qu’après son hymen vous n’accusiez ma foi...
OLIMPE.
Répondez-moi de vous, je vous réponds de moi.
Mais la Comtesse vient.
Scène III
LA COMTESSE, LE VICOMTE, LE CHEVALIER, OLIMPE, LE MARQUIS, VIRGINE
LE VICOMTE.
Si mon cœur...
LA COMTESSE.
Je vous prie,
Point d’amour aujourd’hui, voyons la Comédie.
Sont-ils prêts à jouer ?
LE CHEVALIER.
Ils repassent leurs Vers ;
S’ils n’ont un peu de temps, tout ira de travers.
LE VICOMTE.
Avant que de les voir, si vous m’en voulez croire,
Nous souperons ; je sais quelques Chansons à boire,
Où le verre à la main, je vaux mon pesant d’or,
Dieu me damne. Après tout, la joie est un trésor.
J’en fais provision en quelque lieu que j’aille.
LE MARQUIS.
C’est bien fait.
LE VICOMTE.
Vous ferez Chorus, vaille que vaille,
Je donnerai je ton.
LA COMTESSE.
Quelle cervelle !
Scène IV
LA COMTESSE, LE VICOMTE, LE CHEVALIER, OLIMPE, LE MARQUIS, VIRGINE, LA MONTAGNE, représentant LE COMÉDIEN, et vêtu en Zéphire
LA COMTESSE.
Et bien ?
Avance-t-on ? Vos Gens n’ont-ils besoin de rien ?
LE COMÉDIEN.
Je viens demander grâce encor pour nos Actrices.
Leurs Coiffures toujours sont pour moi des supplices,
Jamais elles n’ont fait ; j’en suis au désespoir.
LA COMTESSE.
Laissons-leur tout le temps qu’elles voudront avoir.
LE CHEVALIER.
Vous aurez bien choisi ? La Pièce...
LE COMÉDIEN.
Sera bonne.
LE VICOMTE.
Qui l’a faite ?
LE COMÉDIEN.
Jamais nous ne nommons personne.
Nous voulons, si l’Ouvrage a quelque Approbateur,
Qu’il l’ait pour son mérite, et non point pour l’Auteur.
Par là point de cabale ; on condamne, on approuve,
Selon, ou le mauvais, ou le bon qui s’y trouve.
Quelquefois à Paris telle Pièce fait bruit,
Dont l’éclat en province aussitôt se détruit.
LA COMTESSE.
Il peut avoir raison.
LE VICOMTE.
Bon, est-ce qu’en Province
On a le sens commun ? Ce sont Gens d’esprit mince.
LE COMÉDIEN.
À dire leurs avis s’ils sont trop ingénus,
Leurs suffrages du moins ne sont point retenus.
Point d’extases chez eux pour une bagatelle.
LE VICOMTE.
La Pièce d’aujourd’hui comment se nomme-t-elle ?
LE COMÉDIEN.
L’Inconnu.
LA COMTESSE.
L’Inconnu !
LE VICOMTE.
Si c’était le Grosset,
Madame ?
LE COMÉDIEN.
C’est Psyché, grand et pompeux Sujet.
LE VICOMTE.
Tant pis, le sérieux en moins de rien m’ennuie.
Et n’y joindrez-vous point quelque Crispinerie ?
J’aime tous les Crispins.
LE COMÉDIEN.
Vous en aurez le choix.
LE VICOMTE.
J’ai vu le Médecin, je crois, plus de cent fois.
Ce Pendu qu’on étale sur la table, il m’enchante.
LE MARQUIS.
C’est avecque justice.
LE VICOMTE.
Et cet autre qui chante,
Fa, sol fa, sol fa, ré, mi, fa,
Quand il entonne ainsi son ré, mi ; fa, je ris...
LA COMTESSE.
Vraiment.
OLIMPE.
Il a toujours ses endroits favoris.
LE COMÉDIEN.
Pour ne point perdre temps, voulez-vous que je fasse
Mettre ici le Théâtre, où j’ai marqué sa place ?
LA COMTESSE.
On dit qu’il est joli, voyons.
LE COMÉDIEN.
Notre chanteur
A quelque scène à faire avant que d’être Acteur,
Vous la pourrez entendre, elle est prête. Allons vite.
Ouvrez, et que chacun de son emploi s’acquitte.
Ils prennent tous place, et ils ne sont pas plutôt assis, qu’on fait rouler vers eux un Théâtre dont le devant est orné d’un fort beau Tapis où pend une très riche Campane. Ce Théâtre représente une Chambre. Au-devant des deux premiers Pilastres qui sont de chaque côté, il y a deux Guéridons faits en Maures, portant chacun une Girandole. Au-dessus de la Corniche de ces Pilastres qui sont fort enrichis, on voit deux Corbeilles de Fleurs. La Frise qui règne sur la Façade, représente deux grandes Consoles d’or, avec des Festons de Fleurs qui ceignent le Fronton ; et entre les deux Consoles il y a un Rond orné d’une Bordure dorée, dans lequel on voit une Médaille. La suite de la Chambre est enrichie d’Arcades, de Pilastres, de Panneaux remplis d’ornements différents, de Coloris, de Festons de Fleurs, de Porcelaines, de Vases d’or, d’argent et de lapis, et d’Ovales percées à jour. Dans cinq Arcades ou Niches, qui sont d’azur rehaussé d’or, on voit cinq Statues toutes d’or, représentant des Amours ; et dans le fond de la Chambre il y a encore deux Guéridons comme les premiers, garnis pareillement de Girandoles. De fort riches ornements en embellissent le plafond ; il est percé en cinq endroits, d’où sortent cinq Lustres. Plusieurs Esclaves magnifiquement vêtus marchent au-devant de ce Théâtre, et semblent le conduire quand il s’avance.
LE VICOMTE.
L’invention est drôle. Un Théâtre roulant !
LA COMTESSE.
J’admire de le voir si propre, si galant.
LE CHEVALIER.
La Décoration en est bien entendue.
OLIMPE.
Sans doute, elle a de quoi satisfaire la vue.
LE VICOMTE.
S’ils prenaient le Marais que la Roque a laissé,
Les Troupes de Paris auraient le nez cassé.
UN MAURE paraît sur le petit Théâtre, et chante ces Vers.
Amour, à qui tout est possible,
Enflamme, anime tout ; et pour mieux faire voir
Qu’il n’est rien pour toi d’invincible,
Fais aimer cette insensible
Qui se rit de ton pouvoir...
En même temps quatre Amours sortent de leurs Niches, et dardent leurs Flèches vers la Comtesse ; après quoi le même Maure chante ce refrain avec une Femme Maure.
L’Amour punit les Cruelles,
Aimez pour fuir son courroux.
LE MAURE, seul.
Que pourrait servir aux Belles
D’avoir des charmes si doux,
S’ils n’étaient faits que pour elles ?
Tous deux, ensemble.
L’amour punit les Cruelles,
Aimez pour fuir son courroux.
LA FEMME MAURE, seule.
Soyez tendres et fidèles,
Il s’armera contre vous,
Si vous faites les rebelles.
Tous deux, ensemble.
L’amour punit les Cruelles,
Aimez pour fuir son courroux.
Ces vers étant chantés, les Maures du petit Théâtre se joignent aux Amours pour faire une Entrée, laquelle étant finie, la Comtesse dit.
LA COMTESSE.
On nous trompe ; et jamais Comédiens qui passent
N’eurent cet appareil.
OLIMPE.
Ceux-ci vous embarrassent ?
LA COMTESSE.
Non, je découvre assez que tout est concerté.
La Fête finira par cette Nouveauté.
Mais enfin les Acteurs que l’on nous fait connaître,
Comédiens, ou non, commencent à paraître.
Il faut les écouter.
LE VICOMTE.
Soyons donc écoutants ;
Mais j’en tiens, s’il les faut écouter bien longtemps.
On joue les trois Scènes suivantes sur le petit Théâtre.
Scène V
LA MONTAGNE, représentant ZÉPHIRE, AGLAURE
ZÉPHIRE.
Quoi, tout de bon, vous êtes en colère
D’un secret qui ne peut encor se révéler ?
AGLAURE.
Oui, c’est m’offenser, que se taire,
Quand je cherche à faire parler.
ZÉPHIRE.
Il n’est intention meilleure que la mienne.
Si vos désirs ne sont pas exaucés,
C’est qu’un ordre d’en haut...
AGLAURE.
Il n’est d’ordre qui tienne,
Je prie, et ce doit être assez.
ZÉPHIRE.
Encor n’est-ce pas un grand crime
De vous cacher le nom de l’Amant de Psyché,
Quand vous voyez que l’amour qui l’anime
À chercher à lui plaire est sans cesse attaché.
Tout ce qui peut charmer les yeux et les oreilles,
Se prodigue pour elle en ces aimables lieux,
Et jamais...
AGLAURE.
Oui, ce sont merveilles sur merveilles ;
Mais notre Sexe est curieux.
C’est peu pour nous de voir des Fêtes ordonnées
Avec un éclat sans pareil.
On compte à rien leur superbe appareil,
Si l’on ne sait par qui ces Fêtes sont données.
Que prétend un Amant tant qu’il est inconnu ?
ZÉPHIRE.
Sur le secret d’autrui je n’ai rien à vous dire.
Quant au mien, on ne peut être plus ingénu,
Et dès qu’avecque vous je suis ici venu,
Je vous ai découvert qu’on me nommait Zéphire.
AGLAURE.
Vous êtes du nombre des Vents.
Nous l’avons assez vu, quand par l’air enlevées
Avec vous en ces lieux nous nous sommes trouvées ;
Mais pour Zéphire, je prétends
Par tout ce que de vous vous me faites connaître,
Que vous ne l’êtes point, et ne le sauriez être.
ZÉPHIRE.
Je ne suis point Zéphire ! et d’où vient ?
AGLAURE.
En tous lieux
Zéphire se fait voir doux, complaisant, traitable,
Et vous êtes des Vents le plus inexorable,
Ou Borée, ou quelque autre encor moins gracieux.
ZÉPHIRE.
Vous voulez que je sois Borée ?
Adieu, je vais souffler si froidement pour vous,
Que vous aurez sujet d’en croire le courroux
Qui contre moi vous tient si déclarée.
Scène VI
AGLAURE, CÉPHISE
CÉPHISE.
D’où vient, quand on me voit, que l’on vous quitte ainsi ?
AGLAURE.
Je suis brouillée avec Zéphire.
Je l’avais prié de me dire
Le nom de l’Inconnu qui nous met en souci.
Sur ses refus j’ai perdu patience,
Et me suis échappée à quelques mots d’aigreur.
CÉPHISE.
Croyez-moi, vous cherchez, ma Sœur,
Une fatale connaissance.
Pourquoi ce désir curieux ?
Manquons-nous de plaisirs et de galantes Fêtes,
Depuis qu’avec Psyché nous habitons ces lieux ?
Et quand vous apprendrez qui les tient toujours prêtes,
Prétendez-vous en être mieux ?
AGLAURE.
Il est fort naturel de chercher à connaître
Un amant qui s’obstine à se tenir caché.
CÉPHISE.
Mais s’il est connu de Psyché,
Voyez-vous quel mal en peut naître ?
Sa main paiera des feux si tendres et si doux,
Et par leur paisible hyménée,
La Fête aussitôt terminée
Ne charmera plus que l’Époux.
Alors, où pour nous, je vous prie,
Seront et les jeux et les ris ?
Car enfin folle est qui s’y fie.
Quand les Amants sont Maris,
Adieu la Galanterie.
AGLAURE.
Non, l’Inconnu doit être né
Pour s’en faire toujours un plaisir nécessaire,
Et son amour par l’hymen couronné,
N’aura pas moins d’ardeur de plaire.
CÉPHISE.
Si vous me répondez que Mari comme Amant,
Nous le verrons toujours le même,
Je saurai son secret.
AGLAURE.
Vous le saurez ! Comment ?
Est-ce que Zéphire vous aime ?
CÉPHISE.
Le beau sujet d’étonnement !
Croyez-vous sa conquête une si grande affaire ?
Et quand on me voit plus d’un jour,
N’ai-je pas assez de quoi plaire
Pour mériter un peu d’amour ?
AGLAURE.
Voilà toujours votre folie.
La plus Belle jamais n’eût tant de bonne foi.
CÉPHISE.
Je ne suis, si l’on veut, ni belle, ni jolie,
Mais j’ai certains je ne sais quoi
Qui me font préférer à la plus accomplie.
AGLAURE.
Vous le croyez ?
CÉPHISE.
Si je le crois ?
Avec mon humeur enjouée,
Je fais faire naufrage à qui m’en vient conter,
Et dès qu’on a pu m’écouter,
C’est une franchise échouée
Mais quand je trouverais Zéphire indifférent,
Le pressant de parler, s’en pourrait-il défendre ?
C’est la manière de s’y prendre,
Qui fait qu’un obstiné se rend,
Le voici, laissez-moi ; s’il vous voir éloignée,
Il me viendra soudain faire ici les yeux doux.
AGLAURE.
Ce sera pour Psyché, s’il s’explique avec vous,
De l’inquiétude épargnée.
J’en attends le succès, adieu.
Scène VII
ZÉPHIRE, CÉPHISE, UN ENFANT représentant L’AMOUR
ZÉPHIRE.
À la fin ta Compagne a quitté la partie.
Pour te voir, proche de ce lieu
J’attendais qu’elle fût sortie.
Je me souviendrai quelque temps,
Qu’elle a tantôt osé me traiter de Borée.
CÉPHISE.
Sais-tu qu’il est certains instants
Où moi-même de toi je suis mal assurée ?
Tu t’es nommé Zéphire ici,
J’en doute à voir ta taille.
ZÉPHIRE.
Et lorsque je t’adore,
De cette vérité tu peux être en souci ?
CÉPHISE.
De grâce, étais-tu fait ainsi
Lorsque tu soupirais pour Flore ?
ZÉPHIRE.
J’étais fort délicat, et le serais encore,
Mais le temps m’a tout épaissi.
CÉPHISE.
Tu pourrais bien m’avoir trompée.
La Jeunesse a souvent trop de crédulité.
Et l’amour dont pour toi je suis préoccupée...
ZÉPHIRE.
Non, foi de Vent d’honneur, j’ai dit la vérité.
Je suis Zéphire.
CÉPHISE.
Et bien, je le veux croire.
Mais quant à l’Inconnu, son nom ? regarde-moi.
J’ai promis à Psyché de le savoir de toi.
Je dois tenir parole, il y va de ma gloire.
ZÉPHIRE.
Ne me presse point là-dessus,
J’ai des raisons...
CÉPHISE.
Pures chimères !
ZÉPHIRE.
Je ne saurais parler.
CÉPHISE.
Abus.
Tu m’aimes ; s’il me faut essuyer tes refus,
Tu n’es pas bien dans tes affaires.
ZÉPHIRE.
Je prendrais grand plaisir à ne te rien cacher ;
Mais veux-tu, parce que je t’aime.
Que l’Inconnu me vienne reprocher
Que ma langue ait fait tort à son amour extrême ?
C’est de tous les Amants le plus passionné,
Rien ne saurait égaler sa tendresse ;
Mais il veut être sûr du cœur de sa Maîtresse,
Avant que son secret lui soit abandonné.
CÉPHISE.
Qu’il ne craigne rien, Psyché l’aime.
Tant de soins de lui plaire ont vaincu sa fierté.
ZÉPHIRE.
Si tu me disais vrai, me voilà bien tenté.
CÉPHISE.
N’en doute point, je le sais d’elle-même.
Mais enfin je commence à prendre pour affront
Une si longue résistance.
ZÉPHIRE.
Attends ; pour ne rien faire avec trop d’imprudence,
Il est bon que l’Amour me serve de second.
Il se tourne vers l’Amour qui sort de la Niche, et ôte le masque qui lui couvrait le visage.
CÉPHISE.
Quoi, l’Amour déguisé parmi nous !
ZÉPHIRE.
Que t’en semble ?
CÉPHISE.
Je vois bien que c’est lui qui commande en ces lieux
Et cours dire à Psyché...
ZÉPHIRE.
Non, Céphise, il vaut mieux
Que nous l’allions trouver ensemble.
CÉPHISE.
J’attends tout de l’Amour, s’il daigne s’en mêler.
Ils descendent tous sur le grand Théâtre.
ZÉPHIRE, à la Comtesse.
Madame, puisqu’il faut, sans excuse frivole
Vous dire...
LA COMTESSE.
À moi ? cela n’est pas de votre rôle.
ZÉPHIRE.
Vous êtes la Psyché dont nous voulons parler.
L’Amour en est croyable ; et quand je vous l’amène...
L’AMOUR.
Oui, Comtesse, l’Amour vous veut tirer de peine,
Et du Ciel tout exprès il est ici venu
Pour finir l’embarras où vous met l’Inconnu.
LA COMTESSE.
Chacun depuis longtemps aspire à le connaître.
L’AMOUR.
Je n’ai qu’à dire un mot, vous le verrez paraître.
OLIMPE.
L’Amour peut sans scrupule user de son pouvoir.
L’AMOUR.
Il faut donc me hâter de vous le faire voir.
Regardez ce Portrait.
OLIMPE, à la Comtesse.
Si rien ne le déguise,
Vous y verrez des traits... Vous en êtes surprise.
Et bien ? a-t-il l’air bon ? qu’en dites-vous ?
LA COMTESSE.
Je dis...
Voyez.
LE CHEVALIER, regardant le Portrait.
C’est le Marquis.
OLIMPE.
Le Marquis !
LE VICOMTE.
Le Marquis !
OLIMPE.
Juste Ciel !
LA COMTESSE, au Marquis.
Quoi, c’est vous, dont l’adresse cachée
Cherchait à me toucher ?
LE MARQUIS.
En êtes-vous fâchée ?
LA COMTESSE.
Je ne m’étonne plus si vos feux trop soumis
Aux vœux de l’Inconnu laissaient l’espoir permis.
LE MARQUIS.
Tant d’amour ne peut-il mériter de vous plaire ?
Ne vous rendez-vous point ?
LA COMTESSE.
C’est une grande affaire.
D’ailleurs, deux Inconnus...
LE MARQUIS.
Je n’en dois craindre rien.
L’Inconnu du Vicomte est le Comédien.
Il ne s’est pas trop mal acquitté de son Rôle.
LE VICOMTE.
Il est vrai, je cherchais le son de sa parole,
Et sur Monsieur Grosset je me remets sa voix.
LA COMTESSE.
Et l’Inconnu qu’Olimpe a trouvé dans le Bois ?
OLIMPE.
J’ai dit ce que j’ai vu, sans savoir davantage.
LE CHEVALIER.
Quelque Ami du Marquis a fait ce Personnage ;
Pour l’Inconnu par elle il voulait vous toucher.
LA COMTESSE.
Qui l’aurait cru qu’en vous il l’eût fallu chercher ?
LE MARQUIS, bas.
Non, ne m’en croyez pas ; mais, aimable Comtesse,
Croyez-en ce présent que m’a fait la Jeunesse.
LA COMTESSE.
C’est là mon Diamant ; vous étiez destiné
À recevoir enfin la main qui l’a donné.
Il est juste, et j’en fais le prix de votre flamme.
LE MARQUIS.
Ô bonheur qui remplit tous mes vœux !
À Olimpe.
Mais, Madame,
Vous souvenez-vous...
OLIMPE.
Oui, je ne puis oublier
Que je vous ai promis d’aimer le Chevalier.
Vous avez de l’honneur, c’est assez vous en dire.
LE CHEVALIER.
Doux et charmant aveu qui finit mon martyre ?
Madame, je puis donc prétendre à votre foi ?
OLIMPE.
Si ma Mère y consent, répondez-vous de moi.
LE VICOMTE.
Je vous vois là tous quatre en bonne intelligence.
Et moi, que devenir ?
LA COMTESSE.
Vous prendrez patience.
LE VICOMTE.
Oui ; de mes pas pour vous c’est donc là le succès ?
Se charge qui voudra du soin de vos procès.
Adieu.
LA COMTESSE.
Le prendrez-vous, Marquis, il vous regarde.
LE MARQUIS.
Que ne ferais-je point ?
LE CHEVALIER.
La retraite est gaillarde.
OLIMPE.
C’est un Extravagant dont nous sommes défaits.
LA COMTESSE.
Allons.
LE MARQUIS.
Puisse l’amour ne nous quitter jamais.