Les Parents de circonstance (Michel-Nicolas Balisson de ROUGEMONT)
Comédie en un acte, mêlée de vaudevilles.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 18 octobre 1813.
Personnages
LE CALIFE
GIAFFAR, vizir
KALED, cordonnier
OSMIN-KALED
ASSAN-KALED
AGAR-KALED
NADIR-KALED
RUSTAFF, vieux cordonnier
AGÉLY, sa fille
UN ESCLAVE
UN AUTRE ESCLAVE
La scène est à Bagdad, dans un Salon du Palais du Calife.
Le Théâtre représente une des salles du palais du Calife. L’action commence avec le jour.
Scène première
GIAFFAR, seul
Il entr’ouvre la fenêtre.
Le jour paraît, et le Calife n’est pas encore rentré !... je suis d’une inquiétude extrême !... Les dangers qu’il a courus, les aventures désagréables dont il a failli quelquefois être la victime, n’ont encore pu le guérir de cette fantaisie de parcourir incognito, et la nuit, les rues de Bagdad... Cependant son rang lui défend de s’exposer.
Air : du Verre.
Un souverain ne doit jamais
Compromettre son existence,
Elle appartient à ses sujets,
Elle est leur bien, leur espérance.
Sur lui leurs regards sont ouverts,
Il leur doit compte de sa vie ;
Si sa gloire est à l’univers,
Ses jours ne sont qu’à sa patrie,
J’entends du bruit... le voici.
Scène II
GIAFFAR, AAROUN, costume très simple.
GIAFFAR.
Le prophète soit loué, seigneur, je craignais qu’il ne vous fût arrivé quelque chose.
AAROUN, gaiement.
Hé bien, mon cher vizir, voilà la différence ! Après avoir couru presque tout Bagdad, je craignais, moi, qu’il ne m’arrivât rien...
GIAFFAR.
Je l’aurais désiré... cela vous eût peut-être fait renoncer...
AAROUN.
À mes courses nocturnes, à mes déguisements habituels ? Eh ! mon cher Giaffar, tu ne sais pas tout ce que mes promenades et mon costume m’ont valu ?
Air : du Vaudeville de la Robe et les Bottes.
J’ai converti plus d’un rebelle
Qui blâmait mon autorité ;
Et, j’ai soumis plus d’une belle
Qu’eut fait trembler ma qualité ;
De la haine et de la sagesse
Les soupirs mouraient confondus :
Et chaque nuit par mon adresse,
Je comptais un sujet de plus.
Dans cette course solitaire,
D’un triste événement instruit,
Souvent j’arrache à la misère
L’infortuné qu’elle poursuit.
Trop heureux, quand je puis me dire,
Le soleil, grâces à mes soins,
En se levant sur mon empire
Éclaire un malheureux de moins !
GIAFFAR.
Je reconnais bien là votre cœur ; mais vous employez souvent pour arriver à votre but des moyens singuliers.
AAROUN, gaiement.
Le hasard les justifie.
GIAFFAR.
Enfin, cette nuit ?
AAROUN.
Hé bien, cette nuit... je me retirais fort mécontent, lorsque j’ai aperçu un pauvre diable qui s’amusait à pleurer...
GIAFFAR.
Et cela vous a rendu votre joyeuse humeur !
AAROUN.
Le jour qui commençait à paraître ne m’a pas permis de le questionner. J’ai ordonné à un de mes esclaves de le conduire en ces lieux... et le voici.
Scène III
LE CALIFE, KALED, GIAFFAR
KALED, entrant en tremblant précédé d’un esclave qui lui indique le vizir.
Ah ! çà, dites donc vous autres, où me conduisez-vous ?
AAROUN.
Approche, approche ! et n’aie aucune peur.
KALED, s’avançant.
Ce n’est pas l’embarras, quand on n’a rien, on ne craint pas grand chose.
AAROUN.
Tu as donc de grands chagrins ?
KALED.
Je crois bien.
AAROUN.
Tu vas me les confier.
KALED, secouant la tête.
Non.
AAROUN, étonné.
Pourquoi ?
KALED.
C’est que quand vous seriez le Calife en personne, vous ne pourriez me donner ce qui me manque pour être heureux.
AAROUN.
Que sais-tu ? je suis peut-être plus puissant que tu ne penses : je suis peut-être un envoyé du prophète destiné à te secourir.
KALED.
Ah !si vous êtes un envoyé du Prophète, c’est une autre affaire... je n’ai besoin de vous rien dire.
AAROUN.
Encore !... pour quelles raisons ?
KALED.
Parce que vous devez savoir aussi bien que moi que je suis amoureux de la belle Agély, la fille de Rustaff, cordonnier, mon confrère, et qu’on me la refuse... parce qu’elle a un père, une mère, des frères, des sœurs, des oncles, des tantes, des cousins, des cousines, et que je n’ai rien de tout cela.
AAROUN, souriant.
Je le sais... Après.
KALED.
Vous devez savoir aussi que ma mère, qui est morte le surlendemain de ma naissance, m’a donné le nom de Kaled ; qu’elle a dit être celui de son époux ; qu’un pauvre cordonnier chez lequel elle demeurait, a pris soin de mon enfance, m’a fait élever, m’a montré son métier, et en mourant m’a laissé son échoppe.
GIAFFAR, souriant.
Nous le savions.
KALED.
En ce cas, ce n’est pas la peine de vous dire que depuis ma naissance je cherche mon père sans avoir pu le trouver... et cependant je dois en avoir un, puisque tout le monde en a.
AAROUN.
C’est assez probable.
KALED.
Air : N’en demandez pas davantage.
Rustaff me refuse tout net ;
Quoique je sois honnête et sage,
Mais si mon père se nommait,
On bâclerait mon mariage ;
Hélas si quelqu’un
M’en découvrait un !...
Je n’en voudrais pas davantage.
AAROUN, réfléchissant.
Il me semble pourtant qu’il y a dans Bagdad une foule de gens qui portent le même nom que toi ; des Kaled Assan, des Kaled Osmin, des Kaled Nadir, des Kaled Agar...
KALED.
Air : Ne crois pas à mon trépas.
Hélas ! seigneur j’ai couru
Chez ceux dont Bagdad fourmille,
Pour être de sa famille,
Aucun ne m’a reconnu.
Quand je leur dis sans mystère,
Qu’un Kaled était mon père,
Ce nom les met en colère,
Et chacun d’eux en jurant ;
Me dit, coquin je t’assomme,
Moi !... je suis un honnête homme...
Tu n’es pas notre parent.
GIAFFAR.
Je me rappelle, en effet, qu’il y a près d’une trentaine d’années, un Kaled se brouilla avec sa famille pour avoir épousé une jeune Circassienne sans fortune.
KALED.
Sans fortune... c’était ma mère !
GIAFFAR.
Ils disparurent tous deux ; depuis on n’en a plus entendu parler... Les parents, au bout d’un certain temps, se partagèrent son bien.
AAROUN.
Kaled ?...
KALED.
Seigneur ?
AAROUN.
Il m’est impossible de te procurer un père.
KALED.
Je vous le disais bien.
AAROUN.
Il me serait très difficile de trouver des frères, des sœurs, des oncles, des tantes...
KALED.
J’en étais sûr.
AAROUN.
Mais pour des cousins, je t’en promets, et beaucoup.
KALED.
Vrai.
GIAFFAR, bas au calife.
Que voulez-vous faire, seigneur ?
AAROUN.
Passer gaiement la journée,
Se retournant vers Kaled.
et procurer une famille à ce pauvre diable-là.
GIAFFAR.
Où la prendrez-vous ?
AAROUN.
Je n’en sais rien encore ; d’ailleurs il n’y a qu’à consulter son goût.
KALED.
Moi, seigneur !... Oh ! du moment que vous me consultez...
Air : Vaudeville des deux Edmon.
Je voudrais, ne vous en déplaise,
Un parent qui fût à son aise,
Dans le monde considéré.
AAROUN.
J’en trouverai. (bis.)
KALED.
Dont l’âme noble autant qu’humaine,
Voyant son parent dans la gène,
Gaiement le tirât d’embarras...
GIAFFAR, au Calife.
Vous n’en trouverez pas. (bis.)
KALED.
Même air.
Je voudrais quelque personnage,
Pour ses vertus, suivant l’usage,
Par tous ses amis célébré !
AAROUN.
J’en trouverai (bis.)
KALED.
Qui vous obligeant en silence,
Fût de même par l’indigence,
Loué tout haut, béni tout bas !
GIAFFAR, au Calife.
Vous n’en trouverez pas.
KALED.
Hé bien, seigneur, donnez-moi seulement...
Même air.
Un bon vivant, toujours alerte,
Qui chez lui tienne table ouverte,
Où l’on s’arrondisse à son gré.
AAROUN.
J’en trouverai. (bis.)
KALED.
Oui, flattant votre gourmandise,
Ne fasse point par sa bêtise,
Payer trop cher un bon repas.
GIAFFAR, au Calife.
Vous n’en trouverez pas. (bis.)
KALED.
Hé bien, en ce cas-là, choisissez-moi ce que vous avez de mieux, je m’en contenterai.
AAROUN.
Ce sera le hasard qui en décidera.
KALED.
Comment le hasard ! est-ce que vous allez tirer mes parents au sort ?
AAROUN.
Non, mais je veux qu’eux-mêmes réclament l’honneur de t’appartenir.
KALED.
Allons, allons, je vois que vous voulez rire ; laissez-moi retourner à mon échoppe ; là, du moins tout le monde me plaint, et personne ne se moque de moi.
AAROUN.
Cela ne se peut plus.
KALED.
Comment ça ne se peut plus.
AAROUN.
Kaled, tu es dans le palais d’Aaroun.
KALED.
Ah ! mon dieu !
GIAFFAR.
En présence même du Calife.
KALED.
Ah ciel !
AAROUN.
Et tu ne sortiras de ces lieux que lorsque je te l’aurai permis.
KALED.
Allons, il ne me manquait plus, pour arranger mes affaires, que d’être persécuté par le Calife.
AAROUN, bas à Giaffar.
Giaffar, j’ai besoin encore une fois de ta place de grand-vizir... permets que je te disgracie.
GIAFFAR, s’inclinant.
Avec plaisir.
AAROUN.
Eh ! bien, pourquoi donc cet air triste quand tu vois que je m’intéresse à ton sort.
KALED.
Vous vous y intéressez !... là, franchement.
AAROUN.
Ne suis-je pas le père de mes sujets ?
KALED.
Oui, leur père ! mais vous avez trop d’enfants pour ne songer qu’à moi.
AAROUN.
Air : Tu vas changer de fortune.
Livre ton cœur à l’amour, à l’espoir,
Un peu de courage et d’adresse,
Kaled ton maître veut ce soir
Te faire épouser ta maîtresse. (bis.)
KALED.
Pour épouser celle qui dès longtemps,
Accueillit mon amour sincère,
Seigneur il me faut des parents.
AAROUN.
Je vais travailler a t’en faire.
Ensemble.
Livre ton cœur, etc.
KALED.
Je ne saurais me livrer à l’espoir,
Mon sort en vain vous intéresse,
Seigneur, vous ne pourrez ce soir
Me faire épouser ma maîtresse.
GIAFFAR.
Livre ton cœur à l’amour, à l’espoir,
Un peu de courage et d’adresse,
Kaled, ton maître veut ce soir
Te faire épouser ta maîtresse.
Aaroun et Giaffar sortent.
Scène IV
KALED, seul
Cette pauvre Agély, comme elle va être inquiète ! ne pas me voir ce matin passer et repasser devant la boutique de son père, la regarder du coin de l’œil... ma foi, pendant que le Calife n’y est pas, esquivons-nous.
Il va pour sortir, les Muets entrent.
Scène V
KALED, DEUX MUETS, chargés de riches vêtements
Ils entrent sur l’air serviteur à monsieur Lafleur, et saluent à plusieurs reprises Kaled, qui leur rend ses révérences.
KALED.
Serviteur, serviteur, c’est bon, c’est bon, en voilà assez.
Il va pour sortir, les muets l’arrêtent.
Qu’est-ce qu’ils veulent donc encore ?
Les Muets lui font signe de se déshabiller.
Que je me déshabille ?
Les Muets lui font un signe affirmatif, et lui montrent les riches vêtements qu’ils apportent.
Comment, c’est pour mettre ces beaux habits là ? bah ! je les gâterai.
Les muets font divers signes.
Hein ! le diable m’emporte si j’entends rien à ce qu’ils disent.
Les Muets font signe que c’est l’ordre d’Aaroun.
C’est la volonté du Calife... ah ! c’est différent ! si c’est une échange qu’il veut faire, j’y consens volontiers, pourvu qu’il ne demande pas de retour.
Les muets le revêtissent de beaux habits.
Mais qu’est-ce qu’il veut donc faire de mon costume ? hein ! hein !... plus haut ! plus haut.
Les Muets lui font signe qu’ils ne peuvent pas parler.
Vous êtes muets !... que ne le disiez-vous donc de suite... au lieu d’être là, pendant une heure à jaser avec les mains...
Scène VI
KALED, LES MUETS, COURTISANS
COURTISANS.
Chœur de Courtisans. (de Doche.)
Vive Kaled, notre nouveau vizir !
Que son nom soit couvert de gloire !
KALED.
Qu’entends-je ! moi vizir !
De moi l’on veut se divertir.
CHŒUR.
Vive Kaled, notre nouveau vizir !
Et de Giaffar périsse la mémoire !
KALED.
Laissez-moi donc, comment vous croire,
D’un cordonnier faire un vizir !
Vous voulez vous divertir.
UN ESCLAVE.
Lisez seigneur, votre titre de gloire.
KALED, à l’esclave.
Lisez pour moi, vous me ferez plaisir.
L’ESCLAVE, lisant.
Nous, Aaroun, lieutenant du prophète,
Et de ses lois sage interprète,
Il nous plait d’élever au rang de grand-vizir,
Kaled, notre sujet fidèle.
KALED.
C’est bien ainsi que l’on m’appelle.
L’ESCLAVE, lisant.
Que dans l’instant sans sortir du palais,
Il soit instruit de sa grandeur nouvelle ;
Et qu’on sache à Bagdad, combien de mes sujets
J’aime à récompenser le zèle !
KALED.
Est-ce tout ?
L’ESCLAVE.
Oui, c’est tout.
KALED.
Vraiment,
Votre Calife est un homme charmant !
Se carrant grotesquement.
D’un vizir ai-je la figure ?
CHŒUR.
On n’a pas plus de gravité.
KALED, marchant.
D’un vizir ai-je la tournure ?
CHŒUR.
On n’a pas plus de majesté !
L’ESCLAVE.
Vous n’auriez ni tournure,
Ni figure,
Que telle est sa volonté.
CHŒUR.
Vive Kaled, notre nouveau vizir !
Et de Giaffar, périsse la mémoire !
Les Courtisans et les Muets se retirent.
Scène VII
KALED, seul
Voilà une élévation qui va contrarier mes pratiques !... car il est sûr que je n’ouvrirai pas ma boutique d’aujourd’hui... et le seigneur Nadir, qui m’attend pour lui essayer ses babouches... Ma foi, tant que je serai en place, il peut se faire chausser par un autre ! Ah ! mon dieu, voilà le vizir de ce matin.
Scène VIII
GIAFFAR, KALED
KALED, courant à lui.
Ah ! seigneur, ce n’est pas ma faute.
GIAFFAR.
Comment, ta faute.
KALED.
Ce n’est pas moi qui ai demandé votre place, je n’ai jamais enlevé les pratiques de personne.
GIAFFAR.
Rassure-toi, tu ne m’as rien enlevé.
KALED.
Est-ce que vous n’êtes pas disgracié ?
GIAFFAR, souriant.
Non...
KALED.
Qu’est-ce qu’ils chantent donc ?
Chantant.
Et de Giaffar périsse la mémoire !
GIAFFAR.
C’est le refrain consacré ; et si demain tu cessais d’être vizir, tu aurais peut-être la satisfaction d’entendre chanter devant ton échoppe : et de Kaled périsse la mémoire.
KALED.
Çà ne laisse pas que d’être agréable.
Air : Si Dorilas.
Cependant pour qu’ils aient l’audace
D’outrager ainsi votre nom,
Tandis que vous étiez en place,
Vous les aurez maltraités ?
GIAFFAR.
Non.
Kaled, je leur fis au contraire,
Beaucoup de bien...
KALED.
Ah ! dans ce cas,
Moi, je ne leur en ferai guère ;
Moi, je ne leur en ferai pas.
On entend le CHŒUR chanter dans l’éloignement.
Vive Kaled, notre nouveau vizir,
Et de Giaffar, périsse la mémoire !
KALED.
Allons, voilà mon nom qui court les rues.
GIAFFAR.
Ah ! cela flatte ton amour propre.
KALED.
Ma foi non, je n’en suis pas plus fier pour cela, d’ailleurs qui sait le temps que ça durera.
GIAFFAR.
Jusqu’à ce que tu aies trouvé une famille.
KALED.
Seigneur Giaffar, j’en suis fâché pour vous, je mourrai vizir.
GIAFFAR.
C’est ce que nous verrons !...
KALED.
Ah ! çà, maintenant que je suis des vôtres, qu’est-ce que j’ai à faire ?
GIAFFAR.
Air : Vaudeville de Partie carrée.
Imite en tout la conduite du maître ;
Ris aux éclats, quand il paraîtra gai ;
Sois affligé, sitôt qu’il voudra l’être ;
Plains-toi, quand il est fatigué ;
S’il est grondeur, deviens maussade ;
Approuve dès qu’il applaudit.
KALED.
Bon, je comprends ; quand il sera malade,
J’irai me mettre au lit.
À part.
Ça n’est pas si difficile que de faire des babouches.
Scène IX
KALED, GIAFFAR, UN ESCLAVE
L’ESCLAVE.
Seigneur vizir ?
KALED, s’inclinant.
Seigneur...
GIAFFAR, l’arrêtant.
Que fais-tu donc, c’est un esclave.
KALED.
Ah ! dam’ je suis si nouveau que je ne peux pas encore distinguer...
Reprenant sa dignité.
Esclave, que me veut-on ?
L’ESCLAVE.
Seigneur, c’est un riche négociant de Bagdad, qui se dit votre parent.
KALED, étonné.
Mon parent !
GIAFFAR, à part.
Et d’un.
L’ESCLAVE.
Et qui sollicite l’honneur de vous être présenté.
KALED, enchanté.
Un parent !... J’ai donc des parents !
GIAFFAR.
Le Calife t’a tenu parole.
KALED.
Oui, je vois qu’il n’y a rien de tel qu’une place de grand-vizir pour retrouver sa famille sans la chercher.
À l’esclave.
Faites entrer mes parents.
GIAFFAR.
Kaled, je te laisse, souviens-toi que le Calife te voit et t’entend ; compte sur lui, mais compte beaucoup plus sur toi.
Air : Le petit mot pour rire.
Kaled, prends un air imposant ;
Et représentes dignement
Le chef de cet empire ;
Sois poli, sois honnête, mais
Songe qu’un vizir n’a jamais
Le petit mot (bis.) pour rire.
KALED.
Même air.
À la gaieté disons adieu ;
Puisque c’est l’usage en ce lieu,
Il faut bien y souscrire,
Je crains que la malignité
Ne trouve dans ma gravité,
Le petit mot (bis.) pour rire.
Giaffar sort.
Scène X
KALED, KALED-OSMIN, introduit par l’esclave
KALED-OSMIN.
Seigneur...
KALED.
Approchez.
KALED-OSMΙΝ.
Je n’ose...
KALED, à part.
Le coquin était plus hardi, lorsqu’il m’offrait des coups de bâton.
KALED-OSMIN.
Daignez excuser la liberté que prend un de vos serviteurs...
KALED.
Ah ! vous êtes mon serviteur.
KALED-OSMIN.
Et votre parent, si vous permettez, seigneur ?
KALED.
Vous êtes mon parent !...
KALED-OSMIN.
J’ai cet honneur, et je crois en être digne par mon attachement à votre illustre personne.
KALED, à part.
Heim ! si je n’avais pas besoin de famille et d’argent, comme je te rendrais la pareille.
Haut.
Je vous demande pardon, mon parent, si je ne vous remets point ; mais comme voilà la première fois que j’entends parler de vous et de notre parenté...
KALED-OSMIN.
Seigneur, j’ai l’honneur d’être votre cousin.
KALED.
Ah ! vous êtes mon cousin !
À part.
C’est juste : le Calife ne m’a promis que des cousins.
KALED-OSMIN.
Je me nomme Osmin ; ma bisaïeule était une Kaled.
KALED.
Riche ! n’est-ce pas ?
KALED-OSMIN.
Oh ! oui, seigneur ! fort riche, immensément riche.
KALED.
Qui laissa combien d’enfants ?
KALED-OSMIN.
Deux filles... J’ai l’honneur de descendre en ligne directe de l’aînée.
KALED.
De celle qui a dépouillé l’autre.
KALED-OSMIN.
Comment dépouillé !...
KALED.
Oui, dépouillé ; votre grand’-mère a trouvé le secret de faire déshériter la mienne.
KALED-OSMIN.
Seigneur, je vous jure que je n’en savais rien.
KALED.
Vraiment.
KALED-OSMIN.
J’en suis désolé.
KALED.
Bah ! bah ! il n’ya pas de quoi.
KALED-OSMIN.
Je vous demande pardon, c’est une injustice criante.
KALED.
Vous trouvez...
KALED-OSMIN.
Un procédé affreux...
KALED.
J’aime à vous entendre parler ainsi. Je m’étais promis que lorsque l’occasion s’en présenterait, je ferais rendre gorge aux héritiers.
KALED-OSMIN.
Comment ?
KALED.
Et je suis charmé que vous soyez de mon avis.
KALED-OSMΙΝ.
Mais...
KALED.
J’aime beaucoup ma famille ; mon intention est de la protéger : je la protégerai... mais il faut qu’elle répare ses torts envers moi...
KALED-OSMIN.
Seigneur, que demandez-vous ?
KALED.
Air : Je serais moins inquiète.
Je demande le partage
Des biens de mon bisaïeul.
KALED-OSMIN.
Mais seigneur cet héritage.
KALED.
N’était pas pour vous tous seul,
La famille ne fait qu’une,
Partageons donc les sequins,
Ou gardez votre fortune,
Nous ne serons pas cousins.
KALED-OSMIN.
Qu’est-ce que c’est pour vous que trois mille sequins.
KALED.
Rien, oh ! absolument rien ; mais la justice est tout, et je ne veux pas qu’on reproche une injustice à ma famille.
KALED-OSMIN.
Cependant.
KALED.
Je tiens beaucoup à l’honneur de mes parents.
KALED-OSMIN.
C’est si peu de chose...
Scène XI
KALED, KALED-OSMIN, L’ESCLAVE
L’ESCLAVE.
Seigneur vizir... le grand Aaroun vous annonce qu’il vient de déposer le gouverneur du Khorassan.
KALED.
Ah ! ah ! voilà une belle place à donner.
KALED-OSMIN, à part.
Oh ! oh ! voici qui change la thèse... une place comme celle-là vaudrait mieux que les trois mille sequins.
L’ESCLAVE.
Il vous ordonne de lui présenter dans la journée un serviteur instruit et fidèle pour remplir cet emploi, et il vous engage à songer un peu à votre famille.
Il sort.
Scène ΧΙΙ
KALED, KALED-OSMIN
KALED, réfléchissant.
Voyons parmi mes parents...
KALED-OSMIN, l’arrêtant.
Seigneur, vous n’en avez pas de plus proche que moi.
KALED, s’éloignant.
Vous êtes mon parent à un degré bien bas ; d’ailleurs j’en trouverai de plus dociles.
KALED-OSMIN, l’arrêtant de nouveau.
Non, seigneur... personne ne m’enlèvera le plaisir de vous rendre les trois mille sequins dont ma grand-mère vous a privés.
KALED.
Je n’en veux point.
KALED-OSMIN.
Ah ! je vous forcerai bien de les prendre.
KALED.
Vous me forcerez de les prendre !
KALED-OSMIN.
Je vous prouverai que c’est ma branche qui a dépouillé la vôtre.
KALED.
En êtes-vous sûr ?
KALED-OSMIM.
Très sûr... et si sûr, que si vous refusez les trois mille sequins, je vous fais citer devant le cadi, pour les recevoir.
KALED.
Je ne veux point de sacrifice.
KALED-OSMIN.
De sacrifices !... En est-il qu’on ne doive faire pour réhabiliter la mémoire de ses parents, pour obtenir l’amitié d’un cousin, d’un vizir !... d’un vizir qui a tant de places à donner.
KALED.
Moi, je n’ai que des gouvernements.
KALED-OSMΙΝ.
Que des gouvernements !... Avec quelle grâce il dit cela mon cousin... Ne vous imaginez pas que l’ambition me tourmente... Ah ! mon cousin, pourvu que j’aie une petite place où il y ait beaucoup...
KALED.
De travail...
KALED-OSMΙΝ.
De revenus... Ce n’est pas que le travail m’épouvante, j’ai le meilleur secrétaire !... Par exemple le Khorassan est une forteresse charmante, une prison délicieuse.
KALED.
Oui, c’est une prison fort agréable.
KALED-OSMIN.
Je m’y plairais à la folie ; mais je m’amuse, et j’oublie vos trois mille sequins ; dans l’instant ils seront chez vous, mon cousin.
KALED.
Cela suffit, mon cousin.
KALED-OSMIN.
Puis-je compter sur mon cousin ?
KALED.
Beaucoup, mon cousin.
Air : de Marianne.
Si d’un nouvel éclat je brille,
Mon cousin, entre nous soit dit,
À faire briller ma famille
Je veux employer mon crédit ;
Tous mes parents
Sont sur les rangs
Pour obtenir des emplois différents ;
L’un est Cadi,
L’autre Muphti,
De celui-ci
Je fais un Bostangi.
KALED-OSMIN.
Daignez songer à moi, de grâce.
KALED.
Avant la fin du jour, parent,
Vous aurez un gouvernement,
Ou je perdrai ma place.
KALED-OSMIN, s’incline et sort.
Enfin me voilà reconnu et placé.
Scène XIII
KALED, seul
Un parent, et trois mille sequins ! Qu’il m’en vienne seulement une douzaine à ce prix-là, et dès demain j’épouse ma chère Agély... À propos d’Agély ! je suis curieux de voir comment elle apprendra ma nouvelle dignité... Esclave ? esclave ?
Scène XIV
KALED, L’ESCLAVE
KALED.
Cours vite chez Rustaff, cordonnier en face de la mosquée, et dis-lui que Kaled le prie... Non, que le vizir lui ordonne de se rendre auprès de lui ; qu’il m’apporte des babouches... Je veux un peu jouir de son embarras. Le coquin ne s’attendait pas qu’il aurait l’honneur de chausser le grand vizir.
L’ESCLAVE, sort et rentre.
Le seigneur Assan.
L’esclave sort.
KALED.
Que me veut-il ?
Scène XV
KALED, KALED-ASSAN
KALED-ASSAN.
Air : Mon cousin l’Allure.
Dans Bagdad, ce matin,
Cher cousin,
Chacun vous félicite :
Et dit qu’Aaroun enfin
Cher cousin,
Rend justice au mérite,
Mon cousin,
Moi, je viens rendre visite
À mon cousin ;
Je viens lui rendre visite.
KALED.
Ah ! nous sommes cousins !
KALED-ASSAN.
Cousins, et très cousins. Toute ma famille se compose de gens en place.
KALED.
Ah ! ah !
KALED-ASSAN.
Air : Vaudeville de l’Avare.
J’ai des parents grands dignitaires ;
Plus un cousin Reis Effendi,
Un autre Aga des janissaires,
Je suis allié du Muphti,
Et petit neveu du Cadi.
KALED.
Je vois que le hasard vous aime,
Et vous sert au gré de vos vœux.
KALED-ASSAN.
Vraiment, je ne ferais pas mieux
Quand je les choisirais moi-même.
KALED.
Je suis sûr que ce serait la même chose.
KALED-ASSAN.
C’est au point que dès que l’on entend nommer quelqu’un à une place importante, chacun dit : voilà encore un des parents de Kaled-Assan.
KALED.
Et il vous manquait peut-être un vizir ?
KALED-ASSAN, s’inclinant.
Il ne me manque plus rien... Vous ne croiriez pas que j’avais oublié que d’ordinaire on joint à mon nom d’Assan, celui de Kaled, qui me vient de mes ancêtres ; et ce n’est que ce matin que cela m’est revenu comme un coup de foudre.
KALED.
C’est fort aimable à vous de vous en être souvenu.
KALED-ASSAN.
J’ai une mémoire extrêmement heureuse pour me rappeler les choses au bon moment.
KALED.
En ce cas, vous devez vous souvenir du procès que nos grands-pères eurent ensemble ?
KALED-ASSAN.
Parfaitement.
KALED.
Vous vous rappelez que votre grand-père avait tort ?
KALED-ASSAN.
Certainement... mais je ne m’en souviendrais pas, qu’il suffit que mon cousin le grand vizir le dise, pour que j’en sois persuadé.
KALED.
Votre grand-père, qui était beaucoup plus riche que le mien, eût raison devant le Cadi.
KALED-ASSAN.
C’était la justice d’alors.
KALED.
Air des Dettes.
Par votre grand-père, le mien
Fut dépossédé de son bien.
KALED-ASSAN.
C’est ce qui me désole. (bis.)
KALED.
Je ferai, puisque vous voilà,
Reviser cette affaire-là,
Que cela vous console.
KALED-ASSAN.
Reviser !...
KALED.
Même air.
Votre grand-père eut du crédit
Le mien n’en eut pas, il perdit,
KALED-ASSAN.
C’est ce qui me désole.
KALED.
Vous êtes puissant, j’en conviens,
Mais près d’un Vizir ce n’est rien ;
Que cela vous console.
KALED-ASSAN.
Je vois que le cousin plaisante.
KALED.
Je ne ris jamais.
KALED-ASSAN.
Quoi, seigneur, vous voudriez plaider ?
KALED.
Est-ce qu’on plaide quand on est Vizir... on se fait rendre...
KALED-ASSAN.
Rendre... quoi donc ?
KALED.
Vous le savez mieux que moi.
KALED-ASSAN.
Je vous jure...
KALED.
Votre mémoire se trouverait en défaut pour une bagatelle.
KALED-ASSAN.
Je cherche à me rappeler...
KALED.
Cherchez... cherchez...
KALED-ASSAN.
Je me souviens d’une contestation.
KALED.
Vous en approchez.
KALED-ASSAN.
Relativement à une propriété de mes aïeux.
KALED.
Vous y voilà.
Air : Souvenez-vous en.
Quel fut l’objet du procès ?
KALED-ASSAN.
Une maison.
KALED.
Un palais !...
KALED-ASSAN.
Un palais !...
KALED.
Certainement.
Souvenez-vous en. (bis.)
Je ne leur ai, j’en répond,
Jamais connu de maison.
KALED-ASSAN.
Un palais !
KALED.
Comme vous dites. Ah ! vous avez une mémoire d’un bonheur... Et que valait mon palais ?
KALED-ASSAN.
Même air.
Quatre, ou cinq cents pièces d’or.
KALED.
Il valait le double encor.
KALED-ASSAN.
Le double !...
KALED.
Certainement.
Souvenez-vous en. (bis.)
De mes aïeux, le logis,
Cher cousin, était sans prix.
KALED-ASSAN.
Mille pièces d’or.
KALED.
Pas davantage : savez-vous que je vous fais bon marché de mon palais.
KALED-ASSAN.
Comment, seigneur, est-ce que vous exigeriez...
KALED.
Que vous le gardiez, oui, mon cousin.
KALED-ASSAN.
Ah !...
KALED.
Moyennant mille sequins que vous m’apporterez... en venant dîner avec moi.
KALED-ASSAN.
Dîner avec vous.
KALED.
Sans façon, avec l’Aga, le Cadi, le Muphti... en famille.
KALED-ASSAN.
Je suis confus.
KALED.
Ensuite je vous présenterai au Calife.
KALED-ASSAN.
Au Calife !
KALED.
Que j’instruirai de l’aventure des mille sequins.
KALED-ASSAN.
Des mille sequins.
KALED.
Et de là, nous irons prendre le sorbet avec la sultane favorite.
KALED-ASSAN.
Avec la sultane !
KALED.
Mes cousins sont faits pour aller partout.
KALED-ASSAN.
C’est trop d’honneur ; je ne sais comment vous présenter...
KALED.
Les mille sequins... sans façon, vous me désobligeriez d’en faire ; je yeux que vous soyez de la chasse prochaine.
KALED-ASSAN.
En vérité, seigneur, vous me comblez ; je vous prie d’agréer...
KALED.
Les mille sequins... je les accepte, à condition que la cour sera instruite de la noblesse de votre procédé...
KALED-ASSAN.
De la noblesse de mon procédé.
KALED.
Non, non, je veux que tout le monde vous honore, vous estime, vous considère comme mon parent !... Vous devez être content de moi.
Air : du Bouffe et le Tailleur.
À ma bonté rendez hommage ;
Vous ne payer pas, je le gage,
Moitié de valeur du procès,
Et j’en suis encor pour les frais.
KALED-ASSAN.
Ne pensez pas que je me plaigne.
KALED, à part.
Allons mon orgueilleux se saigne.
KALED-ASSAN.
Il faut acheter le plaisir,
D’être cousin d’un grand vizir.
KALED-ASSAN, à part.
Voilà un parent qui me coûte cher, ma famille me ruinera.
KALED.
Allez, et revenez vite... Nous ne dinerons pas sans vous.
Kaled-Assan sort.
Scène XVI
KALED, seul
Quatre mille sequins, et deux cousins, ça va bien.
Air : Tout çà pousse.
Sans fortune, sans parents,
Vêtu d’une souguenille,
Hier, aux yeux de bien des gens,
Je n’étais qu’un pauvre drille ;
La nuit passe, le jour brille,
Et voilà qu’en peu d’instants,
Sequins, honneurs et famille,
Tout ça pousse (bis.) en même temps.
Scène XVII
KALED, RUSTAFF, L’ESCLAVE
L’ESCLAVE.
Seigneur...
KALED, à part.
C’est Rustaff, comme il s’est fait beau... de la dignité.
À Rustaff.
Qui est là ?
RUSTAFF.
Seigneur, c’est Rustaff, cordonnier, pour vous servir et vous chausser, si j’en étais capable.
KALED.
On m’a beaucoup parlé de votre talent... Eh bien, que regardez-vous donc là ?
RUSTAFF.
C’est ma fille.
KALED.
Votre fille.
RUSTAFF.
Qui ne voulait pas quitter la boutique, et que j’ai forcé de me suivre pour qu’elle ne vit pas certain personnage qui me déplaît.
KALED, à part.
La précaution est bonne.
À Rustaff.
Et mes babouches.
RUSTAFF.
Seigneur...
Air : Vaudeville de Gilles en deuil.
C’est mon Agély qui les porte.
Vous en serez extasié :
Vous allez, dans ce qu’elle apporte,
Trouver chaussure à votre pié.
Scène XVIII
KALED, RUSTAFF, AGÉLY qui apporte plusieurs paires de babouches
AGÉLY.
Afin de remplir votre attente,
Seigneur, j’arrive dans ces lieux ;
Permettez que je vous présente,
Ce que mon père a fait de mieux.
Ensemble.
RUSTAFF.
Mes ouvrages sont faits de sorte
Que vous serez extasié,
Vous allez dans ce qu’elle apporte
Trouver chaussure à votre pié.
AGÉLY.
Tandis qu’ici je me transporte,
Pour me prouver son amitié,
Peut-être, hélas ! devant ma porte,
Mon pauvre Kaled rôde à pié.
KALED.
Rustaff, vous avez là une jolie fille, je suis sûr que sa figure vous donne beaucoup de talent... et de pratiques.
RUSTAFF.
Seigneur, vous avez bien de la bonté.
KALED.
Elle est fort bien, cet enfant-là, sa figure est charmante.
RUSTAFF.
C’est tout le portrait de sa mère.
KALED.
Je vois bien qu’elle ne vous ressemble pas.
RUSTAFF.
Avec çà, de l’esprit, de la vivacité, de l’instruction même.
KALED.
De l’instruction.
RUSTAFF.
Ô pour son âge elle sait beaucoup de choses.
KALED, à Agély.
Ah ! vous savez beaucoup de choses.
AGÉLY.
Air : Vaudeville d’Amour et Mystère.
Aux hommes seuls le ciel n’a pas
Prodigué toute la science,
Et pour les femmes ici bas
Réservé toute l’ignorance.
La finesse, le goût,
Et l’adresse surtout,
Furent le lot des femmes ;
Oh ! si les hommes savaient tout,
Que deviendraient les femmes.
KALED.
C’est à merveille.
RUSTAFF, à part.
Voilà une voix de vizir qui ne m’est pas inconnue.
AGÉLY, à part.
Ce que c’est que l’amour !... je crois l’entendre partout.
KALED, à part.
Me voilà entre deux feux !... occupons le papa.
À Rustaff.
Eh bien, Rustaff, vous oubliez l’objet de votre visite.
À un esclave.
Un siège.
À Rustaff.
À l’ouvrage.
Rustaff se place à genoux devant Kaled, le déchausse et lui essaye ses babouches. À Agély.
Approchez-vous, jeune fille.
À Rustaff.
Eh bien, Rustaff, quand marions-nous cet aimable enfant ?
RUSTAFF.
Oh ! seigneur, cela ne presse pas.
AGÉLY.
Cela vous plait à dire, mon père.
Air : Vive le rond.
Il est certain âge, entre nous...
Où fillette jeune et gentille,
Contre le nom de son époux
Troque le nom de sa famille ;
Contre un autre je voudrais bien
Pouvoir aussi troquer le mien.
RUSTAFF.
En ce cas-là, mademoiselle, acceptez le mari que je vous donne.
Examinant les vieilles babouches de Kaled, qu’il vient d’ôter.
Voilà de bien mauvaise marchandise.
KALED.
Ah ! votre père veut vous marier ?
AGÉLY.
Oui, seigneur.
Même air.
Mais loin de consulter mes goûts,
Mon père vient, dans sa colère,
De me choisir un vieil époux,
Dont le nom ne me séduit guère ;
Car ce n’est pas contre le sien
Que je voudrais troquer le mien.
RUSTAFF.
Vous n’en aurez pourtant jamais d’autres, j’en fais serment.
À Kaled.
Levez le pied, seigneur.
KALED, à Agély.
Ah ! nous avons un amant.
RUSTAFF.
Oui, seigneur, et un fort mauvais sujet encore.
Il le regarde et s’arrête.
C’est étonnant comme il lui ressemble.
AGÉLY.
Qu’est-ce que vous dites donc, mon père.
RUSTAFF.
Je dis, mademoiselle, que votre Kaled est un mauvais sujet, un paresseux, un libertin.
KALED.
Prenez donc garde, vous me blessez.
AGÉLY.
Eh ! bien, moi, je vous déclare devant le seigneur vizir, que je n’aurai jamais d’autre époux que lui.
RUSTAFF.
Ma fille...
Au vizir.
Cela vous ira à merveille, seigneur.
AGÉLY.
Et que rien au monde ne pourra empêcher ce mariage.
RUSTAFF, au vizir.
Vous pourrez vous flatter d’en avoir une bonne paire.
KALED, à Agély.
Vous aimez donc ce garçon-là ?
AGÉLY.
Si je l’aime ! je...
Elle le regarde.
Ah ! mon dieu, c’est tout son air, sa voix.
KALED.
Et vous, papa, vous lui en voulez beaucoup.
RUSTAFE, à Kaled.
Si je lui en veux, je le...
Il le regarde.
c’est tout son regard.
KALED, en riant à part.
Ils ne savent où ils en sont.
Air : Je suis colère et boudeuse.
AGÉLY.
Il a le don de me plaire,
Et d’intéresser mon cœur.
RUSTAFF.
Il a l’art de me déplaire,
Et de me mettre en fureur.
AGÉLY.
Sa bonté le rend aimable.
RUSTAFF.
Il a l’air d’un franc benêt.
AGÉLY.
Son visage est agréable.
RUSTAFF.
Moi je le trouve fort laid.
AGÉLY.
En regardant, je vous jure,
Vos traits et votre maintien,
Je crois revoir sa figure.
RUSTAFF.
Ah ! seigneur, n’en croyez rien.
AGÉLY.
C’est à peu près le même âge.
RUSTAFF.
Kaled est beaucoup plus vieux.
AGÉLY.
C’est à peu près son visage.
RUSTAFF.
Mais vous êtes beaucoup mieux.
AGÉLY.
Votre voix est aussi douce.
RUSTAFF.
Il crie à faire pitié.
AGÉLY.
Mais il est plus grand d’un pouce.
RUSTAFF.
Il est plus petit d’un pié.
KALED.
Chacun selon son caprice,
M’embellit on m’enlaidit :
À gauche on me rapetisse,
Mais à droite on me grandit.
RUSTAFF et AGÉLY.
Chacun selon son caprice,
L’embellit ou l’enlaidit,
Et quand l’un le rapetisse,
Du moins l’autre le grandit.
KALED.
C’est singulier ! j’ai pourtant été sur le point de me faire chausser par lui.
RUSTAFF.
Vous auriez été bien... C’est un homme qui n’est pas plus cordonnier que vous.
KALED.
Éloge de confrère.
RUSTAFF.
Qui n’a enfin ni qualités, ni fortune, ni parents.
L’ESCLAVE, à Kaled.
Seigneur, voilà votre famille.
Scène ΧΙΧ
KALED, RUSTAFF, AGÉLY, KALED-OSMIN, suivi d’esclaves portant des coffres
KALED-OSΜΙΝ.
Air de Golconde.
Je viens au nom de ma grand mère,
Au plus aimable des cousins,
Présenter trois mille sequins.
Bas à Kaled.
Vous me protègerez, j’espère,
Car vous voyez, par mes sequins,
Que je suis bien de vos cousins.
Kaled ordonne par un geste, aux esclaves, de porter les effets dans un cabinet à droite.
Scène XX
LES MÊMES, KALED-ASSAN, suivi d’esclave
KALED-ASSAN.
Même air.
Je viens au nom de mon grand-père,
Au plus généreux des cousins,
Apporter ces mille sequins,
Bas à Kaled.
Vous me protégerez, j’espère,
Car vous voyez, à mes sequins
Que je suis bien de vos cousins.
Kaled fait passer les esclaves dans un cabinet à gauche.
Scène ΧΧΙ
LES MÊMES, KALED-NADIR, KALED-AGAR et AUTRES PARENTS, suivis d’esclaves
CHŒUR DES PARENTS.
Guidés par l’amitié sincère,
Chargés de vœux et de présents
Voyez accourir vos parents.
Bas à Kaled.
Vous nous protègerez, j’espère,
Car vous voyez par nos présents,
Que nous sommes bien vos parents.
Les esclaves portent les présents dans les deux cabinets.
KALED.
Salut à ma famille entière,
Salut à messieurs nos parents,
Honneur surtout à leurs présents ;
Combien leur amitié m’est chère !
À leurs tendresse, à leurs sequins,
Je reconnais de vrais cousins.
RUSTAFF, à part.
Combien a-t-il donc de cousins ?
AGÉLY, à part.
Combien a-t-il donc de cousins ?
AGÉLY, soupirant.
Si Kaled avait seulement le quart de ces cousins là.
TOUS.
Mon cher parent.
KALED.
Mes chers parents, ne parlez pas tous ensemble.
À l’un d’eux.
Quel est votre nom ?
AGÉLY.
Il ne sait pas comment ses parents se nomment.
KALED-NADIR.
Seigneur, je suis votre cousin Kaled-Nadir.
AGÉLY et RUSTAFF, à part.
Kaled.
KALED-NADIR.
Médecin célèbre.
KALED.
Voilà la première fois que j’entends parler de vous.
KALED-NADIR.
C’est moi qui ai traité le Cadi.
KALED.
Mohamet ?
KALED-NADIR.
Non, celui qui est mort.
KALED.
Ah !
KALED-NADIR.
L’Aga des janissaires.
KALED.
Melrour ?
KALED-NADIR.
Non, son père.
KALED.
Ah !
KALED-NADIR.
Le grand Muphti.
KALED.
Qui a été nommé ce matin.
KALED-NADIR.
Non, celui qu’on a enterré hier.
KALED.
Je ne puis pas me remettre entre vos mains, car je ne suis jamais malade.
KALED-NADIR.
Laissez-moi faire, seigneur.
KALED.
Mais quand j’irai à l’armée je vous emmènerai avec moi.
KALED-NADIR.
Ah ! seigneur !...
KALED.
Et je vous ferai passer dans le camp ennemi.
À un autre.
Et vous, qui êtes-vous ?
KALED-AGAR.
Kaled-Agar, votre cousin.
AGÉLY et RUSTAFF, regardant Kaled qui se détourne.
Encore Kaled ! ah ! mon dieu !
KALED-AGAR.
Je vivais en philosophe, loin du monde et de la cour.
KALED.
Vous en avez promptement retrouvé le chemin.
KALED-AGAR.
Dès que j’ai appris que le Calife avait daigné jeter les yeux sur un de mes parents, pour être grand-vizir, je me suis décidé à venir vous offrir mes conseils.
KALED.
Vos conseils, et sur quoi ?
KALED-AGAR.
Sur le commerce, sur la guerre, sur les arts, sur les finances.
KALED.
Vous savez donc bien des choses ?
KALED-AGAR.
Tout, à peu près.
KALED, à part.
Je parie qu’il ne sait pas faire des babouches.
Haut.
Puisque vous savez faire tant de choses, vous devez être propre à instruire les autres ; je vous nomme précepteur de mes enfants.
AGÉLY.
De ses enfants, ah ! ce n’est pas lui.
KALED-AGAR.
Ah ! cher cousin, que de bontés.
KALED.
Je vous préviens seulement, qu’il faudra que vous attendiez un peu pour prendre possession de votre place.
KALED-AGAR.
J’attendrai tout le temps qu’il vous plaira.
KALED.
C’est que je suis garçon.
TOUS.
Garçon.
AGÉLY.
C’est lui, c’est lui.
TOUS LES COUSINS.
Air : Verse encor.
Ah ! seigneur, seigneur, seigneur, seigneur,
Ah ! que votre grandeur
Dispose de ma fille,
Ah ! seigneur, seigneur, seigneur, seigneur,
Daignez à ma famille
Accorder cet honneur.
KALED-OSMIN.
Ma fille à quinze ans,
Teint de rose et d’albâtre,
Des attraits piquants,
Des yeux vifs et persans.
KALED-AGAR.
Seigneur j’en ai trois.
KALED-ASSAN.
Moi seigneur j’en ai quatre,
Qui toutes je crois
Méritent votre choix.
TOUS.
Ah ! seigneur, etc.
TOUS LES PARENTS.
Nous courons vous chercher celle qui doit fixer vos regards.
KALED.
Ce n’est pas la peine, mon choix est fait.
Montrant Agély.
Et voilà celle que j’épouse.
RUSTAFF.
Ma fille !
KALED.
Agély.
AGÉLY.
Quoi seigneur ! c’est toi.
KALED.
Eh ! oui, c’est moi... c’est ce mauvais sujet, ce paresseux...
RUSTAFF.
Ah ! seigneur, que vous êtes changé depuis que vous êtes vizir.
KALED-ASSAN.
Notre cousin aurait bien dû choisir une autre femme.
KALED-OSMIN.
Taisez-vous donc.
KALED-AGAR.
Le seigneur a raison, en épousant une jeune et jolie femme, il est toujours sûr d’avoir des enfants.
KALED.
Dont vous ferez l’éducation
À Kaled-Osmin.
N’est-ce pas, gouverneur du Khorassan.
KALED-OSMIN.
Oui, magnifique seigneur.
KALED, à Kaled-Assan.
Qu’en dit mon cousin, Assan.
KALED-ASSAN.
Peut-on désapprouver ce que fait mon illustre parent.
KALED.
À moins que Rustaff ne s’y oppose.
RUSTAFF.
Qu’est-ce que tu dis... Qu’est-ce que vous dites donc, seigneur.
CHŒUR.
Air : Ah ! quel plaisir ! ah ! quel bonheur. (Des petits Savoyards.)
Ah ! quel bonheur ! ah ! quel plaisir
En ce lieu nous rassemble,
Nous allons tous ensemble
Danser aux noces du vizir.
Scène XXII
LES MÊMES, UN ESCLAVE
L’ESCLAVE.
De la part du calife Aaroun.
Il remet le firmant à Kaled.
KALED-ASSAN.
Quelque nouvelle grâce que sa hautesse répand sur notre cousin.
KALED-OSMIN.
Quelques nouvelles dignités qu’on lui confie.
KALED-ASSAN.
Les bienfaits pleuvent sur lui.
KALED à Kaled-Agar.
Mon cousin, le Savant, vous qui savez tant de choses, sauriez-vous lire ?
Il lui donne le firmant.
KALED-ASSAN.
C’est pour épargner sa modestie.
KALED-AGAR, lit.
« Nous, commandeur des Croyants,
Tous s’inclinent.
il nous a plu ce matin de disgracier Giaffar, et de nommer Kaled notre premier vizir.
KALED-ASSAN.
C’est la plus belle action de son règne.
KALED-AGAR, continuant.
« Il nous plaît ce soir de rappeler Giaffar. »
KALED-OSMIN.
Pas possible.
Il prend le firmant.
Çà y est bien.
Il lit.
De rappeler Giaffar et de disgracier Kaled. »
KALED-ASSAN.
Qu’est-ce que vous dites donc ?
Il prend le firmant.
TOUS.
Disgracié !
KALED, à part.
Le calife est bien pressé.
KALED-ASSAN.
C’est écrit.
Il lit.
« De disgracier Kaled et toute sa famille. »
TOUS.
Sa famille !
KALED, à part.
Nous y voilà.
CHŒUR.
Hélas ! hélas ! hélas ! quel malheur nous menace
Cruel effet ! affreux destin,
Ne pouvait-il de sa disgrâce,
Exempter au moins les cousins.
Ils vont pour sortir, Kaled-Osmin les arrête.
KALED-OSMIN.
Doucement ! doucement ! il me semble qu’aujourd’hui nous agissons avec une précipitation qui n’a pas le sens commun : le vizir est disgracié, c’est son affaire ; mais ne nous sommes-nous pas un peu pressés de devenir ses parents.
KALED-ASSAN.
Osmin a raison, est-il bien sûr que nous soyons de sa famille ?
RUSTAFF.
Comment ! est-ce que vous reniez votre cousin ?
KALED-OSMIN.
Cousin, çà n’est pas prouvé.
KALED-ASSAN.
Certainement cela n’est pas prouvé ; dans la joie on ne réfléchit pas, mais dans le malheur c’est différent ; il y a des Kaled !... des milliers de Kaled, qui ne se sont rien les uns aux autres... D’abord d’où êtes vous ?
KALED.
Ma foi, seigneur, je n’en sais rien.
KALED-ASSAN.
Et moi, je suis de Bassora : voilà déjà une différence.
KALED-OSMIN.
Comment s’écrit votre nom ?
KALED.
On l’écrit : K A L.
KALED-OSMIN.
Et moi, K H. Allons, allons, nous nous sommes trop pressés.
TOUS.
Oui, nous nous sommes trop pressés.
KALED-OSMΙΝ.
Il n’y a pas plus de parenté entre vous et nous, qu’entre nous et le grand Turc.
TOUS.
Non, non, il n’y a pas de parenté entre nous.
KALED, à Assan.
Hé bien, cousin !... cela nous empêchera pas de dîner ensemble.
TOUS.
Air : Bon soir, la compagnie.
Notre défunt cousin,
C’est vous seul que l’on disgracie ;
Amis, plus de chagrin,
Et bénissons notre destin.
KALED.
Je n’ai pas pour longtemps
Retrouvé mes parents.
Ma famille est finie.
Ils vont pour saluer en se retirant.
KALED-ASSAN.
Point de cérémonie.
TOUS.
Bonsoir jusqu’au revoir,
Jusqu’au revoir, bonsoir.
Ils sortent.
Scène XXIII
LES MÊMES, LE CALIFE, GIAFFAR
LE CALIFE.
Hé bien ! que signifie tout ce bruit ?
TOUS.
C’est le calife.
LE CALIFE.
Où allez-vous ? Que voulez-vous ? Qui êtes-vous ?
KALED.
Ma foi, seigneur, je crois qu’ils n’en savent plus rien.
LE CALIFE.
Comment ?
AGÉLY.
Tout à l’heure ils étaient des parents du vizir.
LE CALIFE.
Hé bien ?
AGÉLY.
Et maintenant ils renient Kaled.
KALED.
C’est la vérité : le grand vizir avait des cousins à revendre, et Kaled se retrouve sans famille.
LE CALIFE.
Serait-il vrai ?
KALED-OSMIN.
Une maudite ressemblance de nom...
LE CALIFE.
Paix... je sais tout : Kaled avec raison s’est cru votre parent ; pauvre, vous l’avez méconnu ; puissant, vous l’avez recherché ; disgracié, vous l’abandonnez : cette conduite est affreuse.
KALED-ASSAN.
Affreuse, affreuse, qu’il en trouve beaucoup qui agissent autrement.
KALED-OSMIN.
Je n’ai jamais eu de parents disgraciés.
LE CALIFE.
Air : Il n’est pas temps de nous quitter.
Rempli d’honneur, de probité,
Plein de zèle et d’intelligence,
Kaled vous eut, en vérité,
Fait honneur par son alliance.
Je vois d’ailleurs, à l’embarras
Qui dans votre conduite brille,
Qu’un honnête homme ne doit pas
Être de trop dans la famille.
RUSTAFF.
Cela en aurait toujours fait un.
LE CALIFE.
Et comme la franchise et l’honneur sont des qualités qu’un souverain doit honorer partout où il les rencontre, je rends mes bontés à Kaled, et je vous chasse.
KALED.
Il ne m’en restera pas un seul.
LE CALIFE.
Que t’importe ?
Air : Le soir après pénible ouvrage.
Tu les tenais de la fortune,
L’infortune te les reprend ;
Mais d’une chose aussi commune,
Tu t’affligerais vainement.
Oiseaux, parents nous sont fidèles
Tant qu’on voit briller le beau temps ;
L’hiver fait fuir les hirondelles,
Le malheur chasse les parents.
RUSTAFF.
Tout cela est bel et bon, mais te voilà sans parents.
KALED.
Vous y tenez donc beaucoup. Hé bien, consolez-vous, j’en ai d’autres.
RUSTAFF.
En vérité.
KALED, aux esclaves.
Qu’on apporte mes parents.
RUSTAFF.
Comment, qu’on les apporte !
KALED.
Sans doute ; ceux-là ne marchent pas, mais ils en font courir bien d’autres.
Les esclaves apportent les caisses des cousins.
Tenez les voilà.
RUSTAFF.
Je ne vois que des caisses.
KALED.
Ouvrez.
RUSTAFF, ouvrant.
Je ne vois que de l’or, des bijoux.
KALED.
Voilà les véritables parents qui jamais ne nous abandonnent... je les dois à la bonté du seigneur Calife.
AAROUN.
C’est une restitution que tu dois à ton adresse. Kaled, je t’avais fait vizir, je te nomme cordonnier de la cour.
KALED.
Ah ! seigneur, je tombe à vos pieds.
À Giaffar.
Je vais vous remettre vos habits ; il est juste que je vous rende tout ce qui appartient à la place... J’espère qu’on n’aura pas eu le temps de se plaindre de moi.
GIAFFAR.
Cela ne t’empêchera pas d’entendre chanter demain, et de Kaled périsse la mémoire.
Vaudeville.
Air des Habitants des Landes.
Qu’en ces lieux un vizir brille
Au nombre des favoris,
Chacun est de sa famille,
Chacun est de ses amis.
On voudrait passer sa vie
Avec ce grand homme-là !...
Et voilà (bis.)
Sa famille qui s’en va.
LE CALIFE.
La raison et la sagesse
Peuvent défendre un tendron
Des embûches que lui dresse
Un ridicule barbon.
Mais qu’un jeune et joyeux drille,
Aussi franc que celui-là,
Attaque une jeune fille,
La raison délogera...
Et voilà (bis.)
La sagesse qui s’en va.
KALED.
Qu’un vieux derviche m’invite
À quelques joyeux festins,
C’est un homme de mérite
Tant que ses flacons sont pleins.
Ce qu’il dit est admirable !...
Mais lorsque, par-ci, par-là,
Je vois partir de sa table
Le Chypre et le Malaga...
Ah ! voilà (bis.)
Tout son esprit qui s’en va.
AGÉLY.
À chaque pièce nouvelle
Que nous jouons devant vous,
Nous craignons d’abord pour elle,
Et puis nous craignons pour nous.
De cette crainte fatale
Qui donc nous délivrera ?
Il ne faut dans cette salle
Que ce petit geste-là...
Et voilà (bis.)
Notre crainte qui s’en va.