Les Oiseaux d’Idalie (BIZET - Hector CHAUSSIER)

Folie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de Louvois, le 21 août 1798.

 

Personnages

 

ADMIRANT, père de Louise

LOUISE

VICTOR, amant de Louise

SATIRIN, oncle de Louise

SUBTIL, rival de Victor

 

La Scène se passe dans la maison d’Admirant. 

 

Le Théâtre représente un jardin. Dans le fond, un mur avec une porte ; à droite, une maison.

 

 

Scène première

 

VICTOR, ADMIRANT, sortant de la maison

 

ADMIRANT, en colère.

Air : On compterait les diamants.

Vous osez fronder à mes yeux
Une aussi belle expérience !
Maintenant je vous connais mieux :
Donc entre nous plus d’alliance,
Oui, vous vous êtes dévoilé ;
Et grâce à votre étourderie,
Votre bonheur s’est envolé
Avec les oiseaux d’Idalie.

VICTOR.

Eh ! c’est mettre mon bonheur à bas.

ADMIRANT.

Point de mauvaises plaisanteries.

VICTOR.

Je ne plaisante nullement. Croyez-vous que je puisse en avoir l’envie, quand vous prétendez rompre mon hymen avec Louise pour une bagatelle ?

ADMIRANT.

Une bagatelle, dites-vous ?

VICTOR.

Sans doute ; convenez-en de bonne foi.

Air : Au coin du feu.

Quel est en cette passe
L’auteur de ma disgrâce ?
Un cerf-volant. Pour être votre gendre,
Devais-je donc attendre
Un coup de vent ?...
(ter.)

ADMIRANT.

Si le vent n’est pas pour vous... c’est votre faute. Je vous observais pendant le cours de l’expérience : il me semble vous voir encore.

Même Air.

Du vent faisant usage,
Mais loin qu’il encourage,
L’oiseau volant
En sifflets il murmure...
C’est de notre rupture
Le coup de vent.
(ter.)

VICTOR.

J’espère que vous oublierez cette petite espièglerie, et que nous serons aussi bons amis qu’auparavant.

ADMIRANT.

Non, ma résolution est invariable : vous n’épouserez point ma fille ; et dès cet instant, je vous prie de cesser vos visites.

VICTOR.

Quoi ! sérieusement ?

ADMIRANT.

Oui, si vous ne voulez pas qu’on vous refuse la porte.

VICTOR.

Je me retire : mais ne croyez pas qu’un aussi faible obstacle puisse arrêter un homme passionné... Ah ! quand on aime bien...

Air : De la Croisée.

Bravant le fougueux aquilon,
Et soutenu par sa tendresse,
On peut, sans oiseau ni ballon,
Voler auprès de sa maîtresse.
Oui, l’amant payé de retour
Qui trouve la porte fermée,
Avec les ailes de l’Amour,
Entre par la croisée.

Il sort.

 

 

Scène ΙI

 

ADMIRANT, seul

 

Oh ! très décidément, je ne donnerai point ma fille à un détracteur des arts. L’expérience qu’il blâme n’a peut-être pas eu tout le succès qu’on devait attendre ; mais c’est le premier pas du génie. C’est le premier pas... Il faut l’encourager. N’a-t-on pas vu tous les arts commencer ainsi ?

Air : Ce fut par la faute du sort.

Entre une lumière et le mur,
Le hasard place une maîtresse.
L’amant voit son profil obscur,
Il le saisit avec ivresse.
En suivant l’ombre il forme un trait,
De sa belle c’est la figure.
Eh bien, c’est ce trait imparfait
À qui nous devons la peinture.
(bis.)

 

 

Scène III

 

ADMIRANT, SUBTIL

 

SUBTIL.

Bonjour, Citoyen.

ADMIRANT.

Ah ! c’est vous, mon cher Subtil.

SUBTIL.

Moi-même. Je viens réclamer la promesse que vous m’avez fait hier soir.

ADMIRANT.

Je suis prêt à vous la tenir, et même j’ai déjà congédié votre rival.

SUBTIL.

Et moi j’ai prévenu mon cher père, Savez-vous ce qu’il m’a répondu ?

ADMIRANT.

Je n’ai pas le talent de deviner.

SUBTIL.

Eh bien, je vais vous le conter mot à mot.

ADMIRANT.

Parlez, je vous écoute.

SUBTIL.

Vous entendez bien que c’est mon père qui parle, et voici ce qu’il dit.

Air : Monseigneur d’Orléans.

Mon cher, cette union
Fait mon ambition.
Recevez mon autorisation ;
Mais faites bien attention,
Surtout de la réflexion,
Mon fils, point de distraction,
Ni de précipitation.
Avez-vous, dans cette occasion
Fait votre déclaration ?
Avec effusion,
Mais circonspection,
Déclarez votre passion ?
Malgré l’émotion
Et la confusion,
On cède à la tentation ;
Vient la capitulation.
Moi, chez le père en question,
Faisant la conversation,
J’obtiens sa décision,
Sans nulle opposition.
Une telle inclination
Reçoit notre approbation,
Dans huit jours, sans addition,
Et telle est mon intention,
On nous verra, j’en suis caution,
Fêter la célébration.

Voilà ce que m’a dit mon cher père.

ADMIRANT.

Je l’approuve très fort ; et quand il voudra, nous conclurons cette affaire. Vous n’avez pas la fortune de Victor, mais au moins vous aimez les arts.

SUBTIL.

Ah ! sans doute, Si les oiseaux... je n’en dis pas davantage : vous savez comme j’applaudissais... ainsi ce n’est pas ma faute.

ADMIRANT.

Ni celle du physicien : il n’était pas maître du vent.

SUBTIL.

C’est ce que je criais à tue-tête. Cependant, papa Admirant, convenez que ces oiseaux ne valent pas des ballons.

ADMIRANT.

L’un et l’autre sont superbes.

SUBTIL.

Oui, tous les deux sont beaux ; mais on peut faire encore mieux.

ADMIRANT.

C’est ce que je disais.

SUBTIL.

J’ai un projet : vous verrez cela.

ADMIRANT.

Vous auriez fait quelque découverte ?

SUBTIL.

Pas absolument ; mais j’ai une idée ; oh ! une idée...

Air : Fidèle époux, franc militaire.

L’un s’enlève avec sa compagne,
Et ne s’en acquitte pas mal ;
Un autre veut, cette campagne,
S’envoler avec son cheval.
Tout cela n’est qu’une misère.
Je veux, par des moyens nouveaux,
Voler devant la France entière
Dans un carrosse à six chevaux.

ADMIRANT.

Une pareille expérience vous fera faire fortune.

SUBTIL.

En poste, papa, en poste. Mais à propos de fortune, il faut que vous m’en procuriez une bonne, en me permettant de déclarer ma tendresse à votre aimable fille.

ADMIRANT.

J’y consens volontiers.

Il appelle.

Louise ! Louise ! Je vais lui annoncer mes intentions ; ensuite je vous laisserai seul avec elle.

SUBTIL.

Beau-père, voilà qui est charmant de votre part : c’est un beau procédé.

 

 

Scène IV

 

ADMIRANT, SUBTIL, LOUISE

 

LOUISE.

Vous m’avez appelé, mon père ?

ADMIRANT.

Oui, ma chère amie : je te fais venir pour t’apprendre que voilà celui que j’ai choisi pour ton époux.

LOUISE.

Quoi ! mon père...

ADMIRANT.

Je sais que tu vas me parler de Victor ; mais tu ne dois plus y songer. Sa conduite au Jardin d’Idalie me prouve qu’il n’est pas digne de toi.

SUBTIL.

Sans doute : un homme ennemi de l’art ne peut pas aimer sa femme.

LOUISE.

Ce que vous dites m’étonne infiniment.

SUBTIL.

C’est pourtant vrai : n’est-ce pas, beau-père ?

Air : Un ancien proverbe nous dit,

Au sein d’un cercle de houris,
On porte des yeux éblouis,
On voit mainte femme charmante.
Air, beauté, regard, tout enchante.

Eh bien ?

La beauté, l’air et le regard,
Sont tous trois l’ouvrage de l’art.

LOUISE.

Air : Femmes, voulez-vous éprouver.

Je sais que l’on voit par hasard
La toilette donner des charmes.
Ces attraits sont enfants de l’art,
Et pourtant on leur rend les armes.
S’ils captivent quelques instants,
Grâce au pouvoir de la parure.
Jugez combien ils sont puissants
Quand on les doit à la nature.
(bis.)

SUBTIL.

Voilà justement ce que je voulais dire.

ADMIRANT.

Votre intention pouvait être bonne, mais vous n’avez pas réussi...

SUBTIL.

C’est possible. Quand on aime, comme j’aime votre charmante fille, l’amour fait que les idées... Tenez, beau-père, vous me gênez : vous savez ce que vous m’avez promis.

ADMIRANT.

J’entends : je me retire.

SUBTIL.

C’est cela, beau-père.

ADMIRANT.

Restez, ma fille, je vous l’ordonne.

LOUISE.

Mais, mon père...

ADMIRANT.

C’est votre futur époux : restez...

 

 

Scène V

 

SUBTIL, LOUISE

 

SUBTIL.

Nous sommes convenus nous deux le papa, qu’il nous laisserait seuls, parce qu’en amour, un père... L’âge en impose... Enfin, vous m’entendez bien.

LOUISE.

Nullement.

SUBTIL.

C’est étonnant ! mais c’est égal, venons au fait.

LOUISE.

Que voulez-vous ?

SUBTIL.

Un peu de retour de votre part. Ah ! charmante Louise, vous me mettez en feu !

Air : Je suis heureux en tout, Mademoiselle.

Je suis pour vous comme une salamandre,
L’amour le plus tendre
Va me réduire en cendre
Par sa vive ardeur.
De vos appas le grand éclat me grille,
Trop aimable fille,
Dont l’esprit pétille,
Faites mon bonheur.
Ce cœur bat-il à mon nom ?

LOUISE.

Non.

SUBTIL.

Pas la moindre émotion ?

LOUISE.

Non.

SUBTIL.

C’est Victor, hélas ! c’est lui.

LOUISE.

Oui.

SUBTIL.

Qui vous captive aujourd’hui. (bis.)

LOUISE.

Oui. (bis.)

SUBTIL.

Je suis pourtant comme une salamandre.
L’amour le plus tendre
Va me réduire en cendre
Par sa vive ardeur.
De vos appas le grand éclat me grille.
Trop aimable fille,
Dont l’esprit pétille,
Faites mon bonheur.

LOUISE.

J’en suis fâchée, mais je ne puis vous aimer.

SUBTIL.

Pas possible : c’est pour badiner.

LOUISE.

Non, je parle sérieusement.

SUBTIL.

C’est incroyable, ma parole...

 

 

Scène VI

 

SUBTIL, LOUISE, ADMIRANT à la fenêtre

 

ADMIRANT.

C’est fort bien de laisser un peu de liberté aux amoureux ; mais il est toujours prudent de les surveiller.

SUBTIL.

Comment, charmante Louise, votre cœur ressent pour moi...

LOUISE.

Une parfaite indifférence.

SUBTIL.

Oh ! l’amour viendra quand vous me connaîtrez bien.

LOUISE.

Je ne crois pas.

SUBTIL.

J’en suis sûr, et je m’en réjouis d’avance.

ADMIRANT.

Ils paraissent d’assez bon accord : tant mieux.

SUBTIL.

Je vous devine, vous n’osez pas me déclarer vos véritables sentiments.

LOUISE.

Je suis trop franche pour vous les cacher.

ADMIRANT.

Bon ! cela va bien.

SUBTIL.

Je vois que vous m’aimez plus que vous ne le dites.

LOUISE.

Jugez-en vous-même.

SUBTIL, à part.

Ah ! nous y voici.

Air : Pourriez-vous bien douter encore.

Dites-moi si l’amour consiste
Dans l’effet que me font vos feux ?
Auprès de vous mon cœur s’attriste,
Et loin de vous il est joyeux.
Je ressens une peine extrême
Lorsque vous restez tout le jour.
Ah ! si c’est ainsi que l’on aime
Pour vous je ressens de l’amour.
(bis.)

SUBTIL.

Ce que vous dites-là n’est pas clair. La pudeur combat l’amour, et la modestie donne une certaine manière à vos sentiments qui fait que... Enfin, je crois que vous m’aimez sans le savoir.

LOUISE.

Je vous promets que je ne m’en doute pas.

SUBTIL.

Oh ! quelle charmante naïveté !... Cela seul montre que vous êtes la fille de la nature.

ADMIRANT.

Subtil me semble bien content. Sans doute, ma fille répond à son amour.

 

 

Scène VII

 

SUBTIL, LOUISE, ADMIRANT, SATIRIN, VICTOR entrent par la porte du jardin

 

SUBTIL.

Voilà votre ex-prétendu qui vient avec son oncle : mon honneur exige que vous vous retiriez.

LOUISE.

Mon père m’a dit de rester ici.

SUBTIL.

Sans doute, il est, comme de coutume, à faire la lecture dans le petit bosquet. Je vais le chercher pour lever la consigne.

Il s’enfonce dans le jardin.

 

 

Scène VIII

 

SATIRIN, VICTOR, LOUISE, ADMIRANT

 

SATIRIN.

Bonjour, aimable Louise.

LOUISE.

J’ai bien l’honneur de vous saluer.

VICTOR.

Vous savez, ma bien-aimée, le malheur dont nous sommes menacés ?

LOUISE.

Hélas ! vous m’en voyez bien affligée.

ADMIRANT, à part.

Ne laissons pas ma fille avec ce Victor, et sachons ce qu’il vient encore chercher ici.

 

 

Scène IX

 

SATIRIN, VICTOR, LOUISE

 

SATIRIN.

Rassurez-vous, mes chers enfants, je ne souffrirai pas qu’Admirant vous rende malheureux.

LOUISE.

Vous ignorez, sans doute, que mon père a déjà fait choix d’un autre gendre ?

VICTOR.

D’un autre gendre !

LOUISE.

Hélas ! il vient de me présenter Subtil comme mon futur époux

VICTOR.

Subtil !

SATIRIN.

Oh ! de nom, et c’est tout.

 

 

Scène X

 

SATIRIN, VICTOR, LOUISE, ADMIRANT

 

ADMIRANT.

Louise ! rentrez...

SATIRIN.

Bonjour, mon cher voisin.

ADMIRANT.

Votre serviteur, Citoyen Satirin.

À sa fille.

Eh bien ! rentrez donc.

LOUISE.

Oui, mon père.

 

 

Scène XI

 

SATIRIN, ADMIRANT, VICTOR

 

SATIRIN.

Eh bien ! voisin, mon neveu vient de m’apprendre que vous vouliez faire une folie ?

ADMIRANT.

Une folie ! dites-vous ?

SATIRIN.

Sans contredit. Vous rompez l’hymen que nous avions arrêté, pour donner Louise à Subtil. Que vous a donc fait Victor ?

ADMIRANT.

Ce qu’il m’a fait ! vous me le demandez ?

VICTOR.

Mon oncle, je vais vous l’apprendre. Vous savez l’expérience des oiseaux mécaniques annoncée au Jardin d’Idalie ?

SATIRIN.

J’entends ; tu t’es fié à une affiche pompeuse, et tu y est allé ? Première sottise. Continue.

VICTOR.

Air : À Paris et loin de sa mère.

Trompé, j’accours d’un pas alerte,
On en levait trois cerfs-volants.
Je crois voir une découverte,
Je ne vois que des jeux d’enfants,
Aussitôt sur l’expérience
hasarde un petit couplet.
Ah ! mon cher oncle, en conscience,
Dites, dites-moi n’ai-je pas bien fait, pas bien fait,
N’ai-je pas bien fait , n’ai-je pas bien fait.

SATIRIN.

Tu as bien fait, si le couplet est bon.

VICTOR.

Mon oncle, il est de circonstance.

SATIRIN.

C’est-à-dire mauvais ; seconde sottise. N’importe, dis-nous-le.

ADMIRANT.

Comment vous voulez qu’il répète une plaisanterie aussi déplacée ?

SATIRIN.

Je ne connais pas ce couplet... Allons, chante.

VICTOR.

Chacun s’impatientait.

SATIRIN.

C’est l’habitude.

VICTOR.

Moi naturellement gai, je m’écriai :

Air : Ah ! le bel oiseau, maman.

Ah ! le bel oiseau vraiment,
Comme dans l’air il s’élance !
Ah ! le bel oiseau vraiment,
On en a pour son argent.
S’il monte un peu lentement,
Nous voyons, en récompense,
Qu’il descend très lestement ;
L’un par l’autre se compense.
Ah ! le bel oiseau,
etc.

SATIRIN.

Comme tu disais, c’est un couplet de circonstance. Voilà donc, voisin, le crime de Victor.

ADMIRANT.

N’est-il pas affreux de s’amuser à dénigrer une expérience intéressante ?

SATIRIN.

Intéressante pour les entrepreneurs.

ADMIRANT.

Et pour les arts.

SATIRIN.

Cela peut être ; mais le public a été trompé dans son espoir. Franchement, pour satisfaire sa curiosité toujours avide de choses extraordinaires...

Air : Regards vifs et jolis maintiens.

Le postillon d’un cerf-volant
Était-il digue de paraître ?

ADMIRANT.

Mais cet essai n’est qu’un enfant
Que l’œil du public a vu naître.

SATIRIN.

Mon cher voisin, écoutez-moi ;
Cette excuse est par trop frivole.
Puisque c’est un enfant, ma foi,
Le public a bien fait, je crois,
De le renvoyer
(bis) à l’école. (bis.)

ADMIRANT.

Cet essai qui paraît borné,
Serait de très grande importance,
S’il était perfectionné
Par le temps et l’expérience.
Des savants, un jour, je le crois,
L’oiseau volant sera l’idole.

SATIRIN.

Il est possible ; mais, ma foi,
Était-ce à vous, était-ce à moi,
À payer les frais
(bis) de l’école ? (bis.)

Allons, mon voisin, je vois que Victor n’a pas fait une grande faute, en s’amusant un peu aux dépens des oiseaux d’Idalie.

ADMIRANT.

Ce n’est pas la première fois que semblable chose lui arrive : chaque jour je l’entends critiquer tout ce que l’on invente pour amuser le public.

VICTOR.

Pouvez-vous me faire un tel reproche, à moi qui suis un admirateur zélé de tous les lieux de plaisirs que l’on trouve dans Paris et ses environs ! Voyez avec quelle ardeur je les parcours !

Air : C’est un bagatelle.

D’abord j’entre à Frascati,
Puis je cours à Tivoli.
L’Élysée est ma folie ;
J’y vis. Sortant d’Idalie,
Avec deux excellents chevaux
Je fais le tour de Mousseaux :
De-là je vais, d’une course nouvelle,
Droit à Bagatelle.
Mais Saint-Cloud m’appelle :
Je vois crever son ballon,
Et je couche à Trianon.

Cette conduite n’est pas celle d’un ennemi de ces établissements.

ADMIRANT.

Vous ne pouvez en jouir en voltigeant ainsi.

SATIRIN.

Il ne se peut fixer dans aucun, parce qu’il y cherche le plaisir, et qu’il n’y trouve qu’une froide dissipation. Mais laissons tout cela, et terminons enfin ce mariage projeté depuis longtemps.

ADMIRANT.

Cela ne se peut.

SATIRIN.

Songez que vous m’avez promis que nous ne ferions plus qu’une famille, et même qu’une maison ; car nous étions convenus d’ouvrir une porte de communication dans cet endroit.

Air : Voilà, mon cousin, l’allure.

Ce grand mur mitoyen,
Mon voisin,
Borne notre héritage.
Je connais votre bien,
Mon voisin ;
Pour Victor je m’engage,
Mon voisin,
À donner la moitié du mien,
Mon voisin,
En faveur du mariage.

ADMIRANT.

Je sais que votre neveu sera très riche ; mais tout cela ne me tente pas, et je vais donner ma fille à Subtil.

 

 

Scène ΧΙΙ

 

SATIRIN, ADMIRANT, VICTOR, SUBTIL

 

SUBTIL.

Qui est-ce qui m’appelle ? Eh ! c’est vous, beau-, père ; je vous cherche de tout côté pour vous dire que ma future... Mais elle n’y est plus... C’est bon, je vois que vous avez changé la consigne.

ADMIRANT.

Que voulez-vous dire ?

SUBTIL.

Suffit, je m’entends.

SATIRIN.

En êtes-vous bien sûr ?

SUBTIL.

Des épigrammes ! Laissez donc, Citoyen. La critique est difficile, et l’art... Non, ce n’est pas cela, je me trompe ; je mets la charrue devant les ânes.

SATIRIN.

Voilà donc celui que vous destinez à votre fille ?

ADMIRANT.

Lui-même.

VICTOR.

Je lui fais mon compliment.

SUBTIL.

À propos de votre fille, beau-père, il vient de me venir une idée bien galante. Je veux lui donner un petit feu d’artifice en l’air.

ADMIRANT.

Un feu d’artifice !

SUBTIL.

Vous sentez l’effet que cela produira. Un feu en l’air ! C’est un bon moyen pour éblouir son monde.

Air : Philis demande son portrait.

Oui, je vais briller en ces lieux :
On m’y rendra justice.
Pour jeter de la poudre aux yeux,
Vive un feu d’artifice !
Le mien aura, j’en suis certain,
De l’éclat dans le monde.
Je veux éclairer ce jardin
À trois lieues à la ronde.

SATIRIN.

Prenez garde à la chute de Phaéton.

SUBTIL.

Il n’y a pas de Phaéton là-dedans : c’est un oiseau mécanique qui me servira pour mon artifice.

SATIRIN.

Vous ne serez pas le premier.

ADMIRANT.

Quoi ! mon cher Subtil, vous auriez le projet de faire usage de cette invention ?

SUBTIL.

Oui, beau-père, et dès ce soir.

VICTOR, à part.

Le sot !

ADMIRANT.

Voilà qui me prouve que vous êtes vraiment ami des arts.

SUBTIL.

Je m’en vais chez Séjan, au jardin Égalité, acheter un cerf-volant, et vous verrez... Sans adieu, beau-père.

Il sort.

 

 

Scène XIII

 

SATIRIN, ADMIRANT, VICTOR

 

SATIRIN.

Mais, voisin, comment pouvez-vous préférer cet imbécile à mon neveu ?

ADMIRANT.

Il n’est pas si imbécile que vous le croyez.

SATIRIN.

C’est possible : car Molière a dit, que les bêtes ne sont pas si bêtes que l’on pense.

ADMIRANT.

Pour vous convaincre que je n’ai pas tort, de préférer Subtil à votre neveu, restez ici : vous verrez son expérience.

VICTOR, à part.

Je crois avoir trouvé le moyen.

SATIRIN.

Son expérience ! Vous y croyez ?

ADMIRANT.

Je veux vous convaincre : restez, vous dis-je.

VICTOR, à part.

Restez, mon oncle.

SATIRIN.

Eh bien, j’y consens.

ADMIRANT.

Victor sera témoin...

VICTOR.

Je ne puis, j’en suis fâché.

SATIRIN.

Quoi ! tu t’en vas ?

VICTOR.

Oui, mon oncle.

SATIRIN, à part.

Et tu veux que...

VICTOR.

Je vous en prie.

Haut.

Adieu, Citoyen ; je vais faire ce qui dépendra de moi pour revenir. C’est mon envie et mon espoir.

SATIRIN, à part.

Quel est son projet ?

 

 

Scène XIV

 

SATIRIN, ADMIRANT

 

SATIRIN.

Maintenant que nous sommes seuls, voisin parlons raison.

ADMIRANT.

Et sur quoi ?

SATIRIN.

Sur le mariage de nos enfants.

ADMIRANT.

Je vous l’ai déjà dit, c’est une affaire à laquelle il ne faut plus songer.

SATIRIN.

Je pense que vous avez voulu inquiéter un peu Victor ; mais qu’au fond, c’est un badinage. 

ADMIRANT.

Non, non, tout est rompu.

SATIRIN.

Comment, après m’avoir donné votre parole ?

ADMIRANT.

Air : Le plaisir qu’on goûte en famille.

Voisin, n’ayez pas de courroux,
Si nous ne terminons ensemble.
Subtil a moins de bien que vous ;
Mais l’amour des arts nous rassemble.

SATIRIN.

Oui, pour les projets surprenants
En vous deux le même goût brille,
Par son esprit et ses talents,
Il est déjà de la famille.

 

 

Scène XV

 

SATIRIN, ADMIRANT, SUBTIL portant un cerf-volant, un paquet d’artifice, etc.

 

ADMIRANT.

Comment vous voilà déjà de retour ?

SUBTIL.

Je n’ai pas été long, n’est-ce pas ? Je me suis ce pendant arrêté pour prendre une glace au pavillon d’Hanovre.

ADMIRANT.

Au pavillon d’Hanovre !

SUBTIL

C’est mon café favori.

Air : Je suis afficheur, je devrais.

Dans ce pavillon, chaque jour
Attirés par le goût des glaces,
Les plaisirs, les grâces, l’amour
Voltigent devant mille glaces.
Maint charme que l’on aperçoit
De feu remplit un cœur de glace ;
Car les beautés que l’on y voit
Ne sont pas à la glace.

Ah ça, beau-père, quoiqu’il soit encore jour, je vais lancer mon cerf-volant.

ADMIRANT.

Eh bien, je vais chercher ma fille, pour qu’elle voie vos préparatifs. Vous permettez, voisin, que je vous laisse un moment ?

SATIRIN.

Sans façon.

 

 

Scène XVI

 

SUBTIL, SATIRIN

 

SUBTIL, préparant son cerf-volant.

Voyons, dépêchons-nous.

SATIRIN, à part.

Mon neveu me dit de rester, et j’ignore pourquoi. Que faut-il que je fasse ?

Air : Vaudeville du Parachute.

Il est probable que Victor,
Pour assurer sa destinée,
À son esprit donne l’essor
Contre ce projet d’hyménée.
(bis.)
Sans doute il a fait un complot,
Et j’y souscris d’avance.
Servir l’amour, berner un sot,
C’est double jouissance.
(bis.)

SUBTIL.

Me voilà tout prêt.

 

 

Scène XVII

 

SUBTIL, SATIRIN, ADMIRANT, LOUISE

 

ADMIRANT.

Oui, ma fille, c’est un petit divertissement que ton futur veut te procurer.

LOUISE.

C’est prendre une peine inutile.

SUBTIL.

Je vous promets que cela sera charmant. Voici un transparent qui fera voir notre chiffre à sept cents mètres d’élévation.

SATIRIN.

Il sera aussi visible que votre talent.

ADMIRANT.

L’idée est jolie.

LOUISE.

Rien de plus galant, en vérité.

SUBTIL.

Écartez-vous un peu, que j’enlève mon cerf-volant.

Il court.

SATIRIN.

Air : Duo de Rose et Colas.

Ah ! comme il y viendra. (bis.)

ADMIRANT.

Son adresse va mettre un terme
À ces sarcasmes-là.

SATIRIN.

Sur ses jambes il n’est pas ferme.

ADMIRANT.

Ah ! ce n’est rien que cela.

SUBTIL.

M’y voilà ; bon. (bis.)

SATIRIN et ADMIRANT.

Bon, bon, aye, fort. (bis.)

SATIRIN.

S’il reste à terre en ce moment,
Ce cerf-volant,
(bis.) 
Ce n’est pas sûrement
Par la faute du vent.

ADMIRANT.

S’il reste à terre en ce moment,
Ce cerf-volant,
(bis.)
Ah ! c’est bien sûrement
Par la faute du vent.

SUBTIL.

Il ne fait pas c’est clair : il faut y renoncer.

LOUISE, remarque un cerf-volant qui traverse le théâtre.

Il ne fait pas de vent, dites-vous : mais voyez donc ce cerf-volant qui se promène au-dessus du jardin.

ADMIRANT.

En effet, j’en aperçois un.

SATIRIN.

Vous voyez l’adresse de Subtil.

ADMIRANT.

J’aperçois quelque chose à ce cerf-volant. Serait--il destiné à une expérience ? Je le crois. Passons de l’autre côté du jardin : nous le verrons mieux.

SATIRIN.

Ou nous ne verrons rien.

SUBTIL.

Eh bien, venez, et vous verrez... que vous verrez.

 

 

Scène XVIII

 

LOUISE, seule

 

Je ne conçois rien à la conduite, de Victor. Il est venu avec son oncle, et a disparu sans que je sache ce que mon père a répondu.

Air : Souvent la nuit quand je sommeille.

Quelle cruelle incertitude !
Elle redouble, mon souci.
Victor à mon inquiétude
Peut-il m’abandonner ainsi ?
Mais j’attends tout de sa constance ;
Et l’espoir ranime mes feux
Que deviendraient les malheureux
S’il ne leur restait l’espérance ?

VICTOR, en dehors, il appelle.

Louise !

Air : Du pas Russe.

Ah ! si vous êtes là,
Dites : Me voilà.

LOUISE.

Me voilà.

VICTOR.

Jurons-nous en ce jour
Fidel amour.

LOUISE.

Amour.

VICTOR.

Celle dont je reçois la loi,
Eh bien, c’est toi.

LOUISE.

C’est moi.

VICTOR.

Ton tendre cœur sera toujours à moi ?

LOUISE.

À toi.

 

 

Scène XIX

 

LOUISE, près du mur, ADMIRANT entre avec SATIRIN

 

En entendant sa fille, il s’arrête, et retient Satirin.

VICTOR, derrière le mur.

Air : Oh ! oui, l’homme le plus parfait.

Voyez ce petit messager
Il est guide par l’espérance.
Ce postillon, quoique léger,
Est le courrier de la constance.
Pour un amant, il tient toujours
Bien plus qu’il ne semble promettre.
Veuillez le suivre dans son cours,
Et vous attacher à la lettre.

Pendant ce couplet, on aperçoit un oiseau qui monte en suivant la corde du cerf-volant. Parvenu dans le haut, il laisse tomber une lettre, et redescend.

ADMIRANT.

Comment, une lettre !

LOUISE.

Ô ciel ! mon père... De grâce, excusez la ruse de Victor.

ADMIRANT.

Mais c’est charmant. Victor ! Victor ! viens, mon cher ami.

VICTOR, en dedans.

J’y cours.

ADMIRANT.

Mais c’est donc pour mieux me surprendre, qu’il a feint de dédaigner les oiseaux d’Idalie ?

SATIRIN.

Il a su tirer parti de cette expérience.

 

 

Scène XX

 

LOUISE, ADMIRANT, SATIRIN, VICTOR entre par le fond, SUBTIL par la droite

 

SUBTIL.

Avez-vous vu tomber quelque chose ?

ADMIRANT.

C’est votre congé qui tombait du ciel.

LOUISE.

Ah ! mon cher Victor !

ADMIRANT.

Que je t’embrasse, Victor. Ce que tu viens de faire me raccommode avec toi, et je tiendrai la promesse que je t’avais faite : tu épouseras ma fille.

VICTOR.

Vous me rendez la vie.

SATIRIN.

Eh bien, Subtil, que pensez-vous de l’expérience de Victor ?

SUBTIL.

Mais, Citoyen, qu’est-ce que tout cela signifie ?

ADMIRANT.

Que Victor est plus adroit que vous. J’étais irrité de lui avoir entendu critiquer les oiseaux d’Idalie ; mais il vient de me prouver qu’il sentait parfaitement qu’ils pouvaient devenir utiles. Je lui pardonne : ainsi vous ne devez plus songer à Louise.

SUBTIL.

Tenez, défunt beau-père, je ne me plains pas de ce contretemps ; car votre fille ne m’aime pas, et j’au rais bien pu... Vous concevez ce que je veux dire.

SATIRIN.

Je te fais mon compliment, Victor : ton expérience est ingénieuse.

ADMIRANT.

Ah ! vous convenez donc que l’idée peut être bonne. Eh bien, une autre fois, au-lieu de blâmer les découvertes nouvelles, imitez mon exemple.

Vaudeville.

Air : Pardonne-moi, j’ai du comptant.

Moi pour me décider,
J’attends une seconde expérience.
Comme les hommes sont enfants,
Les arts ont aussi leur, enfance,
Tel qui blâme les cerfs-volants
Pourra dire dans quel que temps,
De cette entreprise hardie.

Refrain en Chœur.

Vive les oiseaux,
Vive les oiseaux,
Vive les oiseaux d’Idalie.

SATIRIN.

Chez les favoris d’Apollon,
Comme chez ceux de la fortune,
On voit faire à maint phaéton
Une chute, hélas ! trop commune,
L’homme à projet veut ici-bas
Suivre la gloire pas à pas.
Il se lève, par son génie,
Comme les oiseaux
(ter.) d’Idalie.

VICTOR.

C’est dans ce jardin que l’amour
Guide le plaisir sur ses traces,
La beauté brille en ce séjour
Sous le léger habit des Grâces.
On contemple avec volupté,
Le cœur d’ivresse est transporte,
La raison fuit, et l’on s’écrie...
Les jolis oiseaux
(ter.) d’Idalie.

SUBTIL.

J’aurais pu courir des hasards,
Si je m’étais mis en ménage.
Je vais me consacrer aux arts,
Et je renonce au mariage.
Pour jamais je quitte l’amour ;
Mais en ballon, au premier jour,
Je volerai, je le parie.

SATIRIN.

Comme les oiseaux (ter.) d’Idalie.

LOUISE, au Public.

Ce n’est pas la méchanceté
Qui, dans ce moment, nous inspire.
Les Français aiment la gaieté,
Nous voulons les faire sourire.
Ne nous censurez que tout bas,
Et surtout ne nous traitez pas,
Pour cette légère folie,
Comme les oiseaux
(ter.) d’Idalie.

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