Les Embarras du derrière du théâtre (David-Augustin de BRUEYS)
Comédie en un acte.
Écrite en 1693, non représentée.
Personnages
MADAME LUCE
MAROTE, Servante de Madame Luce
LE BARON, Fils de Madame Luce
LE MARQUIS, Ami du Baron
MONSIEUR MÉNANDRE, Poète
MONSIEUR DE L’ÉTOILE, Comédien
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE, Comédienne
MONSIEUR DAMIS, Comédien
MONSIEUR DUVERGER, Comédien
MONSIEUR FLORIDOR, Comédien
MONSIEUR ALIDOR, Comédien
La Scène est sur le Théâtre de Lyon.
Scène première
MADAME LUCE, MAROTE
MADAME LUCE.
On, non, Marote, tu as pris quelqu’autre pour Ménandre.
MAROTE.
Je suis aussi sûre, Madame, que celui que je viens de voir avec Monsieur votre Fils, est le Poète Ménandre, que je suis sûre que vous êtes Madame Luce, ma Maîtresse.
MADAME LUCE.
Tu t’es trompée, te dis-je.
MAROTE.
Bon, trompée, à un Poète ? Est ce qu’on ne connaît pas ces Messieurs-là de cent pas ? Et puis, qui diantre se méprendrait à celui-là ? Il n’est ni petit, ni grand à Lyon qui ne le connaisse ; n’est ce pas lui qui rêve toujours profondément ? qui fait des vers partout, dans les rues, à table, en jouant à l’ombre : N’est-ce pas ce fou qui fait de si mauvaises Comédies ?
MADAME LUCE.
Insolente !
MAROTE.
Je vous demande pardon, Madame, je ne songeais pas que vous en faites aussi, et que vous êtes associés ensemble pour cela.
MADAME LUCE.
Eh bien, je te dis encore une fois, que mon fils et Ménandre sont ici quelque part à la Comédie : écoute, ne me chagrine pas davantage.
MAROTE.
Là, Madame, sans vous fâcher, où voulez-vous qu’ils soient ? de la loge où nous nous sommes d’abord placées en entrant, nous avons vu qu’ils ne sont pas dans le Parterre, je viens par votre ordre de fureter haut et bas ; et enfin vous avez voulu les venir chercher derrière le Théâtre.
MADAME LUCE.
Marote, n’est-ce pas mon Fils qui vient de passer ?
MAROTE.
Eh ! non, Madame, c’est le Moucheur de chandelles ; croyez-moi, retournons à notre loge.
MADAME LUCE.
Non, je suis venu ici pour surprendre mon Fils avec Mademoiselle de Beauregard, et j’y resterai : depuis qu’il est amoureux de cette Actrice, je ne le reconnais plus. Quoiqu’il ne soit que le fils d’un Échevin de Gascogne, il se fait appeler Monsieur le Baron ; et il est toujours avec ce fat, qui, n’étant que le fils d’un Banquier, prend aussi la qualité de Marquis.
MAROTE.
Parlez bas, Madame, vous risquez d’être entendue ici de gens qui pourraient être dans le même cas.
MADAME LUCE.
En un mot, je ne veux point que mon Fils épouse Mademoiselle Beauregard.
MAROTE.
Oh ! oh ! Madame ; eh ! vous le souhaitiez ces jours passés avec tant d’empressement ; vous vouliez même que votre Fils entrât dans cette troupe-ci ; il y a quelque chose de nouveau.
MADAME LUCE.
Il y a de nouveau... que je ne le veux plus.
MAROTE.
Je le vois bien ; mais vous souvient-il, Madame, que vous me disiez, je ferai des Comédies, Marote ; la Troupe les recevra, mon Fils les jouera, et le profit ne sortira pas de la Famille ?
MADAME LUCE.
Oui, mais depuis j’y ai fait des réflexions ; ne m’en parle plus.
MAROTE.
Avez-vous quelque scrupule de faire des pièces de Théâtre, et de les voir jouer par votre Fils ? Croyez-moi, Madame, ceux qui travaillent à divertir innocemment le Public, ne sont pas les gens les plus inutiles de la Société. Euh ! vous avez quelque rancune contre cette Troupe-ci.
MADAME LUCE.
Oh ! puisqu’il te faut tout dire, saches-donc, Marote, que ces imbéciles ont refusé d’accepter la Comédie que je leur lus hier ; ils disent qu’elle ne vaut rien.
MAROTE.
Oh ! après cela, Madame, je n’ai rien à dire. Voilà le plus juste sujet du monde pour rompre un mariage ; mais peut-être leur avez-vous obligation de leur refus.
MADAME LUCE.
Taisez-vous, impertinente.
MAROTE.
Pardon, Madame, ils ont tort de parler mal de votre pièce, après le bien que je vous en ai ouï dire, et à Monsieur Ménandre.
MADAME LUCE, apercevant Ménandre.
Eh bien, vois si j’avais raison : voilà-t-il pas Monsieur Ménandre ?
Scène II
MONSIEUR MÉNANDRE, MADAME LUCE, MAROTE
MADAME LUCE.
Monsieur, je vous prie de me dire où vous avez laissé mon fils.
MONSIEUR MÉNANDRE.
Un moment, Madame, au nom des Dieux, un moment.
MAROTE.
Ne l’interrompez pas, il compose.
MADAME LUCE.
Oh ! qu’il prenne un autre temps... Monsieur... Monsieur.
MAROTE.
Il ne vous entend plus, le voilà aux nues.
MADAME LUCE.
Monsieur, Monsieur Ménandre, Monsieur... il enfante quelque chose de grand ; mais je veux savoir de lui...
MAROTE.
Madame, vous allez coûter la vie à quelques Vers... Comme il roule les yeux !... quelles grimaces !... il se mange le bout des doigts... bon, il s’arrache la barbe... Ah pauvre tête !... quel métier !
MADAME LUCE.
Ah ! bon, bon, il se radoucit.
MONSIEUR MÉNANDRE.
Ah ! je les tiens...
MAROTE.
Quoi ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
Non... je ne les tiens plus.
MADAME LUCE.
Qu’est-ce, Monsieur ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
Quatre Vers, quatre, que je cherche depuis ce matin.
MAROTE.
Est-ce, Monsieur, que vous les avez perdus ici ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
Qu’on me laisse en repos.
Il sort.
MAROTE.
Laissons-le là, Madame, aussi-bien Monsieur Du Verger, que voici, vous donnera peut-être des nouvelles de votre Fils.
Scène III
MONSIEUR DUVERGER, MADAME LUCE, MONSIEUR MÉNANDRE, MAROTE
MADAME LUCE.
Monsieur, je suis votre servante.
MONSIEUR DUVERGER.
Ah ! Madame Luce, je suis votre très humble serviteur.
MAROTE.
Bonjour, Monsieur.
MONSIEUR DUVERGER.
Serviteur Marote.
MAROTE.
Oh ! loué soit Dieu, voici un homme qui parle au moins.
MONSIEUR MÉNANDRE déclame.
Précipices affreux...
MAROTE.
Fort bien, l’un est sur le toit, et l’autre dans la cave.
MADAME LUCE.
Faites-moi la grâce, de me dire, Monsieur, si mon fils...
MONSIEUR DUVERGER.
Madame, vous savez à quoi mon devoir m’oblige ; il s’agit aujourd’hui d’une nouveauté ? je vous demande pardon, je n’ai pas de temps de reste, et je suis venu ici pour me recueillir un moment.
MADAME LUCE.
Monsieur du Verger est bien incivil de ne me pas écouter.
MAROTE.
Eh ! ne voyez-vous pas, Madame, qu’il a en tête l’annonce de quelque méchante pièce, et qu’il travaille à dorer la pilule ?
MADAME LUCE.
Je lui pardonne de bon cœur, et je songe que je pourrais faire de ceci une assez plaisante Scène...
MAROTE.
Je meurs de peur, Madame, que l’envie d’y rêver ne vous prenne aussi.
MADAME LUCE.
Oui, vraiment... le sujet en sera singulier... Mais où placer la Scène ?... Je pense que... Fort bien.
MAROTE.
Madame ?
MADAME LUCE.
Tais-toi, sotte.
MAROTE.
Bon : les voilà tous trois aussi fous l’un que l’autre. Quels gens ! quel pays ! on ne voit ici que des possédés... J’enrage de bon cœur ; car je n’ai jamais eu tant d’envie de parler... Tâchons donc de lier conversation avec quelqu’un d’eux... au Poète... Monsieur, Monsieur...
MONSIEUR MÉNANDRE.
Paix.
MAROTE.
Il n’est pas jour chez celui-là. Il est encore dans les précipices : allons à l’autre... Monsieur... Monsieur...
MONSIEUR DUVERGER.
Eh ! patience donc.
MAROTE.
La pilule n’est pas encore dorée... Essayons à ma Maîtresse... Madame !... Madame,...
MADAME LUCE.
Taisez-vous, ignorante.
MAROTE.
La Scène n’a pas encore trouvé sa place ; mordienne, que ne suis-je Auteur ! je ferais de ceci une Scène assez drôle.
Scène IV
MONSIEUR MÉNANDRE, MADAME LUCE, MONSIEUR DUVERGER, MAROTE
MONSIEUR DUVERGER, répétant son annonce.
Messieurs, nous vous donnerons demain pour la première fois.
MAROTE.
Oh, oh !
MADAME LUCE.
Non, cette Scène n’est pas bien-là.
MAROTE.
Ah, ah !
MONSIEUR MÉNANDRE.
Précipices affreux, et vous noires forêts.
MAROTE.
Ah ! l’autre.
MONSIEUR DUVERGER.
Les caractères en sont nouveaux...
MADAME LUCE.
À merveille ! Voilà tout juste où il la faut placer.
MONSIEUR MÉNANDRE.
Je languis dans vos fers depuis trois fois trois lustres...
MAROTE.
Oh ! ma foi, je n’y puis plus tenir ; Monsieur, Monsieur, Monsieur, voulez-vous rêver jusqu’à demain ?
MONSIEUR DUVERGER.
Enfin, mon annonce est faite.
MADAME LUCE.
Pour le coup j’ai trouvé où placer ma Scène.
MONSIEUR MÉNANDRE.
Apollon soit loué ; je tiens mes quatre Vers.
MADAME LUCE.
Présentement, Monsieur, dites-moi je vous prie, où est mon fils ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
À propos, Monsieur, pourquoi avez-vous eu la cruauté de refuser la Comédie que Madame vous lut hier ?
MONSIEUR DUVERGER.
Monsieur, je vous le dirai tantôt... Madame, votre fils est ici quelque part.
MADAME LUCE.
Il est, sans doute, avec sa Mademoiselle Beauregard, et je la veux attendre ici.
MONSIEUR MÉNANDRE.
Nous avons une autre Comédie, intitulée : Les sept Sages de la Grèce, quand la lirons-nous ?
MONSIEUR DUVERGER.
Quand il vous plaira, Monsieur,
À Madame Luce.
Madame ne vous attendez pas de voir ici d’aujourd’hui Mademoiselle Beauregard ; à l’heure que je vous parle, elle joue le rôle de Bérénice. Vous savez sa coutume ; lorsqu’elle joue, elle passe de la Scène dans sa loge ; et vous ferez mieux de vous aller remettre à vos places pour entendre la Comédie.
MAROTE.
Il se passe dans les foyers, Monsieur, des Scènes qui valent quelquefois bien celles du Théâtre.
MONSIEUR MÉNANDRE.
Je vais suivre ses pas, et ne le quitte point qu’il ne m’ait dit les raisons de son injuste refus, et qu’il n’ait pris jour avec moi, pour la lecture de nos sept Sages de la Grèce.
MADAME LUCE.
J’aperçois Monsieur Alidor, il faut que je me plaigne à lui, de ce que mon fils recherche encore Mademoiselle Beauregard, après les défenses qu’il lui en a faites de ma part.
Scène V
MONSIEUR ALIDOR, MADAME LUCE, MAROTE
MAROTE.
Vous prenez fort mal votre temps, Madame, vous voyez bien qu’il joue aujourd’hui, et qu’il repasse son Rôle.
MADAME LUCE.
N’importe... Monsieur... Monsieur Alidor... Monsieur...
MONSIEUR ALIDOR.
Ah ! Madame, je suis votre serviteur.
MADAME LUCE.
Va, toi, cependant chercher mon fils, et si tu le trouves, viens vite m’avertir.
MONSIEUR ALIDOR.
Ce n’est pas à moi qu’elle en veut.
MAROTE.
Oui, Madame... fiez-vous-y.
Scène VI
MONSIEUR ALIDOR, MADAME LUCE
MONSIEUR ALIDOR, répétant un Rôle.
Pourquoi vous dérober vous-même en ce moment ?
MADAME LUCE.
Monsieur, après ce que vous avez dit de ma part à mon fils, je voudrais bien savoir pourquoi il aime encore Mademoiselle Beauregard, et ce qu’il vient chercher ici ?
MONSIEUR ALIDOR.
Le plaisir de lui faire un aveu si charmant.
MADAME LUCE.
Je m’en moque.
MONSIEUR ALIDOR.
Elle l’attend, Madame, avec impatience.
MADAME LUCE.
Je n’en doute pas...
MONSIEUR ALIDOR.
Je réponds en partant de son obéissance.
MADAME LUCE.
Chansons !
MONSIEUR ALIDOR.
Et même elle m’a dit, que prêt à l’épouser,
Vous ne la verriez plus que pour l’y disposer.
MADAME LUCE.
Elle en a menti, Monsieur Alidor, elle en a menti.
MONSIEUR ALIDOR.
Qui, Madame ?
MADAME LUCE.
Mademoiselle Beauregard.
MONSIEUR ALIDOR.
Et qui vous parle d’elle, Madame ?
MADAME LUCE.
Vous, Monsieur, qui me dites que mon fils est prêt à l’épouser.
MONSIEUR ALIDOR.
Moi, Madame ? Je ne songe ni à elle, ni à Monsieur votre fils.
MADAME LUCE.
Vous ne m’avez pas répondu ?
MONSIEUR ALIDOR.
Je repasse quelques endroits d’un Rôle que je joue aujourd’hui.
MADAME LUCE.
Vous ne m’avez donc pas entendu ?
MONSIEUR ALIDOR.
J’entendais qu’on parlait derrière moi ; et il nous arrive tous les jours de repasser nos Rôles dans la confusion de ceux qui nous environnent.
MADAME LUCE.
En effet, j’étais bien bête de ne pas m’apercevoir, que ce qu’il disait était du Rôle d’Antiochus. Eh bien ! Monsieur, je ne vous interromps pas davantage... et je vais moi-même chercher mon fils. Cette coquine de Marote pourrait bien être d’intelligence avec eux.
Scène VII
MONSIEUR ALIDOR, LE MARQUIS
MONSIEUR ALIDOR.
La peste soit de la folle...
Il répète.
Madame après cela.
LE MARQUIS.
Ah, ah, ah, ah !
MONSIEUR ALIDOR.
Titus m’a commandé...
À part.
Non, j’ai sauté quatre vers : au diable soient les rieurs.
LE MARQUIS,
Ah, ah, ah, ah, ah, ah !
MONSIEUR ALIDOR.
Eh, Monsieur, ne sauriez-vous aller rire ailleurs ? vous riez de bien peu de chose.
LE MARQUIS.
Ah ! par la sambleu, celui-ci est encore assez plaisant ; je ris de bien peu de chose : vous vous figurez donc qu’on rit de vous, Monsieur Alidor ?
MONSIEUR ALIDOR.
Vous feriez bien mieux, Monsieur le Marquis, d’aller dire à Monsieur le Baron, votre ami, de prendre garde à Madame Luce sa mère, qui le cherche.
LE MARQUIS.
Oui, Monsieur Alidor... ah, ah, ah, ah !
MONSIEUR ALIDOR.-
La place n’est pas tenable.
LE MARQUIS,
Adieu, Roi de Comagene.
MONSIEUR ALIDOR.
Adieu, Monsieur le Marquis... Où diantre aller pour ne pas trouver des fâcheux ? il en pleut ici de tous les côtés.
Scène VIII
LE MARQUIS, LE BARON
LE MARQUIS, à part.
La peste me tue, si ce petit Monsieur là n’a cru que je riais de lui. Ah, ah, ah... Te voilà, mon cher Baron ; et d’où diable sors-tu ? je t’allais chercher pour te dire que ta mère...
LE BARON.
Eh je le sais, Marote me l’a dit, mais de quoi ris-tu ?
LE MARQUIS.
Peux-tu, toi-même... t’empêcher de rire ?
LE BARON.
Eh par la sandis, de quoi veux-tu que je rie ? de te voir rire.
LE MARQUIS.
Tu n’as donc encore rien vu ?
LE BARON.
Je sors d’entrer tout à l’heure.
LE MARQUIS.
Tu ne fais que d’entrer ?
LE BARON.
Eh non, te dis-je ; est-ce qu’on a commencé sans moi ?
LE MARQUIS.
Eh morbleu, n’entends-tu pas ? voilà qu’on finit le second acte, et je suis venu me cacher ici pour y rire tout mon sou.
LE BARON.
Et dis-moi donc, quelle pièce joue-t-on, qui te fait tant rire ?
LE MARQUIS.
Bérénice.
LE BARON.
Bérénice.
LE MARQUIS.
Oui, Bérénice, de l’illustre Monsieur Racine.
LE BARON.
Eh Dieu me damne si je n’y pleure toujours comme un veau.
LE MARQUIS.
Ô ! regarde si tu y pleureras aujourd’hui, voici celui qui joue Titus.
Scène IX
MONSIEUR DE L’ÉTOILE, LE MARQUIS, LE BARON
LE BARON.
Eh, cadedis, qu’est-ce que je vois ? Monsieur de l’Étoile Titus ! Ah, ah, ah, ah, c’est donc aujourd’hui le monde renversé. Ah, ah, ah, ah.
LE MARQUIS.
Eh, mon cher, avais-je tort ?
LE BARON.
Eh par la sandis, approchez-donc, Monsieur de l’Étoile, que je vous voie de près. Ah, ah, ah, ah.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Ah, ah, ah, ah. Par la sandis, j’approcherai, quand vous aurez achevé de rire... Monsieur Floridor, Monsieur Floridor, vous m’avez fait faire la sottise, vous ne m’y rattraperez plus, ou le diable m’emporte.
LE MARQUIS.
Mais, mais, par la sambleu, Monsieur de l’Étoile depuis quand vous fâchez-vous donc de faire rire les gens ? cela n’est pas donné à tout le monde.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Oh, parbleu, Monsieur, je me fâche que les gens rient, quand ce n’est pas mon dessein de les faire rire... Je l’avais bien prévu, que dès qu’on me verrait sous cet équipage, tout le sérieux de la pièce s’en irait au diable... Mes camarades n’ont pas voulu me croire, je me suis laissé engeoller... de Pasquin que j’étais hier, on m’a fait aujourd’hui, malgré moi, Empereur Romain. Dès que j’ai montré le nés, on a ri... J’entends qu’on rit encore... voici des rieurs qui m’attendent au passage... oui... cela est-il donc ainsi ? je renonce à l’Empire. Achève la pièce qui voudra.
LE BARON.
Eh donc, Monsieur de l’Étoile ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Eh donc, Monsieur le Baron ?
LE BARON.
Il m’est avis, que quand on a commencé un rôle, on ne le quitte pas ; et les Spectateurs ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Oh ! les Spectateurs, les Spectateurs, ils doivent rire, quand ils doivent rire, et pleurer quand ils doivent pleurer ; c’est-là leur rôle ; s’ils le quittent, l’Acteur doit quitter le sien aussi.
LE MARQUIS.
Il est morbleu en colère tout de bon. Ah, ah, ah, ah !
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Oh ! riez, riez tant qu’il vous plaira : mais si on me voit jamais ni Empereur, ni Roi, ni Consul, ni Tribun, ni seulement Prêteur, je veux bien l’aller dire à Rome.
LE BARON.
Eh, Mardis ! si vous cessez de jouer, que dira le Public ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Eh, Mardis ! on lui donnera Merlin Dragon, ou quelqu’autre pièce.
LE MARQUIS.
Voici Monsieur Floridor qui vient sans doute pour y donner ordre.
Scène X
MONSIEUR FLORIDOR, MONSIEUR DE L’ÉTOILE, LE BARON, LE MARQUIS
MONSIEUR FLORIDOR, d’un air froid et grave.
Qu’est-ce ceci, Monsieur de l’Étoile ? on vient de me dire que vous ne voulez pas achever.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
On vous a dit vrai, vous avez voulu vous divertir à mes dépens.
MONSIEUR FLORIDOR.
Oh ! pour cela, non.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
On nous avait demandé Bérénice, il a fallu la jouer, et je sais de bonne part que vous avez cabalé pour faire tomber sur moi le rôle de Titus.
MONSIEUR FLORIDOR.
Oh, oh ! que dites-vous là ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Chacun pour s’en dispenser avait une excuse toute prête, Cléante disait qu’il était trop froid pour faire l’amoureux ; Philandre, que l’application que ce rôle demandait, lui ferait perdre les idées d’une pièce dont il menace le public ; Cliton craignait les sifflets ; Jolimont disait qu’il avait trop soupé hier au soir ; vous que vous aviez passé toute la nuit au jeu ; je voulus m’excuser comme les autres sur une pièce de vin de l’Hermitage que je devais aller retirer au port ; mais je fus obligé de consentir, à la pluralité des voix, que la chose fut mise au sort, et vous avez fait en sorte, ou mon malheur a voulu que l’Empire Romain me soit échu en partage. Vous voyez ce qui est arrivé : vous devez être bien content au moins, car tout le monde en a ri, vous l’avez vu.
MONSIEUR FLORIDOR.
J’ai vu... j’ai vu... que... que voulez-vous que je vous dise... Voilà un grand mal, on a ri, eh bien ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Eh bien, ne vous voilà-t-il pas avec votre sang-froid : j’aimerais autant qu’on me rît au nez.
LE MARQUIS.
Mais, Monsieur de l’Étoile, j’ai pourtant vu cinq ou six Dames qui pleuraient à chaudes larmes.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Oui, je l’ai bien vu aussi ; mais c’était à force de rire, et je gagerais bien...
MONSIEUR FLORIDOR.
Monsieur de l’Étoile, notre profession nous engage à respecter tout ce qui vient du public.
LE BARON.
Eh ! cadedis, moquez-vous de cela Monsieur de L’Étoile : un bon Acteur ne s’émeut de rien : qu’on rie, qu’on pleure, qu’on siffle, il va toujours son chemin, prenez exemple de Monsieur ; l’avez-vous jamais vu déconcerté, quoique je l’aye sifflé plus de vingt fois ?
Scène XI
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE, MONSIEUR FLORIDOR, MONSIEUR DE L’ÉTOILE, LE BARON, LE MARQUIS
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE.
Eh mon Dieu ! quel désordre est ceci ?
LE MARQUIS.
Ah ! Mademoiselle de l’Étoile, vous voilà aujourd’hui belle à ravir.
LE BARON.
Voilà, Dieu me damne, une petite étoile qui ne doit rien au soleil.
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE.
Oui, Messieurs, je suis belle, mais je suis chagrine, et j’ai sujet de l’être.
MONSIEUR FLORIDOR.
Eh, morbleu Mademoiselle, avec qui vous amusez-vous-là ? venez, s’il vous plaît, et priez ces Messieurs de nous laisser en repos.
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE.
Messieurs, allez, je vous prie, vous remettre sur le Théâtre ; parlez, gesticulez, étalez votre parure et votre bonne mine aux Dames et au Parterre, enfin divertissez le public, et donnez-nous le temps de régler tout ceci.
MONSIEUR FLORIDOR.
Oui, ces Messieurs sont fort complaisants ; voyez comme ils s’en vont. Il est vrai que vous n’êtes guères propres à chasser les gens.
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE.
Oh ! qu’ils demeurent, je ne saurais qu’y faire.
MONSIEUR FLORIDOR.
Voilà cependant votre mari qui ne veut pas jouer.
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE.
Il y a bien d’autres nouvelles. Mademoiselle Beauregard a su que Madame Luce est ici, elle a juré qu’elle ne sortirait point, et s’est barricadée dans sa loge.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Oh ! courage ; voilà ma Bérénice aux arrêts ; si on cesse de jouer, ce ne sera plus ma faute.
MONSIEUR FLORIDOR.
Ceci est embarrassant, Monsieur le Baron ; prenez, s’il vous plaît, la peine d’aller trouver Monsieur du Verger, il est dans ma loge avec Monsieur Ménandre ; tâchez tous ensemble de faire entendre raison à Madame Luce, Vous savez son faible, il ne faut que lui dire... vous comprenez bien.
LE BARON.
Si je comprends ? et qui comprendra donc ? viens, Marquis ; tu nous aideras.
LE MARQUIS.
De tout mon cœur ; aussi bien, si tu entres dans la troupe, parbleu je songe à te suivre.
LE BARON.
Je te réponds qu’une part vaut bien le revenu de ton marquisat.
LE MARQUIS,
Et de ta Baronnie aussi...
Scène XII
MONSIEUR FLORIDOR, MONSIEUR DE L’ÉTOILE, MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE
MONSIEUR FLORIDOR.
Songeons à disposer votre mari à sortir quand son tour viendra. Je vous réponds, Monsieur, qu’on ne rira plus, pourvu que vous récitiez, comme je vous ai dit.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Eh ! ventrebleu, Monsieur, ne l’ai-je pas déjà fait inutilement ? Tenez, pour vous bien imiter j’ai d’abord jeté nonchalamment un côté de ma perruque, comme cela sur l’épaule droite... ou sur la gauche : car vous m’avez dit que c’était la même chose.
MONSIEUR FLORIDOR.
Cela est d’un grand maître.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Après j’ai étendu les bras amoureusement.
MONSIEUR FLORIDOR.
Fo... fort bien.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Ensuite, pour varier, je les ai tristement croisés sur la poitrine.
MONSIEUR FLORIDOR.
Pa... Pa... pas mal.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Quelquefois le chapeau à la main d’un côté, et le poing serré de l’autre, j’ai balancé tout mon corps sur la pointe de mes pieds comme cela.
MONSIEUR FLORIDOR.
On ne peut pas mieux.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Dans cet endroit de la pièce où mon Paulin me vient dire que Rome n’entend pas raillerie, vous savez bien ?
MONSIEUR FLORIDOR.
Oui, eh bien ! par quelle action avez-vous marqué votre tristesse ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
J’ai mis brusquement mes gants, comme ceci.
MONSIEUR FLORIDOR.
Cela parle assurément.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Et après, quand on m’est venu dire que le Sénat fait l’entendu... Je les ai arrachés avec transport, comme ceci.
MONSIEUR FLORIDOR.
Cela est très pathétique.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Oui : mais tout cela au diable n’a de rien servi.
Scène XIII
MAROTE, MONSIEUR DE L’ÉTOILE, MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE.
Eh ! mon Dieu dépêchons-nous. On vous vient sans doute avertir que le public se plaint de notre retardement.
MAROTE.
Non, je viens vous dire que Monsieur du Verger craignant que le Parterre ne s’impatientât selon sa louable coutume, a fait habiller promptement quatre danseurs qui amusent le Public par un entr’acte. Pour moi, j’ai laissé Madame Luce entre les mains de gens qui ne la quitteront point, qu’ils ne l’aient rendue traitable sur ce que l’on désire d’elle. Monsieur Ménandre raisonne fortement avec vos Messieurs sur la pièce que vous refusâtes hier, et commence à croire que ce qui se passe ici finira par quelques mariages, comme les Comédies. Mais voici nos disputeurs.
Scène XIV
MONSIEUR MÉNANDRE, MONSIEUR DUVERGER, MADAME LUCE, MAROTE, MONSIEUR FLORIDOR
MONSIEUR DUVERGER.
Eh ! sans passion, Monsieur, sans passion.
MONSIEUR MÉNANDRE.
Non, non, je vous soutiens que si vous n’avez trouvé que cela à redire à la Comédie que Madame vous lut hier, vous errez toto cœlo, toto cœlo.
MONSIEUR DUVERGER.
Mais, Madame, il ne faut que le sens commun pour voir...
MADAME LUCE.
Pures chimères, Monsieur, pures visions.
MONSIEUR DUVERGER.
Mais, Monsieur.
MONSIEUR MÉNANDRE.
Je vous prouverai par Aristote, Horace, Anaxagore...
MONSIEUR DUVERGER.
Monsieur, sans aller chercher ces grands hommes-là, je ne veux pour juge que cette fille ; je sais qu’elle a assez de bon sens pour le différend dont il s’agit, elle ne vous est pas suspecte...
MONSIEUR MÉNANDRE.
Non.
MAROTE.
Çà voyons, de quoi est-il question ? parlez, je vous écoute... Tâchons de contenter tout le monde.
MONSIEUR DUVERGER.
Monsieur et Madame, ont fait une Comédie, intitulée : L’Amour Soldat.
MAROTE.
Ce titre est fort galant.
MONSIEUR MÉNANDRE.
Il vaut seul une Comédie. L’Amour Soldat !
MADAME LUCE.
Voilà ce qu’on appelle un titre : L’Amour Soldat.
MONSIEUR DUVERGER.
Tous les Personnages de cette Pièce sont Capitaines ou Gens d’épée.
MAROTE.
On ne saurait mettre sur le Théâtre de plus braves Gens.
MADAME LUCE.
Quel dommage !
MONSIEUR DUVERGER.
La Scène est à Paris, dans la maison d’une jeune Comtesse, où se rendent d’autres Dames... Là, on y joue, on y festine, on y fait l’amour.
MAROTE.
Eh bien ! cela n’est-il pas dans l’ordre ? Les Officiers font-ils autre chose, quand ils sont à Paris ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
Quelle imagination !
MONSIEUR DUVERGER.
Écoute-moi seulement, voici la difficulté ; on veut nous faire jouer cette Comédie en Été, en Été.
MAROTE.
Ah ! je vous comprends, Monsieur, vous voulez dire que les Gens d’Épée sont partis, et qu’il n’est pas à propos de les mettre sur la Scène à Paris, dans un tems où ils sont tous à la guerre.
MONSIEUR DUVERGER.
Te voilà au-fait.
MAROTE.
Par ma foi, Madame, Monsieur a raison ; j’ai ouï dire qu’il n’a resté à Paris que les Officiers qui ne sont plus en état de servir. Les femmes ne s’accommoderaient pas de ces gens-là.
MONSIEUR MÉNANDRE.
C’est une illusion.
MAROTE.
Ne vous jouez pas à cela, Monsieur, on prendrait à présent la maison de votre Comtesse pour les Invalides.
MADAME LUCE.
Et ne verrait-on pas que ce seraient de jeunes Officiers, galants et bienfaits.
MAROTE.
Eh ! bien, Madame, cela fait contre votre Comédie ; les femmes qui la verraient, enrageraient de voir un si grand nombre d’Officiers sur le Théâtre, et de n’en avoir plus chez elles. Je suis de l’avis de Monsieur ; cette Pièce ne vaut rien pour l’Été ; mais aussi, Monsieur, il y a un expédient ; recevez-la pour l’Hiver, et tout le monde sera content.
MONSIEUR DUVERGER.
Eh ! bien, Monsieur, pour juger votre différend avions-nous besoin d’Aristote ?
MAROTE.
Bon ! Aristote ; il faut être benêt pour le consulter sur le gout des femmes d’aujourd’hui. Je ne suis qu’une servante ; mais si cet Aristote-là revenait au monde, je voudrais qu’il vînt plus de quinze jours à mon école ; encore n’en saurait-il pas tant que moi.
MONSIEUR MÉNANDRE.
J’entre assez, Madame, dans les réflexions de cette fille ; gardons cette Comédie pour l’Hiver.
MADAME LUCE.
Donnons-leur, en attendant, cette Pièce, dont nous avons tiré le sujet de Térence : il n’y a que des Bourgeois.
MONSIEUR MÉNANDRE.
La voici dans cette poche.
MONSIEUR FLORIDOR.
Quel titre lui donnez-vous ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
L’Heautontimorumenos.
MONSIEUR FLORIDOR.
Monsieur, ce nom seul ferait fuir tous nos Auditeurs.
MADAME LUCE.
Eh bien ! Monsieur, nos sept Sages de la Grèce ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
La voici dans cette autre poche.
MAROTE.
Je crois qu’il en est farci.
MONSIEUR DUVERGER.
Nous n’avons pas le temps de la lire ; mais comment traitez-vous ce sujet ? les mettez-vous tous sept sur la Scène ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
Oui, Monsieur.
MADAME LUCE.
Et ils sont tous sept amoureux ?
MONSIEUR FLORIDOR.
Sept Sages amoureux ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
Oui, Monsieur, en amour le nombre de sept est mystérieux.
MADAME LUCE.
Ce n’est pas tout ; chaque Sage a un confident, et chaque Maîtresse de Sage une confidente, qui s’aiment aussi.
MAROTE.
Et que faites-vous de tant d’amoureux ?
MADAME LUCE.
Ce que nous en faisons, ignorante ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
Nous les marions tous au dernier Acte.
MONSIEUR FLORIDOR.
Vous les mariez tous ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
Oui, Monsieur, et la pièce finit par quatorze mariages.
MAROTE.
Miséricorde ! quatorze mariages ?
MONSIEUR MÉNANDRE.
Aucun Auteur ancien, ni moderne, n’est encore allé jusques-là, que je sache.
MONSIEUR DUVERGER.
Non, assurément,
MADAME LUCE.
Nous les avons surpassés en cela, à coup sûr.
MONSIEUR FLORIDOR.
Sans doute.
MONSIEUR MÉNANDRE.
Il ne faut pas rire, c’est une affaire de calcul, et qui se prouve comme deux et deux font quatre.
MAROTE.
Il est aussi sur que sept et sept font quatorze. Messieurs, ne privez pas le Public d’une pièce, où il y a quatorze mariages, quand ce ne serait que pour faire celui de Monsieur le Baron.
MONSIEUR FLORIDOR.
Pour amuser Madame Luce, allez lui accorder par forme de trêve tout ce qu’elle voudra, afin qu’elle laisse jouer en repos Mademoiselle Beauregard, et consente à son mariage. Voici Monsieur de l’Étoile, je vais le disposer à sortir.
Scène XV
MONSIEUR DE L’ÉTOILE, MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE, MONSIEUR FLORIDOR
MONSIEUR FLORIDOR.
Oh ! ça, Monsieur, vous voilà, sans doute, prêt à jouer, dès que l’entr’Acte sera fini ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Non, et je venais vous dire que...
MONSIEUR FLORIDOR.
Quoi ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Que vous devriez prendre ma place.
MONSIEUR FLORIDOR.
Moi ? je crois que vous êtes fol ; que dirait-on de voir sortir un autre Titus ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Au moins qu’on me donne un autre confident, un autre Paulin, que Monsieur Damis.
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE.
Bon, il est bien temps à cette heure.
Scène XVI
MONSIEUR DAMIS, MONSIEUR DE L’ÉTOILE, MONSIEUR FLORIDOR, MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Le voici, le pauvre-diable, il enrage aussi bien que moi.
MONSIEUR DAMIS.
Eh ! qui diantre n’enragerait ? dès que nous paraissons ensemble, Monsieur Titus et moi, au diable un seul mot de notre Rôle veut-on écouter. Vous diriez qu’aujourd’hui Titus et Paulin jouent la Scène qu’on a vu jouer autrefois à Arlequin et à Scaramouche.
MONSIEUR FLORIDOR.
Vous n’avez plus qu’une petite Scène à paraître ensemble ; répétez-là ici, pour voir ; vous verrez que cela ira mieux.
MONSIEUR DAMIS.
Oh ! pour cela, non, cela ira de mal en pis.
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE.
Eh ! que sait-on ? Allons, répétez-la, j’ai ici le livre, je vous soufflerai. C’est à vous à commencer, Monsieur Damis ; courage ! Bérénice en s’en allant, dit adieu.
MONSIEUR DAMIS.
...Dans quel dessein vient-elle de sortir,
Seigneur, est elle enfin disposée à partir ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Paulin, je suis perdu ; je n’y pourrai survivre,
La Reine veut mourir : allons, il faut la suivre ;
Courons à son secours,
MONSIEUR DAMIS.
Eh ! quoi n’avez-vous pas
Ordonné dès tantôt qu’on observe ses pas ?
Quels applaudissements l’Univers vous prépare !
Quel rang dans l’avenir !
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Non, je suis un barbare ;
Moi-même je me hais ; Néron tant détesté,
N’a point à cet excès poussé sa cruauté.
Je ne souffrirai point que Bérénice expire ;
Allons ; Rome en dira ce qu’elle en voudra dire.
MONSIEUR DAMIS.
Quoi, Seigneur ?
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Je ne sais, Paulin, ce que je dis :
Ah ! Rome, ah ! Bérénice ! ah ! Prince malheureux !
Pourquoi suis-je Empereur ? Pourquoi suis-je amoureux ?
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE.
Oh ! si vous la récitez comme cela, tant pis pour ceux qui riront.
Scène XVII
MONSIEUR DUVERGER, MONSIEUR DAMIS, MONSIEUR DE L’ÉTOILE, MONSIEUR FLORIDOR, MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE
MONSIEUR DUVERGER.
Nos Danseurs vont finir. Il faut vite aller commencer le troisième Acte.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
Ah ! mon pauvre Paulin.
MONSIEUR DAMIS.
Ah ! Titus.
MONSIEUR DUVERGER.
Cependant j’ai bien fait des affaires en peu de temps.
MONSIEUR FLORIDOR.
Eh ! quoi ?
MONSIEUR DUVERGER.
Madame Luce consent au mariage.
MADEMOISELLE DE L’ÉTOILE.
Et comment l’avez-vous fait revenir ?
MONSIEUR DUVERGER.
En lui promettant de jouer ses Comédies à ses risques, périls et fortune.
MONSIEUR DE L’ÉTOILE.
S’il y a des Empereurs, les joue qui voudra.
MONSIEUR DAMIS,
Et les Paulins aussi.
MONSIEUR FLORIDOR.
Allons donc continuer Bérénice, et puis ensuite terminer le mariage de Mademoiselle Beauregard.