Les Billets doux (Louis DE BOISSY)
Comédie en un acte et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de bourgogne, le 15 septembre 1734.
Personnages
CLARICE
JULIE
DAMON
VALÈRE
ARLEQUIN
UN NOTAIRE
MARTON
La Scène est chez Clarice.
Scène première
DAMON, VALÈRE, ARLEQUIN
DAMON.
Oui, je brûle en secret.
VALÈRE.
Je soupire de même.
ARLEQUIN.
Et c’est incognito que j’aime.
VALÈRE.
Où loge la Beauté qui t’a su plaire ?
DAMON.
Ici.
Et ta Belle ?
VALÈRE.
En ces lieux.
ARLEQUIN.
La mienne y loge aussi.
DAMON.
Julie est l’objet qui m’enchante.
VALÈRE.
Je respire ! Mes vœux s’adressent à sa Tante.
ARLEQUIN.
Oh ! Pour le coup, je suis hors de souci,
Car j’ai donné mon cœur à leur Suivante.
DAMON.
Clarice allume en toi les feux les plus ardents ?
J’en ressens une joie extrême,
Et je t’admire en même temps ;
Car déjà douanière, elle touche à trente ans ;
À peine es-tu majeur, et maître de toi-même.
VALÈRE.
J’ai toujours eu du goût pour les mamans.
Mais toi, mon cher Damon, toi formé par le temps,
Dis-moi, quelle est donc ta folie
D’aller soupirer pour Julie ?
Ce n’est encore qu’un enfant.
DAMON.
Pour les jeunes tendrons mon cœur a du penchant.
ARLEQUIN.
Et je les aime entre deux âges.
Voilà pourquoi Marton a mes tendres hommages.
DAMON.
Ton choix, Valère...
VALÈRE.
Est bon sans contredit.
La solide beauté qu’accompagne l’esprit,
De l’âge mûr est l’heureux apanage.
DAMON.
Non, non, son attrait qui séduit
Ne fut jamais un don du temps qui le détruit.
De la primeur il est le vrai partage.
ARLEQUIN.
Moi, je soutiens que la beauté
Est entre la verdeur et la maturité.
Elle ressemble à la pêche qui brille ;
Son aimable saveur, et son charmant éclat
Sont renfermés dans ce point délicat
Qu’il faut saisir dans une fille.
VALÈRE.
L’esprit, Damon, l’esprit a des attraits
Plus brillants et plus forts que ceux de la personne :
Eux seuls à la beauté mettent les derniers traits ;
Et ces charmes vainqueurs, c’est l’âge qui les donne.
Conviens donc qu’en ce point mon goût est des meilleurs.
Jeune comme je suis, et sans expérience,
J’ai besoin de choisir une beauté qui pense,
Et qui dirige mes ardeurs.
Mon âme d’un feu pur veut goûter les douceurs,
Et se polir par la tendresse.
L’amour qui nous instruit, et qui forme nos mœurs,
Devient une vertu loin d’être une faiblesse ;
Et l’on doit tous les jours ses plus grandes erreurs
Au mauvais choix d’une maîtresse.
DAMON.
Moi, qui suis ton aîné, je dis, pour bien choisir,
Qu’il faut la prendre en sa grande jeunesse :
Nous la formons alors selon notre désir ;
Et nous goûtons la volupté suprême
De voir au moindre mot son beau front se couvrir.
D’une tendre rougeur qui sert à l’embellir,
Et de voir ses appas croître sous nos yeux même ;
Des vrais plaisirs c’est le premier.
Il est plus doux d’être de ce qu’on aime,
Le Précepteur que l’Écolier.
VALÈRE.
C’est justement ce que j’ose nier.
Et je suis sur qu’en un commerce tendre,
Le plaisir le plus vif est le plaisir d’apprendre.
ARLEQUIN.
Quand je devrais, Messieurs, passer pour importun,
Mon sentiment est différent du vôtre.
Il faut, quand on aime quelqu’un,
Il faut, pour le plaisir commun,
Être aussi savant l’un que l’autre.
DAMON.
Valère, finissons un vain raisonnement ;
Ce n’est que sur l’esprit qu’il a quelque puissance :
Mais le cœur brave l’éloquence,
Et ne se rend qu’au sentiment.
VALÈRE.
Là-dessus comme toi je pense.
Ce qui cause à présent mon plus grand embarras,
Est de faire l’aveu de ma secrète flamme
À l’objet que j’adore, et qui ne le sait pas.
DAMON.
Un pareil soin trouble mon âme,
Et je suis dans le même cas.
VALÈRE.
Un véritable amour est tremblant et timide ;
Le respect l’accompagne, et la crainte le guide :
Rien ne lui coûte pins que de se déclarer.
DAMON.
Il est vrai dans l’ardeur qui m’a su pénétrer,
Je sens que le n’ai pas la force de le dire :
Et comme je ne puis plus longtemps différer,
Je vais prendre aujourd’hui le parti de l’écrire.
À Arlequin.
Adieu, Valère. Et toi, viens prendre mon Billet.
Il sort.
VALÈRE.
Imitons son exemple, et courons sans remettre,
Pour expliquer mon feu discret,
Employer comme lui le secours d’une Lettre-
Valère suit Damon.
ARLEQUIN, en s’en allant.
Je vais aussi tracer un amoureux Poulet.
Scène II
JULIE, MARTON
MARTON.
Vous pouvez à présent me parler sans mystère,
Car les voilà tous trois sortis
Vous savez que Marton n’est rien moins que sévère.
JULIE.
Je n’ai pas seize ans accomplis,
Et cependant mon âme... Ah ! Marton, j’en rougis,
Et je devrais plutôt me taire.
MARTON.
Vous aimez ?
JULIE.
Tu l’as dit.
MARTON.
Chose extraordinaire !
JULIE.
Quelle honte à mon âge !
MARTON.
En vérité, j’en ris.
Le scrupule nouveau ! La plaisante pensée !
Sachez, pour rassurer vos timides esprits,
Qu’à quinze ans aujourd’hui l’on est plus avancée
Qu’à trente on ne l’était jadis.
JULIE.
Oui, par ma propre expérience,
Je sens la vérité de ce que tu me dis ;
Car j’ai pensé dès mon enfance ;
Se n’étuis pas, Marton, plus haute que cela,
Que mon cœur palpitait déjà.
MARTON.
Prodige heureux de la nature !
JULIE.
Façonné par le monde, instruit par la lecture,
Qu’il a fait de progrès depuis cet âge-là !
MARTON.
Celui pour qui ce cœur palpite,
Sans doute a beaucoup de mérite ?
JULIE.
C’est un Cavalier accompli.
MARTON.
Est-il bien fait ?
JULIE.
Oh ! Rien n’est plus joli.
De toutes les façons ii est formé pour plaire.
Son air est enjoué sans être trop hardi,
Et ton esprit brillant sans paraître étourdi.
MARTON, à part.
À ces traits-là je reconnais Valère.
À Julie.
Vous parlez-vous ?
JULIE.
Oui, des yeux seulement.
MARTON.
Mais les vôtres déjà s’expriment tendrement.
JULIE.
Depuis huit jours que je l’observe ;
Ah ! Les siens m’ont lancé des regards si flatteurs,
Qu’il faut qu’il m’aime sans réserve,
Ou que ces mêmes yeux soient de grands imposteurs !
MARTON, à part.
Son petit cœur se développe ;
Déjà chez lui comme l’amour galope !
À Julie.
De votre Amant je devine le nom.
Mais Arlequin revient.
JULIE.
Avec lui je te laisse,
Gardes bien mon secret.
Elle s’en va.
Scène III
ARLEQUIN, MARTON
ARLEQUIN.
Tiens, donnes à ta maîtresse
Ce Billet doux de la part de Damon,
Et celui-ci de la mienne à Marton.
MARTON.
Je n’y manquerai pas.
ARLEQUIN.
Fort bien. La chose presse.
Adieu. Je sors pout faire un tour,
Puis je reviens prendre les deux réponses.
MARTON.
Monsieur les trouvera prêtes à ton retour.
ARLEQUIN.
Songe à tenir le bien que tu m’annonces,
Et que mérite un amant fait au tour.
Il sort.
Scène IV
MARTON, seule
C’est un plaisant faquin pour me faire sa cour !
Damon aime Clarice. Oui la Lettre est pour elle,
Et j’ai su pénétrer qu’elle l’aime à son tour ;
C’est vainement que sa fierté le cèle.
Tous nos Amants sont assortis au mieux :
Mais elle paraît en ces lieux.
Scène V
CLARICE, MARTON
MARTON.
Belle Clarice, eh quoi, dans l’été de votre âge,
Vous, riche en bien autant qu’en agrément,
Voulez-vous donc languir dans l’ennui du Veuvage ?
De mille cœurs, à tour moment,
Votre beauté vous attire l’hommage.
CLARICE.
Ma richesse plutôt fait leur empressement.
J’ai juré de fuir sagement
Le ridicule joug d’un second mariage.
Un seul pourrait, s’il m’aimait tendrement,
Me faire rompre mon serment.
Quoiqu’il nous rende ici des visites fréquentes,
Je n’ose me flatter de son attachement
Sa figure est des plus charmantes :
Mais je sais résister à cet attrait flatteur
Que m’offre en vain son image importune.
Pour me résoudre à faire sa fortune,
Je voudrais m’assurer qu’il ferait mon bonheur.
MARTON.
Ah ! Puisqu’il est ainsi, grande, grande nouvelle !
Ce Cavalier de figure si belle,
Qui pourrait seul vous faire dans ce jour,
Rompre le ferment d’être veuve,
Ressent pour vous le plus parfait amour,
Et dans mes mains j’en ai la preuve.
CLARICE, à part.
Marton à démêlé que Valère est l’objet
Du feu qui m’enflamme en secret ?
À Marton.
Quelle est donc cette preuve, et que prétends-tu dire ?
MARTON.
Ce Billet.
CLARICE.
Un Billet ?
MARTON.
Oui, l’Amour l’a dicté.
Mais, Madame, je me retire
Pour vous donner tout le temps de le lire,
Et d’y répondre en liberté.
À part.
Je vais faire de mon côté,
La réponse au Poulet que l’on vient de m’écrire.
Elle s’en va.
Scène VI
CLARICE, seule
Lisons vite ; en l’ouvrant je sens trembler ma main.
Que cette Lettre est tendre ! Elle n’a point de seing.
Celui qui me l’écrit est jeune, et fait pour plaire.
Ah ! N’en doutons point, c’est Valère :
Et je le reconnais pour en être l’Auteur,
À ce portrait que Marton vient d’en faire,
Et plus encore au trouble de mon cœur.
Répondons-lui. Je puis me le permettre.
Elle se met en devoir d’écrire.
Pour me faire l’aveu d’un amour si flatteur,
Ses yeux ont prévenu sa Lettre,
Son front, dès qu’il me voit, se couvre de rougeur.
Tout me dit qu’il m’adore, et sa grande jeunesse
M’est un garant trop sûr de sa sincère ardeur.
Le monde encore n’a pas altéré sa candeur.
En écrivant toujours.
Je dois cette réponse au beau feu qui le presse ;
Et n’en déplaise au rigide censeur
Qui condamnera ma faiblesse,
Je ne puis faire un choix meilleur.
Après avoir écrit et plié son billet.
Les ans que j’ai sur lui sont même un avantage.
Quand une femme a le bonheur
D’attacher à son char un Amant de son âge,
Et d’avoir son premier hommage,
Elle peut à son gré façonner ses esprits,
Former ses sentiments, épurer sa tendresse ;
Et de ses volontés se rendant la maîtresse,
Faire de son vainqueur un esclave soumis.
Scène VII
CLARICE, MARTON
MARTON.
Votre réponse est-elle prête,
Madame ?
CLARICE.
Oui. Donne-la.
Elle rentre.
Scène VIII
MARTON, seule
L’affaire est en bon train.
Cette Lettre à Damon assure sa conquête.
J’écris de la bonne encre à Monsieur Arlequin ;
Il aura lieu... Mais je le vois paraître.
Scène IX
MARTON, ARLEQUIN
ARLEQUIN.
Nous a-t-on répondu ? Je vois certain papier
Qui flatte mon espoir...
MARTON.
Voilà pour votre maître,
Et voici pour son Écuyer.
ARLEQUIN.
Pour moi, Marton ! Je brûle de la lire ;
MARTON.
J’ai fait ma charge. Adieu. Je me retire.
Elle sort.
Scène X
ARLEQUIN, seul
Dans ma poche d’abord mettons ce billet-ci.
Il met le Billet de Marton dans a poche.
La Lettre de Marton, voyons ce qu’elle chante,
Et saisissons l’instant que je suis seul ici.
Après avoir lu la Lettre de Clarice.
Trop heureux Arlequin ! Ta fortune m’enchante ;
J’expire de plaisir. L’aimable Billet doux !
Marton m’aime, Marton m’adore ;
Elle me donne un rendez-vous.
Charmante Lettre, approchez-vous,
Que je vous baise, et vous rebaise encore.
Scène XI
DAMON, ARLEQUIN
DAMON.
Satisfais au plutôt mes désirs empressés.
À ma Lettre, Julie a-t-elle fait réponse ?
ARLEQUIN, sans voir Damon.
Non, je suis hors de moi.
DAMON.
Non ! Qu’est- ce qu’il m’annonce ?
ARLEQUIN, embrassant Damon sans le regarder.
Doux objet ! Vous me ravissez ;
Et pour vous, Arlequin à Lisette renonce.
DAMON.
Parles, Maraud ! As-tu les sens blessés !
ARLEQUIN.
C’est vous, Monsieur ? Mon âme en est ravie.
Ah ! Prenez part au bonheur d’Arlequin ;
J’ai le plus grand plaisir que j’aurai de ma vie,
Et vous voyez en moi le plus heureux coquin.
Marton m’aime, Monsieur, jusqu’à l’idolâtrie.
DAMON.
Laisse-là ta Marton, Parles-moi de Julie,
M’écrit-elle ?
ARLEQUIN.
Voici qui vous en instruira.
DAMON.
Donne donc vite.
ARLEQUIN.
Eh, Monsieur, la voilà !
Ne vous fâchez pas, je vous prie.
DAMON lit.
Mon cher petit Monsieur, je vous trouve bien fat
D’oser me déclarer votre amour ridicule.
ARLEQUIN.
Ah ! L’amour de mon maître est en mauvais état.
DAMON continue.
Pour que je sois sensible à l’ardeur qui vous brûle,
Votre taille est trop gauche : et votre esprit trop plat.
Vous êtes libertin au vingtième quarrat,
Par dessus tout vous aimez le Bourgogne,
Et j’ai toujours été d’un goût trop délicat,
Pour écouter les soupirs d’un ivrogne.
Après avoir lu.
Quel style ! Quelle Lettre ! Est-ce à moi qu’on l’écrit ?
Et peut-elle partir d’une fille bien née ?
Que la grossièreté que fait voir son esprit,
Dément bien la douceur dont les Cieux l’ont ornée !
ARLEQUIN.
Tous les Amants n’ont pas la même destinée,
Et je conçois votre dépit :
Mais le beau sexe est sujet au caprice,
Et j ‘ai vraiment de la douleur
Qu’il ne vous rende pas justice
Comme il la rend à votre serviteur.
DAMON.
Sans indignation je ne puis la relire.
Me refuser son cœur, je n’aurais rien à dire :
Mais joindre l’insulte au dédain,
Et me traiter d’ivrogne et de bas libertin ;
C’est tour ce qu’on pourrait écrire
À mon valet, à ce faquin.
ARLEQUIN.
Souvent le plaisir vous attire,
Et, comme moi, Monsieur, vous aimez le bon vin ;
Mais j’excuse ce trait malin,
C’est la rage qui vous l’inspire.
Quand on est comme moi fortuné dans ses feux,
On passe quelque chose aux Amants malheureux.
Je vois entrer cette qui vous captive :
Demandez-lui raison de sa belle missive.
Scène XII
DAMON, JULIE, ARLEQUIN, MARTON
DAMON, à Julie.
Quelque peu de mérite, et quelque peu d’esprit
Dont m’ait fait présent la nature,
Je n’aurais jamais crû que mon feu vous aigrit
Au point de m’attirer la lettre la plus dure,
Pour l’avoir dans ce jour déclare par écrit ;
Ni qu’un amour si pur fût pour vous une injure.
JULIE.
Un pareil discours m’étourdit.
Quelle Lettre, Monsieur ?
DAMON.
Une Lettre conçue
En termes si choquants, si peu dignes de vous,
Qu’elle vous fait plus d’outrage qu’à nous.
Ma déclaration pouvait être reçue
Avec un peu plus de douceur ;
Et vous pouviez, puisque j’ai le malheur
De ne pas plaire à votre vue,
Refuser poliment l’hommage de mon cœur ;
Vous m’auriez plus puni, témoignant moins d’aigreur.
ARLEQUIN.
Pour moi, belle Marton, j’aurais tort de me plaindre.
Je suis content de ce poulet.
MARTON, d’un air ironique.
Vous prenez bien la chose, à vous parler sans feindre,
Et vous avez l’esprit bien fait.
JULIE.
Il me fait-là, Marton, un reproche en idée ;
Et je ne sais sur quoi cette plainte est fondée,
Ni qui le porte à me parler ainsi.
MARTON.
Mais je n’y comprends rien aussi.
DAMON.
Je vous l’ai dit, Mademoiselle.
C’est un Billet de vous, ou plutôt un Libelle :
Où je suis honoré du beau titre de fat :
À cette qualité pompeuse,
Vous ajoutez encore l’épithète flatteuse,
De ridicule et d’esprit plat.
JULIE.
Moi, Damon, avec vous employer ce langage,
Et vous écrire sur ce ton ?
Ah ! J’en suis incapable, et c’est me faire outrage
Que d’en avoir seulement le soupçon.
DAMON.
Ce discours à mon tour a lieu de me surprendre.
Mais la réponse que voilà,
De tout ce que je dis, bientôt vous convaincra ;
Arlequin vient de me la rendre,
Tenez, voyez, demeurez-là.
JULIE, après avoir lu.
Ce n’est pas là mon écriture.
Mon style encore moins. Monsieur, on s’est mépris.
DAMON.
D’où vient donc ce Billet, et par quelle aventure,
Puisqu’il n’est pas de vous, m’a-t-il été remis ?
MARTON.
Le plaisant qui pro quo que causent ces Écrits !
Je ne puis m’empêcher d’en rire ;
Il est temps de finir l’embarras de tous deux.
À Damon.
Remettez-moi, Monsieur, ce poulet doucereux.
À Arlequin.
Et vous, qu’un pareil coup commence d’interdire,
Maître étourdi, donnés vite, donnés
L’autre qu’à tort vous retenez.
Elle le donne à Damon.
ARLEQUIN.
Pourquoi donc cela ? Qu’est-ce à dire ?
MARTON, à Arlequin.
Tiens, reçois de ma part celui qui t’appartient.
Chacun a maintenant l’Écrit qui lui convient.
DAMON.
C’est donc l’Ouvrage de ce traître ?
MARTON.
À cette balourdise on doit le reconnaître.
ARLEQUIN.
De ma bonne fortune, ah ! Je suis culbuté.
DAMON.
Pardonnés si d’abord mon esprit transporté...
JULIE.
Vous étiez dans l’erreur, vous êtes excusable.
DAMON.
Dans cet Écrit mon fort est renfermé.
Pour éclaircir mon amour alarmé
Permettez-moi de voir s’il m’est plus favorable.
Il lit.
Vous ressentez pour moi la plus parfaite ardeur,
Si j’en crois le Billet que vous osez, m’écrire.
Pour en mieux convaincre mon cœur,
Je vous permets de venir me le dire.
Après avoir lu.
Adorable Julie, ah ! Quel est mon bonheur !
Je sens comme je dois cet excès de faveur,
Et tout mon espoir se réveille.
JULIE.
Une seconde fois vous tombez dans l’erreur.
C’est une autre que moi, que vous devez, Monsieur,
Remercier d’une grâce pareille.
De cette lettre-là je ne suis pas l’Auteur.
DAMON.
Ô Ciel ? Ce n’est point vous ?
JULIE.
Non, ce n’est point Julie
Qui n, a jamais écrit à Damon de sa vie,
Ni reçu de sa part nul Billet amoureux.
DAMON, à Arlequin.
Ah ! C’en est trop ; approche, malheureux,
Parles, à qui donc as-tu rendu ma Lettre ?
ARLEQUIN.
À cette fille-là, Monsieur, pour la remettre
À sa Maîtresse.
MARTON, d’un air embarrassé.
Oui, mais...
DAMON.
Mais...
MARTON.
Comme j’en sers deux,
J’ai crû, faisant une bévue,
Qu’elle était pour Clarice, à qui je l’ai rendue.
DAMON.
Ah ! Qu’as-tu fait ; Par ce coup assommant,
Je vois ma tendresse trahie !
ARLEQUIN.
Si je suis un balourd, elle est une étourdie.
DAMON, à Julie.
Si vous vouliez dans ce moment,
De ce Billet heureusement,
Vous pourriez réparer la méprise piquante,
Et la changer en vérité constante.
JULIE.
Comment ? Expliquez-vous, Damon.
DAMON.
En y mettant seulement votre nom.
JULIE.
Mon nom est-il si nécessaire ?
Ne suffirait-il pas que ma bouche sincère,
En adoptant le sens de ce tendre Billet,
Vous confirmât tout ce qu’il vous promet ?
DAMON.
Je ne crains plus d’équivoque fâcheuse,
Mes désirs sont comblés, et ma flamme est heureuse !
MARTON.
D’accord. Mais vous avez à craindre le pouvoir.
DAMON.
Eh ! De qui donc ?
MARTON.
De Clarice amoureuse,
Qui peut traverser votre espoir.
DAMON.
Sa Tante a l’âme généreuse.
MARTON.
Oui, mais elle vous aime, et croit que son amour
Est payé, d’un tendre retour.
L’affaire est vraiment épineuse.
DAMON.
Dans un tel embarras que faire ? Justes Cieux !
MARTON.
Je ne vois qu’un moyen, s’il faut que se le dise.
C’est de soutenir la méprise,
Et de feindre en attendant mieux.
DAMON.
Moi ! feindre pour Clarice une fausse tendresse ?
D’un procédé si bas je me sens révolté ;
Il fait outrage à la sincérité,
Et blesse trop l’amour que je sens pour sa Nièce.
MARTON, à Julie.
Votre Amant est trop scrupuleux.
JULIE.
Il a raison.
MARTON.
Sotte délicatesse !
Et vous devez vous-même y résoudre les feux.
JULIE.
Y songes-tu, Marton ?
MARTON.
Y songez-vous vous-même ?
Si Clarice apprend qu’il vous aime,
Il ne vous reste aucun recours ;
Pour se venger dans sa colère,
Elle mettra d’abord obstacle a vos amours.
Contre Monsieur, préviendra votre père,
Et vous allez le perdre pour toujours.
JULIE.
À me prêter à toute cette crainte me porte.
DAMON.
Pouvez-vous consentir...
MARTON.
J’entends ouvrir la porte,
C’est Clarice.
JULIE, à Damon.
Ah ! Feignez, et cédez au besoin.
Je l’exige de vous. Mais il faut que je sorte,
Et je souffrirais trop d’en être le témoin.
Elle sort.
MARTON, à Damon.
Je vais vous seconder et de la bonne sorte.
DAMON.
En contraignant mon âme à ce déguisement,
Je donne de mes feux la preuve la plus forte
Que puisse donner un Amant.
Scène XIII
DAMON, CLARICE, MARTON
DAMON.
Je viens en ce jour favorable
Faire éclater mes transports amoureux ;
Et vous remercier de la réponse aimable
Que vous venez de faire à mon Billet heureux.
L’audace que je prends doit m’être pardonnée.
À vos bontés je ne fais qu’obéir,
Belle Clarice, et me servir
De la permission que vous m’avez donnée.
CLARICE.
D’un tel discours je demeure étonnée ?
Vous avez tort, Monsieur, de me remercier.
Marton ?
MARTON.
Eh bien, Monsieur vous aime,
Madame, et vous l’aimez de même ;
Vous vous l’êtes écrit, à quoi bon le nier ?
DAMON.
Du plus tendre retour cette Lettre m’assure.
MARTON.
Vous ne sauriez aller contre votre écriture.
CLARICE.
On vous a remis ce Billet ?
DAMON.
Oui, Madame, tantôt Marton à mon Valet
L’a donné pour me le remettre,
En réponse du mien, qu’elle vous a rendu.
MARTON.
Monsieur accuse vrai.
CLARICE, à part.
L’ai-je bien entendu ?
Fatale erreur ! Et malheureuse Lettre !
Bas à Marton.
Marton ! tu t’es trompée et m’as trompée aussi.
MARTON.
Autre incident ! Qu’est-ce donc que ceci ?
DAMON.
Ma surprise, Madame, est égale à la vôtre.
Me donnant ce Billet, se serait-on mépris ?
CLARICE, d’un air embarrassé.
Mais, Monsieur, pardonnez à mes sens étourdis.
Il est vrai, j’avais crû l’écrire pour un autre.
DAMON.
Comment entre mes mains est-il donc parvenu ?
CLARICE.
Monsieur, par un mal entendu,
Votre Lettre...
DAMON.
Eh bien ?
CLARICE.
Marton me l’a rendue
Sans vous nommer, disant qu’elle venait
D’un jeune Cavalier qui pour moi soupirait.
Sur ce portrait qui m’a déçue,
Ayant l’esprit frappé d’un autre objet,
J’ai crû, Monsieur...
DAMON.
Vous avez crû, Madame ?
CLARICE.
Ah ! Dans la confidence où vous forcez mon âme,
De grâce, épargnez ma douleur !
N’achevés pas de me confondre.
Vous m’entendez, assez, et voyez ma rougeur.
Elle vous dit qu’un autre est maître de mon cœur,
Et que c’était à lui que je croyais répondre.
DAMON, à part.
Je ne suis pas aimé. Ciel ! Que je suis heureux !
CLARICE.
Apres un tel aveu si dur pour tous les deux,
Étouffez au plutôt une flamme inutile ;
Et faites, aux transports d’un amour trop ardent,
Succéder les égards d’une estime tranquille,
Sur vous-même obtenez cet effort difficile :
Et puisque le hasard vous fait mon Confident,
Gardez sur mon sujet un silence prudent.
Songez qu’à mon secret ma gloire est attachée ;
Que l’objet de mes feux n’en est pas informé,
Et que de quelque trait que l’amour m’ait touché ;e
Ma faiblesse à jamais demeurera cachée ;
S’il ne m’apprend qu’il m’aime autant qu’il est aimé.
DAMON.
Madame, soyez rassurée
Ne craignez rien de ce côté
Pour moi la loi la plus sacrée
Est celle de la probité.
À quelque passion qu’il ait l’âme livrée,
L’honnête homme obéit sitôt qu’elle a parlé ;
Et tout, jusqu’à l’amour, lui doit être immolé.
À noircir le beau sexe on a la bouche prompte ;
Vice qu’au fond du cœur j’ai toujours abhorré :
De la faiblesse qui le dompte,
Quand le secret est ignoré,
Qui le publie, en mérite la honte,
Et devant la raison est seul déshonoré.
Pour moi, que cet exemple irrite,
Pour les Dames je suis d’un tel zèle enflammé,
Que je veux parvenir du moins par ma conduite,
Au bonheur d’en être estimé,
Si je ne puis par mon mérite,
Avoir celui d’en être aimé.
Et pour vous, en donner une forte assurance,
Je vous rends ce Billet, puisqu’il n’est pas pour moi
Il vous répond de mon silence,
Et vous prouve ma bonne foi.
CLARICE.
Un si beau procédé m’enchante.
Ah ! Que ne puis-je en ce jour vous marquer
Combien j’en suis reconnaissante !
DAMON.
Vous le pouvez.
CLARICE.
Comment ? Daignez vous expliquer.
Parlez.
DAMON.
Le prix que je demande
Est trop grand pour le mériter.
CLARICE.
Non, il n’est point, pour m’acquitter,
Une récompense trop grande.
Demandez. Soyez sur d’obtenir tout de moi,
Hors ma main, et mon cœur qui n’est plus sous ma loi.
DAMON.
Par vos bontés mon âme est enhardie.
Puisque la fortune m’envie
La gloire d’être votre époux,
Au défaut d’un bonheur si doux,
Le seul qui peut me flatter dans la vie,
Je vous en fais ici l’aveu,
Est de me voir votre neveu.
Pour mériter ce nom, accordez-moi Julie.
CLARICE.
Le choix est trop flatteur. Pour hâter ce lien,
Courez la demander de ce pas à mon Frère ;
Parlez-lui de ma part, il vous recevra bien.
Il est d’ailleurs ami de votre Père ;
Et pour vous appuyer, je n’épargnerai rien.
DAMON, en s’en allant.
Quel heureux coup pour ma tendresse !
MARTON, à part.
Du succès de cet entretien,
Courons vue informer la Nièce.
Elle sort.
Scène XIV
CLARICE, seule
Dans un malheur comme le mien ;
Ce qui me console et me flatte,
L’objet de mon amour n’est connu que de moi.
Mais quelqu’un vient. Ah ! C’est lui que je vois.
Empêchons qu’à ses yeux ma faiblesse n’éclate.
Scène XV
VALÈRE, CLARICE
VALÈRE.
Madame, c’est à vous qu’aujourd’hui j’ai recours.
De vos sages conseils j’implore le secours
Sur une affaire délicate,
Et qui doit décider du bonheur de mes jours.
À peine j’entre dans le monde.
Et dès le premier pas je crains de m’égarer :
Je sais qu’en écueils il abonde ;
Sur le plus grand de tous daignez donc m’éclairer.
CLARICE.
Vous faites trop d’honneur à mon peu de lumière.
Si vous jugez pourtant qu’il vous soit nécessaire,
Monsieur, vous n’avez qu’à parler,
Je suis prête à vous conseiller.
VALÈRE.
Puisqu’il faut vous ouvrir mon âme toute entière,
Je vous dirai que j’aime.
CLARICE, à part.
Ah ! Qu’est-ce que j’entends ?
À Valère.
Celle pour qui votre âme est enflammée,
Sans doute est digne d’être aimée,
Et ses attraits sont éclatants !
VALÈRE.
Autant que ses vertus, c’est tout ce qu’on peut dite.
Je la, respecte, et je l’admire.
On trouve tout en elle, esprit, beauté, douceur.
À la droiture, à la candeur
Elle joint l’agrément avec la politesse,
Et l’étude du monde à beaucoup de sagesse.
CLARICE, bas.
Chaque mot est un trait qui me perce le cœur !
Haut.
Vous ne pouvez en faire un portrait plus flatteur,
Et ne sauriez brûler d’une flamme plus belle.
Mais répond-elle à votre ardeur ?
VALÈRE.
Je suis bien loin de ce bonheur !
Mon amour n’est pas connu d’elle ;
Mon respect à ses yeux s’est fait seul remarquer.
Quand je parois devant ma Souveraine,
Je demeure interdit, je n’ose m’expliquer,
Et je tremble toujours que l’aveu de ma peine,
N’ait le malheur de la choquer.
CLARICE.
Votre conduite est très louable,
Et votre cœur fait éclater,
Tous les signes, Monsieur, d’un amour véritable,
Qui ne saurait la révolter.
VALÈRE.
Non, je n’ai pas l’orgueil de m’en flatter ;
Et pour m’exposer moins dans l’ardeur qui me guide,
Ma main dans un Billet ose la déclarer,
Et supplée au défaut de ma bouche timide.
Pour savoir s’il est bien, je viens vous le montrer.
Ne me soyez pas trop rigide ;
S’ils sont mal exprimés, mes sentiments sont vrais :
Que votre cœur seul en décide.
S’il les goûte aujourd’hui, je suis sûr du succès.
CLARICE.
Pour répondre, Monsieur, à votre confiance,
Je vais lire, et vous dire après,
Sans nul détour ce que je pense,
À part.
En cette dure extrémité
Oublions que je suis Amante,
Pour m’acquitter avec sincérité
De l’office de Confidente.
Elle lit.
Pour vous d’un feu si pur je me sens pénétrer,
Que ce n’est qu’en tremblant que ma main vous l’exprime
Comme je ne vis plus que pour vous adorer,
Je meurs, si l’espoir ne m’anime.
Prononcez donc l’arrêt d’où dépendent mes jours.
En flattant mon ardeur d’un retour légitime,
Ne craignez pas d’en voir finir le cours ;
Mon amour doit durer toujours,
Puisqu’il est fondé sur l’estime.
Après avoir lu.
On ne peut déclarer son feu plus sagement.
VALÈRE.
Vous approuvez ma Lettre ?
CLARICE.
Assurément,
Et vous ne mourrez point.
VALÈRE.
Clarice le prononce ?
CLARICE.
Oui, ce Billet mérite une tendre réponse
VALÈRE.
Je l’attends.
CLARICE.
Envoyez-le à l’objet de vos vœux.
VALÈRE.
La chose est déjà faite. En ces instants heureux
Il est entre ses mains.
CLARICE.
C’est donc-là la copie ?
VALÈRE.
Non, c’est l’original. Répondez, je vous prie.
CLARICE.
C’est à moi, Valère ?
VALÈRE.
Oui. C’est à vous que j’écris.
CLARICE.
La déclaration étonne mes esprits.
VALÈRE.
Dites un mot, vous me sauvez la vie.
CLARICE, à part.
Je suis aimée ! Ah ! Mon âme est ravie,
Et rien n’est plus galant que le tour qu’il a pris
Pour déclarer l’ardeur dont il se sent épris ?
VALÈRE.
Eh quoi ! De l’amour le plus tendre
Le silence est-il donc le prix ?
CLARICE.
Il naît de ma surprise, et pour me faire entendre,
J’ai besoin. Mais on vient, je me retire. Adieu.
VALÈRE.
Daignez me dire, avant que de quitter ce lieu,
Quels sont vos sentiments ?
CLARICE.
Si vous voulez attendre,
On viendra de ma part ici vous les apprendre.
Elle rentre.
Scène XVI
DAMON, VALÈRE
DAMON, à Valère.
Ma joie, Ami, ne peut se concevoir !
J’obtiens Julie, et j’ai l’agrément de son Père.
On a fait venir le Notaire,
Le Contrat est dressé, je te le fais savoir,
Les violons font prêts, nous danserons ce soir.
Et toi, mon cher, dis-moi, sans tarder davantage,
Comment vont tes amours où je prends intérêt ?
Mais, sur ton front qui répand ce nuage ?
D’un Plaideur incertain tu portes le visage.
VALÈRE.
Mon destin est pareil, et j’attends mon arrêt.
DAMON.
Ma présence en ces lieux l’a suspendu peut-être.
VALÈRE.
Oui. Dans le moment qu’elle t’a vu paraître,
Clarice allait le prononcer.
DAMON.
Mais ses yeux, en partie, ont dû te l’annoncer ?
VALÈRE.
Dans ses regards douteux où régnait la contrainte,
Je n’ai rien vu de décisif
Et le doute est pout moi le tourment le plus vif.
Enflammé par l’espoir, et glacé par la crainte,
Je ne saurais me définir ;
Ma situation ne peut être dépeinte ;
Je crains de perdre un bien que j’espère obtenir.
Dans cette obscurité qui me trouble et me gêne,
Je ne sens rien pour trop sentir ;
Et n’osant former de désir,
Je suis dans l’attente incertaine
De la douleur et du plaisir.
DAMON.
L’état est violent, et j’entre dans ta peine.
Scène XVII
VALÈRE, DAMON, UN NOTAIRE
LE NOTAIRE, à Valère.
Lisez, Monsieur, ce papier, s’il vous plaît.
Clarice vous l’envoie.
VALÈRE.
Ah ! Quel noir personnage !
Je frémis ! Son habit m’est d’un mauvais présage.
DAMON.
Avant de t’affliger regarde ce que c’est.
VALÈRE, après avoir lu.
C’est un Contrat de Mariage !
Clarice, en cet écrit, quel bonheur est le mien !
M’accepte pour Époux !
LE NOTAIRE.
Et vous donne son bien.
DAMON.
Un pareil Billet doux doit avoir ton suffrage.
VALÈRE.
Ô ! Procédé charmant, et qui n’a point d’égal !
LE NOTAIRE, à Valère.
Signez vite, en voyant un si gros avantage.
VALÈRE.
Monsieur, à ce noble langage
Je reconnais en vous un Notaire Royal.
Il signe.
Scène XVIII
DAMON, VALÈRE, CLARICE, JULIE, ARLEQUIN, MARTON, LE NOTAIRE
CLARICE, à Valère.
De la réponse que j’ai faite
Votre âme est-elle satisfaite ?
Et trouvez-vous que j’écrive si mal ?
VALÈRE.
Surpris de mon bonheur, je né puis que me taire,
Et me jeter, à vos genoux.
CLARICE.
Vous m’aimez. Il suffit, Valère, levez-vous.
Quelques biens dans, ce jour que je puisse vous faire,
Votre cœur est d’un prix qui les acquitte tous.
DAMON.
Nous, voilà tous heureux, que la fête commence.
ARLEQUIN.
Marton, un mot avant qu’on danse ;
La Lettre de tantôt, je veux bien l’excuser,
Pourvu que votre main répare l’insolence...
MARTON.
Non, je ne veux que m’amuser,
Je suis faite pour plaire, et non pour épouser.
ARLEQUIN.
Et moi, quand on me fait un compliment semblable,
J’ai l’esprit de le mépriser,
Et d’envoyer fort poliment au diable
Toute fille sans goût, qui m’ose refuser.
Scène XIX
DAMON, VALÈRE, CLARICE, JULIE, ARLEQUIN, MARTON, LE NOTAIRE, LE CHANTEUR, DANSEURS et DANSEUSES
LE CHANTEUR.
Venez, jeunes Amants ; je suis un Précepteur
Dont la morale est peu rigide.
De l’Enfant de Paphos je tiens mon art flatteur
Écoutez des leçons où lui-même préside.
À votre doux vainqueur,
Quand votre main timide
Voudra déclarer votre ardeur,
Ne prenez pas l’esprit pour guide ;
Ne faites parler que le cœur.
De l’amour en lui seul tout le charme réside,
Il est son plus grand orateur.
Venez, jeunes Amants, je suis un Précepteur
Dont la morale est peu rigide.
De l’Enfant de Paphos je tiens mon art flatteur.
Écoutez des leçons où lui-même préside.
Vaudeville.
LE CHANTEUR.
Pour vous, en qualité d’Amant,
Je prends la plume à tout moment,
Beautés dont l’œil m’attire ;
Mais pour me charger avec vous
Du titre dangereux d’Époux,
Je ne sais pas écrire.
MADEMOISELLE THOMASSIN.
Pour copier une chanson,
Ma main ne fait point de façon,
On n’a qu’à me la dire ;
Mais pour donner des rendez-vous,
Et répondre à des Billets doux,
Je ne sais pas écrire.
UN GASCON.
À des tendrons jeunes et frais,
Sandis jé tracé des Billets
Autant qu’on le désire ;
Mais à des créanciers jamais :
Pour ces Messieurs qui font des frais,
Jé né sais pas écrire.
MADEMOISELLE SILVIA.
Quand il faut signer un contrat
Contre lequel l’Amour combat,
Notre main se retire ;
Mais pour assurer le bonheur
D’un Amant choisi par le cœur,
Ah ! Quel plaisir d’écrire !
ARLEQUIN, au Parterre.
On peste contre le Papier
Quand on a le don d’ennuyer
Au lieu de faire rire ;
Mais pour l’Auteur qui réussit
Et que votre main applaudit,
Ah ! Qu’il est doux d’écrire !