Le Sot vengé (Raymond POISSON)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en février 1661.

 

Personnages

 

LUBIN, ou le sot vengé

LUBINE, femme de Lubin

LE COMPÈRE, amoureux de Lubine

MONSIEUR RAGOT, amoureux de Lubine

CROQUILLON, valet du Compère

 

La scène est à Paris.

 

 

Scène première

 

MONSIEUR RAGOT, LUBINE

 

LUBINE.

Quoi ! Vous osez Maître Ragot,

Maître importun, et maître sot,

Me venir rendre encor visite,

Moi qui vous hais et vous évite,

Comme l’on évite la mort !

MONSIEUR RAGOT.

Ne vous emportez pas si fort,

Lubine, voici la dernière :

Vous êtes pour moi chaste et fière,

Mais le Compère a tant d’appas

Que pour lui vous ne l’êtes pas.

LUBINE.

Vous l’avez dit, qu’en peut-il être ?

MONSIEUR RAGOT.

Rien, car vous n’avez point de Maître :

À dire vrai que craindriez vous ?

Votre mari roué de coups,

De vous et de l’heureux Compère,

Qui mange chez vous d’ordinaire ?

Et qui je pense y couche aussi ?

J’en aurais fort peu de souci,

Mais vous me traitez d’une sorte...

LUBINE.

Faites vos plaintes à la porte,

Je suis lasse de l’entretien

D’un homme plus sot que le mien.        

Elle rentre.

MONSIEUR RAGOT.

Ah ! c’est trop mépriser ma flamme ;

Je m’en saurai venger, infâme,

J’encouragerai ton mari,

Je chasserai ton favori ;

Enfin je m’en vais dans ma rage

Te faire un diable de ravage,

Dès aujourd’hui ton sot époux

Te donnera deux mille coups :

Mais pour commencer cette affaire,

Allons empaumer le Compère.

 

 

Scène II

 

LE COMPÈRE, CROQUILLON

 

CROQUILLON.

D’où vient ce grand empressement ?

LE COMPÈRE regarde sa montre avec empressement.

Il est huit heures justement,

C’est l’heure qu’elle m’a donnée.

CROQUILLON.

Je ne sais point de haquenée,

Dont l’amble...

LE COMPÈRE.

Veux-tu m’obliger ?

C’est ici l’heure du Berger ;

La manquer !

CROQUILLON.

Mon maître extravague.

LE COMPÈRE.

À propos donne-moi ma bague.

CROQUILLON.

Mais Lubin ce pauvre Jobet,

Qui va quérir comme un barbet,

Et qui vous rapporte de même,

Dont la patience est extrême ;

Ce mari plus battu qu’un chien,

Qui voit beaucoup, et ne dit rien ;

Enfin ce plus sot que tout autre,

Dont la femme est, je crois, la vôtre,

N’est-il pas sur votre journal

Marqué pour un original ?

LE COMPÈRE.

Donne donc, il est fort commode.

CROQUILLON.

Il n’en amène pas la mode,

On le pratique en toutes parts :

Diable la mode des cornards

Est une mode d’importance,

On ne la change point en France,

Les autres durent quinze jours,

Mais celle-là dure toujours.

LE COMPÈRE.

C’est l’objet de ta raillerie.

CROQUILLON.

Il revient de la boucherie

Quérir une tête de veau,

Il vient de rentrer.

LE COMPÈRE.

Mon anneau :

Que ta longueur me désespère !

CROQUILLON.

Vous allez donc voir la Commère ?

LE COMPÈRE.

Oui, maudit traître, en cet instant

Que tu jases, elle m’attend,

Et c’est pour finir mon martyre...

CROQUILLON donne la bague.

Courez, je n’ai plus rien à dire,

Mais je crains pour le diamant.

LE COMPÈRE se donne en hâte un coup de peigne.

C’est peu pour cet heureux moment.

CROQUILLON.

Monsieur, Ragot est à la porte.

LE COMPÈRE, bas en colère.

Que veut-il ? le diable l’emporte :

Cours lui dire que d’aujourd’hui

Je ne puis pas parler à lui,

Et qu’une affaire d’importance...

CROQUILLON.

Il n’est plus temps, car il avance.

LE COMPÈRE, bas en colère.

Le diable le puisse emporter ?

Coquin, veux-tu pas l’arrêter ?

CROQUILLON.

Il vient, songez à lui répondre.

LE COMPÈRE, bas en colère.

Que l’enfer le puisse confondre !

Un vautour lui mange le cœur !

 

 

Scène III

 

LE COMPÈRE, MONSIEUR RAGOT, CROQUILLON

 

LE COMPÈRE, haut.

Ah ! Monsieur, votre serviteur.

MONSIEUR RAGOT.

Je vous ai détourné peut-être.

LE COMPÈRE.

Vous vous moquez.

CROQUILLON.

Ah qu’il est traître !

MONSIEUR RAGOT.

Sans vous, ami, je suis perdu.

LE COMPÈRE, bas.

Fusse-tu mille fois pendu.

Monsieur, allât-il de ma vie.        

Haut.

Je ne perdrai jamais l’envie

De vous prouver ma passion.

MONSIEUR RAGOT.

Je suis dans la confusion.

LE COMPÈRE, bas.

Et moi, je suis dedans la rage.

CROQUILLON.

Cela ne va pas mal, courage.

MONSIEUR RAGOT.

Portez vous à deux pas d’ici,

Vous m’allez ôter de souci.

LE COMPÈRE.

J’irais pour vous jusques à Rome

Les pieds nus.

CROQUILLON.

Ah, le méchant homme ?

LE COMPÈRE.

Et je vous donnerais mon cœur.

MONSIEUR RAGOT.

Votre franchise et votre ardeur,

Se trouve pour moi sans seconde.

LE COMPÈRE, bas.

Derechef l’enfer te confonde ;

Haut.

Je crains qu’on ne m’aille ravir

L’avantage de vous servir.

MONSIEUR RAGOT.

Partons.

LE COMPÈRE, à son valet.

Tu le paieras, traître.

 

 

Scène IV

 

CROQUILLON, seul

 

Eh bien, vit-on jamais paraître

Une plus grande trahison ?

Si je rentre dans ta maison

Puissent toutes les chambrières

Me donner cent coups d’étrivières.

Je ne puis pas trouver, je crois,

Un plus méchant maître que toi.

 

 

Scène V

 

LUBIN, LUBINE

 

LUBIN.

Diable soit ta chienne de vie !

Dis, Carogne, as-tu point envie

De me traiter plus doucement ?

LUBINE.

Va : reporte la seulement

Au boucher, et sans plus attendre.

LUBIN.

Il ne la voudra pas reprendre.

LUBINE.

Mais me veux-tu faire enrager ?

Crois-tu que je puisse manger

De cette tête ? Va la rendre.

LUBIN.

Il ne la voudra pas reprendre.

LUBINE.

Elle pue, ne la sens-tu pas,

Dis-lui qu’on la sent de dix pas,

Et qu’il joue à se faire pendre.

LUBIN.

Il ne la voudra pas reprendre.

LUBINE.

Si tu me fais prendre un bâton.

Mais voyez son diable de ton.

Il ne la voudra pas reprendre !

Ma foi ! Si tu me fais te prendre !

Je te donnerai du gros bout,

Et dessus le ventre et partout

Chien de cornard.

LUBIN.

Je le confesse,

Quand tu n’étais que ma maîtresse,

Voyant tout ce que tu faisais

Je vis bien que je le serais ;

Et le diable ayant l’avantage

D’avoir fait notre mariage,

Il n’a pas trop mal réussi,

Car il le voulait bien aussi.

LUBINE.

Ah ! que de t’avoir je suis lasse !

L’on me montre au doigt quand je passe,

Voilà la femme de ce gueux,

Dit-on.

LUBIN.

Moi l’on me montre à deux.

LUBINE.

Moi, t’avoir pris ! Moi qui suis fille

D’un bon tapissier de la ville.

LUBIN.

C’est pourquoi, l’on me l’a bien dit,

Tu fais de si bons tours de lit.

LUBINE.

Quoi tu veux jaser, chien d’ivrogne ?

Reporte donc cette charogne,

Ou je te vais rompre les bras.

LUBIN.

J’y vais, ne me frappe donc pas :

Mais comme il ne la pourra vendre :

Il ne la voudra pas reprendre.

LUBINE.

Encore : tu le payeras

Aussitôt que tu reviendras :

Ne suis-je pas bien misérable

D’avoir pris un homme semblable ?

Ce gueux était distributeur

De ces billets d’Opérateur

Il gagnait deux sous la journée.

Regardez combien c’est l’année,

Sans aller compter par ses doigts

C’est tout juste un écu par mois.

N’est-ce pas pour faire grand chère.

C’était un objet de misère,

Il était tout déguenillé,

Voyez comme il est habillé,

Cependant depuis peu le traître !

Voudrait je crois faire le maître !

Il ne veut que ce qu’il lui plaît.

Le sot, je l’ai fait ce qu’il est.

 

 

Scène VI

 

LUBIN, l’ayant écoutée

 

Est-ce une si belle besogne

Pour t’en oser vanter, carogne

Fais-moi, du moins, m’ayant fait sot

La grâce de n’en dire mot.

Dans l’heureux âge d’innocence

L’on était toujours dans l’enfance ;

L’homme et la femme étaient heureux,

Ils jouaient à de petits jeux,

Comme à Pont-Neuf, à Climusette,

Ou bien à ris ris Bouliette,

Au pied-de-bœuf, aux osselets,

À d’autres plus beaux, ou plus laids,

Au corbillon, à la pantoufle,

En veux-tu plaider siffle souffle.

À Colin-maillard, aux combats,

À cache-cache Mitoulas,

Au combien, à la sage-femme,

À l’accouchée, au Trou-Madame :

L’un d’eux disait changeons de jeu,

Jouons à la queue-leu-leu,

Il est bien plus beau, ce me semble,

Car on se tient toujours ensemble.

La femme après avoir bien ri

Prenait la queue à son mari

Et le tout avec innocence,

Mais nous sommes en récompense

Depuis ce temps-là qui n’est plus

Un nombre infini de cocus :

Ma femme a franchi la parole,

Je le suis et je me console,

Et quantité qui sont ici

S’en doivent consoler aussi.

Je suis bien le plus misérable,

Car je suis battu comme un diable

D’un drôle qui fait les yeux doux

Qui mange et qui couche chez nous :

N’est-ce pas pour être en colère ?

Elle l’appelle son compère,

Il est près d’elle jour et nuit.

Il couche dans notre grand lit,

Moi dessous dans une roulette.

Ma femme dans une couchette

Sous un pavillon chaudement,

Le soir on me dit rudement

Coupe du pain bis et du beurre :

Et te va coucher de bonne heure,

Quand j’ai soupé de mon pain bis.

Que j’ai décrotté leurs habits,

Que toute ma besogne est faite

Je me jette dans ma roulette,

Mais elle et son passionné

Sont jusques à minuit sonné...

 

 

Scène VII

 

LE COMPÈRE, LUBIN

 

LE COMPÈRE.

Est-elle au logis, ma Commère ?

LUBIN.

Oui, Monsieur : voila le Compère.

Voyez s’il heurte ? Point du tout,

Son diable de passe-partout,

Sait ouvrir toutes nos ferrures :

Que je m’en vais avoir d’injures

D’être à mettre le pot au feu !

Nous allons, je crois voir beau jeu,

Voici ma besogne ordinaire.

 

 

Scène VIII

 

LUBINE, LUBIN

 

LUBINE.

Frotte les souliers du Compère :

Hé bien, chien ? ta tête de veau !

LUBIN.

Il m’a redonné d’un morceau

Qui sera fort bon et fort tendre.

LUBINE.

Il ne la voudra pas reprendre ?

L’a-t-il pas reprise, faquin ?

LUBIN.

Vraiment oui.

LUBINE.

Va quérir du vin,

Et que le rôtisseur nous barde

Une bonne et grasse poularde

Pour dîner mon Compère et moi.

Tu prendras, si tu veux pour toi,

Ou des noix, ou bien du fromage :

Redonne ces souliers.

 

 

Scène IX

 

LUBIN, seul

 

J’enrage,

Et si Job en ma place était

Je pense qu’il enragerait

Et qu’il dirait en sa colère

La peste étouffe le Compère,

Le diable lui casse les os.

 

 

Scène X

 

MONSIEUR RAGOT, LUBIN

 

MONSIEUR RAGOT.

L’occasion s’offre à propos ;

Allons donc jeter par avance

Les fondements de ma vengeance :

Je ne travaillerai point mal

Si je puis chasser mon rival

D’auprès cette impudente femme.

Va n’as-tu point de honte infâme,

Que les voisins entendent tous

Ta femme te rouer de coups ?

LUBIN.

Il est vrai, voisin, mais qu’y faire ?

Faut-il que je m’en désespère ?

Le maudit compère qu’elle a

Me hait, et l’oblige à cela.

MONSIEUR RAGOT.

Que fait-il chez toi ce compère ?

LUBIN.

Il fait ce que j’y devrais faire.

MONSIEUR RAGOT.

J’ai feint d’avoir adroitement

Besoin de lui pour un moment ;

Pour l’avertir que l’on le blâme

De voir trop librement ta femme :

Mais loin d’en être inquiété

En se moquant il m’a quitté ;

Il allait troussant sa moustache

Te monter un vilain panache.

LUBIN.

Vous m’eussiez obligé beaucoup

Voisin, de détourner ce coup.

MONSIEUR RAGOT.

Encor passe pour ce Compère,

Car nos femmes ont d’ordinaire

Pour notre plus grand ennemi

Quelque Compère ou quelque ami ;

Mais on te croit sans raillerie

Chef de la grande Confrérie.

LUBIN.

Voisin, je suis ce que je suis,

Et d’être autrement je ne puis ;

Ma femme est, et coquette, et belle,

Je m’en ri tout tombe sur elle,

C’est son affaire, brisons-là :

Mais le plus grand défaut qu’elle a,

Au moins le plus insupportable,

C’est qu’elle me bat comme un diable,

Car ses coups me rendent la peau

Plus noire que votre chapeau.

MONSIEUR RAGOT.

Vois-tu Voisin ? je suis un homme...

LUBIN.

Je le sais, qui revient de Rome.

MONSIEUR RAGOT.

J’ai bien été dans d’autres lieux,

Et si je ne suis pas trop vieux.

LUBIN.

Peut-on aller plus loin que Rome ?

MONSIEUR RAGOT.

Tu n’en as guère vu, pauvre homme !

LUBIN.

Guère ? J’ai pourtant vu Paris,

Et le trésor de Saint-Denis.

MONSIEUR RAGOT.

C’est voir, sans voir toute la France

Ce qui s’y voit de conséquence.

LUBIN.

Mais peste. Je m’amuse bien

J’aurai tantôt du rot de chien,

Je vais revenir.

MONSIEUR RAGOT.

Non demeure,

Je m’en vais te ravir sur l’heure :

T’entretenir, étant pressé

De tous les lieux où j’ai passé,

Ces récits seraient incommodes.

Sache qu’étant aux Antipodes

L’on me fit présent d’un trésor.

Qui vaut plus d’un million d’or,

Et si ce n’est qu’une racine,

Laquelle mise sur l’échine

D’une femme fut-ce un Démon,

La rend plus douce qu’un mouton.

LUBIN.

Peste ! l’admirable racine !

D’où peut venir son origine ?

MONSIEUR RAGOT.

Du pied d’un arbre que j’ai vu

Qu’avait planté Lusse-tu-cru,

À ce qu’on dit, et puis fit Gilles.

LUBIN.

Peste ? il était des plus habilles :

Ce bois a cette faculté ?

MONSIEUR RAGOT.

Si ta femme en avait tâté.

LUBIN.

Vraiment je veux bien qu’elle en tâte ;

Mais une autre fois, car j’ai hâte.

MONSIEUR RAGOT.

Attend, dans un quart d’heure, ou deux.

Elle en tâtera si tu veux ;

Ce ne serait plus elle-même,

Sa douceur deviendrait extrême

Par la faculté de ce bois.

LUBIN.

La baiserais-je quelquefois ?

Pourrais-je coucher avec elle.

MONSIEUR RAGOT.

Hé quoi donc ? la grande nouvelle !

N’y couches-tu pas quand tu veux ?

LUBIN.

Morbleu ! que je serais heureux !

Ce serait une bonne affaire !

Mais où coucherait le Compère ?

MONSIEUR RAGOT.

Qu’il couche au diable désormais.

LUBIN.

Elle ne le voudra jamais,

C’est un homme qu’elle idolâtre.

MONSIEUR RAGOT.

Mais tu la battras comme plâtre

Si tu veux, et tu lui feras

Faire tout ce que tu voudras.

Elle viendra dans sa colère

Te traiter comme à l’ordinaire :

Comme elle prendra son haut ton,

Tu tiendras ferme ce bâton

Qui vaut mieux que deux vertes gaules :

Tu lui sangleras les épaules

Seulement de quinze ou vingt coups,

Tu la verras à tes genoux.

Plus souple et plus obéissante

Qu’une jeune et neuve servante,

Te dire en larmes, je promets

De n’aimer que toi désormais,

De ne plus souffrir le Compère.

LUBIN.

Ce serait bien là mon affaire :

Mais l’homme qui l’avait trouvé

Ce bâton...

MONSIEUR RAGOT.

L’avait éprouvé :

Mais connaissais-tu pas ma femme ?

LUBIN.

Oui, c’était une bonne lame.

MONSIEUR RAGOT.

Trois coups la rendirent d’abord

Plus douce qu’un enfant qui dort :

Mais il faut dedans ta mémoire

Mettre quatre mots de grimoire,

Et les dire, autrement, ma foi,

Les coups retourneraient sur toi.

LUBIN.

Ah ! je veux donc bien les apprendre.

Avant que de rien entreprendre.

MONSIEUR RAGOT.

Oui, car il les faut prononcer.

Auparavant que commencer.

LUBIN.

Elle va revenir, je meure :

Apprenez-les moi tout à l’heure

Et nous allons dans un moment

Voir un diable de changement

Pour elle et pour moi fort risible ;

Si le secret est infaillible

Je ne vous épargnerai rien,

Prenez mon honneur et mon bien,

J’ai fort peu de l’un et de l’autre,

Mais disposez comme de vôtre.

MONSIEUR RAGOT.

Va je ne te demande rien,

Voici les mots retiens les bien.

LUBIN.

Vraiment pour cesser d’être esclave...

MONSIEUR RAGOT.

Tasse vouzi driou titave.

LUBIN.

La peste ! quels diables de mots !

Je ne trouve plus à propos

De les apprendre tout à l’heure,

Il me faut deux mois, ou je meure

Avant que de les bien savoir ;

Adieu, voisin, jusqu’au revoir.

MONSIEUR RAGOT.

Demeure, il n’est rien plus facile :

Quand tu serais plus imbécile

Que la même imbécillité,

Je donne la facilité

D’apprendre en un jour une histoire..

LUBIN.

Mais donnez-vous de la mémoire ?

Il faudrait vite m’en fournir

Car ma femme va revenir.

MONSIEUR RAGOT.

Dis donc, tu n’as que de la bave :

Tasse vouzi driou titave.

LUBIN.

Tasse, roti...

MONSIEUR RAGOT.

Quoi ! quatre mots...

LUBIN.

Patience, un peu de repos.

MONSIEUR RAGOT.

Tasse...

LUBIN.

Je sais bien une tasse

Dans laquelle on boit.

MONSIEUR RAGOT.

Je me lasse.

LUBIN.

Dites-les moi plus posément.

MONSIEUR RAGOT.

Je parle assez distinctement

Tasse rouzi...

LUBIN.

Disons ensemble.

MONSIEUR RAGOT.

Pourquoi m’interrompre ?

LUBIN.

Il me semble

Que quand nous parlerons toux deux

Je les dirai peut-être mieux.

MONSIEUR RAGOT.

Tasse.

LUBIN.

Tasse. Dis-je pas bien ?

MONSIEUR RAGOT.

Achève.

LUBIN.

Je ne sais plus rien.

MONSIEUR RAGOT.

Et comment donc prétends-tu faire ?

LUBIN.

Il faut achever notre affaire.

MONSIEUR RAGOT.

Mais quoi ! si tu ne retiens pas.

LUBIN.

Mais que l’on parle mal là-bas !

Le langage est bien incommode

Dedans la ville d’Antipode !

Cela me ferait détester.

MONSIEUR RAGOT, à part.

Je ne me veux point rebuter,

Il faut s’armer de patience

Pour bien assurer sa vengeance,

Elle est tantôt en mon pouvoir.

LUBIN.

Écoutez, je crois les savoir :

Tasse vouzi friou titave.

MONSIEUR RAGOT.

Les voilà, tu n’es plus esclave,

Ils te rendront maître chez toi.

Adieu.

 

 

Scène XI

 

LUBIN, LUBINE

 

LUBINE.

Te moques-tu de moi ?

LUBIN.

Ne voilà-t-il pas la carogne ?

LUBINE.

Que fais-tu donc là, chien d’ivrogne ?

LUBIN.

Tasse rouzi friou... J’y fais...

Il ne m’en souviendra jamais,

Voisin.

LUBINE.

Dis sot, est-ce pour rire ?

LUBIN.

Il s’en est allé sans rien dire,

Elle a raison, faute d’un mot

Je ne suis encore qu’un sot.

Il rimait ce me semble à cave :

Tasse rouzi friou titave.

Bon je l’ai retrouvé sans vous.

LUBINE.

Il faut le mettre au rang des fous.

LUBIN.

Des fous ! pas tant fou que l’on pense :

Allons, fais-moi la révérence.

Et quelque joli compliment.

LUBINE.

Il a perdu le jugement.

Comme ce coquin, fait le grave !

LUBIN la frappe.

Tasse rouzi friou titave.

LUBINE.

J’y vais, ne me frappe donc pas.

LUBIN.

La révérence, bas, plus bas,

Ma foi, cette racine est drôle !

Allons, qu’on joue un autre rôle.

LUBINE.

D’où peut venir cet enragé ?

Dis donc, que diable as-tu mangé ?

LUBIN la frappe.

Ah coquine tu m’injuries.

LUBINE.

Mon mignon, quitte ces furies.

LUBIN.

Mon mignon ! hé mon chien de cœur :

D’où diable me vient cet honneur ?

Crois-tu parler à ton Compère ?

Tasse rouzi friou, j’espère                

Il la frappe.

Te reconnaître quelque jour.

LUBINE.

Hélas ! pardon mon cher amour,

Que veux-tu ? d’où vient ta colère ?

LUBIN.

Va mettre dehors ce compère,

Et ne le regarde jamais,

Va vite, et reviens : désormais

Je suis le mari de ma femme

Tasse rouzi friou, mon âme.

 

 

Scène XII

 

LE COMPÈRE, LUBINE, LUBIN

 

LE COMPÈRE.

Sortir si brusquement ! Pourquoi

Dites donc.

LUBINE.

Pour l’amour de moi.

LE COMPÈRE.

Ah ! c’est en peu de mots tout dire,

J’obéis, et je me retire.

LUBIN.

Voilà le Compère sorti,

Bon.

LUBINE.

Mon amour, il est parti.

LUBIN.

Il est parti ! ton cœur soupire !

Allons, tout à l’heure il faut rire.

LUBINE.

Rire et pleurer, je ne puis pas.

LUBIN.

Ris, ou je te romprai les bras,

Ma racine est mal employée.

LUBINE.

Rirai-je à gorge déployée ?

LUBIN.

Oui-dà, bien fort ; bon, ne ris plus,

Je trouve tes ris superflus ;

Pleure à présent à chaudes larmes ;

On dit que ta voix a des charmes,

Chante, éternue, auparavant.

LUBINE.

Moi que j’éternue, et comment ?

LUBIN.

Comme tu voudras, éternue,

Éternue, ou bien je te tue.

LUBINE.

Mais je ne le puis pas, ma foi.

LUBIN.

Tasse friou titave, à moi.

LUBINE.

Mais cela n’est pas volontaire.

LUBIN.

Ah ! j’ai tort s’il ne se peut faire.

Fais donc un feint éternuement ;

Dieu t’assiste, je suis content.

LUBINE.

Je le crois tu le dois bien être,

Tu voulais tant faire le maître,

Tu l’es de la bonne façon.

LUBIN.

À propos, chante la chanson...

Et là, cette chanson qu’on chante.

LUBINE.

Qui moi ? j’ai la voix trop méchante.

LUBIN.

Et la voix, l’esprit, et le corps,

Tu n’es bonne que quand tu dors,

Mais vois-tu, je veux être maître,

Et c’est enfin mon tour de l’être :

Chante pour charmer mes ennuis.

LUBINE.

Je suis malade et je ne puis.

LUBIN.

Il faut donc prendre médecine.

Quatre prises de ma racine

Purgent les mauvaises humeurs.

LUBINE.

Ah ! je n’en puis plus, je me meurs.

LUBIN.

Que tu fais mal la décédé !

Tu ferais mieux la possédée.

LUBINE.

Cesse tes coups, je n’en puis plus.

LUBIN.

Chante, tes pleurs sont superflus ;

Je suis fort content que tu meures,

Pends-toi, si tu veux dans deux heures,

Je veux avant que voir ta fin

T’entendre dire Ah ! le bon vin,

Tu as endormi ma mère,

Mais jamais, jamais,

Toure, loure, loure, loure,

Mais jamais, jamais,

Tu ne m’endormiras.

LUBIN et LUBINE chantent.

Ah, le bon vin !

Tu as endormi ma mère,

Mais jamais, jamais,

Toure, loure, loure, loure,

Mais jamais, jamais,

Tu ne m’endormiras.

LUBINE.

Mon mignon, mon friou titave,

Commande, je suis ton esclave.

 

 

Scène XIII

 

MONSIEUR RAGOT, LE COMPÈRE, sortants chacun d’un côté, LUBIN, LUBINE

 

LUBIN.

Ah, voisin !

MONSIEUR RAGOT.

As-tu réussi ?

LUBIN, au Compère.

Que venez-vous chercher ici ?

LE COMPÈRE.

Hen.

LUBIN.

Ne faites point tant le brave ;

Tasse rouzi friou titave,

Vous pourrait maltraiter, ma foi,

Votre gîte n’est plus chez moi,

Le temps est passé.

LE COMPÈRE.

Hé compère !

LUBIN.

Il n’est compère ni commère,

Vous devez être satisfait

De tout ce que vous avez fait

Contez-le pour votre partage,

Vous n’en ferez pas davantage.

Car j’userai de mon pouvoir.

LE COMPÈRE.

Et moi je vous ferai savoir...

LUBIN.

Ah ! vous voulez faire le brave.

Tasse rouzi friou titave.

Mon fils voici le coup d’honneur

Sers ton très humble serviteur,

Et fais au moins sur le Compère

Ce que tu fais sur la Commère,

Comme diable il gagne le haut.

MONSIEUR RAGOT.

Mais suis-je vengé comme il faut ?

Si vous menez Jean, Jacques ou Blaise,

Enfin quelque ami qui vous plaise,

Faire chez vous quelque repas

Que votre femme n’aime pas,

Et qu’elle vous fasse la mine,

Venez emprunter ma racine.

LUBIN.

Par elle mon sort a changé.

MONSIEUR RAGOT.

Voilà, Messieurs, le sot vengé.

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