Le Songe d’une nuit d’été (Paul MEURICE)

Féerie d’après William Shakespeare.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre National de l’Odéon, le 14 avril 1886.

 

Personnages

 

OBÉRON, roi des génies

TITANIA, reine des fées

PUCK, lutin

PREMIÈRE FÉE

DEUXIÈME FÉE

THÉSÉE, duc d’Athènes

HIPPOLYTE, reine des Amazones

ÉGÉE

HERMIA, sa fille

HÉLÈNE

LYSANDRE

DÉMÉTRIUS

BOTTOM, tisserand

LECOING, charpentier

GROIN, chaudronnier

ÉTRIQUÉ, menuisier

LA FAMINE, tailleur

FLÛTE, raccommodeur de soufflets

LE CLAIR DE LUNE

LE MUR

FÉES

ELFES

LUTINS

ATHÉNIENS

AMAZONES

 

À Athènes. Renaissance païenne.

 

 

ACTE I

 

 

Premier Tableau

 

Une salle du palais de Thésée. Dans un pan coupé, à droite un trône surmonté d’un dais.

 

THÉSÉE, HIPPOLYTE, ÉGÉE, LYSANDRE, DÉMÉTRIUS, HÉLÈNE, HERMIA, ATHÉNIENS et AMAZONES

 

Hippolyte est assise sur le trône, Thésée incliné devant elle.

THÉSÉE.

Belle Hippolyte, amazone redoutée, toi qui, de ton bras aussi fort qu’il est blanc, aurais réussi à faire de ton sexe le maître du mien si, pour maintenir dans la création la hiérarchie première, il ne m’avait été donné de soumettre à la fois ton bras et ton cœur, – ne te plains pas de ta défaite, chère ennemie, elle est le commencement de ta victoire. Tu as conquis ton conquérant. Il ne t’aura déclaré la guerre que pour te déclarer son amour, et il est à tes pieds, attendant que sa prisonnière daigne le recevoir à rançon.

HIPPOLYTE.

Illustre duc d’Athènes, puisque c’est toi que la fortune des armes a fait le maître, je suis heureuse et fière d’être la sujette. Viens t’asseoir à côté de moi, généreux Thésée. Dire que je reconnais mon vainqueur, ce serait trop peu ; je l’aime.

THÉSÉE, sur le trône, près de la reine.

Vous entendez, athéniens, réjouissez-vous ! c’est la paix ; et non pas seulement la paix, l’alliance ; et non pas seulement l’alliance, le mariage. Demain, athéniens, votre duc épouse la reine des amazones. Demain, à la première heure du jour, je conduirai Hippolyte au palais que j’ai fait construire sur la colline, et qu’inaugureront ces noces fortunées.

TOUS.

Vive Thésée ! Vive Hippolyte !

THÉSÉE.

Et maintenant, qu’Athènes retentisse de cris de joie et de chants de fête. Que l’ivresse dont mon cœur déborde se répande sur mon peuple entier. Que tous les couples d’amoureux et de fiancés de la ville s’avancent et se déclarent, et qu’ils soient unis demain en même temps que leur prince. Mon bonheur est tel qu’il voudrait l’univers heureux !

ÉGÉE, s’avançant.

Grand Thésée, notre duc renommé, je viens – comme père – requérir la loi pour un de ces mariages.

THÉSÉE.

Parle, mon brave Égée.

ÉGÉE.

Je viens – paternellement – dénoncer ma fille Hermia. –Avancez, Démétrius. – Monseigneur, ce jeune homme a mon consentement pour l’épouser. Il est fort riche, il a de gras pâturages sous le soleil et de gras troupeaux sur ces pâturages. Ma fille lui a plu, et il me plait à moi, père. – Avancez, Lysandre. – Celui-ci, mon gracieux duc, a surpris et volé le cœur de mon enfant. Et avec quoi, je vous prie ? Avec des bouquets, des bonbons, des cheveux, des bêtises, des vers ! Ma conclusion est simple : je chasse le voleur, et, dans la personne de ma fille, j’épouse le propriétaire.

THÉSÉE.

Quelle raison avez-vous à donner, Lysandre ?

LYSANDRE.

J’aime Hermia.

DÉMÉTRIUS.

Ce n’est pas une raison ; moi aussi, j’aime Hermia.

HERMIA.

Oui, mais moi, Hermia, je n’aime pas Démétrius, j’aime Lysandre.

LYSANDRE.

Et Démétrius, il n’y a pas bien longtemps, en aimait une autre, il était le promis d’une autre, il devait épouser sa cousine Hélène.

THÉSÉE.

Je l’avais entendu dire, en effet. Je vois là, dans la foule, Hélène. Avancez, Hélène.

HÉLÈNE.

Monseigneur m’appelle ?

THÉSÉE.

Oui ; et maintenant, bonne Hélène, parlez.

HÉLÈNE.

Monseigneur m’interroge, je suis bien obligée de lui répondre, Démétrius ; et d’ailleurs je suis seule, je n’ai plus mon père ni ma mère, et tu es le dernier parent qui me reste... – Oui, monseigneur, je dois convenir que nos pères, qui étaient frères, nous avaient fiancés enfants l’un à l’autre. Démétrius, autrefois, n’en était pas fâché, et il me disait que j’étais sa petite femme. À présent il ne me le dit plus. Oh ! je n’accuse personne. Je n’accuse pas Hermia. Hermia n’aime pas Démétrius, j’aime Hermia. Je n’accuse pas même Démétrius. Je sais bien que je n’ai pas l’esprit d’Hermia. Mais Hermia n’a pas mon cœur. L’esprit d’Hermia est à tous, et mon cœur est à Démétrius tout entier.

HIPPOLYTE, à Thésée.

Pauvre enfant ! sa douceur et son chagrin me touchent. Usez de votre autorité, mon cher duc. Donnez Hermia à Lysandre et rendez Démétrius à Hélène.

THÉSÉE.

Je le voudrais, ma reine, pour vous complaire ; mais, au-dessus de l’autorité du prince, il y a la loi de la cité.

ÉGÉE.

Sage parole ! La loi, oui, j’invoque la bonne ver tueuse loi d’Athènes, qui donne au père sur son enfant un pouvoir souverain.

THÉSÉE.

Cela étant, Hermia, vous n’auriez plus que le choix entre Démétrius ou le cloître. Je ne vois pas d’autre issue.

LYSANDRE.

Pardonnez-moi, il y a encore celle-ci, noble duc : c’est que je tue Démétrius ou que Démétrius me tue.

DÉMÉTRIUS.

Ah ! Lysandre, tu as pris le cour d’Hermia et je te maudissais ; mais tu m’offres la chance de prendre ta vie, je te remercie.

THÉSÉE, se levant avec colère.

Qu’est-ce à dire ? quand je proclame la paix, voilà qu’on réveille la guerre !

LYSANDRE.

Monseigneur...

THÉSÉE.

Silence ! – Que demain Égée consente à donner Hermia à Lysandre et que Démétrius revienne à Hélène, c’est là ce que je souhaite. Autrement, Hermia sera mariée à Démétrius ou sera vouée à Diane, voilà ce que j’ordonne.

Démétrius et Lysandre se menacent du geste.

– Suivez-moi, Démétrius ; vous aussi, Égée ; j’ai à vous donner à tous deux mes instructions pour la fête nuptiale. – Venez, mon Hippolyte.

HIPPOLYTE, bas à Thésée.

Mon duc, pour être guerrière, on n’en est pas moins femme, et je vous avoue que je m’intéresse à cet amour partagé.

THÉSÉE, bas.

Oh ! et moi aussi, vous l’avez bien vu. Espérons que tout s’arrangera selon vos désirs, ma reine.

Sortent Thésée, Hippolyte, Égée, Démétrius et la suite.

 

 

Restent LYSANDRE, HÉLÈNE, HERMIA

 

HÉLÈNE.

Heureuse Hermia ! celui que vous aimez vous aime !

HERMIA.

Si je disais : Heureuse Hélène ! celui que vous aimez peut vous épouser !

HÉLÈNE.

Oui ; seulement, celui que je peux épouser ne m’aime pas !

HERMIA.

Et moi, je ne peux épouser celui que j’aime ! – Ah ! la condition de l’amour en ce monde est, en vérité, bien fatale et bien cruelle ! L’amour a contre lui, – ici, la différence de naissance, de fortune, de rang ou d’âge ; là, la guerre, la maladie, la mort ; ailleurs, l’in différence ou l’inconstance de l’être aimé. L’amour ne va jamais sans la douleur, les soupirs et les larmes. Tous les dieux jalousent, combattent, accablent l’amour. Pourquoi ? c’est sans doute parce que, s’il était libre et s’il était maître, l’amour dominerait, – qu’est ce que je dis ? – l’amour remplacerait tous les dieux !

HÉLÈNE.

Tu parles bien, Hermia ! c’est ainsi que tu as charmé mon Démétrius.

LYSANDRE.

Il faut que tu agisses comme tu parles, Hermia. Notre amour à nous, si durement opprimé, il faut que tu le délivres.

HERMIA.

Parle. Que dois-je faire ?

LYSANDRE.

Écoute... Vous pouvez écouter aussi, Hélène ; en servant notre amour, je sers le vôtre. Hermia, ton père est hostile à notre mariage, mais la sœur de ton père y est favorable ; elle demeure à sept lieues d’ici, dans une bourgade où la loi d’Athènes n’a plus d’action. Près d’elle nous pourrions nous marier sans obstacle.

HERMIA.

Eh bien, Lysandre, allons près d’elle. Je me fie à toi, mon gentilhomme.

LYSANDRE.

Mon Hermia chérie !

HERMIA.

Seulement, Lysandre, comment, d’ici à demain matin, pourrais-je ?...

LYSANDRE.

Dès ce soir, échappe-toi de la maison de ton père. À l’heure où la lune se lève, viens me retrouver dans le bois d’Athènes ; tu sais, là où nous nous sommes rencontrés à la dernière fête de mai. – Hermia, y seras-tu ?

HERMIA.

J’y serai.

HÉLÈNE, qui regarde au fond.

Démétrius !

LYSANDRE, avec colère.

Démétrius !

HERMIA.

Pas d’éclat, Lysandre ! Je te prouve mon courage, prouve-moi ton amour. Toi par là, moi par ici. – À ce soir.

Elle sort vivement par la droite, Lysandre par la gauche.

 

 

Entre DÉMÉTRIUS

 

DÉMÉTRIUS.

N’est-ce pas là Hermia qui s’éloigne ?

HÉLÈNE.

C’est Hermia qui te fuit, mon pauvre Démétrius.

Mouvement de Démétrius.

Oh ! je te le dis, ce n’est pas pour te chagriner, non, c’est plutôt pour te plaindre. C’est peut-être aussi un peu pour que tu me plaignes. Si tu regardais de ce côté-ci, tu y verrais une angoisse toute pareille à la tienne.

DÉMÉTRIUS, les yeux fixés vers la porte par où est sortie Hermia.

Hélène !...

HÉLÈNE.

Et je suis plus malheureuse que toi encore ; celle que tu aimes ne t’aime pas, mais tu es aimé par une autre, aimé par moi. Et moi qui n’ai voulu être aimée que de toi au monde, personne ne m’aime ! et j’en suis parfois à me demander si toi que j’aime, tu ne me hais pas.

DÉMÉTRIUS, toujours sans se détourner.

J’aurais pour toi de l’amitié, Hélène, si tu n’avais pas de l’amour pour moi.

HÉLÈNE.

Tu m’en veux d’être moi et de n’être pas elle. Ce n’est pourtant pas ma faute si elle ne t’aime pas, je lui donne assez l’exemple !

DÉMÉTRIUS.

Si tu ne m’avais pas aimé, elle m’eût aimé peut-être.

HÉLÈNE.

Vas-tu me demander de faire qu’elle t’aime ? Heureusement, je ne le peux pas ; sans quoi, je serais capable de le vouloir. Oui, pour que tu m’écoutes avec moins de froideur, tiens, seulement pour qu’en ce moment tu me regardes, je serais capable de...

Démétrius va pour s’éloigner.

Tu me quittes ! oh ! ne me quitte pas encore !

DÉMÉTRIUS.

Un ordre de Thésée...

HÉLÈNE.

Dis donc que tu vas essayer de la rejoindre.

Démétrius fait encore un pas pour sortir.

Attends ! – Si pourtant je te démontrais que tu perds ta peine et que tu n’as plus rien à espérer ?

DÉMÉTRIUS.

Tu t’imagines que ce serait un moyen de me retenir !

HÉLÈNE.

Attends ! – Et si je te disais qu’Hermia va t’échapper, t’échapper à jamais ?

DÉMÉTRIUS.

Hermia m’échapper ! Hermia... Non, tu mens ! Non, ce serait trop de douleur !

HÉLÈNE.

Ah ! tu vois... tu vois comme on souffre !

DÉMÉTRIUS.

Oui, si je perdais Hermia, je mourrais.

HÉLÈNE.

Toi, mourir ! ah ! j’aimerais mieux te la rendre !

DÉMÉTRIUS.

Tu ferais cela ! tu aurais ce dévouement, Hélène ! Oh ! alors, ma reconnaissance...

HÉLÈNE.

Ta reconnaissance ! un retour d’amitié peut-être, un recommencement ?...

DÉMÉTRIUS.

Oui, oui ! car je vois que tu peux me sauver du désespoir. Tu sais quelque chose ; parle, parle !

HÉLÈNE.

Oh ! non, je ne dois pas...

DÉMÉTRIUS.

Hélène ! parle ! – Ma chère Hélène !...

HÉLÈNE.

Ta chère Hélène !... – On vient. Écoute. Ce soir, à l’heure où la lune se lève, trouve-toi dans le bois, au chêne du duc. J’y serai. Mais ne m’appelle plus ainsi « ma chère Hélène ! »... Ah ! je te dirais tout !

Ils se séparent.

 

 

Deuxième Tableau

 

Cour dans un logis de charpentier.

 

LECOING, ETRIQUÉ, GROIN, LAFAMINE et FLÛTE, puis BOTTOM

 

LECOING.

Toute notre troupe est-elle ici ?

ÉTRIQUÉ.

Je ne vois pas Bottom.

FLÛTE.

On ne peut pourtant pas commencer sans Bottom.

LECOING.

Non, certainement ! c’est lui, de vous tous, qui a simplement le plus d’esprit. – En l’attendant, je vous rappellerai l’objet de notre réunion. Pour la fête des noces de notre bon duc Thésée et de la belle Hippolyte, nous autres artisans d’Athènes, nous avons pensé à leur jouer quelque belle jolie petite comédie, on a bien voulu me charger de composer la pièce, et nous sommes ici pour...

Entre Bottom.

GROIN.

Ah ! voilà Bottom ! Bonjour, Bottom.

TOUS.

Bonjour, Bottom.

BOTTOM.

Bonjour, mes amis, bonjour ! Qu’est-ce que vous avez fait, Lecoing ? Où en êtes-vous ?

LECOING, avec déférence.

On vous attendait, Bottom.

BOTTOM.

C’est bien. Dites-nous d’abord, Lecoing, le titre et le sujet de votre pièce. De la méthode ! de la méthode !

LECOING, montrant un cahier.

La voilà, ma pièce. Elle s’appelle...

BOTTOM.

Donnez.

Il lit.

La très lamentable comédie et la très cruelle mort de Pyrame et Thisbé. Bon ! ça doit être amusant, ça ! il y a de quoi s’amuser là-dedans ! – Maintenant, Lecoing, prenez la liste et appelez vos acteurs. Vous autres, mettez-vous en ligne. De la méthode !

LECOING.

Répondez quand je vous appellerai. Nicolas Bottom, tisserand.

BOTTOM.

Présent. Nommez le rôle qui m’est destiné, et continuez.

LECOING, lui remettant son rôle.

Nicolas Bottom est inscrit pour le rôle de Pyrame.

BOTTOM.

Parfait ! – Qu’est-ce que c’est que Pyrame ? Est-ce ! un amoureux ? est-ce un tyran ?

LECOING.

Un amoureux ! un amoureux ! et qui se tue par amour encore !

BOTTOM.

Ah ! bon ! alors j’aurai à verser quelques pleurs, et à en faire verser. C’est bien ! – Passez aux autres, Le coing. – Je regrette un peu tout de même que Pyrame ne soit pas un tyran. Oh ! que j’aurais été terrible ! « À mort ! à mort ! » J’aurais fait figer toutes les moelles. – Mais continuez donc, Lecoing.

LECOING.

François Flûte, raccommodeur de soufflets.

FLÛTE, tout jeune, imberbe, voix féminine.

Présent.

LECOING.

François Flûte, vous jouerez Thisbé.

FLÛTE, allant prendre son rôle.

Qu’est-ce que Thisbé ? un chevalier ? un capitaine ?

LECOING.

Eh ! non, c’est la dame que Pyrame doit aimer.

FLÛTE.

Une femme ! oh ! je vous en prie, ne me faites pas jouer une femme ; ma barbe me gênera.

LECOING.

Bah ! vous n’avez qu’à jouer avec un masque, et vous ferez la petite voix tant que vous voudrez.

BOTTOM.

On peut jouer avec un masque ?

LECOING.

Si on veut.

BOTTOM, s’avançant vivement.

Oh bien ! alors, je demande à jouer aussi Thisbé.

Il prend lestement à Flûte son rôle.

Vous verrez, je parlerai avec une voix monstrueusement petite : – Ah ! Pyrame, mon amant chéri ! ta Thisbé, ta Thisbé chérie !

LECOING.

Mais, Bottom, vous ne pouvez pas jouer à la fois Pyrame et Thisbé, l’amant et l’amante.

BOTTOM.

Vous croyez ?... C’est dommage ! – Mais, pour l’amour de Dieu, continuez, Lecoing.

Il rend à Flûte son rôle.

LECOING.

Thomas Groin, chaudronnier.

GROIN.

Voilà.

LECOING.

Groin, vous ferez le père de Pyrame ; moi, le père de Thisbé.

BOTTOM, un moment tenté.

Les pères !... Non, je serais vieux.

LECOING.

Robin Lafamine, tailleur.

LAFAMINE.

Présent.

LECOING.

Robin Lafamine, vous jouerez la mère de Thisbé.

BOTTOM.

La mère de Thisbé !...

Se ravisant.

Je serais laide !

LECOING.

Étriqué, le menuisier, vous aurez le rôle du lion.

BOTTOM.

Le rôle du lion !

LECOING.

Oui, le rôle du lion qui doit effrayer Thisbé et lui déchirer son manteau.

ÉTRIQUÉ.

Est-ce que vous ne l’avez pas par écrit, ce rôle du lion ? S’il est copié, donnez-le-moi ; car je suis lent à apprendre.

LECOING.

Vous improviserez ; il s’agit tout bonnement de rugir.

BOTTOM.

Ah ! je veux jouer aussi le lion ! Ah ! je rugirai si naturellement ! Écoutez. Hihan ! hihan ! Et le duc et la duchesse trépigneront et crieront : Bravo ! bien rugi, lion ! bien rugi ! bis ! bis ! – Hihan ! 

LECOING.

Oui, très bien ! Mais si vous rugissez si... bruyamment, Bottom, vous ferez peur aux dames, et il n’en faut pas davantage pour que nos mères aient chacune un fils pendu.

BOTTOM.

C’est juste ; vous avez là, Lecoing, une idée qui est juste. Mais alors, soyez tranquille ! j’adoucirai ma voix de façon à roucouler un rugissement de colombe. Je vous rugirai à vous faire croire que vous entendez dans les bosquets arcadiens un pur rossignol.

LECOING.

C’est égal, Bottom, vous ferez mieux de ne jouer que Pyrame. Un homme très comme il faut, allez ! ce Pyrame !

BOTTOM.

Oui, c’est bien mon affaire, et je m’en charge. – Quelle couleur de barbe m’ira le mieux pour ce rôle-là ?

LECOING.

Celle que vous voudrez.

BOTTOM.

Ah ! je sais, je mettrai... – les dames me trouvent bien ainsi ! – je mettrai une barbe orange.

LECOING.

Il n’y a plus, Bottom, qu’une ou deux petites difficultés qui m’arrêtent. Le livre porte que Pyrame et Thisbé causaient à travers les fentes d’un mur. Comment figurerons-nous le mur ?

FLÛTE.

Jamais on ne pourra apporter un mur en scène. Tirez-vous de là, Bottom.

BOTTOM, après avoir réfléchi.

Voici. Il faudra barbouiller un de nous de plâtre et de chaux, il sera censé le mur, il tiendra ses doigts comme ça, et Pyrame et Thisbé chuchoteront à travers les trous.

LECOING.

Parfait ! parfait ! – Maintenant, Pyrame et Thisbé, dans l’histoire, se rencontrent au clair de lune. Mais faire descendre la lune sur le théâtre !...

BOTTOM.

Hé ! c’est bien simple ! – On sait pertinemment qu’il y a dans la lune un homme qui porte un fagot d’épines et, dans la pleine lune, on le voit comme si on y était. Les uns disent que c’est Caïn, les autres que c’est le Juif errant ; mais la science sur ce point est incertaine. Eh bien, il n’y a qu’à représenter la lune par l’homme au fagot, et l’homme tiendra une lanterne allumée qui sera le clair de lune.

Approbation universelle.

LECOING.

Oh ! admirable ! admirable !

GROIN.

Mais, permettez ; si on voit l’homme au fagot dans la lune, il faut que l’acteur alors se mette dans la lanterne !

Ah ! bah ! Protestation de tous.

LECOING.

Ah ! ça, maintenant, vous avez vos rôles tous ; il serait bon de faire notre répétition ce soir.

FLÛTE.

Où se réunira-t-on ?

LECOING.

Si c’est dans Athènes, nous serons pour sûr dépistés par les curieux. Je vous propose le bois.

BOTTOM.

Oh ! non, pas le bois ! pas le bois !

LECOING.

Pourquoi donc ? qu’est-ce qu’il y a de terrible dans le bois ?

ÉTRIQUÉ.

Des voleurs ?

LECOING.

Des vipères ?

FLÛTE.

Des araignées ?

BOTTOM.

Eh ! non.

LECOING.

Alors pourquoi le refuser, ce bois ?

BOTTOM.

Pourquoi ?... Ce n’est pas tant, mon Dieu ! parce qu’il est empoisonné d’un tas de fleurs et d’herbes fraîches qui nous donneront la migraine ; ce n’est pas même parce qu’il y a là un ramassis de fauvettes et de rossignols qui vont gueuler toute la nuit. Mais vous ne savez donc pas...

Les ramenant autour de lui avec terreur.

Vous ne savez donc pas que c’est un bois infecté de fées !

FLÛTE.

Oh ! mais on dit qu’elles sont bien jolies, les fées !

BOTTOM.

Jeune homme !...

Il l’écarte du cercle.

Ces personnes sont connues pour être sans l’ombre de moralité.

LECOING.

Oui, le bois d’Athènes serait, à ce qu’on raconte, le domicile conjugal d’Obéron, roi des génies, qui aurait soi-disant épousé Titania, reine des fées, et je me suis laissé dire qu’ils sont perpétuellement en bisbille et qu’ils font à peu près aussi bon ménage que le soleil et la lune ; quand l’un se lève...

BOTTOM.

Déplorable exemple !

FLÛTE, qui s’est rapproché et qui écoute.

Cependant...

BOTTOM.

Jeune homme !... – Vous figurez-vous, honnêtes citadins, qu’assis sans méfiance sur l’herbe de ce bois, vous étendez machinalement le bras dans l’ombre, et que tout à coup vous posez la main sur...

Avec horreur.

Oah !

FLÛTE.

Sur une petite fée ! oh !

BOTTOM.

Jeune homme !

LECOING.

Je respecte vos scrupules, vertueux Bottom. Mais votre chasteté, mon pudique ami, est certainement au dessus de toutes les tentations.

BOTTOM.

Bien, Lecoing ! voilà encore un raisonnement qui vous fait honneur et qui me frappe. Allons ! j’irai donc dans votre bois, bien assuré que ma vertu n’y saurait subir aucune atteinte.

LECOING.

Sur ce, à nos affaires, et à minuit au chêne du duc.

Tous se dispersent.

BOTTOM.

Flûte ! voulez-vous, mon jeune ami, être un jour comme moi l’honneur de votre sexe, eh bien !...

Il sort le dernier avec Flûte en morigénant.

 

 

Troisième Tableau

 

Clairière dans le bois. Le chêne du duc. Il fait nuit. La lune brille.

 

OBÉRON, avec sa suite, PUCK

 

OBÉRON, appelant.

Holà ! mon gai lutin ! arrive, Puck ! à moi !

PUCK, paraissant.

Obéron ! – Me voilà, mon bon maître, mon roi.

Roi dont je suis le fou.

OBÉRON.

Moineau dont je suis l’aigle,

Quelle niche, dis-moi, faisais-tu, mon espiègle ?

PUCK.

J’étais je ne sais où, vaguant et divaguant.

Je suis las !

OBÉRON.

Ton métier est donc bien fatigant ?

PUCK.

Ne m’en parle pas ! Depuis l’heure rose

Jusqu’à l’heure grise, il faut travailler, –

Ou jouer, – enfin faire quelque chose.

Songe donc ! les fleurs m’ont pour joaillier !

J’ai leur confiance et j’ai leur pratique ;

Je dois leur livrer par assortiments

Tous leurs bijoux fins, leur tenir boutique

D’opales, saphirs, perles, diamants ;

Tout fournir, aux lys comme aux pâquerettes ;

À l’œillet, rubis semés sur velours,

À la marguerite, or pour collerettes,

Pendants de rosée, aux oreilles-d’ours. –

Si ma clientèle était bonne paie,

On pourrait encore économiser,

Mais toutes se font rendre leur monnaie

Après vous avoir payé... d’un baiser !

Ah ! l’état est dur ! – Mais on a les hommes

Qui, par bonheur, sots, fats et malfaisants,

Nous font rire un peu, pauvrets que nous sommes,

Et sont des joujoux vraiment amusants !

Ils sont mes pantins, tous ces bons apôtres !

Je ris comme un dieu, mon maître, de voir

Pleurnicher les uns et trembler les autres ;

Je les fais damner tous, c’est mon devoir !

Épargnant les seuls qui ne soient pas bêtes,

Je n’exempterai de tout malin tour

Que les amoureux et que les poètes,

Ceux qui font l’amour, ceux que fait l’amour.

OBÉRON.

Puck ! de Titania sais-tu quelque nouvelle ?

Car nous sommes brouillés...

PUCK.

Aussi, tu viens chez elle.

OBÉRON.

Je ne veux pas la voir ! et je l’évite.

PUCK.

Aussi,

Est-ce l’heure où toujours elle sort. La voici.

 

 

Entre TITANIA avec son cortège de fées

 

OBÉRON.

Eh quoi ! Titania ! La fâcheuse rencontre !

TITANIA.

Est-ce bien Obéron que la lune me montre ?

Envolons-nous d’ici.

OBÉRON.

Non ! je suis ton seigneur,

Demeure.

TITANIA.

Traite alors ta dame avec honneur.

OBÉRON.

Et toi, ménage donc un peu ma jalousie !

Laisse moins vivement aller ta fantaisie

Vers Thésée au bras fort, ton admiration !

TITANIA.

Vas-tu modérer, toi, ta grande passion

Pour la belle Hippolyte aux doux regards féroces ?

Est-ce que ce n’est pas pour elle, pour ses noces,

Que tu viens d’accourir du fond de l’Orient ?

– Et depuis quand, chez nous, est-ce un tort si criant

De suivre, avec une âme inquiète ou ravie,

Les grands acteurs humains du drame de la vie ?

OBÉRON.

Oui, c’est juste ! Prêtons un cœur compatissant

Aux douleurs, aux combats de l’homme, ce passant.

Qu’il sente errer, autour de lui, dans la nature,

Témoins mystérieux de sa sombre aventure,

Les esprits ; et qu’il ait, dans la joie ou l’ennui,

Ces amis inconnus toujours penchés sur lui !

Mais j’ai d’autres griefs. Tu me retiens, méchante,

Ce page, cet enfant dont la grâce m’enchante.

Rends-le-moi, je te rends mon cœur.

TITANIA.

Roi triomphant,

Ton royaume, à mes yeux, ne vaut pas cet enfant !

Sa mère était ma sœur. Dans l’Inde aux molles brises,

Nous regardions en mer, sur le rivage assises,

Les voiles naviguer, et riions de les voir

Sous les baisers du vent s’emplir et concevoir.

Elle les imitait, se jetait à la nage.

Son flanc béni portait alors mon petit page ;

Folle, elle le poussait devant elle, et, rasant

Les flots, me rapportait quelque menu présent,

Comme un riche navire à la panse arrondie

Chargé du gai butin de sa course hardie.

Mais elle était mortelle et mourut de ce fils ;

Et je garde, malgré prières et défis,

L’enfant en qui revit ma compagne fidèle

Et que je veux toujours aimer pour l’amour d’elle.

OBÉRON.

C’est ton dernier mot ?

TITANIA.

Oui. Reste, si tu le veux,

Sous le doux clair de lune, à contempler nos jeux ;

Sinon, adieu.

OBÉRON.

L’enfant ! donne-le-moi, je reste.

TITANIA.

Non ! quand tu m’offrirais tout l’empire céleste !

Mais j’ai peur de manquer à ce que je me dois,

Et je te laisse.

Elle sort avec sa suite.

 

 

OBÉRON, PUCK, GÉNIES

 

OBÉRON.

Avant de sortir de ce bois,

Va, tu me paieras cher, ingrate, ton offense.

À moi, mon gentil Puck ! viens servir ma vengeance.

– Tu sais la fleur, jadis blanche, rose à présent,

Qu’un trait de Cupidon teignit en la blessant,

La Chimère d’amour. Deux gouttes exprimées

De son calice sur les paupières fermées

D’un homme ou d’une femme, et pendant le sommeil,

Ont cet étrange effet : le dormeur, au réveil,

Doit tomber forcément épris du premier être

Qu’à ses yeux le hasard taquin fera paraître ;

Et le pire animal, lion, taureau, singe, ours,

Subitement devient son rêve et ses amours.

Eh bien, va me chercher cette fleur.

PUCK.

Je puis faire

En moins d’une heure un cercle autour de notre sphère.

Mais la magique fleur, quoi ! tu l’éprouveras

Sur la reine !

OBÉRON.

Va, cours, reviens, et tu verras.

Sort Puck en courant.

 

 

ACTE II

 

 

Quatrième Tableau

 

Dans le bois. Décor du troisième tableau.

 

 

OBÉRON, seul

 

Il se promène avec impatience.

Quoi ! pour faire, à travers les grandes zones bleues,

À peine deux ou trois méchantes mille lieues,

Dix minutes déjà ! Ce Puck, lutin de l’air,

Devient aussi lambin que la foudre et l’éclair ! –

Quelqu’un vient... Ces humains, leur joie ou leur détresse

Me touche ; les entendre et les voir m’intéresse.

Écoutons.

Il se cache.

 

 

Entrent DÉMÉTRIUS et HÉLÈNE

 

DÉMÉTRIUS.

Laisse-moi ! – Me laisseras-tu ?

HÉLÈNE.

Non ! Tu cherches Lysandre ! tu veux te battre avec lui ! Ah ! malheureuse ! pourquoi t’ai-je appris le secret de la fuite d’Hermia ? Je voulais te persuader qu’il n’y avait plus pour toi à penser à elle, je voulais aussi t’amener à penser un peu à moi. Mais ce que je faisais pour l’amour, tu le tournes, toi, à la haine.

DÉMÉTRIUS.

Oui, Hermia me tue, je tuerai son Lysandre ! – Laisse-moi, te dis-je !

HÉLÈNE.

Te laisser à ce duel, à ce danger ! jamais !

DÉMÉTRIUS.

Tu veux donc que je te déteste ?

HÉLÈNE.

Crois-tu que ce soit cela que je veuille ?

DÉMÉTRIUS.

Tu me forces du moins à te répéter que je ne t’aime pas, et que j’aime Hermia, rien qu’Hermia, Hermia pour la vie.

HÉLÈNE.

Tu es cruel, Démétrius !

DÉMÉTRIUS.

Hé ! tu n’as qu’à cesser de me suivre.

HÉLÈNE.

Non ! Même quand tes paroles me sont si dures, le son de ta voix m’est doux. Et puis, si tu trouves Lysandre et si tu l’attaques, il faut bien que je sois là pour me jeter entre vous, pour être frappée à ta place, qui sait ? pour mourir de ta main peut-être. Oh ! non, certainement, je ne cesserai pas de te suivre.

DÉMÉTRIUS.

Eh bien, moi, je ne cesserai pas de t’injurier.

HÉLÈNE.

Comme tu voudras. Je n’entendrai pas les malédictions de ta bouche, j’écoute les bénédictions de mon cœur.

DÉMÉTRIUS.

Je te hais ! je te hais !

Il sort.

HÉLÈNE, le suivant.

Je t’aime ! je t’aime !

 

 

OBÉRON, seul

 

Pauvre enfant ! je veux que ta douleur

Se change en joie avant qu’il soit jour.

 

Entre PUCK, une touffe fleurie à la main

 

PUCK.

J’ai la fleur !

OBÉRON.

Merci, Puck. – Dans ce bois, je sais une retraite

Charmante, faite d’ombre embaumée et secrète.

Le thym, le liseron, la narcisse de pré,

La violette, en sont le tapis diapré ;

Le lys, le chèvrefeuille au pénétrant arome,

Le myrte, le jasmin, la rose, en font le dôme.

Là, ma Titania clôt ses doux yeux penchants

Et s’endort dans les fleurs en écoutant les chants.

J’y vole, et je punis d’une fleur la rebelle.

Remettant une branche de fleurs à Puck.

– Toi, cherche par le bois ; tu verras une belle

Pleurante après un jeune athénien transi

Qu’elle aime et qui la fuit. Tu mouilleras aussi

Les yeux du dédaigneux de la fleur bienheureuse.

 Qu’il soit plus amoureux qu’elle n’est amoureuse !

Il faut, pour que le philtre ait sur lui son effet,

Qu’il la voie au réveil.

PUCK.

C’est entendu, c’est fait.

Sortent Obéron et Puck.

 

 

Entrent LYSANDRE et HERMIA

 

HERMIA.

Décidément, Lysandre, tu as perdu ton chemin.

LYSANDRE.

Je commence à le croire, ma pauvre bien-aimée. Oui, je me suis égaré à travers les sentiers de ce grand bois touffu.

HERMIA.

C’est que – voilà du temps que nous marchons, sais-tu, – et je t’avoue que je me sens un peu lasse.

LYSANDRE.

Eh bien, arrêtons-nous et repose-toi. Par bonheur, les nuits de juin sont courtes, et le jour, quand il paraîtra, nous montrera notre route. – Tiens, voilà une pente gazonnée qui semble inviter au sommeil. Étends là tes membres délicats, et je resterai près de toi pour te garder – et pour te regarder.

HERMIA.

Près de moi ! non pas, non, s’il vous plaît, bon Lysandre. Prends-le pour toi, ce tertre. Il suffit que, moi, je sache où tu es. Et je vais, de mon côté, aller chercher près d’ici quelque autre lit de mousse.

LYSANDRE.

Tu le veux ?

HERMIA.

Mon cher fiancé, je t’en prie.

LYSANDRE.

Je n’ai donc qu’à t’obéir, ma chère femme.

HERMIA, s’éloignant.

Bonne nuit, doux ami ! Ne m’oublie pas dans tes rêves !

Elle sort par la droite.

LYSANDRE, s’étendant sur le gazon.

Ni dans mes rêves, ni dans ma vie, jusqu’à son der nier souffle, ô mon unique amour !

Il s’endort.

 

 

Entre PUCK en regardant derrière lui

 

PUCK.

Oui, c’est elle. – Elle va cherchant, la jolie âme

Son avare d’amour. Oui, j’ai trouvé la femme ;

Mais l’homme ?...

Apercevant Lysandre.

Ah ! qui dort là ? – Je tiens mon malappris.

Lui exprimant sur les yeux le suc magique.

À ma glu, bel oiseau fuyard, te voilà pris !

Il s’échappe en riant.

 

 

Entre HÉLÈNE

 

HÉLÈNE, entre en appelant.

Démétrius ! Démétrius ! où es-tu ? – Il m’a échappé. S’il allait rencontrer Lysandre ! si Lysandre le tuait ! Ah ! c’est moi qui l’aurais tué !

Apercevant Lysandre.

Qui est là – étendu ?... Démétrius ?...

Elle se penche.

Non, c’est Lysandre. Serait-il mort ? frappé par mon vaillant Démétrius ! – Lysandre ! Lysandre ! éveillez-vous si vous vivez.

LYSANDRE, se réveille et jette un cri d’admiration.

Ah ! – Oui, je vis, et ma vie t’appartient à jamais, beauté incomparable !

HÉLÈNE.

Lysandre, vous vous trompez, je ne suis pas Hermia, je suis Hélène.

LYSANDRE.

Non, je ne me trompe pas. Avec qui pourrait-on te confondre, figure céleste ? Hermia ! qu’est-ce qu’Hermia auprès de toi ? La corneille auprès de la colombe !

HÉLÈNE.

Rêvez-vous, ou êtes-vous fou, Lysandre ?

LYSANDRE.

Je rêvais et j’étais fou quand, toi présente, je pou vais seulement regarder Hermia.

HÉLÈNE.

Oh ! pourquoi vous moquez-vous de moi, Lysandre ? Repoussée par Démétrius, faut-il que je sois aussi raillée par vous ? Je vous croyais un seigneur de plus de courtoisie.

LYSANDRE, se jetant à ses pieds.

Moi te railler ! moi ! quand je t’adore !

HÈLÈNE se dégage.

Ah ! c’est trop ! et je vous quitte la place.

Lysandre la suit.

Restez, je vous défends de me suivre

Elle sort.

LYSANDRE.

Empêche donc l’aimant de se tourner vers le nord ! empêche donc l’astre de se mouvoir dans sa sphère !

Il sort, en courant, après elle.

 

 

Entrent BOTTOM, puis LECOING, FLÛTE, ÉTRIQUÉ, GROIN, LAFAMINE, DEUX APPRENTIS, portent une manne où sont les costumes ; étriqué a sa tête de lion sur son bras, LE MUR est représenté par un homme habillé et barbouillé de blanc, LA LUNE est représentée par un homme portant un fagot d’épines et tenant une lanterne à la main

 

BOTTOM.

Par ici, mes enfants ! par ici !

LECOING.

J’espère que voilà une superbe place pour notre répétition !

FLÛTE.

Cette pelouse fera notre scène et ce fourré d’aubépine nos coulisses.

BOTTOM, prenant Lecoing à part.

Pierre Lecoing ! j’ai étudié mon rôle de Pyrame, et j’aurais quelques petites choses à y redire.

LECOING, avec une grimace.

Ah ! quoi donc ?

BOTTOM.

Au dénouement, je tire mon épée et je me tue. Ceci manque de gaieté. Le public n’est jamais content d’être triste, voyez-vous ; et, quand une pièce ne finit pas bien, – elle finit mal.

FLÛTE, à Groin.

Homme profond !

LECOING.

Vous croyez donc, Bottom, qu’il faudrait changer le dénouement ?

BOTTOM.

Non, inutile ! Seulement, faites-moi un prologue, et que ce prologue soit censé dire que nous n’avons l’intention de nous faire aucun mal avec nos épées, que Pyrame ne se tue pas pour de bon, et qu’enfin, moi, Pyrame, je ne suis pas du tout Pyrame, mais Bottom le tisserand. Alors, vous comprenez, il n’y a plus d’é motion possible.

LECOING.

Eh bien, c’est une idée ! Nous aurons un prologue, Bottom, un beau prologue en vers de douze pieds.

BOTTOM.

Qu’ils en aient quatorze ou quinze, allez ! ils n’en marcheront que mieux.

ÉTRIQUÉ.

Cher Bottom, un mot, je vous prie. Si le rôle de Pyrame est un peu triste, pensez au rôle du lion ! comme il est terrible !

BOTTOM.

Ah ! il est certain qu’amener un lion au milieu des dames, c’est grave. Nous n’avons pas d’oiseau de proie plus effroyable que le lion, c’est connu.

ÉTRIQUÉ.

Ne m’en parlez pas ! moi qui serai le lion, je me ferai trembler moi-même. Eh bien, Bottom, est-ce que, dans le prologue, il n’y aurait pas moyen, pour préparer un peu le public, de glisser aussi un petit mot au sujet du lion ?

BOTTOM.

Ah ! mon bon ami, ne me prenez pas mes effets, je vous en prie ! Mon prologue est à moi, et à moi seul.

ÉTRIQUÉ, suppliant.

Mais alors, bon Bottom, comment faire ?

BOTTOM.

Allons, écoute, Étriqué. Je te conseille de laisser passer carrément ton nez sous ta crinière, et de parler toi-même, et de dire : « Mes belles dames ! je vous supplie de ne pas avoir peur ; il y va pour moi de la corde. Si vous vous imaginiez que je suis un lion vivant, je serais un homme mort. » Et là-dessus, ma foi ! dis-leur ton nom, et avoue franchement que tu es Étriqué le menuisier.

ÉTRIQUÉ.

Ah ! très bien ! très bien ! Merci, bon Bottom, merci !

BOTTOM.

À présent, quand vous voudrez commencer...

LECOING.

Tout de suite. Achevez de mettre vos costumes, fils de vos mères.

Tous se retirent au fond, et s’affublent de leurs costumes.

 

 

Entre PUCK

 

PUCK, à l’écart.

Qu’est-ce que ces épais drôles
Qui s’en viennent, sans effroi,
Anonner leurs grossiers rôles,
À la place où notre roi
Et sa reine aux formes blanches
Éveillaient, doux querelleurs,
Les chants d’oiseau sous ces branches
Et les parfums dans ces fleurs ?
Oh ! mais vengeons nos charmilles
Et délivrons nos gazons,
Chères fleurs, de ces chenilles,
Chers oiseaux, de ces oisons !

Il se cache.

LECOING.

Nous y sommes ? – Vous êtes tous bien pénétrés, n’est-ce pas, des sentiments pénibles de vos lamentables rôles ? Allons ! les deux amants, les pères, la pauvre mère, le lion, le Clair de Lune, vous aussi le Mur, – la larme à l’œil, et en scène !

Tous redescendent gravement. Lecoing s’assied sur l’herbe, le manuscrit à la main.

Nous disons donc que la première scène est entre Pyrame et Thisbé. Vous, le Mur, dressez-vous. Vous, la Lune, éclairez.

Le Mur étend ses bras et écarte ses doigts. La Lune darde sa lanterne. Pyrame et Thisbé sont de chaque côté du mur.

BOTTOM.

Je commence.

« Les odieuses fleurs...

LECOING soufflant.

Non, Bottom ! « Les odorantes fleurs... »

BOTTOM, avec impatience.

Ah bien ! voyons ! odieuses, odorantes, c’est des nuances, ça ! Est-ce que vous croyez que le public s’aperçoit de ces choses-là ? – Allons ! qu’est-ce que je disais ?

« Les odieuses... »

LECOING, soufflant.

Odorantes ! odorantes !

BOTTOM, haussant les épaules.

Pédant !

Il reprend.

« Les odorantes fleurs ont un parfum moins doux,
« Ma Thisbé, que ton souffle... »

Soufflez, après souffle.

LECOING, cherchant sur le manuscrit.

Après souffle ?...

PUCK, à part.

Attends ! je vais te souffler, moi !

Il évase ses deux mains sur sa bouche, et souffle.

BOTTOM, éternuant.

Atchin ! – Allons ! bon ! voyez-vous le serein ! – Eh bien, moi, voilà toujours l’effet que me font les étoiles : elles m’enrhubent.

FLÛTE, qui suit sur son rôle.

Ce n’est pas ma réplique, ça !

BOTTOM.

Minute, Thisbé ! j’ai là mon bonnet de nuit que mon apprenti a dû apporter dans mon sac. Hé ! là ! petit, où es-tu ?

PUCK, dans l’ombre.

Ici patron.

À part.

Je vais t’ajuster la coiffure

Qu’à ton front oublia la distraite nature.

Puck et Bottom disparaissent derrière un buisson.

FLÛTE.

Mais, Lecoing, il n’y a pas de bonnet dans son rôle. Il s’en ajoute ! il s’en ajoute !

BOTTOM, revenant avec une tête d’âne.

Qu’est-ce que je me suis ajouté ?

Cri général d’effroi.

FLÛTE.

Au secours !

BOTTOM, criant aussi.

Quoi ? qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce qu’il y a ?

FLÛTE.

Un monstre !

BOTTOM, effrayé.

Un monstre ! Où donc ?

TOUS.

Là ! toi ! toi !

BOTTOM, haussant les épaules.

Moi, un monstre !

LECOING.

Malheureux ! tâte tes oreilles !

BOTTOM.

À moi ! – Est-ce une farce ? Mes amis !...

Confusion, cris. Puck les poursuit en leur jetant des pierres.

PUCK, les harcelant.

Gare votre peau !
Chien, flamme, tenaille,
Je mords, brûle et fouaille
L’absurde troupeau.

Tous se sauvent éperdus. Le lion et l’âne, restent seuls, épouvantés tous deux.

BOTTOM, arrêtant le lion par la queue.

Étriqué ! mon brave lion !

ÉTRIQUÉ, se retourne en rugissant.

Hun !

BOTTOM, recule, puis, brayant.

Hihan !

Étriqué prend la fuite.

En voilà, des ânes !

Il les suit en courant et en brayant.

 

 

Cinquième Tableau

 

Une autre partie du bois. La retraite de Titania.

 

 

TITANIA, étendue sous un bosquet fleuri, ; autour d’elle, LES FÉES

 

TITANIA.

Chantez-nous maintenant votre chanson du soir,

Et que chacune, après, se rende à son devoir :

Allez, mes sœurs, tuer, au bouton de la rose,

Le ver, qui la ferait morte avant d’être éclose ;

Tailler, dans l’aile en peau de la chauve-souris,

Aux petits sylphes bleus leurs petits habits gris ;

Chasser le hibou rauque ; apprêter la toilette

Des fleurs, depuis le lys jusqu’à la violette,

Et mettre aux pistils d’or les grains de l’encensoir. –

Mais, d’abord, chantez-nous votre chanson du soir.

PREMIÈRE FÉE, chantant.

Ruisseau du bois, sous la mousse
Fais taire tous tes cailloux.
Ma reine dort, elle est douce,
Souffles du bois, soyez doux !

CHŒUR DE FÉES.

Rossignol, sous la ramée,
Chante à ma reine charmée :
Loulla loullaby loulla !
Nuit, sur ma reine endormie
Fais veiller l’étoile amie...

Un rayon d’étoile vient se poser sur Titania.

L’étoile a lui ; la voilà !

DEUXIÈME FÉE, chantant.

Ma reine est charmante et tendre ;
Loin d’ici, serpents rôdeurs,
Faucheux, orvet, salamandre,
Méchancetés et laideurs !

LA PREMIÈRE FÉE, chantant.

Elle dort ! Bercez ma reine,
Doux silence, ombre sereine !

Les fées s’éloignent.

 

 

TITANIA, endormie, entrent OBÉRON et PUCK

 

OBÉRON, à Puck.

Viens. Je vais verser sur ses yeux
L’enchantement mystérieux.

Il s’approche de Titania et presse la fleur magique sur ses paupières.

Que le premier venu soit, au réveil, ton maître

Et ton aveugle amour.

Fût-ce un monstre hideux, il devra t’apparaître

Aussi beau que le jour.

Aime-le sot ou vil, aime-le laid ou traître.

Aime et souffre à ton tour !

On entend Bottom braire au loin.

Qu’est ce bruit ?

PUCK, part d’un éclat de rire.

Ha ! ha !

OBÉRON.

Chut !

PUCK, l’entrainant.

Viens, il faut que je rie !

Le hasard s’entend mieux que nous en moquerie !

 

 

ACTE III

 

 

Sixième Tableau

 

Un autre coin du bois, très accidenté et très touffu ; une sorte de labyrinthe de verdure, tout enchevêtré de sentiers, de monticules et de broussailles. L’obscurité y est plus profonde et plus mystérieuse.

 

 

OBÉRON entre avec PUCK, DÉMÉTRIUS, endormi

 

OBÉRON.

Quel étourdi ! Tu dois guérir un inconstant...

PUCK, piteux et riant.

Voilà que j’en fais deux !

OBÉRON.

Il faut finir pourtant ;

La nuit passe. – Non pas qu’on craigne la lumière !

Et ma chasse souvent, du matin coutumière,

S’en va par les halliers jusqu’à l’instant vermeil

Où l’orient, ouvrant les portes du soleil

À l’horizon brumeux de l’âpre mer grondante,

Brusquement, fait courir la flamme, ligne ardente,

Sur la nappe infinie aux frissonnants réseaux,

Et change en or pourpré le sel vert de ses eaux.

Apercevant Démétrius endormi.

Eh ! mais, tiens, le voilà celui qu’Hélène adore,

Celui qui la dédaigne et qu’elle adore encore !

Le voilà !

PUCK.

Bon ! attends ! Là, dans ce coin du bois,

J’ai cru voir tout à l’heure Hélène...

Il va pour sortir et s’arrête, prêtant l’oreille.

C’est sa voix !

Elle appelle. Oui, voici notre amoureuse en larmes.

Vite, applique au dormeur le philtre et ses doux charmes.

OBÉRON, exprimant le suc de la fleur sur les yeux de Démétrius.

Aime qui tu verras quand tes yeux s’ouvriront.

PUCK, riant.

Bien ! pas un ne l’aimait, et tous deux l’aimeront !

Obéron et Puck se cachent.

 

 

Entrent HÉLÈNE et LYSANDRE

 

HÉLÈNE, appelant.

Démétrius !

Se retournant vers Lysandre.

Lysandre, ne cesserez-vous pas cette odieuse poursuite ?

LYSANDRE.

Ordonne-moi de mourir, mais non de te quitter.

HÉLÈNE, appelant.

Démétrius !

DÉMÉTRIUS, se réveillant.

Qui m’appelle ?

HÉLÈNE.

Démétrius ! ah ! enfin ! – Démétrius ! tu ne m’aimes plus comme ta fiancée, mais tu me feras du moins respecter comme ta parente.

DÉMÉTRIUS, la contemplant avec ravissement.

Hélène !

LYSANDRE.

Oh ! Démétrius et moi, nous allons maintenant nous entendre. – Ami, c’est Hermia que vous aimez ; je vous cède tous mes droits sur Hermia. Moi, celle que j’aime à en perdre la raison, c’est la ravissante Hélène.

DÉMÉTRIUS.

Hélène la divine ! Eh ! mais, moi aussi, malheureux, c’est Hélène que j’aime !

HÉLÈNE.

Comment ! te mets-tu avec lui pour me railler, Démétrius ?

LYSANDRE.

Oui, c’est mal, Démétrius ; vous aimez Hermia, ce n’est pas une raison pour railler Hélène.

DÉMÉTRIUS.

Te railler, beauté sans pareille ! te railler, nymphe idéale ! Mais entends-moi, vois-moi ! est-ce qu’on raille en se prosternant ? est-ce qu’on raille à genoux ?

HÉLÈNE.

Se peut-il ! tu me rends ton amour, cher Démétrius ! Ah ! je savais bien qu’à force de douceur et de tendresse, je finirais par te reconquérir !

DÉMÉTRIUS.

Il ne s’agit pas de tendresse et de douceur ; je t’aime parce que je t’aime, je t’aime parce que mon cœur se fond quand je te contemple, je t’aime parce qu’il n’y a pas au monde de reine qui soit digne d’être ta servante.

LYSANDRE, croisant les bras avec indignation.

Eh bien, mais Hermia ? Hermia que vous aimiez si éperdument, ingrat ?

DÉMÉTRIUS.

Hermia ! allons donc ! Que mon cœur se soit une minute arrêté à elle, il est maintenant retourné à Hélène, comme à son centre et à son foyer, pour s’y fixer å jamais. Garde ton Hermia, Lysandre ! je me soucie d’elle comme de cette feuille desséchée !

HERMIA, appelant au loin.

Lysandre !

DÉMÉTRIUS.

Tiens, la voilà, ta belle !

 

 

Entre HERMIA

 

HERMIA.

Lysandre ! – Où donc étais-tu, méchant ? Pourquoi m’as-tu quittée ?

LYSANDRE.

Je t’ai quittée... parce que l’amour m’appelait ailleurs.

HERMIA.

Ailleurs que là où je suis !

LYSANDRE.

Oui, là où m’attirait une étoile plus radieuse que celles qui brillent en ce moment sur nos têtes, là où je suivais Hélène.

DÉMÉTRIUS, marchant à Lysandre.

aimiez Lysandre ! ne prends pas ces airs passionnés en parlant de mon Hélène ! je te le défends !

LYSANDRE.

Ah ! et défendras-tu aussi à mon cœur de battre ?

DÉMÉTRIUS, tirant son épée.

Je l’en empêcherai, certes, à l’aide de cette épée.

LYSANDRE, tirant la sienne.

À moins que celle-ci n’aille d’abord chercher ton cœur à toi.

HÉLÈNE, se jetant entre eux.

Démétrius ! Ah ! viens m’aider, Hermia ! Ils voulaient tantôt se battre pour toi, ils vont se tuer pour moi maintenant !

HERMIA marche sur Hélène, et la saisissant par le bras.

Mais c’est donc vrai ! c’est donc possible !

DÉMÉTRIUS, baissant la voix.

Lysandre ! Viens ! que je te dise...

Ils se parlent bas avec animation.

HERMIA.

Ah ! jongleuse ! rongeuse de fleurs ! voleuse d’amour ! tu seras venue, de nuit, me dérober le cœur de mon amant !

HÉLÈNE.

Hermia ! par grâce, ne pensons qu’à les apaiser !

HERMIA.

Ah ! tu as peur !

HÉLÈNE.

Oui, pour eux !

LYSANDRE, bas et vite à Démétrius.

C’est dit. Séparons-nous. Je vais t’attendre là, à ce tilleul que tu vois à l’entrée de la clairière.

DÉMÉTRIUS, bas à Lysandre.

Tu ne m’y attendras pas longtemps !

Ils sortent, Démétrius par la droite, Lysandre par la gauche.

HÉLÈNE, à Hermia.

Ah ! tenez, ils nous échappent !

Elle suit Démétrius.

HERMIA.

Oh ! ne les quittons pas !

Cherchant des yeux Lysandre.

Lysandre ! où est-il ?

Elle sort du côté par où il est sorti.

 

 

OBÉRON, PUCK

 

OBÉRON.

Ils sortent pour se battre et s’égorger, tu vois !

PUCK.

Non ! ne crains rien ! Je vais, contrefaisant leurs voix,

Brouillant leurs pas, avec ce hallier pour complice,

Empêcher qu’un dessein si bête s’accomplisse.

Sortent Obéron et Puck.

 

 

Rentre LYSANDRE, puis DÉMÉTRIUS, allant et venant, courant par le bois l’un après l’autre, PUCK, paraissant et disparaissant entre eux

 

LYSANDRE, entrant.

Eh bien, Démétrius ? il faut donc venir te chercher, fanfaron ? Où es-tu ? Montre-toi, s’il reste dans ton cœur une lueur de courage.

PUCK, derrière les arbres.

Ici, poltron ! l’épée à la main et en garde !

LYSANDRE.

Me voici ! me voici !

Il sort, guidé par la voix de Puck.

DÉMÉTRIUS, entrant.

Lysandre ! tu es là. Parle encore. Ah ! lâche ! ah ! fuyard ! où te caches-tu ? dans quel buisson d’épines ? sous quelle touffe de ronces ?

PUCK, caché.

Hé ! c’est toi, homme prudent, qui t’abrites dans cet épais fourré. Moi, je t’attends là où la lune brille, là où le terrain est égal.

DÉMÉTRIUS.

Bon ! je te rejoins, misérable !

Il sort.

LYSANDRE, revient.

Ne dis-tu pas que tu me rejoins ? Oui, mais, en attendant, tu ne bouges pas de ce taillis noir où tu te blottis comme un lièvre. Oh ! je finirai pourtant par te trouver et te tuer au gîte. – Où es-tu ?

PUCK.

À droite, ici. Je t’appelle assez haut, il me semble.

LYSANDRE.

Ah ! enfin !

Il s’élance à droite.

DÉMÉTRIUS, revenant.

À défaut de cœur, faquin, tu as des jambes ! Quand j’arrive où tu m’appelles, tu es déjà loin. Oh ! mais, taupe peureuse, où que tu sois, je te déterrerai.

PUCK.

Je suis ici. Tu ne m’entends donc pas.

DÉMÉTRIUS.

Ah ! reste en place seulement deux secondes.

Il s’élance à gauche.

LYSANDRE rentre, haletant.

Personne ! et rien ! Quelle couardise ! – Je n’en puis plus ! Cette course à cache-cache m’a mis hors d’haleine.

Élevant la voix.

Écoute, lâche Démétrius : je vais aller m’étendre au pied de l’arbre même où je t’avais donné rendez-vous. Si tu ne m’y viens pas retrouver avant la fin de la nuit, je te retrouverai, moi, au commencement du jour.

Il sort par la gauche.

PUCK reparaît, et appelle.

Hermia ! Hermia !... mon Hermia !

La voix d’HERMIA, au dehors.

Lysandre ! est-ce toi qui m’appelles ?

PUCK. Oui. – Par ici ! viens !

Tirant la fleur magique.

Fleur de l’amour moqueur,
Fleur aveugle et peu sûre,
Viens rouvrir dans ce cœur
Sa première blessure !

Il disparaît dans la même direction que Lysandre.

 

 

Entre HERMIA

 

HERMIA.

Lysandre ! où es-tu ? La nuit est si profonde dans ce taillis ! – Lysandre !...

La voix de PUCK, au dehors.

Hermia !

HERMIA, regardant à gauche.

Ah ! – Je le vois là-bas, étendu sous ce tilleul. Il s’est endormi. –

Elle sort.

Mon Lysandre, réveille-toi !

PUCK, revenant et la suivant des yeux.

Allons donc ! – Que de peine on a, pour faire entre eux

Se fuir deux ennemis, s’unir deux amoureux !

 

 

Septième Tableau

 

Le décor du quatrième tableau. La retraite de Titania.

 

 

TITANIA endormie, entre BOTTOM

 

BOTTOM, tout tremblant.

Ah ! oui, oui, je vois leur frime ! ils veulent me faire passer à mes propres yeux pour un âne ! Jamais ! Bottom est une forte tête ! Bottom va chanter pour prouver qu’il n’a pas peur.

Il chante.

Au bois jauni, bon coucou,
Coucou ! ton appel résonne ;
Grave appel, auquel personne
Ne dira non, s’il n’est fou.
Coucou ! Coucou !

TITANIA, s’éveillant et apercevant Bottom.

Ah !... Sur mon lit de fleurs quel ange me réveille ?

BOTTOM.

Allons ! bon ! je me cogne à une fée !

TITANIA.

Mortel charmant ! ta voix est douce à mon oreille

Autant que ta beauté ravissante à mes yeux.

Je t’aime !

BOTTOM.

Vous m’aimez ! vous m’aimez ! mais, pardon, ma dame, moi je ne vous connais pas.

TITANIA.

Son esprit vaut son front radieux !

BOTTOM.

Mon esprit ? je voudrais seulement en avoir assez pour retrouver mon chemin.

Titania lui pose la main sur l’épaule.

Voyons, laissez-moi m’en aller, madame ! laissez-moi !

Il se dégage en ruant.

TITANIA.

Tu ne sortiras pas, enfant, que tu le veuilles

Ou non, de ma prison de roses et de feuilles !

BOTTOM.

Eh bien, c’est gai !

TITANIA.

Mais vois-moi donc ! je suis une divinité.

Mon empire est celui de l’éternel été,

Et je t’aime ! À ma voix, tes servantes les fées

Viendront dresser les fleurs sur ton front en trophées ;

Elles t’iront chercher la perle au fond des mers ;

Elles te berceront de leurs plus doux concerts ;

Tu seras, dépouillant l’enveloppe charnelle,

Comme moi-même un souffle, un rêve, une âme, une aile !

BOTTOM.

Madame, je vous avertis, vous parlez un patois ! j’ai beau ouvrir toutes grandes mes oreilles, je n’y entends rien de rien !

TITANIA, appelant.

À moi !

Les fées et les sylphes accourent.

BOTTOM.

Ah ! misère ! toute la bande à présent !

TITANIA.

Venez, mes petites fées,
Venez, toutes décoiffées,
Servir mon seigneur aimé.
Pillez la ruche et la treille,
Et dévastez la corbeille
De fleurs et de fruits de mai.

BOTTOM.

Non ! non ! pas de fleurs, pas de fruits ! Qu’on m’apporte une botte de foin ! une botte de foin, et un bon picotin d’avoine !

TITANIA, lui posant une couronne de fleurs sur la tête.

Ô mon roi, laisse ta reine
Te couronner de verveine,
Et caresser doucement,
Avec ses lèvres vermeilles,
Tes belles longues oreilles,
Ô mon idéal amant !

BOTTOM.

Non ! vous me chatouillez, vous ! vous me chatouillez ! – Qu’on me gratte plutôt !qu’on me gratte !

Appelant deux des fées.

Hé ! vous, là ! jeunesses ! grattez-moi un peu la tête ! Fort ! fort ! plus fort !

TITANIA.

Dansez, mes sœurs ; charmez ses yeux

En groupant savamment vos corps harmonieux.

Rondes et danses de fées.

BOTTOM.

Eh bien, non ! toutes ces giries-là, ça ne charme-pas mes yeux, ça les brouille.

TITANIA, le conduisant au bosquet fleuri.

Viens ! – Pose sur mon cœur ta chère tête énorme.

Viens ! et comme le lierre à la tige de l’orme,

Laisse ton humble esclave, ô mon maître indulgent,

T’enlacer de ses bras, – bel ange au poil d’argent !

Bottom s’endort profondément.

 

 

Entre OBÉRON suivi de PUCK

 

TITANIA, jetant un cri en apercevant Obéron.

Ah ! viens-tu m’enlever mon bien-aimé, profane !

OBÉRON, étendant sa baguette.

Toi, vois-le ce qu’il est réellement.

TITANIA.

Un âne !

OBÉRON.

Un âne ! oui, ce sont là, déesse, vos amours !

TITANIA.

Un âne ! et je le vois !

OBÉRON.

Et tu l’aimes toujours !

TITANIA, résistant et luttant.

Oh ! mais je briserai cet amour – et ton piège !...

Non, le piège me tient !... – Ah ! c’est un sortilège

Dissipe-le ! pitié ! je pleure...

OBÉRON.

Donne-moi

Ton page.

TITANIA.

Non !

OBÉRON.

Adieu !

TITANIA.

Cruel ! il est à toi.

OBÉRON, tendrement.

Il est à nous. Merci !

Étendant la main.

De ce front de lumière

Envole-toi, folie impure, ombre grossière !

TITANIA, les yeux dessillés, regardant Bottom.

Ah ! quelle horreur ! J’aimais ce monstre. – Cher moqueur, 

Où fuirai-je ? où cacher ma honte ?

OBÉRON.

Sur mon cœur.

Elle se jette dans ses bras.

– Notre guerre au sujet d’Hippolyte et Thésée,

Injuste des deux parts, est de même apaisée.

Allons à leur palais ensemble, avant le jour,

Porter nos dons de joie et nos souhaits d’amour.

TITANIA, avec bonté à Puck, lui montrant Bottom.

Puck, fais qu’il ait rêvé.

OBÉRON.

Ma reine diaphane,

Viens.

Ils sortent avec leur cortège.

PUCK, enlevant à Bottom sa tête d’âne.

Perds ta tête d’âne, et garde tes yeux d’âne.

Il sort.

 

 

Entrent LES COMÉDIENS

 

BOTTOM, rêve et brait en ronflant.

Hihan ! hihan ! Des chardons ! des chardons ! une bonne grosse touffe de chardons !

VOIX, au dehors, appelant.

Bottom ! Bottom !

BOTTOM, se réveillant.

Hein ! quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?

TOUS, entrant.

Ah ! le voilà ! – Enfin !

LECOING.

Et il a sa propre tête ! – Qu’est-ce qui vous est donc arrivé, Bottom ?

BOTTOM.

Ah ! mes bons enfants, j’ai fait un rêve !...

LECOING.

Bien, mais il va faire jour, et nous n’avons que le temps d’aller prendre notre place dans le cortège nuptial.

BOTTOM.

Allons ; et en chemin je vous raconterai mon rêve. Il me semblait que j’étais... il me semblait que j’avais... – Oh ! c’est la plus prodigieuse aventure qui ait jamais fait dresser des oreilles d’... – des oreilles !

Tous sortent.

 

 

Huitième Tableau

 

Les abords du palais neuf de Thésée. Architecture féerique étagée sur le versant d’une colline ; terrasses, arcades, larges escaliers, longues galeries, dans le goût antique de la Renaissance ; partout la verdure et les fleurs, orangers, myrtes, lauriers-roses, sont mêlés au marbre et à la pierre. Il fait nuit encore. Légères lueurs de l’aube.

 

 

OBÉRON, TITANIA, PUCK, ELFES et FÉES, portant des palmes et des fleurs

 

Ils se répandent et courent partout, agitant des rameaux, effeuillant des roses.

OBÉRON.

Palais où deux destins rayonnants vont s’unir !

Nous venons te sacrer, palais, et te bénir,

Avec les chants en chœur et les fleurs en trophée

Que doivent au héros le génie et la fée !

LE CHŒUR DES FÉES, sur le devant.

Fleurs, couleurs, fête des yeux,
Fleurs d’or, de pourpre et de moire,
En ce séjour radieux,
Éclatez comme la gloire !

En ce radieux séjour,
Fleurs, parfums, encens, cinname,
Pénétrant les sens et l’âme,
Embaumez comme l’amour !

Lutins, que la ronde folle
Rie et chante, tourne et vole !

LA PREMIÈRE FÉE.

Pour la joie et pour l’honneur,
Tous, les Elfes et les Grâces,
Semez dans l’air, sur vos traces,
Les roses et le bonheur !

TITANIA.

Que l’épouse soit bonne, économe, fidèle,

Et toujours souriante en sa fidélité !

OBÉRON.

Que l’époux, doux et fort, et toujours épris d’elle ;

La couve et la protège avec tranquillité !

Le jour se lève. Sur un signe d’Obéron, les fées et les elfes s’éloignent.

LE CHŒUR, en se dispersant.

Point d’envie
À la vie !
C’est son tour,
C’est le jour.

Obéron, Titania Puck et les fées disparaissent.

 

 

Entrée du cortège nuptial, marche triomphale, THÉSÉE et HIPPOLYTE, sous un dais, à leur suite, HÉLÈNE, donnant la main à DÉMÉTRIUS, HERMIA, donnant la main à LYSANDRE, dans le cortège, les acteurs, BOTTOM, LECOING, etc. ATHÉNIENS, AMAZONES, etc.

 

 

À la fin du défilé, apparaissent au fond, dans un nuage lumineux, OBÉRON et TITANIA, PUCK auprès d’eux

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