Le Rapatriage (Pierre-Claude NIVELLE DE LA CHAUSSÉE)
Comédie en un acte et en vers.
1731.
Personnages
ISABELLE, en Gilles, en Diable, et en Notaire
CASSANDRE, père de Léandre
LÉANDRE, habillé d’un côté en homme, de l’autre en femme
GILLES, Valet de Léandre
PERRETTE, Servante d’Isabelle
MADAME CROQU’OISON
La Scène est au Pont-aux-choux.
DISCOURS POUR L’OUVERTURE DU THÉATRE
Dans le temps jadis d’autrefois,
La Parade, en plein vent, excitait la risée
Du Gentilhomme et du Bourgeois ;
Nous jouions les dehors : ste manière est usée.
C’est note Zizabelle, il en faut convenir,
Qui nous apprit, Messieux, t’a vous mieux divertir.
Il faut dresser, s’fit-elle, un jour, au biau Liandre ;
Faut monter, se fit-elle, au bonhomme Cassandre,
Dresser un biau Thiâtre ; et tous d’affection,
Nous viendrons t’a l’envi, pour amuser le monde,
Y montrer notre invention ;
Et pour que, drès demain, le beau monde y abonde,
Le Thiâtre dressé, vous viendrez en chaurus ;
Zizabelle y sera, nous monterons dessus.
On dresse, on monte, on joue, et le monde de rire.
Messieux, dit Zizabelle, entrez à tout moment :
C’est le dehors qui vous attire ;
Mais on n’a de plaisir que lorsqu’on est dedans.
C’est depuis ce fier jour, jour dont toute la Foire,
Gardant le souvenir, conserve la mémoire,
Qu’en affluence ici, z’à tout moment,
Il n’est z’aucun qui ne vienne se rendre,
Cherchant le divertissement.
L’un le prend à gogo, l’autre le laisse prendre.
Cent diables, disait, l’autre jour,
Un’ Dame ed qualité qui fréquente la Cour,
D’la Comédie à ça, lia ben d’la différence ;
Les comédiens, par jour, ne font qu’un’ fois leur jeu :
L’ont-ils fait, ça finit avec la révérence.
À la Parade, testubleu,
Ça vous plaît, ça finit : eh ! bien, ça recommence.
Eh ! venez-y donc tout’, Mesdam’, on commencera,
Pour ne jamais finir, qu’vous n’ayez dit : holà.
Scène première
ISABELLE, PERRETTE
ISABELLE.
C’est ici qu’est logé le put ingrat des hommes ;
Il s’y faut introduire.
PERRETTE.
Eh ! tredame, j’y sommes ;
On n’aura pas de peine à nous mettre dedans.
ISABELLE.
Il faut avoir bon pied, bon œil, et bonnes dents.
PERRETTE.
De quoi cela sert-il, quand on n’a croix ne pile ?
Mais d’où vient qu’Isabelle est habillée en Gille ?
Votre sesque traperce à travers vos habits.
ISABELLE.
C’est pour mieux pénétrer au fond de ce taudis,
Que je mets, depuis peu, la culotte en usage.
PERRETTE.
Mordienne, j’ai bien peur qu’on vous y dévisage.
ISABELLE.
Par où, Perrette ?... Enfin, c’est un faire le faut,
Pour ravoir mon Léandre... Hélas ! c’est un fer chaud.
Tu sais qu’après m’avoir... Ah ! douleur trop amère !
Le traître en veut pousser...
PERRETTE.
À qui donc ?
ISABELLE.
À ma mère.
PERRETTE.
Notre-Dame !
ISABELLE.
En personne.
PERRETTE.
Ah ! jarni, queu cadet !
ISABELLE.
Je veux, entre elle et lui, dérouter le baudet.
L’amour va faire ici le pus grand des vacarmes,
Et je vais employer tout, soins, coups, cris, pleurs, charmes.
PERRETTE.
C’est ben dit ; il lui faut ficher du calambou.
Morgoise, à votre endroit, faut lui river son clou :
Ces ingrats attrapont toujours les pauvres filles,
Et si, j’ons pourtant plus de trous que de chevilles.
ISABELLE.
Suffit ; j’entends qu’on vient : vite, il faut détaler ;
Ma chère mère aura tantôt à qui parler.
Scène II
LÉANDRE, GILLES
LÉANDRE.
Viens, Gille, et prête-moi l’une de tes oreilles.
GILLES.
Laqueulle ?
LÉANDRE, lui faisant faire la pirouette.
Eh ! double sot, toutes deux sont pareilles.
Approche donc, butor ; te voilà bien surpris
De me voir vêtu comme une chauve-souris.
GILLES.
Ah ! ah !...
LÉANDRE.
Je vais tâcher de te faire comprendre
GILLES.
Com... prendre !...
LÉANDRE.
Eh ! non ; tais-toi, je vais te faire entendre.
Écoute ; et, de parbleu, souviens-toi d’oublier
Ce que, de bout en bout, je te vas confier.
GILLES.
Allez, Monsieur Léandre ; eh ! laissez faire à Gilles ;
Pour en cas d’oublier, je suis des plus habiles ;
J’y damerais le pion à trétous : mais, au fait :
Serez-vous toujours mâle et femelle à forfait ?
LÉANDRE.
Je ne suis pas moins fils du bonhomme Cassandre ;
Au Pont-aux-choux, tout comme ailleurs, je suis Léandre,
Presqu’autant, pour le moins, que je le fus jadis ;
La panse fait le Moine, et non pas les habits.
Si je me cache ici, ce n’est pas pour des prunes ;
Quand on a sur le corps deux ou trois infortunes...
Car tu n’ignores pas, en sachant qui je suis,
Que je cours le danger des périls que je suis,
Dont le moindre est un cul, mon cher, de basse-fosse.
J’ai d’un père, en fuyant, vidé le haut-de-chausse,
Et quitté la maison dont j’étais né natif.
Ce qui m’oblige à fuir, c’est encor un motif ;
Isabelle, en son sein, (mais soit dit sans reproche,)
Porte, de ma façon, une anguille sous roche.
GILLES.
Voilà donc l’encolure ; et vous la plantez là,
Pour ne pas l’épouser ?
LÉANDRE.
Justement, t’y voilà.
Ma vertu prolifique a passé mon attente ;
C’est un petit neveu que j’ai fait à sa tante :
L’Amour, s’il vient à bien, y pourvoira gratis.
Pour mettre, avec mon front, mon dos à remotis,
Je me rends orphelin, veuf ; enfin, pour conclure,
J’abandonne à la fois l’Amour et la Nature.
Il s’essuie.
GILLES.
N’en dirait du sarmon du Curé de cheux nous ;
Gnia marle ou parroquet qu’ensache autant que vous.
LÉANDRE.
Ce n’est pas cependant que, dans ces circonstances,
J’abjure la culotte avec ses dépendances.
Gilles s’endort.
Je m’en sers au contraire alternativement.
C’est pourquoi tu me vois muer comme un serpent.
Comme le Roi David, je change d’attitude ;
La seconde nature est une autre habitude...
Ne ronfle pas si haut... Je compte, si je puis,
Être dans quelque temps aussi riche qu’un puits.
GILLES.
Cette richesse n’est que de l’eau claire à boire.
LÉANDRE.
Je ne pousserai pas plus longtemps mon histoire ;
C’est trop m’entretenir avec un animal.
GILLES.
Tout ça, Monsieur, pourrait fort bien vous bâter mal.
LÉANDRE.
À cause ?
GILLES.
Ce tracas ne vaut pas une gogue.
Ce n’est pas pour ici trancher du pet-en-gogue ;
Mais, sauf votre respect, trop est trop à la fois,
Et j’aimerais bien mieux qu’vous fissiez un bon choix,
Que d’être, tout ensemble, Isabelle et Léandre.
Vous voulez épouser, et qui ? Monsieur Cassandre,
Rapport à ce qu’il a des écus à foison.
Outre qu’vous êtes mâle, ainsi que de raison,
C’est que ce vilain ladre est Monsieur votre père.
Fi ! un fils épouser le mari de sa mère !
Jarni, c’est un insecte, au moins à ce qu’en dit ;
Et tout ce qu’en revient est autant de maudit,
Mordienne, faut avoir un peu de sacristie,
LÉANDRE.
Tu m’endors à ton tour.
GILLES.
Jarnon-pas de ma vie,
Bran des Prédicateux ! Je n’en sais pas si vieux ;
Mais, pour vous et pour moi, ne vaudrait-il pas mieux
Épouser tout-à-fait la mère d’Isabelle,
Madame Croqu’oison ? Alle a de la vaisselle.
Pourvu qu’elle vous baille, avant tout, son avoir ;
Pis après on verrait...
LÉANDRE.
C’est ce qu’il faudra voir ;
Mais je veux être encor isabelle et Léandre,
Jusqu’à ce que j’avise au parti qu’il faut prendre.
Ménageons cependant nos deux vaches à lait ;
L’argent, non pas l’amour, fait mon plus doux souhait.
Pour toi, Gilles, motus, bouche close et cousue ;
Par ton maudit canal, si la chose était sue,
Si t’en souffles jamais en derrière de moi,
Aujourd’hui pour demain, ce sera fait de toi.
Pour te dédommager du chagrin de te taire,
Mon fils, je te permets d’être, à ton ordinaire,
Ivrogne, sac-à-vin, glouton, cochon, gourmand,
Fripon, escroc, vaurien ; et, qui pis est, Normand ;
Pourvu qu’à mon endroit, comme il est convenable,
Tu sois sage, posé, discret et raisonnable.
Il me faut un Valet pour augmenter mon train ;
Prends soin de m’en trouver ; j’en veux un de ta main :
Je prétends que, chez moi, le domestique abonde.
Adieu.
GILLES.
Monsieur...
LÉANDRE.
Eh ! bien ?
GILLES.
J’entends cogner du monde,
Faut-il vous l’introduire ?
LÉANDRE.
Oui ; mais tout bellement.
GILLES.
J’entends.
LÉANDRE.
Je n’aime point qu’on entre brusquement,
On heurte plus fort. Léandre sort.
GILLES, ouvrant.
Ventredié, vous allez écalventrer la porte.
Scène III
ISABELLE, en Gilles, GILLES
ISABELLE.
T’es lent à me l’ouvrir ; que le diable t’emporte :
Te fusses-tu rompu la mâchoire en chemin !
À part.
Il faut l’amadouer...
Haut.
Allons, baille la main.
GILLES.
Est-ce à moi que s’adresse...
ISABELLE.
À qui donc, jarni diantre ?
Qu’est-ce donc : on dirait, à te voir par le ventre,
Que tu ne connais pas ton frère... Ouvre les yeux.
GILLES.
Vous ! le fils de ma mère ?
ISABELLE.
Ah ! tu fais l’oublieux !
Mordienne, flaire-moi de la bonne manière,
Et sans dessus dessous, et sans devant derrière.
Irai-je le galop, le trot, l’ambre, le pas ?
Suis-je ton frère : Quoi ! tu ne le remets pas ?
GILLES.
Si-fait, queuque fois... Mais, puissé-je avoir la rage,
Si je vous en connais pour cela davantage !
ISABELLE.
Gilles, t’es un ingrat... Hélas ! je m’y connais.
GILLES.
C’est que vous portez...
ISABELLE.
Quoi ?
GILLES.
La mine d’un minois,
Dont le visage a l’air d’une philosomie
Que je ne vis jamais nulle part de ma vie,
À moins que ce ne soit ailleurs.
ISABELLE.
Et justement ;
Car j’y vais quelquefois.
GILLES.
Ah ! c’est donc ça, vrament...
Mais comment pouvez-vout être mon propre frère,
Drès-là que je suis fils unique de ma mère ?
ISABELLE.
Est-ce qu’on peut jamais au juste, en cas de ça,
Savoir toutes les sœurs et les frères qu’on a ?
Faudrait être Sorcier ou Docteur de Sorbonne.
GILLES.
Morgué, je ne sis pas goûteux de soupe-bonne,
Et stapendant je crois, frère, qu’vous m’en coulez.
Tant y a, soyons cousins, drès que vous le voulez.
ISABELLE.
Ainsi tu ne crois pas que je sois Zizabelle ?
Ne vas pas te ficher cela dans la cervelle,
Rapport à ce que j’ai tous ses traits, trait pour trait.
GILLES.
Ah ! fussissiez-vous elle, et non pas son portrait !
ISABELLE.
Ton Maître s’en bat l’œil. La chance est bien tournée.
C’est sait, quand on nous prend un pain fur la fournée.
L’amour du cœur de l’homme est un vrai Juif haran,
Bientôt le chien de cour devient le chien courant.
On se torche à présent de la foi conjugale.
Quoi qu’il en soit, Léandre a chié dans ma malle.
Quant à moi, je voudrais lui servir de Valet.
On dit qu’il en cherche un trié sur le volet,
Et je serais charmé de prendre sa livrée ;
Gilles me voudrait-il faciliter l’entrée ?
GILLES.
J’y boutrons de l’aisance.
ISABELLE.
Ah ! frère, Dieu vous gard.
GILLES.
Attendez ; stapendant, av’ous queuqu’un d’hazard
Qui réponde de vous ?
ISABELLE.
Non ; je réponds moi-même.
GILLES.
Y a ben du mal ici ; c’est pis qu’un stratagème :
Il faut être à deux mains.
ISABELLE, lui donnant deux soufflets.
J’en ai de bonnes, vois.
GILLES.
Jarni, c’est bienheureux qu’vous n’en ayez pas trois...
Frottez-vous ?
ISABELLE.
Comme un diable.
GILLES.
Et pis il faudra battre,
Une fois par semaine...
ISABELLE, le battant.
Oh ! je bats comme quatre.
GILLES.
Mais ce sont les habits.
ISABELLE.
C’est le tien que je bats.
GILLES.
Mais, morguenne, attendez que mon dos n’y soit pas.
Or sus, Monsieur Léandre, il est mâle et femelle ;
Partant, il le faudra coiffer en Zizabelle :
Dites-moi, frisez-vous ?
ISABELLE.
Naturellement.
GILLES.
Bon !
Savez-vous habiller ?
ISABELLE.
Un lapin ?
GILLES.
Oh ! que non.
Vous en êtes, mordienne, à plus d’une lieue.
Savez-vous mettre un’ robe, et trousser une queue ?
ISABELLE.
En moins d’un tour de main.
GILLES.
Tous les jours que Dieu fit,
Faudra, cinq ou six fois, raccommoder le lit :
Savez-vous bien le faire ?
ISABELLE.
Ah ! mon Dieu ! comme un Ange !
GILLES.
Allons, je vous retiens.
ISABELLE, à part.
Il prend pourtant le change.
GILLES.
Vous nous viendrez ici de cire comme un gant.
ISABELLE.
Je vais querir mon coffre, et reviens sur le champ.
Scène IV
GILLES, seul
Ah ! ah ! que je ne suis Glaude qu’en apparence.
Certain je ne sais quoi me boute en espérance
Qu’il est Dame Isabelle. Or à bon chat, bon rat ;
J’en aurai le cœur net comme une écuelle à chat.
Ce sera drès demain, avant la réveillette.
Il n’est, pour tout potage, ici qu’une couchette ;
Drès que nous y serons couchés, autant de pris :
Comme l’on n’y voit goutte et que tous chats sont gris,
J’irai, comme un larron, prendre un bout de chandelle ;
Et pis, comme un Esprit, j’irai par la ruelle,
Et pis j’avalerai la couverture en bas,
Tout comme pour chercher les puces dans les draps.
Drès-là je verrai bien si c’est puce ou pucelle ;
Mais que tant seulement ce soit une fumelle,
Si Dieu me prête vie, elle en aura sa part.
Queu noce ! nous verrons qui mangera le lard.
Scène V
GILLES, ISABELLE, avec une bouteille d’osier
ISABELLE.
Tu ne douteras plus que je ne sois ton frère ;
Je t’apporte la part des biens que notre père
A délaissés le jour qu’à son moment dernier,
Il éprouva le sort de la vache à Panier.
GILLES.
Je sens, à cet aspect, mon âme qui frétille ;
Je reconnais mon sang. Ce titre est de famille.
Je vais bien m’en refaire. Allons, baille, cadet.
Isabelle rince un verre.
Va, pour boire où tu sais ne faut point de godet.
Qu’il est doux d’hériter ! Prête-moi l’héritage.
Ça, frère, à la santé de tout le parentage.
La bouteille s’enflamme.
Miséricorde ! à l’aide ! elle a le diable au corps.
ISABELLE.
C’est l’âme du défunt.
GILLES.
N’ai-je pas le cou tors ?
Foin ! mon âme s’en va le trot, sans dire gare.
Que vois-je ? Sous mes pas, j’aperçois le Tarare !
Maugredienne de vous et de tous nos parents !
Foin ! ma pauvre culotte est dans de beaux draps blancs.
Scène VI
ISABELLE, PERRETTE
ISABELLE.
Viens çà, tandis que Gille enfile la venelle,
Perrette, commençons une autre ritournelle.
PERRETTE.
Madame, il vaudrait mieux oublier un cocu,
Qui se donne, sans vous, des talons dans le cul,
Et qui voudrait vous voir à plus d’une lieue.
Vaudrait autant tirer le diable par la queue.
ISABELLE.
Hélas ! elle pourrait me rester dans la main.
PERRETTE.
C’est toujours ça.
ISABELLE.
N’importe : allons notre chemin.
PERRETTE.
Mais que prétendez-vous faire ici, ventrebible ?
ISABELLE.
Ramener un ingrat.
PERRETTE.
C’est la chose impossible.
Drès que ces renégats ont mis la voile au vent,
Les damnés chiens qu’ils sont, vont toujours en avant,
Le vôtre reviendra se remettre à l’attache,
Lorsque l’égout Montmartre ira vers saint Eustache.
Si j’étais que de vous, sans en être aux abois,
Je reprendrais mon cœur. Qu’est-ce ? Toutes les fois
Qu’on me l’a planté là, l’ai-je été dire à Rome ?
J’ai pris un autre ami ; faites tout ainsi comme...
ISABELLE.
Que de projets ma tête avorte tour à tour !
Poussons toujours ma pointe et celle de l’amour.
Amour, dont le doux nom m’échappe,
Daigne enluminer mon cerveau !
Toi, qui m’as fait mordre à la grappe,
Ah ! daigne protéger la vache avec le veau.
Ô Ciel ! resterai-je bredouille
Avec un poupon sur les bras ?
Est-ce donc en brouet d’andouille
Que devaient s’en aller des feux si pleins d’appas :
Cher séducteur de mon adolescence,
Ah ! rends-moi mon cœur, si tu l’as.
Du moins rends-moi mon innocence ;
Rends-la-moi, c’est un bien qui ne se garde pas.
Que dis je ! malgré ton parjure,
Si tu m’en faisais le renvoi,
Ce ne serait, je te le jure,
Que pour le perdre encor, et sans cesse, avec toi.
PERRETTE.
Vous pleurez ?
ISABELLE.
N’as-tu pas un mouchoir de visage !
PERRETTE, montrant ses doigts.
Qui ! moi ! voici le seul qui soit à mon usage.
ISABELLE.
Garde-le ; vas chercher l’Accoucheuse du coin,
Mon cœur me dit bientôt que j’en aurai besoin.
PERRETTE.
L’Accoucheuse ! Eh ! pourquoi faire ?
ISABELLE.
Des Demoiselles.
PERRETTE.
J’entends à demi-mot... Nous en verrons de belles.
Allons ; il m’est avis de prendre ces instants
Pour me faire, avec elle, accoucher tout d’un temps.
Scène VII
ISABELLE, MADAME CROQU’OISON
ISABELLE.
Que veut cette guenon ?
MADAME CROQU’OISON.
C’est Gilles que j’avise.
Ton Maître est-il céans ?
ISABELLE.
Il est dans sa chemise.
MADAME CROQU’OISON.
Je vais donc l’y chercher ; car je veux aujourd’hui
Avoir un petit bout d’accointance avec lui :
Je suis déterminée à nous mettre en ménage,
Et ne veux rien qui traîne en fait de mariage.
ISABELLE.
Comme elle y va dru, dru !
MADAME CROQU’OISON.
Çà, Maître Aliboron,
M’as-tu mirée assez avec ton œil vairon ?
ISABELLE.
C’est que plus je vous vois, et plus je vous regarde.
Est-ce elle ?... Par hasard, seriez-vous, par mégarde,
Madame Croqu’oison ?
MADAME CROQU’OISON.
Tout juste, mon mignon.
ISABELLE.
N’auriez-vous pas été la mère d’un trognon,
Non de pomme ou de choux, mais d’un tendron de fille ?
Isabelle, autrefois, fut son nom de famille.
MADAME CROQU’OISON.
Ah ! si je la tenais, avec certain vaurien,
Je vous la torcherais, mais en fille de bien.
Ficher le camp ! quitter la maison paternelle,
Pour s’en aller ailleurs cueillir la pimprenelle !
Mais en perdant ses gants, elle a perdu son rang,
Et je voudrais pouvoir lui reprendre mon sang
Descendît-on du ciel droit comme une faucille,
Qui forligne n’est plus un enfant de famille :
Ainsi je la renonce ; et pour mieux l’oublier,
Monsieur Léandre et moi, nous allons nous lier
Par des nœuds éternels, qui tiendront comme teigne,
Je prétends lui donner jusqu’à mon dernier peigne.
Quand j’aime, tout y va, la paille avec le blé ;
Le véritable amour joue au Roi dépouillé.
ISABELLE, se retirant de côté.
Je fais un à parte, bouchez-vous les oreilles,
Ou bien faites semblant d’aboyer aux corneilles.
Elle lui fait faire le moulinet.
Oh ! jour, non pas de Dieu, quel quatre-temps fatal !
Ma rivale est ma mère en propre original.
Du même gueux que moi son vieux cœur s’amourache ;
Elle veut me couper l’herbe sous la moustache...
Mais mon Léandre s’offre à mes yeux réjouis :
Fuyons, pour cause ; allons voir ailleurs, si j’y suis.
Scène VIII
MADAME CROQU’OISON, LÉANDRE, en homme d’un côté
MADAME CROQU’OISON.
Enfin, je te revois, beau briquet de ma flamme,
Douce et chère amadoue, étoupe de mon âme !
LÉANDRE.
Cela vous plaît à dire.
MADAME CROQU’OISON.
Ah ! c’en est trop, mon cher !
Sais-tu bien que mon âme est mise au feu d’enfer,
Et n’est plus qu’un charbon traîné parmi la cendre ?
LÉANDRE.
Corbieu ! vous me brûlez. Madame, à vous entendre,
Vous sentez le roussi, je ne le sens pas moins ;
Votre nez et le mien en sont de bons témoins.
MADAME CROQU’OISON.
Ah ! que l’amour est bon, drès qu’il est réciproque !
Viens, mon Ange ; je veux te manger à la coque.
Allons, tends-moi le bec, mon petit passereau ;
Prends des arrhes au coche, allonge le museau.
LÉANDRE.
Le respect sert de bride à l’amour qui m’emporte,
MADAME CROQU’OISON.
Le respect est un sot, et celui qui le porte ;
Quand il est bon à perdre, il n’est plus de saison,
Sur ta bouche d’ivoire abreuve ton oison.
En le baisant.
Ah ! chien !
LÉANDRE.
Qu’avez-vous fait ? Holà, ventres de chèvres !
MADAME CROQU’OISON.
C’est le vin du marché que j’ai bu sur tes lèvres.
Elle se pâme.
LÉANDRE.
Vous en trouvez-vous mal ?
MADAME CROQU’OISON.
Au contraire, mon cœur,
Je m’en trouve bien mieux ; c’était une vapeur.
Venons à nos moutons : ce sont nos amourettes.
Quand ne ferons-nous plus qu’un lit de deux couchettes.
LÉANDRE.
Tout me sert de témoins que je voudrais...
MADAME CROQU’OISON.
Quoi donc ?
LÉANDRE.
M’unir comme le lierre à votre aimable tronc,
Pour y vivre et mourir tant que la mort s’ensuive ;
Mais...
MADAME CROQU’OISON.
Qu’est-ce que ce mais ? Tu m’auras morte ou vives
LÉANDRE.
Plût à Dieu !
MADAME CROQU’OISON.
Tu veux rire, avec ton plût à Dieu !
LÉANDRE.
Qu’il m’est dur !... Je ne puis achever cet aveu.
Ne pouvoir vous le faire, est assez vous le faire.
MADAME CROQU’OISON.
Non, ce n’est pas assez ; redis moi ton affaire.
LÉANDRE.
Que ne suis-je de verre, ou du moins de cristal ;
Vous verriez si je suis de bronze ou de métal.
Ah ! mon cœur est de chair et d’os, comme vous êtes :
Je n’en souffre pas moins qu’un faiseur d’allumettes.
MADAME CROQU’OISON.
Quoi ! ton amour déjà contrefait l’estropié !
Crois-tu que je sois femme à me moucher du pied ?
LÉANDRE.
Il faut donc s’aboucher : soit dit, sans vous déplaire,
Votre antique beauté, votre âge séculaire,
La crainte d’être veuf le plutôt qu’on pourra,
Serait, pour m’arrêter, un faible remora.
MADAME CROQU’OISON.
Qu’est-ce donc qui te fait faire un pas d’écrevisse ?
LÉANDRE.
Je suis gueux comme un rat.
MADAME CROQU’OISON.
Pauvreté n’est pas vice.
Va, l’Amour était nu : c’est comme je te veux.
Tu sais qu’en mariage, il faut, pour être heureux,
Avoir toujours un peu de cornes... d’abondance.
LÉANDRE.
Il est vrai.
MADAME CROQU’OISON.
T’en auras de quoi faire bombance.
Je ne t’épouse pas pour te mettre à l’étroit.
Va, va, j’ai du comptant, et plus qu’on ne m’en croit
D’ailleurs, gna qu’à s’aimer ; retiens cet apozème :
L’on vit toujours au large avec ce que l’on aime.
La pauvreté m’est chère. Avale ton souci.
Si tu n’as la main gourde, empoigne-moi ceci
Elle fait sonner une bourse.
Tous tes parents ont-ils le nez fait de la sorte ?
ISABELLE, en Gilles, traverse le Théâtre en courant, et emporte la bourse, en disant.
Non ; ils sont tous camus : le diable les emporte.
MADAME CROQU’OISON.
Au voleur, au voleur ! Qu’est-ce donc ? Cours après.
LÉANDRE.
C’est Gilles, mon Valet, qui prend vos intérêts.
Le drôle, en faisant rafle, épargne ma vergogne :
Il veut, entre nous deux, avancer la besogne.
Mon affaire était prête à tirer en longueur ;
Mais il a, pour le coup, violé ma pudeur.
Comme il ne rendra pas la bourse qu’il a prise,
Madame, il faudra bien livrer ma marchandise :
Ajoutez de quoi boire, et mon cœur est à vous.
MADAME CROQU’OISON.
Mais vraiment tu l’entends comme à ramer des choux !
Va, tu n’es qu’un blanc-bec ; c’est-à-dire, un bec-jaune :
Tu m’en aurais donné, mais tout du long de l’aune ;
Si je t’avais vu ferme et roide jusqu’au bout,
Je t’aurais acheté crin, queue, oreille et tout :
J’aurais plutôt vendu mon cotillon pour boire.
C’est pour une autre fois ; mets ça dans ton grimoire.
LÉANDRE.
C’est mon apprentissage, et j’y suis tout fin neuf ;
Mais je m’en souviendrai, drès que je serai veuf.
MADAME CROQU’OISON.
En attendant, pas moins, pour nous mettre en ménage,
Faisons faire au Notaire un mot de griffonnage,
Qui nous sangle à jamais l’un et l’autre à forfait ;
Et je reviendrai drès, quand il me l’aura fait.
Scène IX
LÉANDRE, seul
Ah ! maudit renégat que je suis, quand j’y songe !
Ciel ! dans quel gouffre affreux est-ce que je me plonge :
Pour faire du bon pain, rien n’est tel qu’un vieux four ;
Mais j’en avais un jeune, où cuisait mon amour.
Las ! il souvient toujours à Robin de ses flutes !
Isabelle, quel prix de l’amour que vous m’eûtes !
Un tintouin qui me corne, ainsi qu’un vieux rebec,
Me met l’âme à l’envers, et la cervelle avec.
Faut-il, à l’appétit d’un peu plus de mitrailles,
Que j’aille m’empêtrer dans de vieilles ferrailles ?
La jeune a des attraits, la vieille a des testons :
Faut-il ? Ne faut-il pas ? Voyons à mes boutons.
Il m’en manque un peu trop... Cherchons un autre oracle.
Gilles me vient à point, juste comme un miracle.
C’est un sot qui pourra m’aviser sur ceci...
Scène X
GILLES, en tremblant, LÉANDRE
GILLES.
L’âme à mon pauvre père est-elle encor ici ?
LÉANDRE.
Çà, la bourse.
GILLES.
Au voleur !
LÉANDRE.
Ah ! gibier de Bicêtre !
GILLES.
Au gué, au reguingué ! Fuyons, tirons nos guêtres.
LÉANDRE.
Il fuit comme un tonneau ; le maroufle aura bu.
La pauvre bourse a l’air d’en avoir dans le cul.
Gilles ?
GILLES.
Plaît-il ?
LÉANDRE.
Approche.
GILLES.
Eh ! oui ! c’est pour Dimanche.
LÉANDRE.
Approche donc, butor, souffle-moi dans la manche.
Ah ! que tu sens le vin ! As-tu bu tout ton saoul ?
GILLES.
J’ai bu comme il en pleut ; je devrais être saoul.
Ventre-de-son ! j’allais m’en donner pour la veille ;
Mais l’âme de mon père était dans la bouteille,
Qui sortant toute en feu par le haut du goulet,
M’a baillé, de sa grâce, un vilain camouflet :
Car...
LÉANDRE.
Il faut rendre gorge : allons, changeons de gamme.
GILLES.
Morgué, j’ai tout rendu ce que j’avais dans l’âme.
Regardez-y plutôt.
LÉANDRE.
Cornes de Belzébuth !
Vous êtes un fripon, si jamais il en fut ;
Mais vous aurez affaire avec maître Jérôme.
Coquin, rends-moi la bourse ; ou sinon, je te paume.
GILLES.
Jarni, nous serons deux.
Scène XI
ISABELLE, LÉANDRE, GILLES
ISABELLE, avec un Jérôme, les bat tous deux.
Et moi, ça fera trois.
GILLES, battu.
Holà donc !
LÉANDRE.
Insolent !
GILLES.
Son bras n’est pas de bois.
LÉANDRE.
Tu frappes comme un sourd.
GILLES.
Vous battez comme plâtre.
Ils s’enfuient.
Scène XII
ISABELLE, seule
Eh ! la scène a fini par des coups de Théâtre.
Qu’à mon goût la vengeance est un mets délicat !
Qu’il est doux de pouvoir rondiner un ingrat,
Et nous venger ainsi de tout ce qu’il nous ôte !
J’aurais dû, pour le moins, lui casser une côte ;
Mais l’Amante qui frappe a le bras de coton ;
L’Amour, entre ses mains, amollit le bâton.
Je ne sais quelle sotte et tendre défaillance
M’empêchait, sur son dos, d’appuyer ma vaillance ;
J’éprouvais, au moment que je l’ai bâtonné,
Que ce qu’on crache en l’air retombe sur le né,
Que toujours un volage est un autre soi-même,
Qu’on se meurtrit des coups qu’on donne à ce qu’on aime...
Mais je vois le pénard avec qui, sous mon nom,
Mon ingrat veut passer pour un joli tendron.
Scène XIII
CASSANDRE, ISABELLE
CASSANDRE.
C’est céans qu’est l’objet pour qui l’Amour me pique.
Mais j’avise, je crois, Monsieur son Domestique.
Bonjour, Gilles, bonjour : que le Ciel soit céans.
La charmante Isabelle est-elle là-dedans ?
ISABELLE, à part.
Léandre prend mon nom ! Ah ! le voleur ! le traître !
CASSANDRE.
Le soleil est levé, l’aurore le doit être.
ISABELLE, à part.
Je veux un peu dauber ce vieux singe pelé.
À Cassandre.
Monsieur, n’êtes-vous pas défunt Mathieu Sallé ?
CASSANDRE.
Je ne crois pas avoir été mort de ma vie ;
Et Cassandre est en vie, en dépit de l’envie.
ISABELLE.
Cassandre ! C’est le nom d’un vieux Fesse-Mathieu...
CASSANDRE.
Eh ! non, Gilles ; c’est moi.
ISABELLE.
D’un ladre, vert et bleu,
Comme lard jaune. Pût-il rendre son dernier souffle !
Du reste, je le tiens pour le plus vieux maroufle
Qui se trouve à l’entour des environs d’ici.
CASSANDRE.
C’est mon coquin de fils qui me périt ainsi ;
(Cependant, que ma femme eut d’une fausse couche :)
C’est Léandre.
ISABELLE.
Ah ! quel nom vous tombe de la bouche !
CASSANDRE.
Il tient de la guenon de qui j’étais l’époux.
C’est un dénaturé sans nature : entre nous,
La sienne ne vaut pas le manche d’une étrille.
C’est assez l’ordinaire aux pères de famille
Que leur postérité dégénère en serpents :
On ne sait ce qu’on fait, quand on fait des enfants.
ISABELLE.
Hélas ! Marchand d’oignons se connaît en ciboule.
CASSANDRE.
Que n’a-t-on le secret de les jeter en moule ?
ISABELLE.
Laissons-les faire ainsi qu’on les fit de tout temps.
Léandre est votre fils ; suffit, je vous entends.
CASSANDRE.
Il le fut autrefois ; il a cessé de l’être :
Ce n’est qu’un garnement, un franc...
ISABELLE.
Tais-toi, vieux Reître.
Tu viens donc céans, pour épousseter aussi
La belle Isabelle ?
CASSANDRE.
Oui.
ISABELLE.
Tarare !
CASSANDRE.
Qu’est ceci ?
Oui, je l’épouserai.
ISABELLE.
Comme il pleut des andouilles.
CASSANDRE.
Je lui vais en couler trois mots et six bredouilles.
ISABELLE.
Zest.
CASSANDRE.
Que rabâches-tu ?
ISABELLE.
Pour en couler, néant.
CASSANDRE.
Mais tout ceci me fait tomber de mon séant.
Qui diable pourrait donc empêcher notre noce ?
J’entrevois du micmac ; apprends-moi ce négoce ;
Quelque rival ici m’a t-il rompu le cou ?
Tiens, je te prêterai de quoi t’avoir un sou,
Si tu veux dégoiser : va, c’est de l’or en barre.
ISABELLE.
Monsieur, mettez-en deux.
CASSANDRE.
Diable ! l’argent est rare.
ISABELLE.
Quand tu m’irais jusqu’à dix, douze, quinze, vingt,
J’aimerais mieux cent fois que la galle te vînt.
Tu te débats ici de la chape à l’Evêque :
Tu n’épouseras rien.
CASSANDRE.
Pourquoi donc ?
ISABELLE.
Pourquoi ? C’est que... ?
Suffit : attends le bout ; tu sauras, vieux barbu,
Le secret de ton fils, et celui de ta bru...
À part.
Mais je me sens piquer par de certaines mouches :
Dans la première allée, allons faire nos couches ;
Et revenons ensuite implorer, dans ces lieux,
La Nature, l’Amour, le Devoir et les Dieux.
Scène XIV
CASSANDRE, seul
Queu pot-pourri que ça ! Quelle galimafrée !
Que prétend ce faquin, cette tête engauffrée ?
Je n’épouserai rien, dit-il. Rien ! C’est beaucoup.
Il parle de mon fils... À ce nom, tout-à-coup,
Certain pressentiment, du plus beau noir du monde,
Me coule, au fond du cœur, une terreur profonde.
Quand je touche à la veille, et presque au lendemain,
Mon bonheur me chierait du poivre dans la main !...
Ah ! c’est mon fils !... Il est le rival qui me torche...
Pour crier en aveugle, attendons qu’on m’écorche.
Rien n’est tel que d’aimer pour devenir foireux.
L’on dit bien que l’Amour est un enfant peureux,
Qui se livre toujours aux terreurs les plus fausses :
L’Amour prend, bien souvent, ses fesses pour ses chausses...
Mais queuque chose ici frappe mon odorat :
Ah ! c’est mon Isabelle avec tout son éclat.
Scène XV
CASSANDRE, LÉANDRE, en femme d’un côté
CASSANDRE.
Pour le pauvre Cassandre, hélas ! quelle nouvelle !
Ah ! l’on vient quasiment de m’en dire de belles !
LÉANDRE.
C’est vous, père Cassandre ! Ah ! je vous croyais mort.
CASSANDRE.
Si vous ne m’aimez plus, aurais-je si grand tort ?
À part.
Au lieu de m’écouter, la cruelle s’épluche.
Hélas ! devais-je aimer cette aimable guenuche ?
À Léandre.
Gilles... Madame...
LÉANDRE.
Eh ! bien, vous a-t-il bâtonné ?
CASSANDRE.
C’est le coup du trépas que Gilles m’a donné.
LÉANDRE.
Gille a cela de bon, quand il bat, il assomme.
CASSANDRE.
Si Gilles ne m’a point assommé, c’est tout comme...
Mais avec moi daignez agir plus rondement.
LÉANDRE.
Je n’eus jamais l’honneur d’en agir autrement.
CASSANDRE.
J’ai cent fois, au tuyau de votre chère oreille :
Fait l’aveu de mon feu. C’est de la nom pareille,
Pourquoi s’en goberger ? Je sais que je suis vieux ;
J’ai rôti le balai ; mais mon cœur l’est bien mieux :
Quand même vous seriez ladre ou bien enrhumée,
Vous devriez du moins en sentir la fumée.
Vous faut-il des serments ?
LÉANDRE.
Eh ! non, c’est pour demain.
CASSANDRE.
Qu’une bouche qu’on aime a l’éloquence en main !
Mais vous ne sonnez mot ?
LÉANDRE.
Mon cœur reprend haleine.
CASSANDRE.
Vous me causez un vrai ravissement d’Hélène.
Souffrez qu’un bon contrat me rende, entre deux draps,
Propriétaire enfin de vos friands appas.
LÉANDRE.
Je voudrais en avoir à remuer à la pelle,
Pour mériter l’honneur où votre amour m’appelle ;
Mais vous avez un fils, et c’est un autre cas.
CASSANDRE.
J’en ai quelque part un. Qui diantre n’en a pas ?
LÉANDRE.
Cela serait bien dur que d’épouser son père.
CASSANDRE.
Parbleu, j’ai bien fait pis en épousant sa mère.
Soyez toujours ma femme : il peut, à cela près,
Aimer sa belle-mère, ou se coucher auprès ;
C’est comme si son chien avait mordu le nôtre.
LÉANDRE.
Il est votre héritier.
CASSANDRE.
Qu’il hérite d’un autre.
C’est un filou d’escroc, un fripon de voleur.
Sans que vous ressemblez à ce traîne-malheur,
Si bien qu’on vous prendrait pour lui dessous vos cottes,
J’y penserais pas plus qu’à mes vieilles culottes ;
Tant y a que je vous aime autant que je le hais.
Quand il serait pendu...
LÉANDRE.
Laissez-le vivre en paix.
Ah ! c’est votre cher fils qu’vous envoyez aux peautres.
Pensez-y bien.
CASSANDRE.
Bon ! bon ! on vous en fera d’autres.
Scène XVI
ISABELLE, en Diable, avec un poupon dans un panier, CASSANDRE, LÉANDRE
ISABELLE.
En voici toujours un de fait ; prends ce poupon.
CASSANDRE.
Ah !...
ISABELLE.
Reste, où je te tords le cou comme un chapon.
CASSANDRE.
Ne me le tordez pas.
LÉANDRE.
Quelle est cette aventure ?
ISABELLE, à Cassandre.
Vois un échantillon de ta race future.
Comme en toi la nature a fort peu d’entregent,
J’engendrerai pour toi.
CASSANDRE.
Vous êtes obligeant.
ISABELLE.
Nous t’avons, tous les deux, fabriqué cette hoirie.
En doutes-tu ? Regarde un peu cette voirie ;
Vois-tu cette caboche en forme d’alambic ;
Ce chef pelé, qu’ombrage un poil de porc-épic ;
La face rechignée en pagode à l’antique ;
Ce front fait en plastron de poulet-d’Inde étique ;
L’œil d’un mouton qui rêve, et l’autre de blaireau ?
Regarde bien surtout sa barbe de poireau :
Est-ce là ton portrait et celui d’Isabelle ?
Qu’en dis-tu ? Parle donc ?
CASSANDRE.
Oui, je me le rappelle :
Oui, c’est moi tout craché. Je suis aise à tel point
Que je ne me sens pas au fond de mon pourpoint.
À Léandre.
Tout ce qui vient de vous n’a pas besoin de sauce ;
Donnez, je le reçois comme un présent de noce.
Isabelle est féconde ! Ah ! bonheur sans égal !
ISABELLE.
Je pourrai bien souvent te faire ce régal.
LÉANDRE.
Je reste comme un œuf.
CASSANDRE, embrassant l’enfant.
L’aimable créature !
ISABELLE.
Je te fagoterai de la progéniture,
Autant comme un Évêque en pourra bénir.
CASSANDRE.
Bon !
Vous, n’acceptez-vous pas, ma chère, ce bon don.
LÉANDRE.
Si c’est votre plaisir que de porter des cornes,
J’ai de l’obéissance ; elle sera sans bornes.
CASSANDRE.
Isabelle y consent, et j’en suis satisfait ;
Tout ce que vous ferez, sera toujours bien fait.
ISABELLE.
C’en est assez Adieu, je vais changer de forme.
Je reviens tout à l’heure ; attendez-moi sous l’orme.
Scène XVII
CASSANDRE, LÉANDRE
CASSANDRE.
Enfin, je te tiens donc, cher petit écureuil !
Ma personne avait peine à te donner dans l’œil :
Et la raison pourquoi tu l’avais dégrainée,
Je la vois : tu craignais de rester sans lignée ;
Mais le diable à plaisir aura soin d’y pourvoir.
Une femme est toujours maîtresse d’en avoir ;
Elle n’a qu’à siffler pour être bientôt mère,
Et sa postérité ne manque point de père.
Mais tandis que j’irai chez le Tabellion,
Pour qu’il vienne bâcler notre heureuse union,
Prends soin du nouveau né ; buvez chopine ensemble :
Je vais aller le trot, et je reviendrai l’amble.
Scène XVIII
LÉANDRE, seul
Je suis un véritable ahuri de Chaillot,
Quand je jette les yeux sur ce singe en maillot.
Le diable fait ici la servante à Pilate,
Et fort mal-à-propos met la main à la pâte :
Mais que dis-je, le Diable ! Il est à l’Opéra ;
Je n’en reconnais point d’autre que celui-là.
Tout beau, ne tranchons point ici du politique.
Cependant tout ceci me passe d’une pique.
Quand j’y pense, Isabelle est un maître Gonin.
Le Diable véritable est l’esprit féminin.
C’est elle qui nous fait ce joli tour de Pages,
Et qui nous laisse ici cet enfant pour les gages.
Scène XIX
GILLES, LÉANDRE
LÉANDRE.
Holà, Gilles ; viens-çà, Jean-Gilles, joli Jean.
GILLES.
Est-ce pour me bailler encore queuque emplan ?
Les Cordeliers sont saouls, portez le reste aux Carmes.
Mon dos est fourragé, comme si les Gendarmes
Avaient passé dessus.
LÉANDRE.
Mais, si je m’y connais,
C’est toi qui m’as gaulé, comme on gaule des noix...
Je vais me marier.
GILLES.
Est-ce avec Isabelle ?
LÉANDRE.
Eh ! non, puisque déjà je le suis avec elle.
C’est assez d’une fois ; le sort en est jeté.
GILLES.
Qui donc épousez-vous ?
LÉANDRE.
J’épouse, d’un côté,
Madame Croqu’oison ; et de l’autre, Cassandre.
Quand on prend de l’hymen, on n’en saurait trop prendre.
D’ailleurs, c’est pour m’ôter de l’embarras du choix.
GILLES.
Oh ! morgué, c’est plaisant ! Vous allez à la fois
Être votre biau-père et votre belle-mère.
LÉANDRE.
Il te faut découvrir tout le fond du mystère.
J’épouse tous les deux, pour faire mon bonheur ;
J’entends, pour les plumer en tout bien, tout honneur.
Du reste, c’est à tort que Gilles me soupçonne ;
Car je ne prétends pas toucher à leur personne.
Après boire, il faudra, sans qu’ils en sachent rien,
Les mener se coucher ensemble bel et bien :
Tous les deux croiront être avec moi tête à tête ;
Tandis qu’apparemment ils s’entre-feront fête,
Et qu’ils s’en donneront, ou bien feront du lard,
Nous ferons, tous les deux ensemble...
GILLES.
Lit à part.
LÉANDRE.
Tu fais le coq-à-l’âne ; il s’agit bien de botte.
GILLES.
Morgué, le coq à-l’âne est dans votre culotte,
LÉANDRE.
Écoute jusqu’amen, ou plutôt jusqu’au bout.
Tandis qu’ils dormiront, faisons rafle de tout ;
Puis avant que la nuit ait cessé d’être brune,
Zest, nous ferons deux trous...
GILLES.
À quoi donc ?
LÉANDRE.
À la Lune.
GILLES.
J’entends. Ensuite...
LÉANDRE.
Après un coup si fortuné,
Laissons faire le sort, sans y fourrer le né...
On cogne, on entre, on vient : ce sont nos épousailles.
GILLES.
Double noce, morgué ! Jarni, que de ripailles !
Scène XX
ISABELLE, en Notaire, CASSANDRE, MADAME CROQU’OISON, LÉANDRE, PERRETTE, GILLES
PERRETTE, à Isabelle.
Eh ! comme vous voilà ! C’est pis qu’un Mardi gras,
Sons-je dans la semaine où l’on donne des rats ?
J’en avons, jarni, plus que de pièces tapées.
Voyant Madame Croqu’oison.
Foin ! je crains pour mon dos quelques franches lippées.
ISABELLE.
Or sus, verbalisons.
CASSANDRE.
Çà, Monsieur Pardevant,
Dérouillez votre outil ; mettez la plume au vent.
Voyant Madame Croqu’oison.
Qu’est cette vieille chèvre : À qui diable en veut-elle ?
ISABELLE.
Tout bellement ; c’est-là la mère d’Isabelle.
Elle lui rit au nez.
MADAME CROQU’OISON.
Eh ! Garde-note, un mot. Qu’est ce vieux marcassin !
ISABELLE.
Tout doux ; il vient ici pour cracher au bassin :
C’est le père à Léandre.
MADAME CROQU’OISON.
A-t-il de la vaisselle ?
ISABELLE.
Beaucoup.
CASSANDRE.
Met-elle point la main à l’escarcelle ?
ISABELLE.
C’est fait.
MADAME CROQU’OISON.
Votre servante.
CASSANDRE.
Et moi, de même.
ISABELLE.
Holà,
Perrette ?
PERRETTE.
Vous plaît-il ?
ISABELLE.
La table.
PERRETTE, présentant le dos.
La voilà.
ISABELLE.
Plus haut, plus bas, fort bien. La chose est entendue.
Peste soit de la plume ; on me l’a trop fendue.
Elle lui met la plume dans la bouche.
Item, chacun de vous... Ouvre donc le cornet...
Donne, en se mariant, tout son bien clair et net,
En ne se réservant que sa vieille chemise.
À Léandre.
N’y consentez-vous pas ? Signons donc sans remise
LÉANDRE.
Je ne sais point signer.
CASSANDRE.
Ni moi.
MADAME CROQU’OISON.
Ni moi non plus,
ISABELLE.
Je vous en livre autant.
CASSANDRE.
Nous n’avons, au surplus ;
Qu’à faire une croix.
ISABELLE.
Oui, croix ou pile, n’importe.
C’en est donc fait. Il faut chanter d’une autre note.
Elle jette sa robe et son chapeau.
Halte-là, tous les trois ! Vous épousez trop dru.
À Madame Croqu’oison.
Malheureuse : tu vois ta fille ;
À Cassandre.
et toi, ta bru.
TOUS, sur un ton différent.
Ô Ciel !
ISABELLE, à Léandre.
Toi, reconnais ta femme sans culotte.
Que l’on tombe à mes pieds, qu’on me colle la botte :
Obéissez ; à bas, mère, beau-père, époux.
Tous se mettent à genoux.
ISABELLE, à Léandre, qui se gratte la tête.
Tu feins de t’éplucher. Eh ! laisse-là tes poux.
LÉANDRE.
Ah ! chien ! c’est ma moitié.
ISABELLE.
Non, c’est moi toute entière.
Donne-moi du tabac, pour entrer en matière.
Il est fort comme un âne ; il monte au nez, Vat-chié...
Qu’on relève ces veaux, et qu’on m’écoute en pied.
MADAME CROQU’OISON.
Mais qu’est ce à dire donc que cette manigance ?
CASSANDRE.
Quel est ce tripotage ?
ISABELLE.
Une reconnaissance
Double, triple, quadruple, où vous devriez tous
Larmoyer, sangloter, hurler comme des loups.
Voyez Perrette en pleurs.
PERRETTE.
Eh ! non, c’est la roupie.
GILLES.
Morguenne, tout ceci me donne la pépie.
ISABELLE.
Il faut donc vous sortir tout cela plus au long.
Çà, qu’on me violone un peu de violon.
Vous voulez mon histoire, et vous l’allez apprendre.
Le chant servira mieux à me faire comprendre.
L’Amour me fit, l’Amour m’a fait
Le cœur, comme l’avait ma mère :
Un tendre Amant, sur la fougère,
À treize ans, fut son fait. (bis.)
L’Amour s’y met, l’Amour s’y mit,
Par un trou qu’il fit à mon âme :
Léandre le vit tout en flamme,
Il en fit son profit. (bis.)
Il me promet, je lui promis
De nous aimer toujours de même :
Que devient son amour extrême ?
Autre part il l’a mis. (bis.)
Je perds le sien, ô cruauté !
Se peut-il qu’Amour le permette ?
Grand Dieu, fais qu’il me le remette,
Pour ne plus m’être ôté. (bis.)
Si tu me le fais revenir,
Je t’en ferai faire un de cire,
Pour conserver, dans ton Empire,
Un si beau souvenir. (bis.)
De Gilles j’ai pris les habits,
J’ai fait le Diable et le Notaire :
Pour attraper qui sait nous plaire,
On ferait encor pis. (bis.)
CASSANDRE.
Je commence à sentir que je tombe des nues.
ISABELLE.
Eh ! bien, ramasse-toi.
MADAME CROQU’OISON.
Nous sommes tous des grues.
LÉANDRE.
Mon père, je ne puis être que votre fils.
CASSANDRE.
Oui : vraiment, à ce troc, je fais de beaux profits !
En donnant tout mon bien, j’ai fait mon épitaphe.
MADAME CROQU’OISON.
À ce damné contrat, j’ai mis ma pataraphe !
À Isabelle.
Quoi ! tu serais ma fille ?
ISABELLE.
Oui-dà, vantez-vous-en.
MADAME CROQU’OISON.
Eh ! double fille de...
ISABELLE.
Rien n’est plus vrai, maman.
CASSANDRE, à Léandre.
Mon amour était donc la voix de la Nature ?
MADAME CROQU’OISON.
Mon amour était donc de l’amitié future ?
LÉANDRE.
Tout comme il vous plaira.
ISABELLE.
Lalira ; cours après.
À Léandre.
Or çà, veux-tu m’aimer toujours sur nouveaux frais ?
LÉANDRE.
Va, tu ferais au Diable avaler la pilule :
Allons, mon inconstance a fait la basse-cule.
GILLES.
Jarnonbille ! et nous deux, Perrette, sans façon,
Veux-tu qu’on t’en découse ?
PERRETTE.
Oui, beaucoup, mon garçon.
LÉANDRE.
J’approuve un si beau choix : votre fortune est faite,
Et je mettrai demain dans la boëte à Perrette.
ISABELLE.
Vous autres, portez-vous, l’un portant l’autre, bien.
Nous allons nous coucher. Pour qu’il n’y manque rien,
Faut pourtant leur servir, avant de faire Gille,
Une longe de Vau... deville...
On chante le Vaudeville suivant.
Vaudeville.
CASSANDRE.
Que Cassandre soit amoureux
De la fringante Zizabelle,
Le fait, hélas ! n’est pas douteux ;
Mais qu’il soit aimé de la Belle,
Et qu’en brûlant des mêmes feux,
Pour lui seul elle soit sensible,
C’est la chose impossible.
LÉANDRE.
À gauche, d’un fidèle Amant
Ici j’affecte l’encolure ;
À droite, d’un sexe charmant
Je veux imiter la figure :
Mais deviner, en ce moment,
De quel côté je suis sensible,
C’est la chose impossible.
MADAME CROQU’OISON.
Je sais bien que j’ai soixante ans,
Et que mon visage est horrible.
Je ne mords plus, faute de dents ;
Ma démarche est lente et pénible :
Mais doutez-vous, pour mon argent,
Qu’on ne me perce comme un crible ?
La chose est très possible.
GILLES.
Mesdames, si nous avons fait
À votre pudeur quelques niches,
Pour un aussi mince forfait,
De pardons ne soyez pas chiches :
Une Parade, sans cela,
Qui soit amusante et risible,
C’est la chose impossible.