Le Chouan (Hippolyte COGNIARD - Théodore COGNIARD)

Drame épisodique, mêlé de chants.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 24 Juin 1832.

 

Personnages

 

ROBERT PATRICE, réfractaire, chef de Chouans

JUSTIN, son frère, sergent de Grenadiers, en semestre

SIMON GAUTHIER, vieux Vendéen

LE MARQUIS DE LA PIGEONNIÈRE, voltigeur de Henri V

BRÛLETOUT, forçat, condamné à mort par contumace

LE PÈRE IGNACE, capucin

UN CAPITAINE DE LA LIGNE

MARIE, fille de Simon, fiancée de Robert

UN LIEUTENANT DE LA LIGNE

SOLDATS

CHOUANS

 

La Scène se passe aux environs de Château-Gontier, dans une chaumière appartenant à Simon Gauthier.

 

Le Théâtre représente une vieille chaumière. Au fond, à gauche, une horloge, À droite, une croisée donnant sur la campagne. Une porte au milieu. À gauche, deux autres portes.

 

 

Scène première

 

MARIE, seule

 

Elle écoute près de la fenêtre.

La fusillade a cessé... Ah ! pourvu que mon père ne soit pas blessé !... Et Robert... mon dieu, mon dieu ! tous ces troubles ne finiront-il pas ?... toujours dans les transes, toujours trembler pour eux... quelle existence !... Mais il me semble qu’on s’approche...

On entend quelques coups de fusil.

Encore !

Elle regarde à la fenêtre.

Ah ! c’est un jeune soldat qu’on poursuit... il se dirige de ce côté... tâchons de le sauver... le malheureux ! sa mort serait certaine.

Elle ferme la fenêtre et va ouvrir la porte. Justin paraît avec un sac sur le dos.

 

 

Scène II

 

MARIE, JUSTIN

 

JUSTIN.

Au nom du ciel, l’hospitalité... par pitié, cachez-moi ! 

MARIE.

Entrez vite, entrez...

Elle referme la porte.

Ne craignez rien... vous êtes sauvé !

JUSTIN.

Merci, jeune fille... Eh quoi ! c’est vous, Marie ?

MARIE.

Justin !...

JUSTIN.

Je ne suis donc pas en sûreté ici ?... Simon Gauthier, votre père, fait partie, je le sais, du nombre des ennemis de notre repos... et ce sont ses compagnons, sans doute qui étaient à ma poursuite...

MARIE.

Rassurez-vous... je suis seule dans cette maison... mon père ne doit revenir qu’à la brune, et nous avons encore une heure à nous... mais comment vous trouvez-vous ici ?

JUSTIN, vivement.

Écoutez-moi, Marie, et dissipez mes craintes Vous savez que Robert, mon frère, qui vous était destiné pour époux, a quitté le régiment à la suite d’une querelle qu’il eut avec son lieutenant ; depuis six mois que le malheureux a déserté, n’a fait parvenir aucune nouvelle à son pauvre frère... Je partais en semestre, lorsque j’appris qu’il s’était dirigé vers Montpellier : je pensai alors que le désir de revoir celle qu’il aimait avait peut-être entraîné Robert à devenir réfractaire... Mais hélas ! j’appris bientôt que votre père était désigné comme chef d’une bande de chouans, et que plusieurs déserteurs se trouvaient sous ses ordres... Tremblant de honte, désespéré, j’ai voulu revoir mon frère, et j’ai bravé tous les dangers pour arriver jusqu’ici, le centre de la révolte... Maintenant, Marie, tirez-moi de ma cruelle incertitude... mes craintes sont-elles justes ?... Robert...

Marie baisse les yeux.

Oh ! parlez, vous me faites mourir !...

MARIE.

Justin !...

JUSTIN.

Je comprends votre silence... le malheureux est déshonoré... n’est-ce pas, il est chouan ?

MARIE.

Robert est à la tête de cent vendéens... mais Justin, la douleur vous égare...il n’est pas déshonoré... mon père et lui se battent pour la bonne cause.

JUSTIN.

La bonne cause !... Marie, vous appelez ainsi celle qui commande aux Français de s’entretuer... celle qui arme l’ami contre l’ami, le frère contre le frère !... Ah ! pauvre jeune fille en effet, comment croire qu’un vieillard qui est ton père puisse déshonorer ses cheveux blancs... Il t’a dit : c’est pour la bonne cause, et tu l’as cru... Oh ! tiens, vois comme tout mon corps tremble d’indignation à la seule idée que mon frère... un frère que j’aimais, faire partie de ces bandes incendiaires... vois ma pâleur... vois mes larmes, et dis si tu crois qu’ils se battent pour une bonne cause ?

MARIE.

Justin, vous m’effrayez... pourtant, les hommes les plus respectés du pays font partie de cette troupe.

JUSTIN.

Oui, il vous promettent des places, des emplois, si, vous parvenez à vaincre... et eux, ces hommes respectés, ils se cachent dans des caves, sous la paille des étables...

MARIE.

Mais une noble princesse...

JUSTIN.

C’est vrai...une princesse !... Ô honte à elle... qui, pour arriver aux tuileries, ne craindrait pas de marcher sur des cadavres !... honte à elle, qui voudrait nous ramener son fils avec des baïonnettes étrangères... Ah ! jamais ! jamais !

Air : Un page aimait la jeune Adèle.

Les étrangers armés pour sa défense
Voudraient en vain lui rend
re ses palais,
La malheureuse ignore la distance
Placée entre elle et le sceptre français...
Quand par le meurtre on veut atteindre au trône,
Oh ! va, crois-moi, le chemin est glissant,
Et sur le front tient mal une couronne,
Lorsque les pieds sont dans le sang.
(bis.)

Pauvre Marie, comme on vous a trompée ! mais il faut que je voie Robert, que je l’entraîne loin de ces lieux... l’argent que je destinais à votre mariage, il servira à lui faire gagner une terre étrangère.

MARIE.

Mais vous ne pouvez rester ici sans danger.

JUSTIN.

N’importe... vous me cacherez... il faut que je reste... je ne quitterai cette maison, qu’après avoir revu mon frère.

MARIE.

Eh bien ! suivez-moi, je connais un endroit où vous serez en sûreté.

On entend frapper à la porte.

Ciel ! quelqu’un !

JUSTIN.

Malédiction !

On frappe de nouveau.

DE LA PIGEONNIÈRE, du dehors.

C’est moi, Marie, n’aie pas peur.

MARIE, bas à Justin.

Rassurez-vous ; cet homme n’est pas à craindre, c’est M. de la Pigeonnière... un vieux marquis... dites que vous êtes nouvellement enrôlé... et vous ne courrez aucun risque.

On frappe. Haut.

j’y vais, j’y vais.

Elle ouvre.

 

 

Scène III

 

MARIE, JUSTIN, DE LA PIGEONNIÈRE, habillé en vert de la tête aux pieds

 

DE LA PIGEONNIÈRE.

Est-ce que tu es folle de me faire faire antichambre dans les champs ?...

MARIE.

Pardon, monsieur le marquis !

DE LA PIGEONNIÈRE, tirant Marie à l’écart.

Eh ! mais, tu n’est pas seule... dis donc... habit bleu ?... que veut cet MARIE, bas.

C’est un réfractaire !

DE LA PIGEONNIÈRE.

Un nouveau ?... ah ! bien...

À Justin.

mon brave, soyez le bien venu... une poignée de main.

JUSTIN, froidement.

Permettez... avant de me tendre vos cinq doigts, vous avez pris des renseignements sur mon compte... il est bien juste que de mon coté...

DE LA PIGEONNIÈRE.

Ce qui veut dire catégoriquement... dites-moi qui vous êtes ?... Eh ! bien, j’aime ces précautions... dans ces temps de bouleversement, il est assez utile de savoir à qui l’on parle... apprends donc, jeune illuminé, que tu as l’honneur de considérer le marquis de la Pigeonnière... capitaine honoraire du régiment des chouans... toute ma famille s’est illustrée dans les guerres de la Vendée... Mon frère manqua d’être pris avec Charrette !... et eut l’honneur de mourir !

JUSTIN.

Sur le champ de bataille ?...

DE LA PIGEONNIÈRE.

Non... il eût l’honneur de mourir officier de bouche, au service de Louis XVIII... Pour moi, après une longue émigration, je revins en France avec nos bons alliés, nos aimables cosaques... j’étais loin de m’attendre à voir renverser le meilleur des gouvernements... enfin !... Il s’agit aujourd’hui de restaurer la restauration, de rafistoler le droit divin, et de révolutionner la révolution.

JUSTIN.

Vous êtes donc bien sûr de réussir !

DE LA PIGEONNIÈRE.

Si j’en suis sûr !... parbleu, !... tout ne marche-t-il pas à merveille ?... Nos bons prêtres, ne prêchent-ils pas partout la guerre civile ?... Et nos grands dignitaires ne déclarent-ils pas ouvertement qu’ils n’ont pas appelé l’infernale révolution de 1830 ?... Oui, jeune homme, j’en suis sûr, dans peu nous mangerons la soupe aux Tuileries.

Air : Vos maris en Palestine.

Grâce à ce Dieu de clémence,
Grâce aux chouans, nos amis,
Grâce à la Sainte-Alliance
Nous rentrerons à Paris,
Ici je vous le prédis.
Croyez votre capitaine,
Agissons tous de concert ;
Pour conspirer, je suis expert,
Et malgré ma soixantaine,
Je suis encore assez vert,
Corbleu ! je suis encor vert,
Oui, corbleu ! je suis très vert.

JUSTIN.

Oh ! cela se voit de suite... ça saute aux yeux !

DE LA PIGEONNIÈRE.

Quelle béatitude de voir sur le trône de France le petit-fils du Grand Henri, et pour régente du royaume, la vertueuse, la pudique duchesse, qui paie si largement nos services... ô femme étonnante, sois tranquille, on t’en donnera pour ton argent.

JUSTIN.

Et ce sera de l’argent bien gagné.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Ça c’est vrai... mais dis donc, Marie, je suis diablement altéré... ne pourrais-tu me donner un pot de vin ?

MARIE.

Je vais vous en tirer à la cave ;

Avec intention à Justin.

vous devriez songer à votre commission... le jour baisse et il est dangereux de voyager seul pendant la nuit.

JUSTIN.

C’est vrai... la conversation agréable de monsieur me faisait oublier mon devoir.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Le devoir avant tout, mon charmant camarade.

JUSTIN.

Enchanté d’avoir fait votre connaissance.

MARIE.

Allons, allons, dépêchez-vous.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Air.

Quand le devoir vous appelle,
Répondez vite à son cri...
Partez ! et qu’un si beau zèle
Sauve notre enfant chéri.

Toi, qui ne crains nul obstacle,
Dieu ! veille sur notre sort ;
Fais pour l’enfant du miracle
Un petit miracle encor.

JUSTIN.

Quand c’est l’honneur qui m’appelle,
Je réponds vite à son cri ;
Puissé-je, hélas ! par mon zèle,
Sauver un frère chéri.

MARIE.

Quand c’est l’honneur qui l’appelle,
Il répond,
etc.

Elle sort ainsi que Justin.

 

 

Scène IV

 

DE LA PIGEONNIÈRE seul et tirant sa tabatière

 

Il est bien sec, quand la noble duchesse sera régente, j’aurai du régent. Me voilà seul... relisons la lettre de mon ami, le comte de Bois-sec... ce qu’il me marque est effrayant !

Il lit.

« Mon très cher, ça va mal ; on fait chez nous de nombreuses arrestations, et les bleus nous pourchassent comme des lapins de garenne. Il n’est pas jusqu’à cette diable de garde nationale qui ne s’en mêle... le sort, j’espère, nous redeviendra favorable ; mais en attendant mieux, fais comme moi, retire-toi de la partie... le chouan ne donne presque plus ; et si nos bons cosaques ne viennent pas nous aider, la légitimité est enfoncée... »

« DeBois-Sec. »

Il plie la lettre.

Cela est positif... certainement que je respecte la chouannerie, je dirai même que je la révère ! mais du moment qu’il y a du danger à courir, je me retire ; le marquis de la Pigeonnière ne doit pas exposer sa vie comme le ferait un prolétaire, un vil roturier... qu’ils se battent les misérables ! qu’ils se battent !... l’aristocratie verra ensuite ce qu’elle aura à faire.

Air : Je pique, je pique.

Roture, (bis.)
Sers la noblesse, et ne dis mot ;
Roture,
(bis.)
C’est là ton lot.

Gens du peuple, vers la mitraille
Marchez, et gagnez la bataille ;
Du feu tirez-nous les marrons,
Nous nobles, nous les mangerons,
Puis de vous nous rirons,
Roture,
(bis.) etc.

Si les destins nous sont contraires
Qu’on empoigne les réfractaires,
Pour nous, sans risquer un cheveu,
Nous saurons tirer, grâce à Dieu,
Notre épingle du jeu.
Roture,
(bis.), etc.

Henri, royal enfant que j’aime,
Pour toi, mon amour est extrême,
Mais si tu reçois ton paquet,
J’irai chanter, quoiqu’à regret,
Le trône de Juillet.
Roture,
(bis.)
Sers la noblesse, et ne dis mot ;
Roture,
(bis.)
C’est là ton lot.

Il tire un mouchoir vert.

D’ailleurs pour quitter les camarades j’ai un moyen excellent... Ainsi, c’est décidé, j’attendrai prudemment,, et pour quelques mois encore ; j’irai reprendre ma place dans le gouvernement illégitime.

Trois quarts de nuit.

Ah ! ça, Marie ne revient pas avec son liquide... Il commence à faire nuit, et seul ici... dans cette chaumière suspecte... C’est drôle, je ne suis pas à mon aise. Hein, qu’est-ce que c’est ? On a frappé, je crois ?

Il écoute.

Non, non, ce n’est rien... Si je chantais pour me désennuyer... Vive Henri V, vive ce roi...

On entend deux coups de fusil.

Ouf ! je suis perdu... Marie ! Marie !... Mais il me semble reconnaître la voix de Simon Gauthier.

Il avoir à la fenêtre.

Oui, ce sont eux ; je respire... J’en suis quitte pour la chair de poule !

 

 

Scène V

 

LA PIGEONNIÈRE, SIMON GAUTHIER, LE PÈRE IGNACE, BRÛLETOUT, ROBERT, QUELQUES CHOUANS qui restent à la porte en dehors

 

Marie entre avec une lumière.

CHŒUR.

Air de l’Ouverture de Guillaume-Tell.

Amis, la victoire est à nous !
Buvons, chantons, réjouissons-nous
Vive Henri-Cinq, notre bon roi !
Vive le roi !

Pendant que la musique continue.

UN CHOUAN, à Gauthier.

Lieutenant, que faut-il faire du prisonnier ?

SIMON GAUTHIER.

Vient combattre pour nous ?

LE CHOUAN.

Il préfère mourir.

Robert fait un mouvement.

TOUS, excepté Robert et le père Ignace.

Qu’il meurt donc.

BRÛLETOUT.

Qu’il meurt !

LE PÈRE IGNACE.

Arrêtez ! c’est aujourd’hui le saint jour de Pâques... ne le profanons pas... Attendez à demain pour répandre du sang.

Tous s’inclinent ; Brûletout fait un geste d’impatience.

Reprise du CHŒUR

Amis, la victoire est à nous, etc.

SIMON GAUTHIER.

Eh ! c’est M. le marquis.

DE LA PIGEONNIÈRE, donnant une poignée de main à tous les chouans.

Oui mes amis, mes braves, mes chers camarades, c’est moi qui viens visiter les nobles, soutiens de la légitimité.

ROBERT.

Est-ce qu’il y a du nouveau ?

LE PÈRE IGNACE.

Le droit divin triomphe-t-il enfin les réprouvés sont-ils chassés du royaume d’Israël ?

DE LA PIGEONNIÈRE, avec mystère.

J’ai à vous apprendre une nouvelle délirante.

À part.

Trompons-les pour m’éloigner.

BRÛLETOUT.

De par le diable, marquis,

Le père Ignace se signe.

tu nous fait bouillir dans notre peau... parle donc... Voyons cette nouvelle.

DE LA PIGEONNIÈRE, s’efforçant de rire.

Ce Brûletout... il est toujours le même... c’est du vif argent en personne.

SIMON GAUTHIER.

Enfin qu’y a-t-il ?

LA PIGEONNIÈRE.

 Ce qu’il y a ?... il y a que tout est fini... et dans trois jours Henri V fera son entrée dans la capitale, rien que ça.

SIMON GAUTHIER.

En ce cas, mes amis, vive le roi !

TOUS, se découvrant.

Vive le roi !

BRÛLETOUT.

Oui, et à bas la brigade de sûreté !

LE PÈRE IGNACE.

Tout vient d’en haut... soldats de la foi... demain nous remercierons le seigneur.

BRÛLETOUT.

Le capucin s’imagine-t-il que le sang que nous avons versé ne vaut pas mieux que l’intercession de tous les saints du paradis, sacrebleu !...

LE PÈRE IGNACE.

Pécheur endurci... blasphémera-tu toujours ?

BRÛLETOUT.

Et toi, corbeau de malheur... crois-tu donc avoir affaire à de vieilles dévotes ?

ROBERT.

Mes amis, de grâce, pas de dispute.

SIMON GAUTHIER.

Quand nous apprenons la nouvelle du triomphe de notre cause... Brûletout, respect à l’église.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Lorsque je vous demande quel prix vous voulez pour vos services...

BRÛLETOUT.

Si c’est pour çà que tu viens, marquis, je consens à respecter le froc du capucin... voyons, vite au fait... sans préambule.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Voilà demain à la pointe du jour, je pars en poste pour Paris où ma présence est de la plus grande nécessité. Je dois escorter notre jeune monarque à son entrée aux tuileries. Je suis chargé de mettre sous les yeux de sa majesté la liste de ses plus fidèles sujets, des vrais soutiens du trône et de l’autel... Vous m’enverrez donc les noms et les demandes de tous vos braves soldats... quant à vous, si vous voulez me dire vos prétentions, je me charge de vous faire tout obtenir

À part.

Ça ne me coûte rien.

Air : Des cancans.

Demandez, (bis.)
J’en réponds, vous obtiendrez ;
Demandez,
(bis.)
Voyons, mes amis, parlez.

Voulez-vous être préfets ?
Intendants, juges-de-paix ?
Ou voulez-vous être encor,
Cent-suisse ou gardes-du-corps ?
Demandez,
(bis.) etc.

Voulez-vous être censeurs ?
L’état est plein de douceurs ;
Ou bien soyez, sans façon, 
Gendarmes, c’est très hon ton.
Demandez,
(bis.) etc.

Si vous aimez les rubans
Jaunes, verts, rouges ou blancs,
Choisissez, tout est au choix,
En voulez-vous deux ou trois ?
Demandez,
(bis.) etc.

Voulez-vous, vous le pouvez,
Être inspecteur des pavés ?
Mais scellez bien ces gueux-là,
Ou a ses raisons pour ça,
Demandez,
(bis.)
J’en réponds, vous obtiendrez ;
Demandez,
(bis.)
Voyons, mes amis, parlez.

BRÛLETOUT.

Voilà qui est parlé, à la bonne heure ; voyons, Messieurs, dites ce que vous voulez... puisqu’il n’y a qu’à se baisser et à en prendre.

SIMON GAUTHIER, à Ignace.

Parlez le premier, mon père.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Voyons, père Ignace, commençons par vous ; que vous faut-il ?

LE PÈRE IGNACE.

Les biens de la terre n’ont pas de force sur mon âme, marquis !... mais, puisqu’il faut tenir sa place en ce monde fragile... je demande la direction du grand séminaire de Mont-Rouge.

DE LA PIGEONNIÈRE, écrivant.

Accordé.

BRÛLETOUT.

Il ne s’embête pas, goûté. le père Ignace, avec son petit air dégoûté.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Et toi, Brûletout ?

BRÛLETOUT.

Moi ?... Oh ! mon dieu ! que sa majesté, d’abord et d’un, fasse révoquer la petite sentence qui me condamnait à compter les marches de l’abbaye de monte-à-regrets... et ensuite la moindre des choses... une place de capitaine de gendarmerie... avec petite pension supplémentaire...

DE LA PIGEONNIÈRE, écrivant.

Accordé... Et vous, Robert Patrice ?

ROBERT.

J’ai reçu trois blessures en Espagne ; on m’avait promis la croix, je la demande.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Vous l’aurez... vous en aurez même deux si ça peut vous être agréable. Simon Gauthier, que vous faut-il ?

SIMON GAUTHIER.

Rien.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Comment rien ?

SIMON GAUTHIER.

Notre curé m’a dit : « Gauthier, va te battre pour Henri V, c’est la volonté du ciel, tes fautes te seront remises et Dieu protégera tes enfants. » Je fais ce que m’a commandé l’apôtre du seigneur...

LE PÈRE IGNACE, avec onction.

Bien, mon frère... votre récompense est là haut.

BRÛLETOUT, sur le même ton.

J’aime mieux qu’elle soit en bas... en v’là un cornichon !... Marquis, vous direz mille choses aimables de ma part à sa majesté de France et de Navarre... Quelle fasse le moins de boulettes possibles, et qu’elle se souvienne toujours de ceux qui l’ont campée sur le trône.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Elle s’en souviendra... adieu, mes bons amis, mes braves compagnons d’armes, De la Pigeonnière est à vous, à la vie... à la mort !

SIMON GAUTHIER.

Adieu, marquis, comptez toujours sur la Vendée !...

DE LA PIGEONNIÈRE.

Dites-moi donc, à cette heure, je ne me soucie pas de m’en-aller seul.

BRÛLETOUT.

Je vais vous faire escorter ; au revoir Robert, au revoir Simon Gauthier.

Reprise du CHŒUR.

Amis, la victoire est à nons, etc.

On échange des poignées de mains, Marie donne une lanterne à Brûletout, qui sort ainsi que de la Pigeonnière et le Père Ignace.

 

 

Scène VI

 

MARIE, ROBERT, SIMON GAUTHIER

 

SIMON GAUTHIER, se versant à boire et buvant.

Marie, personne n’est venu pendant notre absence.

MARIE, interdite.

Non, mon père, personne.

ROBERT, bas à Marie.

Comme cette demande t’a troublée, qu’as-tu donc, Marie ?

MARIE.

Il faut que je te parle seul... tout à l’heure, tu sauras tout... silence devant mon père.

ROBERT.

Il suffit.

SIMON GAUTHIER, buvant.

Eh bien ! Robert, tu ne bois pas ?... la journée a été chaude, nous avons beaucoup marché, et ces damnées culottes rouges nous ont donné du fil à retordre, je n’en puis plus.

MARIE.

Si vous alliez vous reposer, mon père, il est une heure et voilà trois nuits que vous passez dehors.

SIMON GAUTHIER.

Tu as raison, hon enfant, viens m’embrasser... je vais me jeter sur un lit... demain nous recevrons sans doute de grands secours... d’après ce que dit le marquis... n’est ce pas, Robert ?

ROBERT.

Ah ! je ne suis pas tranquille...ce de la Pigeonnière ne m’a pas paru parler franchement... je ne sais quel pressentiment...

SIMON GAUTHIER.

Allons, allons, qu’avons-nous à craindre ? Nos amis ne veillent-ils pas à trois cents pas d’ici... et Dieu n’est-il pas pour nous ! il n’y aurait donc que la trahison... et tu sais comme nous punissons les traîtres... dors tranquille, nous triompherons... bonsoir Marie, bonsoir Robert.

Simon Gauthier embrasse Marie, sert affectueusement la main de Robert et sort par la porte de gauche, du second plan.

 

 

Scène VII

 

ROBERT, MARIE, puis JUSTIN

 

ROBERT.

Nous sommes seuls... eh bien ! Marie, qu’as-tu à m’apprendre.

MARIE.

Oh ! une bonne nouvelle, Robert, quelqu’un que tu aimes. bien... ton meilleur ami... est arrivé ici.

ROBERT.

Je ne te comprends pas, de qui veux-tu parler ?

MARIE, allant au fonds.

Attends, tu vas le savoir.

ROBERT.

Mon meilleur ami, a-t-elle dit... quel espoir...

MARIE, bas, au dehors.

Venez, venez, il n’y a pas de danger, Robert est là.

ROBERT.

Oh ! oui, ce doit être lui !

Musique d’entrée.

MARIE, amenant Justin.

Tiens, Robert, le voici.

ROBERT.

Justin !

JUSTIN.

Mon frère !

Ils s’embrassent.

ROBERT.

Imprudent que tu es qui t’a conduit ici ? tu ne sais donc pas quel danger te menace ?... que veux-tu ?

JUSTIN.

Te revoir, te parler... Marie, laissez-nous, je vous prie.

MARIE, à Robert.

Écoute-le, Robert, et songe à notre bonheur.

Elle sort par la porte de gauche ; premier plan.

 

 

Scène VIII

 

ROBERT, JUSTIN

 

JUSTIN, serrant Robert dans ses bras.

Mon ami, mon frère, écoute-moi...

ROBERT, se débarrassant doucement des bras de Justin.

Attends.

Il va écouter à la porte de Simon Gauthier et revient.

Quel motif t’amène, voyons.

JUSTIN.

Robert, quelle dureté ! peux-tu me parler ainsi après six mois de séparation.

ROBERT.

C’est vrai, j’ai tort... mais j’enrage de te voir dans cette maison... ta place n’est pas ici.

JUSTIN.

Et la tienne, Robert ?

ROBERT.

Moi... c’est différent... si j’ai quitté le régiment, si je me suis jeté au milieu d’un parti... c’est qu’une condamnation allait me frapper... ne te rappelles-tu pas na querelle avec le lieutenant Vernert ? Eh bien ! j’avais osé le provoquer en duel, et comme il refusait lâchement... je l’ai traité comme on traite les lâches... et tu le sais, Justin... lever la main sur son chef, c’est une faute pour laquelle on condamne un malheureux soldat à dix années de boulet.

JUSTIN.

Mais le lieutenant Vernert était généreux, il t’aurait peut-être pardonné.

ROBERT.

Oui... peut-être... mais peut-être aussi il m’aurait fait juger et flétrir... j’ai mieux aimé fuir, grâce à l’insurrection, j’ai échappé au danger ; ici, du moins, je puis braver les conseils de guerre et reposer tranquillement ma tête.

JUSTIN.

Tranquillement, Robert ? mais tu ignores donc que jamais cause ne fût plus désespérée que celle que tu défends.

ROBERT.

Oh ! oh ! des amis ne manquent pas, nous comptons dans nos rangs des centaines de braves qui savent mourir.

JUSTIN.

Mourir... je le conçois... leur vie est tout ce qu’ils ont à risquer... ces braves dont tu me parles, ne sont-ils pas pour la plupart des gens sans aveu, déjà flétris par des condamnations, et qui ont dérobé leurs mains aux fers des bagnes, et leurs têtes aux gibets de la Grève ? ils viennent, attirés par l’or, continuer leur vie de brigandage au profit de ceux que la France a chassés deux fois... mets la main sur ton cœur Robert, et dis-moi s’il ne se révolte pas à l’idée de soutenir une famille chez laquelle la soif de régner s’accroit encore par une plus grande soif de sang !

ROBERT, fortement.

Eh ! mon Dieu, dis-moi le trône qui ne soit rougi par quelque massacre.

JUSTIN.

Songe donc que celui que tu veux relever ne le sera qu’avec des baïonnettes étrangères ?... Dis-moi, pourrais-tu voir sans honte se déployer dans nos campagnes les drapeaux de l’Autriche et de la Russie.

ROBERT, faisant un mouvement.

Oh !

JUSTIN.

Eh bien, tu les verrais pourtant si la victoire vous restait... tu les verrais de nouveau ces monarques de la sainte-alliance, dont la mission est d’asservir les peuples... et tu devrais leur rendre les honneurs militaires... entends-tu ?

ROBERT, fièrement.

Jamais.

JUSTIN.

Frère, rappelle-toi, lors de la première invasion, notre mère massacrée par les cosaques ; notre maison incendiées : rappelle-toi enfin, le jour où notre pauvre père mourant de ses blessures... mourant de ses blessures reçues à Waterloo... nous appela près de son lit de mort.

Robert est très ému.

Air des trois couleurs.

Enfants, dit-il, à son heure dernière,
Écoutez bien la voix du vieux soldat ;
Suivez toujours une même bannière
Du nom français soutenez bien l’éclat :
Tout votre sang, il est à la patrie !
Pour son salut, versez-le, mes enfants ;
Honte à jamais, honte à qui la renie !
Jurez ici
(bis.) de tenir vos serments.

Deuxième couplet.

Alors... penchés... sur son lit de souffrance,
Pour obéir, nous nous levions tous deux,
Quand tout-à-coup il s’écria... La France !...
Napoléon !... puis il ferma les yeux.
Sur le vieillard, ainsi que moi, mon frère,
Tu promis tout, en ce triste moment ;
Tu l’as juré sur le corps de ton père
Et moi je viens, je viens ici réclamer ton serment.

JUSTIN.

Robert ! Robert ! oui, tu m’as compris... ah ! j’ai donc retrouvé mon frère... mon seul ami... Oh ! tu vas fuir de ces lieux, n’est-ce pas ? tu quitteras la France jusqu’à ce que j’aie obtenu ta grâce.

ROBERT.

Justin, je ne le puis plus. robert.

JUSTIN.

Quoi ! tu hésites encore... tu veux donc me voir mourir à tes pieds ?

ROBERT.

Eh bien ! je te promets... je te jure de faire ce que tu exiges de moi... Je renonce à l’amour de Marie ! je suis prêt à partir... Ô mon père ! pardonne-moi.

JUSTIN.

Bien, Robert, bien... ne perdons pas de temps... Pendant que tout repose... quitte ces vêtements qui déshonorent... reprends ton uniforme, et que le jour ne nous trouve plus ici.

ROBERT.

Attends-moi, frère... ma chambre est au bout du corridor, le temps de me vêtir et je suis à toi.

JUSTIN.

Je t’attends... hâte-toi.

Robert sort, après avoir pris la main de son frère.

 

 

Scène IX

 

JUSTIN, puis SIMON GAUTHIER

 

JUSTIN.

Ah ! je respire !... Mon Dieu je te remercie ; mon frère sera sauvé.

Il s’assied.

Simon Gauthier paraît au fond ; il fait comprendre qu’il a entendu la conversation des deux frères : il fait un signe de menace à Justin, et sort de la maison.

Je sais qu’à la pointe du jour plusieurs détachements doivent visiter ces montagnes... mais jusques-là nous aurons le temps de gagner le prochain village.

On entend un coup de sifflet au dehors.

Quel est ce bruit ? un signal ? que se passet-il ? Voyons...

Au moment où il va ouvrir la porte, Simon Gauthier se présente à lui, et le menace du bout de son pistolet : plusieurs Chouans le suivent.

 

 

Scène X

 

LE PÈRE IGNACE, SIMON GAUTHIER, JUSTIN, BRÛLETOUT, CHOUANS

 

SIMON GAUTHIER.

Arrête, jeune homme !

JUSTIN.

Je suis perdu !

SIMON GAUTHIER, aux Chouans.

Je vous présente un courageux gaillard, qui vient embaucher nos camarades jusques dans ma propre maison.

Les Chouans veulent se précipiter sur Justin, Simon les arrête.

BRÛLETOUT, à Justin.

Il paraît Fanfan, que nous avons pris l’existence en grippe, pour venir nous jeter ainsi dans la gueule du loup...Tremble, mon garçon.

JUSTIN, le regardant avec dédain.

Ce n’est pas mon habitude, et tu ne me feras pas trembler ; ce jour dût-il être le dernier de ma vie.

LE PÈRE IGNACE.

Malheur à toi ! malheur à toi ! tu vas savoir comme nous punissons la trahison.

À Simon.

Frère, quel est l’autre coupable.

SIMON GAUTHIER.

J’ose à peine le nommer... Robert Patrice.

TOUS.

Robert Patrice !

SIMON GAUTHIER.

Lui-même.

Tirant trois chouans à part.

Écoutez-moi, vous autres... prenez ces cordes dans ce coin... bien... et comme Robert veut fuir... attachez-le fortement, jusqu’à ce que nous ayons décidé de son sort.

Trois Chouans entrent chez Robert.

BRÛLETOUT.

Ficelez-moi ça ferme... comme une carotte à tabac.

SIMON GAUTHIER.

Quant à toi, jeune homme, qui viens ici recruter des traîtres, on va te juger.

BRÛLETOUT.

Et ça ne sera pas long.

SIMON GAUTHIER.

Allons, aux voix vous autres.

Les Chouans se réunissent en groupe dans te fond et délibèrent.

JUSTIN, sur le devant.

Tout est fini ! et mon pauvre Robert... Ah ! j’aime mieux le voir périr ainsi.

SIMON GAUTHIER, qui a rassemblé les voix.

Jeune homme, pas une voix pour toi, prépare-toi à mourir.

BRÛLETOUT, à Justin.

C’est dur, n’est-ce pas. petit ?

JUSTIN.

Oui, c’est dur pour un soldat qui a bravement servi son pays... d’être assassiné par des brigands.

BRÛLETOUT, tirant son sabre.

Hein ! des personnalités.

LE PÈRE IGNACE, l’arrêtant.

Un moment, je ne puis lui refuser de l’asseoir au tribunal de la confession... voyons, pécheur, profite des derniers instants qui te restent... Qu’as-tu à confier à Dieu ?

JUSTIN, avec dédain.

Saint homme, n’usez pas vos paroles, je refuse votre ministère.

LE PÈRE IGNACE.

Infâme ! tu méprises donc la religion ?

JUSTIN.

Je la respecte trop pour l’avilir.

LE PÈRE IGNACE.

Tu lasses ma patience... À genoux, pécheur ! c’est le ministre du seigneur qui te l’ordonne.

JUSTIN.

Air : Connaissez-vous le grand Eugène.

À t’obéir, qui ? moi, que je m’apprête ?
Moi que l’honneur vit toujours à mon rang ;
Y penses-tu ?... Puis-je courber ma tête
Devant ta robe où j’aperçois du sang
(bis.)
Dans peu, là haut, nous nous verrons peut-être,
Et tu sauras alors dans ce saint lieu,
Lequel des deux, du soldat ou du prêtre,
À mieux compris ses devoirs et son Dieu !
(bis.)

LE PÈRE IGNACE.

C’en est trop, Amis, qu’on exécute la sentence ! qu’il meure à l’instant même...

JUSTIN.

Je suis prêt.

BRÛLETOUT.

Suis-moi donc.

SIMON GAUTHIER.

Arrêtez... mon père, vous oubliez ce que vous disiez tantôt... que c’est aujourd’hui le saint jour de Pâques, et l’on ne doit pas le profaner par l’effusion du sang.

LE PÈRE IGNACE, à part.

Au diable !

Haut.

C’est juste, mon frère... la sainte religion avant la vengeance ; attendons, mais dès que cette horloge aura marqué minuit, qu’on l’exécute.

BRÛLETOUT.

Pardieu ! pour quelques minutes...

LE PÈRE IGNACE.

Employons en prières le reste de ce grand jour, afin de nous purifier.

SIMON GAUTHIER.

À genoux !

BRÛLETOUT, à part.

Ils sont trop bêtes, ma parole d’honneur !

Justin s’est assis sur le devant, Brûletout se tient au fond, près de la porte... tous les Chouans se mettent à genoux.

CHŒUR.

Air de la prière de la Muette.

Dieu tout puissant, dans ce saint jour de fête,
Du haut des cieux protège tes enfants.
Sur l’ennemi fait gronder la tempête,
Si tu le veux... nous serons triomphants,

La musique continue jusqu’à ce que l’heure ait sonné.

BRÛLETOUT.

Ils n’en finiront pas, ces cagots-là !...Je vais lever la difficulté, moi.

Il monte sur un tabouret qu’il place près de l’horloge, met l’aiguille sur minuit, puis reprend sa place d’un air recueilli... L’heure sonne, tout le monde se lève.

LE PÈRE IGNACE.

Maintenant, frères, saisissez-vous de la victime... et que le jugement s’accomplisse.

BRÛLETOUT.

À la bonne heure !

SIMON GAUTHIER.

Ainsi périssent les embaucheurs !... Qu’après l’exécution son corps soit traîné sur la grande route, afin que les bleus apprennent à nous connaître... En marche !

TOUS.

En marche !

Au moment où l’on entraîne Justin, les soldats de la ligne se présentent d’ la porte et à la fenêtre.

BRÛLETOUT.

Mille tonnerres ! nous sommes trahis !

Musique.

 

 

Scène XI

 

LES MÊMES, UN CAPITAINE DE LA LIGNE, UN LIEUTENANT, SOLDATS DE LA LIGNE, puis DE LA PIGEONNIÈRE

 

LE CAPITAINE.

Soldats, saisissez-vous de ces misérables !

SIMON, tirant un pistolet sur le capitaine.

À toi, capitaine !...

Il le manque, on se précipite sur lui et on le désarme ainsi que tous les Chouans, après une légère résistance ; on dépose les armes sur une table. Justin, pris pour un chouan, est entre deux soldats.

UN LIEUTENANT, entrant.

Capitaine, la maison est cernée, nous sommes maîtres de toutes les issues.

LE CAPITAINE.

Bien, prenez six hommes et commencez les perquisitions.

Cet ordre est exécuté.

Aux Chouans.

Maintenant, Messieurs, voyez si je suis bien informé par M. le marquis de la Pigeonnière.

SIMON.

Le traître !

LE CAPITAINE, à un soldat.

Faites entrer le marquis.

DE LA PIGEONNIÈRE, entrant en habit de garde nationale.

Vive la ligne ! la brave ligne !... Vive la charte ! Vous me demandez, capitaine... je suis à vos ordres ; capitaine, parlez... j’obéirai, capitaine...

Criant.

Vive le trône de juillet ! Vive la garde nationale !...

LE CAPITAINE.

Assez, assez, honorable marquis.

BRÛLETOUT.

Vieux singe vert !... si je t’avais soupçonné...

Il fait signe qu’il lui aurait tordu le cou.

DE LA PIGEONNIÈRE, regardant Brûletout qui le menace.

À bas les Chouans !... À bas Henri V !...À bas la branche aînée !... Vive la branche cadette !... Mort aux Chouans !...

BRÛLETOUT, qui s’est débarrassé de ses gardes, se précipite sur lui.

Attends, vieux braillard !

Il le prend par le collet et le secoue.

DE LA PIGEONNIÈRE.

À la garde !... il va m’étrangler... Capitaine, au secours !

Les soldats reprennent Brûletout et le tiennent en respect.

BRÛLETOUT, aux soldats.

Vous défendez une vieille carcasse comme ça !

DE LA PIGEONNIÈRE.

Je crois qu’il m’a appelé carcasse ; mais, patience... patience, brave capitaine !

LE CAPITAINE, fortement.

Silence, Monsieur !...

Le marquis s’incline.

Les papiers. que vous m’avez promis, où sont-ils ?

DE LA PIGEONNIÈRE, les donnant.

Les voici, illustre capitaine ; vous y trouverez les noms de ces messieurs.

LE CAPITAINE.

Il suffit... donnez.

Il les prend brusquement.

DE LA PIGEONNIÈRE.

C’es trop d’honneur !

LE CAPITAINE, à un sergent.

Sergent, conduisez monsieur...

Il montre le marquis.

près du fossé que vous voyez

Il montre par la fenêtre.

DE LA PIGEONNIÈRE, à part.

C’est drôle... je ne me sens pas bien... j’ai comme des crampes dans l’estomac.

LE CAPITAINE, toujours au sergent.

Vous y conduirez aussi tous ceux qui ont été pris les armes à la main...Vous m’entendez ?

À de la Pigeonnière.

Il vous faut un exemple, je vais vous le donner.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Quoi ! vous voulez que j’assiste à la fusillade de ces misérables.

LE CAPITAINE.

Il vous faut une exemple, leur supplice vous en servira.

DE LA PIGEONNIÈRE.

Allons, capitaine, du moment que ça peut vous être agréable...

LE CAPITAINE.

Sortez...

DE LA PIGEONNIÈRE.

Oui, capitaine...

En sortant.

Vive la ligne ! à bas les Chouans !... vive le trône de juillet et son auguste famille !...

On l’emmène.

 

 

Scène XII

 

LES MÊMES, excepté LE MARQUIS, puis peu après, MARIE

 

LE CAPITAINE, aux soldats.

Laissez les prisonniers libres au de leurs mouvements... premier geste, feu sur eux !... Voyons,

Aux Chouans.

répondez... quel est le nommé Ignace, capucin ?... Ah ! te voilà saint homme.

IGNACE, se prosternant.

Je dois partout exercer mon ministère... l’indulgence nous vient de Dieu !

LE CAPITAINE.

Assez, prêtre fanatique !... ne déshonorez pas davantage l’habit que vous portez... Votre mission était une mission de paix et non de sang... Justice sera faite, qu’on l’emmène.

LE PÈRE IGNACE.

Malédiction sur toi !

Deux soldats l’emmènent.

BRÛLETOUT.

C’est pour nous que le four chauffe.

LE CAPITAINE, examinant la liste.

Brûletout ?

BRÛLETOUT.

Ecce homo... présent. 

LE CAPITAINE.

Vous êtes déjà condamné à mort par contumace...

BRÛLETOUT.

Eh ben ! après ?

LE CAPITAINE.

Emmenez-le.

BRÛLETOUT.

Allons, ce qui est différé n’est pas perdu...

Aux soldats.

Garde à vous !... en avant marche !... Adieu, Gauthier.

Il sort entre deux soldats.

SIMON, d’une voix sombre.

Nous allons nous revoir...

Au capitaine.

Je suis Simon Gauthier, chef vendéen, soldat de Henri V ; je meurs avec le seul regret de n’avoir pas tué assez des tiens... Marchons !

MARIE accourt au moment où on l’entraîne.

C’est mon père !... où le conduisez-vous.

LE CAPITAINE.

Empêchez cette jeune fille de sortir.

MARIE, bas à Justin.

Ô mon dieu ! Justin, dites-moi ce qu’on veut faire de lui ?

JUSTIN, bas à Marie.

L’emmener prisonnier... ce n’est rien... calmez-vous, Marie... et mon frère ?

MARIE, pleurant.

Hélas ! on va le découvrir... on va l’amener ici !...

JUSTIN.

Veux-tu le sauver !

MARIE.

Moi ?...

JUSTIN, s’arrachant le rouleau de fer-blanc dans lequel sont ses papiers.

Tiens...l’on ne nous voit pas... prends ces papiers, ce sont les miens... donne-les à Robert... va... pas un mot... sort vite...

Marie sort.

LE CAPITAINE, qui a pris des notes, continuant de lire.

« Robert Patrice ?... »

JUSTIN.

C’est moi !

LE CAPITAINE.

Vous avez déserté ?

JUSTIN, fait un mouvement d’horreur, puis se remet.

Oui, oui... capitaine... j’ai déserté...

LE CAPITAINE.

Et non content de cela, vous avez tourné vos armes contre votre pays.

JUSTIN, à part.

Ô mon frère !... c’est pour toi que j’endure tant d’humiliation !

Le lieutenant revient avec ses soldats.

LE CAPITAINE.

Eh bien ! lieutenant, qu’avez-vous trouvé ?

LE LIEUTENANT.

Rien qu’un pauvre soldat qui, se rendant en semestre, a été pris et garrotté par les chouans... nous l’avons laissé en train de se débarrasser de ses cordes... ses papiers sont en règle.

JUSTIN, à part avec joie.

Il est sauvé !

LE CAPITAINE.

C’est bien !... sortons, et que justice se fasse.

Il fait un signe aux soldats, on emmène Justin. Le lieutenant sort après avec le capitaine.

 

 

Scène XIII

 

ROBERT, MARIE

 

Robert, que Marie s’efforce de retenir, entre tout défait.

ROBERT, dans la plus grande agitation.

Marie, tu m’as trompée !... Justin, où est-il ?

MARIE.

Prisonnier avec non père... on vient de l’emmener, sans doute.

ROBERT.

Lui prisonnier !... quand moi seul... Mais, écoute... on lit une sentence...

Il va regarder à la fenêtre et pousse un cri.

Ah ! mes jambes nie soutiennent à peine !...

MARIE, effrayée.

Robert !... qu’y a-t-il ?

ROBERT.

Tiens, regarde cet appareil militaire !... vois ces prisonniers !... l’officier commande...

Criant.

Ah ! arrêtez ! arrêtez !... c’est mon frère ! ce n’est pas Robert !... c’est moi ! moi, qui suis Robert Patrice !

Un grand roulement se fait entendre.

Ah ! ils vont le tuer ! ils vont tuer mon frère !

MARIE.

Justin !...

ROBERT, dans le plus grand désespoir.

Et ton père aussi !...

MARIE.

Oh ! mon dieu !...

Elle tombe sur la table et sanglote en tenant sa tête dan ses mains.

ROBERT, avec rage.

Et c’est moi qui suis cause de sa mort !... moi qui ai pris les armes contre mon pays !... c’est moi qui ai assassiné mon frère !... Justin !... Justin ! !...

Il tombe à genoux.

 

 

Scène XIV

 

ROBERT, MARIE, JUSTIN accourt pâle et sans habit

 

JUSTIN, très vite.

Robert, reviens à toi.

ROBERT, stupéfait.

Toi !... toi !... Justin !... mon frère !...

Il l’embrasse à plusieurs reprises, il le tâte pour s’assurer si c’est bien une réalité.

JUSTIN, toujours très vite.

Je voulais donner ma vie pour toi, mais un ancien camarade m’a reconnu comme je marchais à la mort... Ce n’est pas Robert Patrice, a-t-il dit au capitaine... Le malheureux ignorait que j’avais un frère à sauver... on m’a laissé libre et je suis accouru... Il faut que tu fuies à l’instant même, car ils te fusilleraient !

ROBERT.

Fuir, mais c’est impossible !... la maison est cernée !

JUSTIN, allant à la fenêtre.

Pas d’espoir !... écoute... ils viennent, je crois !... Ah ! que du moins tu ne périsses pas de la mort des traîtres...

Il va prendre un pistolet sur la table où les armes des chouans ont été déposées.

Tiens, prends...

MARIE.

Que fait-il ?

ROBERT, prenant l’arme.

Oui, oui, frère, tu as raison.

Le capitaine paraît au fond.

Adieu !... que je t’embrasse une fois encore...

Les deux frères se serrent étroitement.

MARIE.

Robert, que vas-tu faire ?

Justin la retient.

ROBERT, d’un air résigné.

C’est le ciel qui l’ordonne !... Justin, que cette pauvre enfant trouve en toi un appui. On vient... adieu, Marie, adieu, frère, ne pleure pas... j’ai mérité mon sort !... et périssent comme moi tous ceux qui ont tourné leurs armes contre la France !... adieu !... adieu !...

Marie court après lui, au même instant on entend un coup de pistolet ; Marie tombe à la renverse, Dans le fond du théâtre paraît le capitaine et des soldats qui viennent chercher Robert Patrice. Justin se soutient à peine.

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