Le Cartel de Guillot (CHEVALIER)
Comédie en un acte et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Marais, en 1660.
Personnages
POLYCARPE, père d’Angélique
ANGÉLIQUE, fille de Polycarpe
LA ROQUE, amant d’Angélique
GUILLOT, valet de Polycarpe
La scène est à Paris.
Scène première
POLYCARPE, ANGÉLIQUE
ANGÉLIQUE.
Que ma destinée est fâcheuse
Hélas ! Que je suis malheureuse.
POLYCARPE.
Dis-moi pourquoi te plains-tu tant ?
Ton esprit n’est jamais content,
Je te vois toujours en furie.
Sachons d’où vient ta fâcherie ?
ANGÉLIQUE.
On ne la saurait concevoir,
Enfin je suis au désespoir,
Et si vous saviez mon injure
Vous me plaindriez je vous jure.
POLYCARPE.
Dis-la donc.
ANGÉLIQUE.
Oyez s’il vous plaît
Ah quand vous saurez quelle elle est
Vous me croirez fort misérable.
POLYCARPE.
Tu me ferais donner au Diable.
Avec tes étranges clameurs
Et bien, quels sont donc ces malheurs.
ANGÉLIQUE.
Rien n’est au Monde si sensible
Si détestable ? si terrible ?
Hélas ! quel destin est le mien.
POLYCARPE.
Pour moi je crois que ce n’est rien
Puisque tu ne le veux pas dire
Endêve, fâche-toi, soupire,
Pleure, crie, et te plains ici,
Montre-toi toute de souci
Toute triste, toute joyeuse,
Toute riante ou rechigneuse
Ressens, ou du mal ou du bien,
Je m’en sens moins touché que rien,
Après cela je me retire.
ANGÉLIQUE.
Hé mon Père je vais tout dire
Mais donnez-vous un peu de temps,
Car mes déplaisirs sont si grands,
Que je n’ose.
POLYCARPE.
Ah ! quelle est pendarde,
Être née enfin babillarde,
Et garder si fort le secret,
L’on te va mettre au Cabinet
Ainsi que le plus rare ouvrage,
Qui se soit vu durant notre âge
Car c’est un miracle en ce point,
Qu’être Fille et ne parler point
Au moins de tout ce qui me touche.
ANGÉLIQUE.
Apprenez-le donc par ma bouche
La Roque qui se dit charmé,
De moi qui l’ai toujours aimé
M’a fait un affront, un outrage
Dont je déteste, dont j’enrage
Mais un outrage sans égal,
Hier comme nous étions au bal,
Il mena toutes les Galantes,
Danser et branles et courantes
Leur donna tout son entretien,
Et me régala d’un beau rien :
Ce qui me fâche davantage
Est que cet ingrat, ce volage,
Fait le soupirant, le transi
Au moins on me l’a dit ainsi
Pour une certaine coquette
Il tient la chose fort secrète
Car on dit qu’il veut l’épouser,
Moi je veux sans temporiser
Lui montrer avant qu’il l’épouse
Ce que peut une âme jalouse.
POLYCARPE.
Il te méprise ce fripon,
Ah que ne suis-je encore garçon,
Que n’ai-je ma vigueur première
Avec ma grande rapière.
Et ma vieille arquebuse à Croc
Ma foi la mort lui serait hoc
S’il en réchappait je te jure,
Ce serait une belle cure
Mais n’étant plus dans ma verdeur
Il faut chercher quelque bretteur
Qui lui donne dans la bedaine
D’une olinde, ou d’une vienne,
Ou d’un pistolet, me chaud peu
Qu’il meure ou de fer ou de feu
Lui que je voulais pour mon gendre
T’a fait cet affront, cet esclandre,
Il en périra le pendard
Mais laissons ces discours à part
Et voyons ce qu’il nous faut faire
Pour au plutôt nous en défaire
Il faut avant qu’il soit demain
Lui faire perdre le goût du pain.
Tu viens de me faire ta plainte,
Mais apprends que j’ai l’âme atteinte
D’un mal aussi grand que le tien.
Et qui pourtant ne sera rien,
Que maudit soit la Valetaille,
La sotte vengeance et la canaille
Qui ne sert qu’à boire et manger
Et souvent nous fait enrager ;
Sachez que Guillot cet ivrogne
Dont je veux maltraiter la trogne
M’a fait recevoir un affront
Qui n’a jamais eu de second
Pour ragaillardir ma vieillesse.
J’avais prié quelque jeunesse
De venir dîner avec moi.
Sais-tu ce qu’il m’a fait ?
ANGÉLIQUE.
Et quoi ?
POLYCARPE.
Au lieu de songer à nous faire
Un Morceau de bonne chère
Comme j’avais su l’ordonner
Il n’a pas cessé d’ivrogner
Durant toute la matinée
Enfin quand l’heure fut sonnée
Ces gens viennent à grand bruit
Pensant que le dîner fut cuit,
Se promettant sur ma pierre
De faire la débauche entière.
Même croyant tout apprêté
Disent leur bénédicité
Mais trouvant tout plus froid que glace
Leur emploi fut de dire grâce ;
Ainsi nous eûmes tous l’honneur
De dîner ensemble par Cœur
Ce qui m’émeut encor la bile
C’est que ce fat, ce malhabile
Me fit un tour ces jours passés
Dont il paiera les pots cassés.
Comme j’avais ma sciatique
Mon Cours de ventre, ma Colique
Avec mon grand mal de dents,
Mes ordinaires accidents
Mon Rhume, ma toux, ma migraine
Ma fluxion, ma courte haleine
Ma palpitation de Cœur
Bien loin de plaindre ma douleur
Le traître se donnait carrière
Et me souhaitait dans la bière
En me disant que mon trépas
Ne s’avançait qu’à petit pas,
Vois si j’ai lieu d’être en colère
C’est pourquoi je m’en veux défaire
Sais-tu bien ce que nous ferons
Pour nous venger de nos affronts
La Rocque t’a fait un outrage
Moi Guillot un, de quoi j’enrage
Il faut pour nous bien venger d’eux
Les faire entrebattre tous deux
Guillot ne ses voudra pas battre
La Rocque assez opiniâtre
Imprimera sur son minois
La figure de ses cinq doigts
Guillot vomira quelque Injure
L’autre assez fougueux je m’assure
Lui donnera de la façon
Quelque grand coup d’estramaçon
De ce coup proviendra la fièvre
Guillot étourdi comme un lièvre
Malgré l’avis du Médecin
Voudra toujours boire du Vin
Fièvre et vin brûlant ses entrailles
Avanceront ses funérailles
Car sans doute qu’il en mourra
Je serai satisfait par là
Pour te venger sans plus attendre
La Rocque après nous ferons pendre
Voilà les moyens Importants
De nous rendre tous deux contents.
ANGÉLIQUE.
Mais comment ferons-nous mon Père ?
POLYCARPE.
Voici ce que nous devons faire
Sans nous mettre en tête martel
Il faut envoyer un Cartel
Par Guillot au Sieur de la Rocque.
ANGÉLIQUE.
Il craint trop d’avoir sur la toque
Il n’y voudra jamais aller.
POLYCARPE.
Il lui faudra dissimuler
Que ce soit pour une querelle :
Dis-lui que ta peine est mortelle
De ne voir point ton cher amant,
Qu’en ce billet est le tourment,
Que tu souffres de son absence,
Que tout ton bien est sa présence,
Aussitôt il le portera.
ANGÉLIQUE.
Vous avez raison il ira,
J’avais déjà bien su l’écrire,
Mais à Guillot je n’osais dire
Qu’il l’allât porter en ce jour
Qu’en le nommant billet d’amour
Et n’aurais pas osé le faire
Sans avoir l’aveu de mon Père.
Mais enfin puisque vos bontés
Me lèvent ces difficultés.
Allez laissez à mon adresse
Le soin d’achever cette pièce
Je veux entretenir Guillot.
Scène II
ANGÉLIQUE, GUILLOT
ANGÉLIQUE.
Guillot, écoute un petit mot.
GUILLOT.
Que vous plaît-il notre Maîtresse.
ANGÉLIQUE.
J’aurais besoin de ton adresse
Pour porter ce petit poulet,
GUILLOT, le mettant à terre et l’appelant.
Petit, petit, petit follet,
Un poulet souffrez que j’oppose
À cette drôlesque de chose
Que qui vivrait de ce gibier
Ferait des repas de papier
C’est avoir l’âme bien burlesque
Qu’appeler de ce nom grotesque
Un papier, poulet vient d’un œuf
Envoyez-lui plutôt un bœuf,
Étant une plus grosse bête
Le présent sera plus honnête.
ANGÉLIQUE.
Ce que tu dis, ne sert de rien,
Mais Guillot écoute-moi bien.
C’est là que sont toutes mes peines.
Lui montrant le billet.
GUILLOT.
C’est assez de porter les miennes
Portez les vôtres s’il vous plaît.
ANGÉLIQUE.
Tu ne comprends pas ce que c’est
Sache donc que je te veux dire
Qu’en ce billet est mon martyre.
GUILLOT.
Et pourquoi me martyriser
Suis-je un homme à m’aller briser
Sous le faix de votre martyre
De mes maux ce serait le pire,
J’aime beaucoup mieux voir le jour.
ANGÉLIQUE.
Gros sot c’est un billet d’amour
Écrit à Monsieur de la Rocque
Porte-lui, ton discours me choque
Laisse là tous tes quolibets
Ce sont mes amoureux secrets.
GUILLOT.
Ah vous êtes amoureuse,
Vous qui faites la précieuse
Il fallait sans dissimuler
Me dire le tout sans parler.
ANGÉLIQUE.
Encore un coup, porte ma lettre
Guillot, et je te puis promettre
Que la Rocque, t’embrassera
Du moment qu’il la recevra
Rends-moi donc vite cet office.
GUILLOT.
J’y vais.
Guillot va du côté que la Rocque entre, et ne le voyant pas lui donne de la tête dans le ventre.
Scène III
GUILLOT, LA ROCQUE
GUILLOT.
Le Destin m’est propice
Monsieur de vous trouver ici
Lisez la Lettre que voici
D’Angélique votre maîtresse
J’allais chez vous avec vitesse
Pour vous la porter promptement.
LA ROCQUE.
Elle m’oblige infiniment.
GUILLOT, interrompant la Rocque alors qu’il veut lire.
Si tout haut vous la vouliez Lire
Pour me pouvoir apprendre à dire
Ces beaux mots qu’on dit en amour
Afin de m’en servir un Jour
Car ma Maîtresse est éloquente.
LA ROCQUE.
Ah ! je sais qu’elle est fort savante
Oui, je vais la lire tout haut
Mais avant que la Lire, il faut
Mon Cher Guillot qu’on promette
De tenir la Chose secrète.
GUILLOT.
Monsieur je serai fort discret
Confiez-moi votre secret
Vous n’en aurez jamais reproche.
LA ROCQUE.
Écoute donc Guillot, approche
Et conçois bien tous ces grands mots.
GUILLOT, l’interrompant.
Ma Maîtresse n’a nul défaut
Elle est aussi belle qu’aimable
Elle a de l’esprit comme un Diable.
LA ROCQUE, voulant lire.
Il est vrai.
GUILLOT.
Ses mots sont Charmants
Plus que le style des Romans
Elle a lu.
LA ROCQUE.
Te voudrais-tu taire.
GUILLOT.
Les œuvres de Seigneur de la Serre,
De Balzac, et de Scudéry
Peste elle a l’esprit bien fleuri
Et sait parfaitement écrire.
LA ROCQUE.
Mais si vous ne me laissez lire
Je me fâcherai contre vous.
GUILLOT.
Elle a le langage fort doux
Enfin elle sait toute chose
Elle a lu les métamorphoses
Et les plus célèbres écrits
L’histoire de Jean de Paris
Celle de Pierre de Provence,
C’est un abîme de science
Aussi chacun en fait grand cas
Elle a lu tous les Almanachs
Et d’Ésope toute la Fable
Même jusqu’à Robert le Diable
C’est un miracle en raccourci.
LA ROCQUE.
Sais-tu fat, que je vois ici
Qu’au lieu de lire haut la lettre
Comme tu me l’as fait promettre
Que tu n’en auras pas le bien.
GUILLOT.
Monsieur je ne dirai plus rien
Lisez haut je vous en conjure.
LA ROCQUE lit.
Lisons. Monsieur touchant l’injure
Que vous me fîtes hier au soir
Ce billet vous fera savoir
M’ayant tout à fait outragée
Que je veux en être vengée.
Si Guillot vous trouve aujourd’hui
Coupez-vous la gorge avec lui
Voilà ce que dans ma colère
Mon cœur avec plaisir espère.
Guillot, ta Maîtresse me fait
Une querelle sans sujet,
Car je n’ai jamais eu pour elle
Qu’un amour constant et fidèle
Et si l’honneur n’était moins cher
Je savais fort bien m’empêcher.
Par le respect que je lui porte,
De suivre l’ardeur qui m’emporte
Mais puisqu’il y va de l’honneur
Je ne puis sans manquer de cœur
Refuser de la satisfaire
Guillot terminons cette affaire
Puis après nous saurons en quoi
Ta Maîtresse se plaint de moi
faut à son billet souscrire.
GUILLOT, lui arrachant le Billet.
Donnez, vous ne savez pas lire
Qui moi, vous couper le Gosier
Je ne suis point un meurtrier,
Je suis trop ami de nature.
Il lit.
Voyons. Monsieur touchant l’injure
Que vous me faites hier au soir,
Ce Billet vous fera savoir.
M’ayant tout à fait outragée,
Que je veux en être vengée
Si Guillot vous trouve aujourd’hui
Coupez-vous la gorge avec lui
Voilà ce que dans ma colère
Mon Cœur avec plaisir espère
Voilà le malheureux Guillot
Pris par le mufle comme un sot
Que ferai-je ? Ah ! maudite fille
Quoi me prendre pour un soudrille
M’envoyer porter un poulet,
Pour couper mon pauvre sifflet
Vit-on jamais une Maîtresse
Être à son Valet plus traîtresse
Non Monsieur n’ayez point de peur
Je ne suis point gladiateur
Ce n’est pas manque de courage
Mais je n’aime point le Carnage
Et puis je sais trop mon devoir
Je vous souhaite le bonsoir.
LA ROCQUE.
Allons vite il en faut découdre.
GUILLOT.
Monsieur je ne puis m’y résoudre
Ce sera pour une autre fois.
LA ROCQUE.
Ah ! cela n’est pas à ton choix
Il faut qu’il t’en coûte la vie.
GUILLOT.
Mourir je n’en ai point d’envie
Je ne suis pas en bon état.
LA ROCQUE.
Quoi tu refuses le Combat
Il faut vider notre querelle.
GUILLOT.
Monsieur j’entends que l’on m’appelle
Laissez-moi sortir s’il vous plaît.
LA ROCQUE.
Ah ! Guillot, je vois ce que c’est
Ta mémoire ailleurs occupée
T’a fait oublier ton épée
Va la prendre, et reviens ici
Je reviendrai sans faute aussi
Cependant nous allons nous battre
Ici près quatre contre quatre
J’en vais deux ou trois embrocher
Puis je te viendrai de pêcher
Mais si tu manques de t’y rendre
Au premier jour tu dois attendre
D’avoir mille coups de ma main
Adieu Guillot jusqu’à demain.
Scène IV
GUILLOT, seul
Ah ! Quel avaleur de charrette
Et quelle épouvantable brette
Porte cet abatteur de bras,
Va si j’y viens tu m’y prendras,
Je croyais qu’il m’allait dissoudre
D’un seul de ses regards en poudre
De la façon qu’il m’a pressé
J’ai cru que j’étais fracassé
Encore n’en sais-je rien, je pense
Qu’il m’a fait insulte à la panse.
Mais non il ne m’a point touché,
M’en voilà quitte à bon marché
Je veux bien qu’Astaro me gratte
Si je retombe sous sa patte
Il n’en ferait pas à deux fois
N’est-ce pas lui que je revois
Non c’est notre bonne Maîtresse
Ah ! vous voilà double traîtresse
Qui Diable dirait à la voir
Qu’elle eût un si malin vouloir.
Scène V
ANGÉLIQUE, GUILLOT
ANGÉLIQUE.
Ah ! Dieu vous gard la Guillotière.
GUILLOT.
Ah, Dieu vous gard la meurtrière
Qui risquez un pauvre garçon
Contre un Roland, contre un Samson.
C’est un Billet doux disait-elle
Et c’est ma sentence mortelle,
À moi votre pauvre valet.
À moi plus simple qu’un poulet
Qu’on amuserait d’un grain d’orge
M’envoyer me couper la gorge.
Allez vous avez grand tort.
ANGÉLIQUE.
Quoi tu crains la Rocque si fort ?
Que ta personne est idiote
Sais-tu que ce n’est qu’un pagnote
Que s’il t’avait seulement vu
Faire un moment le résolu
Il serait mort dessus la place,
Sa bravoure n’est que grimace,
S’il t’avait vu l’épée en main
Il se serait enfui soudain,
Comme il me fait une Injustice
Je veux que la peur l’en punisse,
Fais-lui donc plutôt que plus tard,
Prends cette épée et ce poignard
Et t’en va le trouver sur l’heure
Tu lui diras qu’il faut qu’il meure ;
Lui tout étourdi de ce mot
Tâchera d’apaiser, Guillot ;
Mais si tu feins d’être en colère,
Jurant, pestant comme il faut faire,
Tu le verras courir bien fort.
GUILLOT, l’épée à la main.
S’il s’enfuit sans doute il est mort,
En honnête homme par derrière,
Zeste un grand coup de ma rapière,
Puis je lui couperai les bras ;
Mais aussi s’il ne s’enfuit pas.
Alors ce sera bien le diable.
ANGÉLIQUE.
C’est une chose indubitable
Te voyant il mourra d’effroi,
Adieu.
GUILLOT.
Reposez-vous sur moi,
Je vous dis pourvu qu’il s’en aille.
ANGÉLIQUE.
Tu seras vainqueur sans bataille,
Tiens-toi tout certain de cela.
GUILLOT.
Vous m’assurez qu’il s’enfuira,
Car si tantôt il faisait rage.
Angélique s’en allant.
Il mourra de peur.
Scène VI
GUILLOT, seul
C’est dommage
Le pauvre garçon, je le plains
S’il faut qu’il tombe entre mes mains.
Le voici : tenons mine fière
La peur lui serre la croupière
De me rencontrer sur ses pas.
Scène VII
GUILLOT, LA ROCQUE
LA ROCQUE.
Ah ! vous voici donc pourpoint bas
Vous êtes un fort galant homme,
Çà vite que je vous assomme,
Déboutonnez donc le pourpoint.
GUILLOT.
Cet homme ne s’enfuira point,
Diable que sa fierté m’afflige,
Il ne s’enfuira pas vous dis-je.
LA ROCQUE.
Vidons notre affaire, et sans bruit.
GUILLOT.
Au diablezot comme il s’enfuit.
LA ROCQUE.
Songez mon brave à vous défendre,
Dépêchons, et sans plus attendre
Vous en mourrez je vous promets.
GUILLOT.
Non il ne s’enfuira jamais
Je donne au diable la maîtresse
L’âme damnée, et la tigresse,
Qui m’a donné ce chien d’emploi
Pour se défaire ici de moi.
LA ROCQUE.
Ah ! je n’aime point qu’on retarde
Là courage, êtes-vous en garde
Si vous ne voulez vous presser
Je vous vais les bras fracasser
Vous éprouverez ma furie.
GUILLOT.
Il n’entend point de raillerie,
Ah ! Monsieur me voilà tout prêt
Mais enfuyez-vous s’il vous plaît.
LA ROCQUE.
Quoi faquin vous avez l’audace,
De me croire l’âme si basse
C’est à ce coup qu’il faut mourir.
GUILLOT.
Cet homme qui devait courir
Voyez s’il branle de sa place.
LA ROCQUE.
Comment je vous vois tout de glace
Essayons donc avec ce fer
Si nous pourrons vous réchauffer.
GUILLOT.
Je croirai faire des merveilles
Si j’en sors pour mes deux oreilles,
Mais si je m’emportais aussi
Peut-être il s’enfuirait d’ici,
Prenons notre humeur fulminante,
Ah ! Si je prends ma massacrante
Je vous en donnerai cent coups
Et je vous ferai filer doux.
LA ROCQUE.
Allons c’est ce que je demande.
GUILLOT.
S’il s’enfuit je veux qu’on me pende
Cet obstiné veut m’enfiler
Auparavant que s’en aller ;
Continuons notre arrogance
Je suis un brave à toute outrance
Et si je mets flamberge au vent
Tu perdras le nom de vivant,
Avant ces malheurs sanguinaires
Donne donc ordre à tes affaires,
Et touchant ton dernier moment
Songe à faire ton testament,
Voilà l’ordre que tu dois suivre
Étant près de cesser de vivre
Car je te vais exterminer.
LA ROCQUE.
Et moi je m’en vais donner
De l’épée au travers le ventre,
C’est à ce coup qu’il faut qu’elle entre
Prends garde à toi.
GUILLOT.
Double faquin,
Attends je ne suis pas en main,
Prends ce côté je prendrai l’autre
C’est là que la Victoire est nôtre.
Il échange de côté.
Si tu m’en crois ne te bats point.
Tu seras sot au dernier point,
Si tu dégaines contre un homme,
Qui ne se bat point qu’il n’assomme,
La pitié me parle pour toi
Retire-toi de devant moi.
Sur mon âme je désespère
De t’immoler à ma colère,
Songe donc à gagner au pied
Ou tu vas être estropié,
Si j’entre en garde meurtrière
Te voilà dans le Cimetière ;
Car j’ai le bras si vigoureux
Que qui s’en pare est bien heureux
Dès que ma valeur s’évertue
Que je vais sur le pré je tue,
Et si je fais le moindre effort
Contre un homme, il est homme mort,
Regarde ce que tu veux faire.
LA ROCQUE.
Te tuer pout me satisfaire.
GUILLOT.
Puis après tu seras pendu
Ah ! Pourquoi suis-je ici venu.
À part.
Je vais des pieds jusqu’à la tête
Te pourfendre comme une bête,
Dedans mon furibond transport.
LA ROCQUE.
Ah ! par le ventre, par la mort.
GUILLOT, se laissant tomber de peur.
Ah ! ma pauvre âme est délogée
De cette Estocade allongée,
Non, elle est encor dans mon corps,
Je croyais être au rang des morts
Et j’en ai la hanche rompue.
LA ROCQUE.
Lève-toi donc que je te tue.
GUILLOT, à terre.
Oui c’est pour me faire lever
Que de me vouloir achever,
Et si je demeurais à terre
Me ferais-tu toujours la guerre ?
LA ROCQUE.
Non, sur mon honneur, j’ai juré
Que jamais je n’affronterai
Personne avec cet avantage.
GUILLOT, à terre.
Si bien que ton honneur t’engage
Ce dis-tu de ne tuer pas
Un homme quand il est à bas.
LA ROCQUE.
Plutôt la mort mon sort achève.
GUILLOT, se couchant.
Diable emporte si je me lève,
Messieurs ne faites point de bruit
Je dors, bon soir et bonne nuit.
LA ROCQUE.
Ah ! c’est par trop d’impertinence
Qu’abuser de ma patience
Si je laisse aller ma fureur
Je pourrai bien.
GUILLOT.
Garde l’honneur
Et souviens-toi qu’il t’intéresse
À ne point faire de bassesse.
LA ROCQUE.
Non, je te jure et te promets
Guillot de n’en faire jamais.
GUILLOT.
De sorte que de ta vie
Tu n’exerceras ta furie
Sur moi d’aucun estramaçon
Me tenant de cette façon ?
LA ROCQUE.
Non, ni d’autre coup je te jure
Car c’est une lâcheté pure
Que battre un homme en cet état.
GUILLOT.
Sais-tu bien que tu n’es qu’un fat
Un coquin, un bélître, un traître,
Et que tu n’oserais paraître
Jamais devant les braves gens,
Tu fais le brave à contretemps.
LA ROCQUE.
Je ne puis souffrir cet outrage.
GUILLOT.
Songe à quoi ton honneur t’engage
Homme lâche, infâme, sans cœur.
LA ROCQUE.
Ah ! c’en est trop.
GUILLOT.
Garde l’honneur
Me tuant dessus cette place
Tu ternirais toute la race.
LA ROCQUE.
Je vais feindre de m’esquiver
Afin qu’il se puisse lever
Allons jusques dehors la porte.
GUILLOT.
Va que le grand diable t’emporte
Enfin fonde l’enfer tout droit
Je savais bien qu’il s’enfuirait.
LA ROCQUE.
Ah ! par le ventre, par la tête.
GUILLOT.
Malepeste soit de la bête
Je crois que je suis étripé
Dites, Messieurs, m’a-t-il frappé
Demandé sous la galerie
Si mon âme n’est point flétrie ;
Mais c’est trop faire le poltron
Il faut se battre tout de bon
Je m’en vais te donner prends garde
Dans le baril à la moutarde,
Sache que je suis un fendant.
LA ROCQUE.
Et moi, sache que maintenant
Quoique tu croies être invincible
Te percer à jour comme un crible,
Allons, ferme tiens-toi gaillard.
GUILLOT.
Ah ! tu me presses trop pendard.
LA ROCQUE.
Comment ! encor l’on m’injurie.
GUILLOT.
Tais-toi, je te donne la vie,
Va dis à tous les Gens d’honneur,
Que je suis un homme de Cœur,
Et qu’à vaincre je fais la nique.
LA ROCQUE.
Et toi dis à mon Angélique
Que lorsqu’elle m’écoutera,
Sa mauvaise humeur passera,
Adieu brave la Guillotière.
GUILLOT.
Si mon âme n’eût été fière
Il ne m’aurait pas craint si fort.
Scène VIII
ANGÉLIQUE, GUILLOT, POLYCARPE
POLYCARPE.
Hé bien ! qu’as-tu fait ?
GUILLOT.
Il est mort.
POLYCARPE.
Ah ! pauvre homme, comment polacre
Avoir commis un tel massacre,
Est-il mort sans avoir parlé ?
GUILLOT.
Enfin c’est un homme sanglé.
Il en vient d’avoir pour son compte.
ANGÉLIQUE.
Quoi traître n’as-tu point de honte
De nous causer un tel malheur,
Je te ferai pendre voleur.
POLYCARPE.
Et qu’as-tu fait des deux épées ?
GUILLOT.
Je les ai toutes deux passées,
Tout au beau milieu de son corps
Il les emporte là dehors,
Quoique son mal soit incurable,
Il s’en est enfui comme un diable.
POLYCARPE.
Mais je pense que je le vois,
Oui c’est lui je le reconnais.
GUILLOT.
Il semble que ce soit lui-même.
POLYCARPE.
Enfin ma surprise est extrême,
De le voir ressembler si fort
Mais Monsieur n’êtes-vous pas mort.
Scène IX
POLYCARPE, ANGÉLIQUE, GUILLOT, LA ROCQUE
LA ROCQUE.
Moi Monsieur, par quel artifice
Je vis et pour votre service,
Mais quel étonnement vous vient.
GUILLOT.
Ah ! c’est son Esprit qui revient
Ou bien sa blessure est guérie
Par la poudre de Sympathie,
Car il était mort, comme il faut
Et sans y trouver de défaut
Mais que venez-vous ici faire
Esprit malin mon adversaire.
LA ROCQUE.
Je viens rendre ces armes-ci
À l’objet qui fait mon souci
Je sais que j’ai pu vous déplaire
Mais c’était sans penser le faire,
On dit que ce qui fit mon mal
C’est qu’hier au soir dans le bal,
Je fis danser les autres Dames
Cela peut-il blesser nos flammes
Je ne croyais pas vous fâcher
Cessez de me le reprocher
Mais à quoi songiez-vous cruelle,
D’employer pour votre querelle
Un Valet, ah ! c’est m’outrager,
Un Valet pouvait-il venger
Le digne objet de mon martyre,
Mais je n’y trouve rien à dire,
Et je ne veux rien condamner
Quoi que vous vouliez m’ordonner
Mais Monsieur pourrais-je vous faire
À présent une humble prière
De m’accorder en ce beau jour
L’unique objet de mon amour.
ANGÉLIQUE.
Vous ne manquerez pas d’excuse,
Pour nous faire approuver vos ruses
Mais enfin par ces derniers mots
Je me vois l’esprit en repos
J’ai su qu’une flamme secrète
Vous brûlait pour une coquette
Et que...
POLYCARPE.
Laissons notre courroux
Oui Monsieur ma Fille est à vous
Et je vous en fais ma promesse
Mais Guillot m’a fait une pièce
Que je ne saurais oublier.
LA ROCQUE.
Monsieur j’ose vous supplier
Puisque le bonheur nous assemble
De pardonner le tout ensemble
Il fera mieux à l’avenir.
POLYCARPE.
J’avais dessein de le bannir
Mais pour l’amour de vous qu’il rentre.
GUILLOT.
Me voilà donc dedans mon centre
D’être toujours votre Valet
Mais n’envoyez plus de poulet
Qui soit fabriqué de la sorte
Ou vous chercherez qui les porte
Car sachez que je n’aime pas
L’amour à coups de coutelas.