Le Badinage (Louis DE BOISSY)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 23 novembre 1733.

 

Personnages

 

LE BADINAGE

L’AUTOMNE

L’INDULGENCE

ANGÉLIQUE

UN ACTEUR COMIQUE

UN OFFICIER

UN AUTEUR

LE PARTERRE

 

La Scène est sur le Théâtre de la Comédie Française.

 

 

Scène première

 

L’AUTOMNE, UN ACTEUR COMIQUE

 

L’AUTOMNE.

Monsieur l’Acteur de Comédie,

Que votre mine est rembrunie !

On lit sur votre front la tristesse, l’ennui ;

Et l’on vous prendrait, aujourd’hui,

Pour un Héros de Tragédie. 

Vous me boudez, je crois ?

L’ACTEUR.

Ce n’est pas sans raison.

Maudite soit votre saison,

Qui cause mon chagrin, cruel Dieu de l’Automne !

Elle nous a plus nui que les grandes chaleurs ;

C’est peu de nous avoir privé de nos Acteurs,

Vous nous avez encore, Bellone et vous,

Enlevé tous nos spectateurs.

L’AUTOMNE.

Voilà le temps qui les rappelle :

Après cette éclipse, Messieurs,

La splendeur de vos jeux n’en sera que plus belle.

L’ACTEUR.

Il faudra plus d’un jour pour nous bien rétablir

Du tort que nous a fait cette absence mortelle,

Où nous n’avons fait que languir.

Heureux ! si nous pouvions aujourd’hui la finir

Par une nouveauté, qui, marquant notre zèle,

Pût inviter le monde à revenir,

Et qui donnât le temps à Melpomène

De reparaître sur la Scène

Pour y faite parler les pompeuses douleurs.

Heureux ! qu’on se prêtât à nos efforts sans peine,

Et qu’on voulût bien rire, en attendant les pleurs.

L’AUTOMNE.

Comment ! Ce dernier jour d’absence.

Vous comptez donner du nouveau ?

Quelle favorable puissance

A fait si promptement les frais d’un tel cadeau ?

L’ACTEUR.

Un Génie à la mode, et qui préside en France,

Nous a promis son assistance,

Pour commencer, dans ce moment,

Nous n’attendons que sa présence.

Lui-même de la Pièce est le Héros charmant,

Le plaisir vole, sur les traces,

Il est précédé par les jeux ;

C’est un enfant des ris adopté par les grâces,

Et l’amour en a fait sou compagnon joyeux.

À l’enjouement ce Dieu joint la finesse :

Il raille sans aigreur, plaisante sans bassesse ;

Le goût guide ses pas jusques dans ses écarts.

S’il franchit quelquefois l’exacte bienséance,

L’agrément qui le suit l’excuse à nos regards.

Mais ce qui nous le fait aimer par préférence,

Il possède, Seigneur, la plus rare science,

C’est de plaire aux honnêtes gens,

Et de les faire rire à leurs propres dépens.

On le cherche en tous lieux, on le goûte à tout âge

Et son nom seul a le pouvoir charmant

De dérider le front le plus sauvage.

À des traits si marqués vous devez, sur le champ,

Reconnaître le Badinage.

L’AUTOMNE.

Oui. Je le reconnais vraiment.

Je l’ai vu folâtrer aux Vendanges nouvelles ;

Il en faisait tout l’agrément.

Comme Zéphir il a des ailes.

Pour ce Dieu même à toute heure on le prend.

Comme lui, le follet voltige à tout moment.

Noble dans sa gaieté, brillant dans sa folie,

Il semble fait pour votre Comédie.

Je vous en fais mon compliment.

S’il vient ici, vous aurez compagnie

Mais puisqu’il faut parler avec sincérité,

Je crains que le petit volage ;

Ne vous fasse infidélité.

On sait qu’il est plus amusant que sage,

Près du Palais Royal je l’ai tantôt quitté.

C’est un Quartier suspect.

L’ACTEUR.

Eh, Quoi ? Toujours le drôle

Vers ce Quartier maudit sera-t-il attiré ?

Ah ! Dans cet Opéra sans cesse il est fourré !

Daignez donc le sommer, Seigneur, de notre part,

De venir au plutôt acquitter sa parole.

L’AUTOMNE.

J’y vais employer tout mon art,

Et réparer par là le tort qu’ont pu vous faire

Tous les malheurs de ma Saison contraire.

Il sort.

 

 

Scène II

 

L’INDULGENCE, L’ACTEUR

 

L’INDULGENCE.

De votre Comédie, et de vous, en ce jour,

Je suis, Monsieur, la très humble servante,

Et je viens pour vos Jeux, vous, prouver mon amour.

L’ACTEUR.

Pour reconnaître ici cette marque obligeante,

Madame, je voudrais apprendre votre nom.

L’INDULGENCE.

Je suis une Déesse affable et bienfaisante,

Qui, pour vous du public, brigue l’affection.

Assidument je fais ma résidence

Chez les Italiens qui m’implorent toujours.

Connaissant vos besoins pour couronner l’absence,

Je viens vous offrir mon secours,

Et je m’appelle l’Indulgence.

L’ACTEUR.

Ah ! Quel est mon ravissement !

Madame, dans ces lieux soyez la bien venue ;

Nous avons de votre aide un besoin très pressant.

Pardonnez, si d’abord je vous ai méconnue ;

Nous vous voyons si rarement.

Pour toute notre Comédie

Recevez mon remerciement.

Puissiez-vous avec nous être toujours unie,

Et ne nous quitter de la vie.

L’INDULGENCE.

Ah ! Comme la nécessité

Rend tendre dans l’adversité !

L’ACTEUR.

Non. Ce n’est pas ma disgrâce présente,

C’est le penchant que l’ai pour vous,

Et votre personne charmante

Qui font naître en mon cœur des sentiments si doux.

L’INDULGENCE.

Ce n’est qu’un compliment, il ne vous coûte guère,

Soit par coutume, ou par précaution,

Vous en avez de prêts selon l’occasion,

Et votre métier est d’en faire.

Quant à moi, connaissez quel est mon caractère.

Par le seul plaisir d’obliger,

Je prête mon secours, quand il est nécessaire,

Sans en attendre de salaire ;

Et sans jamais en exiger.

Pour signaler d’abord auprès de vous mon zèle,

Je dois vous dire une bonne nouvelle,

Le Badinage ici va se rendre à l’instant.

L’ACTEUR.

Vous ranimez notre espérance !

L’INDULGENCE.

Je viens de lui parler dans le même moment,

Et par bonté je le devance ;

Car pour être approuvé de tous,

Le Badinage a besoin d’indulgence :

Je ne pouvais venir plus à propos chez vous.

L’ACTEUR.

Ah ! Quel bonheur pour notre Comédie,

Si nous pouvions ce soir vous réunir tous deux ?

Mais ce bonheur n’est plus douteux.

Un bruit léger dont mon âme est ravie,

Vient m’annoncer cet aimable Génie.

Je le vois ; c’est lui-même, et mes vœux sont remplis !

 

 

Scène III

 

LE BADINAGE, L’INDULGENCE, L’ACTEUR

 

LE BADINAGE, à l’Acteur.

Eh ! bonsoir, mon très cher, point de mélancolie.

Je viens tenir tout ce que j’ai promis.

À l’Indulgence.

Vous, touchez-là, ma bonne amie.

À mon aspect je prétends que tout rie.

Je veux d’abord, par un baiser,

Vous égayer la physionomie.

L’INDULGENCE.

Arrêtez-vous, c’est trop oser.

À ce Théâtre il faut plus de décence.

LE BADINAGE.

Vous moquez-vous ? votre présence

À ces petits écarts semble m’autoriser.

L’INDULGENCE.

Songez qu’il est un terme à notre complaisance,

Il ne faut pas en abuser.

LE BADINAGE.

Franchir un peu la borne est ma grande science.

L’ACTEUR.

Le Badinage ici doit être retenu,

Il n’y peut être bien reçu,

S’il n’observe toujours l’exacte bienséance.

LE BADINAGE.

Mais vous n’y songez pas vraiment.

Vous voulez donc me mettre en esclavage ?

M’anéantir par conséquent ; 

Car sans la liberté qui fait mon apanage,

Serviteur à mon enjouement,

Et sans la joie, adieu le Badinage.

L’ACTEUR.

Oui, mais si l’on ne met un frein

À votre humeur trop libertine,

Crac, vous prenez l’essor soudais.

LE BADINAGE.

Mais le moyen que je badine,

Si l’on me charge aussi d’un joug trop assommant ?

Tout l’art consiste seulement

À me voiler légèrement.

Car enfin plus la gaze est fine,

Plus ma beauté paraît, et plus j’ai d’agrément.

L’INDULGENCE, à l’Acteur.

Entre nous ce discours est assez véritable.

Sur la Scène il suffit que l’élégance aimable

Prête son voile à ses expressions,

Et que je donne un vernis favorable

À ses plus folles actions.

L’ACTEUR.

Vous le gâtez par trop de complaisance.

LE BADINAGE, à l’Indulgence.

Vous faites bien de prendre ma défense.

Quand il arriverait qu’aujourd’hui dans ce lieu

Nous nous échapperions un peu,

On doit nous le passer. Un dernier jour d’absence,

Il est permis de s’égayer.

Et cela ne doit pas tirer à conséquence.

L’INDULGENCE.

N’importe, ayez le geste un peu moins familier.

LE BADINAGE.

C’est un jeu de théâtre.

L’ACTEUR.

Ou plutôt de foyer.

Suivez votre génie, et badinez sans cesse,

Mais badinez avec sagesse.

Le Public en tout temps veut être respecté,

Et l’air du Magasin, Seigneur, vous a gâté.

LE BADINAGE.

Sur le théâtre où brillent les Actrices

Eh bien, soit, je me contraindrai ;

Mais à condition, qu’en sortant, je prendrai

Ma revanche dans les coulisses.

Passez-moi cet article, ou je m’envolerai.

L’INDULGENCE, à l’Acteur.

Que risquez-vous ?

L’ACTEUR.

Jamais je n’y consentirai

Et la bienséance est contraire...

LE BADINAGE.

Avec sa bienséance il me met en colère.

Je parts. Il fera beau lorsque je reviendrai.

L’ACTEUR.

Mais quoi ? vos intérêts sont fondés sur les nôtres.

LE BADINAGE.

Voilà pourquoi je prends de vous congé ;

Car si je renonçais au plus beau droit que j’ai,

Je m’ennuierais chez-vous, et j’ennuierais les autres.

L’INDULGENCE, au Badinage.

Seigneur arrêtez un moment.

À l’Acteur.

Il est si joli, si charmant !

Passez-lui quelque chose en faveur de sa grâce.

L’ACTEUR, au Badinage.

Vous le voulez absolument ?

Eh bien, pour vous avoir, il n’est rien qu’on ne fasse.

LE BADINAGE.

Oh ! de me contenir c’est le plus sûr moyen,

Le naturel du Badinage

Est d’être retenu quand on n’exige rien ;

Et de s’émanciper, dès qu’on veut qu’il soit sage.

La défense, de soi porte au libertinage.

Mais c’est trop rire à vos dépens.

Sortez d’erreur tous deux, il en est temps.

Tel que vous me voyez paraître,

Je sais autant que vous respecter les égards,

Et c’est pour badiner que j’ai feint ces écarts.

Pour me faire d’abord connaître,

Apprenez que nous sommes deux.

L’ACTEUR.

Quoi ! Vous avez un frère ?

LE BADINAGE.

Oui, qui n’en vaut pas mieux

Pour être mon aîné. Le vice est ton mérite.

C’est un mauvais sujet, sans mœurs et sans conduite,

À l’intérêt il se livre toujours.

Les plaisirs effrénés marchent tous à sa suite.

L’équivoque le guide, et dictant ses discours,

Fait rougir la pudeur et met le goût en fuite.

Tout vicieux qu’il est, il a pourtant du cours.

Le plus grand nombre est son partage.

Je n’en suis pas surpris, puisqu’il fut de tout temps,

Le Dieu des libertins et des mauvais plaisants.

Moi, je possède moins avec plus d’avantage ;

La bonne compagnie est mon seul apanage,

Et je n’accorde mes présents

Qu’aux femmes du grand monde, et qu’aux honnêtes gens.

Ainsi ne craignes plus qu’en ce lieu je m’échappe.

L’INDULGENCE, à l’Acteur.

Quand on le voit de près la différence frappe,

Et mon erreur m’étonne fort.

L’ACTEUR.

Certain air de famille en lui trompe d’abord.

LE BADINAGE.

Il est vrai qu’abuse par cette ressemblance,

Le commun des mortels est ici bas d’accord,

Pour ne mettre entre nous aucune différence.

Mais d’être détrompé, comme il mérite peu,

Je le laisse dans l’ignorance,

Et je m’en fais souvent un jeu.

À l’Acteur.

Monsieur, pour vous, mon âme est très surprise

Que vous ayez donné dans la même méprise,

Et je croyais Messieurs les Acteurs

En Badinage étaient plus connaisseurs.

L’ACTEUR.

À tort ces choses vous surprennent,

Quand nous voyons que Messieurs les Auteurs

Eux-mêmes, comme nous, tous les jours s’y méprennent.

LE BADINAGE, à l’Acteur.

Allez, laissez-moi seul recevoir mes amis.

Et vous, Déesse secourable,

Tandis qu’au Théâtre où je suis,

Je vais tâcher de me rendre agréable :

Allez dans le Parterre adoucir les esprits,

Et rendez par vos soins mon juge favorable.

 

 

Scène IV

 

LE BADINAGE, UN OFFICIER

 

L’OFFICIER.

Ah ! vous voilà, mon joli Badinage !

Je vous cherche par tout avec empressement.

Comme je vais joindre mon Régiment,

Je compte qu’avec moi vous ferez le voyage.

LE BADINAGE.

Mon aimable Officier, vous êtes engageant ;

Mais quand vous le seriez mille fois davantage,

Je ne saurais sortit d’un lieu que je chéris.

L’OFFICIER.

Quoi ! Vous abandonnez vos plus chers Favoris ?

Songez-vous qu’aujourd’hui je quitte la Patrie ?

Que vous verrez ce soir tous les plaisirs partis ?

Que j’emmène avec moi la bonne compagnie ;

Que Paris n’est plus dans Paris ?

LE BADINAGE.

Où donc est-il ?

L’OFFICIER.

Il est... il est tout où je suis.

LE BADINAGE.

L’hyperbole est un peu hardie ;

On vous prendrait à ce jargon,

Pour un Capitaine Gascon.

L’OFFICIER.

Je parle pour tous mes confrères.

Je crois pouvoir avancer sans fadeur,

Que pour l’agrément des manières,

Tout autre corps nous est inférieur.

Qui peut vous tenir en balance ?

LE BADINAGE.

Les trois quarts de l’État. Eh ! durant mon absence,

Que feraient les Abbés, la Robe, la Finance ?

Que ferait pendant ce temps-là

La Comédie et l’Opéra ?

L’OFFICIER.

Le plaisant soin qui vous travaille !

D’abord ce dernier nous suivra.

Quant au reste, ici l’on laissera,

Toute la pédantaille,

Et vous gagnerez à cela.

LE BADINAGE.

Non. J’y perdrais. Sans risque à leurs dépens je raille.

Il n’en est pas, Monsieur, de même des combats.

La guerre est sérieuse ; on ne badine pas

Avec le canon et la bombe ;

Sous leurs coups le plus fort succombe.

Un éclat vous emporte ou la tête ou le bras.

Cela n’est pas plaisant. Je ne suis point vos pas.

L’OFFICIER.

Mais vous garderez le bagage.

LE BADINAGE.

C’est trop d’honneur. Le Dieu du Badinage

N’est pas fait pour grossir le nombre des Goujats.

L’OFFICIER.

D’un tel refus vous me cachez la cause.

De grâce à ce départ dites-moi qui s’oppose ?

 

 

Scène V

 

LE BADINAGE, L’OFFICIER, UN AUTEUR

 

L’AUTEUR.

Moi, Monsieur, moi, qui viens pour l’arrêter.

Quand je reste à Paris, il ne peut le quitter.

Je mérite moi seul de fixer son génie.

LE BADINAGE.

Qui donc êtes-vous, je vous prie ?

L’AUTEUR.

Un nouveau Phénomène, un prodige du temps,

Dont l’art rassemble, et dont l’esprit allie

Tous les contraires différents ;

Qui joint le badinage à la philosophie,

L’enjouement aux leçons, les grâces au bon sens,

Le jugement à la saillie ;

Un Auteur du bel air, un Poète bien mis,

Qui représente en beau le corps des beaux esprits ;

Un Gascon à son aise, en dépit de l’envie,

Qui s’est défait de l’accent du pays,

Et n’en a conservé rien que la modestie.

LE BADINAGE.

Il y paraît fort au portrait

Que Monsieur nous fait de lui-même.

J’aurais tort de douter, après un pareil trait,

De cette modestie extrême.

L’AUTEUR.

Elle égale pour vous mon inclination,

Et je viens vous offrir ma maison et ma table.

L’OFFICIER.

La table d’un Auteur, et d’un Auteur Gascon !

Seigneur, je crains pour vous une indigestion.

L’AUTEUR.

Plaisanterie usée, et fort peu raisonnable.

LE BADINAGE.

On ne vous fera pas un reproche semblable,

Votre offre est toute neuve.

L’AUTEUR.

Elle est fort de saison.

Quand je jouis d’un bien considérable,

Qui m’est venu d’une succession.

Vous en riez tous deux, mais je me donne au diable,

Le fait est vrai, s’if n’est pas vraisemblable,

Et je viens d’hériter de deux cens mille francs.

Quoiqu’il en soit, j’en fais un usage agréable.

Un de mes plaisirs les plus grands,

Est de les dépenser en des soupers galants.

Précisément ce soir j’en donne un très aimable.

D’autant plus qu’il sera secret, et sans façon.

Que la troupe choisie en est des moins nombreuses,

Nous ne sommes que six, trois Auteurs de renom,

Et sans quelques Dames joyeuses,

Comme il n’est point de repas qui soit bon,

Entre-nous j’ai prié de ce repas mignon...

LE BADINAGE.

Qui donc, Monsieur ?

L’AUTEUR.

Trois Actrices brillantes ;

D’introducteur faisant la fonction,

Vous conduirez chez moi leurs personnes charmantes,

À petit bruit.

LE BADINAGE.

Noble commission !

L’AUTEUR.

Mais vous marchez toujours de compagnie.

Vous ne pouvez, Badinage fripon,

Vous dispenser d’être de la partie.

Après ces Reines-là, l’on attend votre nom.

LE BADINAGE.

Tous vous méprenez.

L’AUTEUR.

Quoi ! vous n’êtes pas... là...

LE BADINAGE.

Non.

Je ne suis pas ce Badinage, enfant de la licence.

L’OFFICIER.

Je l’avouerai, trompé par l’apparence,

J’étais comme lui dans l’erreur.

Je vous croyais fils unique, Seigneur.

LE BADINAGE.

Je pardonne à votre ignorance,

Et le cas n’est pas surprenant.

Tous vos pareils ont en partage

Le véritable Badinage

Sans le connaître bien souvent.

L’OFFICIER.

Nous en plaisons plus sûrement.

L’AUTEUR, à l’Officier.

Moi, j’ai sur vous cet avantage,

Que je connais ce Dieu charmant ;

Et le possède également.

LE BADINAGE.

Votre méprise qui m’offense

Ne prouve pas, dans ce moment,

Que je sois fort de votre connaissance.

L’AUTEUR.

C’était pour m’égayer, tout ce que j’en ai dit.

Qui mieux que moi peut savoir qui vous êtes ?

Le Badinage de l’esprit

Est le Dieu des Gascons et celui des Poètes.

Tout vous forcer d’en convenir,

Seigneur, je vais vous définir.

Vous êtes en vers, comme en prose,

À saisir votre goût, et l’analyser bien,

Vous êtes l’art d’amuser sur un rien,

Et de prendre en passant la fleur de chaque chose,

C’est justement ce qui compose

L’essence du rimeur, et l’esprit du Gascon.

L’un voltige en abeille, et l’autre en Papillon.

Votre espèce et la leur sont de même nature.

Cet avantage m’est commun,

Et de-là j’ai lieu de conclure,

Que vous et moi ne saisons qu’un.

Monsieur doit vous céder.

L’OFFICIER, au Badinage.

Qui ? moi, que je vous cède.

Je crois sur vous avoir trop de crédit ;

Mon droit...

LE BADINAGE.

Est bon, sans contredit.

Il n’a pas besoin que l’on plaide.

L’Auteur me définit, l’Officier me possède,

Et l’agrément chez moi remporte sur l’esprit.

L’AUTEUR.

Morbleu, vous vous moquez. N’ai-je pas l’un et l’autre,

Moi, de qui le génie est si conforme au vôtre ?

LE BADINAGE.

Nous sommes très distincts, quoique Monsieur ait dit.

L’AUTEUR.

Mais les grâces, le goût et la délicatesse,

La légèreté, la finesse,

L’ironie agréable, et les traits délicats,

Les tours heureux, la fine raillerie.

Et la bonne plaisanterie

Qui font votre cortège, accompagnent mes pas.

LE BADINAGE.

Oui, quand vous écrivez, cette troupe choisie,

Dans votre cabinet guide votre génie,

Et le remplit de sa vivacité ;

Mais dans le monde elle vous quitte ?

Vous y paraissez transplanté.

Alors jusqu’à l’esprit tout prend chez vous la fuite,

L’amour propre, Monsieur, avec l’entêtement,

Est le seul qui vous suit partout fidèlement.

L’OFFICIER.

À dire vrai, ce qui m’étonne,

De ces Auteurs fameux qu’admire tout Paris,

Je n’aperçois dans leur personne

Nuls de ces agréments qui parent leurs écrits,

Brillants dans un ouvrage, et sots en compagnie,

Leur lecture ravit, et leur présence ennuie,

Ils ont l’âme occupée, et l’air tout désœuvré.

L’expression ornée, et l’habit déchiré.

L’AUTEUR.

Des beaux esprits du temps, parlés mieux, je vous prie.

Vous êtes tous encore dans le vieux préjugé ;

Vous nous croyez pédants, malpropres, sans manières,

Et pétris d’une pâte à nous particulière.

Tels que sur le Théâtre en un tableau chargé,

Nous a peint tant de fois plus d’un malin confrère.

Je prétends dissiper une erreur si grossière,

Et je viens en ces lieux dire au public, tout haut,

Que la malpropreté n’est plus notre défaut,

Et qu’on nous voit partout paraître avec décence.

Oui, Messieurs, aujourd’hui l’on nous fait une offense ;

Vous êtes vous-même abusés

Par des Auteurs jaloux et subalternes,

Pont la main infidèle et les crayons usés

Défigurent le corps des Poètes modernes

Sous les ridicules couleurs

Et les bizarres traits de leurs prédécesseurs.

Si par hasard trois dans la multitude,

Ont d’être en linge sale encore l’habitude,

C’est un trio d’Auteurs du temps passé.

Il ne fait point exemple et doit être cassé.

Présentement pour les faire connaître,

Si sur la scène on met des beaux esprits,

Qu’on les y mette donc tels qu’on les voit paraître,

Polis dans leurs façons, galants dans leurs habits,

Rompus dans le grand monde autant qu’on puisse l’être,

Copiant le Seigneur, faisant le petit maître.

Le Parnasse leur offre assez d’originaux.

De tels portraits seront d’autant plus beaux.

S’ils sont touchés par une main de maître,

Qu’ils paraîtront ressemblants et nouveaux.

Je serais si charmé d’en voir un bien fidèle,

Que sans aller plus loin je m’offre pour modèle.

Je me livre en spectacle avec tous mes défauts,

Qu’on ne me tire point à faux,

Et je jure d’honneur, en pleine Comédie

Moi-même de venir applaudir ma copie.

LE BADINAGE.

Vous n’applaudiriez pas le portrait, à coup sûr,

S’il était fait d’après nature ;

Le coloris vous en paraîtrait dur.

L’OFFICIER.

Oui, Monsieur, c’est en vain qu’ornant votre figure.

Vous affectez, sous un dehors trompeur,

La politesse de Seigneur.

Vous portez certain air qui trahit l’imposture ;

Et malgré tout l’espoir qui flatte votre erreur,

On voit toujours percer à travers la parure,

La mine du Poète, et le coin de l’Auteur.

L’AUTEUR.

Nous avons tes bons airs, en dépit de Monsieur.

La politesse en moi paraît si naturelle,

Que l’on m’a pris tantôt à mes façons,

Pour un Colonel de Dragons.

L’OFFICIER.

Qui vous a fait, Monsieur, cette injure mortelle ?

L’AUTEUR.

Quelqu’un qui s’y connaît.

LE BADINAGE.

C’est, sans être indiscret ?

L’AUTEUR.

Un illustre du temps, un Poète femelle.

L’OFFICIER.

À cette autorité je me rends tout-à-fait.

L’AUTEUR.

Ne croyez pas railler. Notre figure est telle,

Qu’une femme de Cour s’y tromperait comme elle.

Oui, Monsieur l’Officier, qui vous moquez de nous,

Nous vous le disputons en fait de politesse ;

Nous en avons, morbleu, d’une plus fine espèce,

Et je dois remporter la victoire sur vous.

La vôtre est mécanique, et n’est qu’une attitude

Ou votre corps s’est façonné.

La nôtre, raisonnée, est un fruit de l’étude,

Et fille de l’esprit orné.

Si vous êtes polis, c’est par simple habitude,

Sans nul principe, et comme par hasard ;

Mais nous le sommes, nous, par raison et par art.

LE BADINAGE, bas à l’Officier.

Leur politesse méthodique

Est dans la théorie, et non dans la pratique.

L’AUTEUR.

Sur notre démêlé présent

Que le Badinage décide,

Il est fait pour juger d’un pareil différend.

L’OFFICIER.

Volontiers.

LE BADINAGE.

Je vais donc... Mais quelle aimable enfant

Forte vers nous sa démarche timide ?

 

 

Scène VI

 

LE BADINAGE, L’OFFICIER, L’AUTEUR, ANGÉLIQUE

 

LE BADINAGE.

Approchez-vous, objet charmant.

ANGÉLIQUE.

Ah ! Vous êtes en compagnie.

Je n’ose...

LE BADINAGE.

Venez, et n’appréhendez rien.

L’OFFICIER.

Craint-on de se montrer quand on est si jolie ?

L’AUTEUR.

Accordez-nous, mignonne, un moment d’entretien.

ANGÉLIQUE, d’un air froid.

Je ne puis.

L’OFFICIER.

Instamment c’est moi qui vous en prie.

Demeurez.

ANGÉLIQUE.

Je le voudrais bien.

Mais...

LE BADINAGE.

Mais expliquez-vous ; courage.

ANGÉLIQUE.

Mais je crains les causeurs.

Que diraient ces esprits railleurs

D’une personne de mon âge,

S’ils me voyaient seule avec deux Messieurs,

Ayant encor pour tiers le Badinage ?

LE BADINAGE.

Dissipez ces vaines frayeurs.

Le décorum ici préside,

Et l’on y craint plus qu’ailleurs

D’y choquer les regards du censeur trop rigide.

Apprenez qu’il n’est point d’endroit,

Tout révéré, tout auguste qu’il soit,

Où l’on se tienne avec plus de sagesse,

Qu’en ce lieu redoutable, où le moindre rien blesse.

ANGÉLIQUE.

Je reste donc.

LE BADINAGE.

Vers moi quel sujet vous conduit ?

ANGÉLIQUE.

C’est la vivacité qui fait mon caractère ;

J’aime à briller, et j’aime à plaire.

J’entre dans la saison, car j’ai douze ans passés ?

Je ris de rien, je suis follette ;

J’ai toujours eu du goût pour vous dès la bavette,

Aimable Badinage.

L’AUTEUR.

Hem ! C’est en dire assez.

ANGÉLIQUE, d’un air piqué.

Monsieur, j’entends ce badinage

Qui n’est que du ressort purement de l’esprit,

Dont peut parler la fille la plus sage,

Et dont jamais la pudeur ne rougit.

Ainsi, point d’équivoque, elle me fait outrage.

LE BADINAGE.

À l’extrême jeunesse elle joint la raison.

C’est un exemple à suivre.

À l’Auteur.

Voilà pour vous une leçon,

Et vous voyez l’effet de l’éducation.

Un enfant de quinze ans, Monsieur, vous montre à vivre.

À mieux interpréter un mot dit en passant,

Ce petit trait vous instruise.

Rire d’une équivoque est d’un mauvais plaisant.

Ce qui le plus excite ma surprise,

C’est qu’un Auteur moderne, et qui fait le galant,

Commette une telle sottise.

L’AUTEUR.

Le Badinage moralise !

LE BADINAGE,

Vos pareils semblent m’y forcer,

Sans compter que chez moi la morale est de mise,

Et que j’ai le secret de la faire passer.

À Angélique.

Pour vous, mon doux-objet, reprenez la parole.

S’il est vrai que pour moi vous ayez quelque amour,

Vous êtes bien payée aujourd’hui de retour.

ANGÉLIQUE.

Pour le mieux mériter, je viens à votre école.

Que j’apprenne de vous, Seigneur, dans ce moment,

L’art de badiner, joliment,

D’employer finement cette aimable ironie,

Dont le fat seul doit redouter les traits,

Et d’exercer dans une compagnie

Cette innocente raillerie

Qui réjouit sans offenser jamais,

Et qui se voit hautement applaudie,

Même de ceux qu’elle prend pour objets.

Puisque vous en êtes le maître,

Faites enfin, par votre appui,

Qu’en quelque lieu où je puisse être,

Je sois sûre de plaire, et de chasser l’ennui.

L’OFFICIER.

Eh ! Pour y réussir vous n’avez qu’à paraître.

Votre esprit, vos grâces, vos attraits,

Tout vous est garant du succès.

ANGÉLIQUE, à part.

Qu’il est galant !

L’AUTEUR.

Oui, oui, sans flatterie

Vous avez de l’esprit, et vous êtes jolie.

ANGÉLIQUE, à part.

Ah ! Qu’il est fat !

Au Badinage.

Sans de plus longs délais,

Découvrez-moi tous vos secrets.

LE BADINAGE.

À vos désirs il faut se rendre.

Puisque vous le voulez, je vais sans plus attendre,

Vous dévoiler ici ce que vous demandez,

Et que, sans le savoir, vous même possédez.

Trois choses font que je plais et je brille.

Le ton qu’on prend, le temps que l’on choisit,

Et la façon donc on m’habille.

Voilà tout l’art qui me met en crédit.

Par exemple, à la Comédie,

Le trait le plus brillant, si l’Acteur ne l’appuie,

Et si par le ton juste il n’en rend la beauté,

Tombe en naissant, et n’est point écouté.

C’est le débit surtout qui me donne la vie ;

S’il prend encore son temps mal-à-propos,

Quand le spectacle est agité de flots,

Et qu’on se mouche en chœur, que l’on crache, qu’on crie,

Il s’époumone en vain, il n’est point de saillie,

Il n’est point alors de bons mots,

Dont le Théâtre, ou le Parterre rie.

Du moment bien saisi je dépens en partie.

Mais ce n’est point allez. C’est en vain par l’Acteur,

Que le ton est bien pris, et l’heure bien choisie,

S’il n’est fécondé par l’Auteur,

Et si l’expression élégante et polie,

Ne couvre heureusement chaque plaisanterie.

On aime à deviner dans ce siècle d’esprit.

Que je paroisse à nu, le Public se récrie ;

Qu’on me voile avec art, alors il applaudit,

Et me fait grâce en faveur de l’habit.

J’ai le même sort dans le monde :

Le choix du temps, des mots, la grâce du débit

M’y font goûter, sans quoi chacun m’y fronde.

ANGÉLIQUE.

Ah ! si j’avais ces talents à la fois,

Je serais trop...

L’AUTEUR, l’interrompant.

Moi, je les ai tous trois

Je parle bien, à propos, avec grâce.

Au Badinage.

Ainsi, sans vanité, je crois,

Entre vos favoris mériter une place.

L’OFFICIER.

Par ce même discours vous en êtes exclu.

Il pèche par l’habit ; chaque terme trop nu

Fait voir à découvert l’orgueil qui vous talonne.

Il vient mal-à propos, car, sans aucun égard,

Il interrompt cette aimable personne ;

Le dépit n’en vaut rien, puisqu’à parler sans fard,

Vous avez pris un ton de confiance,

Qui séduit l’Auditeur bien moins qu’il ne l’offense.

LE BADINAGE.

Hem ! Qu’avez-vous-à répondre à cela,

Monsieur le bel esprit, pour vous si plein d’estime ?

Ces Messieurs les Officiers-là

Tirent à bout portant, sans respect pour la rime.

L’OFFICIER.

À ce tendron rempli d’appas,

Je passerais encore cette saillie.

ANGÉLIQUE.

Moi, je ne me la passerais pas,

Elle serait mal établie.

LE BADINAGE.

C’est l’ordinaire de la vie,

L’objet que j’ai comblé de mes faveurs,

D’en douter a la modestie,

Celui pour qui je n’ai que des rigueurs ;

Croit seul peut posséder mon génie.

À Angélique.

Je veux faire briller les talents séducteurs

Dont en naissant mes mains vous ont ornée

Voici l’occasion. Une dispute est née

Entre ces deux Messieurs sur l’air de leur état,

Chacun d’eux veut avoir la fine politesse,

Ils m’ont pris pour vider un point délicat,

Soyez pour moi Juge de leur débat.

ANGÉLIQUE.

Moi ? J’ai trop peu de goût et de finesse,

Et mon âge...

LE BADINAGE.

L’esprit supplée à la jeunesse,

Tous deux applaudiront.

L’OFFICIER et L’AUTEUR.

Incontestablement.

LE BADINAGE

Ce choix doit faire honneur à mon discernement.

Et sur un fait de cet espèce,

On sait que le beau sexe est juge compétent.

ANGÉLIQUE.

Puisqu’il faut là-dessus dire ce que je pense,

Voici quel est mon sentiment.

L’Officier...

L’AUTEUR, l’interrompant.

Écoutons. Paix-là, Monsieur, silence.

ANGÉLIQUE reprend.

L’Officier naturellement,

Est galant et poli, sans vouloir le paraître.

L’Auteur qui s’étudie à l’être,

Y réussit plus difficilement ;

L’un embellit le petit Maître,

Et l’autre gâte l’Important ;

LE BADINAGE.

Fort bien. Je n’aurais pu décider autrement.

L’OFFICIER.

Il gâte l’Important ! J’ai pourtant gain de cause.

Une bouche charmante a décidé la chose ;

Quel comble de plaisir ! C’est gagner doublement.

L’AUTEUR.

Décision de jeune fille,

Qui se laisse éblouir par l’oripeau qui brille,

Et j’appelle au Bon goût d’un pareil jugement.

ANGÉLIQUE, avec vivacité.

Je n’ai porté qu’en badinant,

L’Arrêt qui vous met en colère,

Et je n’écoute qu’en riant,

La réponse, Monsieur, que vous venez de faire.

Pester contre son Juge est un soulagement,

Qu’on permet au Plaideur quand il perd son affaire ;

Et quoique vous disiez, tout m’est indifférent,

Vous n’aurez jamais le talent, 

De m’offenser ni de me plaire.

Au Badinage gracieusement.

Adieu, Seigneur, je cours dans ces instants

Mettre à profit tous vos présents,

Et pratiquer la science légère

D’épuiser les riens amusants.

En tirade.

Je vais effleurer tout dans les cercles brillants,

Traiter la Paix, faire la Guerre,

Attaquer l’ennemi, le prendre prisonnier,

Faire éclater tout haut ma douleur peu commune,

Pour le départ de l’Officier ; 

Et maudire tout bas la présence importune,

Du jeune Robin familier,

En regardant l’Auteur.

Qui dispute à Monsieur, l’art de nous ennuyer 

Et pour me dissiper dans cette conjoncture, 

Railler Monsieur l’Abbé., badiner sa figure,

Le consulter sur des pompons ;

Et l’ayant établi juge de ma coiffure,

Faire imprimer dans le Mercure,

Ses Arrêts de toilette, et ses doutes profonds.

LE BADINAGE.

Adieu, ma belle enfant, votre esprit fait paraître

Trop de talent pour ne pas l’employer,

Continuez, et votre maître

Sera bientôt votre Écolier.

Angélique sort.

 

 

Scène VII

 

LE BADINAGE, L’OFFICIER, L’AUTEUR

 

L’OFFICIER, au Badinage.

Moi, je pars, et je vais prendre congé des Dames ;

Elles sont à plaindre en ce jour,

Je vous les recommande. Attendant mon retour,

Pour amuser ces pauvres femmes,

Par votre art, s’il se peut, rendez l’Abbé moins sot,

Façonnez tous les gens de Palais et d’affaire,

Ne perdez pas de temps, il vous est nécessaire ;

Il vous faudra donner bien des coups de rabot.

Je tétai revenu, je gage,

Que vous n’aurez pas fait un quart de votre ouvrage.

Adieu, j’entends déjà les instruments Guerriers,

Animer du Français la valeur naturelle,

Je cours où la gloire m’appelle,

Et je vais sur ses pas me couvrir de lauriers.

LE BADINAGE.

Partez, vaillant Guerrier, suivez un si beau zèle ;

Hâtez votre départ pour bâter le retour :

Revenez plus brillant embellir notre cour ;

Revenez pour nous rendre une gaieté nouvelle,

Et pour vous délasser en cet heureux séjour,

Des fatigues de Mars dans les bras de l’amour :

Après la peine, après le péril redoutable,

Vous trouverez auprès de nous,

Le Badinage le plus aimable,

Le plaisir plus piquant et le repos plus doux.

 

 

Scène VIII

 

LE BADINAGE, L’AUTEUR

 

L’AUTEUR.

Pour moi la Paix est mon partage ;

Et quoique je demeure en ce lieu fortuné,

Ne comptez plus sur notre hommage,

Je le destine à votre frère aîné ;

Et je cours de ce pas, mon petit Badinage,

Lui donner sur vous l’avantage,

Il aura seul tout mon encens.

Je vais dans tout Paris par un sanglant ouvrage,

Vous décrier en même temps,

Je veux que dans trois jours il soit seul à la mode.

Je le peindrai sous des traits séduisants,

Comme un Dieu sans façon, agréable, commode,

Père du bien facile et du plaisir réel,

Digne que l’Univers encense son autel ;

Et rendant vos défauts insignes,

Je vous offrirai, vous, sous des couleurs malignes,

Comme un Dieu mince et freluquet ;

Un petit précieux que le caprice guide,

Qui veut faire l’habile, et n’a que du caquet :

Tout parle contre vous, et pour lui tout décide ;

Vous visez au frivole, il ya droit au solide ;

Vous êtes l’ombre, il est le corps,

Le bonheur qu’il procure est un bonheur palpable,

Vos faveurs sont du vent, et n’ont qu’un vain dehors,

Il est la vérité, vous n’êtes que la Fable.

LE BADINAGE.

Signalez vos talents par des projets si beaux,

Vous ne pouviez choisir un plus digne héros.

Partez, allez chanter le vice,

La honte et le remord en seront le seul prix.

Ils puniront votre injustice,

Et auront me venger d’une indigne mépris.

L’AUTEUR.

D’un chimérique Dieu menace imaginaire !

Adieu. Tu vas sentit les traits de ma colère,

C’est peu d’aller de maison en maison,

Verser sur toi mon dangereux poison,

Je vais dans les Cafés, je vais centre ta cause,

Armer tous les partis divers,

Et je cours, sans faire de pause,

Au Faubourg Saint Germain te dénigrer en prose,

Au-delà du Pont-Neuf te déchirer en vers,

Auprès des Quinze-Vingts te fronder en musique,

Et chanter contre toi plus d’un couplet caustique,

Attaquer ta puissance, et combattre ton bout,

Sur la Scène Française, au Théâtre lyrique ;

Et je veux que pressé de l’un à l’autre bout,

Tu doutes où je suis, et me trouves partout.

 

 

Scène IX

 

LE BADINAGE, LE PARTERRE

 

LE PARTERRE, à part.

Peste de la Musique ! au diable le Poème !

Payer quarante sols un mal de tête extrême !

LE BADINAGE.

Quel est donc celui que je vois ?

Son aspect m’intimide, et je sens de l’effroi !

LE PARTERRE, à part.

Je suis encore ému des flots et de l’orage,

Que je viens d’exciter dans mon juste courroux.

Je cherche ici...

LE BADINAGE.

Qui, Monsieur ?

LE PARTERRE.

Vous.

N’êtes-vous pas le Badinage ?

LE BADINAGE.

Oui, c’est-moi.

LE PARTERRE.

Touchez-là. Car je viens vous trouver,

Pour dissiper l’ennui qu’on m’a fait éprouver.

Déjà votre air fripon déride mon virage.

LE BADINAGE.

Dites-moi quelles sont vos qualités, Monsieur ?

LE PARTERRE.

Toutes. Je suis Robin, je suis Auteur,

Je suis Abbé, je suis homme d’Affaire,

Je suis Musicien, et je suis Médecin,

Je suis Marchand, et je suis Mousquetaire,

Je suis Normand, Gascon... bref je suis tout Enfin.

En ma personne je rassemble.

Tous les États et les Pays ensemble.

Je décide debout ; mais souverainement,

Et l’en ne m’ennuya jamais impunément.

Ici je suis sur tout un Juge qu’on redoute.

Reconnaissez...

LE BADINAGE.

Qui ? Terminez mon doute.

LE PARTERRE, en bâillant.

Reconnaissez à ce bâillement là,

Le Parterre qui sort du nouvel Opéra.

LE BADINAGE.

Vous êtes le Parterre ! Ah ! mon Roi, mon cher Maître !

Réuni dans un seul, comment vous reconnaître ?

Pardonnez mon erreur, et daignez être assis.

LE PARTERRE.

Non, ce n’est pas ma coutume.

LE BADINAGE.

Tant pis.

LE PARTERRE.

Je ne le fus jamais depuis qu’on m’a vu naître.

LE BADINAGE.

Pourtant si vous le pouviez être,

Vous seriez plus à l’aise, et nous, Seigneur, aussi.

LE PARTERRE.

Vous avez peur ?

LE BADINAGE.

On voit trembler le plus hardi

Quand il est devant vous obligé de paraître.

LE PARTERRE.

Vous êtes fait pour plaire, ainsi ne craignez rien.

LE BADINAGE.

Vous venez de voir Hypolite ?

Seigneur, que votre esprit daigne éclairer le mien,

Quels sont vos sentiments ?

LE PARTERRE.

Je ne le sais pas bien ;

J’en ai plusieurs, et tels qu’il les mérite,

Tous justes dans le fond ; mais qui ne sont pas clairs.

Il m’en inspire de divers ;

D’ennui, de haine, de colère,

De mépris, de tristesse, et de compassion,

Je ressens tout chez moi, hors l’admiration.

Dans tous mes jugements, à moi même contraire,

J’en porte autant dans ma confusion,

Que sous un seul bonnet je rassemble de têtes ;

Et leur nuage obscur excite des tempêtes,

Causes dans mon cerveau tant de flux et reflux,

Qu’ils se confondent tous, et que je n’y vois plus.

LE BADINAGE.

Dans ce conflit, aux Auteurs si terrible,

Je vous trouve, Seigneur, presqu’incompréhensible.

LE PARTERRE.

Mais la nuit se dissipe, et je vois le Soleil,

Il est temps par ma voix que la vérité forte ;

Je viens d’assembler mon Conseil,

Sur un ouvrage de la sorte.

Voici tous les Arrêts qu’il porte.

LE BADINAGE.

Qu’il va partir d’orages foudroyants !

Et de jugements différents.

LE PARTERRE, en Musicien.

Je rends justice à la Musique.

Elle est bien travaillée, elle a de grands morceaux.

Les accompagnements et les cœurs en sont beaux.

Mais par malheur elle est mélancolique,

Fatigue trop l’Orchestre, et dans le même temps

Qu’il paraît qu’elle pique

Quinze ou vingt prétendus savants,

Elle ennuie à mourir plus de mille ignorants.

Les airs d’ailleurs, nouveaux dans leur espèce,

Sont plus tartares que français ;

On leur fait ici politesse,

Comme à des gens qu’on voit pour la première fois.

LE BADINAGE.

C’est le Musicien qui parle par sa bouche.

LE PARTERRE, en Auteur.

Pour le Poème, il m’effarouche.

On n’a jamais commis de tels larcins.

Piller effrontément, piller Phèdre, Avilie ;

C’est voler sur les grands chemins.

On lui prend tout encore jusqu’au nom d’Aricie ;

Mais que dis-je ? C’est peu dans ces temps inhumains,

C’est peu qu’on la dépouille, Ô ciel ! on l’estropie.

Un barbare, eh ! le puis-je autrement appeler ?

Lui brise chaque membre, et l’ose décoller,

Sans pitié, sans égards aux lois de l’harmonie,

Change les plus beaux vers en des vers visigots,

Et par un dernier trait de licence inouïe,

De tous les cœurs il fait des Matelots.

Et l’on ne venge point le bon sens qu’il désole,

Ce Théâtre qu’il pille, et Racine qu’il vole !

LE BADINAGE.

Ah ! Voilà du public Auteur,

Le ton caustique, et la mauvaise humeur.

LE PARTERRE, contrefaisant l’Abbé.

Sans m’échauffer les Sens, moi, je fais met remarques :

Je fronde les Enfers, et le Trio des Parques.

Outre que dans Isis ils sont pris tout du long,

Je ne saurais souffrir les hommes en jupon,

La mascarade est indécente et sotte ;

Passe pour mettre encore des femmes en culotte.

J’en trouve le coup d’œil amusant et fripon.

En tirant mon rabat, et braquant ma lorgnette,

J’ai le plaisir alors de juger du tendron,

Et de me récrier, qu’elle est bien en garçon !

Non, je ne vis jamais de jambe si bien faite,

Ni de corsage si mignon !

Ah ! je la croquerais, tant sa taille est parfaite !

Je n’y saurais tenir, son petit air mutin

Mérite qu’on la claque et reclaque soudain.

LE BADINAGE.

Oh ! C’est-là de l’Abbé le ton plein de mollesse.

Ce goût pour les tendrons nous marque sa faiblesse.

LE PARTERRE, en petit Maître.

Le Poème, en honneur, ne saurait se payer.

Entre plusieurs endroits dont je suis Chevalier,

Je trouve le retour de Thésée impayable,

Dans le moment qu’on dit à ce Héros

Qu’il est déshonoré par son fils trop coupable,

Une troupe de Matelots,

Qui dans sa Cour arrivent en bateaux,

Viennent lui témoigner leur joie inexprimable

Par des tambourins et des sauts.

On ne peut pas, ou je me donne au diable,

On ne peut pas choisir son temps plus à propos.

Le coq-à-l’âne est admirable !

LE BADINAGE

Voilà du petit Maître et l’air et les propos ;

LE PARTERRE, en Robin.

Le Poème en première instance

A perdu son Procès tout net.

De le mettre à néant on a sagement fait,

Et je confirme la Sentence.

En outre, non content du quart qu’on a soustrait,

Je condamne le tout par Arrêt authentique ;

Et j’enjoins sans délais au Théâtre lyrique,

De supprimer à cet effet,

Les paroles tout-à-fait,

Et ne chanter que la Musique.

LE BADINAGE.

On reconnaît la Robe à ce ton emphatique.

LE PARTERRE, en Gascon.

Pour moi, jé mé rends toujours-là,

Juste à la fin dé l’Opéra.

Pst, lé gaillard avec sa rédingote

Sé glisse comme un bent coulis.

J’arribe à temps et j’escamote

Lé Rossignol chanté par un gosier exquis

Abec les pas que si bien nous tricote

L’aimable danseuse qui saute

Presqu’aussi-bien qu’un homme du Pays.

J’enlèbe ainsi lé plus beau du spectacle,

Sans qu’il m’en coûte encore ni d’argent, ni d’ennui.

Hem ! ne troubez vous pas, où jé meure aujourd’hui,

Qué lé garçon fait à miracle,

Et qu’on né peut agir plus sagément que lui ?

LE BADINAGE.

On devine d’abord l’Auteur de cet oracle,

Et sans attendre ici que je nomme ici son nom,

Chacun dit avant moi, c’est le Public Gascon.

LE PARTERRE, en Commis subalterne.

Je sors fort mécontent de cette Comédie.

Tout supputé dans mon génie,

L’Opéra, ventrebleu, nous prend pour des zéros,

De nous tirer de nos Bureaux,

Pour nous donner semblable rapsodie.

J’ai la tête cassée, et l’oreille assourdie,

D’entendre sans raison tonner à tout propos ;

Et la Salle est empuantie,

Par l’odeur des pétards qu’allument des nigauds,

D’un bras fort mal-à-droit, dans les vilains naseaux

Du monstre que combat Aricie ;

Et que Corneille a peint si galamment,

Dans Alexandre, ou dans Iphigénie.

Je ne sais dans lequel des deux précisément.

J’en ai fait la lecture, étant petit enfant.

D’une peinture si jolie,

J’ai retenu ces deux vers seulement.

Son front large est armé d’écaillés jaunissantes ;

Tout son corps est couvert de cornes menaçantes.

LE BADINAGE.

Oh ! du plus rustre des Commis,

Qui soient dans les aides blottis.

Voilà les quiproquos, et l’ignorance crasse.

LE PARTERRE, contrefaisant l’Abbé.

J’oubliais le meilleur. Un petit mot de grâce.

Je reviens aux enfers. L’oracle qu’on y rend.

Me paraît d’un naïf frappant,

S’interrompant en Marchand.

Et digne de risée... Et digne de risée !

Songes, Monsieur l’Abbé, qu’il prédit à Thésée,

Qu’il va trouver l’Enfer chez lui.

Cette prédiction se trouve véritable ;

En y trouvant sa femme, il y trouve le diable.

Il rit en Abbé.

Cela sent la Boutique et son homme établi,

Hi, hi...

En Marchand, contrefaisant l’Abbé.

Hi, hi ! Pourquoi ricanez-vous ainsi ?

Vous trouveriez l’Oracle incontestable,

Si vous aviez une femme aujourd’hui.

En Abbé.

Monsieur le trafiquant, la vôtre est-elle aimable ?

En Gascon.

Abec tout lé respect qué jé dois au rabat,

Bous abez tort, Moussu l’Abbat,

Aux dépens du Marchand, dé faire l’agréable.

C’est dé tout l’Opéra l’endroit lé plus passable,

Cela fait Épigramme, ou jé né suis qu’un fat.

En Auteur.

Ciel ! Peut-on soutenir un Oracle exécrable ?

En petit Maître.

Monte l’Auteur, n’en soyez pas surpris,

Sans doute le Marchand fait crédit au Cousis.

En Commis.

Je n’en sais rien, Monsieur le petit Maître,

Je suis toujours de leur avis.

L’Oracle est aussi clair que trois et trois font six,

En Avocat.

C’est à moi de parler, que je fasse ma charge,

Place au barreau ; place, petit Commis,

En Gascon.

Mais, Moussu l’Abocat, bous m’écrasez, sandis.

Botre éloquence m’est à charge.

LE BADINAGE.

Tous parlent à la fois.

LE PARTERRE, en Avocat.

La Cour veut être au large.

En Gascon.

Ellé casse l’Oracle. Et jé lé rétablis.

En cohue.

J’attaque, je défens, je siffle, j’applaudis

Je proscris, je fais grâce,

Je m’obstine, je me dédis,

J’ajoute, je supprime. Et moi, je fais main-basse.

Il tousse, il crache, il se mouche. En fausset.

Paix, les moucheurs ; paix donc l’endroit est des plus beaux.

En basse taille.

Il en est des plus mauvais. Silence, les Courtauds.

LE BADINAGE.

Ah, Seigneur ! Quel chaos ! Et quel désordre extrême !

Qui fait naître chez vous ces contradictions ?

LE PARTERRE, d’un air calme.

Paix. Ce n’est rien. Je suis en prise avec moi-même :

Nous avons tous les jours ces altercations.

Je vais les apaiser sans tarder davantage.

Je n’ai fait éclater ce choc d’opinions,

Que pour faire briller avec plus d’avantage,

Mes dernières décisions ;

Tel que l’astre du jour, qui fait après l’orage,

Avec plus de splendeur, paraître ses rayons.

LE BADINAGE.

Le calme est revenu. Que dira-t-il ? Voyons.

LE PARTERRE, en Public indulgent.

Juge sans passion, indulgent sans faiblesse,

Au spectacle toujours je cherche le plaisir.

Je ne siffle jamais ni l’Acteur, ni la Pièce ;

Et si je fais du bruit, c’est pour les applaudir.

Toujours porté vers la clémence,

Je sais borner mon éloquence,

À saisir et louer les endroits les plus beaux,

Et ce n’est que par mon silence,

Que je critique les défauts.

On a remis Issé, ma joie en est extrême.

J’éprouve l’embarras charmant,

De ne savoir à tout moment,

Qui je dois approuver le plus, ou le Poème,

Ou la Musique, ou l’Actrice que j’aime.

LE BADINAGE.

Il ne siffle jamais la Pièce, ni l’Acteur !

Ah ! de tous les Publics c’est pour nous le meilleur.

La bonne pâte de Parterre !

Vers lui toujours mon goût me portera,

Et je m’en tiens à celui-là.

Pour nous prouver votre humeur débonnaire,

Faites, Seigneur, un accord avec nous ?

LE PARTERRE.

Et quel accord ?

LE BADINAGE.

Ayez pour cette Comédie,

Cette indulgence extrême, et cet esprit si doux,

Que vous ayez pour celle d’Italie.

Notre faiblesse égale leur besoin.

Et nous vous promettons de redoubler de soin,

Et de la surpasser en ardeur de vous plaire.

Le Badinage est Français comme vous :

Que cette gloire, et si grande, et si chère,

Vous porte, en dépit des jaloux,

À faire autant pour lui que pour une étrangère.

LE PARTERRE.

Pour vous je suis prêt à tout faire ;

Mais à condition que pendant ce temps-là,

Toujours le Badinage ici m’amusera.

LE BADINAGE.

La chose dépend...

LE PARTERRE.

De qui ?

LE BADINAGE.

Mais de votre présence.

Chaque fois qu’on l’affichera,

Venez le voir en affluence,

Et jamais il n’y manquera ;

Mais soyez bien exact à lui rendre visite,

Car si vous y manquez deux ou trois jours de suite,

Vous ne le verrez plus, crac, il disparaîtra.

LE PARTERRE.

J’y viendrai donc. Je me prête à l’absence.

Pour signe de paix maintenant,

Recevez cet embrasement.

Il embrasse le Badinage.

Mon frère qui dit bis, je pense,

Ne serait pas fâché d’en avoir fait autant,

À propos de ce frère, il est bon, et pour cause,

Qu’il donne les mains à la chose ;

Car je ne suis que son petit cadet ;

Il a sur nous un ascendant parfait ;

Ma volonté toujours est de faire la sienne.

Si vous voulez que la paix tienne,

Dites-lui qu’il air la bonté

D’approuver à présent lui-même le traité.

Il sort.

LE BADINAGE, au vrai Parterre.

Meilleurs du bon Public prenez le caractère.

Vous gagnerez vous-même à paraître indulgents.

En nous ôtant la crainte, aux Acteurs si contraire,

Vous augmenterez nos talents,

Et vos plaisirs en même temps.

Que notre état vous touche et vous engage

À souscrire ce soir à l’accord proposé ;

Vous plaire est pour nous tous un difficile ouvrage :

Nous excuser vous est aisé.

Faites donc grâce au Badinage ;

Qu’il obtienne votre suffrage.

Faire notre bonheur ne dépend que de vous.

D’un ton tragique.

Seigneur, dites un mot, et vous nous sauvez tous.

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