L'Avocat Patelin (David Augustin de BRUEYS - Jean DE PALAPRAT)

Comédie en 3 actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, par les Comédiens Français, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 4 juin 1706.

 

Personnages

 

PATELIN, Avocat

GUILLAUME, Drapier

VALÈRE, Fils de Guillaume et Amant d’Henriette

AGNELET, Berger de Guillaume, Amant de Colette

BARTHOLIN, Juge du Village

UN PAYSAN

DEUX RECORDS

MADAME PATELIN, Femme de l’Avocat

HENRIETTE, Fille de Patelin

COLETTE, Servante de Patelin et fiancée à Agnelet

 

La scène est dans un village près de Paris.

 

 

PRÉFACE DE L’AUTEUR

 

J’ai tiré le sujet de cette Comédie d’une ancienne Pièce Comique, intitulée : Les Tromperies, Finesses et Subtilités de Me Pierre Patelin., Avocat à Paris, imprimée à Rouen, chez Jacques Cailloüé en 1656, sur la copie de l’an 1560.

Voici ce que dit de cette Pièce Monsieur Pasquier dans ses Recherches de la France, ch. 55, liv. 7. « Ne vous souvient-il point de la réponse que fit Virgile à ceux qui lui improperaient l’étude qu’il employait en la lecture d’Ennius, quand il leur dit, qu’en ce sa faisant, il avait appris à tirer l’or d’un fumier? Le semblable m’est arrivé naguères aux champs, où étant destitué de compagnie, j’ai trouvé, sans y penser, la farce de Me Pierre Patelin, que je lus et relus avec tel contentement, que j’oppose maintenant cet échantillon à toutes les Comédies Grecques, Latines et Italiennes. » Puis, après avoir donné le sujet de cette Pièce, et en avoir rapporté quelques-uns des meilleurs endroits, il continue ainsi : « Ne pensez pas que, par une opinion particulière, je soie le seul auquel ait plu ce petit Ouvrage : car au contraire, nos ancêtres trouvèrent ce Me Pierre Patelin avoir si bien représenté le personnage pour lequel il était introduit, qu’ils mirent en usage ce mot Patelin, pour signifier celui qui par beaux semblants enjôlait ; et de lui firent un Patelineur et Patelinage pour même sujet. Et quand il advient qu’en communs devis quelqu’un extravague de son premier propos, celui qui le veut remettre sur ses premières brisées, lui dit : revenez à vos moutons, et autres proverbes que nous avons puisés de la fontaine de Patelin.

« Davantage, (dit-il dans le même chapitre) je recueille quelques anciennetés, qui ne doivent pas être négligées ; car quand vous voyez le Drapier vendre ses six aulnes de drap neuf francs, et qu’à l’instant même il dit que ce font six écus, il faut nécessairement conclure qu’en ce temps-là l’écu ne valait que trente sols. Mais comme accorderons-nous les passages, en ce que, en tous les endroits où il est parlé du prix de chaque aulne, il n’est parlé que de vingt-quatre sols, qui n’est pas somme suffisante pour faire revenir les six aulnes à neuf francs, ains à sept livres quatre sols seulement ? C’est encore une autre ancienneté digne d’être considérée, qui nous enseigne qu’en la Ville de Paris, où cette farce fut faite, et par aventure représentée sur l’échafaud, quand on parlait du sol simplement, on l’entendait paris, quinze deniers tournois, (car ainsi était-il de notre Ville de Paris), et à tant que les vingt-quatre sols faisaient les trente sols tournois. »

L’estime que Monsieur Pasquier fait de cette Comédie, est-ce qui me l’a fait faire, ou, pour mieux dire, ce qui me l’a fait travailler, et mettre dans le langage d’aujourd’hui. Je pesais pas cependant tout-à-fait de l’avis de Monsieur Pasquier ; mais il est vrai que cette Pièce est un fumier, dont on peut tirer de l’or : je ne fais pas si je l’ai fait, mais je fais bien que je me suis extrêmement diverti en y travaillant. J’en ai conservé, autant que j’ai pu, les jeux de Théâtre que j’y ai trouvés, en les intéressant dans une seule action qu’il m’a fallu inventer, afin de garder à peu près les règles qu’on observe aujourd’hui, et qu’on ne connaissait guères en France, au temps où cette Pièce fut faite, ce qui m’a obligé d’y ajouter les Personnages de Valère, d’Henriette et de Colette, d’en changer entièrement l’économie et le dénouement.

Cette Comédie avait été faite en l’année 1700, pour être représentée devant le Roi, par les principaux Seigneurs de la Cour, dans l’appartement de Madame de Maintenon ; mais la guerre qui survint à l’occasion de la mort du Roi d’Espagne, en empêcha l’exécution, et six ans après elle fut jouée sur le Théâtre Français sans Prologue et sans Intermèdes, par les soins de Monsieur Palaprat comme les autres Pièces de Théâtre que j’avais composées en différents temps.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

MONSIEUR PATELIN, seul

 

Cela est résolu ; il saut, aujourd’hui même, quoique je n’aie pas le sol, que je me donne un habit neuf. Ma foi, on a raison de le dire ; il vaudrait autant être ladre que d’être pauvre. Qui diantre, à me voir ainsi habillé, me prendrait pour un Avocat ? Ne dirait-on pas plutôt que je serais le Magister de ce Bourg ? Depuis quinze jours j’ai quitté le village où je demeurais pour venir m’établir en celui-ci, croyant d’y faire mieux mes affaires ; elles vont de mal en pis. J’ai de ce côté-là, pour voisin, mon compère le Juge du lieu ; pas un pauvre petit procès. De cet autre côté, un riche Marchand Drapier ; pas de quoi m’acheter un méchant habit. Ah ! Pauvre Patelin ! Pauvre Patelin ! Comment feras-tu pour contenter ta femme, qui veut absolument que tu maries ta fille ? Qui diantre voudra d’elle en te voyant ainsi déguenillé ? Il te faut bien par force avoir recours à l’industrie... Oui, tâchons adroitement à nous procurer à crédit un bon habit de drap dans la boutique de Monsieur Guillaume, notre voisin. Si je puis une fois me donner l’extérieur d’un homme riche, tel qui refuse ma fille...

 

 

Scène II

 

COLETTE, MADAME PATELIN, MONSIEUR PATELIN, à part

 

MONSIEUR PATELIN.

Mais voilà ma femme et sa servante qui causent ensemble sur ma friperie. Écoutons sans nous montrer.

Il se met derrière elles.

MADAME PATELIN.

Oh ! çà, Colette ; je n’ai point voulu te parler au logis de peur que mon gueux de mari ne nous écoutât.

MONSIEUR PALETIN, à part.

L’y voilà...

MADAME PALETIN.

Je veux que tu me dises absolument où ma fille peut avoir de quoi aller aussi propre qu’elle va.

COLETTE.

Eh ! c’est Madame, que Monsieur votre époux lui donne...

MADAME PATELIN.

Mon époux ! il n’a pas de quoi se vêtir lui-même.

MONSIEUR PATELIN, à part.

Il est vrai.

MADAME PATELIN.

Je te chasserai, et tu ne te marieras point avec Agnelet ton fiancé, si tu ne me dis la chose comme elle est.

COLETTE.

Peste ! Madame, il faut vous le dire. Valère, le fils unique de Monsieur Guillaume, ce riche Marchand Drapier qui demeure là, est amoureux de Mademoiselle Henriette, et il lui fait des présents de temps en temps.

MONSIEUR PATELIN, à part.

Ma fille puise dans la boutique où j’ai dessein d’aller.

MADAME PATELIN.

Mais où prend Valère de quoi faire ses présents ? son père est un riche brutal qui ne lui donne rien.

COLETTE.

Oh ! Madame, quand les pères ne donnent rien aux enfants, les enfants les volent ; cela est dans l’ordre, et Valère fait comme les autres.

MADAME PATELIN.

Eh ! que ne fait-il demander ma fille en mariage ?

COLETTE.

Il l’aurait fait aussi ; mais il craint que son père n’y veuille pas consentir, à cause, ne vous déplaise, que notre Monsieur va toujours mal vêtu. Cela fait mal juger de ses affaires.

MONSIEUR PATELIN, à part.

C’est à quoi je vais donner ordre.

MADAME PATELIN.

J’entends quelqu’un, retire-toi.

 

 

Scène III

 

MADAME PATELIN, MONSIEUR PATELIN

 

MADAME PATELIN.

Ah ! te voilà ?

MONSIEUR PATELIN.

Oui.

MADAME PATELIN.

Comme te voilà vêtu !

MONSIEUR PATELIN.

C’est que... je – je ne suis pas glorieux.

MADAME PATELIN.

C’est que tu es un gueux ; et je viens d’apprendre que ta gueuserie rebute tous les partis qui se présentent pour notre fille.

MONSIEUR PATELIN.

Vous avez raison. – Le monde juge des gens par les habits : j’avoue que ceux que je porte font tort à Henriette ; et j’ai fait dessein de me mettre aujourd’hui un peu proprement.

MADAME PATELIN.

Toi proprement ! et avec quoi ?

MONSIEUR PATELIN.

Ne t’en mets point en peine. Adieu.

MADAME PATELIN.

Et où allez-vous, s’il vous plaît ?

MONSIEUR PATELIN.

Je vais m’acheter un habit de drap.

MADAME PATELIN.

Sans avoir un sou, acheter un habit ?

MONSIEUR PATELIN.

Oui. De quelle couleur me conseilles-tu de le prendre ? gris de fer, ou gris de maure ?

MADAME PATELIN.

Eh, prends-le comme tu pourras, si tu trouves quelqu’un assez sot pour te le donner. Je vais parler à Henriette ; je viens d’apprendre de certaines choses qui ne me plaisent guère.

MONSIEUR PATELIN.

Si l’on me demande, je serai ici à la boutique de notre voisin.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR PATELIN, seul

 

Elle n’est pas encore fermée... Je songe que je ne ferai pas mal d’aller mettre ma robe ; outre qu’elle cachera ces guenilles, une robe donnera plus de poids à ce que je dois dire à Monsieur Guillaume pour venir à bout de mon dessein... Le voilà avec son fils ; allons nous mettre in habitu, et revenons promptement.

 

 

Scène V

 

VALÈRE, MONSIEUR GUILLAUME

 

Ils sortent de la boutique portant une table sur laquelle est une pièce de drap, et la mettent à côté de la boutique avec trois chaises, apportées par un garçon de boutique.

MONSIEUR GUILLAUME.

On commence à ne voir guère clair dans la boutique ; exposons ceci un peu plus à la vue des passants. – Oh ! çà, Valère, je t’avais dit de me chercher un Berger pour garder le troupeau dont la laine sert à faire mes draps.

VALÈRE.

Est-ce, mon père, que vous n’êtes pas content d’Agnelet ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Non, car il me vole, et je te soupçonne d’y avoir part.

VALÈRE.

Moi !

MONSIEUR GUILLAUME.

Oui, toi. J’ai su que tu es amoureux de je ne sais quelle fille d’ici près, et que tu lui sais des présents ; et je sais que cet Agnelet a fiancé une certaine Colette qui sert : tout cela fait que je soupçonne.

VALÈRE, à part.

Qui diantre nous a découverts ?...

Haut.

Je vous assure, mon père, qu’Agnelet nous sert très fidèlement.

MONSIEUR GUILLAUME.

Oui, toi, mais non pas moi : car depuis un mois qu’il a quitté le Fermier avec qui il demeurait, pour entrer à mon service, il me manque six vingt moutons ; et il n’est pas possible qu’en si peu de temps il en soit mort, comme il le dit, un si grand nombre de la clavelée.

VALÈRE.

Les maladies font quelquefois de grands ravages.

MONSIEUR GUILLAUME.

Oui, avec des Médecins ; mais les moutons n’en ont pas. D’ailleurs, cet Agnelet fait le nigaud ; mais c’est un fin niais et le plus rusé coquin... Enfin je l’ai pris sur le fait, tuant de nuit un mouton ; je l’ai battu, et l’ai fait ajourner devant Monsieur le Juge. Cependant, avant de pousser plus loin l’affaire, j’ai voulu savoir si tu n’avais point de part au vol qu’il m’a fait.

VALÈRE.

Ah ! mon père, j’ai trop de respect pour vos moutons.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je vais donc le poursuivre en justice ; mais je veux examiner un peu mieux la chose. Donne-moi mon livre de compte.

Il s’assied. Valère va chercher dans la Boutique le livre de compte, et le pose sur la pièce de drap.

C’est assez, laisse-moi. Si un Sergent que j’ai envoyé quérir me demande, fais-moi appeler. Je resterai encore un peu ici, en cas que quelque acheteur se présente.

VALÈRE, à part en s’en allant.

Allons dire à Agnelet qu’il vienne trouver mon père pour s’accommoder avec lui.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR PATELIN, MONSIEUR GUILLAUME

 

MONSIEUR PATELIN, à lui-même.

Bon ; le voilà seul, approchons.

MONSIEUR GUILLAUME, lisant dans son livre de Compte.

Compte du troupeau, et cætera... six cents bêtes, et cætera...

MONSIEUR PATELIN, à lui-même.

Voilà une pièce de drap qui ferait bien mon affaire.

Haut.

Serviteur, Monsieur.

MONSIEUR GUILLAUME, sans se lever ni regarder qui c’est.

Est-ce le Sergent que j’ai envoyé quérir ? qu’il attende.

MONSIEUR PATELIN.

Non, Monsieur, je suis...

MONSIEUR GUILLAUME.

Une robe ! Le Procureur donc ?... Serviteur.

MONSIEUR PATELIN.

Non, Monsieur. J’ai l’honneur d’être Avocat.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je n’ai pas besoin d’Avocat. Je suis votre serviteur.

MONSIEUR PATELIN.

Mon nom, Monsieur, ne vous est sans doute pas inconnu : je suis Patelin, l’Avocat.

MONSIEUR GUILLAUME, de même.

Patelin l’Avocat ? Je ne vous connais pas, Monsieur.

MONSIEUR PATELIN, bas, à part.

Il faut se faire connaître.

Haut.

J’ai trouvé, Monsieur, dans les mémoires de feu mon père, une dette qui n’a pas été payée, et...

MONSIEUR GUILLAUME.

Ce ne sont pas mes affaires, je ne dois rien.

MONSIEUR PATELIN.

Non, Monsieur ; c’est au contraire, feu mon père qui devait au vôtre trois cents écus ; et comme je suis homme d’honneur, je viens vous payer...

MONSIEUR GUILLAUME, en se levant du siège.

Me payer ? Attendez, Monsieur, s’il vous plaît : je me remets un peu votre nom. Oui, je connais depuis longtemps votre famille ; vous demeuriez à un village ici près. Nous nous sommes connus autrefois. Je vous demande excuse. Je suis votre très humble et très obéissant serviteur : asseyez-vous là, je vous prie, asseyez-vous là.

Ils font des façons, Monsieur Guillaume lui présente une chaise loin de drap ; Monsieur Patelin veut être sur celle qui est auprès et s’y place.

MONSIEUR PATELIN.

Monsieur...

MONSIEUR GUILLAUME.

Monsieur...

MONSIEUR PATELIN, quand ils sont assis, tenant une main sur le drap.

Si tous ceux qui me doivent étaient aussi exacts que moi à payer leurs dettes, je serais beaucoup plus riche que je ne suis ; mais je ne sais point retenir le bien d’autrui.

MONSIEUR GUILLAUME.

C’est pourtant ce qu’aujourd’hui beaucoup de gens savent sort bien faire.

MONSIEUR PATELIN.

Je tiens que la première qualité d’un honnête homme est de bien payer ses dettes ; et je viens savoir quand vous serez de commodité de recevoir vos trois cents écus ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Tout à l’heure.

MONSIEUR PATELIN.

J’ai chez moi votre argent tout prêt et bien compté ; mais il faut vous donner le temps de faire dresser une quittance par devant Notaire. Ce sont des charges d’une succession qui regarde ma fille Henriette, et j’en dois rendre un compte en forme.

MONSIEUR GUILLAUME.

Cela est juste. Eh bien, demain matin à cinq heures.

MONSIEUR PATELIN.

À cinq heures, soit. J’ai peut-être mal pris mon temps, Monsieur Guillaume ; je crains de vous détourner.

MONSIEUR GUILLAUME.

Point du tout : je ne suis que trop de loisir, on ne vend rien.

MONSIEUR PATELIN.

Vous faites pourtant plus d’affaires vous seul, que tous les négociants de ce lieu.

MONSIEUR GUILLAUME.

C’est que je travaille beaucoup.

MONSIEUR PATELIN.

C’est que vous êtes, ma foi, le plus habile homme de tout ce pays.

En touchant le drap.

Voilà un assez beau drap.

MONSIEUR GUILLAUME.

Fort beau.

MONSIEUR PATELIN.

Vous faites votre commerce avec une intelligence...

MONSIEUR GUILLAUME.

Oh ! Monsieur...

MONSIEUR PATELIN.

Avec une habileté merveilleuse.

MONSIEUR GUILLAUME.

Oh ! oh ! Monsieur...

MONSIEUR PATELIN.

De manières nobles et franches qui gagnent le cœur de tout le monde.

MONSIEUR GUILLAUME.

Oh ! Point, Monsieur.

MONSIEUR PATELIN.

Parbleu, la couleur du drap fait plaisir à la vue !

MONSIEUR GUILLAUME.

Je le crois, c’est couleur de marron.

MONSIEUR PATELIN.

De marron ! que cela est beau ! Gage, Monsieur Guillaume, que vous avez imaginé cette couleur-là ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Oui, oui, avec mon Teinturier.

MONSIEUR PATELIN.

Je l’ai toujours dit : il y a plus d’esprit dans cette tête-là que dans toutes celles du Village.

MONSIEUR GUILLAUME, s’applaudissant.

Ah ! ah ! ah !

MONSIEUR PATELIN, en maniant le drap.

Cette laine me paraît aussi bien conditionnée.

MONSIEUR GUILLAUME.

C’est pure laine d’Angleterre.

MONSIEUR PATELIN.

Je l’ai cru... À propos d’Angleterre, il me semble, Monsieur Guillaume, que nous avons été autrefois à l’école ensemble ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Chez Monsieur Nicodème ?

MONSIEUR PATELIN.

Justement. Vous étiez beau comme l’amour.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je l’ai ouï dire à ma mère.

MONSIEUR PATELIN.

Et vous appreniez tout ce qu’on voulait.

MONSIEUR GUILLAUME.

À dix-huit ans je savais lire et écrire.

MONSIEUR PATELIN.

Quel dommage que vous ne vous soyez appliqué aux grandes choses ! Savez-vous bien, Monsieur Guillaume, que vous auriez bien gouverné un État ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Comme un autre...

MONSIEUR PATELIN, touchant encore le drap.

Tenez, j’avais justement dans l’esprit une couleur de drap comme celle-là : il me souvient que ma femme veut que je me fasse un habit ; je songe que demain matin, à cinq heures, en portant vos trois cents écus, je prendrai peut-être de ce drap.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je vous le garderai.

MONSIEUR PATELIN, bas, à part.

Le garderai ! ce n’est pas là mon compte.

Haut.

Pour racheter une rente j’avais mis à part ce matin douze cents livres, où je ne voulais pas toucher ; mais je vois bien, Monsieur Guillaume, que vous en aurez une bonne partie.

MONSIEUR GUILLAUME.

Ne laissez pas de racheter votre rente, vous aurez de mon drap.

MONSIEUR PATELIN.

Je le sais bien ; mais je n’aime point prendre à crédit. – Que je prends de plaisir de vous voir frais et gaillard ! Quel air de santé et de longue vie !

MONSIEUR GUILLAUME.

Je me porte bien.

MONSIEUR PATELIN.

Combien croyez-vous qu’il me faudra de ce drap, afin qu’avec vos trois cents écus, je porte aussi de quoi le payer ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Il vous en faudra... vous voulez sans doute l’habit complet ?

MONSIEUR PATELIN.

Oui, très complet, juste-au-corps, culotte et veste, doublés de même ; et le tout bien long et bien large.

MONSIEUR GUILLAUME.

Pour tout cela il vous en faudra... oui... six aunes... voulez-vous que je les coupe, en attendant ?

MONSIEUR PATELIN, à part avec chagrin.

En attendant...

Haut.

Non, Monsieur, non ; l’argent à la main, s’il vous plaît ; l’argent à la main : c’est ma méthode.

MONSIEUR GUILLAUME.

Elle est fort bonne...

À part.

Voici un homme très exact.

MONSIEUR PATELIN.

Vous souvient-il, Monsieur Guillaume, d’un jour que nous soupâmes ensemble à l’Écu de France ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Le jour qu’on fit la fête du Village ?

MONSIEUR PATELIN.

Justement. Nous raisonnâmes à la fin du repas sur les affaires du temps : Que je vous ouïs dire de belles choses !

MONSIEUR GUILLAUME.

Vous vous en souvenez ?

MONSIEUR PATELIN.

Si je m’en souviens ? Vous prédîtes dès lors tout ce que nous avons vu depuis dans Nostradamus.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je vois les choses de loin.

MONSIEUR PATELIN, revenant au drap.

Combien, Monsieur Guillaume, me ferez-vous payer l’aune de ce drap ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Voyons.

Il regarde la marque.

Un autre en paierait ma foi six écus : mais allons, je vous le baillerai à vous à cinq.

MONSIEUR PATELIN, à part.

Le Juif !

Haut.

Cela est trop honnête. Six fois cinq écus, sera justement...

MONSIEUR GUILLAUME.

Trente écus.

MONSIEUR PATELIN.

Oui, trente écus ; le compte est bon... Parbleu, pour renouveler connaissance, il faut que nous mangions demain à dîner une Oie, dont un Plaideur m’a fait présent.

MONSIEUR GUILLAUME.

Une Oie ! Je les aime fort.

MONSIEUR PATELIN.

Tant mieux. Touchez-là

Il lui fait toucher dans la main.

À demain à dîner : ma femme les apprête à miracle.

En frappant de la main sur le drap.

Par ma foi, il me tarde qu’elle me voie sur le corps un habit de ce drap. Croyez-vous qu’en le prenant demain il soit fait à dîner ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Si vous ne donnez le temps au tailleur, il vous le gâtera.

MONSIEUR PATELIN.

Ce serait grand dommage.

MONSIEUR GUILLAUME.

Faites mieux, vous avez, dites-vous, l’argent tout prêt ?

MONSIEUR PATELIN.

Sans cela je n’y songerais pas.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je vais vous le faire porter chez vous par un de mes garçons : il me souvient qu’il y en a de coupé justement ce qu’il vous en faut.

Il en tire un coupon.

MONSIEUR PATELIN, le saisissant.

Cela est heureux.

MONSIEUR GUILLAUME, le tirant par un but.

Attendez ; il faut auparavant que je l’aune en votre présence.

MONSIEUR PATELIN.

Bon ! est-ce que je ne me fie pas à vous ?

Il se lève.

MONSIEUR GUILLAUME, se levant.

Donnez, donnez, je vais vous le faire porter, et vous m’enverrez par le retour...

MONSIEUR PATELIN, à part, avec chagrin.

Le retour...

Haut.

Non, non, non, ne détournez pas vos gens. Je n’ai que deux pas à faire d’ici chez moi.

Il veut prendre le drap ; Monsieur Guillaume le tient toujours.

Comme vous dites, le Tailleur aura plus de temps.

MONSIEUR GUILLAUME.

Laissez-moi vous donner un garçon, qui me rapportera l’argent.

MONSIEUR PATELIN.

Eh ! point, point, je ne suis pas glorieux ; il est presque nuit, et sous ma robe

Il prend le drap et le met sous sa robe.

on prendra ceci pour un sac de Procès.

MONSIEUR GUILLAUME.

Mais, Monsieur, je vais toujours vous donner un garçon, pour me...

MONSIEUR PATELIN.

Eh ! point de façon, vous dis-je... À cinq heures précises, trois cents trente écus, et l’Oie à dîner. Oh çà ! il se fait tard. Adieu, mon cher voisin. Serviteur.

Voyant qu’il le suit.

Eh ! Serviteur.

Il s’en va précipitamment.

MONSIEUR GUILLAUME.

Serviteur, Monsieur, serviteur.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR GUILLAUME, seul

 

Il s’en va parbleu avec mon drap : mais il n’y a pas loin d’ici à cinq heures du matin. Je dîne demain chez lui ; et il me payera ; il me payera. Voilà, parbleu, un des plus honnêtes et des plus consciencieux Avocats que j’aie vu de ma vie. J’ai quelque regret de lui avoir vendu ce drap un peu trop cher, puisqu’il veut bien me payer trois cents écus sur lesquels je ne comptais point ; car je ne sais d’où diable peut venir cette dette. À la bonne heure. – Oh çà ! il s’en va nuit ; et voilà, je pense, tout ce que je gagnerai d’aujourd’hui... Holà ! holà !

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR GUILLAUME, UN GARÇON de Boutique

 

MONSIEUR GUILLAUME.

Qu’on enferme tout cela dedans.

Le Garçon emporte la table et les sièges dans la boutique.

Mais voici, je crois, ce coquin d’Agnelet qui m’a volé mes moutons.

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR GUILLAUME, AGNELET

 

MONSIEUR GUILLAUME.

Ah, ah ! voleur ! Je puis bien faire ici de bonnes affaires ! ce scélérat m’emporte tout le profit.

AGNELET.

Bon vêpre, Monsieur, et bonne nuit.

MONSIEUR GUILLAUME.

Tu oses encore te présenter devant moi ?

AGNELET.

C’est, ne vous déplaise, mon bon Maître, qu’un Monsieur m’a baillé certain papier qui parle, dit-on, de moutons, du Juge et d’ajournerie.

MONSIEUR GUILLAUME.

Tu fais le benêt : mais je t’assure que tu ne tueras jamais plus mouton : qu’il t’en souvienne.

AGNELET.

Eh ! mon doux Maître, ne croyez pas les médisants.

MONSIEUR GUILLAUME.

Les médisants, coquin ! ce t’ai-je pas trouvé de nuit tuant un mouton ?

AGNELET.

Par cette âme ! c’était pour l’empêcher de mourir.

MONSIEUR GUILLAUME.

Le tuer, pour l’empêcher de mourir ?

AGNELET.

Oui, de la clavelée ; à cause, ne vous déplaise, que quand ils mouriont de vilain mal, il faut les jeter, et on les tue avant qu’ils mouriont.

MONSIEUR GUILLAUME.

Qu’ils mouriont. Le traître ! des moutons dont la laine me fait des draps d’Angleterre, que je vends cinq écus l’aune. Ôte-toi d’ici, scélérat ; six-vingts moutons en un mois !

AGNELET.

Ils gâtions les autres, par ma foi...

MONSIEUR GUILLAUME.

Nous verrons cela demain devant Monsieur le Juge.

AGNELET.

Eh ! mon doux Maître, contentez-vous de m’avoir assommé, comme vous voyez ; et accordons-nous ensemble, si c’est votre bon plaisir.

MONSIEUR GUILLAUME.

Mon plaisir est de te faire pendre,

En s’en allant.

entends-tu ?

AGNELET.

Le Ciel vous donne joie.

 

 

Scène X

 

AGNELET, seul

 

Il faut donc que j’aille trouver un avocat pour défendre mon bon droit.

 

 

Scène XI

 

VALÈRE, HENRIETTE, COLETTE, une lanterne à la main, AGNELET

 

HENRIETTE.

Laissez-moi, Valère ; mon père et ma mère me suivent, nous allons souper chez ma tante, ils m’ont dit de m’avancer, retirez-vous.

AGNELET.

Voulez-vous, Monsieur, que j’éteigne la lumière ?

VALÈRE, à Agnelet.

Tu me priverais du plaisir de la voir. Belle Henriette, puisque le hasard fait que je vous rencontre, souffrez, je vous prie...

HENRIETTE.

Non, retirez-vous, je tremble.

VALÈRE.

Craignez-vous une personne qui vous adore ?

HENRIETTE.

Vous êtes la personne du monde que je crains le plus, et vous savez pourquoi...

Agnelet, en badinant avec Colette, l’éloigne un peu d’Henriette.

Ne me quittez pas, Colette.

COLETTE.

C’est cet invalide qui me tire par le bras.

HENRIETTE.

Si vous m’aimez, Valère, ne songez à moi, je vous prie, que lorsque vous serez assuré du consentement de Monsieur votre père.

COLETTE, à Henriette.

C’est à quoi Agnelet et moi nous avons fait dessein de nous employer.

AGNELET.

J’ai déjà imaginé un moyen honnête qui réussira, si Dieu plaît, quand je serai hors de procès.

VALÈRE, à Agnelet.

Quoiqu’il arrive, je te garantirai de tout.

HENRIETTE.

Voici mon père, fuyons tous.

Ils se sauvent tous.

 

 

Scène XII

 

MADAME PATELIN, MONSIEUR PATELIN

 

MONSIEUR PATELIN.

Eh bien, ma femme, ce drap est-il bien choisi ?

MADAME PATELIN.

Oui ; mais avec quoi le payer ? Tu as promis à demain matin ; ce Monsieur Guillaume est un Arabe qui viendra ici faire le diable à quatre.

MONSIEUR PATELIN.

Lorsqu’il viendra, songe seulement à ce que je t’ai dit, et à me bien seconder.

MADAME PATELIN.

Il faut malgré moi, que j’aide à t’en sortir : mais tu devais rougir de honte de ce que tu m’as proposé de faire, et ce n’est point du tout agir en honnête homme.

MONSIEUR PATELIN.

Eh ! Mon Dieu, ma femme, en honnête homme. Il n’est rien de plus aisé, quand on est riche que d’être honnête homme : c’est quand on est pauvre qu’il est difficile de l’être. – Mais laissons tout cela : allons souper chez ta sœur ; et dès que nous serons de retour, faisons, ce soir même, couper cet habit, de peur d’accident.

MADAME PATELIN.

Allons : mais je crains que, demain matin, il n’arrive ici quelque désordre.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

MONSIEUR GUILLAUME, seul

 

Il est du devoir d’un homme bien réglé de récapituler le matin ce qu’il s’est proposé de faire dans sa journée. Voyons un peu. Premièrement, je dois recevoir à cinq heures trois cents écus de Monsieur Patelin, pour une dette de feu son père. – Plus, trente écus pour six aunes de drap qu’il prit hier ici. Item, une Oie à dîner chez lui, apprêtée de la main de sa femme. – Après cela, comparaître à l’ajournement devant le Juge, contre Agnelet, pour les six-vingts Moutons qu’il m’a volés. Je pense que voilà tout. Mais ouais ! Il y a longtemps que l’heure est passée, et je ne vois point venir mon homme. Allons le trouver.

Il va et revient.

Non, un homme si exact ne manquera pas de parole... Cependant il a mon drap, et je n’ai point de ses nouvelles : que faire ?.

Après avoir un peu songé.

Faisons semblant de lui aller rendre visite, et sachons un peu de quoi il est question.

Ils écoutent à la porte.

Je crois qu’il compte mon argent... Je sens qu’on apprête l’Oie... frappons.

Il frappe et écoute.

 

 

Scène II

 

MONSIEUR PATELIN, dans sa maison, MONSIEUR GUILLAUME

 

MONSIEUR PATELIN.

Ma fa...a... ame.

MONSIEUR GUILLAUME.

C’est lui-même.

MONSIEUR PATELIN.

Ouvre la porte... voilà l’Apothicai... re... re.

MONSIEUR GUILLAUME.

L’Apothicaire !

MONSIEUR PATELIN.

Qui m’apporte l’Éméti... i... que, l’Éméti... i... que.

MONSIEUR GUILLAUME.

L’Émétique ?... C’est quelqu’un qui est mal chez lui, et je puis n’avoir pas bien reconnu sa voix à travers la porte : frappons encore plus fort.

Il frappe plus fort.

MONSIEUR PATELIN.

Caro... o... gne ! Ma... a... asque, ouvriras-tu... u... u ?

 

 

Scène III

 

MONSIEUR GUILLAUME, MADAME PATELIN

 

MADAME PATELIN, d’une voix basse et triste.

Qui frappe si fort ? Ah ! c’est vous, Monsieur Guillaume ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Oui, c’est moi. Vous êtes, sans doute, Madame Patelin !

MADAME PATELIN.

À vous servir. Pardon, Monsieur, je n’ose parler haut.

MONSIEUR GUILLAUME.

Oh ! parlez comme il vous plaira : je viens voir Monsieur Patelin.

MADAME PATELIN.

Parlez plus bas, Monsieur, s’il vous plaît.

MONSIEUR GUILLAUME.

Et pourquoi bas ? Je viens, vous dis-je, lui rendre visite.

MADAME PATELIN.

Encore plus bas, je vous prie.

MONSIEUR GUILLAUME.

Si bas qu’il vous plaira ; mais il faut que je le voie.

MADAME PATELIN.

Hélas ! le pauvre homme ! il est bien en état d’être vu !

MONSIEUR GUILLAUME.

Comment ? que lui serait-il arrivé depuis hier ?

MADAME PATELIN.

Depuis hier ? hélas ! Monsieur Guillaume, il y a huit jours qu’il n’a bougé du lit.

MONSIEUR GUILLAUME.

Du lit ? Il vint pourtant hier chez moi.

MADAME PATELIN.

Lui, chez vous ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Lui, chez moi : et il était même fort gaillard et fort dispos.

MADAME PATELIN.

Ah ! Monsieur, il faut sans doute que cette nuit vous ayez rêvé cela.

MONSIEUR GUILLAUME.

Ah ! parbleu, ceci n’est pas mauvais : rêvé ! Et mes six aunes de drap qu’il emporta, l’ai-je rêvé ?

MADAME PATELIN.

Six aunes de drap !

MONSIEUR GUILLAUME.

Oui, six aunes de drap couleur de marron. Et l’Oie que nous devons manger à dîner ? Eh ! l’ai-je rêvé aussi ?

MADAME PATELIN.

Que vous prenez mal votre temps pour rire !

MONSIEUR GUILLAUME.

Pour rire ? Ventrebleu, je ne ris point, et n’en ai nulle envie ; je vous soutiens qu’il emporta, hier, sous sa robe, six aunes de drap.

MADAME PATELIN.

Plût au ciel qu’il fût en état de l’avoir fait. Hélas ! Monsieur Guillaume, il eut tout hier un transport au cerveau qui le jeta dans la rêverie, où je crois qu’il est encore.

MONSIEUR GUILLAUME.

Oh ! par la tête bleue, vous rêvez vous-même, et je veux absolument lui parler.

MADAME PATELIN.

Oh ! pour cela, en l’état qu’il est, il n’est pas possible. Nous l’avons mis-là, sur un fauteuil auprès de la porte, pour faire son lit.

En pleurant.

Il vous ferait pitié, si vous le voyiez.

MONSIEUR GUILLAUME.

Bon, bon, pitié : en quelque état qu’il soit, je prétends ; le voir ou...

MADAME PATELIN.

Ah ! n’ouvrez pas cette porte, vous allez tuer mon mari ; il lui prend de temps en temps des envies de courir.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR GUILLAUME, MONSIEUR PATELIN, MADAME PATELIN

 

La porte s’ouvre. Monsieur Patelin en robe de chambre et en bonnet de nuit, court tout égaré.

MADAME PATELIN.

Ah ! le voilà parti ; je vous l’avais bien dit. Aidez-moi à le reprendre. – Mon pauvre mari, repose-toi là.

Elle le fait asseoir sur un fauteuil que Monsieur Guillaume a été chercher.

MONSIEUR PATELIN

Haye ! aye la tête.

MONSIEUR GUILLAUME, le regardant avec étonnement.

En effet, voilà un homme en piteux état. Il me semble pourtant que c’est le même d’hier, ou peu s’en faut... Voyons de plus près.

Du ton de voix dont on parle à un malade.

Monsieur Patelin, je suis votre serviteur.

MADAME PATELIN, à Monsieur Guillaume.

Ah ! bonjour, monsieur Anodin.

MONSIEUR GUILLAUME.

Monsieur Anodin ?

MADAME PATELIN, à Monsieur Guillaume.

Il vous prend pour l’Apothicaire ; allez-vous-en.

MONSIEUR GUILLAUME, à Madame Patelin.

Je n’en ferai rien. –

À Monsieur Patelin.

Monsieur, vous vous souvenez bien qu’hier...

MONSIEUR PATELIN.

Oui, je vous ai fait garder...

MONSIEUR GUILLAUME.

Bon, il s’en souvient.

MONSIEUR PATELIN.

Un grand verre plein de mon urine.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je n’ai que faire d’urine.

MONSIEUR PATELIN.

Ma femme, fais-la voir à Monsieur Anodin, il verra si j’ai quelqu’embarras dans les uretères.

MONSIEUR GUILLAUME.

Bon, bon, uretères : Monsieur, je veux être payé.

MONSIEUR PATELIN.

Si vous pouviez un peu éclaircir mes matières, elles sont dures comme du fer, et noires comme... votre barbe.

MONSIEUR GUILLAUME.

Pa, pa, pa ; voilà me payer en bonne monnaie.

MONSIEUR PATELIN.

Ne voyez-vous pas qu’il rêve : sortez d’ici.

MONSIEUR GUILLAUME.

Bagatelles !...

MONSIEUR PATELIN.

Ne me donnez plus de ces vilaines pilules, elles ont failli à me faire rendre l’âme.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je voudrais qu’elles t’eussent fait rendre mon drap.

MONSIEUR PATELIN.

Ma femme, chasse... chasse... ces papillons noirs qui volent autour de moi.

En regardant en haut.

Comme ils montent !

MONSIEUR GUILLAUME, regardant en haut..

Je n’en vois point.

MADAME PATELIN.

Il rêve, vous dis-je ; allez-vous-en.

MONSIEUR GUILLAUME.

Tarare ! je veux de l’argent.

MONSIEUR PATELIN.

Les Médecins m’ont tué avec leurs drogues.

MONSIEUR GUILLAUME.

Il ne rêve pas à présent, il faut que je lui parle. Monsieur Patelin...

MONSIEUR PATELIN.

Je plaide, Messieurs, pour Homère.

MONSIEUR GUILLAUME.

Pour Homère ?

MONSIEUR PATELIN.

Contre la Nymphe Calypso.

MONSIEUR GUILLAUME.

Calypso ! quel diable est-ce ceci ?

MADAME PATELIN.

C’est un livre qu’il lisait quand il tomba malade.

MONSIEUR PATELIN.

Sa grotte ne retentissait plus du doux chant de sa voix.

MONSIEUR GUILLAUME, à part.

Ouais ! aurais-je pris quelqu’autre pour lui ?

MADAME PATELIN.

Eh ! Monsieur, laissez en repos ce pauvre homme.

MONSIEUR GUILLAUME, à Madame Patelin.

Attendez, il aura peut-être quelque intervalle. Il me regarde, comme s’il voulait me parler.

MONSIEUR PATELIN.

Ah ! Monsieur Guillaume...

MONSIEUR GUILLAUME.

Oh ! Il me reconnaît. – Eh bien ?

MONSIEUR PATELIN.

Je vous demande pardon...

MONSIEUR GUILLAUME, à Madame Patelin.

Vous voyez qu’il s’en souvient.

MONSIEUR PATELIN.

Si, depuis quinze jours que je suis dans ce village, je ne vous suis pas allé voir.

MONSIEUR GUILLAUME.

Morbleu ! ce n’est pas là mon compte.

À Monsieur Patelin.

Cependant hier...

MONSIEUR PATELIN.

Oui, hier, pour vous aller faire mes excuses, je vous envoyai un Procureur de mes amis.

MONSIEUR GUILLAUME, à part.

Ventrebleu ! celui-là aura eu mon drap. Un Procureur ! Je ne le verrai de ma vie.

Après avoir un peu rêvé.

– Mais c’est une invention, et nul autre que vous n’a eu mon drap ; à telles enseignes...

MONSIEUR PATELIN, s’étant levé.

La Cour remarquera, s’il lui plaît, que la Pirrique était une certaine danse. Tarala, la la, la la ; dansons tous, dansons tous.

Monsieur Patelin prend Monsieur Guillaume par la main, et le fait danser en chantant.

Ma commère, quand je danse...

MONSIEUR GUILLAUME, après avoir dansé.

Oh ! je n’en puis plus ; mais je veux de l’argent.

MONSIEUR PATELIN, bas, à part.

Oh ! je te ferai bien décamper.

Haut.

Ma femme, ma femme, j’entends les voleurs qui ouvrent notre porte ; ne les entends-tu pas ? Écoutons. Paix, paix. Écoutons. Oui, les voilà ; je les vois. Ah ! coquins, je vous chasserai bien d’ici. Ma hallebarde, ma hallebarde.

Il va prendre chez lui une hallebarde, et court sur Monsieur Guillaume en criant.

Au voleur ! Au voleur !

MONSIEUR GUILLAUME, en se sauvant.

Tu dieu ! Il ne fait pas bon ici...

 

 

Scène V

 

MADAME PATELIN, MONSIEUR PATELIN

 

MADAME PATELIN.

Bon, le voilà parti, je me retire. Mais demeure encore là un moment, en cas qu’il revient.

Elle rentre chez elle.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR BARTHOLIN, MONSIEUR PATELIN

 

MONSIEUR PATELIN, voyant venir Monsieur Bartholin qu’il prend pour Monsieur Guillaume

Le voici, au voleur !... non, c’est Monsieur Bartholin, il m’a vu.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Qui crie au voleur ? Quel bruit fait-on à ma porte ? Quel désordre est ceci ? Ah ! ah ! c’est vous, mon compère ?

MONSIEUR PATELIN.

Oui, c’est moi qui...

MONSIEUR BARTHOLIN.

En cet équipage ?

MONSIEUR PATELIN.

C’est que j’ai cru...

MONSIEUR BARTHOLIN.

Un Avocat sous les armes ?

MONSIEUR PATELIN.

J’ai cru entendre des...

MONSIEUR BARTHOLIN.

Militant causarum patroni !

MONSIEUR PATELIN.

C’est que, vous dis-je, j’ai cru entendre des voleurs qui crochetaient ma porte.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Crocheter une porte coram judice ?

MONSIEUR PATELIN.

Je croyais, vous dis-je, qu’il y eût des voleurs.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Il en faut faire informer.

MONSIEUR PATELIN.

Mais il n’y en avait point.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Faire ouïr des témoins...

MONSIEUR PATELIN.

Et contre qui ?

MONSIEUR BARTHOLIN.

Et les faire pendre.

MONSIEUR PATELIN.

Et qui pendre ?

MONSIEUR BARTHOLIN.

Point de quartier aux voleurs.

MONSIEUR PATELIN.

Je vous dis, encore une fois, qu’il n’y en avait point, et que je me suis trompé.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Ah ! cela étant ainsi, cedant arma togœ. Allez quitter cette hallebarde, et prendre votre robe, pour venir à l’Audience que je donnerai dans une heure.

MONSIEUR PATELIN.

C’est aussi ce que je vais faire.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR PATELIN, seul

 

Je dois plaider pour certain Berger, dont Colette m’a parlé ; je pense que le voici, allons quitter cet équipage, et revenons promptement.

 

 

Scène VIII

 

COLETTE, AGNELET

 

COLETTE.

Tu as besoin d’un Avocat subtil et rusé, qui invente quelque fourberie pour te tirer d’affaire ; et il n’y a dans tout le village, que Monsieur Patelin qui en soit capable.

AGNELET.

J’en fîmes l’expérience il y a quelque temps, feu mon frère et moi ; mais je ne sais comment faire, car j’oubliai de le payer.

COLETTE.

Il ne s’en souviendra peut-être pas. Au reste, ne lui dis pas que tu sers Monsieur Guillaume, il ne voudrait peut-être pas plaider contre lui.

AGNELET.

Je ne lui parlerai que de mon maître, sans le nommer ; et il croira que je sers toujours ce Fermier avec qui je demeurais quand je te fiançai.

COLETTE.

Songe au moins, quand tu seras hors d’affaires, à ce que nous avons concerté ensemble pour faire consentir Monsieur Guillaume au mariage de son fils avec ma Maîtresse. Voilà ton Avocat. Adieu.

 

 

Scène IX

 

AGNELET, MONSIEUR PATELIN

 

MONSIEUR PATELIN.

Ah ! ah ! je connais ce drôle-ci. N’est-ce pas toi qui as fiancé ma servante Colette ?

AGNELET.

Oui, Monsieur, oui.

MONSIEUR PATELIN.

Vous étiez deux frères que j’ai garantis des galères ; l’un de vous deux ne me paya point.

AGNELET.

C’était mon frère.

MONSIEUR PATELIN.

Vous fûtes malades au sortir de prison, et l’un de vous deux mourut.

AGNELET.

Ce ne fut pas moi.

MONSIEUR PATELIN.

Je le vois bien.

AGNELET.

Je fus pourtant plus malade que mon frère. Enfin, je viens vous prier de plaider pour moi, contre mon maître.

MONSIEUR PATELIN.

Ton maître, c’est ce Fermier d’ici près ?

AGNELET.

Il ne demeure pas loin d’ici, et je vous payerai bien.

MONSIEUR PATELIN.

Je le prétends bien ainsi. Oh çà, raconte-moi ton affaire, sans me rien déguiser.

AGNELET.

Vous saurez donc que mon bon maître me paye petitement mes gages ; et que, pour m’indommager sans lui faire tort, je fais quelque petit négoce avec un Boucher, homme de bien.

MONSIEUR PATELIN.

Quel négoce fais-tu ?

AGNELET.

Sauf votre grâce, j’empêche les moutons de mourir de la clavelée.

MONSIEUR PATELIN.

Il n’y a point de mal ; et que fais-tu pour cela ?

AGNELET.

Ne vous déplaise, je les tue quand ils ont envie de mourir.

MONSIEUR PATELIN.

Le remède est sûr. – Mais ne les tues-tu pas exprès pour faire croire à ton maître qu’ils sont morts de ce mal, et qu’il les faut jeter à la voirie ; afin de les vendre et garder l’argent pour toi ?

AGNELET.

C’est ce que dit mon doux maître, à cause que l’autre nuit... quand j’eus enfermé le troupeau... il vit que je pris... un... un, dirai-je tout ?

MONSIEUR PATELIN.

Oui, si tu veux que je plaide pour toi.

AGNELET.

L’autre jour donc, il vit que je pris un gros mouton qui se portait bien : ma foi, sans y penser, ne sachant que faire... je lui mis tout doucement... mon couteau auprès de la gorge ;

Vite.

tant y a que je ne sais comme cela se fit, mais il en mourut d’abord.

MONSIEUR PATELIN.

J’entends. – Quelqu’un te vit-il faire ?

AGNELET.

Mon maître était caché dans la bergerie : il me dit que j’en avais fait autant de six-vingt moutons qui lui manquaient... Or, vous savez que c’est un homme qui dit toujours la vérité. Il me battit

Il lui montre sa tête enveloppée d’un linge.

comme vous voyez, et je vais me faire trépaner. Or je vous prie, comme vous êtes mon Avocat, de faire en sorte qu’il ait tort et que j’aie raison, afin qu’il ne m’en coûte rien.

MONSIEUR PATELIN.

Je comprends ton affaire. Il y a deux voies à prendre ; la première, il ne t’en coûtera pas un sou.

AGNELET.

Prenons celle là, je vous prie.

MONSIEUR PATELIN.

Soit. Tout ton bien est en argent ?

AGNELET.

Ma foi, oui.

MONSIEUR PATELIN.

Il te le faut bien cacher.

AGNELET.

Aussi ferai-je.

MONSIEUR PATELIN.

Ton Maître sera contraint de payer tous les dépens.

AGNELET.

Tant mieux.

MONSIEUR PATELIN.

Et, sans qu’il t’en coûte denier ni maille...

AGNELET.

C’est ce que je demande.

MONSIEUR PATELIN.

Il sera obligé, s’il te veut, faire pendre.

AGNELET.

Prenons l’autre, s’il vous plaît.

MONSIEUR PATELIN.

La voici. On va te faire venir devant le Juge.

AGNELET.

Il est vrai.

MONSIEUR PATELIN.

Souviens-toi bien de ceci.

AGNELET.

J’ai bonne souvenance.

MONSIEUR PATELIN.

À toutes les interrogations qu’on te feras, soit le Juge, soit l’Avocat de ton Maître, soit moi-même, ne réponds autre chose que ce que tu entends dire tous les jours à tes bêtes à laine. Tu sauras bien parler leur langage et faire le mouton ?

AGNELET.

Cela n’est pas bien difficile.

MONSIEUR PATELIN.

Les coups que tu as à la tête me font aviser d’une adresse qui pourra te garantir ; mais je prétends ensuite être bien payé.

AGNELET.

Aussi serez-vous, par cette âme.

MONSIEUR PATELIN.

Monsieur Bartholin va tout à l’heure donner audience ; ne manque pas de revenir ici ; tu m’y trouveras. Adieu... N’oublie pas de porter de l’argent.

AGNELET.

Je ferai ce que vus m’avez dit.

 

 

Scène X

 

AGNELET, seul

 

Que les gens de bien ont de peine à vivre !

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

AGNELET, MONSIEUR PATELIN, MONSIEUR BARTHOLIN

 

MONSIEUR BARTHOLIN, s’étant assis sur un fauteuil.

Or sus, les Parties peuvent comparaître.

MONSIEUR PATELIN, bas à Agnelet.

Quand on t’interrogera, ne réponds que de la manière que je t’ai dit.

MONSIEUR BARTHOLIN, à Monsieur Patelin.

Quel homme est-ce là ?

MONSIEUR PATELIN.

Un Berger qui a été battu par son Maître ; et qui, au sortir d’ici, va se faire trépaner.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Il faut attendre l’adverse Partie, Son procureur ou son avocat.

 

 

Scène II

 

AGNELET, MONSIEUR PATELIN, MONSIEUR BARTHOLIN, MONSIEUR GUILLAUME

 

MONSIEUR BARTHOLIN.

Mais que nous veut Monsieur Guillaume ?

MONSIEUR PATELIN, en se cachant le visage.

Monsieur Guillaume !

MONSIEUR GUILLAUME.

Je viens plaider moi-même mon affaire.

MONSIEUR PATELIN, bas à Agnelet.

Ah, traître, c’est contre Monsieur Guillaume.

AGNELET.

Oui. C’est mon bon Maître.

MONSIEUR PATELIN, bas à part soi.

Tâchons de nous tirer d’ici.

MONSIEUR GUILLAUME, regardant Monsieur Patelin qui se cache.

Ouais ! Quel homme est-ce là ?

MONSIEUR PATELIN, déguisant sa voix.

Monsieur, je ne plaide que contre un Avocat.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je n’ai pas besoin d’Avocat...

À part.

Il a quelque chose de son air.

MONSIEUR PATELIN.

Je me retire donc.

Il va pour sortir.

MONSIEUR BARTHOLIN, à Monsieur Patelin.

Demeurez, et plaidez.

MONSIEUR PATELIN, à Monsieur Bartholin.

Mais, Monsieur...

MONSIEUR BARTHOLIN.

Demeurez, vous dis-je ; je veux avoir au moins un Avocat à mon audience : si vous sortez, je vous raye de la matricule.

MONSIEUR PATELIN, à part soi.

Cachons-nous du mieux que nous pourrons.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Monsieur Guillaume, vous êtes le demandeur, parlez.

MONSIEUR GUILLAUME.

Vous saurez, Monsieur, que ce maraud-là...

MONSIEUR BARTHOLIN.

Point d’injures.

MONSIEUR GUILLAUME.

Eh ! bien que ce voleur...

MONSIEUR BARTHOLIN.

Appelez-le par son nom, ou par celui de sa profession.

MONSIEUR GUILLAUME.

Tant y a, vous dis-je, Monsieur, que ce scélérat de Berger m’a volé six-vingts moutons.

MONSIEUR PATELIN, se cachant et déguisant sa voix.

Cela n’est point prouvé.

MONSIEUR BARTHOLIN, à Monsieur Patelin, qui met son mouchoir devant son visage.

Qu’avez-vous, Avocat ?

MONSIEUR PATELIN.

Un grand mal aux dents.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Tant pis.

À Monsieur Guillaume.

Continuez.

MONSIEUR GUILLAUME, à part, regardant Monsieur Patelin.

Parbleu, cet Avocat ressemble un peu à celui de mes six aunes de drap.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Quelle preuve avez-vous de ce vol ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Quelle preuve ? Je lui vendis hier... Je lui ai baillé en garde six aunes... Six cents moutons, et je n’en trouve à mon troupeau que quatre cent quatre-vingt.

MONSIEUR PATELIN, de même.

Je nie ce fait.

MONSIEUR GUILLAUME, à part, un peu plus haut.

Ma foi, si je ne venais de voir l’autre dans la rêverie, je croirais que voilà mon homme.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Laissez-là cet homme, et prouvez le fait.

MONSIEUR GUILLAUME, regardant Monsieur Patelin.

Je le prouve par mon drap... Je veux dire par mon livre de compte.

Regardant Monsieur Patelin.

Que sont devenues les six aunes... Les six-vingts moutons qui manquent à mon troupeau ?

MONSIEUR PATELIN, se découvrant un peu.

Ils sont morts de la clavelée.

MONSIEUR GUILLAUME.

Têtebleu ! je crois que c’est lui-même.

MONSIEUR BARTHOLIN.

On ne nie pas que ce soit lui-même. Non est quœstio de personâ. On vous dit que vos moutons sont morts de la clavelée : que répondez-vous à cela ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Je réponds, sauf votre respect, que cela est faux ; qu’il emporta sous... qu’il les a tués pour les vendre ; qu’hier moi-même... Oh ! c’est lui...

Regardant Monsieur Patelin, qui ne se cache pas tant qu’il faisait, voyant qu’il se trouble.

Oui, je lui vendis six... six...

Regardant Agnelet.

Je le trouvai sur le fait, tuant de nuit un mouton.

MONSIEUR PATELIN, voyant que Monsieur Guillaume se trouble, se découvre tout à fait pour le troubler davantage.

Pure invention, Monsieur, pour s’excuser des coups qu’il a donnés à ce pauvre Berger, qui, au sortir d’ici, comme je vous ai dit, va se faire trépaner.

MONSIEUR GUILLAUME[1].

Parbleu ! Monsieur le Juge, il n’est rien de plus véritable, c’est lui-même : oui, il emporta hier de chez moi six aunes de drap ; et ce matin, au lieu de me payer trente écus...

MONSIEUR BARTHOLIN.

Que diantre font ici six aunes de drap et trente écus ? il est, ce me semble, question de moutons volés ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Il est vrai, Monsieur, c’est une autre affaire, mais nous viendrons après... Je ne me trompe pourtant point ! vous saurez donc que je m’étais caché dans la bergerie...

Il regarde Patelin.

Oh ! c’est lui, très assurément... Je m’étais donc caché dans la bergerie ; je vis venir ce drôle... il s’assit là... il prit un gros mouton...

Regardant Patelin qui se montre exprès pour l’embrasser.

et... et avec de belles paroles, il fit si bien, qu’il m’emporta six aunes...

MONSIEUR BARTHOLIN.

Six aunes de moutons ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Non, de drap. Maugrebleu de l’homme !

MONSIEUR BARTHOLIN.

Laissez là ce drap et cet homme, et revenez à vos moutons.

MONSIEUR GUILLAUME.

J’y reviens. Ce drôle donc, ayant tiré de sa poche son couteau... je veux dire mon drap... non, je dis bien, son couteau... il... il... il... il... il le mit comme ceci sous sa robe et l’emporta chez lui ; et, ce matin, au lieu de me payer mes trente écus, il me nie drap et argent.

MONSIEUR PATELIN.

Vous voyez, Monsieur, qu’il ne sait ce qu’il dit.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je le sais fort bien, Monsieur ;

Regardant Agnelet.

il m’a volé six-vingts moutons ; et

Regardant Patelin.

ce matin, et ce matin, au lieu de me payer trente écus pour six aunes de drap de couleur marron ; il m’a payé de papillons noirs, la Nymphe Calipot, ta-ral-la, ma commère quand je danse... Que diable sais-je !

MONSIEUR PATELIN, riant.

Ah ! ah ! ah ! Il est fou, il est fou.

MONSIEUR BARTHOLIN.

En effet, Monsieur Guillaume, toutes les Cours du Royaume ensemble ne comprendraient rien à votre affaire. Vous accusez ce Berger de vous avoir volé six-vingts moutons ; et vous entrelardez là-dedans trente écus, des papillons noirs, et mille autres balivernes. Eh ! encore une fois revenez à vos moutons, ou je vais relaxer ce Berger. – Mais j’aurai plutôt fait de l’interroger moi-même...

À Agnelet.

Approche-toi. Comment t’appelles-tu ?

AGNELET.

Bé... é... é... é.[2]

MONSIEUR GUILLAUME.

Il ment, il s’appelle Agnelet.

MONSIEUR BARTHOLIN, à Monsieur Guillaume.

Agnelet ou Bée, n’importe 

À Agnelet.

Dis-moi, est-il vrai que Monsieur t’avait baillé en garde six-vingts moutons ?

AGNELET.

Bé... é... é... é.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Ouais ! la crainte de la justice te trouble peut-être : écoute ; ne t’effraye point. Monsieur Guillaume t’a-t-il trouvé de nuit tuant un mouton ?

AGNELET.

Bé... é... é... é.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Oh ! oh ! que veut dire ceci ?

MONSIEUR PATELIN, à Monsieur Bartholin.

Les coups qu’il lui a donnés sur la tête, lui ont troublé la cervelle.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Vous avez grand tort, Monsieur Guillaume.

MONSIEUR GUILLAUME.

Moi, tort ? L’un me vole mon drap, l’autre mes moutons ; l’un me paye de chansons, l’autre de Bé... é... é ; et encore morbleu ! j’aurai tort !

MONSIEUR BARTHOLIN.

Oui, tort ; il ne faut jamais frapper, surtout à la tête.

MONSIEUR GUILLAUME.

Oh ! ventrebleu ; il était nuit ; et quand je frappe, je frappe partout.

MONSIEUR PATELIN.

Il avoue le fait, Monsieur ; habemus confitentem reum.

MONSIEUR GUILLAUME, à Monsieur Patelin.

Oh ! vas, vas, avec ton confitareum, tu me payeras mes six aunes de drap, ou le diable t’emportera.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Encore du drap ! on se moque ici de la Justice.

Il se lève.

Hors de cour et de procès, sans dépens.

MONSIEUR GUILLAUME, à Monsieur Bartholin.

J’en appelle.

À Monsieur Patelin.

Et pour vous, Monsieur le fourbe, nous nous reverrons.

Il s’en va.

 

 

Scène III

 

AGNELET, MONSIEUR PATELIN, MONSIEUR BARTHOLIN

 

MONSIEUR PATELIN.

Remercie Monsieur le Juge.

AGNELET.

Bééé... é... bééée... é.

MONSIEUR BARTHOLIN.

En voilà assez ; va vite te faire trépaner, pauvre malheureux.

 

 

Scène IV

 

AGNELET, MONSIEUR PATELIN

 

MONSIEUR PATELIN.

Oh çà ! par mon adresse, je t’ai tiré d’une affaire où il y avait de quoi te faire pendre ; c’est à toi maintenant à me bien payer, comme tu m’as promis.

AGNELET.

Bé... é... é.

MONSIEUR PATELIN.

Oui, tu as bien joué ton rôle : mais à présent il me saut de l’argent, entends-tu ?

AGNELET.

Bé... é... é.

MONSIEUR PATELIN.

Eh ! laisse-là ton bée ; il n’est plus question de cela ; il n’y a ici que toi et moi. Veux-tu me tenir ce que tu m’a promis, et bien me payer ?

AGNELET.

Bé... é... é.

MONSIEUR PATELIN.

Comment ! coquin, je serais la dupe d’un mouton vêtu !

Il court après Agnelet qui se sauve.

Têtebleu, tu me payeras, ou...

 

 

Scène V

 

MONSIEUR PATELIN, COLETTE

 

COLETTE, retenant Patelin.

Eh ! laissez-le aller, Monsieur ; il s’agit de bien autre chose.

MONSIEUR PATELIN.

Comment donc ?

COLETTE.

Les coups qu’il fait semblant d’avoir à la tête, nous ont fait aviser d’un moyen sûr pour faire consentir Monsieur Guillaume au mariage de son fils avec votre fille ; ne serez-vous pas bien payé ?

MONSIEUR PATELIN.

Serait-il bien possible ?

COLETTE.

Agnelet a dit au Juge qu’il s’allait faire trépaner ; il est mort dans l’opération, et c’est monsieur Guillaume qui l’a tué.

MONSIEUR PATELIN.

Ah ! je vois de quoi il est question.

COLETTE.

Secondez-nous bien seulement ; je vais demander justice à Monsieur le Juge.

Elle sort.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR PATELIN, seul

 

En effet, ce qu’il vient de voir, lui fera croire aisément qu’Agnelet est mort ; et par bonheur Monsieur Guillaume s’est accusé lui-même. Il faut avouer que ce Berger est un rusé coquin ; il m’a toujours trompé moi-même, moi qui trompe quelquefois les autres ; mais je lui pardonne, si, par son adresse, je puis marier richement ma fille.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR PATELIN, MONSIEUR BARTHOLIN, COLETTE

 

COLETTE, pleurant.

Ah ! ah ! ah !

MONSIEUR BARTHOLIN, à Colette.

Que me dites-vous là ? le pauvre garçon ! voilà une mort bien prompte !

MONSIEUR PATELIN.

Tout le Village en est déjà informé. Comme les malheurs arrivent dans un moment !

COLETTE, pleurant.

Ah ! ah ! ah !

MONSIEUR BARTHOLIN.

Je vous rendrai justice, ne pleurez pas tant.

COLETTE.

Il était mon fiancé,

Pleurant.

Hé ! hé ! hé !

MONSIEUR BARTHOLIN.

Consolez-vous donc, il n’était pas encore votre mari.

COLETTE.

Je ne le pleurerais pas tant s’il avait été mon mari,

Pleurant.

Hi ! hi ! hi !

MONSIEUR PATELIN.

La pauvre fille ! méchante affaire pour Monsieur Guillaume.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Il sera puni ; et déjà, sur votre plainte, j’ai donné un décret de prise de corps ; on doit me l’amener ici. Je vais cependant, pour la forme, visiter le corps mort : il est là, dites-vous, chez votre oncle le chirurgien ? Je reviens dans un moment.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR PATELIN, COLETTE

 

MONSIEUR PATELIN.

Il va découvrir la fourberie,  s’il ne trouve pas le mort.

COLETTE.

Ne craignez rien ; mon oncle est d’intelligence avec nous ; et Agnelet a ajusté dans le lit une certaine tête qui le fera fuir bien vite.

MONSIEUR PATELIN.

Mais quelqu’un dans le Village rencontrera peut-être Agnelet.

COLETTE.

Il s’est allé cacher dans le grenier à foin d’un de nos voisins, d’où il ne sortira que quand le mariage sera conclu.

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR PATELIN, MONSIEUR BARTHOLIN, COLETTE

 

MONSIEUR BARTHOLIN, à lui-même en revenant.

Non, de ma vie je n’ai vu une tête d’homme comme celle-là ; les coups ou le trépan, l’ont entièrement défigurée : elle n’a pas seulement figure humaine, et je n’ai pu la voir un moment sans détourner la vue.

COLETTE, pleurant.

Ah! Ah ! ah !

MONSIEUR PATELIN.

Que je plains le pauvre monsieur Guillaume ! c’était un bon homme, il y avait plaisir d’avoir affaire à lui.

MONSIEUR BARTHOLIN, à Monsieur Patelin.

Je le plains aussi ; mais que faire ? voilà un homme mort, et sa fiancée qui me demande justice.

MONSIEUR PATELIN.

Colette, que te servira de le faire pendre ? Ne vaudrait-il pas mieux pour toi...

COLETTE, à Monsieur Patelin.

Hélas ! Monsieur, pour moi je ne suis ni intéressée ni vindicative ; et s’il y avait quelque expédient à prendre pour le sauver... Vous savez combien j’aime ma Maîtresse votre fille, qui est filleule de Monsieur.

MONSIEUR BARTHOLIN, à Colette.

Ma filleule. Eh bien, quel intérêt a-t-elle à tout ceci ?

COLETTE.

Valère, Monsieur, le fils unique de ce Monsieur Guillaume, en est amoureux ; son père refuse d’y consentir ; vous êtes si habile l’un et l’autre ; voyez s’il n’y aurait pas... là... quelque tour à prendre, afin que tout le monde fût content.

MONSIEUR BARTHOLIN, à Monsieur Patelin.

Oui, il faut que cette fille se déporte de sa poursuite, à condition que Monsieur Guillaume consentira à ce mariage.

COLETTE.

Que cela est bien imaginé !

MONSIEUR PATELIN.

C’est prendre les voies de la douceur...

MONSIEUR BARTHOLIN, à Colette.

Avant que de le mettre en prison, on doit me l’amener ; il faut que je lui en parle moi-même. mais y consentez-vous, Monsieur Patelin ?

MONSIEUR PATELIN.

Eh... Je n’avais pas encore fait dessein de marier ma fille... Cependant... Pour sauver la vie à Monsieur Guillaume... Allons, allons, j’y donnerai les mains.

MONSIEUR BARTHOLIN.

J’entends qu’on me l’amène.

À Colette.

Vous, allez vite faire enterrer secrètement le mort, afin qu’on ne m’accuse point de prévarication.

Colette sort.

 

 

Scène X

 

MONSIEUR PATELIN, MONSIEUR BARTHOLIN

 

MONSIEUR PATELIN.

Et moi, pour la forme, je vais faire dresser un mot de contrat que vous lui ferez signer, s’il vous plaît.

 

 

Scène XI

 

MONSIEUR BARTHOLIN, MONSIEUR GUILLAUME, conduit par PLUSIEURS ARCHERS

 

MONSIEUR BARTHOLIN.

Ah ! vous voici. – Eh bien ! vous savez, Monsieur Guillaume, pourquoi on vous a arrêté ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Oui : ce coquin d’Agnelet dit qu’il est mort.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Il l’est véritablement ; je viens de le voir moi-même ; et vous avez avoué le fait.

MONSIEUR GUILLAUME.

Peste soit de moi !

MONSIEUR BARTHOLIN.

Oh ! çà, j’ai une chose à vous proposer. – Il ne tient qu’à vous de sortir d’affaire, et de vous en retourner chez vous en liberté.

MONSIEUR GUILLAUME.

Il ne tient qu’à moi ? Serviteur donc.

Il va pour sortir, les Archers le retiennent.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Oh ! attendez : il faut savoir auparavant si vous aimez mieux marier votre fils, que d’être pendu.

MONSIEUR GUILLAUME.

Belle proposition ! je n’aime ni l’un ni l’autre.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Je m’explique. Vous avez tué Agnelet, n’est-il pas vrai ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Je l’ai battu ; s’il est mort, c’est sa faute.

MONSIEUR BARTHOLIN.

C’est la vôtre. Écoutez : Monsieur Patelin a une fille belle et sage.

MONSIEUR GUILLAUME.

Oui, et pauvre comme lui.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Votre fils en est amoureux.

MONSIEUR GUILLAUME.

Et que m’importe ?

MONSIEUR BARTHOLIN.

La fiancée du mort se départ de sa poursuite, si vous consentez à leur mariage.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je n’y consens point.

MONSIEUR BARTHOLIN, aux Archers.

Qu’on le mène en prison.

MONSIEUR GUILLAUME.

En prison, maugrebleu !... Laissez-moi au moins allez dire chez moi qu’on ne m’attende point.

MONSIEUR BARTHOLIN, aux Archers.

Ne le laissez pas échapper.

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR PATELIN, MONSIEUR BARTHOLIN, MONSIEUR GUILLAUME, ARCHERS

 

MONSIEUR PATELIN, bas à Monsieur Bartholin, en lui remettant un papier.

Voilà le Contrat...

 

 

Scène XIII

 

COLETTE, VALÈRE, HENRIETTE, MADAME PATELIN, MONSIEUR BARTHOLIN, MONSIEUR GUILLAUME, MONSIEUR PATELIN, ARCHERS

 

MONSIEUR PATELIN, à Monsieur Guillaume.

Monsieur, sur le malheur qui vous est arrivé, toute ma famille vient vous offrir ses services.

MONSIEUR GUILLAUME.

Que de Patelineurs !

MONSIEUR BARTHOLIN, à Monsieur Guillaume.

Allons, voici toutes les Parties ; expliquez-vous vite. Voulez-vous sortir d’affaire ?

MONSIEUR GUILLAUME.

Oui.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Signez ce Contrat.

MONSIEUR GUILLAUME.

Je n’en veux rien faire.

MONSIEUR BARTHOLIN, aux Archers.

En prison, et les fers aux pieds.

MONSIEUR GUILLAUME.

Les fers aux pieds ! Tubieu, comme vous y allez !

MONSIEUR BARTHOLIN.

Ce n’est encore rien ; je vais tout à l’heure vous faire donner la question.

MONSIEUR GUILLAUME.

Donner la question !

MONSIEUR BARTHOLIN.

Oui, la question, ordinaire et extraordinaire ; et après cela je ne puis éviter de vous faire pendre.

MONSIEUR GUILLAUME.

Pendre ? miséricorde !

MONSIEUR BARTHOLIN.

Signez donc : si vous différez un moment, vous êtes pendu, je ne pourrai plus vous sauver.

MONSIEUR GUILLAUME.

Juste ciel !

Il signe le contrat.

MONSIEUR BARTHOLIN, pendant que Monsieur Guillaume signe.

Je l’ai ouï dire à un fameux Médecin ; que les coups à la tête sont dangereux comme le diable.

Reprenant le contrat signé.

Voilà qui est bien.

Il le remet à Monsieur Patelin.

Je vais jeter au feu la procédure, et je vous en félicite...

MONSIEUR GUILLAUME.

Oui, j’ai fait aujourd’hui de belles affaires !

MONSIEUR PATELIN.

L’honneur de votre alliance...

MONSIEUR GUILLAUME, à tous deux.

Ne vous coûte guère.

VALÈRE, à Monsieur Guillaume.

Mon père, je vous proteste...

MONSIEUR GUILLAUME, à son fils.

Va-t’en au diable.

HENRIETTE, à Monsieur Guillaume.

Monsieur, je suis fâchée...

MONSIEUR GUILLAUME, à Henriette.

Et moi aussi.

COLETTE, à Monsieur Guillaume.

Que me donnerez-vous à la place de mon fiancé ?

MONSIEUR GUILLAUME, à Colette.

Les moutons qu’il m’a volés.

 

 

Scène XIV

 

COLETTE, VALÈRE, HENRIETTE, MADAME PATELIN, MONSIEUR BARTHOLIN, MONSIEUR GUILLAUME, MONSIEUR PATELIN, ARCHERS, DEUX PAYSANS, AGNELET

 

Deux Paysans poursuivent Agnelet, en le menaçant de leur fourche : il fait peur à tout le monde.

UN PAYSAN, à Agnelet.

Marche.

AGNELET.

Miséricorde !

L’AUTRE PAYSAN.

Marche.

AGNELET.

Miséricorde !

MONSIEUR GUILLAUME, arrêtant Agnelet.

Ah ! Traître, tu n’es pas mort ? il faut que je t’étrangle ; il ne m’en coûtera pas davantage.

Agnelet se jette à genoux au milieu de tous.

MONSIEUR BARTHOLIN, retenant et éloignant Monsieur Guillaume.

Attendez.

Aux Paysans.

D’où sort ce fantôme ?

UN PAYSAN.

J’avons trouvé ce voleur dans notre grenier, par quoi je le menions en prison.

MONSIEUR BARTHOLIN, à Agnelet, après lui avoir manié la tête, qui est découverte et sans linge.

Ouais ! Tu n’as plus de coups à la tête ?

AGNELET, en pleurant.

Ma foi, non.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Qu’est-ce donc qu’on m’a fait voir dans un lit chez le Chirurgien ?

AGNELET, pleurant plus fort.

C’était une tête de viau.

MONSIEUR GUILLAUME, à Monsieur Patelin.

Allons, puisqu’il n’est pas mort, rendez-moi ce Contrat que je le déchire.

MONSIEUR BARTHOLIN.

Cela est juste.

MONSIEUR PATELIN, à Monsieur Guillaume.

Oui, en me payant un dédit qui contient dix mille écus.

MONSIEUR GUILLAUME.

Dix mille écus ! Il faut bien par force que je laisse la chose comme elle est. – Mais vous me payerez les trois cents écus de votre Père ?

MONSIEUR PATELIN.

Oui ; en m’apportant son billet.

MONSIEUR GUILLAUME.

Son billet !... Et mes six aunes de drap ?

MONSIEUR PATELIN.

C’est le présent de noces.

MONSIEUR GUILLAUME.

De noces ! Au moins je tâterai de l’oie.

MONSIEUR PATELIN.

Nous l’avons mangée à dîner.

MONSIEUR GUILLAUME.

À dîner !

Montrant Agnelet.

Oh ! ce scélérat payera pour tous et sera pendu.

VALÈRE.

Mon père, il est temps de l’avouer, tout ceci ne s’est fait que par mon ordre.

MONSIEUR GUILLAUME.

Me voilà bien payé de mon drap et de mes moutons.

 


[1] Quand Monsieur Guillaume jette les yeux sur Patelin, il parle de drap ; quand il les jette sur le Berger, il parle de moutons. Cela doit être observé dans tout ce qui suit.

[2] Ce Bé... é... é... é doit être dit de différents tons comme les Moutons. Le premier doit être moins marqué que les autres.

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